Le jour où l'Empereur vint

Partie 1

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque la bise venant de Rebirth se leva. Au nord, l'horizon était troublée d'un nuage de poussière s'élevant dans les airs telle une colonne de fumée. Or, la saison des tempêtes de sable était révolue, l'hiver approchait et ce genre de désagrément se fait naturellement plus rare. Cette nuée de poussière était donc dû à un convoi traversant le désert, empruntant la voie royale depuis Taisen. De facto, ce devait être un nombre considérable de pieds, roues et sabots qui foulaient le sable, car le nuage de poussière qu'ils laissaient derrière eux était visible de loin.

Et ils avançaient vite, bientôt l'on pourrait percevoir le grondement des sabots et la trille des armes. Mais pour l'heure tout le monde attendait. Lorsque l'Empereur venait, tous attendaient. Et même lorsqu'il serait là, personne ne bronchera tant qu'il sera en présence. Officiers, sous-officiers et soldats du rang étaient en formation, armures parfaitement polies et armes bien rangées, les barbes avaient été taillées et les fanions hissés. Et si Tensai Ryssen pouvait être intimidant pour tout mortels qu'ils étaient, pas un ne tremblait car tous l'admiraient. Ceux qui tremblaient étaient des traitres à la Nation et considérés en tant qu'ennemis. Lorsqu'on était en présence de l'Empereur, on devait se montrer valeureux, droit, féal et exemplaire, mais personne n'avait peur, car on se sentait en sécurité sous l'aura de ce Dieu. On voyait son arrivée comme un honneur, point comme une obligation.

Au pied des puissantes murailles de la cité, face à la porte nord, près de cinq-mille soldats attendaient en rang d'oignons le long de la voie royale. Le convoi impérial passerait devant cette démonstration des effectifs régionaux. Une discipline cultivée par l'Etat-major de Kyouji qui ne manquerait pas de satisfaire le Conquérant du Reike. Au bout de cette longue allée martiale, au pied de l'imposante porte ouverte, la délégation de Kyouji patientait à l'instar de la piétaille. Le seigneur de la cité, messire Crocell, était accompagné de son intendant, de l'un de ses Tovyr, de quelques Grands-Officiers, de son conseil ainsi que de quelques nobles de Kyouji.

Le seigneur Crocell, imposant et nobiliaire, s'était vêtu plus que de raison. Sous son long caftan d'améthyste et de gueules, un pourpoint orangé molletonné se laissait deviner. Et si certains pourraient croire que le seigneur de Kyouji avait sur-estimé le froid automnal, ceux qui étaient au fait de son passé d'esclave savaient que c'était pour dissimuler ses multiples cicatrices. Cette condition passée était bien connue de certaines figures prépondérantes au sein de la cité cosmopolite, dont Lyra Leezen, Tovyr de son état. Et si tous se gardaient de le rappeler à messire Crocell, chacun d'entre eux avaient du mal à l'oublier lorsqu'ils zieutaient le seigneur en place. Or, ce n'était guère la peur qui faisait taire les quolibets, mais la pitié.

En effet, si Crocell s'était démarqué grâce à sa dévotion et son assurance, ceux qui le connaissaient depuis ses débuts pouvaient témoigner de son affaiblissement jusqu'à l'indolence. Il avait toujours était très scrupuleux de nature, mais au fur et à mesure qu'il administrait Kyouji, il se serait en quelque sorte assoupli. Le seigneur peinait à prendre des décisions rapidement, s'éternisant souvent en conjonctures malvenues, parfois il disparaissait même plusieurs jours, se laissant aller à la vènerie. D'autres diront qu'il s'est laissé influencer par les émissaires républicains, laissant notamment la diaspora de la nation limitrophe prospérer dans l'enceinte de ses murs. Il a même avalisé l'édification d'un opéra au sein de la cité, et même si son conseil l'avait poussé à le restreindre qu'à des pièces militaires, ce monument n'en demeure pas moins un art républicain.

Enfin, pour terminer sur la déchéance de messire Crocell, découlant de ce qui a été dit ci-dessus, il aurait tendance ces dernières années à déléguer de plus en plus, se reposant énormément sur son intendant, Kranrinerk Erals, et sur son Etat-major, composé du Tovyr vir Delt et de la Tovyr Leezen. Ces derniers, selon les rapports les plus récents, auraient endossés nombre des prérogatives du seigneur, son conseil étant le moteur de la cité. Crocell aurait été, selon les rumeurs, relégué à une figure purement symbolique, jouissant du faste de sa position et de la liberté qu'il s'était offerte en s'appuyant sur ses serviteurs. Et si l'on pourrait penser que l'arrivée de l'Empereur pourrait le troubler voir l'inquiéter, il n'en montrait rien. Habile comédien qu'il était. Profession endémique de la République, là aussi.

