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Arme des Veilleurs
Savoir
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Le baril paraît vide, Magdan soupire en se baissant pour ouvrir la trappe de la cave et regarde de haut les autres tonneaux de bière stockés sous le sol de son comptoir, il a déjà le dos en vrac après avoir passé la nuit à déblayer le devant de son auberge et avoir fait le ménage dans sa salle pour retirer la poussière, les éclats de verre et les brisures des meubles qui avaient morflé pendant l’attaque de la veille. Se taper tout seul le tonneau de près de soixante-dix kilos n’était pas une perspective qui le réjouissait plus que ça.
”Alors? Ça vient cette ambrée?”
L’elfe tenancier se redresse par dessus le comptoir pour adresser un regard mauvais au nain assis sur le tabouret en face de lui, mitigé entre l’envie de l’encastrer dans le mur et celle de lui dire d’aller se faire voir, mais il sait se raviser. Le militaire reikois court sur patte fait partie des forces grâce auquelles la ville tient encore debout aujourd’hui, et s’il déteste les nains pour leur arrogance et leur manque de savoir vivre, Magdan n’est pas ingrat au point de manquer à son tour de politesse envers un client un peu rustre, même s’il faut dire que les derniers évènements en date n’aident pas vraiment à ce qu’il conserve son calme. Son établissement ayant miraculeusement échappé à la destruction et à une majeur partie des dégâts, il sert maintenant de point de ralliement pour héberger les héros d’hier et les alliés de demain. Magdan soupire un peu sous la fatigue et masse son dos endolori en demandant au nain:
”Faut remplacer le fût, mais je suis tout seul et j’ai les côtes en long, est-ce que je peux vous demander un coup de main? J’vous la ferai pas payer, tant pis.”
Si le soldat fait d’abord la tronche en entendant qu’il allait devoir se décarcasser pour avoir sa boisson, ses yeux s’illuminent soudainement en comprenant que ça allait lui rapporter une rasade gratuite. Prévisible pour ces pochtrons de nain pense Magdan, et en même temps étonnant: qui se bourre déjà la gueule à cette heure aussi matinale? Il aide le nain à passer derrière le comptoir et à descendre dans l’ouverture de la cave, et à deux ils parviennent à remonter un tonneau. Avant de le coucher sur les rayons arqués au fond du comptoir, le tenancier s’affaire déjà à percer un trou dans le couvercle pour pouvoir y placer le robinet quand leur attention est distraite par le son de la porte qui s’ouvre. Les regards du militaire, de l’aubergiste et des autres clients attablés à prendre un petit-déjeuner frugal se tournent pour regarder le nouveau venu et les réactions se mitigent en comprenant de qui il s’agit. Un membre mort, parsemé de veinules bleutées à cause d’un sang inerte qui a depuis longtemps cessé de circuler, agrippe le cadre de la porte avec trois parodies articulées de doigts se terminant en appendices griffus. Magdan fronce les sourcils. Lui. D’un regard il parcours le reste de la salle et outre la race des uns et des autres, on voit facilement qui ici est un habitué de Melorn et qui n’est qu’un des reikois de passage.
Les regards les plus méfiants et les postures se tendent chez les réguliers de la ville en voyant l’aberration de la nature entrer dans la salle de l’auberge. Bien que le Conseil des Érudits a assuré au peuple que le monstre aux yeux était désormais de leur côté et qu’il était sous le contrôle des autorités de la ville, peu nombreux étaient ceux qui avaient foi en leur parole et moins nombreux encore sont ceux qui baissent leur garde autour de ce truc. Le Démon racle le plancher de l’auberge de ses pattes informes en laissant des rayures que Magdan aurait bien relevé si la cité n’avait pas manqué de se faire raser la veille encore, mais il n’en est plus à ça près. Difficile pour tout les résidents et les gens du coin d’oublier les dégâts et les morts causés ce monstre sanguinaire il y a un peu moins d’un an, le Conseil a beau avoir retourné sa veste en ce qui concerne ce machin d’outre-tombe sous le coup de la nécessité, personne ne va célébrer à bras ouverts la soit-disante aide que cette difformité avait pu apporter. Le militaire reikois et les autres soldats qui sont attablés dans la pièce sont cependant plus détendus à la vue du bestiaux, mais pas indifférents pour autant devant la répugnance de son apparence morbide. S’il n’avait pas peur de ce dont ce monstre était capable et s’il n’avait pas en tête les victimes de la milice melornoise qui avaient perdu la vie l’année dernière, Magdan aurait bien volontier ordonner au Démon de faire demi-tour et de sortir de chez lui. Vainqueur ou pas.
Le monstre s’approche du comptoir et le nain retourne de l’autre côté du comptoir subitement pour aller s’asseoir sur un tabouret un peu plus loin, comme s’il était pris sur le fait d’être derrière le plan de travail et que l’aberration allait le lui reprocher. L’aubergiste regarde quant à lui le grand machin dont les filaments de chair en lévitation frotte au plafond, ce qui doit pas être très agréable, m’enfin pas plus que les tripes à l’air n’est-ce pas?
”Euhm… Bonjour?” Comment s’adresse-t’on à quelque chose d’aussi… inhumain? L’elfe ne sait pas vraiment comment parler devant cette créature sortie des mêmes cauchemars qui ont assailli la ville la veille. Mieux vaut attendre qu’elle parle de sa propre initiative.
”Où est Myriem de Boktor?”
La voix surprend un peu l’elfe qui met un instant à répondre, sa propre bouche s’ouvre et se referme comme un poisson sorti de l’eau sous le choc d’entendre une voix aussi normale venir d’un truc aussi macabre. Le timbre est calme, contrôlé, presque rassurant si on omet l’apparence de son propriétaire, Magdan réfléchit vite fait à la question. Hier le monstre était arrivé en compagnie d’une dame, une femme qu’il n’aurait certainement pas oublié pour deux raisons, déjà parce que même selon les standards elfiques elle était sacrément bien gaulée, et qu’ensuite et surtout il lui manquait un oeil et c’était là une injustice sans nom. Enfin c’était plutôt la femme qui avait emmené le Démon ici, et lui était reparti aussi sec au plus grand soulagement de l’aubergiste qui avait bien espéré vainement ne plus le revoir.
”Chambre trente-sept, mais euhm… je préfère que vous… enfin… si ça se trouve elle dort hein.” Fait-il d’une voix mal assurée. Si l’interdiction d’entrer est sans doute un peu trop de courage pour ce que Magdan est capable de rassembler, embêter ses clients est une toute autre paire de manche. ”Y’a… y’a autre chose que je peux faire pour vous?”
L’oeil brun le rend nerveux alors que la grande pupille ne semble pas dévier de son propre regard, il a une obstination dans la façon dont il le fixe qui est dérangeante, aucun mouvement superflu, aucun soubresaut parasite comme on le voit dans les yeux de quelqu’un de normalement constitué, c’est à dire ceux avec deux bras et deux jambes quoi. Là le Démon se contente de le suivre avec son grand oeil comme s’il mourrait s’il arrêtait de le dévisager. Après un silence interminable qui ne fait qu’accroître la nervosité du tavernier, la voix calme se fait entendre à nouveau:
”Dans ce cas nous l’attendons.”
Magdan ne dit rien, il n’ose rien dire, adressant un regard de plus au grand machin il hoche machinalement la tête, ouais qu’il attende, tant qu’il crée pas de problème c’est déjà ça pour l’aubergiste hein. Il s’assure que le Démon ne lui veut plus rien, chose qui n’est pas aisée puisqu’il continue de le fixer obstinément comme s’il allait prendre la parole d’une seconde à l’autre, mais non. Rien. Magdan essaie de retourner à ses occupations sous le scrutement religieux de la chose venue d’ailleurs, et il croise le regard du nain qui attend toujours sa boisson. Finissant d’installer le robinet, l’elfe vérifie par trois fois que le joint en caoutchouc est bien placé avant de coucher le tonneau sur le côté et de le faire rouler dans les carcans du support, il positionne un seau en dessous et commence à tirer dessus avant de placer une chope en bois sous le jet et de recueillir l’ambre d’orge. Il racle la mousse qui déborde, sert la boisson et… bon sang mais il va continuer de le zieuter comme ça tout du long? Magdan se retourne pour éviter d’avoir à poser les yeux sur l’abomination et essuie de la vaisselle sale avec un torchon et un grattoir, épiant de temps à autre par dessus son épaule pour se rendre compte que non, le monstre ne se désintéresse pas de lui. Après plus d’une demi-heure à servir ses clients sous la surveillance de son observateur indésirable, Magdan finit par craquer, il se retourne vers le Démon et dit:
”Bon euh… Vouuuu-... Vous ne voulez pas attendre euh… deho-”
”Bonjour Myriem.”
Le tenancier se retourne subitement pour suivre le regard de l’oeil brun qui le quitte pour la première fois depuis qu’il est entré là, et il voit la jolie gonze descendre les escaliers qui mènent aux chambres, habillée en tenue de voyage. Il s’occupe de ses affaires bien content de ne plus être le centre de l’attention de cette saloperie ambulante pendant que les deux là se mettent à discuter.
”... à l’arrivée, vous serez seule. Ne paniquez pas, il s’agira d’une illusion du mécanisme de sécurité. Il vous suffira pour la briser de saturer votre environnement immédiat de votre mana, c’est une illusion puissante qui paralyse le corps en nourrissant l'esprit de stimulis sensoriels pour lui faire croire qu’il se trouve dans les ruines, mais seul et sans but. Nous ne pourrons pas nous en extirper de nous-même parce que notre mana sera épuisée, mais nous comptons sur vous pour le faire, l’illusion vous touchera grâce à des filins de mana qui encercleront votre corps, il suffira d’évacuer une quantité suffisante d’énergie pour les faire se dissoudre, vous n’aurez ensuite plus qu’à faire de même pour les nôtres. Nous vous en révèleront plus une fois sur place.”
Alors que la femme réagit aux propos du monstre, le tenancier relève la tête vers eux pour les voir se donner la main, enfin main, façon de parler. Quelques secondes plus tard, les deux silhouettes disparaissent subitement et les yeux de Magdan s’écarquillent en grand en réalisant ce qu’il vient de se passer.
”HÉ! HÉ NON HEIN! OH!” Il fait le tour du comptoir et vient à l’endroit exact où se tenait il y a encore quelques secondes le duo de filoutiers. L’elfe est d’autant plus énervé qu’il peut entendre les rires moqueurs de certains de ses clients lui parvenir à ses longues oreilles. ”Ils sont parti sans payer! Bordel mais non, mais non enfin!”
”Ha ha ha ha! On dirait que tu t’es encore fait rouler Mag’. Ça fait beaucoup ce mois-ci hé hé!” Un de ses piliers de bar le nargue avec un sourire édenté et mesquin.
”Ça te fait rire Gael? Je vais te sortir à coup de pieds au cul par la fenêtre si j’entend encore ton rire de fouine. Putain mais ils sont parti sans payer quoi, merde!”
Quelque part au milieu des ruines maudites par la corruption d’une lointaine guerre passée, deux personnes apparaissent au milieu d’une place de pavés sculptés et fatigués par le temps. De part et d’autre de la grande place, les murs d’un canyon s’élèvent haut vers le ciel pour l’encadrer tandis qu’au fond de la ravine, Myriem et Savoir se tiennent debout sur les pierres descellées depuis des millénaires. Le vent souffle sa brise glaciale qui contraste sauvagement avec la douceur du climat melornois, et l’air froid et sec balaye le sol en soulevant la poussière omniprésente. Il n’y a partout où leur regard se pose que ruine et désolation, des restes de gravats et de constructions massives jonchent le parterre de la place, reliquats somnolant de la civilisation florissante qui s’érigeait jadis sur ces terres. Quand le Démon de la Connaissance lache le bras de la magicienne pour pointer un des deux murs du canyon, la baronne aperçoit la façade enfoncée dans la paroi, des inscriptions effacées et indéchiffrables gravées dans le renfoncement du fronton que le temps a à jamais scellé dans l’oubli, et Savoir avance lentement en direction de l’entrée colossale du Compendium Daemonum. Un peu plus loin sur leur gauche, un ancien portail de téléportation désormais inutilisable affiche au dessus de son fronton une inscription en vieux Divina: ‘Azshary’.
L’entité poly-oculaire profite du fait qu’ils ne soient visiblement pas encore aux prises de l’illusion de sécurité pour s’expliquer un peu plus à la Baronne, mais quand il retourne son oeil pour la dévisager et qu’il ne la trouve nulle part, Comp cherche autour de lui avant de se rendre compte de l’évidence. Il s’est trompé. Ils sont déjà pris dedans. Les défenses du Compendium sont multiples et si les plus redoutables d’entre elles ont déjà été définitivement déjouées par Chaos et le Maître des Ombres de Melorn il y a un peu plus d’un an, l’illusion liminaire demeure toujours active. S’il entrait dans le temple du Compendium maintenant, Savoir se retrouverait face à un mur sans issue dénué de tout intérêt, en réalité le couloir débouchait sur une pièce parsemée de fils de mana invisibles et tendus d’un côté à l’autre de la pièce et le moindre de ses contacts plongeait ses victimes dans une illusion extrêmement puissante. La mémoire à court terme était effacée et retravaillée pour faire croire aux infortunés qu’ils n’étaient pas entré à l’intérieur, et qu’ils erraient tout seul de l’autre côté. La magie est en apparence impossible à manifester dans l’illusion mais avec l’information du piège et de sa nature ainsi qu’une bonne maîtrise arcanique, il était quand même possible de manifester de la mana depuis sa véritable enveloppe corporelle. Savoir est pourtant vidé de ses capacités et sa magie est bloquée à cause de la distance de la téléportation, il va donc devoir patienter pendant que Myriem le tire de là, ou qu’il ne récupère lui-même sa magie au bout de trois jours.
Citoyen du monde
Myriem de Boktor
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Le Baptême de l’Âme
Savoir & Myriem - Message 1
Melorn, la protection de son Cœur, tout cela s’est déroulé rapidement et sans accroc pratiquement en un sens. Et pourtant rien ne va plus, est-ce la magie des anciens que j’ai utilisé qui a conduit à ma situation actuelle? Je n’en sais rien mais j’ai une certitude, j’ai cette douleur sourde qui résonne en moi sans jamais s’arrêter maintenant. C’est comme si j’avais une migraine que je suis incapable de réguler par magie ou avec mes remèdes médicinaux habituels. Pas une seule mixture, pas une seule plante, pas un seul soin n’y fait rien, dans ma tête, cela résonne et c’est comme si je percevais en permanence des battements de mon propre coeur, le sang qui circule, tout est amplifié et surtout déformé. Ma boîte crânienne est devenue le réceptacle d’un echo désagréable et douloureux.
J’en ai fait part à Savoir une fois que nous avons pu respirer, je lui ai dit que j’acceptais comme promis son jugement mais mes grimaces non dissimulables l’ont interpellé. Pas qu’il ressent la moindre empathie face à mon inconfort et ma douleur, non ce fut une réaction factuelle de sa part comme toujours. Mon attitude n'était pas catégorisée comme normale et cela l’interpellait forcément. Alors de manière énigmatique comme seul un être de sa trempe et nature peut l’être il m’a dit de le suivre. J’ai avancé le fait que je devais rentrer rapidement à Mael parce qu’on m’y attendait que j’avais déjà disparu sans pouvoir leur donner la moindre raison mais cela ne l’émut pas le moins du monde, mais quoi de surprenant à celà?
