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Citoyen du monde
Louise Aubépine
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Démoniaques philosophies
Assise en tailleurs sur son lit de fortune, Louise se tenait la tête d’une main tremblante. Depuis les événements récents visant à purifier l’arbre monde, la vision que l’arbre avait inséré en elle et l’étrange acte de de son compère démoniaque, la blonde n’était clairement pas au meilleur de sa forme. Elle ne parvenait plus à trouver le repos et les images de sa mutation incomplète lui revenait en mémoire dès lors que ses paupières se fermaient.
Ayant fait le chemin allé avec Dactyle et Naa et espérant pouvoir fêter leur réussite en bonne et due forme à leur retour en compagnie d’anciens et nouveaux alliés, elle s’était retrouvée bien peinée lorsqu’elle se retrouva à marcher de longues heures, portant Naa sur son épaule ou sa tête selon l’humeur féerique de l’être de lumière.
Elle était finalement rentrée au camp et Naa lui avait expliqué qu’elle avait quelques préparatifs à faire avant de lui souhaiter bon courage pour la suite des événements.
Se retrouvant seule dans un camp de fortune malgré quelques shoumeiens qui vinrent à sa rencontre pour lui demander quand-est-ce que les veilleurs de l’aurore prendraient enfin des actions concrètes pour eux, la grande brûlée se sentait bien pathétique. Sans compagnon, la démone perdait toute la joie, l’assurance et la façon dont elle irradiait d’espoir. Un tel comportement était certainement puéril, mais ses proches se trouvaient être, littéralement sa force et son énergie.
Elle avait commencé à douter, à balbutier devant ceux qu’elle avait promis de protéger. Et nauséeuse, la démone avait finalement expliqué que le chemin du retour avait été plus qu’éprouvant et qu’elle avait besoin de se reposer et de réfléchir à la suite des événements.
Au début, elle plaça sa déprime passagère sur le coup de la fatigue mentale mais bien vite, cette dernière s’était rendue compte qu’un autre paramètre était à l'œuvre. Quoi que Savoir lui ait fait ce jour là, il avait éveillé quelque chose en elle. Quelque chose qui voulait sortir, qui refusait de rester enfoui. Comme une pensée inconsciente qui se débattait au sein des réflexions de la démone.
L’espace d’un instant, elle avait goûté à un pouvoir qui la fascinait autant qu’il l’effrayait. Au début, elle essaya de se justifier, avec un tel pouvoir, elle serait capable de mener les veilleurs d’une main de maître afin de pourfendre le mal et d’éradiquer les fanatiques afin d’apporter des lendemains heureux, mais la réalité était tout autre. Ce sentiment de possibilités infinies s’était montré particulièrement grisant et Louise regretta très rapidement d’avoir eu ce genre de pensées. Elle avait peur de dévier ainsi de sa morale en se laissant aller au plaisir de nouvelles capacités. Plus jeune, on lui avait enseigné que la magie pouvait se montrer autant dangereuse qu’harmonieuse selon qui et comment cette dernière était employée. Et l’idée de faire plier le genou aux fanatiques lui avait paru, l’espace de quelques instants, particulièrement agréable. L’idée de les regarder de haut, se moquant de leurs choix inconsidérés de suivre de fausses divinités au lieu de se ranger derrière elle comme toute personne sensée.
Était-ce réellement ses pensées ? Elle qui désirait plus que tout une entente diplomatique autant avec les fanatiques que les titans ? Après tout, elle aussi les priait, bien qu’elle faisait passer les ambitions du Sekai avant sa propre foi. Comment pouvait-elle se permettre, ne serait-ce qu’avoir la moindre réflexion de se sentir supérieure à ses âmes égarées ?
En un mot comme en cent, Louise perdait peu à peu pied avec la réalité, doutant de qui elle était et de ce qu'elle désirait. Se retrouver seule à ce moment précis ne faisait que renforcer ses doutes. Sans un visage amical, un oreille attentive ou simplement une épaule sur contre laquelle s’appuyait, la meneuse des veilleurs perdait de son éclat.
Secouant finalement la tête pour chasser ces pensées parasites, elle attrapa le pichet d’eau reposant à côté de sa couche pour en boire le contenu à renfort de grandes gorgées et, voyant que ça ne calmait pas son malaise, elle se leva pour en verser le reste sur son visage avant de se frapper les joues de ses mains.
Elle avait tendu la main à Myriem, elle n’était pas une assoiffée de pouvoir et le but des veilleurs n’était pas de la placer sur un piédestal mais bien de libérer le Sekai des maux qui le rongeait. Ses pensées étaient forcément fausses, tel un mal insidieux qui s'était introduit en elle. Peut-être était-ce là une conséquence au geste de Savoir ? Il s’agissait probablement là de la réponse la plus simple ainsi qu’espérée par l’Aubépine, terrifiée à l’idée que quelque chose ne fonctionne pas en elle. Si elle agissait comme figure de proue pour les veilleurs, il était de son devoir de ne pas faillir, de se montrer irréprochable et sans le moindre défaut. Pourtant, elle était une créature faillible tout comme chaque membre de ce camp et n’avait jamais éprouvé cette arrogance qui était aux antipodes de la personne qu’elle désirait être.
C’est forcément la faute de Savoir, pensa-t-elle alors, n’arrivant pas à assumer que le souci était autre. Une discussion s’imposait et elle n’hésiterait pas à l’attraper dès lors de son retour avec Dactyle.
La démone se dirigea en direction d’habits simples qu’elle avait préparés la veille afin de les enfiler. Ne voyant pas d’utilité à porter son armure et ne se sentant pas encore suffisamment en état pour se permettre d’ajouter le poids d’une armure pour la journée, Louise laissa son équipement dans sa tente. Espérant aussi qu’elle passerait peut-être un poil plus inaperçue au sein du camp, ne se sentant pas capable de tenir ses longs discours habituels.
Malheureusement pour cette dernière, Hubert Hauvent, un ancien chevalier de l’ordre Shoumeien, autrefois fanatique puis rangé sous la bannière des veilleurs, l’attendait à la sortie. Bras croisés.
—Louise, commença-t-il sans prendre la moindre pincette. Les réfugiés ne tiennent plus. Personne n’a dormi dans un véritable lit depuis presque un mois, les nuits sont froides et humides. Lorsque la pluie tombe, nous peinons à tous nous abriter. Nous manquons de matériel, de tentes, d’armes et surtout, de vivres. Si nous ne faisons rien, les plus courageux finiront par tomber malades. Les autres… iront vers de plus vertes contrées. Nos forces sont au plus bas, et bien que Dactyle et toi ayez entrepris quelques actions afin d’aider l’arbre monde, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Une menace semblable à un titan nous attend à la capitale, qui sait lorsqu’elle se décidera à se mouvoir. Beaucoup trop d’hommes et de femmes veulent mettre le plus de distance entre eux et cette émanation magique. Tu dis vouloir tendre la main au Sekai tout entier, mais regarde l’endroit dans lequel tu les accueille ? Pourquoi voudraient-ils suivre les veilleurs alors que Maël et le glorieux Reike sont seulement à quelques jours de marche ? La réalité c’est que si nous ne prenons pas des mesures drastiques au plus vite, plus personne ne fera vivre ce camp.
—Les mots sont durs, balbutia la démone, giflée en plein visage par ce retour au monde réel. Je ne me sens pas très bien, Dactyle n’est pas encore revenue et je voulais son avis pour-
L’ancien chevalier la coupa.
—Non. Nous sommes en temps de crise, que vont penser les réfugiés s’ils voient la personne en charge du camp dans un état si lamentable ? C’est dur pour tout le monde et nous n’avons pas le temps d’attendre que tu questionnes l’intégralité du camp pour recevoir leur bénédiction. Dactyle est partie gambader dans la forêt à la recherche de fanatiques, grand bien lui fasse. Mais elle agit, c’est son rôle de fille ténébreuse. (Il esquissa un sourire.) Toi, ton rôle c’est de faire marcher ce camp, d’être notre phare dans la nuit. Non, ne commence pas à dire que ce n’est pas vrai ou je ne sais quelle excuse. Nous avons tous un rôle ici. Et si tu veux que ta vision de créer un Sekai à l’abri des dangers avec un renouveau de notre nation se réalise, alors tu dois saisir le rôle qui t’incombe à bras le corps. Assume ton rôle de cheffe ou tu subiras le prix de ton inaction. Nous avons déjà quelqu’un qui nous a quitté, veux tu réellement répéter l’expérience ?
Suite à cette claque de réalisme, Louise cligna des yeux un moment, sembla sur le point de répliquer mais ne trouva aucun mot à placer sur ses émotions. Refermant ses lèvres, elle baissa la tête, pensive. Elle avait peur de se tromper. Peur de faire un mauvais choix. D’envoyer ses amis et les gens dont elle avait la protection à une mort certaine suite à une erreur tactique. Et pourtant, les mots du chevalier jouaient la mélodie de la sincérité. C’était certes un tantinet pompeux de se considérer comme celle faisant office de figure aux veilleurs et pourtant, tout ceci découlait de son initiative. Elle devait prendre les choses en main, mettre un grand coup dans la fourmilière et arrêter de se reposer exclusivement sur Dactyle et Déchu. Si le rôle de Dactyle était bien d’agir dans l’ombre, le sien était de faire naître l’espoir dans le cœur d’autant de gens que possible. Pour le futur, pour Shoumei, pour le Sekai. Il était grand temps que les veilleurs entrent dans la danse.
Prenant une longue inspiration, Louise s’exprima, tentant de ne pas fourcher ou hésiter sur les mots.
—Hubert. Prépare moi un parchemin, une plume et de l’encre. Je veux un coursier prêt dans la minute pour joindre les terres de Boktor, non loin de Maël. Nous allons profiter de notre nouvelle alliée pour lui demander de garder les réfugiés quelque temps. Pendant ce temps-là, nous allons commencer notre sauvetage de Shoumei. Nous allons reprendre un village afin d’en faire officiellement notre base d'opérations. Que les titans m’emportent si nous dormons toujours dans des tentes d’ici plusieurs mois. Nous allons faire revivre Shoumei et peu à peu, nous libérerons le reste de notre nation. Les alliés se grefferont à nous lorsque l’ampleur de nos actions fera parler de nous. (Elle hocha du chef avant de s’empourprer un peu.) E-enfin si tu veux bien, je n’oblige pas ou qu-
—A vos ordres, cheffe, la coupa l’homme qui se mettait déjà en route, souriant d’avoir enfin quelqu’un prenant des décisions.
—Merci Hubert, et autre chose, continua-t-elle aidée par la bénédiction du soldat. Je veux que quelqu’un retrouve le Déchu. J’en ai marre de le voir disparaître comme bon lui chante sans nous prévenir de sa position. Il ne doit pas être bien loin, ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup de points d’intérêts où se promener dans le coin. Tentez Maël. S’il ne s’y trouve pas, explorez proche des campements d’appoint. J’ai peur qu’il fasse quelque chose de regrettable avec le mal qui le pèse depuis notre combat contre les racines. S’il le faut, arrêtez-le. Sans lui faire de mal si possible. Dans le cas contraire… (Elle grimaça, n'appréciant pas ses propres mots.) Alors maîtrisez-le par la force. Je le sais assez costaud pour encaisser quelques coups de pommeau sur la tête. Il devrait s’en remettre.
L’homme hocha du chef avant de s’atteler à la tâche. Quant à l’Aubépine, cette dernière se rendit de nouveau au sein de sa tente pour enfiler son armure, attacher son épée à la ceinture et son bouclier dans le dos. Si elle devait être le phare de ce campement, alors il était de son devoir de se montrer indéfectible.
Sortant de sa tente, faisant voler la toile d’entrée d’un revers de la main, elle se dirigea vers le centre du camp. Saluant ceux qu’elle croisait d’un sourire amical sans pour autant ralentir son allure. Le temps qu’Hubert ne prépare ce dont elle avait besoin, elle se devait de faire un discours afin de ne pas laisser l’espoir dans le coeur des réfugiés s’étouffer. Et alors qu’elle commença à demander de l’aide afin de mettre quelques caisses au centre pour se donner un peu de hauteur afin d’attirer l’attention, le vent se leva d’un coup. L’air ambiant crépita et le centre du camp commença à se distordre autour d’un point flottant. Les familles commencèrent à s’écarter, certains crièrent que les titans attaquaient.