- Il arrive.

Commenta ingénument le seigneur.

Derrière lui, son Excellence Lyra Leezen - dite la Sénéchale, à la tête de la maison éponyme à la zibeline d'argent et de gueule, Tovyr impériale dirigeant la Horde d'Alba - renifla, chose qu'elle faisait fréquemment, vestige de son séjour dans les oubliettes de la ville, il y a cinq ans de cela, avant que Ryssen ne l'en libère. Et si elle paraissait minuscule aux côtés du seigneur oni, son regard aussi sombre que la plus noire des nuits trahissait une profondeur plus redoutable qu'il n'y paraissait. Et si l'on pourrait penser que le seigneur était un plus redoutable adversaire, ceux qui avaient vu Leezen en action savaient qu'elle ne ferait qu'une bouchée de Crocell. Mais personne, là encore, ne le disait ouvertement.

Elle avait, pour l'occasion, revêtit une mise simple, officielle et purement martiale, affichant ses galons de Tovyr. Un brocart minimaliste qui contrastait avec celui du seigneur, plus tape-à-l'œil. « Il fait plus féminin que la Sénéchale elle-même » devaient songer certains. Le sable et or de sa tenue l'effaçaient et la rappelait en même temps, une dualité qui faisait raffiné et sérieux en même temps. Telle était la Tovyr Leezen : Un équilibre constant. Versée dans la stratégie, les arts du combat et la politique, elle constituait probablement la numéro deux de Kyouji dans l'ordre de préséance.

Elle s'était toujours attachée à sa ville natale, n'étant jamais partie en grande campagne en tant que Tovyr, bien qu'elle ai guerroyée dans les Terres du Nord puis dans la péninsule shoumeïenne en l'an 1, une fois Grande Officière, elle s'était astucieusement cantonnée à sa région. Elle préférait, à raison, œuvrer en territoire connu, là où elle était chez elle. Lyra avait en outre pu consolider sa position au travers de multiples déplacements officiels à la capitale, s'étant gagnée les faveurs du Conseil de la Main, et tout particulièrement de l'Esprit. Elle avait même été remarquée par l'Impératrice elle-même, une femme aussi haut dans la hiérarchie était suffisamment rare pour qu'Ayshara ait entendu son nom.

Dû au relâchement de messire Crocell, c'était la Sénéchale qui avait supervisé en grande majorité l'application du décret du 15 aout de l'an 4, étant parvenue à instaurer le régiment logistique des Ingénieurs et à doubler les effectifs. Suite à quoi le Khashis vir Delt a été promu au rang de Tovyr pour prendre en charge les nouvelles recrues et seconder la Tovyr Leezen. Ceci-dit, Draedet vir Delt n'avait point d'appétence au pouvoir et se focalisait sur l'administration militaire plus que les opérations. Cela arrangeait Lyra qui était une femme de terrain de nature.

Puis soudain, le héraut impérial annonça l'arrivée du souverain. Le sol tremblait sous les sabots et les pas des centaines de soldats de sa suite tandis que les chariots cahotaient sur la voie royale. Tous plièrent l'échine à la vue de l'imposante stature de Tensai Ryssen, allant jusqu'à occulter l'astre solaire. Faisant de l'ombre à la délégation, il s'avança, impérieux, divin. Crocell mis genoux à terre, fixant le sol. Derrière, Lyra l'imita, un genoux plié.

- Votre Altesse Impériale. C'est un honneur que de vous recevoir.

Lâcha doucement Crocell.

