Le Soleil s’était couché depuis quelques temps déjà, tandis que le Vent : Orion Yamveil, ne parvenait pas à trouver le sommeil, comme depuis plusieurs nuits déjà. Depuis son retour du modeste village d’Ombrelune, situé en plein désert, où le dernier né de la famille de forgeron avait passé ces derniers mois, l’espion ne parvenait pas à retrouver un rythme de vie saint. Malheureusement pour lui, ce genre de chose se répercutait sur son physique, amenant à une violente perte de poids, le rendant presque squelettique. Sa chevelure d’un blanc presque lunaire, descendait en cascade jusqu’au haut de ses épaules et, le jeune homme se voyait avoir une barbe de quelques jours déjà, lui qui se la taillait chaque jour avant le couché.
En bref, Orion était devenu un tout autre homme, suite à sa défaite cuisante contre l’entité RIX, l’envoyée des Titans. Il détestait l’échec et, cela le rongeait profondément, à tel point que ce n’était plus seulement son mental qui était impacté. Fort heureusement, Zéphyr, son ami de toujours, était là pour l’épauler durant ces moments difficiles, même lorsque le chef-espion refusait son aide. Sans lui, la fin d’Orion aurait probablement déjà été sonnée.

Il déambulait, d’une démarche terriblement pénible, dans les couloirs de son manoir, en bien piteux état, étant donné qu’il n’avait plus le moindre personnel d’entretien. Il n’avait déjà qu’un simple majordome par le passé alors, bon… Chacun des miroirs présents dans l’enceinte de sa propriété avaient été brisés par ses soins, d’un simple coup de poing. À chaque fois qu’il passait devant l’un d’entre eux, il ne pouvait regarder son propre reflet, tant il se répugnait lui-même. Finalement, personne n’avait voulu lui dire s’il y avait eu des blessés, ou même des morts, ce soir-là. Non pas qu’il se refusait de tuer les ennemis de la nation, mais, lorsqu’il s’agissait d’innocent, comme les habitants de cette cité prospère, les choses étaient nettement différentes.

Soudain, des frappes résonnèrent sur la porte principale de ce que les gueux pouvaient appeler un « manoir ». Interloqué, Orion se dirigea en direction des bruits sourds, ne s’attendant pas à recevoir la visite de quiconque, si ce n’était celle de Zéphyr, et encore, le Ministre avait certainement mieux à faire que de s’occuper d’un lycanthrope suicidaire. Ses pas résonnèrent, l’espion avançant toujours d’une démarche complètement décousue, comme s’il était mort intérieurement. Comment faire pour mourir, lorsque l’on a un monstre en nous, qui nous empêche littéralement de passer de l’autre côté par nos propres moyens ? C’était impossible, c’était cela qui rongeait le plus le Vent du Reike.
Peut-être était-ce sa vieille amie, Lyra. S’il pouvait la qualifier d’amie, bien entendu. Mais, l’épreuve qu’ils avaient traversée ensemble les avait de toute façon rapprochés d’une manière significative, même s’ils ne s’étaient pas revus depuis bien longtemps.

En passant devant une fenêtre, l’espion à la vision affûtée avait reconnu une silhouette féminine. Logiquement, il pensa à Lyra, mais, la posture n’était pas celle adoptée par la Tovyr, qui restait toujours droite et, le torse bombé. Eris ? Non, cela ne risquait pas, étant donné qu’il la considérait comme étant une personne morte, du moins, à ses yeux. Il continua d’avancer, réfléchissant à qui cela pouvait être et, ce n’était qu’après quelques secondes qu’il sut enfin qui pouvait lui rendre visite. Le Feu.

Finalement, il passa devant la porte, attendit quelques légères secondes, avant de finalement enclencher le mécanisme de la poignée. Il ouvrit la porte lentement, lui laissant le temps de longuement grincer, puis posa directement ses prunelles écarlates dans les yeux de son invitée inattendu. Il ne lui laissa pas le temps de prendre la parole, qu’il engagea directement la conversation, à peine les protagonistes eurent le temps de se jauger.
« Shahana, qu’es-tu venue faire ici ? » Demanda Orion, d’une voix douce et légère, attendant la réponse de son interlocutrice. Une fois celle-ci donnée, il l’invita à entrer dans sa modeste demeure, puis lui fit un signe de la tête, lui indiquant qu’elle pouvait le suivre.

