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Le Chevalier Noir
Deydreus Fictilem
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crédits : 1549
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Info personnage
Race: Vampire
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B - Griffe
Citoyen du Reike
Vaesidia Inviere
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crédits : 1630
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L’obscurité. Voilà tout ce que mon acuité visuelle parvenait à percevoir. D’indicibles ténèbres m’entouraient. Où étais-je ? Pourquoi faisait-il si sombre ? Pour quelles raisons cet endroit était-il dépourvu d’absolument tout ? Ni son. Ni odeur. Ni animaux. Ni personne. J’errais tout simplement dans le vide. Comment m’étais-je retrouvée ici ? Je l’ignorais. Par réflexe et afin d’y voir plus clair, je parcourus cet espace. D’abord en marchant. Puis en courant. Rien n’y fit. Je demeurais prisonnière de ce désert de noirceur. Étais-je sous l’emprise d’un maléfice ? Si oui, quel était son but ? Pourquoi m’avait-on emmenée ici ? Et où ce ici se trouvait-il ? Étais-je simplement encore en vie ? Mon âme était-elle devenue la captive des astres ? Non. Je m’en souviendrais si tel était le cas. Il y avait forcément quelque chose ou quelqu’un. Je n’étais pas la seule personne à fréquenter ce lieu ! C’était inconcevable. Du moins, c’est ce que je prétendais. Pour me rassurer. Pour ne pas rendre concrète cette pensée qui de minute en minute, alors que j’usais de ma voix pour sonder les environs en quête d’une tierce personne, s’imposait de plus en plus aux confins de mon esprit et que je dus malheureusement accepter après un certain laps de temps : j’étais seule.
À peine formulais-je cette réalité, que des bruits de pas résonnèrent au loin. Ce son, pourtant si anodin, attira toute mon attention au point que mes oreilles se dressèrent par réflexe. J’ignorais à qui ils appartenaient, mais, en revanche, j’avais conscience que ce simple bruit incarnait mon salut. Quelqu’un était ici. Quelqu’un était ici avec moi ! Mais encore fallait-il rejoindre ce mystérieux quidam. Mue par le désespoir, je me mis à courir, le plus rapidement possible, vers la source de cette sonorité qui devenait, au fur et à mesure, plus distincte. Alors que je continuais à me démener pour atteindre mon but, je remarquais qu’une infime partie de mon environnement s’éclaircissait et se métamorphosait. Sans que je ne pusse saisir l’origine de ce prodige, le chemin que j’empruntais était soudainement pavé de marbre blanc. De part et d’autre de ce sentier et à intervalles réguliers, des candélabres en or massif éclairaient ce dernier grâce à leurs flammes. Quel était ce lieu ? Où menait-il ? Ces questions, pourtant ô combien cruciales, étaient, en cet instant, dérisoires. Mon seul sentiment. Non. Mon seul et unique désir était de rejoindre l’homme ou la femme à qui appartenaient ces pas qui, d’ailleurs, semblaient proches. Cette allée me mena à un escalier également en marbre et qui semblait menait, tout droit vers les cieux.
À 4 ou 5 mètres de moi, en hauteur, se trouvait un homme dans une simple armure recouverte d’un tabard pourpre sur lequel était affichée une manticore dorée. Bien qu’une distance pour le moins conséquente nous séparât, je percevais aisément ses traits. Il s’agissait d’un individu d’âge mûr avec une allure imposante qui n’était pas dénué de prestance. Au-delà de son élégance et d’une certaine forme de charisme, il se dégageait de lui une certaine forme de sagesse ou plutôt de perspicacité qui se reflétait assez bien dans son regard que l’on sentait aussi perçant que celui d’un aigle. Cet individu aux cheveux bruns et dont le visage était encadré par une petite barbe taillée d’une teinte grisonnante demeurait, malgré la situation dans laquelle nous nous trouvions, des plus calmes. À croire qu’à ses yeux, rien ne semblait plus normal que de se retrouver dans cet endroit. Ironiquement, connaissant très bien cette personne, j’avais conscience qu’il n’en laissait rien paraitre et qu’il était probablement fasciné par cet endroit. Les mystères avaient toujours su le séduire au point que durant sa carrière militaire, le Royaume avait pu avoir recours à ses services pour certaines affaires criminelles au sein de l’armée Reikoise.
Cet humain, qui fut autrefois mon général, continuait à emprunter ces escaliers. Tâchant de le rattraper, je les montais à mon tour en courant et essayais d’attirer son attention en criant d’une voix presque désespérée.
« Légat ! Attendez-moi ! »
Celui-ci se contenta de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule et adopta une expression qui semblait être quelque peu affligée lorsque son regard se porta brièvement sur mon armure aux couleurs rouge et noire. Malgré mes suppliques, il poursuivit son ascension vers les étoiles et ce qui semblait être la porte d’un antique temple. Pour le moins imposante, cette entrée, constituée entièrement de marbre, était surmontée d’un fronton sur lequel était représenté des scènes de notre rébellion contre Tensai et elle était entourée par de gigantesques pilastres sculptés. Essayant de l’empêcher de franchir le seuil de ce qui s’apparentait en mon for intérieur à un mausolée je redoublais d’efforts pour le rejoindre jusqu’à ce que je manquasse une marche et tombasse au sol. Ignorant la douleur, je tendais le bras vers cet homme et m’apprêtais une nouvelle fois à l’interpeller jusqu’à ce que mes yeux se posassent sur cet accès et s’écarquillassent alors que je laissais échapper ces simples mots dans un murmure :
« Mais c’est… »
Au niveau du vestibule, était présente une véritable légion. Celle-ci avait les mêmes armoiries que l’officier que je poursuivais et semblais attendre, de manière disciplinée, que ce général vienne les commander à nouveau. Du fait des casques et des larmes qui roulaient le long de mes joues, je ne percevais aucun visage familier. Pourtant je savais que j’avais commandé ces hommes et ces femmes et que leur présence ici était simplement de mon fait. Éprouvais-je du regret ? Non. J’avais conscience d’avoir fait ce qu’il fallait bien que jamais au grand jamais ces personnes et moi-même n’aurions nous nous élever contre l’avènement du seul véritable empereur du Reike. Quoi qu’il en soit, dès que ce légat les eu rejoint, cette armée, aujourd’hui disparue, le salua de manière uniforme et se mit en marche derrière lui alors qu’il pénétrait à l’intérieur du temple…alors qu’il se mettait à arpenter les cieux avec la volonté manifeste d’assujettir les étoiles au cours d’une geste dont seuls le Soleil et la Lune seraient les témoins.
« Légat ! »
Sans poser ne serait-ce qu’un dernier regard, cet humain pour lequel j’avais éprouvé un immense respect ainsi que son armée se mit en marche. Tendant le bras pour essayer de saisir, en dépit de la distance, une des capes pourpres des soldats, afin de me relever et de rejoindre cette légion…ma légion, je fus condamnée à la voir disparaitre vers ce qui serait une nouvelle odyssée alors que les portes en bronze du temple se refermèrent derrière eux dans un claquement…
Ce bruit associé au craquement d’une bûche dans l’âtre me réveilla aussitôt dans un sursaut qui surprit les quelques personnes présentes dans la pièce. Les yeux écarquillés et la respiration haletante, je mis plusieurs secondes à appréhender le fait que cette vision n’était rien si ce n’est un rêve…ou plutôt un cauchemar. Me pinçant l’arrête du nez temporairement à l’aide de ma main droite, je tâchais de me calmer tout en réfléchissant à ce que j’avais vu. Il ne fallait pas être un oracle pour interpréter ce songe. Que ce fût tangible ou chimérique, j’eusse assisté à l’ascension vers les cieux du général le plus talentueux et respectable que j’eusse rencontré et à l’aurore de ce qui serait son ultime campagne militaire. Qu’importe que ce mirage fût véridique ou non, une part de moi-même regrettait de ne pouvoir les rejoindre, de ne point, lors d’une dernière occurrence, brandir les couleurs de notre légion et de croiser le fer avec nos adversaires.
Pourtant, en étais-je seulement digne ? Probablement pas. Après tout, je n’étais qu’une traitresse dont le seul exploit avait été de s’opposer à l’avènement du dirigeant légitime du Reike en soulignant qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un barbare usurpateur au comportement libidineux. À l’inverse de mes camarades, je n’avais su obtenir une belle mort au combat qui m’aurait permis d’expier mes fautes. A contrario d’eux, j’avais fait fi de mon serment. Je n’avais fait preuve d’aucune loyauté envers la légion à laquelle j’appartenais. Bien que je fusse janissaire, je n’avais plus jamais porté les couleurs des membres de la XIIIe Legio Mantichora quand bien même j’honorasse leur souvenir. Non. Je ne pouvais prétendre partager leur sort alors que je n’étais plus qu’une inconnue. Une inconnue qui mesurait pleinement sa solitude. Une étrangère qui avait conscience qu’elle n’était plus qu’une coquille vide. Une pérégrine qui, désormais, pavoisait aux couleurs des Serres et ce, alors, que je n’avais tissé aucun véritable lien avec les membres de cette troupe. Non que je fisse quelque effort pour remédier à cette réalité.
Soupirant longuement, je me redressais quelque peu sur ma chaise et me frottais les yeux pour pleinement chasser le souvenir du rêve que je venais d’avoir et afin d’acclimater ces derniers à la luminosité ambiante. Ironiquement, ces simples mouvements parvinrent à focaliser mon attention, et ce, alors qu’une onde de douleur traversa mon corps brusquement. Sous l’effet de cette souffrance, mon visage se crispa et un souffle rauque s’échappa de mes lèvres. Par réflexe, je serrais les dents pour étouffer un gémissement involontaire causé par cette sensation de calvaire qui irradiait de l’ensemble de mon bras gauche. En vérité, j’avais le sentiment que des éclairs ardents parcouraient ma peau ainsi que mon épiderme ! Et encore, c’était un euphémisme tant la persistance de cette agonie m’était insupportable. Pourtant, j’essayais de ne pas me laisser submerger par ce que me véhiculaient les sens endommagés de mon bras. Afin de ne pas le solliciter, je l’avais aussitôt reposé sur la table, mais devais me contenir pour ne pas le toucher, pour ne pas déchirer les diverses couches de bandage qui le recouvrait afin d’en extirper le mal qui le rongeait, et ce, d’une quelconque manière.