Il me conduisit dans une auberge des faubourgs de Melorn, un peu extérieure et m’indiqua qu’il me retrouverait le lendemain. Quand nous sommes entrés pour que je réserve une chambre, j’ai senti les regards coulant sur nous, nous faisions le plus étrange des duos en réalité et voir une shoumeienne aux côtés d’un démon devait en choquer plus d’un, c’était une alliance contre nature et contre ma culture.
Néanmoins ma chambre prise, je commandais un bain, j’avais besoin de me détendre dans l’attente du retour de Savoir le lendemain. Je fis préparer un pli pour ma famille afin qu’ils sachent que j’allais bien et que je reviendrai prochainement, de ne pas s’inquiéter, que je ne rentrais pas par téléportation mais par la route ce qui prendrait du temps… Pieu mensonge mais indétectable sur un message écrit voyez vous qui lui partirait avec d’autres plis avec un mage téléporteur. La soirée s’était passée de manière étrange enfin habituelle pour une taverne… Des bagarres que j’avais évité en restant dans ma chambre après m’être assoupie dans mon bain une fois propre comme un sou neuf. J’avais aussi confié mes affaires pour que tout soit nettoyé rapidement et que nulle trace de sang ou autre ne soit encore accrochée à mes bottes après les combats passés.
C’est ainsi qu’au petit matin je me sentis prête à descendre, je savais que Savoir allait revenir rapidement et j’avais déposé le paiement de la chambre sur la coiffeuse dans la pièce. J’avais passé deux heures à me coiffer, tressant serrés mes cheveux contre mon crâne, réveillée depuis l’aube je sentais que j’avais besoin de faire quelque chose de mes dix doigts pour ne pas songer à cette douleur lancinante qui vrillait mon cerveau et menaçait par moment de me faire perdre pied avec la réalité. J’avais pas moment envie de m’arracher l’oeil… celui qui n’était plus là mais qui s’était consommé sur l’autel du sacrifice à Benedictus…
J’avais pris des antidouleurs en trop grande quantité, le médecin que j’étais le savait mais c’était ça ou j’étais incapable de garder mon oeil valide ouvert à cause de la douleur que je ressentais. Dans l’air je sentis une manifestation magique, et je reconnus sans doute possible le retour de Savoir, il venait me chercher comme convenu.
Habillée, prête, mon sac de voyage sur le dos, je descendis dans la salle commune. Les regards des présents étaient tous rivés sur le démon aussi difforme et effrayant que grand, un être contre nature et qui n’avait que faire de paraître autrement.
- Bonjour Savoir.
Je n’avais rien à ajouter, sans plus attendre je l’ai rejoint et je me suis saisie de sa griffe géante pour ma main humaine, sans peur, sans appréhension… Si on m’avait dit cela il y a ne serait-ce qu’une année, j’aurais ri au nez du fou disant que j’aurais confiance en un démon. Comme quoi on ne doit jamais présumer de quoi que ce soit.
Il activa une téléportation tout en me donnant des explications sur la suite. Je ne savais toujours pas où nous partions, il n'avait pas voulu me le dire. Mais j’avais gardé en tête ce qu’il avait, je n’allais pas paniquer, je crois que je n’en étais plus réellement capable. J’avais peur, toujours, c’était humain mais cela irradiait en moi, me glaçant le sang mais cela ne me privait plus de mon libre arbitre, la panique j’espérais ne rien connaître capable de la générer de nouveau en moi, j’avais l’impression d’avoir tout vécu en terme d’horreur et de torture mentale… J’étais tellement loin du compte.
Autour de moi, ce sont des ruines antiques, nous sommes au niveau d’une ancienne place pavée, au sol une fresque dont il ne reste que quelques vestiges, des pavés usés, brisés… Autour de nous un canyon, nous sommes dans un encaissement et à mes côtés se tient Savoir. C’est une bourrasque de vent, glaciale, qui me fait bouger et réagir, mon esprit s’agite, dans quel endroit du Sekaï nous trouvons nous?
Savoir me montre un des deux murs, j’aperçois alors des inscriptions à moitié effacées et donc je ne connais pas le sens, ni même l’écriture. Je suis cultivée mais je n’ai jamais étudié les dialectes ou langues anciennes, un peu de shierak, d’elfique et le commun tout simplement, mes études furent celles d’une noble et d’une chirurgienne mage. C’est alors qu’il me lit le mot ‘Azshary’, en vieux Divina me dit-il. Mes cils battent d’étonnement, comment est-ce seulement possible? C’est un mythe non? Mais n’ai-je pas déjà affronté un mythe?
Un clignement de paupière plus tard j’étais dans une étendue… pas de neige non, dans une étendue de chair sanguinolente, j’étais plongée de nouveau dans le ventre de Lamentation. Prévenue, je savais que c’était une illusion destinée à me faire revivre une des plus grandes peurs, celle ci était encore bien vivace en moi. Les chairs bougeaient, se mouvaient et elles semblaient désireuses de se rapprocher de moi, des sucs purulents s’écoulaient des parois et se rapprochaient… fumerolles d’acides destinées à me digérer.
J'inspire profondément et j'invoque ma mana, pas de sortilège, pas d’effet… Je me contentais de suivre les instructions et de saturer mon environnement de ma puissance. On a beau savoir qu’une illusion nous entoure nous ne sommes pas toujours capable de la déficeler même si avec le temps j’avais compris comment faire pour détruire les illusions les plus basiques grâce à mes dons de senseur.
Une fois l’air saturé par ma magie je pus enfin les apercevoir ces filins qui m'encerclent et me dissimulaient mon environnement réel. Je me lançais donc dans un détissage en règle, ma mana brute servant et suivant ma seule pensée, dansant autour de moi, ma mana agit comme une lame aiguisée pour détruire les filins qui m’enserrent. Un à un ils cèdent et l’illusion qui m’était propre s’évapore me laissant de nouveau percevoir les lieux tels qu’ils sont… Les vestiges d’une ancienne civilisation aujourd’hui détruite et maudite depuis des éons.
Libérée de mes liens illusoires, je respire pleinement. La douleur dans mon esprit semble vouloir redoubler, je grimace et ma main en un geste vain s’aggripe a ma tête, appuyant l’orbite vide cachée par le morceau de cuir. Il faut que ça cesse… Je respire difficilement mais je sais n’avoir pas terminé mon travail en cet instant. Savoir a épuisé sa mana pour nous téléporter ici et si je peux lui fournir une potion pour en restaurer une partie je dois d’abord le libérer de l’étreinte magique protectrice de ce lieu antique.
Je me reconcentre de nouveau pour canaliser ma mana sans y adjoindre le moindre sort, juste de la magie à l’état pur, brut. Dirigés par ma volonté, les éclats de mana, tranchent les filins qui immobilisent le démon et la toile illusoire qui l’enferme est déchirée de l’extérieur par mes soins. Le voilà de nouveau libre de bouger et d’agir.
Mon regard se porte de nouveau sur la porte aux anciennes écritures et je me permets enfin la question qui me ronge.
- C’est ici que je vais passer ce… jugement ?
Je ne vois nulle autre raison à notre présence en ce lieu mythique après tout. Ma main lâche mon visage alors que j’ouvre un des compartiments de cuir qui enserrent ma ceinture et contenant plusieurs fioles, séparées, bien protégées. J’en sors une qui semble presque vivante, le liquide à l'intérieur bouge, danse, brille de mille feux.
- C’est une potion de mana, cela pourrait t’aider à retrouver un peu de puissance. Je sais combien la sensation d’être vidée de sa mana est éprouvante et… dérangeante.
Je secoue cependant la tête en me morigénant intérieurement de ma bêtise et en remettant la fiole à sa place.
-Suis-je sotte ou déboussolée… Tu viens de nous téléporter je ne sais pas trop où, mes repères ici sont perdus, rien ne me parle paysage, roches… Tu ne peux pas faire de magie à cause de la téléportation, pas parce que tu n’as plus de mana. Je suis navrée, j’ai la fâcheuse tendance à parler avant de réfléchir par moment. Tu vas avoir besoin de quelques jours avant de pouvoir te concentrer à nouveau pour utiliser tes pouvoirs tout simplement.
Parfois on ferait mieux de réfléchir avant de parler trop vite…
CENDRES
Arme des Veilleurs
Savoir
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L’oeil de Comp descend sur la jeune femme qui vient de réapparaître devant lui alors qu’elle l’extirpe de l’illusion protectrice du Compendium. Le Démon poly-oculaire la regarde sans un mot tirer une potion de son sac avant de la ranger aussitôt et son attention se focalise de plus en plus sur elle, son état semble se détériorer mais ses divagations erronées sont tout aussi imputables à la fatigue encore présente des combats de la veille qu’à la raison de leur présence ici. Quand elle demande également s’ils sont là pour son Jugement, le Gardien de la Connaissance se contente d’aller avec sa suggestion, qu’importe si elle se rend compte qu’il lui ment, le plus important réside dans son ignorance de la vérité.
”Oui.”
L’azsharien reporte son regard sur les alentours du canyon qui a accueilli les recherches du Projet Compendium il y a des centaines de milliers d’année, l’endroit délabré a été caché dans le creux de la terre du Sekaï pour éviter que les Titans n’en apprennent l’existence. Excentré par rapport aux ruines de la capitale de l’empire elfique d’antan, le Compendium Daemonum avait investigué l’apparition des premiers Démons sur Sekaï à des fins toutes aussi obscures que les moyens que les chercheurs Fondateurs avaient engagé dans leur étude occultes. Le moment où les anciens s’étaient rendu compte que le fruit de leurs efforts ne leur apporteraient la délivrance du joug des Titans qu’ils cherchaient à obtenir, ils avaient scellé le Compendium et avaient abandonné leurs travaux. Du moins c’était ce qui s’était officiellement passé. Dépossédé de soutien de l’impératrice elfique de l’époque, les quelques hommes de science qui travaillaient encore sur le Projet Compendium au moment de sa clôture avaient bravé les interdits pour continuer d’étudier les Sept Soeurs en secret, en dépit des autorités azshariennes et des injonctions de l’empire. Tout avait abruptement cessé lorsque le Premier des Sept, Savoir lui-même, avait estimé ne plus avoir d’intérêt à demeurer un sujet d’expérience à la disposition des Fondateurs, le Démon avait alors attaqué les elfes pour se libérer du bâtiment sans succès, et il s’était retrouvé scellé à l’intérieur avec une malédiction sur le dos dont il porte encore la trace et qui l’a forcé à se faire geôlier des Soeurs. Entre sa magie de lumière, la plus efficace contre sa propre espèce, entre les chaînes du Compendium dont il a hérité des Fondateurs, et entre les protections du bâtiment en lui même pour contenir des êtres aussi ésotériques que des Démons, Savoir sait qu’il disposera une fois entré de tous les outils nécessaires pour pouvoir procéder.
Tout autour d’eux au milieu des ruines du ravin, des créatures toutes plus déformées et ignobles les unes que les autres dû à six millénaires de désolation sont immobiles, plongées dans une léthargie similaire à celle dont ils étaient tout deux affectés tantôts par des filins de mana qui s’extirpent de la façade du Compendium Daemonum et enserrent les monstres errants.
”Ne les dérangez pas, ils sont plongés dans une illusion similaire, et ils redeviendront poussière en temps et en heure.” Ils serviront surtout à se faire drainer pour continuer d’alimenter les sécurités du Compendium, mais de Boktor n’a pas besoin de connaître tout les détails dans sa condition actuelle.
Savoir procède à l’intérieur du temple et pénètre dans une anti-chambre servant d’entrée, la pièce est presque entièrement vide, seulement parsemée de quelques pierres et de monticules de poussière accumulés à l’intérieur par les vents qui s’y engouffrent rarement. Les griffes de l’azsharien râclent le sol au fur et à mesure de sa progression en laissant derrière lui des sillons frais sur les surfaces des pierres et dans les traces de poussières, le monstre poly-oculaire ne s’éparpille pas comme il le ferai habituellement, il connait tout ce qu’il y a à savoir sur ce lieu et il ne tergiverse pas. S’enfonçant dans le couloir de l’anti-chambre qui avance dans le temple en compagnie d’une Myriem de plus en plus lunaire à ses côtés, le Geôlier de retour arrive dans une grande pièce qui servait à l’époque d’accueil pour les arrivages et le personnel de recherche. De grandes colonnes de pierre soutiennent un plafond anté-diluvien qui ne doit d’être encore debout que grâce au fait qu’il a été creusé dans la roche et non bâti, les ombres sont épaisses et l’azsharien est obligé d’actionner les muscles iriens et les zonula qui tiennent son cristallin en place pour élargir au maximum la taille de son orifice pupillaire. La grand salle est parsemée de filins de mana tendus et intangibles, impossible de s’en débarrasser pour le Démon qui n’a pas l’usage de sa magie.
”Myrie-”
La jeune femme ne l’a pas attendu et elle commence déjà à frayer un passage en découpant les câbles protecteurs ça et là, dégageant un chemin à travers la pièce, ils arrivent au fond de la grande salle où un set de double portes en marbre lourd les attend, décorées de gravures ésotériques, mélanges de symboles runiques pour canaliser la magie et d’anciennes inscriptions croisées entre Divina et Bas-Parlé afin de les rendres innoffensives, les portes sont grandes ouvertes suite à leur ouverture il y a plus d’un an quand deux visiteurs sont venus déranger l’ordre naturel du Compendium. De là s’étend devant une seconde pièce plus étriquée que la première, large seulement d’une demi-douzaine de mètres pour une trentaine de long, elle porte de nombreuses traces de combats et d’affrontements plus ou moins récents. La salle possède de nombreuses colonnes de soutènement qui convergent vers un plafond invisible à cause de la nappe d’ombre qui l’occulte et son sol est jonché de gravats. Autrefois des statues de cristaux de mana gardaient cette entrée et séparaient l’espace liminaire du temple du Compendium qui s’étale dans les sous-sols de la falaise, mais les systèmes de défense ont été réduits à néant par le retour de Chaos et du Maître des Ombres de Melorn et il ne reste maintenant plus que la grande porte de scellement du Compendium. Une porte énorme, composée d’une myriade de lamelles métalliques légèrement incurvées et concentriques se refermant en s’imbriquant les unes dans les autres pour former une iris de fer hermétique, le tout mesurant plus de quatre mètres de diamètres pour dominer l’espace au fond de ce couloir coupe-gorge. Savoir regarde la porte qui s’est régénérée depuis son départ, il n’était pas revenu ici depuis sa libération l’année dernière et il constate qu’il va devoir la rouvrir avant de continuer, mais pour ça…
”Nous faisons face à un problème, il va falloir que nous utilisions notre essence pure pour pouvoir ouvrir la porte, mais nous ne pouvons pas le faire sans notre magie. Il va falloir attendre quelques temps, peut-être un jour ou deux, avant que nous puissions déverrouiller les iris de fer en toute sécurité.” L’oeil brun ausculte le portail imposant et détourne son regard de la porte. ”Il est hors de question de forcer le passage ou de l’endommager, les secrets contenus à l’intérieur doivent rester protégés, nous attendrons.”
