La couleur du sable I Kieran Ryven

Je quittais le Berceau ,l'espoir guidant chacun de mes pas qui tentaient de me rapprocher de celle qui m'avait offert ce collier autour de mon cou avant de disparaitre. Je grimpais sur le dos de ma jument, prête à m'amener vers des entendues que je n'avais pas encore silloner pour retrouver Ersa. Tout le monde savait que les drakyns étaient assez têtus en général. Je ne dérogeais pas à cette règle, prêt à soulever le sekai entier pour la retrouver, plonger dans toutes les mers s'il le fallait pour avoir une piste. Je descendis de Belle de Nuit après de nombreuses heures passées à arpenter des étendues désertiques, mes bottes en rencontrant le sol soulevant des volutes de poussière et pas que.

-Je me demande ce que tu es devenu...

Dis-je en approchant ma fidèle monture vers un point d'eau afin qu'elle puisse s'abreuver, tandis que des images du passé lié à cet endroit refaisaient surface. J'avais souri en caressant l'encolure de la mangeuse de carotte, pensif, me remémorant le cornu que j'avais rencontré ici même, il y a de nombreuses années de ça. Un qui représentait si bien notre espèce et qui marquait la mémoire à jamais. Je m'étais agenouillé,me penchant pour me passer de l'eau sur le visage, troublant sa surface alors que mes souvenirs eux devinrent plus nets.

***

An-9 , à des kilomètres d'Ikusa, en été

Je me redressais, l'eau perlant sur mes traits fatigués, encore un peu endormi en ce début de matinée. Ce cauchemar, le même depuis aussi loin que ma mémoire pouvait me permettre, m'avait tiré de mon sommeil agité. Lorsque mes cyans virent mon reflet réapparaitre, on pouvait y voir un jeune écailleux avec des cernes, des pupilles verticales se perdant un instant sur ce qu'il voyait,le hanter, avant de plonger ses mains dans l'un des derniers point d'eau des alentours.

Un endroit qui attirait autant la faune locale que les voyageurs,regardant le Aazho qui m'avait amené jusqu'ici se reposer, allongé sur la rive.
Mon armure et mes armes étaient posées non loin, n'ayant gardé que mon pantalon noir sur moi par cette chaleur déjà bien écrasate. Je m'aspergeais la tête,mon torse recouvert d'écailles peu visibles par leur couleur claires, frémissaient par les gouttelettes froides qui sillonnèrent ma kératine prête à endurer cet entrainement que j'avais préféré entamer loin des Ikhilosho . De leur regard qui ne souhaitait qu'une seule chose.

-Je disparaitrais, c'est une certitude.Mais pas maintenant. Pas avant d'avoir tenté de protéger l'Empire.

Murmurais-je à moi même. Chaque nuit ou presque,je revais de ma fin,luttant contre les acolytes des titans et me faisant inévitablement tuer. Persuadé qu'il s'agissait d'une vision du futur, je m'entrainais sans relâche afin de pouvoir protéger et sauver au mieux les reikois avant que ce jour n'arrive, à défaut de pouvoir l"être. J'avais profité d'avoir obtenu des jours de libre pour parfaire mes techniques de combat, ayant privilégié des entrainements en solitaire pour me resourcer, m'éloigner de ma famille qui me tolérait à peine tout en enquetant sur cette zone en proie à des attaques d'un bandit.

C'est donc par cette seule volonté, celle de servir l'Empire, que je me levais chaque matin et pour aider mon prochain aussi. L'unique qui me poussait à me dépasser et qui comptait plus que tout le reste. Le futur le prouverait, les astres pour seuls témoins de cette tragédie dont je ferais partie. En attendant que ces événements ne surviennent, le soleil me réserva d'autres surprises avec un gout moins amer. En effet, avant de débuter quoi que ce soit, j'étais allé chercher de quoi me substanter dans une des poches d'un sac accroché à cette monture à poils,ne comprenant pas pourquoi elle était vide.

-J'étais pourtant sûr que c'était là.

Je penchais ma tête et compris d'où venait le souci. En partie du moins, voyant mes pieds à travers la pochette,signifiant qu'elle était trouée. Je regardais autour de moi, comprenant qu'un animal était à l'origine de ce chapardage. Le coupable qui tentait de s'échapper avec son butin,n'était autre qu'un Champa, qui releva ses grandes oreilles quand nos regards se croisèrent. Il tirait le petit sac en toile avec ses dents, peinant à le trainer mes rations jusqu'à ce que je me lance à sa poursuite:

-Reviens là !

Il se mit à zigzaguer le long de l'étendue d'eau, accrochant une lanière à son unique corne pour pouvoir mieux se déplacer. Je le suivis après avoir attrapé le pommeau de mon espadon,tentant de réduire son avance, ne pouvant le laisser emporter ce qui me permettrait de tenir ici, avant de rejoindre la capitale. Je n'avais pas choisi cet endroit par hasard, ayant entendu en cours de route un petit groupe de marchand blessé avoir signalé qu'un Drakyn sévissait dans cette zone, afin de piller ceux qu'il rencontrait.

Un peu comme la bête qui escaladait une dune péniblement, les grains glissant derrière son corps taillé pour l'agilité et la vitesse. Tout contraire du mien, qui avait brandi la longue épée au-dessus de ma tête,l'inclinant en arrière après m'être immobilisé en ancrant mes pieds profondément dans le sable frais. Sans plus d'hésitation, je la projetais, l'air sifflant par cette lame qui tournoya droit sur le rongeur qui par instinct de survit, lâcha sa prise en fuyant de l'autre côté de la pente.

S'il avait abandonné le sac de provisions, mon arme elle avait continué sa trajectoire au-delà de la dune,la perdant de vue. Je courais récupérer mes victuailles en premier, accrochant la bandoulière à mon épaule avant de relever mes cyans vers l'étendue désertique qui paraissait infinie, comme la recherche de l'espadon dans une mer de sable. Mais mes pupilles verticales furent attirés par une silhouette au loin, possédant les mêmes caractéristiques que les miennes.

-Est-ce lui qui attaque tout le monde? Je courrais dans sa direction, bien décidé à vérifier et à le mettre hors d'état de nuire s'il le fallait, criant à son encontre:-Vous là-bas, arrêtez vous !

Je marchais dans les couloirs de l'obscure prison, une silhouette qui flottait entre les murs humides, abîmés, nous étouffant dans un sentier étriqué comme si le Razkaal voulait qu'on se rappelle à chaque instant qu'il nous tient la gorge d'une main glaciale. Le même cauchemar, le même calvaire, c'est respirer cette mauvaise odeur comme si c'était la première fois, et si je n'avais pas mon masque pour me protéger de cette corruption constante, bien longtemps que ma caboche aurait tourné la carte.

Un esprit détraqué dans un corps errant jusqu'à la fin.

Je quitte le dernier étage de l'Austère pour remonter vers les bureaux, croisant des limiers mettant des tabliers pour commencer leur questionnette auprès des taulards qui remplissent leurs cellules par leurs sanglots. Un regard entendu, et je passe la porte pour troquer les odeurs putrides de la chair malmenée pour le papier abîmé et poussiéreux. Je m'assois, avec un soupir las, me disant que je vais devoir en décaniller encore beaucoup de criminels, pour imaginer la République en sûreté. Elle, comme les autres nations.

Mes iris se baladent sur une carte clouée au mur d'en face. La carte du monde. Impossible de ne pas regarder le Reike, tant et si bien que mon séant écailleux décolle de son assise à peine chaude pour laisser ma queue fouetter dans l'air, me rapprochant doucement du papelard, l'esprit parti dans un voyage intangible.

Perdu dans le désert. Des images de sang, de guerre, de larmes, de chagrin. Puis... Lui.

« Qu'est-ce que tu es devenu... »

Des Drakyns, y'avait Vany qui m'avait accompagné quelques temps avant de partir sans donner de nouvelles. Puis, il y avait lui. Un mâle qui incarnait toute la noblesse de ce que nos ancêtres pouvaient dégager. Une bouteille et un verre sur la commode d'à côté, je me sers un verre d'un horrible picrate, dont je pouvais voir mon reflet à la surface, avant que la dernière goutte en vienne la troubler, tandis que mes souvenirs, eux, se précisent...

An-9 , à des kilomètres d'Ikusa, en été

L'Empire n'a plus vraiment de sens à mes yeux. Il m'aura fallu un voyage, Ineg Yelcan, et les découvertes, leçons que j'ai pu en tirer. C'était comme réaliser que le monde fonctionnait différemment, sous plusieurs rouages complexes, différents, mais qui s'imbriquaient quand même. Parfaitement, dans un rythme qui bat la mesure, régulièrement. Le Reike a des allures de vieilles donzelles dont j'ai enfin deviné le maquillage épais. Une donzelle, qui va quand même m'aider. Puisque j'ai encore du boulot avant de devenir le loustic que je songe être. Sans couler le sang de mes ennemis pour la bonne caprice de l'empire, mais pour aider, tout simplement.