CENDRES

Ce serait se fourvoyer que de croire que Tensai se contenterait de visiter les grandes villes du Reike. C’était une étape nécessaire, certes. Les seigneurs des grandes villes, les nobles et les aristocrates, l’administration reikoise, ses soldats eux-mêmes méritaient qu’ils viennent dans les grands bastions du royaume, afin que l’Empereur considère leur état de vie et qu’il constate lui-même ce qui était fonctionnait bien et ce devait être amélioré. Le Conquérant écouterait leurs doléances et leurs commentaires parfois sincères, souvent hypocrites. Mais ce serait se fourvoyer que de croire que Tensai ne considérait que les gens de la haute. Durant son voyage, le monarque avait bien l’intention de passer par des villages plus ou moins prospères - proches de l'itinéraire prévu par le gouvernement - pour se rendre compte également de la vie de son peuple. Ce n'était pas que l'incarnation du Soleil avait le cœur sur la main, non. L’homme-dragon n’était pas aussi tendre que son âme-sœur. Mais, par contre, le roi était originellement un barbare. Enfant, il avait volé pour survivre. Puis, le monarque était devenu très tôt un leader, un guerrier qui savait gérer sa bande – d’aucuns dirait un gang, qui s’était ensuite mué en clan. Contrairement aux Draknys, Tensai venait donc de tout en bas de la hiérarchie, et d’une certaine manière, il ne voulait pas oublier ses origines. Déjà de manière générale, il houspillait les audiences trop longues et la politique si lassante de la bourgeoisie. Maintenant qu’il était sorti du palais, il n’allait pas se priver de visiter en long et en large son pays, car rien n’équivalait ce qu’on constatait de ses propres yeux.

Evidemment, le cortège royal était conséquent, et se voyait de loin. Tensai était d’abord accompagné de gardes royaux, comme Brak et Nagisa, mais des Ryssen aussi accompagnait le Conquérant pour former sa garde rapprochée. Le mari d’Ayshara n’avait pas non plus hésité à sortir de sa zone de confort, et à inviter quelques guerriers de renom dans sa suite. Non que cela fût réellement nécessaire, mais leur famille considérerait cela comme un honneur, et le dirigeant reikois saurait par ailleurs de quel bois se chauffaient quelques hauts-officiers du royaume. D’autres notables lui avaient également été recommandés et ceux-là n’étaient pas forcément dans l’armée. Il y avait, par exemple, quelques contrôleurs royaux et mages d’état qui avaient pour charge de répondre à ses questions, s’ils rencontraient par exemple des phénomènes surnaturels ainsi que des édifices ou des voiries endommagées – entres autres. Des agents du Régiment Spécial des Animaux Fantastiques l’avaient également accompagné, au cas où ils rencontraient quelques créatures attirées par le convoi. L’Oreille, de son côté, avait forcément déployé quelques espions au sein de sa troupe, afin que le ministre aie au moins régulièrement des nouvelles de l’expédition. « Une mesure nécessaire s’il arrive une urgence » lui avait déclaré le bretteur. Il ne croyait pas si bien dire, mais pour l’heure, Lyra comme Tensai ignoraient tout de l’éclipse qui aurait bientôt lieu sur le Sekai.

A présent, voilà que les remparts de Kyouji se profilaient à l’horizon, et pour l’occasion, le barbare avait convoqué un conseiller royal en tête à tête. Subtilement, ses gardes s’étaient mis un peu en retrait pour les laisser discuter et le colosse n’avait pas tardé à aller au vif du sujet.

- Que pouvez-vous me dire sur le seigneur Crocell ?

Maleth fit une légère moue à cette question pointue, mais un regard de son roi le dissuada de mettre de l’eau dans son vin. C’était connu que Tensai n’aimait pas les baratins de toute façon.

