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    Didier Van Strijdonck
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  • Dim 22 Sep - 9:25
    Kyouji - An zéro

    Sous le ciel de février, le crépuscule enveloppait Kouiji d'une lueur incertaine, tamisée par l’éclairage vacillant des rues en pleines reconstruction. Didier Van Strijdonck, flanqué de ses deux mercenaires, déambulait tranquillement, les mains derrière le dos, le regard fixant les quelques bâtisses épargnées par les bombardements. L'air était saturé d'encens, une odeur presque trop douce pour une ville encore meurtrie par la guerre, comme pour couvrir celle de la mort. Le marchand souriait intérieurement. Pour lui, les ravages de la guerre n’étaient qu'une autre forme d’opportunité pour ceux qui savaient l'exploiter. Tout ces mois à approvisionner les forces Rysséennes allaient enfin porter leur fruit, du moins le pensait-il.

    Le républicain s’arrêta sur une petite place à moitié déserte, le siège ayant assécher les rues. Son attention était tournée vers une des rares échoppes encore ouverte et où une une paire de bottes en cuir robuste lui faisait de l’oeil. Peut-être la prendrait-il pour remplacer celles qui, à force d’aligner les kilomètres et les heures de marches, commençaient à s’user. Mais alors qu’il s’apprêtait à entrer dans la boutique, une voix familière l'interrompit.

    « Monsieur Van Strijdonck ! » cria Adil, haletant, visiblement essoufflé. « Ils… ils nous ont accordé le marché ! »

    Didier tourna lentement la tête, ses lèvres s’étirant en un sourire. « Ah bon ? C’est une excellente nouvelle, Adil. »

    Le sourire du marchand s'élargit tendis que Adil reprennait son soufle, d'autant plus que les négociations avec les nouvelles autorités de la ville avaient été plus hasardeuses que prévues, visiblement pas très chaude à filer des marchés potentiellement juteux à un opportuniste républicain. Le visage rougi par l’excitation, l'associé du libertéen poursuivait: « Oui! Nous avons les quartiers nord. Le document est signé par les autorités. Ils nous attendent demain matin pour finaliser le contrat. »

    Le marchand, heureux de cette tournure, tapota alors doucement l’épaule de son homme. « Eh bien ! Voilà de charmantes perspectives qui s’offrent à nous, mes amis ! Je savais que la persévérance paierait. » Il jeta un coup d’œil complice à ses mercenaires. « Merci, Adil. Sans ton concours, nous n’aurions sans doute pas eu ce marché. Je ne l'oublierai pas, tu mérites amplement ta paye, mon ami. »

    Adil, flatté, hocha la tête, mais son sourire se fana légèrement, et une ombre d’inquiétude passa sur son visage. « Monsieur… Il y a quelque chose que je dois vous dire. »

    Didier arqua un sourcil, tout en ajustant son béret. « Continue, je t'écoute. »

    Adil jeta un regard autour de lui, vérifiant que personne n'écoutait. Il baissa la voix. « Il se dit que les royalistes ont encore des hommes en ville. Il serait question d’un groupe clandestin qui viserait les individus ayant collaborés avec les forces de Tensai. »

    Un frisson parcourut le dos de Didier, qui resta silencieux un instant avant d’esquisser un sourire ironique. « Des royalistes ? Vraiment ? »

    Adil acquiesça, nerveux. « J’ai entendu dire qu’ils surveillent plusieurs traîtres potentiels dans la ville. Mais je ne sais pas si vous êtes concerné. »

    Le marchand resta un moment pensif, son regard se perdant dans les rues de la ville. « Je n’ai trahi personne, mon ami. Ces royalistes doivent sans doute se concentrer sur des locaux. » Il se mit à rire doucement. « Je leur ai proposé mon aide au début de la guerre alors que j'avais déjà travaillé avec eu et ils m’ont repoussé comme un vulgaire malandrin. Je n'ai pas le monopole de la traîtrise dans ce conflit. »

    Mais Adil insistait, l'inquiétude marquant chacun de ses mots. « Monsieur, ce sont sans doute plus que des rumeurs. Il y a déjà eu plusieurs morts suspectes depuis la fin du siège, possiblement liés à ce genre de règlements de comptes. »

    Didier soupira. La situation pouvait être sérieuse. Il lança un regard à ses hommes avant de revenir sur Adil. « Tu es un ami précieux, Adil. Merci pour ta mise en garde. Je te promets d’être prudent. » Puis, se tournant vers ses hommes : « Conrad ? Georg ? Vous avez entendu ? Il va falloir être vigilant. Ouvrez l'œil, et le bon! »

    Les deux hommes, jusque-là silencieux, échangèrent un regard avant d’hocher la tête. « On sera vigilant patron. » dit l’un d’eux, sur ses gardes, scrutant les rues.

    « Adil, mon cher. Les affaires sont une jungle, et dans la jungle, il y a des prédateurs. La différence, c’est que moi, je suis toujours prêt. Ce contrat pour les quartiers nord va nous propulser bien au-delà de ce que ces royalistes pourraient imaginer. Et pour ça, il faut savoir garder la tête froide. Tout ira bien.» Fit Didier, rassurant.

    Adil déglutit, mais hocha lentement la tête. « Oui, monsieur. Mais soyez prudent… »

    Didier esquissa un sourire, cette fois un peu plus froid. « La prudence, Adil, c’est mon métier. Mais l’audace… c’est mon art. »

    Avec un dernier regard vers la rue, Didier s’apprêtait pénétrer dans la boutique, ses bottes foulant les pavés usés par la guerre, la tête pleine d'idées à l'idée transformer les ruines de Kyouji en or. Les ruines étaient peut-être sombres, mais pour lui, elles brillaient déjà d’un éclat doré. La guerre détruisait, lui il reconstruisait.

    Soudain, il y eu comme un sifflement, immédiatement suivis d’un bruit étouffé, comme une sorte de froissement de tissus. Le républicain remarquait alors l’un de ses hommes, Conrad, s'était figé alors qu’il était passé devant lui.

    « Conrad ? Est-ce que ça va ? » lança Didier, fronçant les sourcils mais comme ce dernier ne réagissait pas, il répéta : « Conrad ?! »
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  • Jeu 3 Oct - 14:30


    An 0, sous le ciel de Kyouji.

    L'approche de la vingtaine. Pour de nombreuses races se pavanant fièrement dans le Sekai, ce chiffre correspond à un fœtus, à un nouveau-né dans une vie qui dura des centaines et des centaines d'années. Pour un humain, ceci représente l'arrivée à l'âge adulte, un passage crucial qui déterminera une bonne partie du reste de sa future et courte vie. Certains sont nés avec une cuillère d'argent plantée dans les fondements, d'autres sont promis à un brillant avenir par leur descendance. Certains n'ont que faire des affaires de l'Humanité tant leur présence tend à rejoindre celle des déités de ce monde. On leur attribue des surnoms grandioses, Le Pourfendeur, ou bien encore Le Conquérant. Des noms bien ronflants qu'une grande majorité laisse aux bien nés. Nous autres, plèbes, gueux, orphelins et gueules cassées, nul besoin de surnom, l'important est la survie, la pure et vraie survie.

    Dans l'optique de gagner sa croûte comme un autre, pour n'avoir ne serait-ce qu'un morceau de pain à foutre dans sa gamelle et une paillasse sur laquelle s'endormir prêt d'un feu, j'avais décidé de mettre en avant mes compétences et arpenter une voie bien dangereuse. Je n'étais qu'un grain dans une mer de sable, mais je ne comptais pas me laisser abattre et abandonner à la première contrariété. Les chemins sombres, les malversations, les manigances et leurs alliées s'étaient alors tournées vers moi. Je les avais embrassés avec force. Elle était là ma survie, et je m'accrocherais à chaque plateforme que l'on m'offrira.

    Missive dans la senestre, la longue griffe de mon index venait déplier le papier. Un nom : Didier Van Strijdonck. Un cachet des forces royalistes attirait mon orbe flamboyant. Ce genre de contrat était alléchant et souvent bien payé. Depuis la chute de la ville aux mains des forces de Tensai Ryssen, de nombreux riches habitants ayant tout perdu dans cette opposition se retrouvent à œuvrer dans l'ombre, multipliant les contrats à la recherche de la vengeance. Ce Van Strijdonck m'était inconnu, mais il devait être une des têtes ayant participé à la soumission de la ville de Kyouji. De toute façon, peu m'importait sa profession, son degré d'implication ou même s'il était innocent ou non. Je disposais d'un contrat juteux et il devenait maintenant mon seul objectif. Aux côtés de la missive, quelques informations étaient notées sur les derniers agissements de ma proie.