On passe notre vie à détruire, sans savoir ce qu'on perd réellement.

Sur cette pensée, qui est rythmée par l'enfoncement de mes bottes sur le sable, je fronce les sourcils. Le soleil dans une matinée déjà flamboyante, frappant le sol comme un marteau de feu. Le paysage est figé, les dunes paraissent comme des vagues de métal fondu. Pas un souffle de vent, pas un bruit, juste ce silence de plomb et cette chaleur accablante. Il paraît qu'une crevure s'amuse ici, et qu'une correction en bonne et due forme ne lui ferait pas de mal. Pour le moment, personne.

Jusqu'à entendre une voix dans ma direction. Je fais doucement volte face pour aviser la provenance, et voit qu'une lame est plantée par loin, et...Ha, un confrère. Difficile de deviner de quel clan, vu d'ici. Ma vue augmentée s'arrête sur ses traits, le genre de traits qui n'a pas l'air de hurler l'amour de la paix, mais bien une interpellation. J'hausse un sourcil, en grognant malgré moi. Il a l'air de la maison en tout cas, mais, de quel côté ?

« Oui ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? »

Il n'a pas l'air enclin à vouloir engager à me mettre une dérouillée et si c'était une embuscade, c'est raté.

« Y'a quelque chose qui ne va pas ? » Que je finis par demander.

Intriguant.

Je continuais de descendre la dune en faisant une petite foulée,profitant de l'élan donné pour diminuer la distance avec ce cornu, m'arrêtant à quelques mètres de lui pour pouvoir engager la conversation qu'il continua en me questionnant. C'était presque suspect, me disant pendant que je croisais mes bras sur mon torse pourvu d' écailles claires, qu'il pouvait bien s'agir de celui qui sévissait dans le coin. Méfiant, je scrutais ce drakyn qui s'était montré cordial. Peut-être parce que je n'avais en ma possession rien qui l'intéresse et que je ne paraissais pas facile à abattre.

Lui non plus d'ailleurs. A cette distance, je pouvais constater qu'il avait un gabarit impressionnant. Il était bien plus large que moi, ses caractéristiques draconitiques plus marquées que les miennes. Il allait sans dire que de nous deux,c'était bien lui qui représentait bien mieux notre espèce. Sa couleur bleutée adoucissait un peu ses traits ,sans que cela ne change le fait qu'il avait l'air d'une brute épaisse. Il valait mieux pour moi que je reste sur mes gardes,ne sachant de quoi il était capable.

-Pas grand chose je le crains .Je le toisais,continuant ensuite:-Oui et je compte bien régler ça.

Dis-je un peu froidement quand mon regard fut attiré par un objet qui brillait plus loin sous l'astre du jour,ne laissant aucun doute sur ce qu'il était. Cet espadon était loin d'être aussi important que celui que ma famille avait perdu, mais suffisant pour tenir le rôle qui lui incombé. Ne sachant s'il avait remarqué l'arme, je me disais qu'il valait mieux que je la récupère pour éviter que de mauvaises idées n'émergent de l'esprit de cet inconnu. Sauf que si je m'en rapprochais, cela pourrait être mal interprété. Une risque que j'allais devoir prendre dans tous les cas.

Mon arme était à égal distance de nous deux et ne tarderait pas à devenir brulante si elle trainait plus longtemps sur ce sable qui avait des chances de se teinter si je n'agissais pas rapidement. Je préférais autant éviter les effusions de sang. Mais dès l'instant où je tenterais de m'en emparer,je devinais que l'imposant drakyn réagirait plus ou moins vivement. N'ayant pas vraiment un moyen efficace de vérifier s'il était bien celui qui terrorisé les voyageurs, je m'avançais doucement vers mon arme,ajoutant:

-Que faites vous dans le coin au juste?

Peu importe la réponse qu'il m'apporterait, je ne prendrais pas pour argent comptant ce qu'il voudrait bien me dire. Je pouvais parfois être naïf mais face à un drakyn, le risque n'était pas permis,étant bien placé pour savoir à quel point ils pouvaient être dangereux. Puis cette rivalité que j'avais toujours eu envers mes propres congénères ne s'était jamais atténué, me confrontant plus facilement aux drakyns que toutes les autres espèces du sekai, sans leur chercher des problèmes non plus.

Peut-être parce qu'ils n'étaient pas fragiles et que je ne risquais pas de leur briser les os d'un simple coup de poing. Comme cet humain qui avait voulu s'entrainer avec moi sans utiliser la magie. Après m'avoir provoqué jusqu'à ce que je ne puisse plus ignorer son invitation à ne pas retenir mes coups, il en avait subi les conséquences. Heureusement qu'un FMR avait pu le soigner car sinon il n'aurait jamais pu remarcher comme je le faisais en ce moment même.

Le bruit du sable que je soulevais sous mes pieds nus devint plus régulier, mes muscles se contractant pour chaque mètre que je parcourais, le calme apparent de cette rencontre pouvant déborder à tout moment. J'étais prêt à réagir en fonction des agissements de ce cornu, que je ne lâchais pas de mon regard qui n'avait rien d'accueillant. Il fallait dire qu'à cette époque, j'étais plus direct ,moins doux en parole ou en geste.En y réfléchissant,j'aurais dû entamé un vrai dialogue plutôt que de chercher à tout prix récupérer cette longue lame . Mais quand j'avais une idée en tête, il était compliqué de m'en dévier, même encore aujourd'hui.

Ma cape peine à flotter, tant le vent est rare. Aussi rare que la caresse d'une bonne compagnie en pleine guerre.

Plus proche désormais, on se toise, c'est à peine si nos yeux clignent, et de réaliser que la tension continue de se raidir. Croiser quelqu'un au Reike dans un territoire hostile n'offre que deux scénarios possibles : passer son chemin, ou se battre. Et, faut dire que de mon côté, j'en ai ras le pif de choisir. Envoyer des marrons, empaler des personnes, trucider des individus, peu importe la cause, ça sonne comme une lassitude sans nom entre les cornes. C'est ce que j'ai retenu dans mes récentes pérégrinations, c'est que pour une fois, je voulais un peu de paix dans cette vie de carnage.

Mes yeux se plissent, mes sourcils froncés, un visage bien expressif contrairement à ce que je dégage désormais au Razkaal. Mais, à cette époque, j'étais un jeune Drakyn d'une vingtaine d'années qui avait les dents. Mais, effectivement, lassé d'attaquer le premier.

De longues secondes, pour détailler ce Drakyn. Si on lui enlève les cornes, et les quelques écailles qui l'habillent, il a tout d'un humain. Des traits fins, nobles, une chevelure blanche comme la neige, qui contraste avec l'ambre du sable et les dorures de notre Empire. Plus petit, moins large, mais très athlétique, et à voir la gueule de l'Espadon qui fait le bout du triangle qu'on vient de dessiner avec nos positions, j'ai ma petite idée qu'il n'est pas étranger à l'art guerrière. S'il voulait me tomber dessus, il serait passé directement aux hostilités. C'est comme ça que ça marche, et c'est surement comme ça que ça doit se passer.

« Régler quoi ? » Que je gronde, méfiant.

Va savoir si c'était une menace, mais le ton de sa voix n'appelle pas à passer une soirée crêpes autour d'un thé noir de Kyouji. Portecendres, rangé dans son fourreau, attaché à mon dos, il me suffit d'un mouvement pour être paré, ma queue fouettant l'air dans un rythme d'horloge, trahissant légèrement ma vigilance. Il s'approche de son arme, alors que je le suis des yeux, le décortiquant autant dans son verbal que son non verbal pour être prêt à la moindre fluctuation suspecte. Une question est posée, une question posée comme un investigateur, ou bien comme quelqu'un qui défend son territoire. J'hausse un sourcil.

« Il paraît que quelqu'un se prend pour celui qui a les plus grosses cornes, si tu connais l'expression. »

Les allusions aux cornes entre Drakyn, on peut faire tout un recueil en plusieurs tomes, sur plusieurs sagas, dans plusieurs temporalités différentes, et je suis certain qu'on peut remonter les vannes encore trente milles ans avant notre ère. En tout cas, mon intuition me dit que je suis face à quelqu'un de plus raffiné que la moyenne, et c'est avec cette idée en tête que je lui laisse le soin de retirer son épée du sable ; véritable espadon qui me rappelle Portecendres, en beaucoup moins grossier.

Je pousse un soupir, las.