Ma volonté était pour ainsi dire véritablement mise à l’épreuve tant mon instinct me hurlait de me lever et de me précipiter à l’extérieur de cette bâtisse pour aller plonger mon bras dans l’un des abreuvoirs du campement afin que le froid me donnât l’illusion que cette souffrance, qui ne me quittait pas depuis 1 semaine, s’était estompée. Serrant le poing de ma main droite au point de me planter les ongles de la main dans la paume, et que mes jointures en devinrent blanches alors qu’un frisson parcourait l’ensemble de mon corps, j’essayais d’endurer chaque vague de douleur qui parvenait à ébranler chaque fibre de mon être. C’était qu’un mauvais moment à passer. Tel était le mantra que je me répétais en boucle dans ma tête même si je n’étais pas sans savoir que cette prière n’était qu’un piètre moyen de me rassurer. Non seulement j’avais conscience que d’autres épisodes aussi déplaisants auraient lieu au cours de la journée, mais je savais, au regard des conseils formulés par les apothicaires que j’avais dû consulter à la capitale, qu’à moins d’avoir recours à la magie, j’allais devoir m’accommoder de ces quelques désagréments pendant plusieurs semaines. Bien évidemment, les quelques pharmaciens, alloués aux soins des janissaires, avaient eu tôt fait de m’octroyer, en plus des divers cataplasmes à appliquer et des bandages, un breuvage qui, selon eux, était fort approprié, dès lors, qu’il s’agissait d’apaiser les afflictions générées par des blessures d’une telle gravité. Cependant, même si j’avais emporté cette décoction avec moi dans le Nord, je m’étais refusé à y avoir recours. Non que la tentation de porter le récipient contenant à cette potion à mes lèvres ne fût pas grande. Même maintenant, je devais lutter pour ne pas céder à l’attrait que revêtait ce simple objet et me contentais d’essuyer la sueur qui perlait sur mon front et d’écarter les quelques mèches de cheveux présentes devant mon visage.
La raison derrière un tel entêtement ? Elle était pour ainsi dire une origine presque similaire à mon refus d’avoir recours à la magie pour me soigner même si dans ce dernier cas, je savais, également, que mes chances qu’un thaumaturge s’abaissât à soigner, en urgence, une simple esclave de guerre étaient dérisoires, voire inexistantes. Je répugnais à user de ce breuvage pour le simple motif que la Griffe m’avait mandé, par l’entremise d’une missive, à le rejoindre prestement dans les terres du Nord. Aussi, je n’avais pas de temps à perdre avec une quelconque convalescence ou avec le calendrier d’un quelconque médecin versé dans l’art des soins magiques. Qui plus est, je savais, pour avoir vu notamment ma sœur en consommer, que cette potion que l’on m’avait donnée, était un opiacé qui, certes, apaiserait mes tourments, mais qui, dans un même temps, émousserait mes réflexes et pourrait, si je n’y prêtais pas garde, me pousser à vouloir en consommer davantage et plus régulièrement au point d’en être dépendant. En tant que personne, mais aussi en tant qu’arme au service de l’Empire, je refusais par conséquent d’être dans l’incapacité de faire correctement mon devoir même si, en cet instant, il m’était, malgré tout, bien difficile d’apporter mon aide à l’Imperator.
Indépendamment de mon handicap temporaire dont il faudrait me charger d’ici la fin de la journée, je doutais que Fictilem ait fait appel à la bonne personne. D’après sa missive, la ville d’Elentia avait dû subir des attaques de bandits, mais aussi de diverses créatures. Or, bien que j’eusse, par le passé, visité cette région et escorté quelques caravanes, je n’étais pas pour autant une experte dans la traque d’animaux sauvages ou de brigands. Cet homme aurait eu mieux fait de recourir à un membre du RSAF. Au vu de ses fonctions, il devait forcément en connaître un ! Quant aux potentielles activités de brigandage, des éléments de la Maréchaussée auraient pu se charger d’y mettre un terme. Aussi, je ne comprenais pas la nature de son choix. Pourquoi moi ? Je n’étais qu’une simple archère passionnée par l’art de la guerre. Rien de plus. Même si certains pans de l’armée avaient eu, lorsque j’étais encore capitaine, pour mission de pacifier certaines régions du fait des pillages, il n’en demeurait pas moins que je n’étais pas la plus experte dans ce domaine. Cela n’avait strictement aucun sens !
Soupirant longuement, je me saisissais de mon yumi que j’avais déposé sur la table, avant mon assoupissement inopiné et je pivotais sur ma chaise afin de le placer, délicatement, entre mes jambes et de l’inspecter scrupuleusement, tout en réfléchissant aux motifs qui avaient poussé la Griffe à avoir recours à moi. Du fait de l’expédition du Vent d’Acier, de notre retour triomphal à la capitale, et de mon excursion jusqu’à Elentia, je n’avais guère eu le temps d’examiner l’état de mon arc. Or au vu des conditions climatiques pour le moins extrêmes, associé à l’usage que j’avais dû en faire récemment, j’avais conscience que mon arme avait sans doute quelque peu souffert. Aussi, me fallait-il l’entretenir si je désirais pouvoir remplir mes fonctions ici. Étudiant minutieusement chaque aspect du bambou qui avait servi à la conception de cet ustensile, je remarquais, non sans froncer des sourcils, que, comme je le craignais, le froid et la chaleur avaient endommagé mon instrument au point de créer des fissures. Ce n’était certes pas encore trop grave, mais si je n’y faisais pas attention, tôt ou tard, il me faudrait changer de Yumi ce que je ne souhaitais guère. Néanmoins, je me fis la promesse de consulter un artisan sur Ikusa afin de le réparer…si du moins cela m’était permis.
Me saisissant d’une fiole que j’avais également déposée précédemment sur la table ainsi que d’un morceau d’étoffe, je versais une partie du contenu dudit récipient sur ce tissu et j'entreprenais sans plus tarder de nettoyer, le plus délicatement possible mon arc. Ne pouvant faire usage de mon bras gauche, je fus dans l’obligation de déposer mon yumi sur la table afin d’appliquer correctement ce liquide ô combien utile qu’était l’huile de lin afin de protéger cet instrument de mort de l’humidité ! Briquant mon arme, et ce, sans faire nullement attention aux diverses personnes qui allaient et venaient au sein de cette partie de la garnison, j’essayais, afin de ne guère penser aux démangeaisons et à la douleur diffuse qui irradiait de mon bras, de réfléchir plus longuement à l’ordre de mobilisation de Deydreus qui demeurait toujours troublant.
Certes, il était, de par ses fonctions, le chef des armées de l’Empire et je n’étais qu’une simple esclave de guerre. Ceci dit, il n’était pas un homme à prendre des décisions ou à affecter des ressources sans avoir une bonne raison en tête. Du moins, c’était là le sentiment que j’avais à son sujet. Bien qu’un janissaire soit une ressource sacrifiable, il n’en demeurait pas moins que l’usage de cette dernière n’était, à mon sens, clairement pas adapté aux circonstances locales. L’on ne pouvait clairement affirmer que cette région fût l’objet d’un quelconque conflit. L’état de la garnison parlait de lui-même. Malgré la neige et le froid, le moral des troupes semblait être plutôt bon. Mieux encore ! Je n’avais noté aucun laissé aller. Leurs armures et leurs armes étaient correctement entretenues et il n’y avait aucun véritable problème de discipline. De même, les fortifications de ce camp retranché, de ce que j’en avais vu lors de mon arrivée le jour précédent, semblaient être dans un état convenable. À moins que je n’eusse manqué un quelconque détail, aucun évènement notable n’avait ébranlé ces hommes. Certes, j’avais eu le loisir de les entendre se plaindre des températures et du vent, mais au regard des circonstances, une telle attitude était logique. Moi-même, je n’avais guère affectionné le climat local et regrettais les températures du Sud et surtout l’éclat du soleil d’Ikusa.
Bien que je pusse reprocher la confiance que certains hommes semblaient avoir, et qui risquait tôt ou tard de générer de la lassitude et par conséquent des manquements aux missions qui leur seraient allouées, je notais que la garnison parvenait à remplir son rôle à savoir : pacifier la région. Aussi, ma présence en ces lieux était tout sauf pertinente. À moins, bien évidemment que la Griffe ne m’eut pas donné tous les détails de ma « mission ». En effet, je doutais qu’il puisse solliciter ma présence dans le Nord simplement pour échanger nos opinions sur un sujet quelconque. Il aurait très bien pu le faire à la capitale comme la dernière fois. L’Imperator n’était pas, après tout, un homme aussi frivole. Il y avait forcément une autre raison. Peut-être, avait-ce un lien avec l’expédition du Vent d’Acier ? Peut-être que nos actions avaient pu avoir, dans le Nord, des répercussions sur cette région et qu’il avait préféré éviter de m’en faire part dans une simple lettre ? C’était une possibilité même si cela avait été le cas, je n’aurais pas été la seule à devoir me rendre en ces lieux. Il y avait probablement une autre raison en lien avec cette région. Sa relative proximité avec Melorn ? Peu probable, nous revenions justement de cette cité. La présence, aux alentours, des ruines de l’ancien Empire de mes ancêtres et par extension celle d’une quelconque babiole ou grimoire à obtenir discrètement pour le bien de l’Empire ? Possible. Bien qu’assez peu conforme à l’idée que je me faisais du comportement de Fictilem. Restaient la question des pilleurs et des brigands. Peut-être n’étaient-ils pas de simples malandrins ? Peut-être, s'agissait-il d’anciens opposants ? Peut-être désiraient-ils mettre un terme au règne de Tensai ? Étant donné que cette région était inhospitalière et possédait un relief quelque peu accidenté, il aurait été aisé pour n’importe quel officier de se constituer un repaire souterrain depuis lequel il pourrait fomenter diverses opérations. Dès lors, cela expliquerait ma présence en ces lieux, bien qu’aucune activité suspecte et aucune rumeur ne semblait étayer un postulat aussi ridicule.
Alors pourquoi ? Pourquoi étais-je ici ? Pourquoi moi ? Je n’étais rien. Je n’étais personne ! Je n’étais qu’une elfe dont l’existence personnifiait la notion même de trahison à l’égard de l’Empereur. Quand bien même, fut-il légitime de me châtier pour mes crimes passés, ordonner que je me rendisse à Elentia n’avait strictement aucun sens si ce n’est celui de me faire perdre la tête. La seule explication légitime eut été, étant donné la lettre rédigée par la Griffe, que mes prédispositions l’intéressaient. Mais encore une fois, cela n’avait strictement aucune logique. Rien de ce que j’avais dit ou de ce que j’avais fait à Vent d’Acier, ne faisait de moi une guerrière extraordinaire ou ne me rendait digne de recevoir des compliments de la part de la Griffe. Mon sens stratégique ? Mes prouesses martiales ? Balivernes. Tout ce que j’avais accompli dans le Grand Nord, n’importe quel soldat de l’Empire y serait parvenu. J’en étais convaincue. Pour être tout à fait honnête, mes soi-disant « exploits » étaient anecdotiques, voire dérisoires, en comparaison des actes de certains membres de l’expédition. Après tout, que ce fût l’ours ou même l’archonte, je ne les avais pas affrontés contrairement aux autres membres de l’expédition. Je m’étais contentée d’utiliser ma pyromancie et mon arc sur des cibles que n’importe quelle armée aurait pu terrasser. De ce fait pourquoi n’avait-il pas eu recours au Luteni ou même au Contrôleur ? Pourquoi n’avait-il pas fait mander ces personnes ? Je n’en avais aucune idée, mais demeurais persuadé que le légat se leurrait à mon égard. Je n’avais fait que mon devoir. Rien de plus. Hélas ! À moins de lui tirer volontairement une flèche dans le pied, je doutais qu’il partageât mon opinion sur le sujet.