    « Bon. Il est temps de se mettre en chasse. »

    Un dernier croc dans la croûte sèche de mon pain, puis je venais enfiler mon habit de cérémonie. Capuché sous une longue tunique ébène, je venais me vêtir de gants noirs, accrochant Murmure et Silence à ma ceinture. Je remontais les escaliers de cette cave abandonnée où j'avais élu domicile, refermant derrière moi une petite trappe en bois. L'astre lunaire entamait sa danse, me confondant avec l'obscurité. Mon œil carmin s'endormit, tandis que mon œil mort vint s'ouvrir sur le monde. Une myriade de petits points blancs, semblables à une constellation venait m'offrir cette vision nocturne. Le félin entrait dans sa transe frénétique, il était l'heure de pister son prochain repas.

    ❂❂❂❂❂

    Quelques heures s'étaient déroulées depuis ma mise en action. J'avais éveillé mes nombreux sens afin de trouver la position de ma cible, tandis que les informations sur la missive m'avaient également bien aidées à me diriger vers la dernière position connue de l'homme à abattre. Et à une bonne centaine de mètres, ma vision se posa sur l'objet de ma convoitise. Il était là, habillé des atours du désert, accompagné par deux hommes semblant assurer sa protection. Il était donc d'une certaine importance, pour se pavaner ainsi fièrement dans une ville qui lui veut sa mort, accompagnée de ses chiens de garde.

    D'un geste de main, mon arme de prédilection venait rejoindre ma dextre. Requiem et son carquois de jais venaient apparaître à mes côtés, il était temps de passer à l'action. Mon corps commençait à disparaitre lentement, transparent et invisible à l'œil nu, j'étais devenu un véritable fantôme. La poignée du composite, parsemée de joyaux de roches ombrales, se confondant parfaitement avec l'obscurité, était saisie avec force par ma main gauche. Sa jumelle droite venait tendre la corde en tissu d'arbres des bienheureux, une flèche posée entre l'index et le majeur. Whoosh.

    « La petite souris est chanceuse. »

    Dans un silence glacial, la flèche spectrale venait fuser à travers l'air et les ombres, traversant la distance qui me séparait de la cible avec une vitesse assez prodigieuse. Véritablement chanceux, l'homme devait avoir les étoiles qui s'alignaient en sa faveur, lorsque son homme de garde passa devant lui au moment où la flèche vint abattre son courroux. À la droite du manubrium sternal, sous la deuxième côte. Un coup direct et létal. La proie était chanceuse, mais la nuit était encore longue.

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  • Ven 4 Oct - 20:09



    Son regard s’était posé sur la flèche noire qui dépassait du thorax de Conrad, plantée sous le sternum. Et voilà que le sang, d’abord discret, s’étalait maintenant en une fleur rouge, épanouissant ses pétales écarlates sur la tunique de son ami.

    Didier restait figé, tétanisé. Sa bouche, d’abord sèche, était incapable de prononcer un mot avant de souffler un « Non… » , presque inaudible, son esprit luttant pour comprendre l’horreur. Conrad, le ‘roc’, avait été abattu en silence, sans bruit ni parole. Un frisson glacé parcourut l’échine du marchand. Adil avait raison : les complots étaient réels et lui, Didier Van Strijdonck, honnête marchand de la république, en était manifestement devenu la cible.

    À côté de lui, Georg, son second garde du corps, réagissait immédiatement. Contrairement au libertaire, le mercenaire avait déjà affronté la mort à maintes reprises et l’avait vue surgir sans prévenir. Instinctivement, il attrapa Didier par le col et le tira violemment derrière un muret en ruine. « À terre ! » Aboya-t-il, concentré. Son geste, bien qu’empreint d’une certaine violence, était des plus professionnels, uniquement guidé par l’impératif du moment : sauver son employeur… et, surtout, sa paye.

    Didier s’effondra contre les pierres, le souffle court, ses pensées désordonnées. Il ne parvenait pas encore à réaliser que Conrad, un gaillard si solide, avait pu s'effondrer ainsi. Mais seule l'image de la flèche, celle qui lui était destinée, persistait dans son esprit.

    Pendant que le marchand accusait le choc, Georg scrutait discrètement les alentours. « Ils nous tiennent. »  murmura-t-il avant d’ajouter : « Sans doute un tireur d'élite. »  Autour d'eux, Georg pouvait voir les passants commencer à remarquer le corps de Conrad et, bientôt, un petit groupe s’amassait, attiré par l'immobilité macabre qui se dressait devant eux. Les murmures se transformaient en cris étouffés, tandis que certains reculaient, horrifiés.

    « Conrad… il… » La voix de Didier se brisa. « On ne peut plus rien pour lui, » répliqua Georg d’un ton sec. « Il faut partir, sinon nous serons les suivants. » Le sang de Didier se glaça. Les rues familières étaient désormais un champ de menaces invisibles. Chaque ombre, un danger. Chaque fenêtre, une flèche prête à être décochée.
    « Qu’est-ce qu’on fait ? » Bredouillait-il, la peur déformant sa voix. Lui, d'ordinaire si calculateur, se retrouvait nu face à cette réalité brutale. Georg, pragmatique, répondit sans se retourner : . « On bouge. Maintenant. »  Il balaya les alentours d’un regard rapide. . « La foule va nous couvrir. Mais restez bas et rapide. Sinon, nous sommes foutus. »

    Didier déglutit difficilement, les mains tremblantes. L’image du contrat, les rumeurs de représailles, les avertissements d’Adil… Tout s’enchaînait trop vite. Les royalistes étaient bien là, prêts à frapper. Et ils l'avaient choisi, lui.
    « Vous… pensez que ce sont eux ? Les royalistes ? »  bredouilla-t-il. « J’en sais foutre rien ! » répliqua Georg, nerveux. « Sortons d’abord de ce merdier. »

    Georg avait raison. Ce n’était pas le moment de chercher des réponses, mais de se mettre hors de portée de cette menace invisible. Ils quittèrent alors leur abri sans un mot, accroupis et toujours en mouvement, se fondant dans la foule amassée autour du corps de Conrad. Quelques badauds reculaient en voyant les deux hommes surgir des ruines, les fixant d’un regard interrogateur et inquiet.

    Une femme hurla soudain : . « Un meurtre ! Il y a eu un meurtre ! » Ce cri brisa le fragile équilibre de la foule et la panique commença à monter comme une bête sous la surface. Georg agrippa Didier par le bras, l'entraînant rapidement. Les badauds s’agitaient, certains reculaient, d’autres tentaient de s’approcher du cadavre ; l’effroi palpable était dans l’air. Le marchand, lui, avait les mains crispées, avançant difficilement, guidé par Georg et luttant contre cette peur qui le tétanisait, de sorte que chaque pas semblait peser une tonne.

    Mais alors qu’ils atteignaient presque l’entrée de la ruelle, un sifflement strident fendit l’air. Didier se retourna juste à temps pour voir un homme s’écrouler derrière lui, une flèche identique à celle de Conrad plantée dans son corps. L'infortuné s'effondra lourdement, son visage figé dans la stupeur.

    Didier jura et faillit perdre l’équilibre face à cette vision. La flèche l’avait frôlé de si près qu'il en sentait presque le souffle. S’il avait ralenti, c’était lui qui serait étendu là, sur les pavés, luttant contre la mort.

    Georg, sans un mot, le traîna presque de force vers la ruelle. « Soyez concentré ! Ne vous attardez pas ! » Sa voix, réduite à un murmure urgent, trahissait une gravité froide. Didier se laissa guider, son cœur tambourinant contre sa poitrine.

    Autour d’eux, la foule éclata enfin. Les cris fusaient, les gens s’éparpillaient dans une cacophonie de hurlements et de fuites désordonnées. Le chaos s’installait. Didier, avançant mécaniquement, l’esprit embrouillé, ne pensait qu’à une chose : ils voulaient sa peau. Et ils avaient failli l’avoir… deux fois.

    Enfin, ils atteignirent l'obscurité rassurante de la ruelle. Georg vérifia que personne ne les suivait. . « On est en vie, pour l’instant. » souffla-t-il.« Mais il a l'air déterminé. On doit retourner au QG. ».
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  • Jeu 10 Oct - 12:52


    An 0, sous le ciel de Kyouji.