Ne pouvant utiliser ses capacités d’analyse magique, Louise tira sa lame en prévention tandis que quelques anciens fermiers et robustes paysans se placèrent à ses côtés, armés de fourches et autres armes de seconde main.
—Restez sur vos gardes ! Personne n’approche tant qu’on ne sait pas de quoi il s’agit !
Décidément, il se passait toujours quelque chose en Shoumei, ironisa intérieurement la démone. Un endroit parfait pour les âmes en appétit d’aventure.
Et enfin, après quelques secondes, le flux se stabilisa et la réalité reprit son cours avec, à l’endroit de la distorsion jadis, Savoir accompagné de Dactyle. Voyant la seconde de l’ordre, quelques-uns baissèrent leurs armes, d’autres, terrifiés par la seconde apparition, reculèrent d’un pas. Refermant leurs prises sur leurs armes.
—Baissez vos armes ! cria Louise après un moment de surprise, rangeant son épée à son tour. —Il s’agit de Savoir, un allié précieux. Il ne mord pas promis. (Enfin, pas ses alliés. Et puis, il n’avait guère de dent à première vue donc ce n’était pas nécessairement un mensonge.)
Louise s’enquit rapidement de la santé de son amie. S’assurant qu’elle n’était pas blessée, auquel cas elle se montrera insistante quant à l’obligation pour cette dernière de prendre du repos et de panser ses plaies.
—Sinon tous les deux… Comment ça c’est passé ? Vous avez pu trouver nos ennemis ?
Elle nota la réponse dans un coin de son esprit avant de se tourner vers celui qu’elle redoutait. Savoir. Une créature démoniaque autant intrigante que dangereuse. Elle avait attendu patiemment de pouvoir enfin échanger avec lui et maintenant qu’il se trouvait devant elle, ses doutes faisaient surface à nouveau. Ses pensées s’envolèrent vers les mots durs mais justes d’Hubert et elle comprit qu’il était malavisé de fuir cette discussion inévitable.
—Marchons un peu, commença-t-elle en faisant signe au démon de la suivre. Vous ne faites pas vos arrivées à moitié. Je pense ne pas être la seule à avoir été prise de panique. Ne faites pas attention aux regards que vous portent les gens, ils ont vu tellement de choses ces derniers jours qu’il est difficile de les voir capable de se relaxer. C’est que, votre apparence n’attire pas forcément la confiance aux premiers abords. E-enfin, loin de moi l’idée que vous ressemblez à un monstre au contraire et euh… (Voyant qu’elle s’enfonçait, la femme aux cheveux de paille soupira.) J’ai confiance en vous, moi. Nous devons discuter de nombreuses choses. De qui vous êtes et de ce qui vous pousse à combattre les titans pour commencer. Je pense sincèrement que vous serez un atout non négligeable dans notre effort pour protéger le Sekai et j’aimerai vous avoir à nos côtés. Mais chaque chose en son temps, nous avons beaucoup à voir. Heureusement, nous avons également le temps nécessaire. A moins que Naa n’arrive pour nous annoncer une nouvelle catastrophe, ce qui serait plus que fâcheux. Nous méritons un peu de repos. (Un sourire naissant apparut avant de rapidement laisser place au doute.) Et… il y a cette chose qui s’est produite dans la grotte. Je ne sais pas ce que vous avez fait, enfin, si je vois dans la théorie. Mais depuis, je ne me sens plus moi-même. J'aimerais davantage d’informations quant à ce que vous avez fait.
Elle s’arrêta dans sa marche, commençant à indiquer sa tente avant de se rendre compte que le démon serait possiblement à l’étroit au sein de cette dernière. Et puis à la vue de l’usure dont faisait preuve la toile, elle n’allait pas les protéger bien longtemps du vent qui commençait à se lever. Alors, elle continua de marcher tout en prolongeant la discussion. L’idée d’occuper ses jambes l’aidait à s’exprimer, encore mal à l’aise quant à ses arrogantes pensées.
—Cela dit, je dois vous remercier de nouveau pour ce que vous avez fait. La vision octroyée par l’arbre m’a donné une idée. Idée à laquelle j’aimerai que vous participiez. Mais nous y reviendrons un peu plus tard. Pour l’heure, Savoir, parlez moi de vous.
Elle lui offrit un sourire encourageant.
Autant commencer par les sujets les plus simples pour se donner la force morale d’évoquer ce qui la pesait plus tard.
CENDRES
Arme des Veilleurs
Savoir
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”Apologétique. Navré Dactyle, les choses ne se sont pas passées comme prévues. Nous te remercions néanmoins de ta précieuse aide.”
Le Démon n’a pas l’air de se soucier de la panique palpable que son apparition soudaine au sein du campement des Veilleurs de l’Aurore suscite chez les quelques rescapés qui les entourent. Il s’adresse à la lycanthrope avec laquelle il vient de passer les derniers jours à traquer les différents fanatiques repérés par Changement à Bénédictus, et malheureusement leur chasse ne s’est pas avérée être un franc succès, s’ils ont tout de même réussis à renforcer la pression des Veilleurs sur ces âmes égarées, ils ne sont parvenus ni à stopper complètement leurs exactions ni à mettre à terre l’un d’entre eux. Ils avaient donc dû se résigner à partir de Bénédictus et à cheminer jusqu’ici pendant que le Démon récupérait sa mana, à partir de quoi il a pu sonder l’esprit de Dactyle pour récupérer l’emplacement du campement et achever leur trajet à la téléportation. La lycan exténuée entreprit de partir se reposer tandis que l’être surnaturel, dépourvu de fatigue physique par la singularité de son enveloppe charnelle n’éprouve nul besoin de dormir ou de marquer de pause.
Ica reporte donc son attention sur une vision plus agréable que celle de leur décevante aventure, celle de Louise Aubépine qui vient à leur rencontre. La capitaine des Veilleurs s’occupe tout d’abord de son amie embarquée par le Démon depuis trois jours et l’inspecte sommairement avec une inquiétude qui se lit sur son visage avec autant de facilité que la fatigue qui marque encore ses traits. Étrange. Savoir a déjà interagis à deux reprises avec cette soeur là et à chaque fois il était étonné de constater les similitudes entre le fonctionnement de la psychée de la blondinette et celui des mortels, certaines de ces ressemblances semblaient s’étendre également sur le plan physiologique et c’était un phénomène encore plus curieux que le Démon de la Connaissance est curieux d’explorer d’avantage. Cependant, une fois que la chef des lieux eu finit de parler à Dactyle, elle se retourna vers lui avec une expression résolue. Visiblement elle avait bon nombre de choses à lui dire. Savoir s’en doutait un peu, il était normal après tout pour Louise d’avoir une multitude d’interrogation, si elle est réellement persuadée d’être la semblable des Mortels, si elle est autant capable de comprendre et d’émuler leur psychologie et leur comportement, alors effectivement les récents évènements que le Premier du Compendium avait provoqué en elle avaient dû être un profond chamboulement de ses convictions. Acceptant l’invitation à déambuler dans les rangs du campement pour discuter, Savoir emboîte donc le pas à Louise de ses jambes difformes et ramifiées. Il l’écoute justifier le comportement à cran des autres réfugiés Shoumeïens, et lorsqu’elle semble s’empêtrer dans des formalités, l’oeil d’Ica ne ressent ni amusement ni offense de la remarque, ce n’est qu’une constatation factuelle que sa propre anatomie est atypique en comparaison du reste de la mortalité qui évolue sur Sekaï, il est donc normal que les peuples, dont une des plus grandes craintes est celle du changement et de la différence, ne soit pas à l’aise en sa présence. Il a l’habitude des premiers regards anxieux, tout comme il a l’habitude de la méfiance des mortels, après tout même les chercheurs des Fondateurs se comportaient souvent de façon extrêmement précautionneuse autour de lui, normal donc d’en attendre autant de la part de parfait inconnus.
Il suit donc la progression du laïus de sa soeur avec attention, Ica écoute la moindre de ses paroles tout en regardant autour de lui pour acquérir le plus d’information possible sur le campement. D’après Dactyle il s’agissait là de ce qui pouvait s’apparenter à un centre d’opération pour les récemment fondés Veilleurs de l’Aurore, mais tout ce que le Démon voit ce n’est qu’un ramassis précaire de réfugiés fatigués, malnutris, fragiles et érodés par la guerre. Les quelques tentes et abris sommaires sont à peine suffisant pour réellement protéger du froid et du vent, et les ressources à leurs disposition sont, d’après l’oeil obsessionnel, insuffisantes pour garantir la pérennité d’un aussi grand nombre d’individus. Quant aux capacités de combat potentielles, Savoir jugeait rapidement d’après l’état corporel et la carrure des réfugiés qu’il ne s’agissait pas exclusivement de militaires ou d’anciens soldats, mais majoritairement de paysans ou du moins de personnes dotées d’un passé martial limitée. C’est un début, mais vastement insuffisant pour mener une riposte contre les armées des Titans, sans parler des dieux eux-mêmes.
Alors que Louise conclut enfin sur l’expression plus personnelle de ses propres sentiments, ses propos éveillent en Savoir le picotement d’une conscience qui ne s’était jusqu’alors jamais manifestée devant la petite blonde, celle d’un oeil doté d’une puissance de feu similaire, mais d’une psychée émotionnellement plus à même de résonner avec le discours de sa soeur. Ica laisse sa place sans protester pendant que la membrane protectrice bleutée se manifeste lentement par magie autour de l’oeil violacé, et sur un autre globe haut-perché au volume massif la même paupière se désintègre pour révéler une iris marron. Avec sa grande iris aux filandreux épithélium brun noisette et sa voix associée plutôt masculine et chaleureuse, Comp émerge enfin devant Louise et prend la parole avec son usuel ton profond, calme et rassurant:
”Bonjour Louise, enchanté, je crois que c’est la première fois que nous nous rencontrons. Je suis Comp, et nous sommes Savoir.” L’attitude même de sa silhouette se module, Savoir se redresse, ses mains passent dans son dos et sa démarche se fait plus paisible, les organes exposés de son torse se mettent à battre comme s’ils avaient soudainement ressuscité et la masse de filament organique cesse de gesticuler pour se donner un semblant d’ordre. ”Je suis ravi de constater que notre action tantôt dans cette grotte t’as été bénéfique, je me doute que tu aies bon nombre de questions à poser, ça tombe bien, nous avons justement des réponses à t’apporter.”
L’oeil de Comp, contrairement à Ica, ne fait pas promener son regard à droite ou à gauche pour relever l’état du campement, au contraire il reste majoritairement fixé en direction de Louise. Si l’oeil obsessionnel est principalement préoccupé par l’accomplissement du quelconque objectif qu’il se fixe dans l’instant et ne se soucie guère des détails superflus, l’iris empathique au contraire s’adonne à observer les gens, saisir leur comportement, leurs actes, leurs réactions, relever les indices sur leurs visages pour ensuite les coupler à ce qui se terre dans leurs esprits et mieux capter les complexes mécanismes psychiques de ceux pour lesquels il se bat. Comp dévie occasionnellement son regard de son interlocutrice pour ne pas la mettre mal à l’aise à cause d’une insistance trop appuyée, mais reviens toujours renvoyer le regard de sa soeur. Tout ce comportement est la résultante d’une étude méticuleuse et prolongée de Savoir sur les mortels qu’il a côtoyé, un mimétisme calculé pour parvenir à imiter ce qu’il ne possède ni ne convoite.