- On dit qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même, messire.
Un grognement.
- J’ai donc un seigneur qui se plaît à insulter mon épouse, et un autre qui sert d’épouvantail ?
- Eh bien, je ne formulerai pas les choses de cette manière, surtout que l’incident que vous relevez s’est quand même passé il y a plus d’un an et messire Tamroq a cherché à faire patte blanche depuis… Si je puis me permettre, il nous a même donné un accueil impeccable lors de notre séjour dans la ville.
- Ca ne veut pas dire que j’oublie, gronda l’Empereur. Mais le sujet de base était Crocell. Comment se passe la gérance de la ville ? On m’a dit qu’il déléguait beaucoup ses tâches.
- Il s’est compose un conseil, qui accepte de gérer les aspects culturels, militaires, religieux, politiques et économiques de la ville. Vous êtes bien au courant de l’opéra qui a été créé…
- En invitant un architecte républicain ?
Voix mordante d’ironie.
- En embauchant un architecte reikois qui avait de bonnes relations avec les Républicains. Le conseiller se permit une pause avant de reprendre. Si je puis me permettre, voyez cela comme une occasion de tisser des liens avec nos voisins, un échange en bon et due forme et…
- Je le tolèrerais, le coupa brusquement Tensai, si je n’avais pas entendu dire qu’il avait trop de relations avec nos voisins.
- … Il serait en tout cas malvenu de détruire l’opéra à votre arrivée, votre Altesse.
- Je n’ai pas dit que j’allais le détruire. Mais je n’interdis pas de le remodeler. Ou de donner les ordres pour, en tout cas. Qu’en est-il de ce fameux conseil ?
- Il est composé de dignitaires qui développent chaque grand aspect de la ville. Messire Crocell est davantage un figurant politique et diplomatique, qui se présentent aux nobles de la ville.
- Il a donc le beau rôle.
- Il agit comme un seigneur, Altesse.
- Tu te fais l’avocat des Titans, rétorqua Tensai. Déléguer n’est pas un mal si cela permet de mieux gérer une cité. N’être plus qu’une personne vidée de tout pouvoir, parce qu’on l’a trop mis dans les mains des autres, revient à être un pantin qu’on trimbale à droite à gauche.
- Et pourtant, vous avez-vous-même le Conseil de la Main, se permit de faire faire remarquer Maleth.
- Qui nous rendent des comptes. Crocell fait-il cela avec ses subordonnés ? Sur ce point, son vis-à-vis du bien avouer son ignorance. Le Reike est fort par sa centralisation du pouvoir, mais il peut également s’engluer dans une paresse crasse quand il s’agit d’avoir trop de conseillers. Qu’en est-il de la loi et de l’ordre ainsi que des commerces de Kyouji ?

Et la conversation continua encore, passant en revue divers thèmes qui plurent (ou non) à Tensai. Quand le cortège se présenta enfin près des portes de la ville, tous purent constater qu’ils étaient attendus. Difficile, après tout, d’ignorer plus de deux légions qui étaient au garde-à-vous. Pendant quelques secondes, le barbare s’arrêta pour considérer son armée qui l’attendait : bien que ce n’en fût qu’une part, il était clair que tous seraient restés là jusqu’au coucher du soleil pour le recevoir avec les honneurs propre à son rang. A eux, à ces « simples officiers », ils ne leur dirait rien en particulier, mais il ne leur refuserait pas non plus l’honneur de s’engager parmi la haie que les miliciens reikois lui avaient préparée. Aussi, ce fut d’un ordre sec que Tensai fit de nouveau avancer le cortège. Son air était impassible – comme cela lui était coutumier –, mais d’autre part, sa posture était droite, fière, imposante, royale. Il s’avançait en conquérant, ainsi qu’on le surnommait par ailleurs, et personne ne broncha, personne n’eut la larmes à l’œil, on aurait presque dit que les soldats étaient des statues tant leur discipline était impeccable. Cette démonstration de force, désirée par Crocell, mais certainement orchestrée par Lyra en personne, voulait mettre en l'avant la force de sa légion, leur maintien ainsi que leur force d’esprit, et pour être honnête, ce n’était pas ce déplaisait à Tensai. Le roi plus que quiconque souhaitait une armée solide, pour marcher sur les Titans, et plus particulièrement sur tous leurs ennemis. Pour cela, il avait besoin de bras-droits forts, intelligents et loyaux. Une chose qu’il avait trouvée en des personnages comme Alasker, Deydreus et Lyra.

Lentement mais sûrement, le cortège progressait. Derrière les soldats de Kyouji, la populace n’avait pas résisté à l’envie de voir le cortège royal de ses propres yeux. Peu friand pour l’heure d’un bain de foule – qu’il n’avait jamais vraiment recherché, depuis qu’il était roi – l’époux de la Vosdraak continua à avancer dans la cité, et bientôt, son regard vint se poster sur quelques dignitaires en particuliers.

D’une part, Crocell. Ce seigneur qui s’était vidé de sa substance et de toute sa personnalité. Il n’était certes pas sans mérite, car c’était sous sa férule que la ville tournait et avait prospéré ces dernières année. Mais avoir un seigneur inodore, incolore, insipide n’était pas particulièrement du goût du colosse. Pour autant, l’intéressé avait (au moins) fait des efforts vestimentaires, ce qui créait un contraste assez marquant avec son souverain, qui était revêtu d’une armure sur lequel les rayons du soleil se reflétaient de temps à autre. Tout montrait qu’ils venaient de différents mondes : l’un était un noble, après avoir été esclave, l’autre était un guerrier, et de surcroît un barbare. Pour autant, Crocell montrait un respect total à son invité, et supporta de bon gré le regard presque scrutateur et sévère de Tensai.