    La stupeur de la petite souris était lisible de ma position. Son fidèle allié venait de se figer, dans un silence froid et mordant. Un requiem silencieux, les deux visages se faisant face, les deux hommes ne pouvant s'échanger un dernier mot de sympathie. La flèche avait touché l'organe vital, ne laissant aucune chance à la proie. Ma dextre attrapa de nouveau la corde, tirant sur celle-ci afin de décocher une deuxième salve. Celle-ci toucherait la cible de mon contrat sans aucun doute. Mais son deuxième chien de garde, visiblement plus habitué à ce genre de situation fut empreint d'une réaction salvatrice. D'un geste lourd, il envoya valser son chef à couvert, tout en se protégeant lui-même d'une potentielle deuxième attaque. Arf. Il venait de m'échapper. Ses alliés étaient des hommes dévoués à sa cause, ce qui compliquait légèrement ma tâche. Joueur, je l'étais, la partie ne faisait que commencer.

    Le calme des ruelles s'empreignait lentement des ombres de la nuit, une petite foule de curieux s'amassant autour de cet homme qui ne bougeait maintenant plus. Quelques enfants rigolaient en touchant du bout du pied le corps froid, tous pensant à un énième ivrogne ayant atteint sa limite en ayant ingurgité la bière de trop, s'effondrant sur le sol dans un coma éthylique qui le tiendrait jusqu'au lendemain. Une poignée d'adultes vinrent rejoindre le troupeau, la curiosité morbide était une facette de l'humanité, qui ne pouvait se détacher. La foule se voulait de plus en plus dense, bientôt les murmures se transformaient en questionnements sur le véritable état de santé du malheureux gisant sur le sol. C'était un mauvais point pour moi, les civils m'empêchant de poser l'œil sur ma proie et d'avoir une fenêtre de tir ouverte. Bientôt les inquiétudes allaient se transformer en vent de panique, comme des poulets sans tête, chacun allait se mettre à courir dans la première direction qui lui viendrait à l'esprit. Un chaos qui profiterait à ma cible, mais qui me permettrait également de camoufler encore plus ma présence.

    « AU SECOURS ! UN MEURTRE ! AU SECOUUUUUURS ! »

    Maintenant. Les premiers cris jaillissaient, les parents saisissaient leurs enfants pour les éloigner de cette vision d'horreur du liquide carmin se propageant en une flaque sur le sol. Les badauds se mirent à hurler, cavaler, trébucher, paniquer et certains se mirent même à pleurer, acceptant un quelconque sort en s'adressant à leurs dieux, immobiles. Je profitais de la cohue pour traverser l'allée centrale, toujours camouflé dans l'invisibilité, mon agilité me permettant d'esquiver le chaos environnant tout en rejoignant l'ancien lieu de protection de ma proie. Il n'était plus là, son cabot de compagnie était un homme malin, ayant également profité de la panique pour fuir. Mon nez aiguisé vint renifler cette si singulière odeur, celle de la peur, couplée aux arômes du parfum de la petite souris.

    Sans perdre un instant, je venais bondir dans leur direction, accélérant le rythme pour tenter de les rattraper. Les muscles de mes mollets se mirent en action, tandis que l'ensemble de mon corps gagnait en tension afin d'atteindre une vitesse de pointe bien supérieure à celle d'un non-initié. Mes sens affutés me servant de guide, je trouvais une position préférentielle, à l'entrée d'une ruelle. Invisible à l'œil nu, je venais bander mon arc composite.

    « Il arrive. »

    D'un dernier coup de flair, je venais décocher un carreau en direction de l'entrée. Une légère mélodie s'échappa de la corde, comme annonciateur d'une dernière danse avant son dernier souffle. Merde. Poussé par l'adrénaline d'un homme tentant d'échapper à la mort, il n'avait pas ralenti le pas. La flèche lécha sa joue, tandis qu'un pauvre bougre à sa suite venait s'effondrer sur le sol, la flèche transperçant son larynx. Sans un bruit, il vint s'étouffer dans son hémoglobine. Malgré la terreur dans le regard de ma cible, son homme de main vint le saisir une nouvelle fois, le ramenant de force dans une ruelle en parallèle.

    Les astres avaient visiblement choisi de garder un œil sur cet homme. Ou s'agissait-il des Gardiens qui me mettaient à l'épreuve ? Pourquoi ? Dans quel but. Mon calme olympien se transforma légèrement en frustration, mon poing se serrant aussi fort que ma mâchoire. D'un bond, je rejoignis les toits, toujours camouflé par ce voile invisible.

    D'ici, je parcourais quelques mètres, surplombant la ruelle qu'ils venaient d'emprunter. Ils avaient choisi de se camoufler dans les ténèbres. Mon œil droit se ferma. La longue cicatrice trônant sur mon visage s'éveilla, avec elle, le globe oculaire gauche fit son apparition. Une myriade de petits points blancs, scintillant dans une majestueuse valse comme un reflet des constellations. Cet œil unique me permettait de voir dans la nuit comme je vois en plein jour. Ils étaient là, face à moi. Je rejoignis une nouvelle fois le sol, me plaçant dans le dos du sbire, à plusieurs mètres de lui. Mes mains reprirent possession de mon arc, et d'une flèche rapide, je vins transpercer le genou droit du chien de garde.  

    « Courrez si vous le pouvez encore, la partie ne fait que commencer. »




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  • Ven 11 Oct - 16:33




    « Bordel, mais il est à l’autre bout de la ville ! » S'emportait Didier avant d'avoir une idée:   «Et… et le checkpoint ? Il y en a un pas loin d’ici. » rétorqua Didier, jetant un regard nerveux autour de lui.

    « Va pour le checkpoint. Mais il faudra rejoindre le QG! Vous ne serez en sécurité que là-bas. Pas de ligne droite! Gardez le mouvement, et ne vous attardez pas! » Répondit Georg, d’un ton bref et directif.

    « Compris. Allons-y. » fit Didier, son esprit s’éclaircissant un peu.

    Mais Ils n’avaient pas fait trois pas que Didier entendit un sifflement, suivi du grognement de douleur de Georg. Se retournant, il constata, horrifié, que le mercenaire était au sol, la jambe gravement touchée.

    « COUREZ !! ALLEZ EN LIEU SÛR ! » Hurla Georg, sa voix autoritaire poussant Didier à se lancer dans une course effrénée.

    Il s’élançait alors à travers la ruelle, zigzaguant de façon irrégulière, slalomant entre des obstacles. Haletant, il sautait par-dessus des caisses, évitait les passants, passait même sous un âne. De temps à autre, il jetait un coup d’œil par-dessus son épaule, mais ne voyait personne.

    Ses poumons brûlaient alors qu’il avalait les mètres. L’adrénaline pulsait dans ses veines, et malgré le chaos, son esprit fonctionnait à toute vitesse. Ses bottes de cuir, d'ordinaire si soignées, martelaient le pavé irrégulier de Kyouji avec une violence qui ferait pâlir le meilleur cordonnier. Chaque foulée pouvait le sauver, ou marquer la fin, une flèche plantée entre ses omoplates.

    « Bon sang… C'est un cauchemard... » grogna-t-il entre deux respirations sifflantes, se jetant de côté pour éviter une charrette renversée.

    L’air lourd portait l’odeur de la sueur et les cris affolés des passants se mêlaient aux bruits de ses pas. À cet instant, Didier maudissait tout : son choix de venir à Kyouji, ces foutus royalistes et ces alliances trop fragiles. Mais surtout, il maudissait la précision du tireur qui venait de faucher Georg, un vétéran qu'il connaissait depuis des années.

    Le souvenir de la jambe meurtrie de homme de main le hantait, il déglutit péniblement, essuyant la sueur qui coulait dans ses yeux. C’était lui le suivant, il n’y avait aucun doute. Il devait continuer à courir, mais la douleur dans ses jambes devenait insupportable. Zigzaguant encore, passant sous une enseigne basse, il évitait des groupes de badauds hébétés. Ses bottes glissèrent sur une flaque de vin renversé et son cœur bondit, anticipant déjà la prochaine flèche.

    Il reprit de l’élan, son esprit bouillonnant de stratégies et d’insultes.

    « Enculés de royalistes… » pesta-t-il intérieurement, revivant l’attaque surprise.

    Didier n’avait rien d’un combattant, mais il connaissait la guerre : celle des mots, des promesses et des trahisons, jamais celle des armes. Ici, tout s'était effondré trop vite, le réduisant au rôle de proie.

    Soudain, un sifflement strident fendit l’air. Didier n’eut que le temps de se jeter au sol, sentant le pavé dur mordre ses coudes et genoux. Une flèche venait de se planter dans le mur à sa droite, tout près de son crâne.