Il n’a toujours pas précisé le nom du lieu afin de laisser suggérer qu’ils se tiennent simplement à un endroit lambda d’Azshary, même si les chances que les mots Compendium Daemonum n’évoquent pas grand chose à sa cible, Savoir ne prend pas le risque. Il y a cependant un vrai problème dans l’attente à laquelle ils sont obligés de se plier: Myriem est en proie à ses pensées et en ce moment même elles jouent véritablement contre elle, le temps n’est pas leur allié et l’inaction est probablement peu recommandable pour la jeune shoumeïenne. L’azsharien se retourne vers elle et dirige son regard inquisiteur dans celui tout aussi unique de la borgne, la pupille de Comp s’approche du visage de son interlocutrice en se penchant depuis son tentacule de chair, réduisant quelques peu la taille de sa cornée pour pouvoir faire le point sur elle.
”Il va falloir que nous vous occupions. Nous savons que vous avez commencé à apprendre à bretter n’est-ce pas?”
Le Désintégrateur d’Azshary ne se contente pas simplement de réduire à néant les corps des victimes qui ont le malheur d’entrer en contact avec lui sous le joug d’Alys, chaque esprit est méticuleusement sondé avant la déconstruction physique de leurs enveloppes charnelles et les données sont grossièrement assimilées. Le Gardien de la Connaissance ne se permet de procéder de la sorte qu’avec les cibles ne représentant qu’un intérêt mineur en raison de la faiblesse de talent, de savoir-faire ou d’éducation, mais les individus qui possèdent des informations pointues ou une curiosité avide sont à l’inverse laissées en vie pour nourrir un peu plus de par leur simple existence l’essence primordiale qui le compose. Au fil des millénaires de scellement, le Compendium Daemonum s’est dans les esprits communs, de plus en plus éloigné comme étant un projet de recherche officiellement anodin de l’Empire azsharien et s’est rapproché des légendes et des rumeurs promettant un pouvoir mystérieux. Il a naturellement attiré les convoîtise de guerriers et de mercenaires aventureux et ceux qui n’ont pas trouvé le trépas dans les premières étapes des défenses du Compendium, et qui ont réussi à trouver des moyens variés de passer les iris de fer qui en gardent l’entrée, ont pu faire une réalisation lourde de conséquence: les défenses du Compendium n’empêchaient pas les intrus d’entrer, mais plutôt ce qui était à l’intérieur d’en sortir. Les malheureux qui s’étaient lancés dans l’idée d’y fouiller n’y avaient trouvé qu’une mort rapide et brutale en tombant sur le Geôlier, et à mesure que l’aberration de la nature accumulait les désintégrations de combattants chevronnés, il complétait de plus en plus son encyclopédie martiale.
”Nous allons…” une idée germe soudainement dans l’esprit froid de Comp et il corrige son tir en milieu de phrase. ”... d’abord jauger de votre compétence à la lame.”
Un crépitement électrique se fait entendre lorsqu’une membrane violacée se matérialise petit à petit pour recouvrir le globe oculaire massif de l’oeil empathique et qu’en même temps, un autre se découvre pour révéler une iris très particulière. Un disque complètement noir se dévoile devant Myriem, sans délimitation apparente, impossible de dire s’il s’agit d’une pupille géante qui prend tout l’oeil ou si ce n’est qu’une sphère noire sans caractéristique, pourtant une voix féminine retentit alors que des mouvements viscéraux commencent à animer les entrailles d’ordinaire inertes de Savoir:
”En garde Boktor.”
L’iris de la Juge est normalement constellée de particules d’un bleu azuré ou de points dorés qui tissent des motifs stellaires dans son oeil, mais leur intensité étant proportionnels à la puissance magique déployée par Éva, son iris est complètement éteinte dans la condition actuelle du Démon et ressemble donc au voile opaque d’une nuit sans étoile. De même, l’Épée du Jugement habituellement maniée par télékinésie est obligée d’être sortie par ondulations de ses tissus internes afin que son bras décharné puisse s’en saisir.
”Montre moi tes postures d’ouverture Boktor, et prend l’initiative.”
Citoyen du monde
Myriem de Boktor
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Le Baptême de l’Âme
Savoir & Myriem - Message 2
Qu’il était étrange dans sa façon de s’exprimer, c’était particulièrement perturbant pour moi de l’écouter parler comme s’il était plusieurs. Bien entendu j’avais compris qu’il avait des personnalités différentes et que chacune s’exprimait à sa façon et par le biais de l’ouverture d’un œil. Mais je crains de n’être pas capable de m’habituer à une telle chose, cet être dépassait l’entendement.
Attendre un jour ou deux ici, sans rien, sans nourriture me semblait plutôt complexe et j’ai failli le lui signaler mais je réalisais qu’il n’était pas soumis aux mêmes contingences que moi, mon humanité était un frein dont il n’avait pas pris en compte les limites. Je réfléchissais cependant, je pouvais créer de l’eau, ce n’était pas un souci, je pouvais donc tenir plusieurs jours mais dans quel état. Dans ma besace, il y avait de la viande séchée, quelques fruits secs mais cela ne suffirait pas à me nourrir correctement et je doutais que quoi que ce soit de vivant ne traîne dans le lieu. D’ailleurs où étions-nous réellement?
- Je comprends Savoir le besoin d’attendre et de ne rien endommager ici. J’imagine que vous aurez le temps de m’en dire plus sur ce qu’est réellement cet endroit? Vous avez lu tout à l’heure Azshary et j’imagine que ce sont donc des ruines de type elfique qui nous entourent, mais je ne m’y connais guère.
Je n’ajoutais rien car deux jours ne me semblaient pas être une épreuve trop complexe de survie dans le fond. Du sommeil, de la méditation, des discussions voire une séance d’étirements, oui cela serait une attente agréable presque non? Quelle grande naïve devant l’éternel jugement que je faisais… Pour la simple et bonne raison que je n’étais pas capable de me montrer sereine depuis des semaines, des mois, c’était impensable, impossible. Je vivais avec une douleur sourde et profonde que j’étais incapable de contrôler ou amoindrir malgré mes talents en soins, c’était tout simplement impossible selon mes propres connaissances. J’aurais du pouvoir m’apaiser d’une manière ou d’une autre, soins, magie pure, plantes, sommeil mais rien n’y faisait.
Dans mon esprit, un voile s’était glissé et l’emplissait, un voile douloureux, insidieux, qui me donnait l’impression de me ronger l’esprit déjà vacillant de l’intérieur. Perdue dans mes pensées je n’ai pas vraiment vu l’Oeil de Comp qui se rapprochait et je peinais à grand peine un cri de surprise en le sentant si près, si proche. Tout mon être, toute mon éducation me hurlait de fuir Savoir, les démons, ils avaient toujours été le mal incarné en Shoumeï. Mais j’avais appris, j’avais compris, que ma vie était un vaste mensonge et que je devais reconstruire mes croyances. Sa question cependant semblait sortir de nulle part.
Apprendre à bretter? Oui en effet j’ai commencé à m'entraîner il y a quelques années, d’abord pour ne pas me blesser avec une lame mais surtout pour les fois ou ma magie pourrait me faire défaut. Vu mon… esprit affaibli c’est quelque chose qui m’inquiète je dois l’avouer. Je me suis toujours reposée sur ma mana.
Par contre la suite me fait moins rire, je dois l’affronter? Lui? L’arme des Veilleurs? C’est une plaisanterie? Non cela n’en est pas une c’est évident, ce concept dépasse son mode de fonctionnement au final, il n’est que premier degré et analyse. Je retiens un soupir, comme une enfant prise en faute. J’inspire profondément et tente un instant de repousser dans mon esprit la douleur lancinante qui me vrille le cerveau. Je dois me concentrer pour me préparer.
Je me déplace vers Savoir alors que je perçois son changement de personnalité et donc d’aptitude un nouvel oeil s’ouvre sur moi, je ne crois pas l’avoir croisé déjà. L’absence de pupille ou d’iris est perturbante mais la profondeur abyssale de ce noir est effrayante, un voile céleste se dresse face à moi c’est ainsi que je le perçois.
Je me tiens droite, le souffle court à cause de l'appréhension, sous l'œil sévère de mon nouveau maître d’armes improvisé, un démon géant. Je ne perçois pas le moindre sourire, ou autre, c'est perturbant, il défie les lois de la physique néanmoins, son oeil dardé de manière fixe sur moi ne fait qu’aiguiser ma détermination, je dois montrer ce que je sais faire même si c'est peu. Je prends une inspiration, resserrant mes doigts sur le pommeau de l'épée que j'ai tirée de son fourreau, et je décide de lui montrer que je ne suis pas totalement novice, que j'ai appris quelques gestes.
D’un mouvement que je crois vif, je m’avance vers lui, mon pas est ferme. J'ai repoussé la douleur dans un coin de mon esprit, ce n'est pas le moment de l'écouter. Je vais démarrer par une attaque basique mais que je pense réaliser correctement : une fente. Bien entendu, Savoir l’anticipe sans même se déplacer et dévie ma lame d’un geste expert. Je recule immédiatement, réajustant mon équilibre, puis j’enchaîne avec une feinte d’estoc, espérant tromper sa vigilance, oui je suis une grande naïve.
Par réflexe, j'ai envie d'utiliser ma magie, d'avoir ce support rassurant qui fait de moi ce que je suis mais ce n'est pas le but pour le moment. Je fais mine de viser son flanc d'où les tripes semblent vouloir s'écouler et rester en suspens toujours, le processus de décomposition a repris d'ailleurs, mes soins n'étaient que temporaires je le savais, je m'en doutais. Je dirige donc mon coup en tentant une feinte, son torse visé de prime abord pour attaquer finalement le vrai point visé : je tente de rediriger mon attaque vers son épaule d'un coup sec. Mais d'un geste fluide et sec, sans même se déplacer d'un iota, il contre à nouveau, pivotant son buste de quelques centimètres pour esquiver sans effort apparent, ce qui me pousse à revoir ma stratégie.
Je serre les dents, résolue à lui arracher au moins un soupçon de surprise si tant est que cela soit possible. Je reviens en arrière en réfléchissant à ce que je peux faire. Je m’élance pour une attaque en moulinet, faisant tourner la lame dans un mouvement circulaire pour rompre sa garde. C'est un mouvement que je maîtrise bien en théorie, et la rotation rapide de la lame pourrait désorienter un adversaire moins expérimenté. Mais il bloque ma frappe avec aisance, me forçant à reculer encore une fois. Je me souviens alors pourquoi je n'aime pas le combat, c'est tellement frustrant, on nous enseigne des techniques que tout le monde connait et donc les bons bretteurs savent forcément comment éviter les attaques. Il sait quel va être mon mouvement dès que je me positionne, je ne peux rien faire ainsi "et tu ne pourras jamais rien réussir en fait".
Je tremble un instant, cette maudite voix dans mon esprit, elle est de retour alors que je pensais m'être débarrassée d'elle. Je grimace, ma main gauche par réflexe se pose sur le cache œil mais je me reprends après avoir murmuré un "lâche moi". Mais je ne lâche rien, je ne suis pas là pour ça. Je ne supporte plus cette douleur, ces voix, insidieuses, que mon esprit créé pour me déstabiliser, il faut que ça cesse.
La colère monte en moi, elle n'est pas ma compagne habituelle mais dans mon œil valide, une nouvelle détermination apparait. Je dois être autre chose qu'une guérisseuse, je dois devenir une meilleure version de moi-même et ici, dans ce lieu que je ne connais pas en compagnie d'un démon. Mes convictions et croyances sont en lambeaux depuis des mois mais je commence à entrapercevoir autre chose, des nouvelles convictions émergent dans mon esprit malade et elles sont toutes liées aux Veilleurs et à l'Arbre Monde. Et pour se faire je dois me montrer à la hauteur.
L'escrime c'est une compétence et une technique physique non? Alors si j'utilise des compétences qui permettent de m'améliorer de ce point de vue ce n'est pas réellement de la triche non? Alors je me campe de nouveau sur mes pieds, sourcils froncés par la concentration, dans mon esprit la voix poursuit, reprend, m'insulte, étrangement elle s'agite plus qu'à l'ordinaire. Mais je refuse d'écouter je dois agir. Je concentre ma mana pour fondre sur Savoir mais plus rapidement et tenter de nouveau une feinte pour le prendre finalement de taille plutôt que d'estoc à la jambe (SV1)
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Savoir
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Tandis que s’enroule les serres d’Éva autour de l’Épée du Jugement, Savoir évite sciemment de se mettre en garde devant Myriem pour une raison bien définie, si la Juge adopte sa propre posture pour les débuts de l’entraînement, elle risque de biaiser de Boktor et de l’inciter à adopter la même ou à modifier son choix confort d’ouverture. Comme le Démon de la Connaissance souhaite initialement sonder les compétences et le niveau de son élève pour pouvoir s’adapter à la progression de la jeune femme, il est important pour lui d’adopter le comportement le plus neutre possible en début d’échange. C’est donc initialement les bras ballants que Savoir regarde de Boktor brandir sa propre lame devant elle et tenter plusieurs passes basiques pour ouvrir les hostilités, mais la Juge, toujours d’un regard indéchiffrable dû à son manque de magie, observe et réplique aux différentes frappes sans efforts conséquents.
Savoir, Démon de la Connaissance et Geôlier du Compendium, l’entité née de la curiosité des hommes et de leur avide soif de progrès est restée ici-même dans ce bâtiment pendant plus de trois cent milles ans à garder les secrets du projet de recherche elfique. Son être se nourrit des fragments d’âmes, des émotions intenses libérées par les mortels lors de leur poursuite de savoir, et c’est naturellement que lui même s’est fait le collectionneur de toutes informations. De par ces faits, il tue sans réelles distinctions devant l’inévitable caractère remplaçable des mortels dans la grande trame du temps, mais comme chaque âme renferme les secrets de leurs vie, il ne les laisse pas s’échapper vers le Royaume des Gardiens sans en lire d’abord le contenu. Pendant tant de millénaire que le monde l’a oublié, Savoir a vu des milliers et des milliers de guerriers, d’aventuriers trop ambitieux, perdus ou simplement mal avisés essayer de forcer l’entrée du Compendium et d’en ouvrir les portes. Certains ont réussi, beaucoup même, à trouver divers moyens tous plus ingénieux les uns que les autres, pour passer les sécurités mises en places par les Fondateurs. Ils en sont tous morts. Bravant les installations magiques qui au final n’étaient pas tant des pièges pour les pilleurs que des protections pour les téméraires, les centaines d’explorateurs qui ont réussi à se frayer un chemin à l’intérieur étaient récompensés par l’horreur oppressante du noir total dans le bâtiment du Compendium, perturbé uniquement par la lueur rougeoyante de l’éveil de son Gardien, la dernière chose qu’ils ont tous pu voir avant que leurs esprits ne viennent alimenter l’encyclopédie martiale de Savoir, âme par âme, vie par vie. Les compétences du Désintégrateur d’Azshary en terme d’escrime sont bien plus figurativement façonnée combat après combat que dans le cas d’un guerrier qui ressort grandit de chaque affrontement. Chaque frappe de Savoir, chaque estoc, chaque parade, rien n’est à lui, Myriem se bat littéralement contre des morts.
Pivotant d’un iota pour laisser filer la lame de Boktor dans le vent à quelques centimètres de son épaule, la Juge observe toujours aussi attentivement les gestes de la jeune femme. Ra est là aussi, silencieux, fermé mais bien conscient, partageant la vision d’Éva pour en apprendre plus sur cette femme qui suscite tant d’intérêt chez le Curieux.
C’est très différent d’Espoir.