C’est alors qu’ironiquement, je notais la présence de deux jambes non loin de moi et dont l’heureux détenteur n’était que la personne qui faisait l’objet de toutes mes pensées. Par réflexe, je délaissais mon arc ainsi que mon morceau de tissu, me redressais pour lui faire face et fis claquer mes bottes, et ce dans l’optique de le saluer, selon la plus pure tradition militaire, mon supérieur hiérarchique qui en profita pour me saluer également de vive voix. Alors que mes iris azurés rencontraient les siens après avoir légèrement incliné la tête, je notais qu’il semblait bien se porter depuis le retour de l’expédition du Vent d’Acier même si je le trouvais quelque peu éteint. La route l’avait probablement éreinté et tout ce névé avait, sans doute, obscurci son humeur. Après tout, ce n’était pas comme si lui et moi avions dû subir majoritairement durant ces dernières semaines des tempêtes de neige ainsi que des températures ô combien glaciales. Pour ma part, j’admettais volontiers que je me serais bien passé d’être affectée ici. Quoi qu’il en soit, j’étais plutôt satisfaite de voir l’homme aux yeux vairons. Au moins allais-je enfin obtenir des réponses quant aux véritables raisons de ma présence à ses côtés.
« De même, Imperator. » Je grimaçais légèrement lorsqu’il fît mention de la route. « Elle fut surtout longue et quelque peu déplaisante à la fin. J’ai toujours eu en horreur le froid propre à ces contrées. J’espère qu’elle fût bien meilleure pour vous. »
Son intérêt se porta assez rapidement vers mon bras gauche, toujours recouvert de bandages et que je trainais, pour ainsi dire, comme un véritable poids mort tant le mouvoir m’était pénible par essence. Fictilem chercha à m’interroger sur les causes de cette blessure. Sa demande me fit hausser un sourcil. Non qu’elle fût déplacée. Bien au contraire. En tant que dirigeant des armées de l’Empire, elle était somme toute assez légitime. Toutefois, j’étais quelque peu surprise à l’idée que le plus éminent légat du Reike voulut s’enquérir d’un tel sujet. D’après ce que j’avais pu juger du personnage, j’avais conscience qu’il ne mettait pas ce sujet sur la table comme s’il s’agissait d’une simple péripétie. Éprouvait-il de l’inquiétude à mon égard ? Impossible. Était-il davantage préoccupé à l’idée qu’une tierce partie, dont il n’aurait jamais entendu parler, m’aurait causé tous ces désagréments ? Fort probable. À moins qu’il ne s’agît tout simplement d’une manière de démontrer qu’il veillait à l’état des instruments de guerre de l’Empire. Après tout, en tant que janissaire, je n’étais qu’une ressource. Un simple ustensile qui à l’instar d’une épée devait être correctement entretenu si l’on désirait qu’elle soit efficace et surtout mortelle le moment venu.
Quoi qu’il en soit, dévoiler l’origine de cette blessure ne me dérangeait guère. À mes yeux, ce n’était qu’une anecdote. Une anecdote douloureuse certes. Mais une simple fable au demeurant. Il n’y avait rien de mystérieux à son sujet. À vrai dire, cette histoire démontrerait surtout à quel point il m’arrivait, en certaines occurrences, d’être particulièrement têtu même s’il fut vrai qu’en ces circonstances il était bien plus question d’acharnement et de bêtise que de persévérance. Hélas ! Rien ni personne ne parviendrait à occulter ce pan de ma psyché. Quand bien même, j'avais conscience que mon comportement aurait pu me coûter bien plus cher, j’avais pertinemment conscience que dans une situation similaire, je risquais, fort probablement, d’adopter la même conduite bien qu’une part de moi-même soit quelque peu chagrinée à l’idée d’avoir malmené ce corps déjà ô combien endommagée du fait de ces 5 dernières années. Je décidais donc d’éclairer sa lanterne sans plus tarder.
« Ni l’un ni l’autre. La route m’ayant mené jusqu’ici fut paisible. Quant à la notion d’accident, elle présuppose que cette blessure aurait été fortuite. Or, ce n’est absolument pas le… »
Je m’arrêtais brutalement dans mon exposé alors que mes oreilles se dressaient soudainement et que je me tournais pour visualiser la porte être ouverte par une tierce personne qui n’était autre que l’homme en charge de cette garnison et que j’avais pu rencontrer hier lors de mon arrivée au cours de laquelle j’avais pris soin de lui notifier les motifs de ma venue dans ces contrées ô combien reculées. Cet officier n’avait pour ainsi dire rien d’extraordinaire. Ce n’était qu’un humain. Pourtant, au regard de la discipline dont faisaient preuve les hommes de ce camp retranché et au vu de l’état des différentes fortifications, je savais que derrière cette apparence pour le moins insignifiante se cachait un militaire des plus compétents. Bien peu auraient été les personnes capables d’encadrer une telle troupe dans de tels confins. Ce n’était pas son cas ce qui, en soit, était louable, mais surtout rassurant. Son affectation en ces lieux n’était donc pas le fruit du hasard.
Étant donné qu’il s’agissait également de mon supérieur hiérarchique, je le saluais comme il se devait et le laissait échanger avec l’Imperator, non sans tendre l’oreille. Quel mal y avait-il à saisir la nature de leurs propos ? Après tout, il y avait de fortes chances pour que cet humain révélât une quelconque information dont j’ignorais la teneur sur cette région. Or, étant donné que j’ignorais les véritables raisons de ma venue ici, j’estimais qu’il me fallait en savoir plus sur le contexte local afin de me préparer au mieux. Hélas ! Hormis échanger des formules de politesse, le dialogue qui s’était amorcé entre eux ne m’apprit rien. Du moins jusqu’à ce qu’un soldat se présenta auprès du Dunark afin de lui transmettre une missive qu’il s’empressa de lire avant de la tendre à la Griffe. Ce billet eut, visiblement, le don d’étonner l’Imperator qui interrogea son interlocuteur au sujet de l’auteur du message. Son contenu était-il si incongru pour générer une telle réaction ? Impossible à dire. Pas sans connaître le nom ou du moins la fonction de ce plumitif. Quoi qu’il en soit, d’après le dialogue entre les deux hommes, ce mystérieux quidam était vraisemblablement au courant de l’arrivée de Fictilem sur ces terres et cherchait à le rencontrer.
Cette information eut le don de m’amuser, mais aussi de générer de la sympathie à l’égard de l’Imperator même si je tâchais de demeurer stoïque et de faire comme si je n’avais rien entendu. Étant donné les responsabilités de Fictilem au sein de l’Empire, il était assez évident que diverses patriciens chercheraient à le rencontrer afin d’obtenir une quelconque faveur de sa part ou, mieux encore, afin de nouer une alliance avec lui. Après tout, la Griffe n’était pas mariée. Du moins, me semblait-il. Je n’étais guère au fait de ce genre de mondanités. Non que jouer les commères ne m’amusait pas. Bien au contraire. Que ce fût à Melorn ou lorsque j’étais encore officier au sein de l’armée reikoise, me tenir au courant des derniers potins de mon entourage était particulièrement distrayant tant cela me permettait de narguer ce dernier voire même de faire preuve de facéties à l’égard desdites personnes. Hélas ! Depuis, que j’étais devenue janissaire, je n’éprouvais plus le désir de m’adonner à ce style de conduite, et ce, pour diverses raisons.
Quoi qu’il en soit si Fictilem n’était pas marié, il demeurait une cible de choix du fait de l’influence offerte par ses fonctions au sein de l’armée. Bon nombre de bourgeois et de nobles devaient être prêts à lui proposer leurs filles, et ce, dans l’espoir de bénéficier de ses faveurs ou de ses réseaux de clientèle. Or, si je voyais juste…si cette missive n’était qu’une invitation à peine déguisée pour espérer obtenir une quelconque faveur, je le plaignais sincèrement. Bien que n’ayant jamais atteint un tel niveau de responsabilité au sein de l’Empire, j’avais été témoin des désagréments que pouvait offrir la place d’une personne suffisamment importante au sein de la hiérarchie reikoise. Devoir composer avec un tel nid de vipères qui ne cherchait qu’à se servir de vous et qui prétendait constituer des alliés en affichant des sourires de façade, avait toujours eu le don de m’exaspérer. Plus d’une fois, je m’étais fait remarquer à Melorn pour ma désobligeance à l’égard de ce genre de personnage. Malheureusement pour lui, Fictilem ne pouvait, très certainement pas, éconduire aussi facilement que moi ces sangsues. Au nom de l’Empire, il se devait de ménager la chèvre et le chou pour espérer obtenir ce qu’il désirait en certaines occurrences ce qui l’obligeait à faire des concessions. Aussi, pour tout cela, je le plaignais même si j’espérais, bien naïvement, ne pas avoir à l’accompagner si de telles tractations venaient à avoir lieu. Ces dernières avaient, après tout, toujours tendance à être pour le moins pompeuses.
Bien que je n’en eusse pas véritablement confirmation, mon postulait gagna en crédibilité dès lors que j’appris, grâce à l’échange des deux hommes, qu’aucun problème ne semblait troubler la ville d’Elentia. Je ne doutais pas un seul instant que Fictilem serait charmé, si du moins je voyais juste, d’avoir à se pavaner auprès d’un petit nobliau de province en quête d’attention. Vu son air fourbu, sa patience risquait d’être mise à rude épreuve et bien que je ne voulusse en aucune façon me mêler de cette histoire, j’eusse été quelque peu curieuse d’assister à l’échange tant il promettait d’être récréatif.
L’Imperator, pour mon plus grand étonnement, me sollicita auprès de lui. Aussi, m’approchais-je doucement de lui et me saisissais de la lettre qu’il me tendait et parcourait son contenu qui, je devais le reconnaitre, était plutôt avare en informations. Elle m’apporta, tout au plus, la satisfaction de savoir que j’avais en partie raison quant à la position sociale qu’occupait son auteur et me renseigna quant à l’identité de ce dernier qui n’était nul autre que le régent d’Elentia en personne. Elle m’apprit également qu’il cherchait à obtenir, de toute urgence, l’aide de l’armée ce qui était assez étrange. Après tout, de ce que j’avais saisi, aucun trouble ne semblait sévir dans la région. Pourquoi, de ce fait, nécessitait-il l’intervention de l’armée au sein de sa ville ? Cela n’avait aucun sens. S’il y avait eu un problème, la garnison aurait pu s’en charger. C’était la raison de sa présence en ces lieux. Pourquoi attendre ? La réponse à cette question était facile. Il aurait fallu être le dernier des sots pour ne pas faire le lien entre la présence de la Griffe, l’arrivée de cette missive au moment même de l’entrée de Fictilem au sein de la forteresse et le contenu de cette lettre. Vraisemblablement, la route était, non seulement, surveillée, mais en plus l’on avait spécifiquement attendu la venue de l’Imperator pour transmettre ce message. La visite de Deydreus ayant été prévu depuis un certain temps, comme me le laissait présupposer le document épistolaire qu’il m’avait envoyé une semaine auparavant, ce gentillâtre avait dû avoir vent de l’information depuis un certain temps.