« Je ne cherche pas de problème, alors, tu peux récupérer ton arme et partir, si tu le désires. Le Désert est assez grand pour deux cornus je pense. »

Mon nez se retrousse, inspirant les odeurs dans l'air pour tenter de repérer autre chose que mon vis-à-vis. Pour le moment, rien. Elle est sèche et âcre, portée par le vent chaud et infatigable qui balaie les dunes et les rochers. C'est une odeur de poussière ancienne, de sable brûlant sous le soleil implacable, mélangée à des traces subtiles de minéraux et de pierres chauffées à blanc. Les traces balayées sur le sable, c'est certainement pour ça que ce type est encore dans les parages sans avoir de souci. S'il agit seul, d'autant plus, dans le cas contraire, ils sont bien coordonnés.

Serrant ma cape autour de mes épaules nues, je regarde l'horizon, me désintéressant de l'échange, en espérant désamorcer un bain de sang. Trop de gens sont morts pour rien, ici. Le faire aujourd'hui reviendrait être aussi stupide que ces tueries inutiles.

Je suis peut-être fort, mais je ne suis surtout pas bête.

Le drakyn se manifesta sans cacher son agacement, ne préférant pas lui répondre car il comprendrait bien rapidement que je ne cherchais qu'à récupérer mon arme. Je ne pus ignorer par contre sa réflexion qui me fit esquisser un léger sourire malgré la petite tension dans l'air, passant une main dans mes cheveux. J'hochais ma tête, ayant de moins en moins de soupçon envers celui qui ne fit aucun mouvement suspect. Je lui répondis sans faire attention que cela pouvait porter à confusion :

-Ce que je crois surtout, c'est qu'il y a en a un qui traine ses écailles ici pas simplement pour admirer la couleur du sable.

Oui, beaucoup diraient qu'il était jaune alors qu'il n'en était rien. Il suffisait de s'approcher de celui-ci, d'y plonger sa main et d'écarter les grains pour voir qu'il était constitué d'une multitude de nuances, comme les habitants du sekai. Nous n'étions pas simplement mauvais ou bon. Non.Celui qui pensait que tout individus pouvaient se définir par ces deux mots, se trompait sur toute la ligne tout en se mentant à lui-même. Mon congénère lui n'avait pas l'air de se conforter dans cette idée ni d'utiliser un stratagème quand il me dit après un long soupire, qu'il ne cherchait pas d'ennuis.

Je me suis fourvoyé depuis le début ? Je gardais un doute, trouvant cela étrange qu'un drakyn se trouve là où un autre commettait ses méfaits. N'étais-je pas aussi suspect finalement ? D'un point de vue extérieur, complétement, n'ayant à aucun moment était ne serait-ce un peu aimable avec lui alors qu'il n'avait fait la moindre faute jusque-là. Je me remis en question, trouvant cet alignement des étoiles très curieux, même encore aujourd'hui, de nombreuses années plus tard. J'avais désamorcé la situation à mon tour, exprimant sans détour mes intentions.

-Vous n'êtes pas le seul à le penser. Veuillez excuser mon manque de tact, j'ai entendu dire qu'un de nos semblables attaquait des voyageurs. Ne voyant que vous dans les parages, j'ai supposé un peu trop promptement qu'il s'agissait de vos cornes. Dis-je avec honnêteté,me détendant un peu, ajoutant tout en continuant de marcher:-Puis,je me disais, il y a longtemps que je n'avais échangé quelques passes d'armes avec un adversaire qui ne risque pas de casser aux premiers échanges de coups. Je suis Arkanon.

J'attrapais mon arme sans détacher mes cyans de celui qui ne me prêtait plus attention, signifiant une nouvelle fois qu'il ne cherchait pas à me porter préjudice. Cependant, en sentant le sol trembler, je bondis en arrière, serrant la poignée de mon espadon en le brandissant devant moi,pensant que c'était le drakyn qui était à l'origine de ce qui venait de se passer. Mais tout redevint calme, regardant autour de moi,perdu. Sur le qui vive je demandais, pas rassuré par ce qu'il s'était passé:

-Est-ce vous qui...

Les tremblements reprirent de plus belles, avec des craquements provenant des profondeurs cette fois-ci,le sable vibrant sous mes pieds qui s'enfonçaient doucement,mon corps se faisant secouer violemment Je ne comprenais pas ce qu'il se passait, cherchant des réponses autour de moi et dans le regard de l'inconnu, sans succés.C'est alors qu'une chose d'énorme sorti entre nous en créant un sillon,éjectant une masse colossale de sable par sa force pour se hisser sur la surface. Je fermais les yeux en tombant en arrière quand les grains qui me giflèrent en rentrant dans mes yeux, qui ne purent voir de quoi il s'agissait tout de suite.

En retrouvant la vue qui me brulait, je découvris stupéfait que ce n'était autre qu'un Terrarus qui avait investi le décor, ne présageant rien de bon. S'ils n'étaient pas agressifs en général, sa présence laissait penser qu'il allait jouer son rôle de nettoyeur du désert. En effet, ils étaient connu pour se nourrir de toutes sortes de carcasses en décomposition, devinant que s'il avait fait surface, il devait y en avoir une, non loin de notre position. Je ne remarquais qu'après coup que j'avais lâché mon arme, qui s'était retrouvé par je ne sais quelle malchance, sur le dos de cette créature, lui lançant en me relevant d'un air furibond :

-Attends sale bête !

J'allais vraiment finir par croire qu'elles étaient toutes contre moi depuis le lever du soleil,lançant négligement mon sac plus loin avec les provisions. Que le Champa vienne donc tout dévorer, je n'en avais cure, mon arme familiale étant ma priorité absolue. Je préférais autant rentrer à la capitale par manque de provision que de perdre ce qui resterait une fidèle alliée pendant de nombreuses années.Puis ce n'était pas un Terrarus qui allait me faire peur, pas tout de suite du moins.J'allais rapidement vers le bleuté, en gardant un oeil sur celui qui avait emporté mon espadon en s'éloignant de nous assez rapidement,nous ignorant totalement:

-Pourriez-vous m'aider à récupérer mon arme ? J'aurais bien besoin d'un coup de main. Je vous revaudrai ça, vous avez ma parole.

Kieran Ryven - 20 ans

La couleur du sable I Kieran Ryven Kieran11

Tout est bien qui finit bien.

Sur ce sable, sa couleur ne prendra pas une teinte écarlate et sanguine. Pas maintenant, en tout cas.

On commençait à être d'accord sur un point : ce n'est ni lui, ni moi qui vont causer du grabuge dans les environs. Et la manipulation mentale ne marche pas trop avec les Drakyns, ce qui effectivement facilite les échanges entre nos semblables. Alors que je commençais à me désintéresser de l'échange, il revient à la charge dans une posture plus pacifique, acceptant ses excuses avec une courtoise inclinaison du buste, tandis que ma queue arrête de fouetter l'air nerveusement, prête à en découdre.

Alors, un Drakyn sévit dans les parages, hein ? Je comprends mieux maintenant qu'il soit à l'affût, j'étais finalement un suspect potentiel. Et, il a raison, casser un humain, et casser un Drakyn, y'a une tâche plus facile que l'autre. Il parviendra à m'arracher un sourire, pas moqueur, je ne me permettrais pas de rire d'une autre race ; notre espèce dégueule également ses propres défauts. Le chemin de la prétention mène à la fin de l'apprentissage, et j'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Pouffant du nez d'un rire discret, je continue de réduire la distance.

« Il y a des plus fragiles, et il y a des plus robustes. On est dans un monde où on peut tomber sur plus gros que soi. Alors, je préfère rester humble. »

Je tends une main dans sa direction.

« Enchanté, Arkanon. Vous pouvez m'appeler Kieran. »

Le clan Ryven est un petit clan que peu de gens au Reike peuvent connaître. Alors que j'essayais d'imaginer dans lequel il pourrait appartenir, le sol se met en branle, et mon vis-à-vis réagis au quart de tour en se décalant d'un bon en arrière, tandis que je fais de même mais d'une roulade en restant accroupi pour éviter de trébucher. Son arme pointé devant moi, mes traits se durcissent. En une fraction de seconde, l'accalmie revient aussi vite que les suspicions.

« Non, ce n'est pas moi qu... »

Les tremblements s'intensifient, et un bruit sourd et profond émane du sol. Le sable sous mes pieds vibre de plus en plus fort, se dérobe presque, tandis que des craquements assourdissants résonnent autour de moi. Soudain, le sol se fissure en une longue déchirure, éjectant des gerbes de sable dans toutes les directions. Une odeur putride de décomposition et de soufre émane de son corps, ajoutant une couche supplémentaire d'horreur à ce spectacle. Finalement, il émerge entièrement, laissant derrière lui un cratère béant et des traces profondes de destruction, tandis que de mon côté je déploie mes ailes pour me recouvrir de tout le sable qui vient tomber comme un déluge ambré.

En me redressant, je toise Arkanon qui peste contre la bestiole, il me faudra quelque secondes pour remarquer que son Espadon est logé dans son dos le plus calmement du monde ; pas plus gênant pour lui qu'une écharde faut croire. Je remue un peu pour retirer le sable qui est quand même parvenu entre mes vêtements, je sais que ça va gratter et je sais que ça va grandement m'emmerder.