Elle se bat de façon très académique, Espoir possède un répertoire bien plus vaste et moins prévisible, mais Boktor a une approche beaucoup plus peaufinée sur le peu qu’elle maîtrise.
Deux approches distinctes à l’apprentissage d’une même compétence. Pour l’escrime la meilleure est…
... la condition réelle.
Myriem tente une frappe en pivotant son poignet pour faire un moulinet à sa lame, la pupille d’Éva ne suit même pas l’acier mais plutôt la main qui tient l’arme et en déduit l’éventail des gestes suivants qui s’offrent à la bretteuse en herbe, son bras décharné se relève et Savoir fait levier sur la lame de Boktor en entrechoquant l’acier au plus près de la garde, forçant ainsi la mage à réagir. Lorsqu’elle essaie de continuer son geste en pivotant un peu plus son épée, Savoir s’avance pour la première fois d’un unique pas en appuyant avec la force jointe de ses différents appendices chitineux, obligeant la borgne à tout bonnement reculer. Éva retire sa jambe avancée tandis que les tentacules racinaires griffent le sol pour revenir à leur place et continue de regarder la jeune femme en silence.
Nous sommes curieux de ce qu’elle va faire ensuite.
C’est la dernière calibration.
Le niveau est presque assimilé.
La sphère noire se fige dans les airs, son emplacement ne bouge plus d’un poil dans l’attente des prochains mouvements de son élève et seul le filament de chair organique sensé le soutenir oscille lentement en dessous, trahissant le fait que l’orbe flotte plus que le filament ne dicte réellement ses mouvements. L’oeil impassible sans iris ni pupille observe les agissements étranges de la jeune femme lorsqu’elle semble être reprise d’un accès de céphalée, et la Juge craint l’espace d’un instant qu’il ne soit trop tard.
Ça empire.
Encore.
Il n’est pas trop tard.
Non.
Mais il faut continuer de l’occuper et il va falloir augmenter les enjeux.
... Oui.
L’entité pluri-millénaire dresse pour la première fois sa garde devant Myriem sous l’anticipation d’un nouvel assaut, mais en voyant la jeune femme porter plutôt une main à son cache-oeil et murmurer deux mots flagrants, la pupille indistincte de l’iris noirâtre s’écarquille un peu plus. Si la Juge a bien entendu ce qu’elle pense, la situation est un peu plus grave que ce qu’elle avait initialement estimé.
Elle est déjà réveillée.
Non, pas encore, elle lui a toujours parlé en utilisant sans doute son propre subconscient comme un écho de sa volonté, elle n’est pas encore là à proprement parler.
Nous n’en sommes pas sûr.
Non.
Savoir se met en position, prêt à éprouver Myriem pour cette dernière frappe un peu gentillette, une de ses jambes délitée placée légèrement en avant et fléchie, la main humanoïde du Démon attrape fermement la garde de sa lame et la positionne à l’horizontal contre sa cuisse, l’autre bras décharné vient soutenir le premier et certains des petits groupes de serres avides attrapent la lame même au dessus de la garde. Prêt, l’entité poly-oculaire attend la venue de Myriem mais se laisse surprendre lorsque la jeune femme s’élance d’un coup vers lui.
De la magie?
Son éventail de maîtrise arcanique doit être beaucoup plus large que nous l’avions premièrement estimé.
Sous l’effet de surprise, le Démon perd déjà un dixième de secondes, la réévaluation de son temps de réaction avant l’impact de l’arme de Boktor contre sa cuisse l’informe de son temps restant pour mettre sa propre réponse en place, réfléchissant rapidement à ses possibilités grâce aux mémoires accumulées de centaines d’escrimeurs, Savoir trouve facilement la réponse à la frappe en estoc de Boktor et déjà son corps réagit, ayant parfaitement conscience qu’à cette vitesse il ne pourra pas esquiver avec le retard qu’il a déjà accumulé sur le coup il se voit obligé de reculer pour gagner quelques précieux centièmes, utilisant ensuite tout son torse dans une rotation synchronisée avec le mouvement de son bras, la lame du Jugement traverse l’espace entre lui et Myriem pour venir chercher l’acier de Boktor et le chasser latéralement de sa trajectoire, mais alors qu’il s’apprête à entrechoquer les fers, la jeune femme continue sur sa lancée et d’une torsion du poignet, les deux armes tournent dans les airs sans se toucher tandis que la frappe de Boktor se recalibre pour devenir une taille.
Astucieux.
Oui.
Et grâce à la distraction de la Juge concernant la condition de son élève, à l’effet de surprise, à la vitesse de Boktor et à sa ruse, l’effort de son élève finit par payer quand le fil de sa lame trouve une des tiges de sa jambe gauche racinaire. L’épée de la Baronne découpe la chair artificiellement préservée du Démon et le petit appendice tombe à terre, ses quelques serres gesticulant encore à peine avant de s’immobiliser sans que Savoir ne pousse de quelconque cri ni ne réponde à une douleur qui s’avère être inexistante.
La Juge s’arrête dans son geste tandis que l’épée de Boktor finit sa course contre le pavé froid de l’entrée du Compendium avec un bruit clinquant, difficile de vraiment déterminer si le regard du Démon poly-oculaire est fixé sur sa jambe entamée, sur le petit morceau de lui qui git au sol ou s’il erre même quelque part sur Myriem, mais quand Savoir reprend son geste après quelques dixièmes de secondes d’hésitation il est bien évident que toute son attention est rivée sur son élève. Savoir relève son arme, et cette fois il prend le pas sur l’offensive.
La condition réelle, diffère de la théorie et de la pratique délibérée grâce à l’incertitude et à l’asymétrie d’information entre les deux pratiquants, ces deux facteurs permettent d’intégrer l’élément de réflexion instantané sous un stress fidèle à l’exercice vérit-
Oui. Douleur et peur sont d’excellentes enseignantes…
...table. Le niveau de difficulté d’un exercice doit cependant toujours être calibré au niveau de compétence de l’apprenti afin de garantir qu’il n’entre pas dans un état de désespoir face aux obstacles qui lui sont opposés auquel cas le sujet risque de se tétaniser et/ou d’aborder l’ex-
... en bonnes mesures. Boktor se fait son propre adversaire, elle affronte ses propres épreuves dans ses propres termes.
... ercice avec une attitude non constructive. Il est donc non seulement primordial d’établir des enjeux qui intéressent l’élève sans pour autant lui faire croire qu’il n’a aucune chance d’accomplir son objectif.
Afin de faciliter les choses à Myriem pour pouvoir la mettre en bonne condition, les mouvements initiaux de Savoir se font simples à lire et le Démon commence déjà par des frappes latérales en abusant du flanc gauche de la jeune femme pour l’inciter à parer plus facilement. Contournant la maelienne taille après taille, les jambes racinaires de Savoir le font se déplacer sur le côté et il libère ainsi le passage pour que Myriem puisse reculer de plus en plus vers le centre de l’entrée et avoir le plus d’espace possible. Utiliser sa vitesse pour rendre ses frappes plus dangereuses était déjà une chose pour la magicienne, mais face aux assauts du Démon son faible gain en rapidité agissait surtout comme une bouée de sauvetage. L’Encyclopédie Martiale de la Juge se révélait pernicieuse puisque même sans l’avantage de vitesse, les enchaînements de Savoir profitaient au mieux de la continuité de sa posture et chaque frappe déviée semblait lui permettre d’amorcer la prochaine. L’assaut continu permettait au monstre poly-oculaire de réellement faire suer de Boktor sans lui laisser de répit. Une fois sa cible attirée au milieu de la pièce, Savoir s’écarte d’un coup de quelques pas et profite de ce bref instant d’accalmie pour mettre en garde Myriem:
”Bats toi pour ta vie.”
Éva repositionne sa lame une nouvelle fois en ouverture et fond sur la Baronne. La première frappe latérale en balayage est négociée par la jeune femme mais à sa surprise, le Démon continue d’avancer vers le flanc droit de son adversaire et inverse sa prise sur la lame pour écarter l’arme de Myriem, le Démon vient ainsi au contact de la bretteuse et son bras humanoïde assène un coup de poing qui l’attrape aux côtes. Quand la magicienne fléchit de douleur et reporte instinctivement son arme du côté attaqué pour éloigner Savoir, l’Épée du Jugement profite de cette opportunité, Savoir pivote son corps pour soustraire son bras gauche à la lame de la Baronne et la sienne tenue à l’envers délivre une estafilade à sa cuisse. La jambe racinaire de l’aberration fait bloc et tandis que le monstre lève sa cuisse, son épée empêche celle de Myriem de défendre et l’azsharien assène un chassé sur le membre touché, envoyant la magicienne à terre. Savoir s’écarte de nouveau de quelques pas et la voix d’Éva s’élève, calme, féminine, son timbre maternel contraste avec la froideur et la dureté de ses gestes.
”Soigne toi, relève toi, continue.”
L’arme de Savoir revient en position d’ouverture, la sphère noire d’Éva ne laisse transparaître aucune émotion, aucune retenue.
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Myriem de Boktor
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Le Baptême de l’Âme
Savoir & Myriem - Message 3
Pour tout avouer, je n'étais pas en confiance, le combat à l'arme ce n'était pas mon point fort mais j'étais volontaire et têtue. Mais j'avais une qualité, je me donnais toujours entièrement à la tâche, je ne savais pas ménager mes efforts et je voulais réussir. Un peu d'orgueil mal placé probablement.
Ma dernière attaque, avec une surprise poussée par la magie, n'allait pas contre les lois d'un duel et dans le fond, il m'avait dit de l'attaquer sans préciser quoi que ce soit. J'étais une mage avant tout et je devais pouvoir me servir de mes capacités pour réussir à faire ce que je souhaitais non? Plier la trame et la mana selon ma volonté et mes besoins !
Finalement, et sans surprise malgré tout, il anticipe toutes mes attaques, et les rares feintes ou techniques que je connais sont sans effet sur lui. Comment un être qui parait si bancal et cassé peut-il bouger si facilement et réagir si promptement au demeurant. Néanmoins à ma propre surprise je réussis enfin à le toucher et arracher un bout de chair, un lambeau infime qui aurait du arracher un cri de douleur, mais non... la douleur ne l'affecte pas, il est au delà de ce concept même de par sa nature, sa naissance.
Par contre ma petite victoire n'est qu'un contretemps pour le démon poly-oculaire. Il change de posture et surtout de méthode. Il n'observe plus mes tentatives d'attaque qu'il repoussait en esquissant des gestes simples, non il passe à son tour à l'offensive. Hélas mes appuis sont peu stables et je suis vite prise au dépourvue par ses changements de quarts, ses feintes, sans même parler de son allonge bien supérieure à la mienne grâce à ses bras immenses et sa taille. Désavantagée je le suis de base à tous les points de vue mais je ne lâche rien.
Dans mon esprit je garde l'information qu'il est privé de sa magie et pas moi. Et dans l'air de ce lieu antique, des choses sont cachées dissimulées et étrangement mon regard se perd dans les illusions du lieu et il me semble parvenir à les comprendre, je vois les tissages, je perçois la trame qui les composent, comment la mana est agencée pour réussir ses exploits. Est-ce normal? Tout le monde en ce lieu peut-il voir et percevoir le tissage des illusions?
Je n'ai guère le temps de m'interroger plus avant car je me concentre sur mon adversaire. D'abord ses attaques sont simples, prévisibles, il est un véritable maitre d'armes qui pousse mon corps à réagir par des biais instinctif, des mouvements connus, des répliques standardisées à des attaques conventionnelles. Cela me convient autant que cela me rassure. Le mouvement s'accélère et la danse s'intensifie et surtout s'il semble ne pas être ennuyé le moins du monde par tous ces exercices, je ne suis qu'humaine et ma condition fait que je m'épuise plus vite que lui.
D'un coup il parle et prononce une phrase qui sonne comme une sentence, se battre pour ma vie? Sur le coup je veux lui répondre que je ne fais que cela. Sa nouvelle attaque est rapide et si je crois l'avoir esquivée je suis surprise par le coup de poing qui me coupe la respiration. Je ne comprends pas comment c'est arrivé, mon regard perdu dans le vague est comme moi, dépassé par l'action et alors que je ne peux pas réagir je sens l'acier froid qui déchire mes chairs. La lame du jugement vient de frapper pour la première fois et la douleur est cuisante, brûlante autant que mon incompréhension et ma colère, oui je m'en veux de ne pas être meilleure.
Il recule et m'ordonne de me soigner. Qui est-il pour m'ordo... Je soupire et m'assoie, sur un rocher. Je tends ma jambe, la blessure est profonde mais je ne risque pas de mourir. La douleur m'envahit et je n'ai nul moyen de la faire partir, je ne peux y résister. Alors je serre les dents et je retiens des larmes de douleur. Mes mains passent au dessus de la plaie et je libère ma mana. D'abord je plonge mon regard dans mes chairs, profondément pour m'assurer que nulle cochonneries n'est entrée. J'en perçois quelques traces et je la purifie à l'aide de ma magie, de l'eau pure glisse sur la plaie, s'insinue et nettoie le tout puis lorsque c'est réellement propre je change de sortilège. Je continue d'user de ma magie de soin mais cette fois ci pour forcer la production de cellules, retisser les chairs, ressouder la plaie. Je fais cela vite et bien. Ma cuisse est douloureuse et les soins n'enlèveront pas cette sensation. Seul le repos et le temps l'apaiseront mais visiblement ce n'est pas pour de suite.
J'attrape ma gourde et je bois deux gorgées d'eau, je n'en propose pas au démon, il ne se sustente pas enfin il n'en pas besoin. Je me relève et je reviens vers lui. Je me mets en position et grimace, plier la jambe tire sur la cuisse, je vais devoir improviser autre chose si je veux réussir. Dans le fond, de nouveau de perçois ces fils et si...
Je me mets en garde et avant de m'élancer je lance ma magie vers ses fils et je les fais miens, la mana du lieu m'appartient, je peux la manipuler je m'en rends compte. Est-ce l'endroit qui est spécial ou une capacité qu'il m'offre? Je ne sais pas mais je prends cette mana et la plie à ma volonté. Je tisse devant moi une illusion de moi, du moins c'est ce que j'imagine. Une image de moi qui agit une vingtaine de centimètres devant moi. Et je m'élance, drapée de ce voile d'illusion. Je me fends vers l'avant pour frapper Savoir espérant que ma ruse pour ma survie sera utile ou le perturbera assez pour que je puisse poursuivre la leçon, que j'en sois digne (petite illusion P1, Mymy découvre cette capacité et montera au P3 durant l'entrainement).