”Nous sommes donc Savoir, Démon de la Connaissance. Lorsque nous nous étions vu pour la première fois, il me semble qu’Alys s’était introduite à ton groupe comme étant le Gardien d’Azshary, or ce n’est plus tout à fait exact. La capitale de l’empire des Fondateur n’est désormais plus qu’un tas de ruine, mais nous participions effectivement à sa protection du temps où elle était encore debout. Nous nous étions également présenté comme le Premier des Sept.” Comp jette son regard autour d’eux en faisant pivoter son oeil sur le filament qui le soutient, il reprend, ”J’apporterai cependant des précisions là dessus un peu plus tard, il y a certaines informations qui ne doivent pas s’ébruiter parmis le commun des mortels.” en l’occurence l’existence du Compendium fait partie des informations que Savoir classifierait comme dangereuse entre de mauvaises mains. Pas nécessairement pour son espèce, mais plutôt pour celle de la mortalité. ”Tu as pu constater que nous possédons plusieurs yeux, nous avons été généré par la soif de connaissance des mortels, et en tant que tel nous représentons ensemble l’éventail de ce que la curiosité suscite dans les coeurs. Je crois que tu as déjà aperçu Ra, Ica et Alys. Ra possède une iris verte et jaune, il n’oublie jamais rien, enregistre tout ce qu’il entend et voit et est d’un curieux sans pareil. Ica est le plus acharné d’entre nous, il possède la même détermination résolue des chercheurs qui se jetteront coûte que coûte dans le noir au nom de la découverte. Alys est plus spéciale, elle fait preuve d’une très forte capacité de traitement et de logique, je reconnais qu’elle peut être un peu intimidante pour certains. Je m’appelle Comp, à ton service, et il existe également deux autres pupilles…” L’oeil marque une pause pour chercher les mots les plus adaptés. ”Éva est… la Juge. Ton jugement Louise, viendra d’ailleurs certainement tôt ou tard, dis-moi, est-ce que tu as recouvré l’usage de ta magie?” Le Démon s’arrête de marcher, se tourne vers sa soeur et abaisse le fil qui porte Comp pour amener sans se pencher le globe oculaire à hauteur de visage de Louise, en l’absence de paupière, l’organe possède une expression toujours aussi neutre qu’à l’accoutumée mais en raison de la taille imposante de l’iris brune et de sa ressemblance frappante avec l’oeil d’un humain, il y a une similitude trop proche avec un mortel mais toujours trop éloignée pour tomber tout juste dans un entre-deux étrange.
Le fait que la réponse apportée par la blondinette à Savoir soit négative le contrarie fortement, il y a quelque chose d’anormal dans cette condition dont elle semble souffrir. Normalement après avoir retrouvé les Veilleurs de l’Aurore la dernière fois il y a quelques jours, Savoir aurait préféré rester ce coup-ci à leurs côtés tout du long, il n’avait pas osé les côtoyer après avoir brisé les racines de l’Arbre-Monde parce que la corruption mentale dont il avait souffert s’était révélée redoutablement dangereuse. Une précaution qui s’était d’ailleurs révélée justifiée puisqu’il avait ensuite passé un mois à faire de nombreuses victimes parmis les rangs des Cultistes de l’ombre, des fanatiques pro-titans et des rescapés shoumeïens sans distinction à force de traquer les cellules de croyants. Il avait même croisé une soeur qu’il avait failli abattre tant le mal s’était profondément ancré en lui jusqu’à en perturber sa logique et son fonctionnement. Non, si cette fois il était parti de la caverne sans se retourner suite à la vision que l’Arbre-Monde lui avait offert, c’était parce qu’il avait eu besoin de réfléchir posément avant de recontacter Louise. La compagnie de Dactyle lui avait permis d’en apprendre plus non seulement sur les Veilleurs mais aussi sur le caractère de la meneuse, et à la lumière de tout les éléments dont il bénéficiait maintenant il avait échaffaudé quelques hypothèses. L’absence de magie de sa soeur malgré leur retour de la caverne pouvait ou bien faire s’effondrer son chateau de suppositions, ou bien justement confirmer une des suggestions qu’il avait établi. Il n’y avait pas cependant pas beaucoup de moyen d’écarter les doutes sur la vérité, Savoir tend son bras déformé en direction de Louise et gesticule les serres osseux pour l’inviter à lui prendre la ‘main’:
”Je me permet cependant de te contredire sur un point.” La voix pourtant posée de Comp devient soudainement plus lugubre. ”Nous n’avons pas de temps Louise. Il y a trop à faire pour que nous puissions nous permettre d’être oisif, depuis que je me suis libéré de l’endroit où j’étais enfermé, je n’ai eu de cesse d’arpenter Sekaï jours et nuits pour retrouver mes six Soeurs, de réunir des informations et des Champions pour affronter les Titans. Après la destruction des racines je suis parti combattre le Culte, et j’ai traqué les fanatiques pendant ces derniers jours. Vois-tu, chaque seconde compte Louise, alors je t’en prie, ouvre moi ton esprit, que nous connaissions également ton histoire. Il y a quelque chose dont nous devons nous assurer, un point d’ombre que nous avons besoin d’éclaircir à ton sujet.”
Sa soeur ne refuse pas catégoriquement de se livrer magiquement à lui, mais elle objecte en lui expliquant que sa vie n’a rien de si intéressant à explorer.
”Nous ne cherchons pas l’extraordinaire, bien au contraire c’est justement ce qui constitue ton ordinaire que nous souhaitons passer au crible.” ajoute donc Comp en soulevant un peu plus sa main pour inviter Louise à la saisir. ”Conte moi ta vie par tes pensées.”
Lorsqu’elle accepte finalement de poser ses mains frêles sur ses appendices crochus, la mana de Savoir s’insuffle une fois de plus dans le corps de la meneuse, mais contrairement à l’intrusion survenue dans la grotte de l’Arbre-Monde ce n’est cette fois qu’au travers de sa magie psychique et non de son essence démoniaque. L’oeil attentif de Comp observe les traits concentrés de la sondée pendant que sa mana afflue au cerveau et se concentre sur la lecture de ses souvenirs, dans sa propre conscience, le Démon de la Connaissance voit défiler la vie d’une petite fille tout ce qu’il y a de plus banal. Une gamine qui manquait de confiance en elle et avait du mal à se faire des amis, mais qui était animée par un amour presque inconditionnel pour son père. Une gamine qui s’appliquait avec sérieux dans ses études pour gagner par la force de ses actes la fierté de son unique parent. Une gamine qui a vécu en se nourrissant de rêve, de fantasmes et d’espoir. Une gamine.
Savoir découvre ensuite la tourmente qui avait suivi son réveil, les instants d’égarement tant moral qu’émotionnel où la jeune femme ne parvenait à trouver de soutien qu’en les quelques compagnons de fortune qui l’entouraient. Une jeune femme pleine de doute sur le sens même de son existence. Une jeune femme mue par l’espoir de triomphe, sans qu’aucune fierté ne soit à la clé si ce n’était le droit d’exister. Une jeune femme qui vit en se nourrissant d’espoir. Une jeune femme.
Rétractant abruptement sa mana, Comp est maintenant persuadé d’avoir eu ce qu’il voulait, et semble réfléchir un instant en suspens tandis que Louise paraît émue d’avoir revisualisé ces instants de sa vie, déterrés par la fouille mentale du Démon oculaire. Parmis les hypothèses que Savoir avait forgé au sujet de cette soeur si singulière, une d’entre elle lui prêtait le rôle d’un démon de la tromperie ou du mensonge, c’est une supposition encore tout à fait possible, mais le rasoir d’Occam qui s’avère si souvent juste supporte plutôt d’autres théories, et ce que Comp vient tout juste de voir corrobore ces appuis un peu plus loin. Que faire maintenant? Doit-il même la remercier de s’être ouverte à lui? De lui faire confiance avec ses souvenirs? Comp considère attentivement le pour et le contre, il calcule froidement son comportement… si tout ce qu’il vient de voir est effectivement réel, et que Louise n’a toujours pas récupéré sa magie, alors il vaut mieux…
”Louise.”
Savoir reste là, ayant simplement prononcé le nom de la Démon comme s’il comptait lui déclarer quelque chose d’important ou de solennel, mais rien de vint. Il est juste debout devant elle, ses serres repliés sur sa main sans vouloir la laisser partir.
Puis d’un seul coup tout change.
Les tentes du campement ont disparues, l’ambiance tristement optimiste des rescapés qui joignaient les deux bouts en maintenant un semblant de gaieté a laissé sa place à un silence pesant, modulé uniquement par les vents arides qui soufflent leur air sec et acerbe sur le plateau où ils sont désormais. Bénédictus, jadis capitale culturelle et religieuse du Sekaï, disposait avant sa destruction de bon nombre de temples somptueux dédiés à la vénération des Titans et ces cathédrales faisaient la fierté de l’ancienne fédération, mais il y avait également un autre type d’architecture qui émerveillait les visiteurs et les pélerins de par la maîtrise shoumeïenne des compositions florales et du paysage vert: les jardins. Les Jardins Suspendus de Jiroquai étaient auparavant une superficie de bosquets fleuris et de senteurs bariolées s’étendant sur plusieurs centaines d’hectares et entretenus par les prêtres du temple éponyme. Ces lieux débordaient jadis de vie et le tableau peint par les mariages arborescents, les rigoles d’eaux vives et les parterres de fleurs savamment orchestrés composaient une ode à la beauté du monde qui, selon le plaisir coupable des ecclésiastiques, faisait la fierté d’Aurya même. Les jardins suspendus possédaient un système d’irrigation ingénieux qui permettait l’écoulement des eaux en hauteur pour l’acheminer dans toute la surface, dessinant au travers de sa superficie des labyrinthes et des promenades sinueuses alliant parfaitement l’équilibre entre la beauté éphéméride de la nature et le savoir-faire durable des mortels. Ces eaux d’une pureté enviée dans le pays servaient parfois à l’eau bénite des grandes cérémonies et certaines rumeurs prêtaient justement l’abondance exubérante des Jardins de Jiroquai à des propriétés cachées de cette eau nourricière. Les balades entre les artistes qui venaient immortaliser ses paysages et les aspirants religieux qui priaient à chaque pas sur le chemin vers le temple constituaient un incontournable des visites des terres de Bénédictus.
Aujourd’hui il n’en restait plus rien.
Le duo de Démon est debout sur la grande place devant les ruines du Temple de Jiroquai. À gauche de Louise, le spectacle de désolation des terres arides craquelées et sèches qui s’étendent à perte de vue remplace le panorama autrefois somptueux des Jardins, il n’y a plus rien qui puisse suggérer la présence des verdures si ce n’est les brisures morcelées d’argile des rigoles qui jonchent le sol, dessinant parfois encore ça et là les anciennes allées des Jardins. À sa droite, les ruines du Temple. La façade est éventrée par une faille béante crée par l’attaque d’un Titan ou d’une de leurs engeances, le toit est effondré vers l’intérieur et les débris éparses jonchent les charpentes des ailes annexes du Temple. Derrière le bâtiment, la falaise de laquelle sortait les sources miraculeuses est maintenant tarie par la corruption titanesque et les restes de traumatisme qui ressortent partout où le regard peut se poser.
Ils se tiennent tout les deux debout au milieu de la Grande Place, l’endroit servait auparavant à la fois de lieu de pélerinage où les missionnaires venaient prier face à la falaise, et à la fois de terrain d’entraînement martial pour les moines. Aujourd’hui, il y avait bien un entraînement en cours sur les pavés poussiéreux de ce lieux de mort, mais plus aucun moine.
Savoir laisse enfin Louise retirer sa main de ses digits chitineux. Le Démon se dresse maintenant de toute sa hauteur devant la chef des Veilleurs, la voix de Comp porte puissamment dans l’immense espace vide où ils se tiennent et son ton se fait si ferme qu’il en devient froid, voir énervé:
”La première fois que nous nous sommes rencontrés, j’ai été surpris par quelque chose de singulier chez toi Louise, quelque chose que nous n’avions jamais observé chez un autre de nos semblables. Nous avons été les geôliers de notre Sororité, nous avons rencontré beaucoup de nos soeurs à travers le Sekaï, et pourtant aucun d’entre eux n’était comme toi.” Il s’avance d’un pas vers la petite, ses griffes raclent lourdement contre les dalles de pierre. Sa voix devient hostile. ”Faible.” Comp s’avance d’un pas de plus et l’ombre de son oeil massif se projette sur le visage de Louise. ”Et pourtant rien ne s’imbrique correctement, parce que vois-tu, il y a une zone de flou qui persiste.” Sans qu’il ne se montre, la voix de Ra commence à se faire entendre.