Je fronçais les sourcils et prenais un air plus grave alors que je relisais une seconde fois le morceau de parchemin que j’avais en mains. Si l’on occultait la demande faite par le régent, j’aurais sans nul doute estimé que le seigneur de ces terres n’était qu’un vil flagorneur doublé d’un lèche-cul. Toutefois, cet « appel à l’aide » me laissait plus circonspecte. C’était bien trop louche. Pourquoi demander aussi prestement l’assistance de la garnison et de Fictilem et ne point révéler les causes de cette sollicitation ? Cela n’avait strictement aucun sens et me poussait à me montrer suspicieuse à l’égard de son auteur. Tout ceci sentait le piège. Pourtant, cette démarche était bien trop grossière, bien trop évidente. Elle manquait de finesse. J’avais connaissance de l’adage selon lequel plus le mensonge était gros, plus il passait. Mais là… Cela dépassait toute commune mesure. Personne n’oserait décemment croire que Fictilem était dans l’incapacité de percevoir de telles intentions auquel cas il ne serait jamais devenu le chef des armées reikoises. À moins qu’il ne s’agît d’une mise en garde ? Après tout, faire croire à un piège aussi évident était peut-être le moyen le plus sûr de s’assurer que la Griffe serait sur ses gardes que ce fût en ville ou sur le chemin menant au bourg. C’était assez peu probable tant encore c’eut été l’évidence même. Même dans l’éventualité où un idiot ne serait pas parvenu à flairer le piège, celui-ci se serait tout de même montré prudent en quittant ce fort.
À moins que… J’écarquillais les yeux. Le piège était possiblement grossier, car il souhaitait nous mettre en confiance quand bien même il susciterait notre méfiance à l’égard du régent tant sa requête était étrange et ne collait pas à l’idée que nous nous faisons du contexte local grâce aux descriptions du Dunark. En revanche, cette missive nous imposait de quitter ce camp retranché avec un nombre important d’effectifs et de nous poster en ville. Or, celle-ci ne bénéficiait peut-être que de défenses sommaires à l’inverse de ce fort. Peut-être, ne pouvait-elle même pas soutenir un siège. Certes, aucune armée titanique ou républicaine n’était présente en ces lieux. Aussi l’idée d’une telle éventualité paraissait saugrenue. En revanche, si l’on partait du principe qu’autrefois des brigands sévissaient dans la région et que depuis l’établissement d’une garnison, ils avaient été, pour ainsi dire, coupés de leur source de profit, l’on pouvait imaginer qu’ils souhaiteraient se débarrasser des hommes du Dunark quitte à faire cause commune entre les différentes bandes et le régent. Dès lors, ils n’auraient qu’à attirer les forces reikoises au sein de la ville puis à les encercler et à tous les massacrer grâce à la force du nombre. La Griffe, dont la présence n’avait pas été anticipée lors de l’élaboration d’un tel plan, n’aurait été qu’une cible supplémentaire à abattre et sa mort aurait constitué un message en soi.
Non. Ce postulat était erroné tant il était absurde. Si la garnison avait mis à mal toute forme de brigandage, ces malandrins auraient eu du mal à s’organiser et surtout à constituer une menace face à une armée disciplinée et entrainée. Non. Je devais m’en tenir aux faits et simplement aux faits même si cette ruse n’était guère finaude et qu’elle semblait indiquer qu’une sombre machination se préparait. Celle-ci avait forcément un lien avec l’Imperator. Voulait-on le neutraliser ? L’assassiner ? L’emprisonner ? Le convertir de force à une autre cause que la sienne ? Les possibilités étaient multiples, mais toutes nécessitaient la présence de Fictilem à un endroit précis. Pourtant, quand bien même tout ceci m’incommodait quelque peu, j’étais extrêmement préoccupée par le fait que l’on pût ainsi potentiellement menacer la vie de l’Imperator. Après tout, cet homme n’était pas le premier péquin venu. Il avait triomphé de la menace titanique en de multiples occurrences, avait remporté des succès militaires, était un combattant chevronné. Même si le tuer était possible, cela n’était pas facile pour autant. Aussi, que des tiers pussent envisager de combattre la Griffe, soit l’un des meilleurs combattants de l’Empire après l’Empereur lui-même, c’est qu’ils estimaient avoir de bonnes chances de l’emporter. Allaient-ils user d’un quelconque artifice ou artefact pour y parvenir ? Je l’ignorais, mais tout ceci ne me disait rien qui vaille.
Me pinçant l’arrête du nez et sentant poindre une migraine, j’écoutais Deydreus donner ses dernières instructions au Dunark, puis lui fis signe de me rejoindre à la table que j’occupais quelques instants auparavant et sur laquelle mon arc ainsi que tout mon nécessaire d’entretien étaient disposés. Attendant qu’il s’asseye, j’en profitais pour me saisir d’un pichet sur une table voisine qui contenait du vin et deux brocs que je remplissais dudit liquide avant de le tendre à Fictilem et de m’asseoir à mon tour, non sans prendre soin d’apposer doucement mon bras gauche sur la table afin de ne pas réveiller cette maudite blessure. Contemplant le gobelet de vin rouge posé juste devant moi, je plongeais mon regard dans ce liquide carmin qui dansait doucement au sein de cette coupe. Pendant un bref instant, alors que je réfléchissais à la manière d’aborder la demande de l’Imperator et que l’on pouvait percevoir le crépitement du feu dans l’âtre de cette salle, je me perdis dans les reflets étincelants de cette liqueur. Je fermais les yeux un bref instant avant de les rouvrir à nouveau, de fixer directement le visage de Deydreus.
« L’histoire derrière l’origine de cette meurtrissure est somme toute assez commune. » Lui confessais-je dans un souffle alors que j’en profitais pour rajuster une partie des bandages recouvrant le dos de ma main gauche et que je luttais pour ne pas céder à la tentation générée par les démangeaisons de mon bras.
« Comme je vous l’ai dit, il y a de cela quelques instants, Imperator, mon odyssée vers ces contrées s’est déroulée aucune anicroche. Quant à la notion même d’incident, elle présuppose que les évènements ayant conduit à ce résultat eussent été fortuits. Ce n’est absolument pas le cas. Ce stigmate, s’étend de mon épaule à ma main, n’est que le produit de mes propres actions. De ma propre imprudence. Telle une enfant découvrant le monde, je me suis montrée particulièrement imprudente, bornée et surtout idiote. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive et cela ne sera très certainement pas la dernière même si, en cette occurrence, j’admets volontiers m’être surpassée. »
J’affichais un sourire pour le moins contrit à mon interlocuteur avant de reprendre la parole d’un air sincère, mais aussi terriblement grave.
« L’expédition du Vent d’Acier m’a fait saisir l’ampleur de mon impéritie. Que ce fût contre l’archonte, les abominations, ou même cet ersatz d’ours, ma contribution à notre victoire et à la défense de l’Empire ainsi qu’à celle de mon peuple, fut au mieux anecdotique. N’importe quel officier ou vétéran aurait été en mesure de prendre les mêmes décisions que moi, ce jour-là. Bien que je sache que mon être tout entier est dédié à l’Empire, une part de moi-même demeure attachée au bien-être de Melorn. Or, durant notre campagne dans le Nord, j’aurais voulu contribuer davantage à notre victoire…j’aurais voulu ardemment venger ces elfes qui, en dépit de leur sacrifice, ont été ramenés dans ce monde pour servir une cause qu’ils honnissaient de leurs vivants au point de se sacrifier pour en venir à bout. Rendez-vous compte, je n’ai même pas été en mesure de loger une seule flèche dans la tête de ce séide de ces pseudo-démiurges. »
Je soupirais avant de reprendre sur un ton las.
« En tant qu’instrument de guerre, j’ai failli à ma tâche ce jour-là. Je me suis reposée pendant bien trop longtemps sur mes acquis au point d’être aussi efficiente qu’une lame émoussée. En tant que janissaire, la guerre et la victoire du Reike sont mes raisons d’être. Or, comment pourrais-je répondre à un tel impératif… Comment pourrais-je accomplir mon devoir si je suis dans l’incapacité d’abattre les ennemis de l’Empire ? La tactique et la stratégie ne font pas tout. Si le matériel que je personnifie fait défaut, une débâcle certaine nous attendra la prochaine fois. Aussi, pour toutes ces raisons, j’ai décidé, lors de notre retour, de prendre les mesures qui s’imposaient pour changer cet état de fait promptement, notamment dans le domaine de la pyromancie. La suite, vous la devinez. Pour que celle-ci puisse davantage nous aider dans le combat qui nous attend, je me suis dévouée corps et âme au perfectionnement de mes prédispositions au point d’en oublier toute forme de précaution à un moment où le contrôle de mon mana se montrait particulièrement capricieux du fait de mon absence de concentration. Une telle imprudence eut des conséquences pour le moins désastreuses au point de laisser une marque indélébile dans ma chair masquée par ces bandages et que vous avez juste sous votre nez. »
Je profitais du silence qui s’était désormais instauré entre nous pour lever le gobelet jusqu’à mes lèvres afin de laisser le vin rouge couler sur sa langue avec une lenteur délibérée, et ce, dans l’optique de mettre de l’ordre dans mes pensées. Plissant le nez du fait de l’odeur âcre dudit liquide, je manquais grimacer tant le goût astringent associé à sa consistance sirupeuse me restait en travers de la gorge. L’on ne pouvait guère affirmer qu’il s’agissait d’un vin de bonne qualité. Pour être honnête, il s’agissait d’un véritable picrate. Hélas ! Au regard de la région, je savais qu’espérer mieux serait une erreur. Reposant le gobelet sur la table, je m’abstenais de me servir à nouveau et en profitais pour pencher légèrement la tête sur le côté avant d’interroger mon interlocuteur.
« Mais qu’en est-il de vous, Imperator ? Sans vous manquer de respect ou m’immiscer dans ce qui ne me regarde pas, l’on croirait que votre voyage fut tout sauf reposant. Vous semblez irrité. En dehors de toute cette neige, dont je me serais bien passée pour être franche, avez-vous rencontré un quelconque désagrément en chemin pour donner l’impression d’être aussi agacé ? À moins que votre humeur n’ait un rapport quelconque avec une sombre affaire d’État auquel cas cela ne me concerne absolument pas. J’ai toutefois le sentiment que le contenu de cette lettre n’est pas parvenu à éclaircir, d’une once, votre humeur, bien au contraire et je le comprendrais aisément tant toute cette histoire est des plus nébuleuses et la duperie sous-jacente fort grossière ce qui rend l’ensemble fort préoccupant. Peut-être la nuit nous portera-t-elle conseil à ce sujet. »
J’éprouvais une certaine réserve quant à cette dernière affirmation. Je sentais que le mystère de cette missive ne serait résolu qu’au moment où nous nous rendrions sur place…qu’au moment où nous accepterions de nous jeter dans la gueule du loup ce qui ne me plaisait guère. Fictilem tout comme moi devait anticiper un piège. Cependant, quand bien même nous nous doutions que cette lettre détenait un caractère sibyllin, nous étions bien en peine de savoir la forme que prendrait le traquenard qui nous attendait très certainement à Elentia.