    « Merde... » jura-t-il, entre ses dents serrées.

    Il roula sur le côté, cherchant à se cacher derrière un tas de gravats. Ses mains tremblaient tandis qu’il se redressait, scrutant les environs pour repérer la moindre ombre. Il ne pouvait pas rester à découvert, sinon c’était la fin. Son regard se posa sur une maison délabrée, à quelques mètres.

    Sans hésiter, il bondit vers la fenêtre ouverte. S’accrochant maladroitement au rebord, il manqua de lâcher prise en se hissant à l’intérieur. Il atterrit dans un bruit sourd, se tordant la cheville dans le processus. Un grognement de douleur s’échappa de ses lèvres, mais il se releva, massant brièvement l’articulation avant de s’enfoncer dans l’obscurité.

    « Putain… il ne manquerait plus que je lui mâche le boulot maintenant… » grommela-t-il en boitant légèrement.

    L’intérieur de la maison était encore plus lugubre qu’il ne l’avait imaginé. Des meubles brisés jonchaient le sol, témoins silencieux d’un passé oublié. Didier traversa la pièce, ses pas résonnant sur le parquet défoncé. Il se glissa dans un couloir obscur qui semblait mener à une arrière-cour.

    « Allez... calme-toi... reste concentré... » se répéta-t-il, la voix tremblante.

    Alors qu'il avançait prudemment, un bruit derrière lui fit bondir son cœur. Quelqu’un approchait. L’arrière-cour était là, à quelques mètres à peine. Didier accéléra le pas, espérant atteindre la sortie. Mais avant qu’il n’ait pu franchir la porte, une flèche fusa dans l’air. Trop tard. Elle lui entailla le bras, lui arrachant un cri de douleur.

    « HA ! » Hurla-t-il, se traînant derrière des tonneaux, sa main crispée sur sa blessure.

    Il n’avait pas le choix : continuer, trouver une issue ou mourir. Ses yeux cherchaient frénétiquement une échappatoire, tandis que la sueur trempait son corps et que l’air manquait à ses poumons.
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  • Mer 16 Oct - 14:17


    An 0, sous le ciel de Kyouji.

    Malgré la frustration d'une proie qui s'enfuit encore et toujours, protégée par de la chair à canon qu'elle ne prend même pas le temps de défendre, je réprimais mes sentiments. Il n'y avait pas de pire moyen d'échouer un contrat que de se laisser submerger par la colère, la peur ou bien la précipitation. Je soufflais un bon coup, reprenant le dessus sur mon insatisfaction, avant de rejoindre d'un bond le soldat blessé. Son genou droit avait été totalement fracassé par l'impact violent de ma flèche. Je laissais à la petite souris la chance de prendre un peu d'avance, m'approchant du chien de garde. Malgré la douleur, sa détermination et son courage pouvaient se lire sur son visage. Les insultes fusaient, la bave de sa colère me fustigeait. D'un coup de manche, je venais nettoyer mon visage. Ma dextre venait se saisir de Silence, mon stylet fin à la robe sombre et aux reflets violines.

    « Je te remets à la nuit,
    Que l'ombre t'enveloppe, douce et froide,
    Ton âme est libre, emportée par le rêve,
    Les ténèbres te garderont, là où personne ne te cherchera,
    Et dans le silence, tu trouveras ton repos.
    »


    Une dernière prière, accordée à son âme. Silence venait restreindre ses cris et sa peine. La lame froide se plantant doucement dans son larynx, enfonçant son épiglotte. Son regard s'ouvrait sur les ténèbres, se gargarisant dans le liquide carmin qu'il venait vomir sur le sol. Que son âme rejoigne les Gardiens. Chaque homme, malgré tout, méritait le repos éternel et une mort douce, il n'y avait aucune joie à faire souffrir inutilement un animal déjà aux portes de la mort.

    Bien. Il était temps de reprendre la chasse. Maintenant que ses deux gardes du corps avaient été abattus, il ne lui faudrait que quelques instants avant de sombrer dans la folie. Cette paranoïa insoutenable qui te murmure la mort à chaque pas. Essuyant la lame de mon stylet à l'aide de ma longue cape de jais, je venais rejoindre le voile de l'invisible tout en reprenant ma course. J'accélérai le pas, ayant laissé un peu d'avance à ma proie pour accorder cette ultime prière à son docile compagnon.

    Je rejoignis les toits d'un bond, évitant ainsi la cohue organisée par la découverte du premier corps. Les badauds couraient encore, comme si aucune direction n'était la bonne. La paranoïa saisissait visiblement une bonne partie de la foule, tandis que les plus malins s'éloignaient au plus loin du cœur de la place, ou se réfugiaient chez eux en se barricadant à double tour. De mon côté je commençais à apercevoir ma cible, luttant contre la peur et la fatigue, esquivant chaque obstacle pour se frayer un chemin. Visiblement, il courait en ligne droite, suivant plus ou moins toujours la même direction. Un homme possédant des gardes comme celui-ci devait posséder un point d'extraction. Je bandais mon arc, cherchant une fenêtre de tir pour l'abattre d'un coup, ou pour lui faire changer de direction.

    Son corps vint rejoindre le sol à l'écoute de la douce symphonie de mon cordage en Bois des Bienheureux. Une douce musique, murmurant de silencieuses paroles, prévenant la mort elle-même de l'arrivée d'une nouvelle âme. Le crâne avait été loupé de peu, le carreau se plantant dans un mur. Visiblement, j'avais réussi à la faire changer de direction, le voyant foncer en direction d'une maison abandonnée. Bien. Il n'y avait aucune raison que je mette en péril la vie de civil, bien que j'aie déjà causé beaucoup trop de grabuges pour un simple assassinat. Il était véritablement chanceux, en plus d'être bien accompagné, ce qui ne m'avait pas facilité la tâche.

    Je pénétrais silencieusement la maison, par la petite fenêtre brisée sur le côté de la porte. Une maison vétuste, laissée au destin depuis de nombreuses années visiblement. C'était un bien moche endroit pour mourir, finalement. La petite souris cherchait désespérément à rejoindre la sortie secondaire. D'un geste vif et agile je vins décocher une flèche lui entaillant le bras.  

    « Malheureusement, je crois que notre petit jeu touche à sa fin. Si tu as des dernières paroles ou un dernier souhait à exaucer avant le grand voyage, je te l'accorde. »

    Mon arc vint rejoindre mon dos, tandis que je me saisissait de Murmure et Silence, mes fidèles alliées qui allaient m'accompagnées dans cette ultime prière.





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  • Ven 18 Oct - 7:57



    « Et merde… » marmonna Didier, sentant ses genoux fléchir sous le poids de l'angoisse. Sa respiration s'était faite hachée, comme un moteur déréglé, chaque souffle pressé tentant de contenir une terreur qui menaçait de le submerger. Le républicain, le dos plaqué contre le mur, tremblait de tout son être. L'ombre de la mort, si proche, semblait tapie dans les moindres recoins, dans le silence oppressant des ruines qui l'entouraient.

    « S… Surseoir à votre geste ! » lança-t-il en bégayant, essayant de paraître digne tout en sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine. Sa voix tremblante résonnait comme un écho pathétique dans ce lieu déserté. Didier s’était réfugié dans une pièce poussiéreuse, les murs délabrés l’encerclant tel un piège. Son bras en sang pendait misérablement à ses côtés, son corps affaibli protestant à chaque tentative de mouvement. Mais rien n’aurait pu l’empêcher de fuir. Car, au fond, il n’y avait plus de place pour la dignité. Seulement un instinct primal, brut, celui de vivre, coûte que coûte.

    Un son métallique, subtil mais distinct, résonna soudain. Une lame, tirée de son fourreau. L’air devint plus lourd, plus dense. L’audition du marchand sembla se concentrer uniquement sur ce bruit effrayant. Tout son corps réagit dans un mouvement de panique pur. Didier bondit hors de sa cachette et s’élança dans un couloir sinistre. Le cœur battant la chamade, il courut vers une sortie, sautant par-dessus du mobilier qui jonchait le sol. Il ne savait pas où il allait, mais cela n’avait pas d’importance. La seule chose qu’il désirait était de mettre le plus de distance possible entre lui et cette ombre mortelle.

    Les ruines l’encerclèrent de plus en plus, comme si les murs mêmes cherchaient à l’emprisonner. Didier débouchait enfin dans la cour à l’arrière, une lueur d’espoir éclairant brièvement son esprit tourmenté. Un muret. Oui, il pouvait encore s’enfuir. Il ne resterait pas là à attendre sa mort. Il commença à grimper avec un effort désespéré, ses mains tremblantes tentant de trouver une prise solide. Mais la blessure à son bras, qu’il avait momentanément oubliée, rendit son escalade douloureuse, pénible, compliquée. Et soudain, une vive douleur perça l'arrière de sa cuisse.