”D’après notre observation factuelle, la première fois que nous avions rompu les racines, c’est la magie résiduelle combinée entre celle générée par le Culte des Ombres, celle qui restait de l’Arbre-Monde et celle que nous avions nous-même délivré dans notre combat qui s’est amalgamée pour former l’Entité Sombre.”
”Toute la magie ambiante qui stagnait dans cette grotte a servie à la genèse de cet adversaire, donc en théorie il n’aurait pas dû rester de mana résiduelle stagnante dans la caverne des racines. Sauf que ça n’a pas été le cas. Au contraire deux entités sombres additionnelles sont apparues et leur puissance dépassait de loin tout ce dont nous étions capables.”
”Question: d’où venait la magie qui les a généré?”
”C’est une bonne question n’est-ce pas Louise? Ça ne pouvait pas venir de l’Arbre-Monde, puisque nous avons dû nous même l’abreuver de mana pour faire fonctionner la Mémoire des Anciens parce que justement l’Arbre était épuisé et mourant. Rien ne s’est immiscé dans cette caverne entre temps, les gravats étaient là où nous les avions laissés la première fois et la puissance de feu que nous avons consommé pour les écarter n’a rien à voir avec celle des apparitions du couple impérial. Donc:”
”Hypothèse: la magie était déjà là quand nous sommes partis la première fois, mais pour une certaine raison elle n’a pas pu être dirigée sur l’Entité Sombre.”
”Et lequel d’entre nous tous a laissé derrière sa magie mais ne l’a pas retrouvée? Lequel d’entre nous a fait don de sa mana à l’Arbre-Monde? Toi. Ta magie perdue était la seule et unique source de mana dans laquelle les entités sombres ont pu puiser, sauf qu’il y a un détail qui ne correspond pas.”
”Le gouffre de puissance entre ta magie et celle des entités était trop élevé.”
”Exact, encore une fois ça ne corrobore pas avec ce que tu es Louise. Les Démons sont des armes, des outils et des épreuves, nous sommes par essence même de ce que nous sommes, par la raison de notre existence, des êtres d’une grande affinité magique…”
La voix de Comp se meurt lentement au fur et à mesure de sa phrase pour atteindre un niveau presqu’inaudible et la membrane réapparaît autour du globe oculaire. Tandis que l’organe imposant de Comp s’écarte du visage de Louise alors que Savoir continue d’avancer, il est vite remplacé par un oeil fraîchement ouvert, une nouvelle pupille toute aussi abyssale que la précédente, mais entourée par une iris d’un noir absolu constellée de raies et de particules dorées et azurées. Semblable à un ciel étoilé, ce nouvel optique est d’une beauté fascinante, et lorsque sa voix retentit, la froideur de son propos contraste avec la douceur de son timbre:
”Alors dis-nous Louise, est-ce que tu ignores être aussi puissante, ou est-ce que tu te nourris des morts que tu provoques en prétendant être aussi faible?”
Les raies de lumières qui ornent l’iris d’Éva commencent à s’accroîtrent jusqu’à dépasser le pourtour de l’organe visuel, se développant dans les airs comme une crinière luminescente alors que la Juge déploie une quantité colossale d’énergie. Au dessus d’eux, un oeil bleuté fait son apparition dans le ciel, repoussant les austères nuages tout en créant un cercle à l’éclat formidable. D’autres cercles concentriques apparaissent successivement, formant une visée titanesque braquée sur eux.
Citoyen du monde
Louise Aubépine
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Démoniaques philosophies
Tout en continuant sa marche, l’Aubépine put en apprendre davantage sur l’être aux antipodes des créatures mortelles. Un nouvel œil s’était ouvert, une nouvelle voix s’était fait entendre. La femme en armure avait pu comprendre au fil de leurs échanges que l’entité nommé Savoir possédait plusieurs personnalités, chacune représentées par un oeil de ce dernier. Mais aucun ne s’était réellement présenté à elle sous un nom qui lui était propre. Ainsi, Comp était celui qui semblait se rapprocher, en partie du moins, du commun des mortels. Un sourire illumina le visage de la démone en supposant qu’ainsi, Comp était lui aussi capable de ressentir toute une palette d'émotions, sans comprendre que tout n’était qu’un masque.
Elle le salua rapidement entre deux de ses phrases, continuant à écouter ce dernier.
Et lorsque ce dernier annonça avoir des réponses quant à ses questions, l’Aubépine lui offrit un regard nettement plus perçant. Elle avait tant à lui demander. Tellement qu’elle ne savait pas réellement par où commencer. Par chance, Comp se montrait suffisamment chaleureux pour ôter les doutes de la démone.
Son regard se posa l’espace de quelques instants sur les organes à l’air libre, se demandant intérieurement si ce n’était pas douloureux pour la créature. Se faisant violence pour ne pas grimacer à l’idée de ce qu’elle ressentirait dans sa situation, la blonde releva la tête pour se concentrer sur l'œil dans lequel s’incarnait Comp, qui visiblement était sa partie favorite du démon azsharien.
Ce dernier se présenta alors plus en détail, nommant certaines des autres personnalités qui le composaient. Elle nota inconsciemment quelques informations importantes, cachées entre les lignes.
—Azshary ? répéta-t-elle avec un sourire amical. Vous êtes probablement plus vieux que moi alors. J’ai connu la nation elfique de mon vivant, enfin, je m’avance un peu. Disons plutôt qu’elle existait alors que j’étais encore toute jeune. Je n’ai jamais eu le luxe de la visiter, pourtant, enfant, je rêvais d’en visiter les bibliothèques et de comprendre la fabuleuse magie qui protégeait les grandes villes du froid glacial. Aujourd’hui, il n’en reste que Melorn… malheureusement, je n’ai pas pu apprendre ce qui a causé la chute de cet empire millénaire. Et pourtant, la magie protectrice est restée. Ne trouvez-vous pas qu’il s’agit d’une magie des plus magnifiques ? Les Azshariens ont toujours possédé une certaine finesse dans leur art de la magie, un jour, j’aimerai de tout cœur mettre la main sur un ouvrage d’étude sur leur art magique pour le comparer avec ceux dont j’avais à ma disposition à Bénédictus. A Shoumei, de mon temps du moins, nous possédions quelques écoles où l'on étudiait la magie, mais encore là, aucune ne pouvait prétendre arriver à la cheville des arts elfiques. Ou même des études de monsieur Dangshuan. S’il y a bien une figure importante que j’ai toujours rêvé de rencontrer, c’est bien lui. En travaillant d’arrache pied et avec un brin de talent bien sûr, il a su révolutionner le monde de la magie. Je suis certaine qu’il était immensément sage et devait maîtriser tout un tas de sujets. Ici à Shoumei, nous peinions à rattraper le reste du monde sur leurs avancées magiques, monétaires ou martiales. Nous concentrant sur notre foi et notre bienveillance. Et regardez ou tout cela nous a mené. (Elle écarta les bras pour montrer l'état du camp.) Il est bon de garder nos racines, néanmoins, et j’y pense depuis la vision que m’a confié l’arbre, que baser toute notre identité sur des forces qui nous dépassent en nous remettant à ses dernières était une erreur. Shoumei est tombée car elle ne possédait ni les legs de Dangshuan concernant l’étude de la magie, ni les compétences martiales propres à la nation du sable. Demandez à n’importe quel non-shoumeien ce qui caractérise ma nation, il y a de fortes chances qu’il vous réponde en ces termes : “Shoumei est une nation de religieux et de croyants.” Pourtant, nous avons des points forts ! L’arbre monde pour commencer, nous aurions dû en être les protecteurs ! En le laissant se corrompre, nous mettons en danger l’intégralité du Sekai.
Elle allait enchaîner sur son plan de remettre sur pied Shoumei et tout ce que cela impliquait, s’étant laissé porter comme bien souvent dès qu’elle commençait à s’exprimer, elle avait du mal à s’arrêter et pouvait continuer de déblatérer sur tout et rien des heures durant. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas laissée à la magie de cette insouciance enfantine qui la caractérisait ? Les derniers jours ayant été éprouvant et n’ayant pas eu l’occasion de se soulager par la parole avec Dactyle ou le Déchu, Savoir recevait ses monologues traitant de sujets divers. Et encore, elle s’était retenue d’apporter sa science en expliquant fièrement pourquoi le royaume d’Azshary portait le nom qui était le sien, se doutant que Savoir devait être au courant. Après tout, il était dans ses habitudes de ramener sa science lorsqu’elle le pouvait, à la grande lassitude de sa meilleure amie de jadis.
Repensant à cette dernière, les yeux de la démone s’embuèrent finalement. Se souvenant qu’elle n’était plus à son époque d’origine et qu’elle ne pourrait plus jamais entendre les plaintes de son amie quant à son habitude de partir dans ses monologues interminables. Shoumei n’était plus et alors que des gens mouraient autour d’elle, il n’était pas de bon ton d’évoquer de tels sujets légers. Reprenant son masque sérieux, Louise se frotta les yeux péniblement avant de sourire à son interlocuteur.
—Je vous ai coupé, dit-elle alors. Veuillez m’excuser, Comp. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, continuez je vous en pries.
Elle l’écouta continuer, ne rebondissant pas sur la partie ou ce dernier évoquait six autres qui lui seraient semblables, se promettant de lui en demander plus sur le sujet une fois écartés de la populace, si l’occasion venait à se présenter. Aussi, elle hocha du chef, lui signifiant qu’elle avait compris et ce dernier lui présenta chacun des yeux. Et alors que la chevalière se préparait à les saluer, elle balbutia :
—Mon jugement ? Comment ça mon jugement ? Je ne suis pas une criminelle ! Je n’ai jamais rien fait de répréhensible de toute mon existence d’ailleurs ! (Une pointe de fierté se glissa dans le timbre de sa voix.) Et puis… quant à ma magie… (Elle détourna le regard perdant en assurance, visiblement dépitée.) J’ai tenté de la sentir à nouveau. Après, je n’ai jamais été une très bonne magicienne. Jeune, j’avais un petit don, mais je n’ai jamais réellement cherché à le travailler comme… disons que je suis à des années de pouvoir réaliser ce que vous autres avez fait dans la grotte de l’arbre. J’étudiais la magie sur mon temps libre, mais je cherchais à devenir une véritable érudite et non une magicienne de talent. J’ai beaucoup appris sur la théorie, mais la pratique a toujours laissé à désirer. Je n’ai pas autant de talent que les autres veilleurs. Je… je suis juste celle qui parle et encourage les autres à se tenir droit. La réalité, c’est que même avant que l’arbre n’aspire mon mana, j’étais bien incapable de faire autant que Dactyle, le Déchu ou toi. Une cheffe bien misérable n’est-ce pas ? (Un sourire amer se dessina sur son visage.) Je serais capable de rédiger plusieurs notes sur la magie, du moins, à hauteur de ce que l’enseignement shoumeien pouvait offrir, pourtant, je n’ai jamais eu la force arcanique de produire autre chose qu’un peu de lumière et quelques éléments de base occasionnellement. Par exemple, je comprends par quels procédés vous produisez vos rayons lumineux et je serais en mesure de reproduire les causes, cependant, je n’ai tout simplement jamais eu la capacité physique de produire une telle puissance de feu. N’importe qui peut apprendre les arts de la magie, pourtant ce que les magiciens oublient de dire, c’est que comprendre ne signifie pas pour autant être capable de produire les exploits liés à la magie. Bien sûr, il est possible d’entraîner sa réserve magique, mais jamais elle n’atteindra celle de quelqu’un ayant un don certain pour la magie. Alors, je me dis que peut-être, ce n’est pas si important si je me retrouve incapable d’utiliser mon savoir arcanique. J’ai encore mes deux bras, mes deux jambes et toute ma tête pour faire la différence. Je ne suis peut-être pas de la même trempe que vous autres, mais ça ne veut pas dire que je compte rester recluse en arrière pendant que vous mettez vos vies en jeu ! Je vous accompagnerai devant les titans eux-même, le coeur vaillant !