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La sphère noire de la Juge observe attentivement les mouvements de Myriem, elle regarde patiemment la jeune femme se redresser après avoir soigné sa jambe, gigoter sur ses appuis en sentant sa cuisse encore sensible, boire deux gorgées d’eau et se ressaisir en laissant son oeil unique trainer un peu aux alentours. Savoir la jauge silencieusement tout du long, chaque geste de la Baronne fait l’objet de l’observation inquisitrice d’Éva, elle relève la manière dont la mage agit, la manière dont elle époussette ses jambes, dont elle pose sa main sur sa cuisse, dont elle boit, chaque geste est estimé par la Juge pour déterminer la volonté dont Myriem fait preuve à aller de l’avant et à braver les obstacles qui se dressent sur le sentier noueux de son existence. Les mortels ont cette capacité unique que Savoir en tant que Démon n’effleurera jamais du bout des doigts, à pouvoir tout donner pour la poursuite d’un but. La distinction est fine pour le tier mal avisé, puisqu’en tant qu’âme éternelle dans le cycle des réincarnations le Désintégrateur d’Azshary se fiche bien de perdre son enveloppe corporel ou n’a cure de rejoindre le Royaume des Gardiens, l’enjeux n’est pas autant élevé pour lui dans le combat perpétuel de l’existence qu’il ne l’est pour les éphémères âmes humaines et autres mortels dont la pérennité même est menacée par l’égrainement inéluctable du temps. C’est cette menace fatale qui rend les êtres humains aptes à repousser leurs limites, à braver leurs propres croyances les plus fondamentales pour affronter l’adversité. Savoir, dans sa placide rationalité, ne se risquera jamais à affronter un danger qu’il estime improbable de vaincre, mais les humains n’ont pas ce luxe, ils n’ont comme unique solution face à la mort que la victoire et la croyance parfois absurde qu’ils pourront triompher de l’impossible.
Cette capacité précieuse, Éva la cherche sans relâche chez chaque mortel qu’elle rencontre, éprouvant le potentiel des hommes à surpasser les montagnes de leur destinée. Que ce soit en pesant la puissance des âmes devant celle du Désintégrateur ou en testant le poids des connaissances dans la balance de la civilisation, la Juge porte un intérêt injuste envers ceux qui parviennent à éveiller sa curiosité. Chez Myriem, cette curiosité est née le moment même où la jeune femme est arrivée devant l’entrée des souterrains de Bénédictus, prétendant qu’elle avait participé à l’éveil de l’Entité Sombre, sa détermination et ses capacités magiques avaient immédiatement frappé la Juge pendant le reste de l’excursion et désormais, en regardant Boktor se remettre en garde en face d’elle, Éva voit de plus en plus l’étoffe d’un Champion des Mortels se dessiner dans ses gestes.
L’ouverture de Boktor est la même qu’une des fente qu’elle a essayé tantôt, la dure professeur n’y voit pas là la marque d’un irrespect ou d’une naïveté mais plutôt la volonté de réessayer une approche valide en étant déterminée à apprendre à la faire fonctionner, comme précédemment, Savoir esquive sur le côté en utilisant la totalité de son corps dans le mouvement. Ses jambes racinaires décalent son corps latéralement tandis que ses lombaires encore humanoïdes orientent son torse de travers pour affiner son profil et le mettre hors de course de la pointe effilée qui se rue dessus. La Lame du Jugement vient également écarter l’estocade en marquant un contact avec l’épée de la mage et le Démon profite de cette fente pour continuer d’asséner la même première leçon à Myriem, de la même façon qu’il a frappé les côtes de Boktor tantôt avec sa main libre, la dextre de Savoir plonge vers la prise de la maelienne sur son arme pour prendre le contrôle de son épée, mais…
?
...
Quelque chose cloche, Savoir ne saurait dire quoi dans l’instant, mais une sensation de picotement titille l’arrière-pensée de la Juge tandis qu’elle laisse ses gestes être guidés par les connaissances accumulées de l’Encyclopédie Martiale. Il y a une erreur quelque part, un stimuli qui n’est pas comme il devrait, une perturbation qui ne stimule pas les informations auxquelles s’attendait le Démon de la Connaissance et qui lui fait prendre conscience que quelque chose ne fonctionne pas. Trop peu de temps pour y réfléchir, trop peu de temps pour réaliser que c’est le poids de l’épée de Boktor qui ne fait pas levier avec la bonne force contre la sienne selon le point d’impact des deux lames, et lorsque la main humanoïde de Savoir se referme autour du poing de Myriem pour attraper la main de la jeune femme, le Démon perturbé met une seconde à se rendre compte de la supercherie, seconde pendant laquelle l’acier de Myriem ouvre les tissus morts de son poing refermé sur la lame en glissant dedans.
?!?
Réaction propre à toute incompréhension, Savoir relâche la lame de Boktor tandis que de ses doigts se déverse un sang noir et stagnant qui tache le sol déjà crasseux de la salle. Brandissant sa lame en l’articulant dangereusement avec ses serres décharnées, Savoir impose une distance avec son adversaire et l’empêche de s’avancer vers lui, la noirceur de l’oeil d’Éva ne transparaît toujours d’aucune émotion, aucun état d’esprit et pendant que le Démon décrit des cercles lents autour de son élève, l’aberration réfléchit.
Il s’est passé quelque chose, notre perception sensorielle est correcte.
Hypothèse…
... Elle ne l’est pas...
Observation…
... Nous avons refermé notre poigne autour du manche et nous nous sommes blessé en empoignant un tranchant large et effilé…
Conclusion…
... Ce que nous avons cru être le manche de l’épée de Boktor était en fait la lame et notre perception sensorielle est altérée.
Ou?
Ou?... Ou… Notre perception sensorielle est correcte mais c’est la réalité qui ne l’est pas.
Myriem de Boktor a déjà montré être une femme avec une grande affinité magique, ce lieux est rempli d’arcanes illusoires, nous connaissons la magie qui protège le Compendium mais si nous sommes victimes d’illusion, ce n’est pas celle là, la probabilité que la magicienne ait réutilisé un arcane similaire est par contre, passablement élevée.
L’autre option est qu’une action d’un parti tiers a provoqué cette altération de leur vision, Savoir l’élimine d’office en inspectant simplement le comportement de Boktor pendant qu’il lui tourne autour et qu’ils se gardent mutuellement à bout de lame, la magicienne le sait dépourvu de magie en l’instant T, si elle avait également relevé quelque chose d’anormal au niveau de sa perception et qu’elle n’en était pas elle-même l’instigatrice, alors elle saurait d’office qu’une troisième entité se trouvait avec eux dans la salle. Son comportement calme et placide démontre au contraire que selon elle, tout est parfaitement normal.
Malédiction, clonage, magie illusoire, effet de lumière, prouesse d’arme, vitesse supra-luminique…
Les possibilités sont nombreuses mais la Juge se permet d’en rayer plusieurs d’office, elle ne peut cependant avoir le coeur net sur la ruse utilisée par Boktor qu’en retentant l’expérience différemment. Savoir abaisse son arme et s’immobilise, signe pour la jeune femme qu’un nouvel échange se prépare, une fois en position, l’Arme des Veilleurs s’élance droit vers la jeune femme et essaye une première frappe de taille latérale que la mage pare avec élégance, l’attaque classique permet au Démon de mieux la maîtriser et en mesurer ainsi les sensations, et cette fois c’est dans sa propre force contre l’épée de Myriem qu’il remarque l’anomalie. Il y a une dissension entre l’inclinaison de ses serres par rapport à l’axe de son bras et le visuel du blocage de la Baronne, l’angle que Savoir ressent avec ses os éclatés n’est pas concordant avec le point de contact, comme si l’Épée du Jugement avait un bras de levier plus grand que celui qu’Éva perçoit. Repliant soudainement sa masse informe contre ses viscères décharnés, l’engeance hérétique décide de mettre à l’épreuve sa nouvelle hypothèse en effectuant un nouveau balayage avec une allonge toute particulière, cette fois l’arme de la Juge vient chercher celle de Boktor du bout de sa pointe seulement, et la pupille noire indistincte de son iris s’écarquille brusquement en voyant son acier traverser celui de son adversaire. Littéralement. Enchaînant immédiatement avec cette nouvelle donnée, le Démon poly-oculaire fait pas après pas en avant pour essayer frappe après frappe d’échanger avec Boktor, évitant soigneusement d’entrer en contact avec Myriem tout en réassurant la distance régulièrement avec de larges balayages offensifs.
...
Sous le silence observateur de l’oeil hypermnésique, la Juge continue ses assauts en redoublant de méthode, étudiant les mouvements de Boktor jusqu’à les voir ralentir quand la fatigue reprend naturellement ses droits sur sa condition organique. Face à face, Éva dépose soudainement son arme debout en calant sa pointe dans l’interstice entre deux pavés du sol, l’optique complètement noir de l’oeil du Jugement fixe alors la jeune femme en nage et sa voix doucereuse résonne dans le hall du Compendium:
”La nécessité pour une magicienne de ton calibre d’apprendre à te battre à l’arme blanche est caduque si tu uses de magie. Nous avons la certitude de ta tempérance arcanique dans cet exercice, si tu cherches à acquérir une nouvelle compétence il te faut d’abord questionner les conditions de son application, et s’il y a une situation qui te nécessite de prendre une arme en main, n’est-ce pas là un problème que tu puisses résoudre plus facilement avec tes arcanes? Si la réponse est non, alors pourquoi apprendre à bretter en usant de ta mana?”
Savoir fait un pas en arrière et laisse la Baronne récupérer de son côté tout en continuant:
”En situation de combat, le but n’est pas de délivrer une performance académique d’escrime, il n’y a qu’une unique option vaincre ou mourir.” Le globe oculaire aussi opaque que la nuit se couvre d’une paupière protectrice pour le refermer tandis que Ra reprend le dessus, sa voix nasillarde et agaçante parle rapidement sans interruption. ”À ce but il n’y a pas de règles comme en affrontement singulier ou en duel d’honneur, il est fortement recommandé par la plupart des experts de mettre l’entièreté de son corps à profit pour garantir sa propre survie.”
Contre toute attente, Savoir serre son poings entaillé, manipulant les tissus pourtant endommagés qui devraient être dysfonctionnels d’un point de vue biomécanique grâce à sa nature démoniaque. ”Ton bras qui ne tient pas l’arme est tout autant pernicieux que celui qui porte l’épée, de même chaque esquive se fait avec la totalité du corps, le débutant doit exagérer ses gestes pour découvrir comment utiliser chaque muscles, seul le vétéran a le luxe de savoir quels gestes économiser pour pouvoir faire les mouvements les plus efficaces et optimiser son art.” le Démon poly-oculaire approche de Boktor et ses genoux semi-humains se plient pour soutenir son poids sur ses tibias filandreux et racinaires. L’oeil de Ra apporté ainsi à hauteur de l’unique améthyste de son élève s’approche de son visage en fixant de sa minuscule pupille orangée l’oeil de Myriem. ”De même ce n’est pas le tranchant de ton arme qui est dangereux mais la vitesse et la force contondante appliquée sur une aussi petite surface au contact des tissus. L’art de l’escrime prône la grâce du geste et l’élégance du combat, mais en réalité…” De sa main humaine, Savoir attrape l’arme de Boktor à même l’acier, sa main pince le plat de la lame entre ses doigts fermement pliés les uns contre les autres d’un côté et entre la paume du pouce de l’autre. Comme par démonstration de son propos, le Démon tire mollement sur l’épée pour montrer à la jeune femme le contrôle qu’il exerce sur l’arme. ”Ce n’est pas simplement utile pour maîtriser un adversaire au contact, ce serait même dangereux puisque ta condition de femme te met au désavantage de force brut contre un opposant mâle et risque fortement d’entraîner une blessure conséquente pour toi, c’est également une façon de gagner en moment de force pour toi.”
Ra retourne s’emparer de sa propre épée et marche calmement jusqu’à Myriem avec sa propre lame, arrivé à son niveau, Savoir saisit sa lame au niveau du manche par son bras décharné et attrape de ses doigts humains l’acier de l’Épée du Jugement. Maniant donc son arme en demi-épée, le Démon brandit sa lame et invite Boktor à en faire de même d’un haussement des bras. Il pousse doucement Myriem en faisant pression de son arme contre la sienne et démontre ainsi le développement de puissance possible avec une telle technique.
”Cette méthode a pour la première fois été renseignée par Delitien Falracius en moins trois cent soixante mille sept c…”
La pression sur Boktor s’accroit soudainement quand Savoir force de plus en plus sur son arme, cette fois l’orbe d’Éva s’ouvre avec un crépitement électrique tandis que la paupière de Ra disparaît de nouveau mais l’orbe noire n’est plus ça, l’écran opaque de son iris d’encre est ce coup ci taché d’une unique pointe de bleu, une minuscule étoile unique dans cette sphère nocturne, l’oeil d’Éva a retrouvé une infime rémanence de son apparence originelle:
”En garde maintenant.”
Accroissant sa force soudainement pour repousser Myriem en arrière, la Juge ne lui a offert en tout et pour tout qu’un court répit avant de remettre le pieds à l’étrier.
”Assimile ce que tu as appris, réutilise le, approprie toi-le et modifie le pour faire de nouveaux essais. Pas de magie, tu n’as pas le droit à l’échappatoire.”
Il y a maintenant près de six mois que le Premier des Sept avait entraîné Louise pour l’ouvrir au potentiel d’Espoir, la session avait duré des semaines entières et ils s’étaient battus sans relâche sur les ruines de la Grande Place de Jiroquai, à l’époque le sujet même de ce mentorat portait sur les arcanes et la méthode de l’intransigeante professeure était bien différente, mais cette fois le duo de Ra et d’Éva se montre toujours aussi ferme envers la Baronne, mais bien plus doux.
Citoyen du monde
Myriem de Boktor
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Le Baptême de l’Âme
Savoir & Myriem - Message 4
"Bats-toi pour ta vie"
C'était ce qu'Eva avait dit et je faisais comme si c'était le cas. Dans le fond avais-je confiance dans Savoir? Au fond de moi, la réponse était un grand "non" de par sa nature même, ma vie, mon passé, ma culture me disait de me méfier de lui, des siens, les démons n'étaient pas fiables, jamais.
"Pas plus que toi, tu es faible et incapable d'aller de l'avant."
Je grimaçais, fronçant de nouveau les sourcils tout en tentant de rester concentrée sur mon combat, ma leçon.
"Ca sert à rien, tu n'es qu'une pauvre girouette."
Chaque fois que mes voix intérieures se manifestaient, en moi grandissait un sentiment oppressant et omniprésent depuis des mois, amplifié par le Chant des Ronces: la culpabilité et j'étais incapable de me défaire de cette sensation atroce qui me paralysait en réalité, me donnait l'impression de ne pas pouvoir avancer.
"Bats-toi pour ta vie"
Les mots de Savoir aussi résonnaient dans mon esprit, s'immisçant entre les moqueries et railleries de mon esprit malade et c'étaient ces mots là auxquels je devais me raccrocher. J'allais peut-être mourir ici et maintenant, après tout, j'avais accepté d'être jugé par Eva et je savais que ce n'étaient pas des mots en l'air, le démon n'avait nul second degré, ses paroles, ses actes, rien de dissimulé.
J'ai donc tenté pour survivre à ce combat d'utiliser la magie alentour, percevant que je pouvais m'en servir d'une façon nouvelle, inédite, le lieu m'offrait un point d'ancrage auquel je n'avais jamais encore pensé. Et visiblement cela avait fonctionné. L'illusion de moi, décalée, comme un bouclier à quelques centimètres avant... Cela avait réussi à perturber le juge. Sa main pensait se saisir de mon poigne et avait finalement récupéré la lame de mon épée dans la sienne. Un autre aurait souffert, mais il ne ressentait pas la douleur, une chance pour lui.
Entendre le démon analyser chacun de mes faits et gestes est déroutant il faut l'admettre. J'ai l'impression d'être un livre qu'il étudie et dont il commente chaque page, chaque paragraphe. Un auteur qui fait ses corrections de texte sur une histoire non encore terminée. L'histoire c'est moi et il est le correcteur en ces instants. Il y a des ratures et des ratés mais certains chapitres semblent convenir enfin c'est ainsi que je le comprends, car je suis moi aussi démunie face à cet être sans émotion. Je suis empathe jusqu'au bout des ongles depuis toujours, je vis au travers des émotions des autres, je ne m'en nourris pas comme certains démons justement, non, je les perçois et ce sont mes points de repère pour réagir... Mais Savoir? Indéchiffrable...