Mais il n’y avait pas que lui. Lyra Leezen était aussi présente, celle-là même qui avait rejoint son camp durant le siège de la ville. Cette femme avait souffert, avait été emprisonnée pour ses convictions, et s’était surtout élevée par la poigne de sa volonté ainsi que de ses talents. Tout le monde ne pouvait pas se vanter d’être un tovyr, surtout quand on savait le poids du patriarcat dans l’Empire. Et c’était peut-être pour sa loyauté, sa stratégie, ses faits d’armes qui avaient le plus plu à Tensai. Du trio ici présent, c’était certainement celle qu’il voyait d’un œil le plus favorable. Même si, d’autre part, le tovyr Vir Delt la secondait et s’occupait des tâches administratives, que toute armée devait au minimum avoir pour bien gérer correctement ses forces et ses faiblesses.

- Relevez-vous, gronda Tensai d’une voix sourde, mais d’une voix qui ne souffrait d’aucune contestation. Je viens en roi, mais je viens aussi pour visiter mes sujets. Et je veux que mes hommes les plus fidèles me regardent en face, plutôt qu’ils ne regardent à terre.

Un silence, le temps que chacun se relève. Puis, d’un mouvement leste, né de l’habitude, Tensai descend enfin de sa monture.

- Tovyr vir Delt, vous vous occuperez de la suite de mon cortège. Les Aazho et les Vezkang doivent recevoir des soins particuliers par leurs maîtres et par les membres du RSAF. Je souhaite que tout le nécessaire leur soit prodigués, pendant que mes serviteurs et les dignitaires qui m'ont accompagné seront nourris et logés. Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que j’apporte des présents de la capitale.

Un roi avait pour rôle d’être un père-nourricier. Kyouji, grâce à la proximité du lac Rebirth et son climat généreux, ne manquait cependant pas de ressources. Il pouvait se nourrir de la chasse, de la pêche, et la ville avait même des droits d'excavation sur le Mont Kazan. Pour peu, on aurait dit qu'elle était la ville la plus autonome du Reike, mais jamais, dans une univers aussi féroce, on ne pouvait avoir tout à satiété.

- J'apporte plusieurs créations du bataillon des Ingénieurs, afin d'augmenter la défense de la ville, de davantage lutter contre la Pègre de Kyouji, et d'améliorer la vie de nos citoyens. Je souhaite que vous analysiez ces esquisses et que vous me fassiez part de ce qui vous semble le plus intéressant pour la ville.

Un moyen, peut-être, de mettre leur esprit critique à l'épreuve.

- Mais outre cela, j'apporte du matériel militaire qui pourra remplacer les équipements les plus vétustes de nos garnisons. Il va sans dire qu'il n'est question de rien jeter. Les étudiants de Drakstrang, les campus de notre Université, et tout autre organisation à vocation militaire en feront bon usage. Par aiilleurs, j'apporte des présents conçus par le RSAF. Une cape ignifuge créée à partir de la peau d'un cerbère ; du poison d'une wyvern ; et d'autres choses. Assurez-vous que ces produits soient bien conduits en sécurité.

La prodigialité était de mise, mais Tensai n'allait pas pas faire que parler, et il se tourna en particulier vers la Sénéchale et le Seigneur de Kyouji.

- Accompagnez-moi pendant que nous faisons le tour de la ville jusqu'à votre demeure, Crocell. Tovyr Leezen, vous nous accompagnez.

C'était plus un ordre qu'une demande et enfin, Tensai reprit :

- Quelles nouvelles m'apportez-vous, l'un comme l'autre ?

Partie 2

Tout avait été millimétré pour la visite inédite du souverain du Reike, tous avaient reçus leurs ordres au préalable, les montures du cortège avaient déjà des stalles qui les attendaient et toute la suite de l'Empereur des baraquements ou logements tout prêts, en fonction du rang de chacun. Pour ce qui était des présents de Tensai, une armée de valets attendaient pour récupérer tout ceci et le mettre à dispositions des institutions dédiées. Le Tovyr vi Delt, en dépit de ses vieux os, s'inclina et s'écarta pour dispenser les ordres nécessaire et superviser tout ce manège avec l'aide de ses officiers. L'armée, bien que de moindre importance qu'à Taisen, était au centre de la vie de Kyouji, assurant l'ordre et la pérennité de la cité. Ainsi fonctionnait cet empire militariste.