« Mais dites-moi, Imperator. Une question me brûle les lèvres depuis que j’ai reçu votre épistole. Bien que je comprenne les raisons de votre présence ici, je me demande : pourquoi m’avoir fait mander en ces lieux ? Non que je veuille remettre en cause vos instructions, mais je pense qu’il aurait été plus judicieux de recourir à un membre du RSAF ou de la maréchaussée si souhaitiez traquer une créature ou si vous désiriez mettre un terme à certaines activités de brigandages. Ils vous auraient été d’un plus grand secours surtout au regard de mon état actuel. »
J’étais curieuse de connaître sa réponse même si je savais que ma requête pouvait être assimilée à de l’insubordination.
À peine formulais-je cette réalité, que des bruits de pas résonnèrent au loin. Ce son, pourtant si anodin, attira toute mon attention au point que mes oreilles se dressèrent par réflexe. J’ignorais à qui ils appartenaient, mais, en revanche, j’avais conscience que ce simple bruit incarnait mon salut. Quelqu’un était ici. Quelqu’un était ici avec moi ! Mais encore fallait-il rejoindre ce mystérieux quidam. Mue par le désespoir, je me mis à courir, le plus rapidement possible, vers la source de cette sonorité qui devenait, au fur et à mesure, plus distincte. Alors que je continuais à me démener pour atteindre mon but, je remarquais qu’une infime partie de mon environnement s’éclaircissait et se métamorphosait. Sans que je ne pusse saisir l’origine de ce prodige, le chemin que j’empruntais était soudainement pavé de marbre blanc. De part et d’autre de ce sentier et à intervalles réguliers, des candélabres en or massif éclairaient ce dernier grâce à leurs flammes. Quel était ce lieu ? Où menait-il ? Ces questions, pourtant ô combien cruciales, étaient, en cet instant, dérisoires. Mon seul sentiment. Non. Mon seul et unique désir était de rejoindre l’homme ou la femme à qui appartenaient ces pas qui, d’ailleurs, semblaient proches. Cette allée me mena à un escalier également en marbre et qui semblait menait, tout droit vers les cieux.
À 4 ou 5 mètres de moi, en hauteur, se trouvait un homme dans une simple armure recouverte d’un tabard pourpre sur lequel était affichée une manticore dorée. Bien qu’une distance pour le moins conséquente nous séparât, je percevais aisément ses traits. Il s’agissait d’un individu d’âge mûr avec une allure imposante qui n’était pas dénué de prestance. Au-delà de son élégance et d’une certaine forme de charisme, il se dégageait de lui une certaine forme de sagesse ou plutôt de perspicacité qui se reflétait assez bien dans son regard que l’on sentait aussi perçant que celui d’un aigle. Cet individu aux cheveux bruns et dont le visage était encadré par une petite barbe taillée d’une teinte grisonnante demeurait, malgré la situation dans laquelle nous nous trouvions, des plus calmes. À croire qu’à ses yeux, rien ne semblait plus normal que de se retrouver dans cet endroit. Ironiquement, connaissant très bien cette personne, j’avais conscience qu’il n’en laissait rien paraitre et qu’il était probablement fasciné par cet endroit. Les mystères avaient toujours su le séduire au point que durant sa carrière militaire, le Royaume avait pu avoir recours à ses services pour certaines affaires criminelles au sein de l’armée Reikoise.
Cet humain, qui fut autrefois mon général, continuait à emprunter ces escaliers. Tâchant de le rattraper, je les montais à mon tour en courant et essayais d’attirer son attention en criant d’une voix presque désespérée.
« Légat ! Attendez-moi ! »
Celui-ci se contenta de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule et adopta une expression qui semblait être quelque peu affligée lorsque son regard se porta brièvement sur mon armure aux couleurs rouge et noire. Malgré mes suppliques, il poursuivit son ascension vers les étoiles et ce qui semblait être la porte d’un antique temple. Pour le moins imposante, cette entrée, constituée entièrement de marbre, était surmontée d’un fronton sur lequel était représenté des scènes de notre rébellion contre Tensai et elle était entourée par de gigantesques pilastres sculptés. Essayant de l’empêcher de franchir le seuil de ce qui s’apparentait en mon for intérieur à un mausolée je redoublais d’efforts pour le rejoindre jusqu’à ce que je manquasse une marche et tombasse au sol. Ignorant la douleur, je tendais le bras vers cet homme et m’apprêtais une nouvelle fois à l’interpeller jusqu’à ce que mes yeux se posassent sur cet accès et s’écarquillassent alors que je laissais échapper ces simples mots dans un murmure :
« Mais c’est… »
Au niveau du vestibule, était présente une véritable légion. Celle-ci avait les mêmes armoiries que l’officier que je poursuivais et semblais attendre, de manière disciplinée, que ce général vienne les commander à nouveau. Du fait des casques et des larmes qui roulaient le long de mes joues, je ne percevais aucun visage familier. Pourtant je savais que j’avais commandé ces hommes et ces femmes et que leur présence ici était simplement de mon fait. Éprouvais-je du regret ? Non. J’avais conscience d’avoir fait ce qu’il fallait bien que jamais au grand jamais ces personnes et moi-même n’aurions nous nous élever contre l’avènement du seul véritable empereur du Reike. Quoi qu’il en soit, dès que ce légat les eu rejoint, cette armée, aujourd’hui disparue, le salua de manière uniforme et se mit en marche derrière lui alors qu’il pénétrait à l’intérieur du temple…alors qu’il se mettait à arpenter les cieux avec la volonté manifeste d’assujettir les étoiles au cours d’une geste dont seuls le Soleil et la Lune seraient les témoins.
« Légat ! »
Sans poser ne serait-ce qu’un dernier regard, cet humain pour lequel j’avais éprouvé un immense respect ainsi que son armée se mit en marche. Tendant le bras pour essayer de saisir, en dépit de la distance, une des capes pourpres des soldats, afin de me relever et de rejoindre cette légion…ma légion, je fus condamnée à la voir disparaitre vers ce qui serait une nouvelle odyssée alors que les portes en bronze du temple se refermèrent derrière eux dans un claquement…
Ce bruit associé au craquement d’une bûche dans l’âtre me réveilla aussitôt dans un sursaut qui surprit les quelques personnes présentes dans la pièce. Les yeux écarquillés et la respiration haletante, je mis plusieurs secondes à appréhender le fait que cette vision n’était rien si ce n’est un rêve…ou plutôt un cauchemar. Me pinçant l’arrête du nez temporairement à l’aide de ma main droite, je tâchais de me calmer tout en réfléchissant à ce que j’avais vu. Il ne fallait pas être un oracle pour interpréter ce songe. Que ce fût tangible ou chimérique, j’eusse assisté à l’ascension vers les cieux du général le plus talentueux et respectable que j’eusse rencontré et à l’aurore de ce qui serait son ultime campagne militaire. Qu’importe que ce mirage fût véridique ou non, une part de moi-même regrettait de ne pouvoir les rejoindre, de ne point, lors d’une dernière occurrence, brandir les couleurs de notre légion et de croiser le fer avec nos adversaires.
Pourtant, en étais-je seulement digne ? Probablement pas. Après tout, je n’étais qu’une traitresse dont le seul exploit avait été de s’opposer à l’avènement du dirigeant légitime du Reike en soulignant qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un barbare usurpateur au comportement libidineux. À l’inverse de mes camarades, je n’avais su obtenir une belle mort au combat qui m’aurait permis d’expier mes fautes. A contrario d’eux, j’avais fait fi de mon serment. Je n’avais fait preuve d’aucune loyauté envers la légion à laquelle j’appartenais. Bien que je fusse janissaire, je n’avais plus jamais porté les couleurs des membres de la XIIIe Legio Mantichora quand bien même j’honorasse leur souvenir. Non. Je ne pouvais prétendre partager leur sort alors que je n’étais plus qu’une inconnue. Une inconnue qui mesurait pleinement sa solitude. Une étrangère qui avait conscience qu’elle n’était plus qu’une coquille vide. Une pérégrine qui, désormais, pavoisait aux couleurs des Serres et ce, alors, que je n’avais tissé aucun véritable lien avec les membres de cette troupe. Non que je fisse quelque effort pour remédier à cette réalité.
Soupirant longuement, je me redressais quelque peu sur ma chaise et me frottais les yeux pour pleinement chasser le souvenir du rêve que je venais d’avoir et afin d’acclimater ces derniers à la luminosité ambiante. Ironiquement, ces simples mouvements parvinrent à focaliser mon attention, et ce, alors qu’une onde de douleur traversa mon corps brusquement. Sous l’effet de cette souffrance, mon visage se crispa et un souffle rauque s’échappa de mes lèvres. Par réflexe, je serrais les dents pour étouffer un gémissement involontaire causé par cette sensation de calvaire qui irradiait de l’ensemble de mon bras gauche. En vérité, j’avais le sentiment que des éclairs ardents parcouraient ma peau ainsi que mon épiderme ! Et encore, c’était un euphémisme tant la persistance de cette agonie m’était insupportable. Pourtant, j’essayais de ne pas me laisser submerger par ce que me véhiculaient les sens endommagés de mon bras. Afin de ne pas le solliciter, je l’avais aussitôt reposé sur la table, mais devais me contenir pour ne pas le toucher, pour ne pas déchirer les diverses couches de bandage qui le recouvrait afin d’en extirper le mal qui le rongeait, et ce, d’une quelconque manière.
Ma volonté était pour ainsi dire véritablement mise à l’épreuve tant mon instinct me hurlait de me lever et de me précipiter à l’extérieur de cette bâtisse pour aller plonger mon bras dans l’un des abreuvoirs du campement afin que le froid me donnât l’illusion que cette souffrance, qui ne me quittait pas depuis 1 semaine, s’était estompée. Serrant le poing de ma main droite au point de me planter les ongles de la main dans la paume, et que mes jointures en devinrent blanches alors qu’un frisson parcourait l’ensemble de mon corps, j’essayais d’endurer chaque vague de douleur qui parvenait à ébranler chaque fibre de mon être. C’était qu’un mauvais moment à passer. Tel était le mantra que je me répétais en boucle dans ma tête même si je n’étais pas sans savoir que cette prière n’était qu’un piètre moyen de me rassurer. Non seulement j’avais conscience que d’autres épisodes aussi déplaisants auraient lieu au cours de la journée, mais je savais, au regard des conseils formulés par les apothicaires que j’avais dû consulter à la capitale, qu’à moins d’avoir recours à la magie, j’allais devoir m’accommoder de ces quelques désagréments pendant plusieurs semaines. Bien évidemment, les quelques pharmaciens, alloués aux soins des janissaires, avaient eu tôt fait de m’octroyer, en plus des divers cataplasmes à appliquer et des bandages, un breuvage qui, selon eux, était fort approprié, dès lors, qu’il s’agissait d’apaiser les afflictions générées par des blessures d’une telle gravité. Cependant, même si j’avais emporté cette décoction avec moi dans le Nord, je m’étais refusé à y avoir recours. Non que la tentation de porter le récipient contenant à cette potion à mes lèvres ne fût pas grande. Même maintenant, je devais lutter pour ne pas céder à l’attrait que revêtait ce simple objet et me contentais d’essuyer la sueur qui perlait sur mon front et d’écarter les quelques mèches de cheveux présentes devant mon visage.