Il s'approche, un service est demandé et il faut rapidement une réponse. Et plus que ça, un plan. Mes yeux jonglent entre le Drakyn et ce saucisson pestilentiel géant, avant de pousser un soupir. Ma mère me giflera encore d'avoir voulu aider quelqu'un. Je finis par dégainer Portecendres, avant de la remettre entre ses mains.

« J'ai une idée, et s'il charge, vous saurez quoi faire. »

D'un bond, suivi d'un puissant battement d'ailes, je trouve rapidement les hauteurs avant de piquer directement vers ma cible, utilisant un orbe de flamme pour frapper à côté de lui afin qu'il change de direction. Dans son virage, je m'écrase sur son dos, tandis qu'il s'aligne sur le Dragon Blanc. Mes griffes enfoncées dans sa chair, je rampe jusqu'à la lame, avant de l'extirper d'un geste sec. Il pousse un rugissement de plainte, son corps fait une vague pour me catapulter 10 mètres derrière ma nouvelle rencontre. Je renforce ma constitution pour tomber comme une enclume. L'impact fissure le sol, je rebondis à plusieurs reprises avant de faire un rouler-bouler, un rocher arrêtera ma course.

« Grrr. Bordel de... »

Un nouveau séisme me coupe la parole. Et le Terrarus disparaît sous le sable en plongeant dans une nouvelle galerie qu'il fabrique progressivement. Et ça, c'était avant qu'un talus continue de gonfler, fonçant droit dans notre direction. Me servant de l'espadon comme d'une canne, je m'attends à tout, et à rien.

« J'espère qu'il n'est pas en colère. » Que je peine à souffler.

Puis, je réalise que je ne tiens pas Portecendres.

J'espère que son machin n'est pas une arme d'apparat.

Arka jeune:

Cette malchance ou plutôt, cette malédiction que je croyais dur comme fer d'avoir investi ma vie, s'exprima une nouvelle fois, me demandant combien de chance j'avais pour qu'une telle chose se produise. Déjà,qu'une Terrarus sorte du sable à côté de nous c'était déjà incroyable mais qu'en plus elle embarque mon bien le plus précieux. Non, cela ne pouvait être dû au hasard, me demandant si les astres n'étaient pas pour quelque chose.

Celui qui se présenta sous le nom de Kieran,ne prit pas longtemps malgré nos débuts un peu compliqués, à prendre une décision. Il sortit son espadon d'une taille assez impressionnante puis me le tendit sans hésitation aucune. Je ne saurais si face à un inconnu,j'aurais eu la même facilitée à prêter Serrcoeur, surtout qu'il avait fallu des centaines d'années avant de la retrouver. Compte tenu des circonstances, nous devions agir vite et c'est ce qu'il fit, attrapant son arme après un bref échange de regard:

-Merci Kieran. Que comptez vous.... ?

Mais le drakyn avait déjà rejoint les airs,ne m'attendant pas à ce qu'il puisse avoir la capacité de voler, n'ayant pas remarqué qu'il avait des ailes auparavant. Surement parce que j'étais trop concentré à voir le danger potentiel qu'il représentait, au lieu de le regarder avec plus de recul,sans le juger coupable directement. Avec les années, j'allais m'assagir de ce côté, sans toutefois perdre mon côté têtu. Je me mis à courir vers la Terrarus où une odeur à réveiller les morts se dégageait de sa gueule qui ressemblait à es lamproies tout aussi peu appréciables visuellement.

Il utilisa alors de la magie pour dévier la trajectoire de la bestiole avec succès, puis il fondit courageusement dessus. Comprenant qu'elle allait pas tarder à se diriger vers moi, je m'immobilisais, ancrant mes pieds dansstopper. Il était parvenu à rester sur son dos,atteignant Serrcoeur sans glisser et à l'extraire du corps de ce vers qui réagit instantanément en le balayant d'un mouvement répugnant et brusque.

-... !

Je vis le cornu tomber,soulever de cette poussière dans son sillage qui ne s'arrêta que lorsqu'il heurta un rocher heureusement sans angle trop tranchant. Il ne me servait à rien d'aller à son encontre tout de suite, car il était sorti de la trajectoire du Terrarus, contrairement à moi. L'avait on provoqué ? Je ne saurais dire, même encore là maintenant, pendant que je me relevais en regardant cet horizon qui ne semblait plus le même en étant seul à le regarder.

Ce n'était pas étonnant,avec les deux grosses créatures qui avaient envahi le décor il y a longtemps de cela. J'étais resté planté là, avec une arme qui ne m'appartenait pas et Kieran s'appuyant sur la mienne pour se relever, tenant toujours debout après l'envol qu'il a été victime. Cela m'étonnait de ne pas le voir plus mal en point, pensant qu'avec un tel choc, il aurait eu des côtes cassées ou des blessures laissant échapper du sang.

Je courais vers lui quand la gueule géante s'enfonça dans le sable dans un bruit fracassant, chaque gain se mouvant contre cette masse imposante qui glissait sans pouvoir lui opposer la moindre résistance, du sable frais se soulevant en m'indiquant où il se trouvait. C'est-à-dire juste derrière moi, peinant à ne pas tomber par tout ce remous si proche, digne d'une scène théâtrale peu sérieuse. Je tenais fermement l'espadon de mes deux mains,la laissant pendre derrière moi vers le bas en faisant attention que la lame ne touche rien qui puisse l'émousser.

En me disant que nous pourrions mieux nous défendre si nous étions côte à côte,j'avais mis en quelque sorte Kieran sur le fait accompli. Après tout, il fallait bien que je lui rende son arme et puis rien n'indiquait que le Terrarus s'en prenait spécifiquement à moi non plus. Je continuais ma course qui paraissait si lente comparé à la chose qui me poursuivait, faisant volt face quand je fus à la hauteur du drakyn, lui tendant son arme et mon autre main pour récupérer la mienne:

-Je crois qu'il veut venir nous saluer. Dis-je avec un sourire en coin. -On va faire de même, qu'en pensez vous ? Montrez-moi ce que vous savez faire Kieran !

Lançais-je sur un ton de défi, cette rivalité qui s'éveillait à l'idée de pouvoir comparer nos forces respectives face au danger. Je plantais Serrcoeur que m'avait rendu Kieran dans le sable, n'ayant pas besoin d'elle pour ce que je m'apprêtais à faire. Je risquais plus de l'endommager qu'autre chose ou même de la perdre définitivement. Je commençais à tendre mes muscles,sentant la magie affluer en moi.De petits éclairs rouges crépitèrent autour de mes bras qui étaient en fait, une manifestation de ma future affinité avec la foudre,sans que je ne le sache.

Pensant que c'était une émanation de mana, je n'avais jamais prêté plus attention que ça ,me focalisant sur le Terrarus ou plutôt, l'amas qu'il formait au dessus de lui. Chaques sillons que ma musculature offrait s'étaient creusés, mes vaisseaux sanguins plus visibles,concentrant ma force vers mon poing que je serrais si fort que mes jointures pâlirent en faisant un bruit d'écailles qui se frottaient. Mes traits du visage se durcirent, mes cyans devenant froids,lançant de ma voix grave à l'encontre de mon allié qui n'avait pas hésité à me prêter sa lame:

-Préparez vous !

Tout se mit à trembler de plus en plus fort puis,quand il fut encore à quelques mètres de nous, le vers sortit avec élan, la première partie de son corps bondissant presque hors du sable, prêt à chuter pour nous écraser comme de vulgaires lézards. Je ne pouvais pas rêver mieux pour ce que je comptais lui faire. Est-ce que le drakyn bleu était toujours à mes côtés ou avait il prit la poudre d'escampette depuis le début? J'en avais aucune idée et quand bien même mes paroles n'avaient trouvé aucune oreille, je dis avec entrain:

-Prend ça l'asticot !

On pouvait me prendre pour une personne inconsciente où que sais-je mais, quand on était convaincu comme moi que ma vie serait fauché par des agents des titans, cela donné une certaine audace et assurance face à certains obstacles ''insignifiants''comme celui-ci. Oui, à force de cauchemarder que j'allais mourir ainsi,pendant le retour de ces ennemis titanesque, cela m'avait convaincu qu'aucun autre ennemi ne viendrait me tuer et certainement pas ce vermisseau au-dessus de moi.

Quand il fut à la distance idéale, je projetais mon poing vers lui, qui n'avait pas besoin d'être en contact avec sa peau épaisse pour que l'impact soit effectif(P2-P3 environ). Ma force fut bien assez suffisante pour le toucher à distance, provoquant un bruit de déchirure tout en soulevant cette partie émergée qui se balança sur un côté.