    Un cri.

    Une chutte.

    La poussière l’enveloppa, couvrant son visage crispé de douleur. Didier, allongé sur le dos, luttait pour reprendre ses esprits. Son souffle court trahissait à quel point il était épuisé, brisé physiquement et mentalement. Son corps tout entier hurlait de douleur, et lorsqu'il posa une main tremblante sur sa cuisse, il sentit le sang s'écouler, chaud et poisseux. L’entaille était profonde. Trop profonde. Il ne pourrait plus fuir, plus maintenant.

    Serait-ce la fin ?

    Dans un dernier geste d'instinct, il rampa. Comme un animal blessé cherchant à échapper à son prédateur, Didier ramait péniblement sur le sol poussiéreux, s’éloignant autant qu’il le pouvait de la silhouette qui se profilait dans la pénombre. Mais c’était inutile, il le savait au fond de lui. Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher d’essayer, désespérément, pathétiquement.

    Il leva la tête, ses yeux écarquillés de terreur, et la silhouette se matérialisa enfin dans son champ de vision. L’assassin. Il ne savait rien de cet homme, seulement qu'il incarnait une mort froide et implacable. Une ombre silencieuse, un bourreau vêtu de noir, porteur d'une sentence qu’il ne pouvait ni fuir, ni annuler. Mais Didier n’était pas homme à accepter son sort sans se battre d’une autre manière.

    « Pitié… ne… ne me tuez pas… » Sa voix, brisée et tremblante, trahissait toute la panique qui le dévorait de l’intérieur. Il tenta de s’adosser à un tas de débris, cherchant un peu de répit, mais sa blessure rendait chaque mouvement un supplice.

    « Nous… Nous pouvons trouver un arrangement… Pas besoin d’en arriver là. Je… je vous en prie. » Les mots sortaient dans un mélange d’imploration et de suffocation. Il n’était plus qu’un homme suppliant, vidé de sa prétendue prestance de marchand, abandonné à la merci de ce chasseur invisible. Didier reprit sa respiration, ou tenta du moins. Il se redressa légèrement, se traînant toujours plus loin, se raccrochant désespérément à ce dernier espoir.

    « Je… Je peux vous payer ! » tenta-t-il encore, sa voix presque cassée sous le poids de la peur. « Je suis riche, très riche ! Votre prix… il sera le mien. » Le marchand croyait fermement qu’il y avait toujours une issue à négocier, même avec la mort elle-même. Il agita son bras valide dans un geste aussi pathétique qu'inutile, comme pour faire valoir cette richesse imaginaire qui pourrait acheter sa survie.

    Le silence qui suivit lui sembla durer une éternité. L’assassin n’avait pas bougé. Pas un son. Pas un souffle. Didier cherchait désespérément un signe, n’importe quoi, dans cette ombre terrifiante. Mais rien. Juste cette figure menaçante qui continuait de l’observer, ou peut-être de le juger, depuis cette distance qui paraissait à la fois proche et infiniment éloignée.

    Et dans cet instant, où tout espoir semblait s’évaporer, Didier comprit que peut-être cette fois, il n’y avait plus de négociation possible. Les mots, aussi bien tournés soient-ils, ne suffiraient pas. Pas ici. Pas face à cet être dont l’âme semblait aussi froide que les lames qu’il maniait. Le républicain remarquait alors la trainée de sang qu’il avait laissée sur le sol en se trainant, sombre et luisante à la clarté de l’astre nocturne.

    « Pitié… » souffla-t-il une dernière fois, presque inaudible. Le marchand, finalement, n’était plus que l’ombre de lui-même, se trainant, implorant dans une ultime tentative de survivre à la nuit qui l’enveloppait.
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  • Ven 25 Oct - 0:22


    An 0, sous le ciel de Kyouji.

    Ces dernières paroles étaient comme celles de tous les autres. Du moins, ceux qui avaient eu la chance de m'apercevoir une dernière fois, comme représentation de la grande faucheuse ou de je ne sais quel dieu impie ils priaient. La plupart n'avaient eu le droit qu'à une dernière prière, leurs yeux déjà fermés vers le rêve infini, entamant leur ultime voyage vers le repos éternel. Celui-ci ne dérogeait pas à la règle des malheureux. Il mendiait une dernière faveur, que je retienne mon geste, comme si sa simple demande allait changer le pourquoi j'étais maintenant à deux doigts de réussir mon contrat.

    « Arf. »

    Un simple son s'échappa de ma bouche, lorsque la petite souris tenta une nouvelle fois de m'échapper. Il était trop tard, le renard était entré dans le poulailler. L'oiseau de proie s'était figé dans les cieux, prêt à abattre d'un piqué le lapin innocent. La dure loi de la vie se dépeignait dans cette partition que nous jouions tous les deux. Il possédait de l'argent, des objets luxueux et sûrement des propriétés, moi, je n'étais qu'un humain banal cherchant à gagner sa vie. Malheureusement, ici, j'étais le bourreau.

    Il réussit à rejoindre l'arrière-cour. D'un pas lent, je venais suivre l'animal aux abois, agrippant mon stylet fermement dans le creux de ma dextre. Passant l'encadrure d'une fenêtre pour le rejoindre dans le cœur des ruines, je le voyais se confronter à ce dernier obstacle. Un muret. Finalement, peut-être que sa chance l'avait quittée après tant d'efforts pour le maintenir en vie. Sa vie ne tenait maintenant plus qu'à un simple muret. L'air bougea sous la lame que je venais de lancer en sa direction, d'un dernier petit murmure d'une fin qui approche. La lame transperça sa cuisse, lui faisant quitter son perchoir tel un oisillon qui ne sait pas encore voler. L'homme s'échoua sur le sol, la cuisse et le bras ensanglantés.

    « Tu es bien entêté. La mort t'aurait été plus douce si tu t'étais laissé faire. »

    Des paroles qui lui étaient destinées, à lui, la petite souris rampant sur le sol. Un animal blessé, tentant vainement de fuir le félin qui s'approche lentement de lui. Doucement, tapis dans la pénombre, je m'approchais de ma cible. Il avait été vaillant malgré la mort de ses deux gardes, il n'avait cessé de fuir sans jamais s'arrêter. Certains auraient décidé de laisser le destin s'abattre. Quand d'autres se seraient pissé dessus à la première goutte de sang versée. Lui avait essayé, en vain certes, mais je ne pouvais lui retirer ce mérite.

    Nous étions maintenant face à face, lui jonchant le sol et moi m'approchant progressivement de son visage. Mon gant droit vint rejoindre le sol, laissant apercevoir une de ces mains maudites. Les écailles d'ébène rappelaient les serpents noirs, tandis que les griffes de jais rappelaient les pattes d'un dragon. La kératine vint lécher la joue de ce pauvre homme, comme pour rajouter une part démoniaque à toute cette poursuite.

    « Vous avez tous le même discours. La pitié. Vous n'avez de pitié que lorsqu'elle vous est donnée, mais jamais vous ne la rendez. Si vous vous êtes retrouvés dans cette position, c'est à cause de vos agissements. Je ne sais pas ce qu'ils sont, mais il me semble que vous n'aviez pas jugé bon de l'offrir, cette pitié. »

    Une voix neutre, un ton plutôt calme. Je n'avais pas pour l'habitude de m'énerver, et encore moins lorsque je savais ma proie déjà morte. J'accordais simplement un dernier soupçon de moralisme à cet homme qui pensait que ses actions n'auraient pas un prix. Le jour du paiement était arrivé et visiblement, il ne s'y était pas préparé, car ses dernières paroles n'étaient pas différentes des autres. Tandis que ma main droite tenait maintenant son menton entre mes griffes sombres, ma senestre venait saisir Murmure.

    « Que ton âme rejoigne les ombres,
    Dans la nuit où tout se dissout,
    Je t'offre à l'éternité silencieuse,
    Que ta vie se mêle au grand voile du crépu...
    »


    J'interrompis mon requiem. Il était marchand et bon négociateur. Ce n'était pas la première fois que l'on essayait de m'acheter pour échapper au jugement de ma lame. Mais c'était bel et bien la première fois que je tombais sur un homme qui en avait les moyens. J'avais plutôt eu tendance à chasser des gueux, des gens de la plèbe ou des soldats. C'était la première fois que j'avais également eu à faire avec des gardes du corps et un homme possédant des biens que je ne pourrais sûrement jamais m'offrir. Sauf si, comme il disait, il possédait un moyen de me les donner.