" Tu es trop sotte pour comprendre en fin de compte".
J'ai envie de hurler à ces voix de se taire, pourquoi est-ce qu'elles reviennent en force d'un coup, que ma tête bourdonne comme jamais, je ne parviens pas à faire refluer la douleur, c'est... Je n'ai pas eu jusqu'à présent le syndrome du membre fantôme, l'oeil, sa perte c'est particulier, j'avais été soignée par Cyradil et je n'avais pas de séquelles physiques suite à mon énucléation. Mais là... J'ai l'impression que cela me démange, mon oeil me gratte, j'ai envie de frotter, d'enlever ce maudit cache oeil et de gratter... mais il y a rien d'autre qu'une cavité vide recouverte d'un voile de peau qui a été retissé en protection naturelle. Un voile léger, du tissu cicatriciel que mon corps a produit pour protéger mon orbite de toute intrusion de microbes malgré ma paupière. Et là...
Je continue de tenter des coups et des feintes, et le principe de l'illusion fonctionne à moitié, car Savoir se méfie et naturellement il a décalé son approche, il est en retrait et de fait s'il ne me touche plus je ne parviens pas plus à faire mieux. Il est inaccessible pour moi. Sa voix de nouveau déchire le silence du lieu, campée sur mes jambes, je m'appuie sur mon épée, posée au sol. Je profite de cet échange verbal pour reprendre mon souffle, ma condition physique bien que normale n'est pas celle d'une guerrière, loin s'en faut.
- Tu n'avais pas précisé de règles. Tu m'as bien donné un coup de poing tout à l'heure, ce n'était pas... de l'escrime que je sache. Je me suis adaptée.
Je me sens comme une enfant prise en faute en un sens, et ma réplique n'a de sens que pour moi, une excuse rien de plus, qu'il n'entendra pas ou ne prendra pas en compte, je pense avoir compris malgré tout son raisonnement. Le second degré n'ayant pas lieu d'être il me faut me montrer analytique moi aussi et donc honnête tout simplement.
- Je veux apprendre à me battre oui mais je suis une mage avant tout et ça me semble logique de pouvoir surprendre par la magie un adversaire non? L'art de la guerre est écrit par les survivants après tout et si mes compétences ne sont pas académiques est-ce grave? Bats toi pour ta vie tu m'as dit, c'est ce que j'essaie de faire Savoir.
Une de ses personnalités est d'accord avec moi mais pas Eva, c'est Ra si j'ai bien compris qui analyse tout comme si la vie était un ouvrage permanent. J'écoute cependant chaque mot prononcé avec un vif intérêt, tout est instructif, tout est bon à apprendre "même pour une bonne à rien bien entendu, garde tes remords, morfonds toi, c'est ce que tu fais de mieux avec pleurnicher sur tes malheurs, laisse tomber." Mais pourquoi ces voix persistaient, pourquoi aujourd'hui plus que jamais, j'avais pas besoin d'un conflit intérieur, je voulais progresser bon sang, je voulais me montrer digne de Louise, des Veilleurs, je voulais suivre l'Espoir et pouvoir dire que je l'aidais, c'était mon objectif ! Mais une partie de moi ne semblait pas convaincue par cette idée.
Je suis toujours en train d'écouter l'analyse de Ra quand Savoir se saisit du plat de ma lame. Par réflexe je la retiens bien entendu et je tente de comprendre la leçon donné en cet instant. Je comprends bien que je dois me battre intelligemment, pas me laisser porter par une force ou une endurance que je n'ai pas.
- Je l'entends bien, mais pour réussir à surprendre, pour être vive et efficace je vais donc devoir répéter des gestes jusqu'à ce qu'ils deviennent presque aussi naturels que respirer du coup. La maitrise est ma seule chance, faire confiance ensuite à mon corps pour réaliser des gestes appris et mémorisés, comme lorsque je soigne, je ne réfléchis pas à comment je pose les mains, comment faire pression c'est devenu instinctif avec le temps et la pratique. Mais là nous sommes d'accord que je n'ai pas des années devant moi en ce lieu à tes côtés pour apprendre.
Autant être réaliste et surtout... j'avais comme un besoin irrépressible de partir d'ici, avec l'intensification des voix, était née comme une nécessité de partir, étrange. Ra me donne une leçon pratique, une technique, tenir son épée par la garde certes mais aussi par la lame et ainsi avoir plus de force pour réagir à un contact prolongé alors qu'à un seul bras on perd forcément en puissance. Intéressant (:popcornpan:) dans le fond. J'acquiesce à ses propos et à ce moment Ra laisse de nouveau la place à Eva, la leçon théorique est terminée, on retourne à la pratique.
La pression sur mon épée se fait plus forte et le combat reprend. Cela me semble tellement plus facile à dire qu'à faire que d'utiliser ce qu'on vient de me montrer. Mon corps déjà faiblit mais je me refuse à lacher prise, justement parce que mes voix me disent de me téléporter ailleurs, de quitter cet endroit, que c'est vain, je refuse de me laisser dicter ma conduite par... ma culpabilité. J'ai échoué, je l'ai ressassé mais je veux progresser !
Je recommence donc méthodiquement les postures de base, je me mets en garde, positionne mes pieds correctement et je passe à l'attaque, je me fends, je tente des coups de taille, de pointe, d'estoc. Et je recommence quand mon épée se fait balayer par le démon impassible. Par moment il me repousse violemment et je finis au sol, les quatre fers en l'air. Et je me relève, je recommence. Les passes d'armes s'enchainent et Eva n'a nulle compassion à m'offrir pour ma fatigue ou les blessures qui s'accumulent. Bien sûr Eva ne me blesse jamais beaucoup, mais j'ai des contusions multiples, des coupures aussi. Je ne parviens finalement plus à trouver le moindre souffle, chaque goulée d'air est douloureuse, cela fait combien de temps? Des heures surement que je recommence.
Je me laisse choir au sol, peu importe les paroles d'Eva, je ne peux pas aller plus loin, j'ai besoin d'un moment. Je bois de l'eau fraiche, deux petites gorgées, même cela c'est douloureux. Et le pire c'est mon oeil, il me démange, j'ai envie de planter mes ongles dans la chair pour que cette sensation s'arrête, cela couperait peut-être aussi la migraine qui tambourine aux portes de mon esprit et obscurcit mes pensées. Je n'en peux plus. Je fouille mon sac et je sors de la viande séchée, j'en mange deux morceaux et par principe j'en propose à Savoir, tout comme de l'eau fraîche. J'ai plus à manger mais cela ne servirait qu'à m'alourdir. Je laisse ma magie ensuite agir, je soigne les coupures, cicatrise les plaies, je ne ménage pas les soins sur mon corps, je dois être prête à poursuivre, je veux réussir ! Cette fois, j'ai enlevé l'armure de cuir, elle est lourde et j'ai besoin de me sentir plus légère, moins entravée dans mes mouvements, je sais que je risque d'être plus blessée mais je prends le risque, je dois trouver une solution pour utiliser mon corps à son meilleur potentiel.
Ai-je mis une heure ou deux, je n'en sais rien. Mon corps n'est que courbature alors je bois plus, sans eau mon corps ne peut gérer. Et je me découvre d'ailleurs des muscles, je savais qu'ils existaient anatomiquement parlant mais je les ressens pour la première fois. Je reprends mon épée et je me remets en garde. De nouveau je ferme les paupières la douleur sourde est intense et je peine à me concentrer mais je secoue la tête et fais face à Savoir de nouveau.
Je me remets en garde et je recommence, pour le coup je réalise qu'en dépit de la fatigue cumulée par mon corps, mes muscles eux réagissent mieux, étrange sensation. Je suis épuisée mais c'est plus simple de bouger, de me fendre, de tenter de frapper Savoir.
Je me sens plus légère et pour le coup, si je ne peux utiliser de magie je peux utiliser mon corps, je me concentre et par un biais que je ne m'explique pas totalement, je renforce la structure de mon propre corps, prête à le rendre plus résistant et moins sensible aux coups reçus (Renfo P1) et dans un même temps je veux pousser mon corps dans ses retranchements, utiliser ma vitesse pour surprendre (SV1). Et j'enchaine alors les attaques hautes, basses, je tente des feintes, je me retourne, laissant en apparence mon flanc accessible pour tenter une parade qui sera suivie d'une contre attaque, un revers sur la lame de savoir au niveau de sa garde.
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Savoir
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”Encore.”
L’oeil implacable de la Juge fixe son élève avec une froideur cruelle enveloppée de la douce mélopée de sa voix. Combien de temps ont-ils passé à s’entraîner tandis qu’Éva se permet de se montrer de plus en plus vindicative à l’encontre de Myriem? Combien d’heures est-ce que Savoir vient de consacrer à mener la mage en rond, à lui faire répéter les mêmes parades, les mêmes assauts, les mêmes feintes en ajoutant à chaque fois un élément de surprise ou un mouvement perturbateur? Dans ce lieu coupé du temps et oublié par le reste du monde, seul la fatigue de la jeune femme témoigne maintenant des efforts prodigieux qu’elle a dû déployer pour être toujours debout présentement. Le Démon la regarde ramasser une fois de plus son arme, passer une énième fois sa main sur l’estafilade qu’elle a encore encaissé, mobiliser sa mana encore. Encore. Encore. L’entité désobéissante aux lois de du réel ne paraît pas éprouver une quelconque forme de fatigue qu’elle soit physique ou mentale, son corps n’est pas organique, il n’a pas besoin d’évacuer le stress mécanique ou de générer d’adénosine pour fonctionner, son esprit n’est pas assujetti à un cerveau soumis aux lois de la chimie du vivant, pas plus qu’il n’est câblé de la même façon qu’un humain, Savoir est inlassable, comme la curiosité des hommes, comme leur soif de découverte. Éva adopte une des trois différentes postures d’ouverture commune qu’elle utilise depuis des heures contre Boktor et cette fois elle attend.
Depuis plusieurs heures qu’elle a quitté son cuir et gagné en constitution, Savoir le voit désormais, la mage semble intrinsèquement mieux comprendre les échanges de lame et intuitivement mieux prédire la suite de leurs mouvements, c’est encore faible, mais l’amélioration est perceptible. La courbe de progression des néophytes est toujours plus encourageante lorsqu’ils saisissent de nouveaux concepts et en assimilent les bases, c’est lorsqu’ils raffinent ces notions pour réellement les maîtriser qu’ils commencent à rencontrer les premières difficultés et que leur progression stagne, c’est fatalement là aussi que les premiers découragements se manifestent et que les moins déterminés finissent par abandonner. Dans le cas de la Baronne de Boktor, Savoir ne sent pas uniquement une volonté d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle entreprend, il détecte aussi une certaine application, une implication émotionnelle dans l’apprentissage de l’escrime qui trahit un intérêt personnel à l’acquisition de cette compétence. C’est justement parce que Myriem a quelque chose à protéger, qu’elle a une raison de se battre qui lui tient à coeur qu’elle est capable de puiser autant de force. Le Démon se fait de plus en plus intransigeant au fil des échanges pour palier avec le gain d’assurance de Boktor, il n’y a pas simplement son amélioration technique qui entre en jeu mais au fur et à mesure de leur entraînement la magicienne a également commencé à ne plus avoir peur de la douleur, ses gestes sont débarassés des tics de préservation qui parasitent ses offensives, elle a plus d’assurance et cela rend ses frappes plus décisives.
Éva regarde Myriem se redresser et affermir sa prise sur son arme, elle repasse encore à l’attaque et la Juge détecte cette fois quelque chose de nouveau, quelque chose qu’elle cherche à provoquer chez la magicienne depuis les heures entières passées à croiser le fer. De la défaillance. La fente avant de la mage est plus imprécise alors que son pieds tremble sous l’intense fatigue de Myriem, Savoir profite de cet aveu de faiblesse et dévie la lame de la mage sans broncher.
”Plus vite, plus fort.”
La Juge sait pertinemment que ce ne sera pas possible, les capacités terriblement humaines de Myriem ont déjà été exploitées à outrance depuis bien plus d’heures que son endurance ne lui permettrait autrement, quelques pas maladroits accusent la rencontre de l’acier contre l’acier et Savoir tire parti de la faiblesse de l’appui de l’apprenti pour rassembler les serres racinaires de sa jambe droite et frapper le mollet de la jeune femme en un balayage sournois. Lorsque l’épaule de Boktor rencontre durement le pavé après que ses jambes se soient dérobées sous elle, l’épée du Jugement ne s’abat cependant pas en guise de punition, la pointe s’arrête à quelques centimètres de Myriem sans sévir.
”Encore.”
La sphère quasiment noire d’Éva trône au dessus de la masse de chair informe de son thorax, constellée de quelques infimes taches bleutées, l’iris de la Juge commence enfin à vaguement délimiter les contours d’une pupille de par l’absence totale de point coloré en son centre, et le regard qui se devine ainsi dévisage Myriem, regardant ses mouvements lents et hésitants. Elle est au bord de l’inconscience et c’est exactement le but recherché par Savoir, l’épuisement total est le seul moyen de pouvoir lui offrir un réel repos avec ce qui est entrain d’évoluer dans son âme et conscience.
”Ne te relève pas. Ce n’en est plus la peine.”
La pointe de l’Épée du Jugement écarte doucement la lame de Boktor au sol et Savoir plie ses genoux chitineux pour s’abaisser à hauteur de Myriem, ses serres crissent contre les pavés de pierre et sa main humanoïde atrophiée par les échanges avec la mage vient incliner le visage de la Baronne pour qu’il puisse l’observer. Aucune sensualité, aucune chaleur humaine ni compassion dans ce geste purement pragmatique, la main de Savoir fait tourner la tête de la jeune femme pour constater que ses yeux peinent à rester ouverts, et lorsqu’il rompt le contact pour déposer son crâne contre le sol de pierre, elle paraît tout de suite sombrer dans le sommeil qui appelle les méritants.
Elle va bientôt se réveiller.
La voix de Ra résonne dans les pensées de la Juge, resté toute la nuit aux côtés de Myriem pour la deuxième fois depuis leur arrivée au Compendium, Savoir n’a eu aucune raison de bouger pendant que la jeune femme dormait par nécessité, ainsi le Démon est toujours prostré dans la même position où il l’a vu s’endormir plus de neuf heures auparavant. Deux jours passés à s’entraîner jusqu’à l’épuisement, deux jours pendant lesquels Savoir a utilisé le plus efficacement possible le temps qu’ils étaient obligés de passer ici pour enseigner les bottes les plus utiles et les meilleurs conseils de son Encyclopédie Martiale à la jeune femme. Si le temps lui manque pour pouvoir réellement devenir efficace à la lame, Myriem peut au moins compter sur l’optimisation de son temps d’apprentissage en vue de l’obtention de résultats et le meilleur moyen d’en obtenir c’est de se spécialiser. Savoir a ainsi poussé la mage à apprendre certaines techniques bien particulières et à les entraîner, elle ne serait sans doute pas capable de vaincre un guerrier avec une réelle éducation martiale, mais elle aurait au moins ses chances dans un affrontement en conditions réelles si elle parvient à s’octroyer les bonnes positions et des ouvertures favorables, c’est le mieux que la Juge pouvait tirer d’elle avec le peu de temps à leur disposition.