Toujours le calme avant la tempête. Un désert silencieux peut vite devenir la scène de catastrophe baignant dans une cacophonie assourdissante, là ça sera le rodéo d'un Terrarus pas content. Rétractant mes ailes sous mes omoplates, j'essaie de reprendre mes moyens, voyant mon corps marqué de plusieurs ecchymoses malgré mes pouvoirs de renforcement. Et ce n'est que le début, on est vraiment pas sorti du sable. Cet Arkanon, détale, chaque muscle poussant son corps dans ma direction. J'avais presque oublié à quel point les vers de cet endroit pouvaient aller aussi vite ; il talonne le Drakyn, et de là où je suis j'ai l'impression qu'il ne faut pas grand-chose avant qu'il ne soit gobé comme une datte.

La créature plonge, disparaît, déformant le sol sur son passage, puis nous nous retrouvons. Portecendres tendu dans ma direction, je lui retourne son arme, craquant mes épaules, ma nuque en essayant d'oublier la chute. C'est rien Kieran, c'est juste tes os, tes muscles et tous tes organes. Je laisse ma régénération faire disparaître les blessures en surface, me préparant à tout et au pire, mais surtout au pire. Le cornu blanc, annonce les hostilités, la voix prenant une teinte de défi, une part de moi a envie de la relever, une autre de soupirer à l'idée qu'on repart pour de la castagne.

Mes mâchoires se serrent, je plante ma claymore, avant de prendre une poignée de sable pour m'en frotter les mains.

« Allons lui dire coucou. »

Il finira par également planter son arme, avant que mes esgourdes vibrent aux crépitements électriques de son propriétaire. J'hausse un sourcil, qu'est-ce qu'il compte faire ? Je jette un coup d'œil à mon partenaire et ne peux m'empêcher d'être impressionné. Ses muscles sont tendus à l'extrême, chaque creux et relief de sa musculature est accentué. Ses veines ressortent, palpables sous la peau, tandis qu'il concentre toute sa force dans son poing. Il le serre si fort que ses jointures blanchissent. A l'instar de mon camarade, je renforce ma posture. Mes jambes râblées enracinées au sol, l'épée à l'épaule, curieux de ce qu'il va faire, je me mets en garde, infusant mes écailles dans un nouveau renforcement physique, chaque strie de ma musculature se renforce, la rendant noueuse, congestionnée, hypertrophiée, les bras bandés comme deux balistes parés à faire pleuvoir son courroux. Mes ailes se déploient de mon dos dans de multiples et rapides craquements.

Le Terrarus sort, Arkanon tonne sa consigne, et moi je rugis à gorge déployée. Un feulement... Drakyn.

Le bras du Reikois part dans un crochet puissant, et une onde de choc virulente vient frapper sa cible. L'impact se fait sentir à distance, comme un coup de tonnerre. Le bruit de déchirure qui s'ensuit est violent. La partie émergée du monstre se soulève sous l'impact, se balançant lourdement sur le côté. Je reste planté là, impressionné par la force brute de mon partenaire et l'effet immédiat sur cette bête énorme.

« Alors ça, c'est bien joué... A mon tour. »

Je me propulse vers l'avant, volant en rase-motte, soulevant la poussière comme le carreau d'une immense arbalète. Ma lame tenue le long de mon corps, mon torse et mes yeux deviennent incandescents, avant de libérer un puissant jet de flammes dans sa gueule. Le feu s'engouffre dans la gorge du Terrarus, illuminant l'intérieur de son corps d'une lueur infernale. La chaleur est intense, les flammes rugissent, et je peux sentir la chair de la créature brûler, se consumer de l'intérieur. Lui arrachant des gémissement de douleurs dans l'orchestre de crépitements des flammes dévorant ses muqueuses. Un hurlement guttural s'échappant de ses entrailles enflammées. Sa peau épaisse commence à se fissurer, des éclats de chair carbonisée éclatent sous la pression. Une odeur âcre de chair brûlée se répand dans l'air, tandis que je prends de la hauteur pour venir m'écraser contre son crâne comme un énorme boulet pour mieux planter Portecendres à travers sa chair. L'impact fait soulever de nouveau la poussière, un bruit sourd comme l'effondrement d'un rocher contre le sol aride. La lame enfoncée jusqu'à la garde.

La créature, incapable de supporter l'agonie, se cabre et s'agite frénétiquement. Des morceaux de chair calcinée tombent de son corps, et des volutes de fumée noire s'échappent de ses entrailles brûlantes. Le sol autour de nous est éclaboussé de morceaux de chair en décomposition, transformés en cendres. Je suis de nouveau catapulté dans les airs, mais cette fois stabilisé en vol avant d'atterrir aux côtés du Cornu Blanc. Poing et genou à terre.

« Est-ce qu'il a son compte ?... »

C'est pas mon habitude de décaniller des Terrarus pour passer le temps.

Kieran n'eut pas l'air de vouloir fuir cette salutation qui n'allait empreinte d'aucune douceur. C'était même tout le contraire. Si ce genre de créature avait tendance à rester pacifiques,ne se nourrissant que de carcasse laissée par les autres, cette malchance allait nous permettre de combattre côte à côte. Allait-il se faire dévorer à son tour par un autre Terrarus ? Ce n'était pas ma frappe qui allait permettre cela, l'étourdissant avec cette onde de choc,qui ne laissa pas de marbre mon congénère et la créature pas suffisamment blessée pour trépasser.

-Je vous en prie.

Je m'étais éloigné, ne sachant pas comment il allait participer,si j'allais le gêner en restant trop près de lui. Ce ne fut pas du tout le cas, le voyant se propulser telle une javeline impossible à arrêter, créant par sa vitesse un léger sillon qui se referma à la seconde suivante par les grains impossibles à compter. Mes cyans suivirent son trajet,les légères transformations qui s'étaient opéré par son regard en premier tandis qu'il s'approchait dangereusement de la gueule de la créature qui pourrait facilement le broyer s'il tentait de la visiter de trop près.

Au lieu que l'écailleux se précipite vers une mort quasi certaine, ce furent ses flammes qui investirent la gueule, illuminant la chair de la créature par la puissance de ce feu qu'il avait créé,lui donnant des airs de dragon. Un spectacle que je ne pus profiter qu'un court laps de temps face à ce qu'il avait soulevé. Je m'étais agrippé à la poignée de Serrcoeur encore planté dans le sable tandis que le souffle balaya du sable et de l'air qui firent virevolter mes cheveux dans tous les sens, Kieran percutant violemment la tête du Terrarus,tel le marteau s'abattant contre l'enclume.

Son espadon s'enfonça dans le crâne de la créature qui avait l'air de vouloir imploser par l'effet de la calcination,de la douleur qu'il subissait, se remuant,se tordant pour expulser le parasite écailleux qui lui avait infligé ce mal qui dévorait sa chair à l'odeur immonde, la fumée infecte parvenant à mes narines qui me crispa les traits.Le drakyn bleu se fit éjecter en même temps que des parties endommagées qui se détachaient dans un bruit écoeurant, profitant de cet élan pour déployer ses ailes.

Quand il atterrit proche de ma position en me demandant si nous en avions fini avec lui, je gardais le silence, ne pouvait rien affirmer sur le coup. Le Terrarus se dandina d'abord, pour se débarrasser de cette douleur qui ne pouvait être éteinte tant qu'elle le consumerait. Il plongea dans l'océan de sable, résigner à retrouver son territoire ou plus personne ne pourrait l'atteindre, pour étouffer cette peine que lui avait couté ce détour que deux drakyns n'étaient pas prêt à faire.

-Je crois que tartempion nous posera plus aucun problème. Je marquais une pause,lançant pour plaisanter :-Je pense qu'il n'aura jamais eu aussi chaud de toute sa vie. Époustouflant.

Dis-je en reportant mon attention sur Kieran, lui tendant mon bras pour l'aider à se relever, un sourire satisfait s'étirant sur mes lèvres. J'avais l'intime conviction,en fixant ce drakyn,qu'il serait un futur et formidable adversaire, un ami peut être. Je lui étais reconnaissant pour ce qu'il avait fait,pour ce souvenir qu'il avait créé et qui semblait plus que tout vivre dans ce présent.

En effet, là, pendant que je repensais à ma rencontre avec le bleuté,je vis le sol s'ouvrir au loin, sentant à peine les tremblements que cela avait provoqué. En sortit un bougre parsemé de cicatrices en forme de fissures sur tout l'avant de son corps. Le même Terrarus,j'en étais persuadée. Je remerciais les astres de me rappeler qu'un chemin a beau être semé d'embuches, on traversé aussi des clairières,des déserts, qui révélaient leur beauté que des années après.Tandis qu'il disparaissait en plongeant dans les dunes sans prêter attention à ma présence, je fis de même avec ces souvenirs.