Comme escompté, la Tovyr Leezen fut invité à accompagner le seigneur et l'empereur dans leur marche jusqu'au palais. Une chemin pas si long mais suffisant pour entrer dans le vif du sujet, comme la Sénéchale avait l'habitude de le faire, à l'image du Conquérant. À la question de l'empereur, demandant des nouvelles, Crocell ne prit pas la parole de suite, comme s'il préparait un bref instant son prolégomène, mais Lyra, elle avait déjà tout en tête, ayant anticipé ce genre de questionnement et pris la parole, marchant à la gauche du drakyn (à l'image de l'expédition au Temple qui adviendrait très prochainement).

- Votre Altesse, en début d'année, sous l'ordre de la Griffe, j'ai dirigé une opération de pacification dans la région de Kazan, une secte dérivée du Shierak y prospérait depuis trop longtemps, j'y ai mis un terme. En parallèle, j'ai œuvré avec le Coeur et l'Esprit afin de mettre l'accent sur l'apprentissage de la magie au sein de nos rangs, pour mieux atteindre le niveau des troupes de messire Tamroq, le projet est toujours en cours. En juin dernier, nos forces ont localisé une racine de l'Arbre-monde s'étant rapprochée de la surface, un détachement des suppôts des Titans l'avaient mis au jour, la zone est à présent pacifiée, mais n'a pas échappé à la surveillance républicaine, je le crains. Les services de l'Esprit et des récolteurs contrôlent les lieux depuis. Pour ce qui est du décret...

Le seigneur Crocell la coupa en levant une main. Lyra se tut et continua de marcher aux côtés des deux géants.

- Le décret d'aout de l'an 4 est totalement appliqué depuis février dernier. Le régiment des ingénieurs a été basé aux abords du Lac Rebirth et est complètement opérationnel selon la volonté de la Main. Pour ce qui est de la nouvelle Horde, vous avez pu le voir à l'entrée, votre Altesse, le Tovyr vir Delt dispose de tout nouveaux effectifs fraichement formés. Enfin, notre ouverture envers la République ne nous est que bénéfique, le commerce fructifie et le port de Rebirth se développe à vitesse grand V, nous prospérons, votre Altesse Impériale. Pour ce qui est de la pègre... Nous n'avons plus aucune nouvelle du Baron, s'étant vraisemblablement carapaté en République tandis que ses cellules se sont délitées d'elles-mêmes.

Là encore, on voyait comme Crocell n'était pas au fait de tout ce qu'il se passait dans sa cité. Tensai était bien évidemment au courant que son beau-frère Vaenys avait été attrapé par l'Oreille et envoyé à Justice après un marché allant à l'avantage de l'Empire. La Tovyr Leezen, elle, afficha un sourire en coin, elle savait tout cela. Elle savait aussi que les cellules de la pègre ne s'étaient pas "délitées d'elles-mêmes" mais que c'était bien le départ du Baron carabiné à une lutte acharnée de l'armée contre ces trouble-fête qui avait poussé leur affaiblissement. Enfin, Crocell, lui, continuait.

- Enfin, nous avons eut quelques déboires avec des... démocrates qui voulaient l'indépendance de Kyouji et un système similaire à la République, mais nos forces sont parvenus à les faire taire et à stopper leur réseau issu de la pègre moribonde.

Là, Lyra ne dit rien car ce n'était pas convenable, mais Crocell se gardait bien de préciser que c'était elle qui avait mis un terme à cette mouvance qui était, de surcroit, une dérive de l'influence républicaine que Crocell avait toléré depuis trop longtemps, cette idéologie démocratique n'était pas sortie de terre toute seule.

Il s'arrêta là, alors qu'ils traversaient à pas rapides l'avenue principale de Kyouji, entièrement pavée, bordées par des maisons typiques à encorbellement de gré et de briques. Enfin, Lyra marchait vite, pour compenser les pas de géants des deux hommes qui, pour eux, marchaient à allure modérée. Le soleil illuminait les coupoles du palais alors que le peuple se massait dans les venelles adjacentes juste pour espérer entrapercevoir leur souverains. Mais les gardes disposés à des points clés veillaient au grain, tandis qu'ils étaient suivit de bien du monde, dignitaires et officiers, en retrait.
CENDRES