Deux nuits, deux effondrements de fatigues de la mage qui devenait maintenant presque maladive entre la dureté de l’entraînement, la faiblesse due à la faim et l’accroissement constant de sa condition psychique. Deux matinées à se réveiller devant Savoir, et cette fois la seule différence chez l’azsharien lorsqu’elle recouvre enfin ses esprits, c’est l’apparence du globe oculaire d’Éva. Doté de ses usuelles stries dorées et des particules azurées qui la parsèment habituellement, l’oeil aux couleurs cosmiques paraît dans toute sa splendeur au dessus de Myriem pendant qu’elle la regarde se réveiller.
”Nous avons récupéré nous aussi, il est temps d’avancer.”
Et l’heure est alarmante, pendant les trops longues sessions d’entraînement, l’engeance démoniaque pouvait tout à fait ressentir l’inquiétante progression de la signature familière qui émanait de plus en plus de Myriem. Cette sensation si particulière que Savoir n’a plus ressenti depuis longtemps mais que jamais il ne pourrait oublier, celle de la naissance d’une Soeur, celle qui empeste autour de la Baronne avec une force de plus en plus flagrante. Le Geôlier du Compendium sait que quoi qui couve à l’intérieur de l’enveloppe charnelle de la shoumeïenne n’en aura plus pour très longtemps avant de parachever sa conception, c’est encore incertain, la naissance pourrait prendre des jours supplémentaires, des semaines, peut-être un mois ou deux…
… ou des heures.
D’une impulsion télékinétique, Éva rappelle l’Épée du Jugement qui virevolte toute seule comme à son accoutumée pour revenir disparaître dans le tronc de Savoir en s’y enfouissant par delà la garde.
”C’est l’heure.”
Avançant jusqu’aux lourdes portes régénératrices de l’entrée, Savoir fait racler ses serres contre la pierre en se postant devant les ouvrages d’alliage magique. Le disque composé de lamelles effilées et imbriquées les unes dans les autres barre la route au duo de mages, et s’il leur serait possible de se frayer un passage par la force brute, le Démon préfère très largement ne pas y avoir recours dans ce sens là, attaquer avec une force colossale depuis l’extérieur du bâtiment pourrait endommager son contenu inestimable et surtout, Myriem doit être la plus faible possible pour le rituel tandis que le Gardien de la Connaissance doit au contraire conserver le plus de forces possibles. Debout face aux lourdes iris en fer altéré, Savoir observe les gravures en un mélange de dialectes elfiques et divina qui décorent chaque lamelle. Levant son bras décharné, l’aberration de la nature profite de ses capacités magiques retrouvées pour enfin transmuter une partie de son enveloppe charnelle en pure essence démoniaque, mais pas la sienne.
”Nous sommes composés de fragments d’âme à l’état pur, notre race est la résultante de l’amalgame de ces échardes de votre conscience, rassemblés jusqu’à former un nouveau tout, un tout conscient à son tour, un tout avec sa propre émotion lui donnant un prisme unidimensionnel à travers lequel voir votre monde.” La Juge fait pivoter son globe oculaire son soutien filandreux sans faire bouger le reste de son corps, pivotant derrière elle pour regarder Myriem qui s’aide contre un mur pour le rejoindre, son état s’est encore aggravé depuis la veille. Savoir ne perd pas plus de temps et enfonce son bras volatile d’essence démoniaque dans le point central des gravures sur l’iris de fer, insérant ainsi le fragment d’une de ses Soeurs. ”De par cette nature, il nous est donc possible d’obtenir un morceau de nos soeurs. Un… échange de fragments. En premier lieu lorsque les Titans existaient dans le Royaume Divin, ils créèrent d’abord la fabrique même de l’existence depuis le néant, ils façonnèrent ainsi la Réalité.”
Alors que les symboles elfiques s’illuminent concentriquement au fur et à mesure que l’énergie de Savoir se répand dans la porte circulaire, un nom elfique se dessine le long des pourtours de l’iris de fer pour épeler un ancien nom alchimique: Réalité. Peu à peu, les lamelles métalliques s’ébranlent pour coulisser vers les bords de la porte et dévoiler une deuxième porte identique derrière elle.
”Une telle création fit émerger par contraste la non-existence, le fantasme de ce qui n’est pas, ce qui cherche à être et ne sera jamais, le Rêve.” Une nouvelle manipulation, et la deuxième iris s’ouvre tandis que Savoir infuse le fragment d’âme du Prince des Songes dans la porte. ”Ces mondes déserts ne pouvaient cependant exister sans un sujet pour les voir, pour les considérer, au commencement il n’y avait qu’une seule habitante de ces mondes pour les peupler, la Mort...” Troisième porte. ”...et de son éternelle solitude jaillit une chose nouvelle, un sujet à l’inverse de la Mort, la Mort est éternelle, elle serait éphémère, la Mort est unie, elle serait tout à la fois, la Mort défait, elle ferait. Elle est la Vie.” Quatrième porte. ”Avec la Vie et la Mort pour peupler la Réalité et le Rêve vint l’entropie, le déséquilibre entre les dualités avait intrinsèquement engendré l’existence de deux autres Soeurs, deux autres entités qui prennent leurs racines même dans le combat perpétuel des balances. L’Ordre...” Une cinquième iris de fer s’ouvre en coulissant lourdement contre la pierre de l’entrée du Compendium. ”... et le Chaos.” Savoir projette une dernière fois son énergie démoniaque dans l’ultime porte qui se met en mouvement, affichant les mêmes inscriptions ancestrales que les autres tandis que ses lamelles de métal dévoilent cette fois l’intérieur du Compendium Daemonum. La pupille d’Éva rétrécit subrepticement à la vue de ces locaux dans lesquels elle a déjà passé plusieurs centaines de milliers d’années, le Démon maudit par les Fondateurs s’était constitué le Gardien de ces lieux, il avait rempli son office malgré lui, par la force des choses. Ironiquement, il pénétrait maintenant à nouveau ici par pure poursuite de ses propres objectifs, sans lien aucun avec la volonté des elfes ou celle de mortels. Sauver de Boktor, c’était doter la Mortalité d’un atout colossal dans la lutte contre les Titans, il n’hésite donc pas une seule seconde à retourner à passer le cadre immense de la porte pour faire quelques pas dans la salle commune.
Le Compendium Daemonum fut avant tout un projet de recherche de l’empire azsharien pour vérifier la potentielle utilisation des Démons contre les Titans ou du moins, pour étudier leurs capacités en vue d’apporter quelque chose à la civilisation elfique. Condamné hâtivement par l’impératrice lorsqu’il fut avéré que ces créatures répondaient à des lois trop ésotériques pour être aisément maîtrisées, Savoir et les Six Soeurs du Compendium furent enfermées à l’intérieur du bâtiment scellé pour empêcher d’autres aventuriers ou chercheurs mals avisés de fouiller dans des pouvoirs qui les dépassaient. La première pièce du laboratoire est donc une salle de repos et de communion pour les chercheurs de l’époque, servant principalement aux repas, à la détente et aux nuits de recherche que les plus zélotes passaient à gratter le papier ensemble plutôt que séparément dans les différentes ailes et bureaux.
”Par ici.”
Savoir pointe du doigt la grande double porte du fond au dessus de laquelle s’affiche un écriteau vierge depuis longtemps, ses inscriptions emportées par le temps et la lumière générée occasionnellement par le gardien des lieux. Des traces d’affrontement maculent quelques murs et certains des meubles sont endommagés par des marques de brûlure, le temps quant à lui, semble avoir bien plus épargné les locaux que ce que trois cent milles ans d’existence ne laissent suggérer. Le Démon s’engage dans la pièce et commence à la traverser en regardant de temps en temps la jeune femme qui le suit avec difficulté, la signature démoniaque qui émane d’elle s’est intensifiée encore plus depuis l’ouverture des portes, à n’en pas douter qu’avec l’éveil imminent de la nouvelle Soeur, elle doit sans doute se rendre compte du danger duquel ils approchent. L’entité poly-oculaire appose ses griffes contre le bois massif de la porte et pousse lentement en faisant hurler les gonds délabrés, dévoilant l’immense bibliothèque qui s’étale rayons après rayons sur une quarantaine de mètres.
”Par là.”
De l’autre côté de la salle, derrière l’autre grande porte qui fait face à l’entrée de la bibliothèque, Savoir sait que se tient la pièce rituelle du laboratoire, une chambre spécialement conçue par les elfes pour canaliser les présences ésotériques. C’est la salle que les chercheurs du Compendium ont utilisé pour finaliser l’existence des Soeurs dans le plan de la réalité, et c’est là bas que l’Arme des Veilleurs compte attirer Myriem. Si la pièce agit comme un catalyseur pour manifester les fragments d’âme amalgamés et a ainsi successivement permi aux Démons du Compendium de naître sur Sekaï, elle agira aussi comme une prison pour la Soeur qui fait sa genèse à partir de l’âme de la Baronne. Éva fixe la porte de la pièce rituelle avant de rediriger son regard vers la principale concernée, encore faut-il qu’elle arrive jusque là.
Citoyen du monde
Myriem de Boktor
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Le Baptême de l’Âme
Savoir & Myriem - Message 5
“Encore”
J’avais envie de lui faire avaler ce mot, je n’en pouvais plus de l’entendre, encore et toujours. Il ne se fatiguait pas, il ne répondait pas aux règles que ma condition humaine m’imposait, il ne pouvait pas comprendre et il n’avait pas la moindre empathie. Démoniaque tel était l’essence même de Savoir et dans toute sa splendeur si j’ose dire il s’élevait en maitre de séance, en maitre d’armes, impitoyable et oppressant.
”Encore.”
Je ne peux même pas dire qu’il agit avec malignité ou mesquinerie, non il n’y a rien de tout cela, je crois que je ne suis qu’un cas à étudier pour lui. Des statistiques, des observations, des interprétations suivies d’hypothèses nouvelles à tester, expérimenter : un vrai cobaye ! Qu’est-ce que je fais en ce lieu bon sang? Pourquoi suis-je venue de mon plein gré? Je suis folle assurément, il n’y a plus l’ombre d’un doute.
Et malgré cela je réponds “encore”, je me baisse, je ramasse mon épée, je me redresse, campe sur mes pieds, prends ma position de garde et je me lance à l’assaut de cette forteresse imprenable qu’est le démon de la connaissance, le désintégrateur d’Azshary. Mais j’ai l’avantage de mes défauts, je suis humaine, et j’ai une capacité à apprendre, à progresser, une marge de progression qui est grande et des limites qui ne cessent d’être répoussées. L’humanité à cela de beau que nous ne sommes pas figés, nous évoluons, nous échouons et nous apprenons tant de nos réussites que de nos erreurs, souvent plus de nos échecs. Et je ne fais pas exception à la règle.
La répétition, l'enchainement, les coups d'épée pour faire rentrer dans mon cerveau et mes muscles les mauvaises postures fonctionnent, je progresse et j'apprends. Je réponds aux sollicitations, cela quitte la réflexion pour aller effleurer le domaine de l'instinctif. Bien entendu ce ne sera qu'un début, les prémices de ces apprentissages mais une fois des bases solides acquises il est toujours bien plus simple de progresser.
Et alors que je laisse mon corps répondre, s'épuiser, se renforcer, mon esprit se repose, je n'ai pas réellement besoin d'analyser tout, et cela me repose aussi.
Epuisée physiquement je le suis, mon corps je le soigne, je le masse, je le nourris, je l'épuise mais mon esprit je lui refuse de me dicter ma conduite et cette maudite voix s'anime, s'agite, s'intensifie, elle n'a de cesse de vouloir me perturber et me faire quitter ce lieu et cela m'est incompréhensible. J'apprends et je m'améliore, hors du temps, dans un lieu hors de tout repère, je suis livrée à moi même et j'écoute celui qui est mon Mentor en ces instants.
J'ai moins de doute ou d'hésitation, mes coups sont portés avec force et vigueur et j'ose, je sais maintenant qu'en réalité Savoir ne risque rien de nos échanges, nos niveaux sont trop dissemblables mais il change aussi de techniques, complexifie ces enchainements pour me forcer à sans cesse renouveler mes attaques, mes parades et à tenter des esquives. Je tombe, je glisse, je roule, parfois, je saute avec élégance et je me retrouve hors de portée, le plus souvent hélas je ne fais que déplacer mon corps trop lentement et prise de revers je subis la douleur cuisante de l'échec et je sens la lame déchirer ma peau.
Plus vite, plus fort, encore, recommence, reprend, change ta posture, redresse toi, fais pas ci, fais pas ça. Je crois que je suis arrivée au stade ou je suis parfaitement incapable d'assimiler quoi que ce soit de plus. J'atteins mes limites, j'ai dépassé ce que je suis capable d'encaisser. Mon corps n'est plus que douleur en dépit des soins prodigués, ils ne peuvent tout effacer, seul le repos le peu et mon Juge n'a pas la moindre clémence.
Je finis une fois de plus au sol mais je n'ai pas la force de me relever. L'épée s'abat à mes côtés et je me sens soulagée en entendant les paroles d'Eva, je n'ai pas besoin de me relever. Pourtant dans ma tête les mots sont clairs "fuis ce lieu, utilise ton peu de cervelle et agis pour ton bien pour une fois, va-t-en sombre abrutie".
Je lâche mon arme et je m'allonge sur le dos, ma poitrine se soulève au gré de ma respiration. Mes poumons brûlent comme jamais et je peux dire que je sais maintenant repérer des muscles dans mon propre corps que je ne connaissais pas. La main griffue du Juge passe sur mon visage, c'est perturbant comme sensation, il tourne mon visage et observe mais je n'ai même pas la force de lui demander pourquoi. Dans mon corps tout n'est que souffrance et une fois au sol je sens que dans ma tête il en est de même. La douleur sourde n'a jamais disparue, elle est présente, et cogne contre mon orbite et mon crâne. Chaque battement de mon coeur, et les divins savent qu'il bat vite actuellement sont douloureux, la migraine ne me quitte plus et rien ne l'apaise, rien pas même l'épuisement. Ma vue se trouble et je ne parviens même plus à garder mon oeil ouvert.
Je ne me souviens pas de la suite, je pense que je me suis endormie ainsi, au sol, sur le dos, ivre d'épuisement. Quand j'ouvre de nouveau les yeux, il est penchée sur moi, telle une mère bienveillante protégeant mon sommeil? Non en observateur encore. Je ne peux pas lui dire que je rêve de me laver, il n'en aurait cure. Néanmoins je l'écoute alors que je peine à me rasseoir, le sol caillouteux est dur et mon corps a besoin de se réveiller comme mon esprit. Je peine à ouvrir mon oeil valide, la douleur est lancinante, omniprésente et je me frappe les tempes comme si cela pouvait amoindrir cette souffrance : en vain.
Je prends ma gourde et je bois quelques gorgées d'eau salvatrice, bienfaitrices. Et je mange un morceau de fromage accompagnés de quelques fruits secs, c'est peu mais cela suffit à me redonner l'énergie pour me relever. Je bascule à quatre pattes pour me hisser debout et je tangue, j'ai l'horrible impression d'être ivre. Ivre de douleur.
J'ai envie de hurler ma douleur mais je la tais, quand bien même les traits de mon visage la montre.
- Je te suis.