    Il y a quelque temps, j'avais choisi d'arpenter cette voix sinistre sans jamais avoir la lueur d'un espoir. Je ne tuais pas pour le plaisir de tuer et encore moins pour aucune raison. Tout ceci me permettait de gagner ma vie, de me nourrir, de me loger et de pouvoir prétendre à une vie plus libre que celle de vivre dans un caniveau à mendier pour quelques pièces. J'avais compris très tôt que la vie ne me donnerait rien, même pas une miette, alors j'avais choisi de tout saisir moi-même, quitte à emprunter une voie immorale.  

    Alors, quand cet homme parlait de paiement, l'avenir semblait prendre un chemin différent. Après tout, le contrat ne stipulait pas précisément la mort de cet homme, même s'il aurait sûrement été préférable pour le commanditaire. Du moment que son avenir se passait loin de Kyouji, alors je remplissais ma part du marché.

    « Je t'accorde quelques dernières paroles. Ne me fais pas regretter d'avoir stoppé ma communion avec les Gardiens. »





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  • Dim 27 Oct - 9:35



    Elle était là, cette silhouette menaçante, rôdant dans l’ombre depuis le début de sa fuite éperdue. Didier l’avait senti se rapprocher avec de le voir, impassible, implacable, comme une ombre résolue à l’engloutir tout entier. Après Conrad, après Georg, c’était désormais son tour. Un frisson de terreur dévalait son échine à la vue de cet homme grand et vêtu de noir, une cape pesante masquant la maigre silhouette d’un corps qu’il devinait frêle. Mais dans cette nuit glaciale, chaque fibre du corps de Didier hurlait qu’il se trouvait face à un véritable prédateur.

    Il tenta de reculer, se heurtant sans répit à l’inéluctable mur de son propre désespoir. Là, dans cette arrière-cours, le souffle court, il aperçut l’ombre s’approcher, lentement, menaçante. Une main, non humaine, d’une étrangeté reptilienne, vint effleurer sa joue. La peau écailleuse, froide comme le métal, frotta contre sa peau trempée de sueur, comme si cette créature annonçait son dernier instant en toute insolence. Ce simple contact, insidieux, suffit à faire naître une larme, glissant le long de sa joue et se mêlant à la poussière sur son visage.

    Puis le jugement...

    Une voix résonna, tranquille et neutre, mais chargée d’un étrange parfum de jugement et de distance moralisatrice. Didier sentit ses dernières bribes de courage s’émietter devant ce regard qui ne semblait voir en lui qu’une proie parmi d’autres, une existence condamnée à servir de leçon à quelque code invisible. Les mots du tueur, tranchants comme le fil de sa lame, laissèrent Didier démuni, tel un enfant coupable qu’on sermonne avant le châtiment.

    « Je… Je n’ai rien fait de mal, putain ! Je… Je vous l’jure… Je ne suis qu’un simple négociant… » Bégaya-t-il, piteusement, les sanglots brisant sa voix tremblante.

    Chaque parole prononcée n’avait plus le moindre écho en cet instant où la survie était devenue la seule chose qui prévalait. Le cœur battant à un rythme effréné, Didier comprenait que cet inconnu était prêt à en finir, ici et maintenant, avec son existence. Et pourtant, une infime lueur d’espoir persista, comme une flamme vacillante qui refusait de céder aux vents violents de la fatalité. Ce fut un murmure de désespoir, un souffle minuscule qui se fit voix, un effort désespéré pour arracher une seconde, une seule, de vie supplémentaire.

    Dans sa détresse, le marchand eut une pensée fulgurante, une lueur dans l’obscurité qui semblait s’ouvrir devant lui comme un dernier recours. Alors que son bourreau se lançait dans une sinistre oraison, il saisit l’occasion, réactivant son esprit affûté, cette arme qu’il manie depuis toujours avec habileté et audace. Les mots lui échappèrent, frénétiques, chaque syllabe se frayant un chemin dans l’espoir de renverser l’irréversible :

    « Je vous en prie, ne… ne faites pas ça. N… Nous ne sommes pas forcés d’en arriver là… J’ai une… proposition à vous faire… S’il vous plaît ! » Murmura-t-il, presque inaudible, sa voix étranglée par la peur et l’émotion.

    Un silence glacial tombait alors lourdement entre eux.

    Chaque seconde, longue et cruelle, se cristallisait en une éternité insoutenable. Didier retint son souffle, suspendu au regard de son bourreau, tentant de deviner s’il existait dans ce masque impassible la moindre once de clémence. Puis, avec un soulagement infini, Didier vit l’assassin stopper son obituaire. Il n’osait y croire et il sentit une certaine euphorie monter en lui. Mais il la contint car il ne pouvait gaspiller cette chance, cette ultime, fragile et précieuse chance qui s’offrait à lui. C’était le moment où jamais.

    Les mains tremblantes, Didier fit glisser sa chevalière hors de son annulaire. Il lui semblait que toute la fierté qu’il avait bâtie durant des années d’efforts et de ruses s’étiolait en même temps que le bijou qui quittait sa peau. Mais la vie valait tous les sacrifices, tous les compromis. Didier, en bon républicain, avait toujours préféré le pragmatisme à l’idéalisme.

    « T… Tenez. Pre… prenez ça… C’est ma chevalière, montrez-la à vos commanditaires et ils sauront… Quant à moi je m’engage à… m’éffacer… Laissez-moi simplement… partir. »

    Ses paroles résonnaient d’une sincérité désespérée. Un marché perdu peut se renégocier, une fois la tempête passée. Mais on ne revient pas de la mort. Telle était la philosophie du marchand de Liberty. Le tueur fixait la chevalière de son air insondable et froid, la gravité de sa posture augurant d’un possible revirement. Didier, prenant une inspiration tremblante, se rendit compte que cette simple pièce de métal pourrait ne pas suffire. Non, il en fallait plus. Il ne pouvait se permettre d’économiser dans un tel marché ; il s’agissait de sa vie après tout, et toute autre préoccupation était désormais secondaire. En effet, la signature prévue le lendemain n’allait pas se faire sans un important bakchich…

    Le tout pour le tout...


    « Je… Je pourrais également… vous offrir une compensation, une somme que je vous ferai livrer à l’endroit de votre choix si vous acceptez… » Sa voix hésitait, mais une détermination perçait, comme un dernier éclat de bravoure dans cette nuit funèbre.
    Puis il prononça les mots, d’un ton presque solennel, calculé dans un ultime pari :

    « 200 pièces d’or… » Avait-il ajouté, le souffle court, suspendu aux lèvres du tueur.

    L'ultime pari était lancé. Le silence qui suivit pesait aussi lourd qu'une sentence. Didier sentit ses dernières forces le quitter peu à peu, mais il refusait de baisser la tête. Devant cet homme dont l’indifférence impitoyable incarnait la Faucheuse elle-même, il persévérait en dépit des circonstances, à se maintenir en ce monde.

    ALEA JACTA EST...
    Réponse N°5
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  • Lun 28 Oct - 17:57


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    Que les Gardiens me pardonnent d'avoir stoppé ma communion avec eux. Visiblement, l'heure de cette pauvre âme égarée avait été remise à plus tard. Il avait su capter mon intérêt et une nouvelle fois, la petite souris avait été chanceuse. De nombreux assassins, se prenant à tort pour l'incarnation de la mort dans un ego démesuré, auraient crié haut et fort « aucun argent ne peut m'acheter, je suis artiste et je tue pour des raisons plus profondes que l'argent. ». Ce qui était le cas de cette vampirique Nazg-Sash, qui aurait sûrement rigoler à la face du pauvre homme avant de lui planter ses crocs dans le cou et de se rassasier de son sang.

    Chanceux, car je n'étais qu'un homme, gagnant sa vie en mettant à profit ses qualités et les petites portes qu'il avait réussi à ouvrir seul. Mais je n'en restais pas moins attiré par le profit. Je rêvais d'une vie libre, loin des tracas de ce foutu continent, où je pourrais fonder une famille, comme quelqu'un de normal, mais sans le fléau de l'Humanité : l'argent. Je savais bien que cet homme ne pouvait totalement m'offrir cela, mais il pouvait certainement bâtir la première pierre sur la route qui me permettrait d'y accéder. Entièrement perdu dans cette pensée d'une éclaircie dans ce futur sombre, je n'avais écouté les paroles de l'homme qui venait me tendre son bijou.

