Ma conquête d’un soir n’avait plus la même odeur que la veille. Pourtant, elle m’avait assuré avoir pris un bain avant de se coucher. Comment quelqu’un d’aussi beau, avec une peau aussi laiteuse, aussi douce, aussi ferme pouvait avoir une odeur matinale tant exécrable ?
Je le savais, qu’il y avait anguille sous roche. C’était une petite affabulatrice qui m’avait fait miroiter des vacances voluptueuses et sensuelles, mais ma Cendrillon se révélait non pas être une haillonneuse, mais une espèce d’épave des premières heures qui abritait sans doute le rat mort qui lui avait servi de parure-luxueuse-non-gardable-avant-minuit dans le gosier.
C’était une petite affabulatrice, donc, parce que pour terminer avec misse-carrosse-en-or au fond de ma tente, alors qu’elle avait la tête d’une infante de château, fallait vraiment qu'elle eût fait une réussite critique à son jet de bluff.
« Passons la nuit dans ta tente ! me séduit-elle, c’est tellement pittoresque, tellement… vivifiant ! »
Ainsi, je vous le jure, elle avait parlé comme une aristocrate curieuse de la vie de vagabond. Elle était tellement princesse-parfaite, que je pensais que sans mon sarode pour l’amadouer de belles paroles, nous n’aurions jamais fini dans le même lit.

Je me redressais embrumée par l’aurore humide des matins en forêt. À part l’horrible odeur de ma dulcinée temporaire, je n’avais pas mis ma vision en mode « efficacité normale pour un humain ». Et quelle ne fut pas ma surprise quand mes paupières dénièrent enfin s’ouvrir ! Je vis la charmante fille de riche roulée en boule dans un coin de ma tente, avec son fameux rat mort finalement encore sous sa forme de parure : elle avait toujours sa robe, ses bijoux et sa coiffure, mais tout était déformé, livide et puant.
- HAAAAA !! HAAAAAA HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA HAAAA HAHAHA AHAAAAAAAAA !!! hurlais-je dans une suite de ha qui ne semblait pas avoir de sens de prime abord, mais qui en réalité, dans le jeu agile de mon cerveau en pleine explosion, dessinait un code secret qui indiquait : vite fuyons, un être cadavérique en position fœtale bave un filet rouge orangé avec un œil exorbité.
Je tâchais d’échapper mon habitation jadis si casanière avec la belle-plus-très-belle-et-surtout-plus-très-fiée qui me sauta dessus, et tandis que j’essayai de la rejeter, et surtout, que je regardai avec mépris cette trace de dents bien enfoncées qu’elle avait dans le cou – qu’elle m’avait garanti au demeurant n'avoir non pas été le fruit d’un autre amant mais d’une morsure sensuelle que je lui avais faite (alors que, disons-le, ce genre d'acte fantasmagorique ne m’excitait pas le moins du monde) – et tandis que j'essayai de la rejeter disais-je, je m'aperçus que ma force surhumaine n'étais plus rien qu'un résidu de force pourrie d'humain de base, et je me résolus à l’éjecter en la frappant d’un bout de bois qui trainait légèrement en dehors de mon bagage.
Je sortis, j’arrachai un pan de mes fringues, enroulais le bâton qui initialement était dans mes affaires à cet effet, et je me faisais la réflexion qu'il y avait au moins un truc qui était là pour les raisons pour lesquelles il devait être là. Je l'embrasai enfin, et lançai le tout sur ma tente.

Pouf. Plus de sac. Plus de sarode. Plus de manuscrit. Plus de fausse Cendrillon.
Beuuaaaarrrrg. Foutue Cendrillon.