Et bien qu’elle concluait sa tirade avec un large sourire confiant, une partie d’elle continuait de douter. Ce qu’elle avait ressenti au moment où Savoir avait partagé sa magie avec elle n’était pas une simple hallucination. L’espace d’un instant, elle s’était sentie capable de soulever des montagnes. Un sentiment autant grisant que frustrant lorsque l’arbre lui avait ôté de nouveau cette nouvelle énergie. Elle en vint à se tenir la tête, se disant que de toute manière, elle ne pouvait demander à Savoir de l’accompagner et de lui servir de potion de mana ambulante. Sa magie était plus utile directement en lui, plus habitué à l’utiliser. Et puis, elle n’était pas certaine d’être prête à revivre la douleur irradiante de la transformation.
La démoniaque création azsharienne continua. Mettant Louise un peu plus devant son inaction. Expliquant qu’il avait été bien plus proactif que cette dernière et que le temps pressait.
—Excusez moi d’avoir été perforée par un certain démon et de m’être écroulée à bout de force après coup, répliqua-t-elle, visiblement piquée à vif. Pendant que vous cherchiez les fanatiques, je me faisais un sang d’encre pour vous deux. Et le Déchu n’était même plus là à mon réveil pour partager mes doutes. J’ai porté Naa jusqu’au camp et loué soient les tit- (Elle se reprit dans son expression, pensant qu’il ne serait clairement pas malin de chatouiller le démon par les yeux.) Par chance, nous n’avons rencontré aucun contretemps sur le chemin. J’ai ensuite eu besoin de repos et… bon certes. Pour certaines raisons, je suis restée perdue quant à la suite des événements. Heureusement, ce n’est plus le cas, j’ai eu le coup de fouet dont j’avais besoin.
Elle soupira longuement. De nouvelles questions en tête. A présent, elle souhaitait réellement en apprendre plus sur ces six fameuses sœurs qu’elle devinait être des démons mais Comp ne lui laissa pas le temps de tergiverser. Il lui demanda clairement l’autorisation de fouiller au sein de sa psychée.
—Je veux bien, répondit la femme brûlée en haussant les épaules. Mais je doutes que vous y trouviez quoi que ce soit de si intéressant. J’ai vécu dans un petit village avant de partir pour la capitale y faire des études. Puis je me suis retrouvée catapultée à notre époque. Je viens d’une époque où la paix régnait sur le Sekai. Les grandes nations, établies il y a quelques années, florissaient dans la paix et la joie. Nous vivions une pleine félicité. Je ne pense pas que vous y trouviez quoi que ce soit d’utile dans le combat qui nous importe aujourd’hui. Je… suis assez banale.
Elle conclut avec un sourire en coin, baissant légèrement le regard. Toutefois, elle ne s’était jamais plainte une seule fois de son origine. Elle avait pu aimer de tout son cœur la vie qu’elle avait vécue jadis et s’il existait un moyen de revenir d'où elle venait, sans doute ce serait-elle jetée sur l’occasion. De toute manière, le temps étant un long fleuve et étant immortelle, elle n’abandonnerait pas les veilleurs car finirait inexorablement par les retrouver.
Secouant la tête, se disant qu’il ne servait à rien de se bercer d’illusions, elle entendit Comp lui expliquer qu’il souhaitait tout de même mettre en place l’expérience.
—Entendu entendu, répondit-elle non sans un sourire. Mais ne soyez pas trop déçu d’accord ?
Elle empoigna alors la main du démon pour lui ouvrir ses souvenirs.
Sentant l’âme de ce dernier s’introduire dans ses souvenirs, Louise fût transportée, vivant de nouveau les jours passés.
Assise sur un tronc d’arbre renversé, une petite Louise Aubépine, haute comme trois pommes, fixait l’étendue d’eau qui se profilait devant elle. Le lac proche du village avait toujours été particulier à ses yeux car particulièrement calme à l’exception de quelques pêcheurs occasionnels. L’enfant s’y rendait à chaque fois qu’elle était contrariée où qu’elle cherchait un lieu calme pour continuer ses lectures. Aujourd’hui, c’était pour le premier cas de figure. Tenant dans sa main ses lunettes tordues dont l’un des verres s’était brisé, elle pleurait à chaudes larmes. Un tel outil n’était pas réellement donné et son père avait dû sacrifier beaucoup afin de les lui offrir et voilà qu’elle les avait brisé quelques jours seulement après les avoir reçues. Pour une raison bien stupide.
Une fois de plus, les enfants du village jouaient à ce qu’ils appelaient la bataille des dieux. Et bien que pratiquement n’importe quel bambin aurait été capable d’expliquer toute la subtilité du jeu, les adultes ne voyaient en ce jeu qu’une activité barbare où se mêlaient pugilat et coups de bâton. Les enfants incarnaient chacun un titan et au fil d’objectifs divers et variés, devaient montrer qu’ils étaient “le titan le plus puissant”. (Les objectifs se résultant bien souvent à faire étalage de sa force physique à la tristesse de la démone qui s’ignorait, rapidement épuisée, de faible condition physique et n’ayant aucune force dans les bras.) Evidemment, il n’y avait guère assez de titans pour l’ensemble des enfants du village bien que ce dernier fût l’un des plus petits et paisibles de la vieille Shoumei, par conséquent, les enfants les moins sportifs, dont Louise, se retrouvaient à jouer le rôle des mortels, se prosternant devant ces fameux dieux et devant aller jusqu’à se sacrifier pour eux.
Louise, qui de nature n’aimait déjà pas les jeux violents, gardait son mécontentement intérieur de ne jamais avoir pu incarner l’un des titans, se retrouvant à chaque fois dans le rôle du simple soldat se faisant écraser par la volonté des dieux, ou de la civile qui se rangeait sous les ordres de l’un deux. Ne voulant pas empiéter sur l’amusement des autres, elle s’écrasait volontairement devant leurs choix. Se contentant de prendre les miettes qu’on daignait bien lui jeter.
Bien sûr, elle n’avait pas à se plaindre de sa situation, ce n’étaient là que des enfants un peu turbulents qui ne pensaient qu’à s’amuser. Ils ne pensaient clairement pas à mal et ne se rendaient pas compte du mal-être vécu par la petite Aubépine.
Quoi qu’il en fût, une fois de plus, elle s’était retrouvée dans le rôle d’un soldat Shoumeien. Et cette fois-ci, peut-être par lassitude où parce qu’elle s’était levée du pied gauche, l’enfant s’était décidée à se dresser face aux titans, voulant emmener les autres civils avec elle, souhaitant prouver que le nombre était plus fort que le pouvoir unique. Et puis, bien que son village avait une certaine fascination pour ces créatures divines vénérées par les habitants de ce dernier, la grande guerre menant à l’établissement des trois grandes nations était encore récente et l’Aubépine souhaitait que pour une fois, les jeux suivent l’Histoire réelle.
Malheureusement, elle n’avait clairement pas l’âme de la meneuse qu’elle possédait aujourd’hui, et ses discours balbutiant, d’une voix presque inaudible alors que ses joues s’empourpraient, n’osant pas regarder son auditoire dans les yeux, ne lui avaient pas valus le moindre allié. Ainsi, lorsqu’elle s’était retrouvée face à bambin qui jouait le rôle de la chuchoteuse, Louise avait récupéré un bâton pour lui asséner un coup sur la tête alors que ce dernier était en plein milieu d’un monologue sur sa suprématie. Le bâton se brisa sur le crâne du malheureux qui resta bête quelques instants, ne s’attendant pas à ce que la plus chétive du village n’ose s’en prendre à lui.
Louise, de son côté, resta aussi bête que ce dernier, lâchant le fragment de bois qui restait entre ses mains alors qu’elle commençait à trembler de tout son être en voyant le filet de sang s’écouler sur le front du petit qui lui faisait face.
Portant une main sur sa douloureuse tête, le garçon remarqua qu’il saignait et rapidement, ses grimaces se mêlèrent à la colère et aux larmes.
—Sale petite peste ! grogna-t-il en s’approchant devant une Louise qui se répandait déjà en excuses, faisant le dos rond et suppliant de la pardonner. Pour qui te prends-tu ? Ça va pas où quoi ?
Il empoigna l’Aubépine par le col et avant que cette dernière n’ait le temps de protéger son visage de ses mains, lui plaça un coup de poing en plein visage, brisant sous l’impact du coup les lunettes de la jeune fille qui tomba en arrière en se tenant le visage, criant de douleur. Sa vision en devenait trouble et elle se plaça quelques instants en boule. Terrifiée à l’idée de reprendre des coups.
Rapidement, le garçon qui venait de la frapper avait été attrapé par des enfants plus grands qui le sermonnaient déjà. Quant à Louise, elle se leva péniblement avant de partir en courant, se tenant le visage sur lequel commençait à se former un beau cocard.
C’était ainsi que la petite s’était retrouvée au sein de son lieu de prédilection. Continuant de pleurer et s’en voulant terriblement d’avoir fait du mal à son compagnon de jeu et d’avoir cassé ses lunettes. Elle se sentait responsable plus que de raison.
Les minutes s’écoulèrent quand elle sentit une présence s’asseoir à côté d’elle. La petite fille chétive n’eut guère besoin de lever la tête pour comprendre qui était cette personne. Elle ne connaissait que trop bien son père pour savoir qu’il s’agissait de lui.
Un homme bon et pieux, dont le nom n’entrerait probablement jamais dans l’histoire, seul prêtre d’une petite église dans un village tout autant petit, perdu dans les vastes étendues de Shoumei. Un homme simple mais avec le cœur sur la main.
Sans un mot, il releva le visage de sa fille pour lui offrir un sourire bienveillant avant de sécher les larmes de cette dernière de sa toge. Puis sortant de son sac un onguent médicinal, le prêtre commença à l’appliquer sur les contours de l'œil de l’enfant.
Louise commença à trembler, tentant de retenir ses larmes sans succès, l’enfant choyé éclata de nouveau en sanglots, posant son visage sur le torse de son paternel.
—J-j-je ne voulais- mes lunettes- le bâton s’est cassé et-et- balbutia-t-elle, sous l’emprise de ses émotions.
—Je sais, répondit l’homme en lui caressant la tête. Nous en rachèterons, voilà tout.
—Mais ! protesta la petite. Papa, je sais que tu t’es beaucoup privé pour-
L’homme la coupa en posant un doigt sur les lèvres de l’enfant. L’incitant à prendre le temps de se calmer.
—Pourquoi tu fais autant pour moi ? demanda alors Louise dont les larmes s’amenuisaient.
—Premièrement, je n’ai pas besoin d’une raison pour venir en aide à autrui, ensuite, tu es ma fille. Je tiens à toi, Louise. Ne t’en fait guère au sujet de tes lunettes, moi aussi dans ma jeunesse il m’est arrivé de mettre dans l’embarras mes parents, c’est normal. C’est ce que font tous les enfants. (Il se mit à rire doucement.) A divers degrés j’entends. Tu es bien plus calme que la plupart des autres enfants. Tu sais, lorsque je t’ai trouvé sous cet arbre, seule et en larmes, comme un appel à l’aide, et que je t’ai adopté. Ce fût probablement le jour le plus heureux de ma vie. Bien que nous ne partagions pas le même sang, tu reste et restera à jamais ma fille.
Ces mots marquèrent à jamais la petite Aubépine qui resta sans voix, les lèvres tremblantes qui formèrent peu à peu un sourire des plus radieux.
—Rentrons, déclara alors son père en la prenant sur ses épaules. Il y a quelque chose que tu aimerais manger en particulier ce soir ?
—Eh bien, hésita l’enfant quelques instants. Est-ce qu’on pourrait… si possible… avoir un peu de veau ?
—Hum… ça doit être dans nos cordes. Tu t'occuperas d’éplucher les légumes, ça te va ?
—Oui !
Et c’est ainsi que le père et sa fille rentrèrent à l’église. Avant de, quelques heures plus tard, déguster un repas qui ne payait pas de mine d’un œil extérieur, mais qui, aux yeux de Louise, surpassait les créations des plus grands chefs du Sekai.