    Une chevalière, qui malgré sa bonne facture ne pouvait me procurer bien plus que ce que j'avais imaginé. De plus, il me suffisait de lui trancher la gorge pour récupérer cette babiole de valeur. La griffe de mon index vint passer à l'intérieur de l'anneau, l'approchant de mon œil unique afin que j'en contemple les détails. Il n'y avait pas à dire, c'était une belle pièce, qui se revendrait à bon prix une fois mon commanditaire ayant confirmé qu'elle appartenait bien à notre cible. L'expansion chitineuse vint placer le bijou à l'intérieur de ma cape ébène alors que mon iris se tourna de nouveau vers ma proie. Alors que ma déception d'une telle offre pouvait se lire sur les traits de mon visage, je m'apprêtais à offrir ma réponse du fil de ma lame. Puis une nouvelle fois, le malheureux saisit cette chance qui en devenait presque palpable.

    « Tes mots ont été bien choisis. »

    200 pièces d'or. Une offre bien plus alléchante et pharamineuse pour un homme de ma stature. Il était quasiment inimaginable pour moi d'avoir espéré un jour pouvoir gagner autant en une seule et unique journée. Il avait visé juste, comme s'il avait pu lire dans mes pensées lorsque je rêvais d'un futur radieux pour moi et mes proches. Cette offre dépassait allègrement celle proposée pour la mise à mort de cet homme. Les dés avaient été grandement redistribués.

    « Comment puis-je m'assurer de ta sincérité ? J'ai vu des hommes et des femmes de tout bord vouloir m'offrir toute sorte de chose pour éviter la mort. Je ne tue pas par pur plaisir, ni par envie. Si je peux croire en cette offre, alors je reconsidèrerais ta situation ici. »

    Une ultime question, qui allait être décisive.





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  • Mer 30 Oct - 8:10



    Il avait laissé échapper un soupir. Non pas cet ultime soupir que l’on exhale lorsque la vie vous quitte, non. Un soupir de profond soulagement, d’espoir, un soupir de vie. Il avait presque hoqueté sous l’émotion de voir la mort, peut-être, se détourner de lui ce soir-là. C’était une expiration lourde, tremblante, un filet de vie exhalé comme un parfum rare, fragile, dans la perspective de plus en plus palpable que cet inconnu au regard perçant se détourne enfin de son sombre projet.

    Cependant, au milieu de cette nuit imprévisible et mortelle, tout n’était pas encore joué et chaque mot pouvait encore peser plus que l’autre dans cette lutte pour la vie. Didier sentit pourtant une lueur d'espoir traverser le voile qui s’était abattu sur lui. Il en tremblait encore, les épaules frémissantes, bien conscient que, sans doute, il venait d’effleurer la mort, une nouvelle fois, d’un peu trop près.

    Sentant la morsure tenace de la douleur à sa cuisse, il grimaça, passant une main sur la blessure, là où, grâce à sa compétence de régénération, le sang avait cessé de couler, mais où la douleur continuait de consumer sa chair, rappel cruel de sa condition et du poids de ses choix. L’effort pour contenir sa respiration et calmer ses mains tremblantes était presque surhumain, mais il lui fallait désormais jouer de sa meilleure carte : celle de l’homme prudent, mais sincère. De l’homme qui, malgré les circonstances, savait honorer ses promesses.

    « Je… Je suis un homme de parole, vous savez… » Laissa-t-il échapper, la voix encore empreinte d’une nervosité palpable.

    L’inconnu le fixait, impassible, attendant visiblement une preuve concrète, un argument qui scellerait cet accord temporaire, cette trêve délicate qu’ils semblaient tisser l’un et l’autre dans la nuit. Didier dut faire appel à toute sa concentration pour ne pas laisser son propre désespoir transparaître et afficher une détermination presque insolente en ces circonstances.

    Il plongea une main dans sa veste, cette main valide qui lui restait, cherchant à extirper un objet, un document, qui, en cette situation extrême, pourrait servir de garantie. Tout en gémissant de douleur, sa main sortit un papier, aussi précieux que rare dans le contexte troublé de Kyouji, qu’il brandit avec un mélange de méfiance et de prudence envers son interlocuteur.

    « Tenez… Voici quelque chose qui devrait vous convaincre. »

    À travers la pâleur de son visage et la tension de ses traits, Didier tendit le laisser-passer, un document marqué du sceau administratif, gage de libre circulation aux portes de la ville et d’une autorité conférée par les nouveaux maîtres de celle-ci. Sa main tremblait, certes, mais il la stabilisa d’une respiration profonde. Par ce geste, il démontrait une volonté sincère de rassurer l’homme en face de lui, exempte de toute duperie du fait de l’importance manifeste de ce document pour le marchand.

    « C’est mon laisser-passer pour entrer et sortir de Kyouji à ma guise… Je vous propose de me le rendre à l’issue de notre échange. » Poursuivit-il d’une voix que l’épuisement et la douleur rendaient rauque, mais où perçait encore une certaine détermination.

    « Ainsi, vous serez assuré que je ne fuirai pas avant d’avoir honoré notre marché. Il me lie autant à cette ville qu’à cette transaction que nous négocions ici désormais. »

    Didier serra alors l’objet, le présentant comme un gage de bonne foi qu’il n’offrirait qu’en dernier recours, comme une amulette sacrée que l’on offre pour apaiser un dieu capricieux. Son regard, un instant dévié vers l’endroit où l’inconnu avait rangé sa chevalière , revint alors vers le visage de son interlocuteur, espérant y déceler une ombre d’acceptation, ou du moins de considération pour l’offre mise en avant.

    « J’ose espérer que… Vous êtes autant homme de parole que moi… » Glissa-t-il avec un sourire prudent, comme pour conjurer le mauvais sort.

    Didier maintenait son regard, conscient de chaque seconde qui s'écoulait, de chaque battement de son cœur en suspens. En dépit de son apparence fatiguée, des douleurs et des incertitudes, une étincelle d’espoir palpitait, alimentée par cette ultime tentative de persuasion.

    « Est-ce que… Est-ce que cette garantie vous convient-elle ? »
    Réponse N°6
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  • Mer 13 Nov - 15:02


    An 0, sous le ciel de Kyouji.

    L'atmosphère ambiante avait quelque peu changée, passant d'une chasse à l'homme à la fin certaine à une redistribution des cartes. Une négociation s'entamait alors entre la proie et le félin. Bien que j'en convienne, la position dans laquelle nous nous trouvions était bien particulière pour un échange de bons procédés. Ma dague s'était rapprochée de sa gorge, pour appuyer mes propos. Il était fort aisé de promettre à son bourreau monts et merveilles pour se sortir de cette situation. Il était souvent bien plus difficile d'en apporter une preuve concrète pour fixer la parole dans le marbre.

    L'homme aux abois n'avait pas l'air de douter de sa bonne foi quant à la remise des deux-cent pièces d'or. Mais malheureusement, c'était moi qu'il fallait convaincre et j'avais tendance à être peu à l'écoute lorsque les beaux parleurs dans son genre tentent de garder leur tête sur leurs épaules et leurs trachées dans leur gorge. Il y avait eu cette fois où un homme de basse naissance avait osé me faire croire qu'il pouvait m'offrir des richesses au-delà même de celles de l'Empereur grâce à un trésor qu'il avait trouvé à l'intérieur d'un temple. Cet homme était connu pour passer sa journée à picoler dans les tavernes d'Ikusa et pour vomir sur les étalages des marchands lorsque la matinée pointait le bout de son astre. Il n'y avait pas à dire, l'imagination était débordante lorsqu'il s'agissait de sauver sa peau. Malheureusement, tous n'étaient pas aussi bons menteurs que celui qui se trouvait aujourd'hui sous le fil de ma lame.

    « C'est assez marrant le nombre d'hommes de parole que j'ai croisés dans ce genre de situation. »

    Une petite phrase au ton neutre, esquissant un très léger rictus, en réponse à la première phrase qui sortait de la bouche de Didier. Je resserrais un peu la lame sur le côté de sa gorge, s'enfonçant tranquillement dans la peau sans en faire couleur le sang pour le moment. Un simple mouvement, vers la droite ou la gauche, et c'était l'intérieur de son larynx qui allait pouvoir contempler la lumière du jour. Malgré tout, le courageux plongea la main dans l'intérieur de sa veste. Tentait-il un dernier coup de Trafalgar, allait-il tenter d'abattre son ultime carte en sortant une quelconque arme malgré la proximité froide de Murmure ?