La raison derrière un tel entêtement ? Elle était pour ainsi dire une origine presque similaire à mon refus d’avoir recours à la magie pour me soigner même si dans ce dernier cas, je savais, également, que mes chances qu’un thaumaturge s’abaissât à soigner, en urgence, une simple esclave de guerre étaient dérisoires, voire inexistantes. Je répugnais à user de ce breuvage pour le simple motif que la Griffe m’avait mandé, par l’entremise d’une missive, à le rejoindre prestement dans les terres du Nord. Aussi, je n’avais pas de temps à perdre avec une quelconque convalescence ou avec le calendrier d’un quelconque médecin versé dans l’art des soins magiques. Qui plus est, je savais, pour avoir vu notamment ma sœur en consommer, que cette potion que l’on m’avait donnée, était un opiacé qui, certes, apaiserait mes tourments, mais qui, dans un même temps, émousserait mes réflexes et pourrait, si je n’y prêtais pas garde, me pousser à vouloir en consommer davantage et plus régulièrement au point d’en être dépendant. En tant que personne, mais aussi en tant qu’arme au service de l’Empire, je refusais par conséquent d’être dans l’incapacité de faire correctement mon devoir même si, en cet instant, il m’était, malgré tout, bien difficile d’apporter mon aide à l’Imperator.
Indépendamment de mon handicap temporaire dont il faudrait me charger d’ici la fin de la journée, je doutais que Fictilem ait fait appel à la bonne personne. D’après sa missive, la ville d’Elentia avait dû subir des attaques de bandits, mais aussi de diverses créatures. Or, bien que j’eusse, par le passé, visité cette région et escorté quelques caravanes, je n’étais pas pour autant une experte dans la traque d’animaux sauvages ou de brigands. Cet homme aurait eu mieux fait de recourir à un membre du RSAF. Au vu de ses fonctions, il devait forcément en connaître un ! Quant aux potentielles activités de brigandage, des éléments de la Maréchaussée auraient pu se charger d’y mettre un terme. Aussi, je ne comprenais pas la nature de son choix. Pourquoi moi ? Je n’étais qu’une simple archère passionnée par l’art de la guerre. Rien de plus. Même si certains pans de l’armée avaient eu, lorsque j’étais encore capitaine, pour mission de pacifier certaines régions du fait des pillages, il n’en demeurait pas moins que je n’étais pas la plus experte dans ce domaine. Cela n’avait strictement aucun sens !
Soupirant longuement, je me saisissais de mon yumi que j’avais déposé sur la table, avant mon assoupissement inopiné et je pivotais sur ma chaise afin de le placer, délicatement, entre mes jambes et de l’inspecter scrupuleusement, tout en réfléchissant aux motifs qui avaient poussé la Griffe à avoir recours à moi. Du fait de l’expédition du Vent d’Acier, de notre retour triomphal à la capitale, et de mon excursion jusqu’à Elentia, je n’avais guère eu le temps d’examiner l’état de mon arc. Or au vu des conditions climatiques pour le moins extrêmes, associé à l’usage que j’avais dû en faire récemment, j’avais conscience que mon arme avait sans doute quelque peu souffert. Aussi, me fallait-il l’entretenir si je désirais pouvoir remplir mes fonctions ici. Étudiant minutieusement chaque aspect du bambou qui avait servi à la conception de cet ustensile, je remarquais, non sans froncer des sourcils, que, comme je le craignais, le froid et la chaleur avaient endommagé mon instrument au point de créer des fissures. Ce n’était certes pas encore trop grave, mais si je n’y faisais pas attention, tôt ou tard, il me faudrait changer de Yumi ce que je ne souhaitais guère. Néanmoins, je me fis la promesse de consulter un artisan sur Ikusa afin de le réparer…si du moins cela m’était permis.
Me saisissant d’une fiole que j’avais également déposée précédemment sur la table ainsi que d’un morceau d’étoffe, je versais une partie du contenu dudit récipient sur ce tissu et j'entreprenais sans plus tarder de nettoyer, le plus délicatement possible mon arc. Ne pouvant faire usage de mon bras gauche, je fus dans l’obligation de déposer mon yumi sur la table afin d’appliquer correctement ce liquide ô combien utile qu’était l’huile de lin afin de protéger cet instrument de mort de l’humidité ! Briquant mon arme, et ce, sans faire nullement attention aux diverses personnes qui allaient et venaient au sein de cette partie de la garnison, j’essayais, afin de ne guère penser aux démangeaisons et à la douleur diffuse qui irradiait de mon bras, de réfléchir plus longuement à l’ordre de mobilisation de Deydreus qui demeurait toujours troublant.
Certes, il était, de par ses fonctions, le chef des armées de l’Empire et je n’étais qu’une simple esclave de guerre. Ceci dit, il n’était pas un homme à prendre des décisions ou à affecter des ressources sans avoir une bonne raison en tête. Du moins, c’était là le sentiment que j’avais à son sujet. Bien qu’un janissaire soit une ressource sacrifiable, il n’en demeurait pas moins que l’usage de cette dernière n’était, à mon sens, clairement pas adapté aux circonstances locales. L’on ne pouvait clairement affirmer que cette région fût l’objet d’un quelconque conflit. L’état de la garnison parlait de lui-même. Malgré la neige et le froid, le moral des troupes semblait être plutôt bon. Mieux encore ! Je n’avais noté aucun laissé aller. Leurs armures et leurs armes étaient correctement entretenues et il n’y avait aucun véritable problème de discipline. De même, les fortifications de ce camp retranché, de ce que j’en avais vu lors de mon arrivée le jour précédent, semblaient être dans un état convenable. À moins que je n’eusse manqué un quelconque détail, aucun évènement notable n’avait ébranlé ces hommes. Certes, j’avais eu le loisir de les entendre se plaindre des températures et du vent, mais au regard des circonstances, une telle attitude était logique. Moi-même, je n’avais guère affectionné le climat local et regrettais les températures du Sud et surtout l’éclat du soleil d’Ikusa.
Bien que je pusse reprocher la confiance que certains hommes semblaient avoir, et qui risquait tôt ou tard de générer de la lassitude et par conséquent des manquements aux missions qui leur seraient allouées, je notais que la garnison parvenait à remplir son rôle à savoir : pacifier la région. Aussi, ma présence en ces lieux était tout sauf pertinente. À moins, bien évidemment que la Griffe ne m’eut pas donné tous les détails de ma « mission ». En effet, je doutais qu’il puisse solliciter ma présence dans le Nord simplement pour échanger nos opinions sur un sujet quelconque. Il aurait très bien pu le faire à la capitale comme la dernière fois. L’Imperator n’était pas, après tout, un homme aussi frivole. Il y avait forcément une autre raison. Peut-être, avait-ce un lien avec l’expédition du Vent d’Acier ? Peut-être que nos actions avaient pu avoir, dans le Nord, des répercussions sur cette région et qu’il avait préféré éviter de m’en faire part dans une simple lettre ? C’était une possibilité même si cela avait été le cas, je n’aurais pas été la seule à devoir me rendre en ces lieux. Il y avait probablement une autre raison en lien avec cette région. Sa relative proximité avec Melorn ? Peu probable, nous revenions justement de cette cité. La présence, aux alentours, des ruines de l’ancien Empire de mes ancêtres et par extension celle d’une quelconque babiole ou grimoire à obtenir discrètement pour le bien de l’Empire ? Possible. Bien qu’assez peu conforme à l’idée que je me faisais du comportement de Fictilem. Restaient la question des pilleurs et des brigands. Peut-être n’étaient-ils pas de simples malandrins ? Peut-être, s'agissait-il d’anciens opposants ? Peut-être désiraient-ils mettre un terme au règne de Tensai ? Étant donné que cette région était inhospitalière et possédait un relief quelque peu accidenté, il aurait été aisé pour n’importe quel officier de se constituer un repaire souterrain depuis lequel il pourrait fomenter diverses opérations. Dès lors, cela expliquerait ma présence en ces lieux, bien qu’aucune activité suspecte et aucune rumeur ne semblait étayer un postulat aussi ridicule.
Alors pourquoi ? Pourquoi étais-je ici ? Pourquoi moi ? Je n’étais rien. Je n’étais personne ! Je n’étais qu’une elfe dont l’existence personnifiait la notion même de trahison à l’égard de l’Empereur. Quand bien même, fut-il légitime de me châtier pour mes crimes passés, ordonner que je me rendisse à Elentia n’avait strictement aucun sens si ce n’est celui de me faire perdre la tête. La seule explication légitime eut été, étant donné la lettre rédigée par la Griffe, que mes prédispositions l’intéressaient. Mais encore une fois, cela n’avait strictement aucune logique. Rien de ce que j’avais dit ou de ce que j’avais fait à Vent d’Acier, ne faisait de moi une guerrière extraordinaire ou ne me rendait digne de recevoir des compliments de la part de la Griffe. Mon sens stratégique ? Mes prouesses martiales ? Balivernes. Tout ce que j’avais accompli dans le Grand Nord, n’importe quel soldat de l’Empire y serait parvenu. J’en étais convaincue. Pour être tout à fait honnête, mes soi-disant « exploits » étaient anecdotiques, voire dérisoires, en comparaison des actes de certains membres de l’expédition. Après tout, que ce fût l’ours ou même l’archonte, je ne les avais pas affrontés contrairement aux autres membres de l’expédition. Je m’étais contentée d’utiliser ma pyromancie et mon arc sur des cibles que n’importe quelle armée aurait pu terrasser. De ce fait pourquoi n’avait-il pas eu recours au Luteni ou même au Contrôleur ? Pourquoi n’avait-il pas fait mander ces personnes ? Je n’en avais aucune idée, mais demeurais persuadé que le légat se leurrait à mon égard. Je n’avais fait que mon devoir. Rien de plus. Hélas ! À moins de lui tirer volontairement une flèche dans le pied, je doutais qu’il partageât mon opinion sur le sujet.
C’est alors qu’ironiquement, je notais la présence de deux jambes non loin de moi et dont l’heureux détenteur n’était que la personne qui faisait l’objet de toutes mes pensées. Par réflexe, je délaissais mon arc ainsi que mon morceau de tissu, me redressais pour lui faire face et fis claquer mes bottes, et ce dans l’optique de le saluer, selon la plus pure tradition militaire, mon supérieur hiérarchique qui en profita pour me saluer également de vive voix. Alors que mes iris azurés rencontraient les siens après avoir légèrement incliné la tête, je notais qu’il semblait bien se porter depuis le retour de l’expédition du Vent d’Acier même si je le trouvais quelque peu éteint. La route l’avait probablement éreinté et tout ce névé avait, sans doute, obscurci son humeur. Après tout, ce n’était pas comme si lui et moi avions dû subir majoritairement durant ces dernières semaines des tempêtes de neige ainsi que des températures ô combien glaciales. Pour ma part, j’admettais volontiers que je me serais bien passé d’être affectée ici. Quoi qu’il en soit, j’étais plutôt satisfaite de voir l’homme aux yeux vairons. Au moins allais-je enfin obtenir des réponses quant aux véritables raisons de ma présence à ses côtés.