Assise devant son bol, une grosse cuillère en bois à la main, Louise fixait son père.
—Tu sais, si tu as une question, tu ferais mieux de la poser, s’amusa-t-il. Je ne suis pas encore capable de lire dans ton esprit.
—Papa, je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que nous prions les titans ? Dans le livre que je suis en train de lire, c’est bien expliqué que tous les mortels se sont liés pour survivre. Si les titans sont des dieux que nous vénérons, pourquoi cherchent-ils à nous détruire ? Avons-nous fait quelque chose de mal ? Et même maintenant, nous continuons de les prier.
—N’es tu pas un peu jeune pour te poser ce genre de questions ? J’aimerai beaucoup te donner une réponse claire, Louise. Mais il serait bien mal avisé de ma part de me prétendre capable de comprendre les agissements de nos dieux. Mon rôle au sein du village n’est pas de douter, mais de garder la foi.
—Mais moi je veux tellement savoir, rouspéta-t-elle un peu. Pourquoi sont-ils si méchants ?
Le prêtre se mit à rire poliment.
—Les titans sont au-delà de la morale, ils agissent selon un code qui nous dépasse. Peut-être voulaient-ils nous tester ? Nous forcer à nous unir pour voler de nos propres ailes. Peut-être souhaitaient-ils nous punir pour nos pêchés. Peut-être se sont-ils simplement désintéressés de nous et souhaitaient nous remplacer. Je n’ai malheureusement pas de réponse unique à te donner, seulement des pistes de réflexion.
L’enfant cligna des yeux, avant de sourire à son tour.
—Alors je trouverai la raison pour toi ! déclara-t-elle en levant les bras au ciel. Quand je serais devenue une grande érudite, je trouverais la solution à l’énigme de nos dieux ! Ce sera une trouvaille tellement importante, que mes écrits seront publiés partout dans le monde !
—Oh, eh bien il semblerait que nous ayons quelqu’un d’important à table. Une grande érudite reprendrait certainement un peu potage ? (Devant sa fille qui hochait rapidement de la tête, il ajouta : ) Mais Louise. Si jamais nous apprenions que les titans souhaitaient se débarrasser de nous pour de mauvaises raisons, que ferais-tu alors ?
La petite posa un doigt sur sa tempe, l’air pensive. Puis elle releva la tête, irradiant de bonheur.
Alors je prouverai à nos dieux que nous méritons de vivre. Je ne sais pas comment, mais c’est impossible de regarder le Sekai et se dire qu’il devrait disparaître alors je trouverai bien quelque chose !
Son père éclata d’un rire franc avant de lui caresser la tête.
—Je compte sur toi dans ce cas.
Et peu à peu, l’image se brouilla.
Revenant au présent, la démone ne se rendit pas compte des rivières coulant le long de ses joues. Toutes ses promesses avaient été vaines. Elle n’était pas devenue cette érudite dont les écrits seraient publiés à travers le monde et avait disparue, laissant sa famille se faire un sang d’encre. Si seulement elle pouvait y retourner, leur laisser un message, pour leur dire que tout allait bien. Qu’elle se battait désormais pour le futur du Sekai et qu’elle s’était entourée de gens de confiance qui comptaient sur elle autant qu’elle comptait sur eux. Même si elle parvenait à accomplir son rêve, à remplir ses promesses, son père n’était plus là pour la voir.
Qu’aurait-il dit en se rendant compte qu’elle était en réalité une démone et non la petite fille chétive qu’elle pensait être ? Finalement, elle l’avait bien mis dans l’embarras avec cette histoire de lunettes, car elle n’en avait pas réellement besoin. Sans doute inconsciemment, s’était-elle forgée cette carapace de petite fille chétive dans l’espoir de recevoir de l’amour et de la protection de sa famille. Si tel était le cas, alors ce ne serait qu’un clou de plus à ajouter au cercueil de ses remords et regrets.
Se faisant violence, elle s’extirpa de ses pensées avant de se frotter les yeux pour reprendre contenance. Remarquant qu’elle ne se trouvait plus au camp des veilleurs.
—Ou sommes-nous, Comp ? demanda-t-elle avec une grimace.
Remarquant le changement dans le ton et la posture de celui qui de toute évidence l’avait emmené loin du camp, Louise recula d’un pas. Une main sur le pommeau de son épée par précaution. Bien qu’elle puisse se montrer naïve et prête à accorder sa confiance aux plus intrigantes créatures, elle n’était néanmoins pas aveugle quant aux intentions portées par un tel timbre de voix.
Un frisson parcourut ses jambes alors que Comp entama son monologue, le son dérangeant de sa griffe contre la pierre et son avancée menaçante fît reculer de nouveau la chevalière.
Elle savait de quoi était capable ce dernier et était persuadée que seule, elle ne tiendrait pas longtemps face à sa puissante maîtrise de la magie de lumière.
Pourquoi semblait-il avoir vrillé ? Avait-il vu quelque chose qui l’avait fortement déplu dans ses souvenirs ?
Il lui annonça qu’elle était unique, bien que ce ne fût guère un compliment car il explicitait que sa particularité était d’être la plus faible des démons qu’il ait jamais rencontré. Décidément, qu’il était bon d’avoir des alliés sur lesquels s’appuyer.
Quoi qu’il en fût, Louise ne souriait pas. Et alors que Savoir continuait son avancée, elle tomba en arrière, se retrouvant sur son arrière train, à se traîner au sol, reculant comme elle pouvait.
—Comp ? T-tu me fais un peu peur. J-je ne suis pas une ennemie ! Tu as oublié la grotte ?
Une nouvelle voix vint se joindre à la première, redoublant les peurs de la femme en armure.
Les deux voix se concertèrent pour déclarer une théorie qui tenait bien trop la route pour être balayée d’un revers de la main. Ne sachant pas réellement où Savoir souhaitait aller, Louise tenta de trouver quelques justifications.
—L’arbre monde dépasse de loin le domaine du possible, nous ne savons pas avec certitude de quoi il est capable. Naa l’a dit elle même, la magie trouve toujours un chemin. Peut-être que l’arbre n’avait pas épuisé toute son énergie, peut-être que les fanatiques ont fait quelque chose de leur côté, peut-être que… que… Savoir attends ! (Elle tenta de se relever pour rechuter quelques pas plus loin.) Les racines de l’arbre parcourent le monde. On ne sait pas s’il est capable d’absorber de la magie ailleurs. Et…
Elle resta alors sans voix. Ébahie par ce qui profilait dans le ciel. Les nuages s’écartant d’un coup, laissant place à un immense anneau lumineux. Ce dernier était certainement visible de loin et il ne signifiait rien de bon pour l’Aubépine.
Rapidement, un œil immense se plaça dans les cieux. Accumulant une énergie des plus terrifiantes.
Une nouvelle voix s’éveilla, faisant frissonner l’échine de la démone qui semblait tomber en plein mal être.
Elle resta ainsi quelques instants à fixer l’immense œil, se sentant ridiculement petite en comparaison. Il comptait la supprimer ? Mais pourquoi ? Pour prouver son point ?
Le souffle s'accélérant devant sa fin certaine, Louise posa ses mains contre son front. Cherchant une échappatoire. Quelle était sa meilleure solution ? Supplier Savoir ? Non, elle le savait trop intransigeant pour se laisser prendre par les sentiments pour le moment. Prier une quelconque force supérieure ? Elle ne ferait pas la même erreur que les shoumeiens devant l'inéluctabilité de leur fin.
En temps normal, elle s’en serait remise aux veilleurs. Mais de toute évidence, le démon les avait emmené très loin du camp.
Non, elle était seule devant son destin. Et comme toujours, dès qu’elle se retrouvait seule, Louise perdait ses moyens et sentait son courage s’échapper à grandes envolées.
Alors quoi ? pensa-t-elle. Devait-elle réellement se laisser mourir ? Quand bien même elle se retrouvait de nouveau capable d’utiliser la magie, qu’est ce que cela changerait ? Elle ne se voyait pas se protéger du gardien azsharien. Savoir était une créature logique. Alors peut-être que la logique lui permettrait de revoir son choix.
—Savoir ! cria-t-elle en se relevant. Si ton but est bel et bien de pourfendre les titans, ce que tu fais est loin d’être constructif ! Ce n’est pas en exterminant tes alliés que tu parviendras à ton but. Chaque veilleur qui tombe est une victoire de plus pour ceux que tu as juré de combattre. Je ne sais pas ce que tu as vu qui t’a tant déplu, mais parlons-en. Nous pouvons trouver une finalité moins déplorable ! (Le voyant totalement impassible, elle paniqua.) Réfléchis ! Penses-tu qu’une attaque de cette ampleur à quelques mètres seulement te laissera indifférent ? Tu seras touché par le souffle de ton attaque ! Cesse cette folie !
Ne voyant toujours aucune réaction du démon immobile, l’esprit de Louise remua dans tous les sens ses possibilités. Mourir ici signifiait faire faux bond à sa nouvelle famille.
Dactyle, le Déchu, pensa-t-elle en joignant ses mains dans une prière. Je ne ferais pas deux fois la même erreur. Je ne laisserai plus tomber mes proches. Nous nous sommes promis de sauver le Sekai ensemble, c’est ensemble que nous le sauverons.
Comprenant qu’il ne lui restait plus qu’une seule solution, n’ayant aucun espoir en sa propre magie, Louise glissa sa main vers le grimoire de Zeï, pendant à sa ceinture et protégé dans plusieurs lanières de cuir. Elle sortit l’instrument qu’elle n’avait pas encore osé utiliser jusqu’à maintenant. Et, le visage déterminé, l’ouvrit d’un coup. Laissant les inscriptions indéchiffrables et bleutées se déplacer sur le livre comme si ces dernières étaient animées par la vie.
C’était un choix probablement fou, peut-être aurait-il des conséquences néfastes, mais il était hors de question pour elle de disparaître ici et maintenant. Pas avant d’avoir accompli sa mission. Les peuples du Sekai méritaient un monde en paix.
Attrapant une plume de sa sacoche, elle la déposa sur le grimoire.
Fermant les yeux, elle se remémora des sciences arcaniques qu’elle avait pu étudier plus jeune, sans jamais être capable de les reproduire. Puis, sans une once d’hésitation, commença à reproduire avec méthodologie les formules liées à l’art de la magie. Un sourire se dessina sur ses lèvres, se souvenant que plus jeune, elle avait déjà besoin d’un support pour lancer ses sorts les plus faibles. Ce n’était finalement là qu’une sorte de retour aux sources.
Et alors que l’attaque lumineuse terminait de se charger, Louise referma le livre, posant une main dessus pour en extirper une partie de la magie. Une lumière azur scintilla sur la couverture avant de s’en échapper pour concevoir un dôme bleuté lumineux autour d’eux. Elle prit le soin d’inclure Savoir au sein de la protection, ne voulant pas qu’il se blesse par sa propre attaque.
Avait-elle réussi à dompter la magie du livre ? Seul le temps apporterait la réponse. Et à présent, la seule chose qu’elle pouvait faire était de croiser les doigts.
Se tenant debout et serrant le grimoire contre sa poitrine, elle fixait l’étendue lumineuse qui déchargea d’un coup toute sa puissance. D’une énergie dépassant l’entendement, la lumière du démon se heurta à la magie issue du grimoire, faisant trembler le sol de toutes parts. Louise manqua de tomber et se rattrapa in-extremis, son regard braqué sur le dôme. Priant de toute son âme pour sortir vivante de ce chaos. Elle n’avait guère le temps de se préoccuper de ce qui viendrait après, peut-être parviendrait-elle à raisonner le démon, peut-être se battrait-elle pour sa survie ? Ou tout simplement prendrait-elle ses jambes à son cou ?
Pour l’heure peu importait, car sous la pression de la lumière, le dôme commençait à se craqueler.
—Non ! hurla la femme aux cheveux de paille. Allez ! Tiens encore un peu !
Elle serra davantage le grimoire dans ses bras alors que son visage se décomposa devant le dôme qui se fissura davantage à chaque nouvelle seconde.