Une fois le drakyn remis sur ses deux pieds,le calme revenu après les dernières vibrations, je me demandais comment remercier celui qui avait empêché que mon arme finisse par être ensevelie et plus jamais retrouvée, en plus de mettre un terme à cet affrontement. Je scrutais cet inconnu qui ne l'était plus vraiment, repassant en arrière toutes les images de cette alliance jusqu'à la première fois où j'avais aperçu ses cornes en pensant avoir trouvé le semeur de troubles.

-Je vous remercie encore d'avoir récupéré mon arme et d'avoir dit aurevoir à l'autre sans patte. Je pointais mon pouce là où avait disparu celui qui nous avait importuné:- Je suppose que vous retournez à la capitale ? Si c'est le cas, nous pourrions faire la route ensemble. J'ai eu ma dose de sable je crois. Je secouais mes cheveux d'une main pour en enlever ,prenant de l'autre Serrcoeur pour me diriger vers mes affaires qui étaient resté près de ma monture à poils plus au sud:-Puis nous pourrions aller nous substanter plus loin ou à la première roulotte que l'on trouvera si ça vous tente? Je préfère autant que l'on se pose à un endroit où il n'y a pas cette odeur particulière dans les parages.

La nature s'en prenait à moi aujourd'hui,autant ne pas insister et déguerpir d'ici au plus vite.Je comptais me montrer reconnaissant envers Kieran autrement qu'en lui offrant de quoi manger mais pour cela, autant engager la conversation pendant que nous nous désaltérons tranquillement, loin de tout danger. J'en apprendrais plus sur lui s'il le voulait bien, espérant qu'il me suivrait pendant que je regroupais mes sacs plus ou moins troués par le rongeur qui avait profité de mon absence pour faire d'autres dégats. Je les accrochais à l'Aazho qui était resté tranquillement là alors qu'un champa venait de sauter de son dos en me voyant arriver.

-Vous pouvez poser vos affaires sur lui si vous le souhaitez. Je finis par attacher Serrcoeur avec des sangles après l'avoir enroulé dans un tissu qui empêcherait d'abimer la lame:-Il faudrait vraiment que tu apprenne à ne pas te laisser faire à l'avenir avec ces bestioles là. Prêt Kieran ...comment d'ailleurs ?...

Je me retournais, pour savoir si je ne parlais pas dans le vent, n'étant pas certain qu'il m'ait accompagné jusque-là ni qu'il ne veuille poursuivre cette conversation avec un cornu qui lui avait apporté plus de soucis qu'autre chose. Si cela se trouve je connaissais sa famille si toutefois, il était bien du Reike.

L'accalmie après la tempête.

A part ma respiration et le cœur qui bat dans mes tempes, j'entendais que dalle.

Est-ce que c'est fini ?

... Oui, la réponse est oui. Dissuader un charognard n'est pas réellement compliqué, quand un vautour voit une menace trop élevée il préférera fuir en continuant à faire des cercles dans le ciel. Dans un vrombissement sourd derrière un séisme dont les Terrarus ont le secret, voilà qu'il décanille, s'épargnant la tête butée de deux jeunes mâles cornus qui en ont dans le coffre, en tout cas pour Arkanon. Dans la galerie qu'il creusait on entendait encore ses agonies, m'arrachant une certaine empathie. Finalement, il a plus mal qu'autre chose, et si cette épée ne s'était pas plantée dans sa viande, peut-être qu'il aurait continué à tracer sa route.

Reste plus qu'à espérer pour lui qu'il survivra.

Je saisis son bras, étirant un sourire, le remerciant silencieusement d'un signe de tête. Pouffant du nez aux mots qui serviront de conclusion à cette bagarre, je le gratifie d'une main sur l'épaule avant d'incliner le buste.

« Manger épicé ne convient pas à tous les Terrarus. » Que je rétorque en plaisantant.

Cette première poignée de main, je crois que je m'en souviendrais toute ma vie. Il y avait une symbolique étrange, comme une espèce de chimie ou de sincérité dans le geste, avec une profondeur si singulière que j'avais l'impression que je pouvais lui confier ma vie sans le moindre souci. Plus facile à ressentir qu'à définir, et je crois que même aujourd'hui au Razkaal, j'en serais incapable d'en dire davantage. On regardant l'horizon, Portecendres à l'épaule, on pouvait voir notre pauvre victime décarrer du périmètre après l'avoine distribuée, finalement, une bonne chose de faite.

Etirant un sourire attendri à ses mots, je reste silencieux avant d'avoir une question me concernant. Fronçant les sourcils, réfléchissant un peu avec moi-même, je finis par observer notre magnifique panorama Reikois.

« Eh bien, je vadrouille dans le coin, je suis récemment arrivé à l'université. Et là j'en profite pour sortir du campus pour prendre l'air. J'espère devenir un grand soldat, évidemment, mais là, je suis aussi un Drakyn qui a besoin de prendre l'air. »

Voyager autour du Sekaï, ça donne le sentiment d'être rapidement enfermé quand on retrouve les murs d'une classe, d'une salle d'entraînement, d'une arène ou une caserne. Bien sûr, je voulais devenir un soldat, un grand soldat, peut-être gradé, avec du pouvoir, de la notoriété et de l'influence. Mais ce n'était plus pour étirer l'empire ou bien aller dans le sens du massacre et de la conquête. Je voulais juste... Servir. Être assez bon, dans ce que je faisais pour aider le premier oisillon égaré qui aurait besoin d'un coup de main. Peut-être même essayer quelque chose de réellement pacifique entre le Reike et Maël et pourquoi pas la République.

Mais, il en sera autrement, la guerre décidera pour moi.

« Mais, du coup, il serait peut-être temps d'y retourner, mais pas de toute de suite, faisons un bout de chemin ensemble et pourquoi pas manger, volontiers. » Que je finis par répondre, tout en me dépoussiérant comme lui.

Les intéractions masculines sont incroyablement simples. Partez à la bagarre, allez becter, picoler si c'est possible, et vous taillerez la bavette comme deux vieux voisins. M'approchant de sa monture, c'est encore une fois avec nouvelle inclinaison que je remercie silencieusement Arkanon pour harnacher ma besace, et Portecendres, bien sûr en gardant Luciole sur moi. J'hausse un sourcil lorsqu'il s'adresse à son épée, puis, je finis par rire intérieurement en me disant que je fais exactement la même chose. Décidément les Astres sont farceurs aujourd'hui.

D'ailleurs à ce propos, je prends un ton plus léger en le bousculant d'un petit coup de coude.

« Eh. On a la vingtaine, on est Reikois, on est Drakyn, je pense qu'on peut se tutoyer, non ? »

Pour finir par lui tendre la main dans de vraies présentations.

« Ryven, Kieran Ryven. Notre clan est à Taisen. Et toi ? »

Notre clan n'avait pas une histoire extraordinaire, si ce n'est celle de mon père et de ma mère et de l'impact qu'ils ont eu dans leurs régiments respectifs. Sinon, nous étions des lambdas, si ce n'est que nous avons l'honneur distinction d'avoir des traits draconiques très prononcés, ce qui donne un certain cachet d'intimidation. Je ne m'en suis jamais servi...

Jusqu'à ce que le Razkaal en fasse une arme de choix.

Kieran accepta mon aide, permettant à la confiance de s'installer toujours un peu plus entre nous, les deux inconnus qui avaient de nombreux traits communs. Que ce soit notre race, notre type d'arme,la touche d'humour et notre origine. Là ou nos chemins semblaient s'écarter par contre, c'était pour cette envie de souffler. Je n'avais jamais envisagé de sortir du territoire de l'Empire pour m'aérer l'esprit, car je m'étais quelque part conforté dans cette façon de pensée étriquée que m'avait inculquée ma famille,celle de s'enfermer dans notre dévouement pour le Reike.

-Faites attention de ne pas aller trop loin sinon, vous allez finir en République et vous y plaire qui sait !Lancer-je pour plaisanter,sans avoir que cette boutade contenait une certaine vérité mais pas pour les raisons que j'avais cité.-Je me serais plutôt déplacé en volant pour faire un tour à votre place, mais malheureusement, je n'ai point d'ailes. Très peu de caractéristiques de notre espèce en fait.

Plaisantais-je, ravi qu'il accepte ma proposition d'une simplicité qui plaisait à ceux qui aimaient les petites choses que la vie offrait dans nos quotidiens.Ce que les plus hauts rangs, pour la plupart, persistaient à rendre compliqué pour leurs beaux yeux. Je n'avais jamais compris cet engouement de mettre une pièce de viande ou de poisson aussi gros que mon ongle dans un plat qui pourrait accueillir une dinde entière. Des fois, je me demandais si certains nobles s'ennuyaient tellement au point qu'ils payaient cette distraction,ce spectacle pour combler le vide de leur existence comme l'étaient leurs mots.