Devant moi un lieu étrange, magique et antique. Il n'a jamais voulu me répondre sur cet endroit, je respecte cela même si cela interroge ma curiosité et la rend insatiable, j'ai le besoin de savoir, de comprendre, de connaître mais il me refuse ces informations. Alors que j'observe les entrelacs, les dessins, les rituels, je n'en comprends rien car je ne perçois que des bribes et en ce lieu la compréhension ne vient que par l'entièreté, par la vérité complète. J'écoute Eva, et je ne comprends pas tout.
J'avance par la force de la volonté mais celle ci est aux portes de l'abandon, de l'échec et la voix qui me hurle de fuir en permanence m'empêche d'entendre réellement ce que dit Savoir. Je m'appuie contre le mur, je transpire, je sens les gouttes qui perlent sur mon front, celles qui dégoulinent le long de mon visage, je n'ai pas de fièvre je le sais, principe de magie curative mais je vais mal, plus que jamais et cela dépasse mes compétences et ce n'est pas "possible".
- Tu es le fruit d'une émotion?
Je n'entends que quelques mots, un échantillon trop succint de ce qu'il tente de m'expliquer, cela n'a aucun sens, et pourquoi parler? C'est le jugement? Il veut me perdre? "tu es déjà perdue et tu ne le vois même pas".
A ce moment là il enfonce une partie de son oeil dans la porte, enfin, des filaments qui s'en extraient, ou est-ce la porte qui s'approche de lui, ma vue est brouillée. Je passe ma main sur mon visage sale pour évacuer les gouttes de sueur, en vain. J'ai envie de hurler, lui dire que je me fous totalement de ces cours sur la cosmogonie, je viens de Shoumeï on nous a rabaché les oreilles depuis toujours avec ces principes, les forces créatrices, leur rôle à chacune, qui a enfanté qui et j'en passe, et surtout je m'en fous royalement. Et je n'ai même pas vu que durant son récit les portes, les mécanismes, son action, tout s'active et cela s'ouvre, les écritures ancestrales.
J'avance comme je peux, je titube, le sol me donne l'impression de se dérober à chacun de mes pas et pourtant je continue d'avancer, mécaniquement, par principe et sans plus aucune réflexion. Je ne sais pas ou nous allons mais j'y vais et pourtant... Ma bouche et un "NON" sort, mais ce n'est pas moi, pas vraiment ma voix, je ne me reconnais pas et surtout je ne voulais pas parler. Je suis entrée dans la pièce parce que je le devais, je suis les pas de Savoir sans hésiter et pourtant en cet instant. La douleur qui traverse mon être est sans nulle autre pareille. Elle prend naissance dans mon crâne et irradie jusqu'au bout de mes orteils.
Cela me coupe le souffle littéralement, je ne comprends rien. Je fais un pas en avant et je sens mon corps qui bascule et se retourne, cela va à l'encontre de ce que je veux. Je me sens comme un pantin désarticulé, d'un côté je veux avancer et mon corps obéit et d'un autre, mon épaule gauche et le haut de mon buste bascule pour me faire faire volte face. "BOUGE!" Je lutte contre moi même et je ne vois pas pourquoi je dois le faire. " Pars d'ici ! Et je te libèrerai de tes doutes et de ta culpabilité"!, ces mots sortent de ma bouche, je la sens bouger, et ce n'est pas ma voix, pas totalement...
- Comment peux...
- PARS !!!
C'est ma propre voix déformée, mon corps a une position bizarre, anormale, je suis en équilibre, contorsionnée, ma volonté scindée en deux et les ordres diffèrent... J'ai peur, qu'est-ce qu'il se passe, pourquoi?
- Savoir...
C'est un murmure, un filet de ma voix, je suis épuisée, et je... je veux fuir d'ici, je ne vais pas pouvoir résister à ce besoin bestial, primaire, cet ordre impérieux qui vient du plus profond de mon être. Fuir...
CENDRES
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Savoir
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La pupille d’Éva s’étrécit singulièrement en entendant la voix distordue de Boktor surgir de sa gorge.
Elle est déjà là.
Oui.
Prudent et observateur, Savoir regarde la mage lutter contre son propre corps habité, essayant de déterminer les zones touchées par le détournement de ses membres sans grand succès, le Démon se rend bien compte qu’ils n’ont pu rentrer que trop tard pour que les choses se passent sans encombre. Le cerveau humain se dirait qu’échouer si près du but est d’autant plus navrant que la sensation de victoire imminente augmente la hauteur vertigineuse de la déception, mais l’azsharien ne réfléchit pas ainsi, une défaite quelle que soit l’instant de son évènement est tout aussi grave qu’à n’importe quel moment, mais en ce moment précis, alors que Boktor est en train de lutter contre elle-même en s’intimant de partir d’ici, la Juge ne peut pas accepter aussi facilement un échec, simplement parce que les chances de réussir sont encore non-négligeables en étant aussi près de la salle de rituel.
”Tu te rends enfin compte de l’endroit dans lequel tu es, n’est-ce pas?” La voix d’ordinaire plus douce d’Éva devient soudainement aussi froide que la magie élémentaire de Myriem, toujours féminine, toujours calme mais trop calme, placide, dénué de toute forme de chaleur. Les particules dorées dans l’iris de l’oeil du Jugement s’allongent vers les pourtours du globe oculaire tandis qu’elle canalise sa magie en se rapprochant de la jeune femme. ”Inutile de résister, tu as fais un mauvais choix.”
S’approchant de Myriem en ouvrant les serres griffues de son bras droit à l’anatomie éclatée, Éva tend la foule de griffes avides vers le corps de la mage pour s’emparer d’elle mais à sa surprise, un mouvement violent de la Baronne écarte son bras tandis qu’elle rugit d’un cri primal, véhément, avec une voix qui n’est qu’une parodie sardonique de la normale. D’un coup, Boktor tourne les talons et s’enfuit, impossible pour Savoir de réellement déterminer via la cohésion défaillante de sa course si c’est vraiment ce qui croît en elle qui la possède ou si c’est la femme toute humaine qui cède sous le poids de son habitant. Interrompant la canalisation de sa téléportation, Éva se lance à la poursuite de Myriem en courant à travers les couloirs du Compendium. La forme démoniaque de Savoir rassemble les pattes multiples de ses jambes racinaires et poursuivent la magicienne avant de la voir se retourner vers lui avec un regard paniqué, la peur qu’il lit dans son oeil est viscéral et dans l’autre… une lueur brillante à travers le cache-oeil déduit un peu plus du temps qu’il reste à la Baronne. Il faut agir au plus vite. La mage affolée brandit un bras en direction de son poursuivant en glapissant d’un mélange sans doute composé de peur, d’extrême confusion et d’un instinct de survie qui n’est pas le sien. L’air se charge d’une odeur saline et le Démon de la Connaissance sait ce qui arrive pour l’avoir déjà ressenti de nombreuses fois, la lumière azsharienne vient contrer l’eau marine qui envahit d’un seul coup la salle et plonge la pièce principale dans un monde aquatique, l’inondant jusqu’au plafond en se déversant ensuite dans la bibliothèque derrière eux pour ravager les livres et les rayons. Pris dans ce tsunami arcanique, Savoir s’agrippe fermement au sol pour maintenir le dôme étanche de lumière qu’il canalise pour résister à la déferlante aqueuse. Ses griffes râclent le sol, écharpent la pierre petit à petit en glissant, il raffermit sa prise, Éva cherche Boktor à travers l’eau infernale et son regard inquisiteur finit par détourer la silhouette de la jeune femme à travers les flots impétueux.
Sa main humanoïde se tend dans sa direction et l’Épée du Jugement jaillit de nouveau de ses entrailles, fusant à travers la barrière luminescente pour braver le courant. La force des eaux est trop forte et Éva a du mal à pleinement contrôler les mouvements de son arme, mais en se concentrant un peu plus, elle puise dans les fragments du Coeur de Melorn qu’elle porte en elle depuis leur intervention dans la cité et la lame se stabilise pour filer droit sur Myriem, profitant de son angle mort droit pour la contourner, la jeune femme en train de s’enfuir ne voit pas l’arme arriver, et le fil de l’épée l’attrape aux mollets. L’eau se teinte d’un nuage de rouge inquiétant et l’intensité du maelström arcanique baisse suffisamment pour que Savoir commence à avancer, préservé des flots sous son dôme protecteur qui le garde au sec. Quelques pas les uns après les autres, l’entité démoniaque se fraye un chemin jusqu’à Myriem et pose enfin ses serres contre elle, leurs deux corps disparaissent, abandonnant la salle inondée pour se retrouver une centaine de mètres plus loin de l’autre côté de la bibliothèque du Compendium aux livres détrempés. L’eau enragée de Myriem continue de déferler dans les couloirs et la pénultième pièce de leur quête, Savoir génère une onde lumineuse qui prend forme tangible, repousse les flots de la porte et écarte autant que faire se peut la magie de la Baronne, puis profitant de ce bref accalmie, il ouvre la porte de la salle rituelle et agrippe Myriem pour la pousser à l’intérieur.
La jeune femme continue de se débattre, le Démon lutte contre sa puissance surhumaine, tirée non pas d’une magie mais de la simple force du désespoir qui anime son habitant. Que ce soit encore une fois la panique de la mage qui ne comprend pas ce qui lui arrive, les efforts de son parasite indésirable ou la peur viscérale que ce dernier lui transmet, elle attrape le cadre de la porte et se raccroche à ce qu’elle peut pour éviter d’entrer dans cette salle. Elle esquisse un nouveau geste pour générer un sort à bout portant sur Savoir mais la Juge ne la laisse pas faire.
”Non.”
L’Épée fuse des côtés de Savoir pour transpercer le bras de Myriem, s’insérant douloureusement dans l’interstice entre le radius et l’os ulnaire pour faire levier sur son membre et l’écarter. Un jet d’eau pulvérise une colonne de soutien derrière Savoir et le Démon profite de l’instant acheté par le supplice de la mage pour la pousser une bonne fois pour toute à l’intérieur avant de lui emboîter le pas. Une impulsion télékinétique de plus cloue l’Épée du Jugement au sol, épinglant la jeune femme à terre tandis que le Démon avance dans le noir. Une étincelle luminescente jaillit de sa main elfique et il éclaire maigrement la salle dans laquelle ils se trouvent désormais.
Les grands murs noirs de la salle d’invocation reluisent sous la lumière de Savoir, la roche sculptée est barrée de lourds renforcements d’un alliage perdu, mélange de Phantacier infusé avec les propriétés catalysantes des Lotus Noirs, deux matériaux basés sur la décomposition des âmes pour aider les chercheurs de l’époque à en invoquer de bien spécifiques. La pierre au sol, noire comme la nuit, fait paraître dans les réflection de la lumière du Démon les gravures ésotériques en un mélange de divina, d’elfique et d’autres recouvertes en bas-parlé pour éviter de les offrir aux yeux promeneurs. Toute la pièce semble être ainsi maculée de ces inscriptions, agencée à force d’essais et d’erreur pour attirer les amalgames de fragments d’âmes venus d’un autre monde, au centre de la pièce, une stèle aux pierres incrustées d’hématite et de pierres d’âme repose, préservée du temps par des phénomènes incertains. Savoir avance en direction d’une table en pierre jouxtant un des murs, divers instruments arcaniques sont encore posés dessus, n’ayant pas bougé depuis leur dernière utilisation il y a trois cent mille ans.
”Tu ne sais peut-être pas où tu es exactement, mais tes sens s’affolent parce que tu ressens les signatures des autres avant toi.” La voix de la Juge se fait toujours aussi froide tandis qu’elle se dresse devant la table et dépose sa main elfique contre une pierre d’interface, infusant sa magie à l’intérieur, des éclairages magiques s’allument subitement autour de la salle et inondent la pièce d’une lumière blafarde et intimidante. Les cris de Myriem s’intensifient et cette fois sa voix modulée se fait plus distincte alors que la Juge l’ignore et continue toujours aussi placidement. ”Tu ne pourras plus t’enfuir d’ici, cette pièce est faite pour nous laisser entrer, mais pas en sortir.” Manipulant un peu plus sa mana, Éva réveille les mécanismes arcaniques de la pièce d’invocation, le Compendium Daemonum a été conçu pour invoquer artificiellement des Démons dans Sekaï, et si nombreux furent les elfes de l’époque à avoir dédaigné le projet, les Fondateurs avaient pourtant réussi. ”Tu as fait une erreur en la prenant, parce que sa destinée ne devrait pas croiser la tienne, cette mortelle trace déjà son chemin sur le firmament de la toile, elle n’a pas besoin de toi…” Alors que la pièce se met à vrombir d’un grondement souterrain assourdissant, les lumières des éclairages virent à un rouge inquiétant alors que les enchantements de lestage des âmes démoniaques s’activent. Le Démon regarde Myriem se tordre de supplice, elle partage la douleur bien physique de son bras empalé et celle plus sourde et intense encore, de son invité. ”... ma Soeur.”
Le grondement de la pièce d’invocation se fait plus intense alors que les arcanes travaillent sous la salle, les consciences de Savoir aussi sont affaiblies par le sort, mais s’il a été sélectionné pour justement être le Geôlier du Compendium, si Savoir est celui qui a enfermé les Six Soeurs pendant autant de temps, c’est parce qu’il a un atout dans sa manche pour résister au piège des Fondateurs. Se redressant pour faire face à Myriem, l’azsharien approche d’elle et un crépitement électrique se noie dans le ronronnement des magies de l’installation elfique. Les lumières rougeoyantes s’intensifient, certaines défaillent sous la concentration trop importante d’essence démoniaque dans la pièce, leur intensité vacille et Savoir s’arrête à quelques mètres de la jeune femme fébrile en proie à elle-même. Quand sa voix reprend, ce n’est plus celle de la Juge:
”Action Recommandée: …”
La paupière violacée d’un globe oculaire imposant se désagrège lentement pour révéler le Désintégrateur d’Azshary sous l’oeil améthyste de Myriem, Alys se tient debout, écartant légèrement les jambes pour assurer ses appuis, et le noir de sa pupille trônant au centre de son optique rouge géante commence à émettre une lueur croissante. Lentement, un objet de lumière traverse la cornée du Geôlier et s’échappe de son organe oculaire, un maillon aux dimensions énormes, semblable à ceux des chaînes d’ancre des navires de fret, s’extirpe de la pupille et précède maillons après maillons, faisant apparaître une chaîne de lumière puissante qui se dépose d’abord au sol avant que sa maille de tête ne s’anime et lévite dans les airs. Les Chaînes du Compendium, un des plus puissants sortilège de Savoir qui a signé la captivité des Six Soeurs pendant trois cent mille ans, articule son lien de lumière et file droit sur Myriem. La magie transperce la poitrine de la mage et pénètre son corps sans causer le moindre dégât à sa chair organique, mais les liens du Compendium se referment sur autre chose. Lentement, Alys agrippe la chaîne tendue de ses serres chimériques et tire de toute ses forces dessus, provoquant un cri de douleur de la part de Myriem dont la voix semble se distinguer en deux timbres.
”... Extraction.”
Un premier maillon ressort de la poitrine de la mage, et le point d’ancrage de la chaîne à l’intérieur du torse de l’humaine remonte lentement vers la nuque de la jeune femme au fur et à mesure que Savoir ressort sa prise, maillon après maillon, le Désintégrateur observe attentivement la chaîne s’approcher de l’oeil vide de Myriem sous les lumières affolées de la salle d’invocation.
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