Ensemble, ils avancèrent dans la pénombre, aucune torche ni aucune bougie n’était allumée pour permettre aux espions d’avancer sans peine dans le domaine du Yamveil. Après quelques secondes, ils arrivèrent dans un petit salon. Une table basse posée devant une cheminée et, entourée de quelques fauteuils faits de matières nobles. Il prit quelques secondes pour allumer un feu, le temps que son acolyte prît place sur l’un des fauteuils si elle le désirait, puis il alla s’asseoir à son tour. Il était fébrile et, lorsqu’il prit place, il ne put pas tenir son dos bien droit, il arqua donc ce dernier, puis reposa ses coudes sur ses jambes. Il laissa son regard écarlate glisser jusqu’à celui de son interlocutrice pour enfin engager la conversation.
« Comment vont les affaires depuis la dernière fois ? Tu n'as tué aucun innocent ? Tu n’as failli à aucune des missions que notre chef t’a données ? Tu as réussi à protéger les tiens ? » Questionna Orion, allant droit au but comme à son habitude. Rien qu’à l’intonation donnée dans sa voix, on ressentait le fait qu’il se morfonde, qu’il éprouve d’épouvantables regrets sur sa dernière mission.

Qui pouvait bien avoir envie de trouver un meurtrier tel que lui ? C’était bien ce qu’il se demandait. Néanmoins, il retrouvait bien là sa vieille amie, sa camarade de longue date, qui, même dans ce genre de situation, ne manquait pas de politesse. Malheureusement, elle était face à un homme qui avait changé du tout au tout après cette atroce tragédie d’il y a seulement trois mois. Mais, trois mois ne suffirent pas à refermer certaines plaies, même avec l’aide de son meilleur ami et de personne sur qui compter. Les faits étaient là et, au-dessus de cela, il y avait le monstre incontrôlable qui sommeillait en lui. Les voix dans sa tête qui lui murmuraient de sombres desseins à accomplir, à l’encontre de ses principes, à l’encontre de sa nation et, pire que tout, à l’encontre de ses amis qui, pour certains, étaient comme sa famille.

« Si tu peux remonter le temps pour empêcher cette chose de me jeter sa perfide malédiction, alors tu auras ma reconnaissance éternelle. Mais, dans le cas contraire, tu ne peux rien faire, Shahana. » Répondit Orion, en employant cette fois-ci un ton légèrement plus poli et moins agressif. Après tout, il fallait bien qu’il se reprenne en main, même si ce n’était pas facile, au moins avec ceux qui essayaient de l’aider. C’était vrai et, beaucoup en avaient fait les frais, mais se montrer agressif envers ses amis, même quand ils sont compréhensifs, pouvait le mener à sa perte.
« Que deviens-tu, mon amie ? Je veux dire, en dehors du travail ? » Demanda ensuite le Vent, tout en essayant de chasser ses pensées les plus obscures. Il essayait de faire abstraction de son état mentale durant quelques instants, même si c’était une chose difficile à faire et, même si cela ne durerait certainement que quelques minutes avant qu’il ne recommençât à vriller de lui-même.

« Pourquoi ne t’aurais-je pas ouvert la porte ? Je ne suis pas un sauvage. » Exprima-t-il, alors que tout le monde le savait, il en était clairement un. En réalité, lui-même ne savait pas pourquoi il avait ouvert cette porte. La détresse ? Vouloir briser le cycle de cette solitude dans laquelle il s’était mis ? Certainement. Après tout, à part les quelques visites de Zéphyr, il ne voyait personne. C’était alors peut-être ça, la clé de sa guérison. S’échapper. Voir du neuf. Mais, pour l’instant, il préférait nettement rester dans cet endroit, là où il était certain de faire de mal à personne.

Alors qu’il attendit la réponse de son interlocutrice, un long soupir s’échappa d’entre ses lèvres, alors qu’il se leva délicatement, ses jambes tremblantes sous le poids de son squelette. Il se déplaça, tant bien que mal, en direction d’une table de bois juxtaposant une fenêtre bien trop poussiéreuse pour laisser la lumière émise par les rayons lunaires passer convenablement. Sur celle-ci était déposé un livre, relativement épais. Le titre était illisible, il semblait avoir été effacé avec le temps mais, ce n’était pas un grand problème. L’important restait le contenu, après tout. Il le prit dans sa main et, se retourna pour faire face au Feu.
« J’ai ce livre que je viens de terminer, Shahana. Une histoire soi-disant vraie retraçant les aventures d’un espion durant les révoltes d’il y a deux mille cinq cents ans. C’est drôle, à quel point le monde était différent, à l’époque. » Expliqua le chef-espion. Il s’approcha ensuite de son interlocutrice, puis lui tendit l’œuvre -certainement- historique. « Prends-le. Si tu as le temps, lis-le, au moins les deux premiers chapitres et, tu me diras ce que tu en penses. » Continua-t-il, dans une vaine tentative de faire comprendre à son interlocutrice qu’elle pouvait revenir quand elle le souhaitait.

Voilà à quoi devait faire face Orion, d’horrible changement d’humeur. Une dizaine de minutes en arrière encore, il voulait rester seul, se morfondre dans sa solitude et, maintenant, voilà qu’il trouvait une excuse stupide pour que le Feu revînt lui rendre visite. Il était… pathétique. Il était tombé bien bas. Enfin, au moins, il essayait de se montrer un minimum sociable, pour l’instant. Mais, nulle doute que ça n’allait pas durer longtemps comme cela.