    Finalement, ce fut tout  autre, un simple morceau de papier en apparence. Cependant, celui-ci était d'une importance capitale pour la circulation libre de ce marchand à la tête mise à prix. La longue griffe ébène de ma main gauche vint saisir le document, que j'observais en détail pour m'assurer de la véracité du sceau administratif et ne pas me faire avoir par un document falsifié pour ce genre de situation ou simplement pour passer outre les autorisations de la ville. Mon œil unique pouvait le contempler, ce document était bien vrai et confirmait les propos de la petite souris.

    « Je ne peux définitivement pas me qualifier d'homme de parole... »

    La voix se voulait sinistre, comme un couperet qui impose sa décision et qui fauche la vie. Ma poigne s'enserra un peu plus sur la lame, plongeant mon regard macabre dans celui de l'homme avant d'... Uniquement me relever. Une sorte de dernière mise en garde. Je venais attraper la main de Didier de ma senestre, non pas pour le relever, mais pour agripper un morceau de sa manche et en découper une partie.

    « ... Mais cet arrangement me parait honnête et je serai stupide de ne pas saisir l'occasion. Cependant, je garde ce morceau de tissu. Si vous essayez de me berner ou de rompre notre accord par quelques procédés, j'arriverais à vous retrouver grâce à ça. »

    Dépoussiérant quelque peu ma cape tout en gardant un œil sur ma proie en cas de révolte, dans un ultime baroud d'honneur, je venais placer le laissez-passer à l'intérieur de ma poche, au même endroit que la chevalière de l'homme. Je renfilai calmement mes gants noirs, avant de m'adresser une dernière fois au petit rongeur.  

    « Bien. Maintenant que nous avons tous les deux accepté le marché, vous pouvez partir récolter vos petites pièces d'or. Demain, à l'aube, et pas après, vous déposerez la petite besace remplie de mon paiement à la taverne du Vieux Tonneau tout en demandant expressément à remettre ceci à la Griffe Spectrale. Je ferais de même pour votre document. »

    Je tournais alors les talons avant de rejoindre d'un bond le petit muret qui portait encore les traces de sang du fuyard ayant loupé son ascension.

    « En attendant, je garde un œil sur vous. »  




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    Didier Van Strijdonck
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  • Jeu 14 Nov - 11:22



    La peur glaçait toujours l’esprit de Didier, aussi tranchante que la dague que cet assassin maintenait dangereusement contre sa gorge. Son souffle était court, haché, comme si chacun de ses mots risquait de le rapprocher un peu plus de la fin. Mais il parvint tout de même à puiser dans ce qu'il lui restait de courage, ou plutôt de survie, pour répondre à l'inquiétude méfiante de son interlocuteur.

    « Je… Je comprends que… Que dans des circonstances comme celles-ci… Ma parole puisse vous paraître bien maigre. Mais je vous assure… Je suis très sérieux, Messire. » Sa voix tremblait, un voile de panique dissimulé à peine derrière une politesse affable, comme un frêle bouclier contre cette mort en attente et qui lui lacérer presque la gorge. Sentant l'effilée de la lame presser encore un peu plus contre sa peau, Didier eut un léger spasme et se mit à divaguer pour essayer de sauver sa peau une fois de plus.

    « Ce laissez-passer… ce n’est pas juste un bout de papier, c’est… c’est un gage que je suis prêt à tout pour honorer notre accord! Demain, vous aurez vos 200 pièces d’or, je vous le promets! »

    Il eut un rire nerveux, dénué de joie et teinté d’une amertume tremblante, ses mains moites et fébriles en attestaient. « Les pièces seront là, vous n’aurez qu’à les prendre, et je ne chercherai même pas à vous revoir… »

    Mais l’assassin ne semblait toujours pas se laisser convaincre facilement, préférant rester aussi glacé et impassible qu’une statue de pierre. L’inconnu éloignait alors lentement sa lame puis, en des gestes contrôlés et méthodiques, s’emparait d’un morceau de la manche de Didier, découpé avec précision. La tension s’amenuisait, un répit que Didier savourait avec précaution, sans oser encore y croire.

    Draven expliqua ensuite froidement la suite des opérations. Didier devrait déposer les 200 pièces d’or, dès l’aube, dans une bourse à la taverne du ‘Vieux Tonneau’. Il était impératif de spécifier que clea serait pour ‘Griffe Spectrale’, afin de s’assurer que l’offrande parvienne à bon destinataire. Didier hocha frénétiquement la tête, gravant chaque mot dans son esprit comme si sa vie entière en dépendait, ce qui n’était, au final, pas loin de la vérité. L’assassin, visiblement satisfait, tourna les talons et disparut dans la nuit, le laissant seul avec ses pensées et ce souffle de vie qu’il venait tout juste de recouvrer.

    Didier attendit quelques minutes, luttant pour retrouver une contenance, bien que ses jambes le trahissaient encore, tremblantes de peur. Ses mains vinrent se poser sur son visage, masquant ses yeux humides alors que, finalement seul et en sécurité, les nerfs rompirent. Un sanglot étranglé s’échappa de lui, une réaction brutale, incontrôlable, qui se transforma en une vague d’émotions lourdes alors qu’il prennait la mesure de se qui venait de se passer. Il pouvait encore ressentir la morsure de la dague, la proximité de la mort qui l'avait frôlé de si près qu’il se demanda un instant s'il n'avait pas perdu son âme dans la confrontation.

    Cela lui prit un long moment avant de pouvoir se relever, endolori, fatigué et vidé de tout courage. Ses pensées s'entremêlaient, chacune se heurtant à l’image glacée de cet assassin et au souvenir vivace de cette négociation aussi humiliante qu’effrayante. Le républicain peinait à reprendre contenance, encore emporté par le souvenir de cette mort en sursis, oscillant entre un effroi insondable et une haine sourde contre lui-même pour avoir imploré sa vie avec autant de servilité. Une fois debout, il jeta un coup d'œil autour de lui, essuya ses larmes et tâcha de rassembler ce qui lui restait de dignité avant de s’engager sur le chemin qui le menait à son pied-à-terre où il comptait passer la nuit. Il n’irait donc pas conclure ce marché demain matin…

    *****

    L’aube était pâle, encore timidement voilée derrière un ciel lourd de promesses de pluie. Didier se trouvait à l’orée de la taverne du Vieux Tonneau, une petite bourse serrée contre sa paume. 200 pièces d’or, ni plus ni moins, accumulées après une nuit passée à calculer et à mettre en ordre ses biens pour réunir cette somme sans vider entièrement ses coffres. La sueur perla sur son front, témoignant du reste de tension encore ancré dans ses veines, malgré les heures passées depuis cette rencontre funeste et cette nuit sans sommeil qui lui avait tiré les traits.

    À l’intérieur de l’auberge, la lumière filtrante révélait les traits usés de quelques habitués, des visages fatigués qui ne lui accordèrent aucun intérêt. Didier se dirigea vers le comptoir où un aubergiste aux yeux mornes nettoyait un verre déjà sale. Didier s’éclaircit la voix, feignant l’assurance malgré la boule qui alourdissait son ventre.

    « Bon… Bonjour. Je… Je suis venu déposer ceci. C’est pour… pour la Griffe Spectrale. »

    Le regard de l’aubergiste se fit plus vif, un éclat de curiosité perçant le voile d’indifférence. Didier glissa la bourse sur le comptoir d’un geste prudent, ses doigts encore accrochés à la toile comme s’il avait du mal à la lâcher. Il fit un pas en arrière, cherchant à se convaincre qu'il venait d’accomplir la dernière partie de ce funeste pacte.

    « Bien, monsieur… Un instant. » répondit l’aubergiste, avant de disparaitre à l’arrière. Après un temps interminable, il était revenu au comptoir et avait déposer le laisser passé qu’avait cédé Didier la veille à son agresseur. « Voilà pour vous. »

    Didier recula légèrement, l’angoisse se déliant en même temps qu’il dépliait le papier pour constater que l'inconnu avait tenu parole, mais une étrange sensation de peur et d’anxiété étaient encore ancrées en lui. Il laissa un dernier regard furtif vers l’homme, cherchant désespérément une confirmation que cette dette de sang, désormais payée, l’éloignerait enfin du spectre de cet assassin.

    Didier reprit ensuite la direction de l’entrée de la taverne, la lumière de l’aube se levant sur ses pas, une éclaircie lointaine dans cette nuit passée à côtoyer la mort elle-même et, alors qu’il franchissait la porte, il n’avait qu’une seule envie: rentrer chez lui.
    Réponse N°7
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