« De même, Imperator. » Je grimaçais légèrement lorsqu’il fît mention de la route. « Elle fut surtout longue et quelque peu déplaisante à la fin. J’ai toujours eu en horreur le froid propre à ces contrées. J’espère qu’elle fût bien meilleure pour vous. »
Son intérêt se porta assez rapidement vers mon bras gauche, toujours recouvert de bandages et que je trainais, pour ainsi dire, comme un véritable poids mort tant le mouvoir m’était pénible par essence. Fictilem chercha à m’interroger sur les causes de cette blessure. Sa demande me fit hausser un sourcil. Non qu’elle fût déplacée. Bien au contraire. En tant que dirigeant des armées de l’Empire, elle était somme toute assez légitime. Toutefois, j’étais quelque peu surprise à l’idée que le plus éminent légat du Reike voulut s’enquérir d’un tel sujet. D’après ce que j’avais pu juger du personnage, j’avais conscience qu’il ne mettait pas ce sujet sur la table comme s’il s’agissait d’une simple péripétie. Éprouvait-il de l’inquiétude à mon égard ? Impossible. Était-il davantage préoccupé à l’idée qu’une tierce partie, dont il n’aurait jamais entendu parler, m’aurait causé tous ces désagréments ? Fort probable. À moins qu’il ne s’agît tout simplement d’une manière de démontrer qu’il veillait à l’état des instruments de guerre de l’Empire. Après tout, en tant que janissaire, je n’étais qu’une ressource. Un simple ustensile qui à l’instar d’une épée devait être correctement entretenu si l’on désirait qu’elle soit efficace et surtout mortelle le moment venu.
Quoi qu’il en soit, dévoiler l’origine de cette blessure ne me dérangeait guère. À mes yeux, ce n’était qu’une anecdote. Une anecdote douloureuse certes. Mais une simple fable au demeurant. Il n’y avait rien de mystérieux à son sujet. À vrai dire, cette histoire démontrerait surtout à quel point il m’arrivait, en certaines occurrences, d’être particulièrement têtu même s’il fut vrai qu’en ces circonstances il était bien plus question d’acharnement et de bêtise que de persévérance. Hélas ! Rien ni personne ne parviendrait à occulter ce pan de ma psyché. Quand bien même, j'avais conscience que mon comportement aurait pu me coûter bien plus cher, j’avais pertinemment conscience que dans une situation similaire, je risquais, fort probablement, d’adopter la même conduite bien qu’une part de moi-même soit quelque peu chagrinée à l’idée d’avoir malmené ce corps déjà ô combien endommagée du fait de ces 5 dernières années. Je décidais donc d’éclairer sa lanterne sans plus tarder.
« Ni l’un ni l’autre. La route m’ayant mené jusqu’ici fut paisible. Quant à la notion d’accident, elle présuppose que cette blessure aurait été fortuite. Or, ce n’est absolument pas le… »
Je m’arrêtais brutalement dans mon exposé alors que mes oreilles se dressaient soudainement et que je me tournais pour visualiser la porte être ouverte par une tierce personne qui n’était autre que l’homme en charge de cette garnison et que j’avais pu rencontrer hier lors de mon arrivée au cours de laquelle j’avais pris soin de lui notifier les motifs de ma venue dans ces contrées ô combien reculées. Cet officier n’avait pour ainsi dire rien d’extraordinaire. Ce n’était qu’un humain. Pourtant, au regard de la discipline dont faisaient preuve les hommes de ce camp retranché et au vu de l’état des différentes fortifications, je savais que derrière cette apparence pour le moins insignifiante se cachait un militaire des plus compétents. Bien peu auraient été les personnes capables d’encadrer une telle troupe dans de tels confins. Ce n’était pas son cas ce qui, en soit, était louable, mais surtout rassurant. Son affectation en ces lieux n’était donc pas le fruit du hasard.
Étant donné qu’il s’agissait également de mon supérieur hiérarchique, je le saluais comme il se devait et le laissait échanger avec l’Imperator, non sans tendre l’oreille. Quel mal y avait-il à saisir la nature de leurs propos ? Après tout, il y avait de fortes chances pour que cet humain révélât une quelconque information dont j’ignorais la teneur sur cette région. Or, étant donné que j’ignorais les véritables raisons de ma venue ici, j’estimais qu’il me fallait en savoir plus sur le contexte local afin de me préparer au mieux. Hélas ! Hormis échanger des formules de politesse, le dialogue qui s’était amorcé entre eux ne m’apprit rien. Du moins jusqu’à ce qu’un soldat se présenta auprès du Dunark afin de lui transmettre une missive qu’il s’empressa de lire avant de la tendre à la Griffe. Ce billet eut, visiblement, le don d’étonner l’Imperator qui interrogea son interlocuteur au sujet de l’auteur du message. Son contenu était-il si incongru pour générer une telle réaction ? Impossible à dire. Pas sans connaître le nom ou du moins la fonction de ce plumitif. Quoi qu’il en soit, d’après le dialogue entre les deux hommes, ce mystérieux quidam était vraisemblablement au courant de l’arrivée de Fictilem sur ces terres et cherchait à le rencontrer.
Cette information eut le don de m’amuser, mais aussi de générer de la sympathie à l’égard de l’Imperator même si je tâchais de demeurer stoïque et de faire comme si je n’avais rien entendu. Étant donné les responsabilités de Fictilem au sein de l’Empire, il était assez évident que diverses patriciens chercheraient à le rencontrer afin d’obtenir une quelconque faveur de sa part ou, mieux encore, afin de nouer une alliance avec lui. Après tout, la Griffe n’était pas mariée. Du moins, me semblait-il. Je n’étais guère au fait de ce genre de mondanités. Non que jouer les commères ne m’amusait pas. Bien au contraire. Que ce fût à Melorn ou lorsque j’étais encore officier au sein de l’armée reikoise, me tenir au courant des derniers potins de mon entourage était particulièrement distrayant tant cela me permettait de narguer ce dernier voire même de faire preuve de facéties à l’égard desdites personnes. Hélas ! Depuis, que j’étais devenue janissaire, je n’éprouvais plus le désir de m’adonner à ce style de conduite, et ce, pour diverses raisons.
Quoi qu’il en soit si Fictilem n’était pas marié, il demeurait une cible de choix du fait de l’influence offerte par ses fonctions au sein de l’armée. Bon nombre de bourgeois et de nobles devaient être prêts à lui proposer leurs filles, et ce, dans l’espoir de bénéficier de ses faveurs ou de ses réseaux de clientèle. Or, si je voyais juste…si cette missive n’était qu’une invitation à peine déguisée pour espérer obtenir une quelconque faveur, je le plaignais sincèrement. Bien que n’ayant jamais atteint un tel niveau de responsabilité au sein de l’Empire, j’avais été témoin des désagréments que pouvait offrir la place d’une personne suffisamment importante au sein de la hiérarchie reikoise. Devoir composer avec un tel nid de vipères qui ne cherchait qu’à se servir de vous et qui prétendait constituer des alliés en affichant des sourires de façade, avait toujours eu le don de m’exaspérer. Plus d’une fois, je m’étais fait remarquer à Melorn pour ma désobligeance à l’égard de ce genre de personnage. Malheureusement pour lui, Fictilem ne pouvait, très certainement pas, éconduire aussi facilement que moi ces sangsues. Au nom de l’Empire, il se devait de ménager la chèvre et le chou pour espérer obtenir ce qu’il désirait en certaines occurrences ce qui l’obligeait à faire des concessions. Aussi, pour tout cela, je le plaignais même si j’espérais, bien naïvement, ne pas avoir à l’accompagner si de telles tractations venaient à avoir lieu. Ces dernières avaient, après tout, toujours tendance à être pour le moins pompeuses.
Bien que je n’en eusse pas véritablement confirmation, mon postulait gagna en crédibilité dès lors que j’appris, grâce à l’échange des deux hommes, qu’aucun problème ne semblait troubler la ville d’Elentia. Je ne doutais pas un seul instant que Fictilem serait charmé, si du moins je voyais juste, d’avoir à se pavaner auprès d’un petit nobliau de province en quête d’attention. Vu son air fourbu, sa patience risquait d’être mise à rude épreuve et bien que je ne voulusse en aucune façon me mêler de cette histoire, j’eusse été quelque peu curieuse d’assister à l’échange tant il promettait d’être récréatif.
L’Imperator, pour mon plus grand étonnement, me sollicita auprès de lui. Aussi, m’approchais-je doucement de lui et me saisissais de la lettre qu’il me tendait et parcourait son contenu qui, je devais le reconnaitre, était plutôt avare en informations. Elle m’apporta, tout au plus, la satisfaction de savoir que j’avais en partie raison quant à la position sociale qu’occupait son auteur et me renseigna quant à l’identité de ce dernier qui n’était nul autre que le régent d’Elentia en personne. Elle m’apprit également qu’il cherchait à obtenir, de toute urgence, l’aide de l’armée ce qui était assez étrange. Après tout, de ce que j’avais saisi, aucun trouble ne semblait sévir dans la région. Pourquoi, de ce fait, nécessitait-il l’intervention de l’armée au sein de sa ville ? Cela n’avait aucun sens. S’il y avait eu un problème, la garnison aurait pu s’en charger. C’était la raison de sa présence en ces lieux. Pourquoi attendre ? La réponse à cette question était facile. Il aurait fallu être le dernier des sots pour ne pas faire le lien entre la présence de la Griffe, l’arrivée de cette missive au moment même de l’entrée de Fictilem au sein de la forteresse et le contenu de cette lettre. Vraisemblablement, la route était, non seulement, surveillée, mais en plus l’on avait spécifiquement attendu la venue de l’Imperator pour transmettre ce message. La visite de Deydreus ayant été prévu depuis un certain temps, comme me le laissait présupposer le document épistolaire qu’il m’avait envoyé une semaine auparavant, ce gentillâtre avait dû avoir vent de l’information depuis un certain temps.
Je fronçais les sourcils et prenais un air plus grave alors que je relisais une seconde fois le morceau de parchemin que j’avais en mains. Si l’on occultait la demande faite par le régent, j’aurais sans nul doute estimé que le seigneur de ces terres n’était qu’un vil flagorneur doublé d’un lèche-cul. Toutefois, cet « appel à l’aide » me laissait plus circonspecte. C’était bien trop louche. Pourquoi demander aussi prestement l’assistance de la garnison et de Fictilem et ne point révéler les causes de cette sollicitation ? Cela n’avait strictement aucun sens et me poussait à me montrer suspicieuse à l’égard de son auteur. Tout ceci sentait le piège. Pourtant, cette démarche était bien trop grossière, bien trop évidente. Elle manquait de finesse. J’avais connaissance de l’adage selon lequel plus le mensonge était gros, plus il passait. Mais là… Cela dépassait toute commune mesure. Personne n’oserait décemment croire que Fictilem était dans l’incapacité de percevoir de telles intentions auquel cas il ne serait jamais devenu le chef des armées reikoises. À moins qu’il ne s’agît d’une mise en garde ? Après tout, faire croire à un piège aussi évident était peut-être le moyen le plus sûr de s’assurer que la Griffe serait sur ses gardes que ce fût en ville ou sur le chemin menant au bourg. C’était assez peu probable tant encore c’eut été l’évidence même. Même dans l’éventualité où un idiot ne serait pas parvenu à flairer le piège, celui-ci se serait tout de même montré prudent en quittant ce fort.