Ceux du drakyn bleu ne semblaient pas l'être, sentant une certaine sincérité se dégager de son imposante silhouette,de son être qui m'accompagnait,sans que l'a eu besoin de rendre cette invitation trop officielle, ne sachant à ce moment que son prénom. Il pourrait bien être issu d'une famille sans renom, je n'en avais cure. Je n'étais pas comme certains de ma famille qui refusaient de côtoyer ceux qui ne pourraient jamais leur apporter un bénéfice en contrepartie de leur temps directement.

Je finissais d'harnacher l'Aazaho et de vérifier que nos affaires étaient bien attachés puis je me tournais, souriant quand mon compère me bouscula amicalement. Il était plutôt social, on ne pouvait pas lui retirer ça,comprenant qu'il veuille que l'on cesse ces politesses que j'avais du mal à abandonner par habitude, mon début de réponse laissant remarquer ça:

-Vous avez..tu as raison. Je serrais sans hésiter la main qu'il me tendit, celle que nous avions manqué de faire à cause du terrarus qui avait surgi du sable. Une poignée de main franche,ancrant mon regard dans le sien sans savoir qu'il serait l'un des plus fiables qu'il me serait permis de croiser. -Ryven ? ça me dit quelque chose. Vous avez peut-être acquis des montures dans l'une des écuries Ikhilosho, celles de ma famille. Nous en avons à la capitale et à divers endroits sur le territoire de l'Empire, dont une à Taisen.

Je ne disais pas cela pour donner du poids, la notoriété de ma famille qui n'était plus à prouver, d'abord en devenant des nobles d'épée avant de commencer à se tourner vers l'élevage des chevaux. Je ne me sentais pas concerné par nos richesses, hanté par bien cette destinée sombre que ni des pièces sonnantes et trébuchantes où l'oisiveté de ceux de mon rang ne changerait. Plutot que m'attarder dessus, je préférais rebondir sur un sujet plus intéressant qui ne me rappelait pas que j'étais maudit:

-Tu m'as dit que tu voulais devenir un grand soldat mais dans quelle branche précisement ? Pour ma part, j'aimerais devenir un gardien . Je ne sais pas de quoi au juste ...la réponse viendra sûrement avec le temps.

Nous avions entamé la marche, les perspectives qui pourraient offrir le Reike si nous prouvions notre valeur. Je me disais qu'en intégrant le Berceau, je serais mis à l'écart d'un maximum de personnes tout en surveillant les plus dangereux, espérant que ma malédiction servirait pour une fois et par contre des innocents. J'allais pourtant faire exactement que ce que les Ikhilosho avaient craint, les anéantir presque jusqu'au dernier. Un futur funeste que je ne me croyais pas capable de faire. Est-ce que nous nous connaissons vraiment avant d'avoir rencontré toutes ces embuches que nous réservaient nos futurs chemins? Bien sûr que non.

-Je me dis que je serais peut-être plus utile à pourchasser ceux qui causent du tort au peuple qu'a m'enfermer dans ce genre de rôle…

Ce n'est que maintenant, en essayant de trouver Ersa, que je compris pourquoi Kieran avait eu besoin cette époque, de souffler peu en dehors de du Reike. Qu'aujourd'hui, des années plus tard, que je pris conscience que je m'étais mis des oeillères, sans rien connaitre d'autre qu'une loyauté aveugle qui ne pouvait être totale sans connaitre ce qui se passait à l'extérieur. Je me sentais plus concerné désormais par ce qu'il se passait vis-à-vis des autres nations, voyant de mes propres yeux ce qu'il se passait réellement en foulant de nouvelles contrées. Celles que l'Empire tentait et pas de façon forcément néfaste, d'enjoliver ou d'omettre certains faits.

Un peu comme ces vagues brulantes que nous escaladions et qui en cachaient d'autres de l'autre côté sans que l'on sache exactement comment elle était mais dont nous nous doutions de leurs existences. Une naïveté que j'eus l'impression qu'elle m'avait fait défaut,me rappelant de cette rencontre que j'avais faite avec celui qui se nommait Erwin. Au lieu de me rappeler la médiocrité dont j'avais fait preuve ce soir-là, je me replongeais dans ces souvenirs qui nous menèrent vers un attroupement de caravanes qui s'était arrêté, l'odeur des viandes grillées ne pouvant être ignorée par mon odorat tout à fait banal.

-Avec quelques pièces, je pense que nous parviendrons à avoir un morceau.

Un vieil homme s'était approché de nous et en voyant la somme généreuse que je lui tendais,n'eut pas de mal à nous trouver de quoi nous rassasier, nous demandant de patienter le temps de préparer sous une toile tenue par trois piqués de bois. Le tissu ondula lentement avec le peu d'air que le Désert voulut bien nous offrir, attachant la monture à l'ombre d'une caravane située à côté de notre emplacement.Des coussins avaient été disposé pour nous permettre de nous assoir sans nous brûler le derrière,m'installant sur l'un d'eux,satisfait:

-Tu as quelqu'un dans ta vie Kieran? Un enfant peut-être ?

Finir en république, hein, pour plaisanter, hein.

Qui aurait pensé que Arkanon Ikhilosho avait parfaitement raison, dix piges avant que ça n'arrive.

La vie est une farce, une mauvaise vanne, et je le dis encore aujourd'hui.

Mais à cette époque, c'était une grimace, avec un nez retroussé à l'idée de m'imaginer marcher dans les rues de Courage ou acheter des légumes à Liberty, avant de prendre un bateau de ravitaillement pour le Razkaal. Non, le Drakyn blanc verra un Drakyn bleu rouler des yeux à cette simple idée :

« Même pas en rêve. » Que je pouffe, en haussant un sourcil.

Par contre, c'est vrai que nous sommes vraiment différents physiquement. Avoir des ailes relève de l'évidence pour notre famille, c'est comme respirer, c'est pour ça qu'il m'est impossible d'expliquer comment faire, à part par mimétisme. Mais cette évidence n'a pas l'air d'appartenir à tous les clans Drakyns, et celui-là en fera partie. Mais il n'a pas l'air d'en souffrir. Je dirais même qu'il a l'air totalement en phase avec lui-même, et c'est une force considérable. Il sait de quoi il est capable, et sur ce point il est extrêmement dangereux. Mais, c'est vrai que la vue d'en haut, ça n'a pas de prix. Qui sait, peut-être que je le porterais dans les cieux pour qu'il s'en fasse une idée, histoire de crever moins bête.

En tout cas, il désamorce ce vouvoiement ennuyant à crever, et nous voilà dans des échanges plus cordiaux. Mieux que ça, le monde est plus petit que je le pensais. Je pose ma main sur le front, frappé par l'évidence.

« Ikhilosho, mais oui, bien sûr. Effectivement, mon père et mon oncle ont acheté des canassons à cette famille. Solides, qui peuvent supporter notre poids. On ne peut pas voler pendant des heures sans discontinuer, ces bestioles font de formidables véhicules. »

Par contre, ce qu'il vient de dire, c'est qu'il vient d'une famille importante, ou en tout cas, très riche. Pour ma part, ce n'est pas ça qui allait changer ma façon d'être même si je devais quand même être vigilant avec ma posture, pour éviter de couper brutalement des échanges commerciaux avec mes parents et leur entreprise, le tout en dégustant une avoine de mon paternelle. Qui est égale à un tronc d'arbre échoué directement sur mon visage. Un grand soldat, et justement à la question suivante, me fera perdre mes yeux bleus dans l'horizon Reikois. Parce que, je crois que je n'ai jamais réellement réfléchi à ce que je voulais être. En fait, je ne fais que réfléchir à ce que je veux faire, sans forcément en porter une casquette nommée.

Il va y avoir une hésitation, puis mes yeux s'écarquillent légèrement au terme de "gardien". Ça tombe sous le sens, comme il le dit si bien. Se lever pour pourchasser ceux qui causent du tort aura au moins le mérite d'apporter quelque chose à la cause. Chasser le chasseur, finalement.

« Un gardien... Ca me plaît beaucoup. Je dirais, que je voudrais juste utiliser la fonction première d'un soldat ; défendre. »

Je croise les bras sous mon torse, habitant le mot comme si c'était la première fois. Puis, tout en marchant, caressant l'encolure de sa monture, comme si la réponse se trouvait entre ses poils alors que je suis perdu dans mes pensées.

« Un Gardien. Les gardiens défendent ce qu'ils doivent garder. J'aime beaucoup. »

Il ne le savait peut-être pas, mais il venait d'éclairer parfaitement le vecteur dans lequel je voulais plonger. Et je dirais même plus qu'il m'a conforté dans l'idée que c'est le choix, le bon choix. Je finis par me tourner vers lui.