Et enfin, l’heure de vérité sonna.
Le dôme vola en éclat, trop faible face à la puissance du démon azsharien.
Louise fermit les yeux, se protégeant de ses mains dans un cri du cœur. Comprenant que tout était fini.
Et rien.
Le sol tremblait à un point tel qu’il était possible de méprendre les lieux avec un volcan en activation.
Relevant le regard, la démone comprit que l’entité aux multiples rétines avait dévié son attaque au dernier moment, les épargnant ainsi. Causant un chaos sans précédent autour du duo.
Sans voix, Louise resta figée une bonne minute, le temps que les rayons cessent. Puis, se tourna rapidement vers Savoir. Elle commença à le frapper de ses faibles poings sans que ce dernier ne semble ressentir le moindre impact.
—Pourquoi ? Pourquoi ?! hurla-t-elle, les yeux perdus dans un océan de larmes. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Je passe mon temps à faire mon possible, à tenter d’aider comme je peux… mais ce n’est jamais assez. Il n’y a pas un seul matin sans que je ne me lève et que je repense à l’Eden que j’ai quitté pour me retrouver dans cet enfer ! J’ai l’impression, de ne pas avoir ma place ici. De ne pas être à la hauteur. Je veux bien faire mais… (Elle posa son front contre le démon avant de se laisser glisser à genoux sur le sol, à bout de forces.)
—Ce n’est pas parce que je suis faible que je ne peux pas faire de mon mieux. D’aider comme je peux… je… je ne veux pas être un poids. Mais la réalité, c’est que je suis très loin d’égaler le professionnalisme de Dactyle, le code de la chevalerie du Déchu ou encore ta puissance brute. Je… je suis juste là. A tenter de faire en sorte que l’espoir dans le cœur de mes amis ne s’étouffe pas. Mais ce n’est pas assez. Sekai est devenu plus terrifiant que jamais, je ne sais pas si j’aurai les épaules pour assumer le rôle qui m’incombe. Le rôle que j’ai choisi. J’ai constamment l’impression d’être en retard, de ne pas réussir, de me vautrer en beauté. Je voulais simplement… une famille. Des gens sur qui compter. Mais tu as raison, je suis faible. Une ratée. Pourtant, telle une sangsue, je m’accroche comme je peux. Je refuse de mourir ici. Pas encore, pas comme ça. Alors dis moi, Savoir, que cherches-tu à faire exactement ? Tu l’as vu par toi même… je suis incapable de te faire face. Dans la grotte déjà, je… je vous ai tous regardé mettre vos vies en danger alors que je m’occupais des racines les moins dangereuses. Il faut croire que c’est une habitude chez moi, de décevoir les gens. Je… suis désolée. De ne pas être à la hauteur. Pardonne moi.
Elle plongea ses yeux d’un bleu aussi léger que le ciel sur l'œil actuellement ouvert du démon.
CENDRES
Arme des Veilleurs
Savoir
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La trio d’yeux bleus de Louise et Éva se regardent, l’une embuée de larmes chaudes et d’une sincère pureté, l’autre totalement impassible tandis que les filaments de lumière qui l’entouraient se rétracte jusqu’à ne redevenir qu’une constellation de paillettes dans son iris. Savoir regarde la jeune femme à genoux devant lui qui paraît brisée, pourtant dans son discours d’apparent découragement il y a quelque chose qui accroche la curiosité du Démon de la Connaissance, une singularité qu’il a déjà remarqué à maintes reprises, et qui est normalement l’appanage des mortels uniquement. Comme à son habitude, la douce voix quasi-maternelle d’Éva ne correspond en rien avec la dure brutalité de son propos:
”Tu as raison. Tu n’es pas à la hauteur, et tu es une ratée.” Le Démon plie ses genoux déformés et abaisse l’oeil sur son filament pour arriver à hauteur de sa soeur qui sanglote de plus belle. ”Et pourtant tu dis refuser de mourir ici, refuser d’abandonner, que tu continues en dépit de toute logique à t’accrocher alors que tout t’indiquerai de lâcher prise et de te laisser mourir.” Cette démonstration de résistance désespérée tantôt élimine d'ailleurs définitivement pour Savoir l'option que Louise ne soit en réalité Tromperie ou une des assimilées. Une des serres protubérantes de son bras droit vient soulever le menton de Louise pour s’assurer d’avoir son attention. ”Louise, je suis le Démon de la Connaissance, sais-tu ce qu’est l’apprentissage? C’est le fait d’échouer, encore et encore, jusqu’à réussir. Sans échec il n’y a pas d’amélioration, il n’y a ni observation, ni opportunité d’émettre d’hypothèse, ni tentative de validation de celles-ci. Échouer, c’est apprendre. C’est simple.” Sa poigne se resserre très légèrement sur les mâchoires de la jeune femme. ”Crois-tu que Dactyle soit née avec cette application que tu loues? Crois-tu que les talents de commandement de Déchu lui aient été innées? S’ils en sont arrivés là c’est parce qu’ils se sont persuadés de subir un cycle infini d’échec, encore, et encore, et encore. C’est parce qu’ils ont passé des années entières de leur vie à enchaîner les bavures et les erreurs qu’ils ont réussi à atteindre le niveau dont ils jouissent aujourd’hui. Alors oui, tu n’es pas à la hauteur, et tu es une ratée, mais il y a quelque chose que tu n’es pas, c’est une déserteuse.”
La Juge relâche soudainement le visage de la Démon et se redresse à nouveau, qu’importe l’état de Louise, qu’importe sa faiblesse, qu’importe ses pleurs, plus elle surmontera d’épreuves et plus elle apprendra. Savoir tend son bras elfique vers la jeune femme pour l’aider à se relever, mais alors qu’elle se hisse sur ses pieds, il continue de la tirer vers lui pour la déséquilibrer et la repousse en arrière, et dans le même mouvement surgit de la prolifération organique qui orne son torse une épée en lévitation. Les particules de l’iris d’Éva recommencent à s’accroître alors qu’elle manipule sa mana autour de l’Épée du Jugement, et avec l’arme flottante à sa gauche, le Démon brandit son bras droit devant lui, montrant à Louise le Grimoire de Zeï encastré comme un joyau dans les multiples griffes du membre amorphe, qu’il a chapardé à sa soeur lorsqu’il l’a jetée en arrière. La lanière de cuir coupée nette par la lame télékinétique.
”Pas de triche. Maintenant regardons ce que tu sais faire avec une arme.” Ouvrant sa main gauche, Savoir appelle l’Épée du Jugement à venir se nicher dans le creux de la paume, il serait ainsi plus facile pour son élève de lire ses mouvements dans un membre encore humanoïde. ”Je ne vais pas t’épargner Louise. Si tu ne te bats pas, alors tu n’es d’aucun soutien aux Mortels dans leur affrontement contre les Titans, tu seras donc plus utile morte.”
Savoir fait un pas de plus vers la Démon, la formidable attaque orbitale qu’il avait laissé déferler autour d’eux tantôt a carbonisé le sol environnant, dessinant sur la Grande Place un cercle sécurisé bordé par une roche extrêmement chaude. Difficile d’en discerner la délimitation qui n’était trahie que par la déformation de l’air dansant dû à la chaleur, mais les deux combattants se retrouvaient donc pris au piège de cette sorte d’arène improvisée. S’ils venaient cependant à approcher de la limite de cette arène, rien que l’intense température des pavés refroidissants suffirait à servir d’avertissement.
”Tu n’as pas la moindre idée de ce que nous sommes, n’est-ce pas? L’âme d’un mortel est capable de générer de puissantes émotions, certaines d’entre elles sont parfois si intenses qu’elle créent des échos de cette émotion, elles laissent des résidus sur le plan immatériel du cosmos, comme des fragments d’un instant figé de la psyché de cet individu. Un fragment d’âme. Ils sont partout, parfois il arrive qu’ils s’accumulent, attirés les uns aux autres par leurs résonnances de nature similaires, et ces amas de matériel intangible d’âme peuvent atteindre une taille telle qu’une nouvelle conscience s’éveille. Nous.”
Savoir fond sur Louise, et malgré son aptitude à la magie il s’avère surprenamment efficient à la lame. L’assimilation luminescente de tout les guerriers et aventuriers un peu trop curieux qui avaient tenté de violer l’intégrité du Compendium au fil des millénaires a permis à Savoir d’acquérir une certaine compétence à l’escrime, un savoir-faire tempéré par le manque de mémoire musculaire du Démon qui, lorsqu’il se bat de la sorte avec la lame à la main, est bien moins dangereux qu’en la manipulant par télékinésie, là où son esprit peut pleinement profiter des techniques volées à ses victimes. Le métal s’entrechoque et les lames pivotent, Savoir utilise l’ouverture provoquée par l’écart des deux armes pour frapper Louise au visage de son bras droit, ses serres la poursuivent autour de sa gorge et il la soulève douloureusement pour la rejeter au centre de l’arène. Envoyant son glaive la suivre par télékinésie en le plantant symboliquement dans le sol juste devant elle, Savoir pointe sa propre arme vers sa soeur en s’approchant.
”Si nous sommes par essence aussi fort, c’est parce que le phénomène qui nous engendre est lui-même impétueux, comprends-tu alors l’anomalie de ta faiblesse?” Il repasse à l’attaque mais l’échange est à peine plus long que le précédent, deux frappes parées précèdent une troisième du plat de la lame sur la main droite de la Veilleur, son épée vole et se plante un peu plus loin dans la jonction abîmée entre deux pavés. ”Tu n’utilises pas ton corps quand tu te bats, seulement ton arme. De la même manière que tu n’utilises pas ton corps quand tu manipules ta magie et seulement ta mana, quand ce ne sont pas des artifices…” Éva agite le Grimoire devant son oeil. ”... pour palier à ton manque de force. Qu’est-ce que tu crois faire? Penses-tu vraiment être capable de protéger qui que ce soit ainsi quand tu n’arrives même pas à te protéger toi?” La pointe de Jugement vient se poser délicatement contre la peau de pêche de la Démon, juste sous sa gorge, dans une pression palpable qui menace de la saigner à tout moment le métal continue de s’avancer tout doucement, forçant Louise à reculer pour éviter de se faire empalée. Bientôt la chaleur insupportable des rémanences de l’attaque céleste devient insupportable, même Savoir, pourtant dépourvu de capteur thermiques, ressent l’assèchement de ses organes oculaires alors que son organisme peine à les hydrater. Le glaive s’est enfoncé tout juste en dehors de l’arène, le métal doit certainement être brûlant par induction, ce n’est qu’une fois sa soeur arrivée au bord de l’arène que le gardien d’Azshary cesse de progresser. ”Ramasse ton arme, et bat toi. Ou abandonne, et meurs.”
Citoyen du monde
Louise Aubépine
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Démoniaques philosophies
Une ratée.
Les mots tranchants de l’entité démoniaque tombèrent tel un couperet. Sentant les muscles de sa nuque faillir, la chevalière désemparée laissa retomber son regard sur le sol sans vie du jardin.
Et pourtant, Savoir ne mentait pas. Un paradoxe, défiant toute logique, elle s’accrochait à la vie dans l’espoir de vivre des lendemains heureux. Dans l’espoir de tenir ses promesses. Un rêve ambitieux et démesuré pour celle qui peinait à tenir sur ses deux jambes.
L’entité lui attrapa la mâchoire pour lui relever la tête, l’obligeant à fixer le gigantesque œil qui lui donnait le sentiment d’être transpercée par son seul regard. Légèrement terrifiée, elle tenta d’en détourner le regard, mais le démon de la connaissance tenait bon, lui interdisant cette fuite.
S’attendant à recevoir de nouveaux reproches et vérités aussi tranchantes que l’acier, le démon fit chanter des mots qui sonnèrent tellement justes aux oreilles de la femme qu’elle ne put faire autrement que lui offrir toute son attention.