À moins que… J’écarquillais les yeux. Le piège était possiblement grossier, car il souhaitait nous mettre en confiance quand bien même il susciterait notre méfiance à l’égard du régent tant sa requête était étrange et ne collait pas à l’idée que nous nous faisons du contexte local grâce aux descriptions du Dunark. En revanche, cette missive nous imposait de quitter ce camp retranché avec un nombre important d’effectifs et de nous poster en ville. Or, celle-ci ne bénéficiait peut-être que de défenses sommaires à l’inverse de ce fort. Peut-être, ne pouvait-elle même pas soutenir un siège. Certes, aucune armée titanique ou républicaine n’était présente en ces lieux. Aussi l’idée d’une telle éventualité paraissait saugrenue. En revanche, si l’on partait du principe qu’autrefois des brigands sévissaient dans la région et que depuis l’établissement d’une garnison, ils avaient été, pour ainsi dire, coupés de leur source de profit, l’on pouvait imaginer qu’ils souhaiteraient se débarrasser des hommes du Dunark quitte à faire cause commune entre les différentes bandes et le régent. Dès lors, ils n’auraient qu’à attirer les forces reikoises au sein de la ville puis à les encercler et à tous les massacrer grâce à la force du nombre. La Griffe, dont la présence n’avait pas été anticipée lors de l’élaboration d’un tel plan, n’aurait été qu’une cible supplémentaire à abattre et sa mort aurait constitué un message en soi.
Non. Ce postulat était erroné tant il était absurde. Si la garnison avait mis à mal toute forme de brigandage, ces malandrins auraient eu du mal à s’organiser et surtout à constituer une menace face à une armée disciplinée et entrainée. Non. Je devais m’en tenir aux faits et simplement aux faits même si cette ruse n’était guère finaude et qu’elle semblait indiquer qu’une sombre machination se préparait. Celle-ci avait forcément un lien avec l’Imperator. Voulait-on le neutraliser ? L’assassiner ? L’emprisonner ? Le convertir de force à une autre cause que la sienne ? Les possibilités étaient multiples, mais toutes nécessitaient la présence de Fictilem à un endroit précis. Pourtant, quand bien même tout ceci m’incommodait quelque peu, j’étais extrêmement préoccupée par le fait que l’on pût ainsi potentiellement menacer la vie de l’Imperator. Après tout, cet homme n’était pas le premier péquin venu. Il avait triomphé de la menace titanique en de multiples occurrences, avait remporté des succès militaires, était un combattant chevronné. Même si le tuer était possible, cela n’était pas facile pour autant. Aussi, que des tiers pussent envisager de combattre la Griffe, soit l’un des meilleurs combattants de l’Empire après l’Empereur lui-même, c’est qu’ils estimaient avoir de bonnes chances de l’emporter. Allaient-ils user d’un quelconque artifice ou artefact pour y parvenir ? Je l’ignorais, mais tout ceci ne me disait rien qui vaille.
Me pinçant l’arrête du nez et sentant poindre une migraine, j’écoutais Deydreus donner ses dernières instructions au Dunark, puis lui fis signe de me rejoindre à la table que j’occupais quelques instants auparavant et sur laquelle mon arc ainsi que tout mon nécessaire d’entretien étaient disposés. Attendant qu’il s’asseye, j’en profitais pour me saisir d’un pichet sur une table voisine qui contenait du vin et deux brocs que je remplissais dudit liquide avant de le tendre à Fictilem et de m’asseoir à mon tour, non sans prendre soin d’apposer doucement mon bras gauche sur la table afin de ne pas réveiller cette maudite blessure. Contemplant le gobelet de vin rouge posé juste devant moi, je plongeais mon regard dans ce liquide carmin qui dansait doucement au sein de cette coupe. Pendant un bref instant, alors que je réfléchissais à la manière d’aborder la demande de l’Imperator et que l’on pouvait percevoir le crépitement du feu dans l’âtre de cette salle, je me perdis dans les reflets étincelants de cette liqueur. Je fermais les yeux un bref instant avant de les rouvrir à nouveau, de fixer directement le visage de Deydreus.
« L’histoire derrière l’origine de cette meurtrissure est somme toute assez commune. » Lui confessais-je dans un souffle alors que j’en profitais pour rajuster une partie des bandages recouvrant le dos de ma main gauche et que je luttais pour ne pas céder à la tentation générée par les démangeaisons de mon bras.
« Comme je vous l’ai dit, il y a de cela quelques instants, Imperator, mon odyssée vers ces contrées s’est déroulée aucune anicroche. Quant à la notion même d’incident, elle présuppose que les évènements ayant conduit à ce résultat eussent été fortuits. Ce n’est absolument pas le cas. Ce stigmate, s’étend de mon épaule à ma main, n’est que le produit de mes propres actions. De ma propre imprudence. Telle une enfant découvrant le monde, je me suis montrée particulièrement imprudente, bornée et surtout idiote. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive et cela ne sera très certainement pas la dernière même si, en cette occurrence, j’admets volontiers m’être surpassée. »
J’affichais un sourire pour le moins contrit à mon interlocuteur avant de reprendre la parole d’un air sincère, mais aussi terriblement grave.
« L’expédition du Vent d’Acier m’a fait saisir l’ampleur de mon impéritie. Que ce fût contre l’archonte, les abominations, ou même cet ersatz d’ours, ma contribution à notre victoire et à la défense de l’Empire ainsi qu’à celle de mon peuple, fut au mieux anecdotique. N’importe quel officier ou vétéran aurait été en mesure de prendre les mêmes décisions que moi, ce jour-là. Bien que je sache que mon être tout entier est dédié à l’Empire, une part de moi-même demeure attachée au bien-être de Melorn. Or, durant notre campagne dans le Nord, j’aurais voulu contribuer davantage à notre victoire…j’aurais voulu ardemment venger ces elfes qui, en dépit de leur sacrifice, ont été ramenés dans ce monde pour servir une cause qu’ils honnissaient de leurs vivants au point de se sacrifier pour en venir à bout. Rendez-vous compte, je n’ai même pas été en mesure de loger une seule flèche dans la tête de ce séide de ces pseudo-démiurges. »
Je soupirais avant de reprendre sur un ton las.
« En tant qu’instrument de guerre, j’ai failli à ma tâche ce jour-là. Je me suis reposée pendant bien trop longtemps sur mes acquis au point d’être aussi efficiente qu’une lame émoussée. En tant que janissaire, la guerre et la victoire du Reike sont mes raisons d’être. Or, comment pourrais-je répondre à un tel impératif… Comment pourrais-je accomplir mon devoir si je suis dans l’incapacité d’abattre les ennemis de l’Empire ? La tactique et la stratégie ne font pas tout. Si le matériel que je personnifie fait défaut, une débâcle certaine nous attendra la prochaine fois. Aussi, pour toutes ces raisons, j’ai décidé, lors de notre retour, de prendre les mesures qui s’imposaient pour changer cet état de fait promptement, notamment dans le domaine de la pyromancie. La suite, vous la devinez. Pour que celle-ci puisse davantage nous aider dans le combat qui nous attend, je me suis dévouée corps et âme au perfectionnement de mes prédispositions au point d’en oublier toute forme de précaution à un moment où le contrôle de mon mana se montrait particulièrement capricieux du fait de mon absence de concentration. Une telle imprudence eut des conséquences pour le moins désastreuses au point de laisser une marque indélébile dans ma chair masquée par ces bandages et que vous avez juste sous votre nez. »
Je profitais du silence qui s’était désormais instauré entre nous pour lever le gobelet jusqu’à mes lèvres afin de laisser le vin rouge couler sur sa langue avec une lenteur délibérée, et ce, dans l’optique de mettre de l’ordre dans mes pensées. Plissant le nez du fait de l’odeur âcre dudit liquide, je manquais grimacer tant le goût astringent associé à sa consistance sirupeuse me restait en travers de la gorge. L’on ne pouvait guère affirmer qu’il s’agissait d’un vin de bonne qualité. Pour être honnête, il s’agissait d’un véritable picrate. Hélas ! Au regard de la région, je savais qu’espérer mieux serait une erreur. Reposant le gobelet sur la table, je m’abstenais de me servir à nouveau et en profitais pour pencher légèrement la tête sur le côté avant d’interroger mon interlocuteur.
« Mais qu’en est-il de vous, Imperator ? Sans vous manquer de respect ou m’immiscer dans ce qui ne me regarde pas, l’on croirait que votre voyage fut tout sauf reposant. Vous semblez irrité. En dehors de toute cette neige, dont je me serais bien passée pour être franche, avez-vous rencontré un quelconque désagrément en chemin pour donner l’impression d’être aussi agacé ? À moins que votre humeur n’ait un rapport quelconque avec une sombre affaire d’État auquel cas cela ne me concerne absolument pas. J’ai toutefois le sentiment que le contenu de cette lettre n’est pas parvenu à éclaircir, d’une once, votre humeur, bien au contraire et je le comprendrais aisément tant toute cette histoire est des plus nébuleuses et la duperie sous-jacente fort grossière ce qui rend l’ensemble fort préoccupant. Peut-être la nuit nous portera-t-elle conseil à ce sujet. »
J’éprouvais une certaine réserve quant à cette dernière affirmation. Je sentais que le mystère de cette missive ne serait résolu qu’au moment où nous nous rendrions sur place…qu’au moment où nous accepterions de nous jeter dans la gueule du loup ce qui ne me plaisait guère. Fictilem tout comme moi devait anticiper un piège. Cependant, quand bien même nous nous doutions que cette lettre détenait un caractère sibyllin, nous étions bien en peine de savoir la forme que prendrait le traquenard qui nous attendait très certainement à Elentia.
« Mais dites-moi, Imperator. Une question me brûle les lèvres depuis que j’ai reçu votre épistole. Bien que je comprenne les raisons de votre présence ici, je me demande : pourquoi m’avoir fait mander en ces lieux ? Non que je veuille remettre en cause vos instructions, mais je pense qu’il aurait été plus judicieux de recourir à un membre du RSAF ou de la maréchaussée si souhaitiez traquer une créature ou si vous désiriez mettre un terme à certaines activités de brigandages. Ils vous auraient été d’un plus grand secours surtout au regard de mon état actuel. »
J’étais curieuse de connaître sa réponse même si je savais que ma requête pouvait être assimilée à de l’insubordination.
"La mémoire est une forme d’immortalité. La nuit, quand le vent se tait et que le silence règne sur la plaine de pierre scintillante, je me souviens. Et tous revivent. Les soldats vivent. Et se demandent pourquoi..."
Le Chevalier Noir
Deydreus Fictilem
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Vocation: Guerrier combattant
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