« Eh bien, un gardien aussi. De quoi, je n'en sais rien encore aussi faut croire. »

Si, mon Kiki. L'un des gardiens les plus redoutés de tout le Sekaï, réputé pour être des chiens increvables qui ne dorment jamais, tapis dans les ténèbres, dans un orchestre de chaînes massives rouillées frappant contre les murs humides, étouffant tous les pouvoirs magiques possibles, dans une cacophonie éternelle de torture, de sanglots, de délires et de hurlement de douleurs. La cause est illuminée par une justice dans un voile de ténèbres. C'est bizarre, mais ça fonctionne. Les dunes de sable s'étendent à perte de vue, formant des collines ondulantes et des creux profonds, comme les vagues figées d'un océan de sable. La chaleur intense du soleil brûlant embrase le ciel sans nuages, faisant onduler l'air et créant des mirages trompeurs qui dansent à l'horizon. Dans l'air brûlant, une odeur alléchante de viande cuite, créant un grognement dans ma poitrine comme un prédateur se préparant à chasser.

Un homme d'un certain âge, pas loin de plusieurs caravanes reçoit un paiement généreux de la part de ma nouvelle rencontre. Du fric, il en a plus que je n'en ai jamais eu, et qui vient mettre un argument de poids à l'histoire de sa famille. Je n'ai jamais été très à l'aise avec les personnes qui m'invitent, car pas assez l'habitude et au Reike, rien n'est gratuit. On se bat pour avoir ce qu'on veut. Alors qu'on se sépare de sa monture pour poser nos séant sur des coussins confortables, j'appuie une révérence silencieuse pour le remercier.

Puis, je me pince les lèvres à sa question, me grattant l'arrière de la tête, passant une mèche derrière une de mes cornes. Question tout à fait normale, on a l'âge de rencontrer des personnes, et la vigueur d'assurer une descendance. Est-ce que nous avons la maturité pour endurer toutes les responsabilités ? En regardant Arkanon, je me dis que oui, il a parfaitement les épaules.

« J'ai rencontré quelqu'un durant mon voyage. Mais, j'ai fait le choix de continuer ma route. Je ne pouvais pas rester là-bas, et je sais que je dois faire des sacrifices pour entreprendre d'être un jour un guerrier digne de ce nom. »

J'en soupire maintenant que j'y repense.

« Une magnifique métisse des plages de Kaizoku, si tu veux savoir. »

13 ans plus tard, cette merveilleuse femme va mourir en accouchant mon fils, Elnael. A ce moment-là, pendant que je savourais cette viande avec ce Drakyn, Ineg paniquait avec sa sœur, Ayna, sur le déroulé d'une grossesse qu'on n'a pas voulu, avant d'en mourir, neufs mois plus tard. Je finirais par hausser les épaules, me disant que c'était une amourette de jeunesse et que peut-être le destin me réserve une autre personne.

« Et toi ? Une grande famille, je suis certain que tu dois avoir beaucoup de prétendantes à ta porte. »

Et puis, qu'on se le dise, il est loin d'être un vilain lézard bleu. En tout cas, ça nous met dans une position où il faut commencer à y réfléchir. Du moins, c'était ce que je me disais avant que le clan Ryssen en décide autrement.

Ma plaisanterie avait fait réagir Kieran qui comme je m'attendais, trouva mon idée juste impensable. Pourtant,certains choix qui nous paraissaient impossibles à prendre pouvaient,selon les épreuves de la vie, devenir la meilleure option possible. Celle qui nous épargnait tout en nous demandant de payant un prix que seule notre propre conscience en connaissait la somme. J'avais ri face à l'expression du dragon bleu qui refusait une telle finalité,qui allait pourtant concorder avec celle de sa disparition,des années plus tard.

Le nom de ma famille lui revint, faisant l'éloge de nos montures qui avaient très bonne réputation,surtout parmi nos congénères. Il était difficile de pouvoir trouver un animal capable de supporter notre poids loin des standards. Pour nous, un destrier de taille moyen était un poney,même pour moi le drakyn qui n'était pas très imposant. J'inclinais légèrement ma tête pour le remercier pour ces compliments qu'il avait fait, ne pouvant m'empêcher de lui raconter une anecdote pendant notre trajet :

-À l'origine, c'est pour que nous les drakyns, nous puissions avoir des montures à notre taille que ma famille s'est lancée dans ce genre d'élevage. Il parait que ça a débuté le jour où un de mes ancêtres avait, en montant sur le dos d'une monture, brisé sa colonne vertébrale juste s'installant dessus. Depuis, ils ont sélectionné les spécimens les plus robustes avec une taille adaptée à la nôtre. Je n'ai jamais vérifié si cette histoire était vraie mais, je me dis que c'est possible.

Je n'avais pu contenir mon rire même si tragiquement, l'animal en question avait dû s'écrouler au sol. En imaginant la surprise qu'avait dû avoir ce Ikhilosho,j'avais continué de sourire, avant que nous projetions nos pensées vers l'opposé, en direction du futur qui nous attendait. J'eus l'impression d'éveiller quelque chose chez Kieran en lui faisant part de ce rôle que les astres m'avaient finalement destiné, appréciant qu'il soit de ceux qui voulaient protéger plutôt que parmi ces autres qui voulaient tout ravager.

Avec notre physique taillé pour tout sauf la chasse aux papillons, beaucoup pensaient que nous autres les drakyns avaient tendance à nous tourner vers des postes ou seule la violence serait maitresse de nos actions. Cela me conforta,par son commentaire, de vouloir continuer à suivre cette voie que j'allais parvenir à atteindre,en faisant une rencontre qui allait chambouler mon coeur.Kieran,une fois installé, me parla un peu du sien qui avait battu au côté d'une personne loin d'ici.

Je l'avais écouté, envié d'avoir pu connaitre cet attachement envers une personne, bien que je n'avais jamais songé à le faire. Ni voyager tout court,craignant de manquer à mon devoir si je faisais ça. Sans compter que je ne désirais pas une relation éphémère,n'ayant jamais eu la moindre envie de cumuler les conquêtes. Je souris à sa déduction, grattant l'arrière de l'une de mes cornes pas très à l'aise de base avec certaines contraintes liées à mon rang que j'expliquais:

-La plupart des membres de ma famille ont eu des mariages arrangés. J'ai suivi cette manière de faire au début mais j'ai l'impression que j'ai un don pour que ces rendez-vous ne se déroulent pas comme prévu...Surement parce que ça ne m'attire pas trop de passer la bague à une parfaite inconnue sans éprouver le moindre sentiment. Je marquis une pause:-Je n'ai pas envie de la considérer comme ces juments que l'on a aux écuries, juste là pour donner naissance à des poulains.

J'étais peut-être une peu cru mais c'était exactement cette impression que me donner certaines compagnes qui faisaient partie de la famille. Il n' y avait aucun amour ou presque et elles restaient dans la demeure à vivre au travers de petit loisir futile en se contentant d'élever les enfants. Non, je ne me voyais pas me comporter ainsi avec celle que j'aimerais peut-être un jour, ajoutant sans avoir la moindre expérience dans ce domaine qui me semblait inatteignable tant j'étais maudit :

-Je ne sais pas si j'aurais cette chance un jour de rencontrer celle qui me correspond mais je ne veux pas qu'elle s'enferme dans ce rôle-là. Je voudrais une femme sur qui je peux compter et qui ne m'abandonnera pas à la moindre tempête. Une personne solide qui n'aura pas peur de me dire ce qu'elle pense et qui ne trahira jamais ma confiance.

Une que la vie n'était pas prête à terrasser facilement. Je ne mériterais certainement pas ce genre de personne, car elle subirait elle aussi cette malédiction qui me suivait à la place de mon ombre. Mes cyans se perdirent dans les vagues des dunes devenues floues par la température, par ce rêve de trouver l'amour. Ce fut l'arrivée du vieil homme accompagné par deux autres tenants des plats qui avaient effacé ces quelques lignes sur cette ardoise noire tout comme l'étaient ces cauchemars qui me hantaient chaque soir :

-Merci messieurs.

Je les aidais à poser les plats remplis de viande grillés et d'accompagnement facile à manger sans utiliser le moindre couvert, les disposants entre Kieran et moi en les remerciant une nouvelle fois. Ils s'en allèrent en déposant de l'eau et une boisson que je devinais alcoolisé. Je jetais mon dévolu sur du pain et une cuisse de poulet, trempant ce dernier dans une sauce rougeâtre avant de dire:

-Bon,je crois qu'il est temps d'entamer les hostilités ! Bon appétit Kieran ! Pas besoin de faire un dessin pour expliquer qu'il me fallut deux coups de crocs pour finir ce que j'avais entamé, attrapant d'autres morceaux,pensif,reprenant la conversation:-Je laisse les astres décider si je rencontrerais mon étoile ou non. Dans tous les cas, je prierais pour que tu rencontres la tienne. Dis-je avec un sourire sincère, voulant toujours le meilleur pour mon prochain, que je le connaisse à peine ou non. En repensant à ce que je venais de dire, je lui demandais:-Tu es croyant Kieran ? Je tapotais de mon index les deux cruches, prêt à lui servir un verre de ce qu'il pointerait.