Les victoires avaient ce goût si particulier d’allégresse pour pallier tous les échecs qui avaient mené à la réalisation de ces miracles. Elle n’était pas de ces héros légendaires qui réussissaient du premier coup tout ce qu’ils entreprenaient. Depuis le début de son existence, l’Aubépine s’était heurté à de nombreux inconforts et échecs. Alors pourquoi diable aujourd’hui se sentaient-elles si démunies ? Plus jeune, elle avait passé des nuits blanches à étudier la magie pour ne serait-ce que produire quelques particules de lumière entre ses mains. Ca lui avait pris un temps fou, pourtant, à aucun moment elle ne s’était résigner à accepter l’impossibilité de la tâche. Alors qu’est-ce qui avait changé aujourd’hui ?
Bien des choses en réalité. Le monde n’avait plus rien à voir avec le paradis dans lequel elle s’épanouissait. Elle avait besoin d’amis et de proches de confiance ce qui restait un sujet épineux à cette époque. La confiance s’offrait au compte goutte et les amitiés sincères étaient bien trop rares.
Quoi qu’il en fût, une certaine flamme se réveilla dans son regard. Savoir, aussi dûr qu’il puisse être, était dans le vrai. Peu importe les échecs, la réussite finirait par se présenter à force de suffisamment d’efforts. Puisse-t-elle s’effondrer cent fois, elle se relèverait autant de fois. L’abandon était le véritable échec car il privait de manière totale la moindre réussite.
—Le véritable échec, commença-t-elle une fois de nouveau en possession de sa mâchoire. C’est de baisser les bras. On peut toujours apprendre, même dans la défaite. Je dirai même plus, on peut toujours progresser, et ça vaut aussi pour Dactyle, le Déchu ou toi. Vous êtes formidables, mais vous l’êtes parce que vous n’avez jamais baissé les bras. Pas une seule fois. Comme quoi, il est toujours bon d’en revenir aux bases. C’est une leçon que j’avais apprise il y a bien longtemps, pourtant, cette vérité s’était soustraite à mon regard. La vérité, c’est que je perds encore pied concernant notre époque. Je ne suis pas encore forgée dans le même matériau que vous tous, ayant eu la chance de vivre dans un monde totalement en paix. Mais ça viendra, je ne vous ferai pas faux bond. Moi aussi je me tiendrais fièrement à vos côtés. Dans l’échec comme dans la victoire. Merci Savoir.
Elle lui offrit un sourire radieux alors que ce dernier l’aidait à se relever. Mais bien vite, ce sourire si innocent se changea en grimace d’amertume.
Se faisant finalement repousser, Louise trébucha quelques pas plus loin, se retrouvant sur son arrière-train. Elle cligna des yeux plusieurs fois, ne comprenant pas la raison de ce brusque changement après l’avoir aidé à se remettre sur pieds. Et après quelques secondes, tandis qu’il dévoilait la preuve de son odieux méfait, le regard de la démone aux traits humains se durcit. Jetant un rapide coup d'œil aux lanières déchirées, comprenant qu’elle ne venait pas d’halluciner mais bien de se faire dérober son bien le plus précieux, seule preuve de son voyage à travers le temps, elle se redressa lentement.
—Rends le moi, Savoir, déclara-t-elle en tendant la main. N’invitant guère à discuter sa demande. Ce grimoire m’est important.
Intérieurement, et commençant à connaître l’entité azsharienne, elle était terrifiée à l’idée qu’il se rende compte que le grimoire respirait la magie titanide et qu’il décide de l’effacer de la surface du Sekai. Elle ne pouvait pas se permettre qu’une telle chose arrive. Elle ne savait comment l’expliquer, mais elle ressentait au plus profond d’elle que cette relique de Zei serait une pièce maîtresse de son entreprise visant à protéger le Sekai. De plus, griffonnés dans le livre reposaient des souvenirs précieux de sa vie avant d’être envoyée en cette triste époque.
Devant le refus ostentatoire de Savoir sur la question, l’Aubépine tira lentement son épée, récupérant également le bouclier siégeant dans son dos.
—Nous ne sommes pas obligés d’en arriver là, Savoir, dit-elle en se faisant violence pour cacher les tremblements dans sa voix, terrifiée à l’idée de se battre pour sa survie et récupérer son bien. Les épées ne sont pas des jouets. Un mauvais coup est si vite arrivé.
Grimaçant un peu plus devant le refus de ce dernier, Louise se laissa aller à ses émotions. Criant de colère.
—Je sais comment nous naissons ! Ce n’est pas le moment pour un cours d’histoire ! Ma nature ne change rien à qui je suis, ni aux promesses et amitiés que j’ai forgées avec le temps ! Les mortels sont loin d’être de faibles créatures comme tu semble te plaire à y penser. C’est avec fierté que je partage leurs vies ! Je ne leur suis pas supérieure, c’est ensemble que nous avançons. C’est ensemble que nous chutons et c’est ensemble que nous nous élèverons !
Tout un tas d’émotions tournaient au sein de son esprit formant une véritable tempête. Complètement à bout suite à l'enchaînement d'évènements mettant sa psychée dans tous ses états, elle était prête à faire entrer un peu de bon sens dans la tête de Savoir. A grand renforts de coups s’il le fallait.
Paradoxalement, c’était pourtant elle qui était menée par les caprices de ses sentiments illogiques.
Le démon s’avança à grandes enjambées, levant sa lame pour l’abattre avec une force qui déstabilisa la colérique. Se protégeant derrière son bouclier, elle peina à repousser le coup, se contentant de le dévier un peu. Et sous la puissance de l’impact, manqua de peu de trébucher en arrière. Les mains écartées sous le choc, son adversaire ne manqua pas cette opportunité et lui brisa le nez d’un revers du bras dans un craquement douloureux avant de la soulever à même le sol, commençant à lui couper le souffle.
Gémissant de douleur, l’Aubépine tenta de frapper le bras de ce dernier du pommeau de son arme mais le démon, inflexible, resta de marbre face aux attaques et la jeta finalement derrière lui, au centre de l’arène. Louise roula sur le sol sur plusieurs mètres, le souffle entièrement coupé. Le corps endoloris, le regard trouble, elle releva difficilement la tête voyant l’épée se planter juste devant elle alors que le sol sous ses mains se teintait progressivement du sang de la chevalière.
Elle laissa échapper un juron, chose extrêmement rare pour la fille bien élevée qu’elle était avant de frapper le sol de frustration de son poing. Ce n’était pas terminé. Et elle ne répondrait plus de rien à présent. Elle avait été insultée, effrayée, éloignée des siens, menacée et à présent molestée. Même la plus calme des diplomates avait ses limites. Elle cracha un filet de sang sur le sol, maquillant ses gants de métal d’un rouge carmin avant de s’aider de son épée pour se relever. Ses genoux fléchirent sous le poids de son propre corps et dans un râle de douleur, la démone se releva pour lancer un regard de défi à l’Azsharien.
Le visage ensanglanté, elle serra fermement ses instruments de guerre. Cette fois-ci, ce fût elle qui passa à l’offensive, envoyant une coupe circulaire devant elle. Son opposant ne sembla pas s’en soucier et repoussa son attaque d’un revers de sa propre lame. Profitant de sa seconde main, Louise tenta de lui placer un coup de bouclier mais une fois encore, trop rapide pour elle, le géant bloqua la protection de cette dernière, profitant de son avantage de portée et de force sur la chevalière. Criant pour ajouter de la force dans son coup, Louise plaça une attaque perçante qui fût repoussée par une frappe ascendante de Savoir, emportant avec le plat de la lame, le bras de la cheffe des veilleurs qui lâcha son arme, la laissant s’envoler derrière elle pour se planter à nouveau dans la terre, cette fois ci presque incandescente.
S’avançant d’un pas menaçant, Savoir força Louise à reculer progressivement pour ne pas laisser sa lame lui transpercer la gorge.
—Peut-être que les émotions qui m’ont conçues n’étaient pas à la hauteur de la suprématie que tu attribues à notre race. Peut-être que je n’ai pas besoin d’autant de puissance arcanique que toi tant que j’ai des alliés avec moi. Les veilleurs sont mon espoir pour le Sekai. Et quitte à choisir entre être faible et bien entourée ou être surpuissante comme toi mais incapable de ressentir la moindre émotion pour autrui si ce n’est une curiosité maladive, alors je choisis la faiblesse ! Je ne me bats pas seulement dans un objectif de grandeur ou de promesses à remplir. Ce monde qui est le mien, je veux y vivre en compagnie des veilleurs, en paix. Je veux pouvoir retrouver ce quotidien léger qui était le mien ! Je veux leur offrir ce monde dont je rêve tant ! (Et rebondissant sur les derniers mots de l’entité Azsharienne, Louise lui lança un regard rempli de défi.) Je les protégerai, ne t’avise pas de penser ne serait-ce qu’une seule seconde, à leur faire du mal. Entends bien mes mots, Savoir. S’il leur arrivait malheur par ta faute, je ne te le pardonnerai pas.
Sentant son cœur battre à tout rompre, Louise peinait à garder un souffle méthodique alors que le lion dans sa poitrine ne demandait qu’à surgir. Elle se battrait. Pour sa vie. Pour les veilleurs. Pour le Sekai.
Elle se força à reculer dans la zone aux températures invivables. Commençant à se dessécher alors que la chaleur lui brûlait la peau. La chevalière posa ses deux mains sur la poignée de son arme pour l’extirper du sol. La lame était encore fumante.
La menace dissimulée du démon de la connaissance était de trop. Elle était allée trop loin pour laisser qui que ce soit briser son rêve et celui de ses proches.
Un goût métallique dans la bouche, elle cracha de nouveau au sol pour s’en débarrasser avant de passer sa manche sur son visage, essuyant le sang accumulé.
—Lorsque je suis arrivée à cette époque. Lorsque j’ai pris pour la première fois cette lame sur le corps d’un malheureux inconnu, je me suis juré. Juré de faire ce qui devait être fait pour venir en aide au Sekai. Et si pour ça, je dois ôter une vie, celle d’un ancien allié, alors je le ferai. Même si je serais incapable de me fixer dans une glace après ça, même si je ne trouverai plus de félicité au sein de mes rêves une fois endormie, même si je deviens un monstre, alors je ferais le nécéssaire. (Elle manqua d’ajouter : “Si telle est la seule solution.”, encore trop remontée par les événements et terrifiée par les mots de Savoir.) Je vais me battre Savoir. De toute mon âme, de toutes mes forces. Je ne laisserai pas une créature qui ne comprend rien à la force d’un coeur mortel, prendre ma vie.
Elle commença à trottiner, puis rapidement se mettre à courir à pleine vitesse en direction du démon. Bouclier en avant, elle lui sauta dessus pour le repousser mais ce dernier resta planté tel un chêne. Voyant l’arme du démon arriver pour la punir, Louise glissa sur ses genoux, évitant de justesse le coup.
Savoir n’eut aucun mal à la repousser de nouveau et elle roula comme à son habitude sur le sol.
Cette fois-ci, elle se releva immédiatement pour partir de nouveau à l’assaut. Elle leva son arme et un flash du passé lui vint en mémoire. Elle revoyait Dactyle s’entrainer au camp sur un mannequin de bois. Quelques réfugiés tentaient de répliquer les coups de l’ancienne limière sans parvenir à égaler ses prouesses. Et pourtant, bien qu’un fossé se creusait entre elle et eux, ces derniers redoublaient toujours un peu plus d’efforts. Certains plaisantant même sur le fait qu’un jour, ils parviendraient à la surclasser. La démone avait passé de nombreuses heures à les fixer essayé sans réussir, le sourire aux lèvres. La séance s’était conclue par une promesse de faire encore mieux la prochaine fois.
Revoyant l’enchaînement de Dactyle dans son esprit, Louise glissa sur le sol, pied gauche en avant. Se cachant derrière son bouclier pour se donner l’effet de surprise avant de se propulser en lançant une tranche ascendante, tentant d’atteindre l’Oeil ostensible qui de toute évidence, à ses yeux, semblait la narguer depuis bien trop longtemps.
Le démon rabattit sa force et d’un coup bien placé dans l’abdomen de la chevalière, lui coupa de nouveau le souffle pour l’envoyer dans les airs avant de la cueillir à la retombée. Réagissant rapidement, elle se protégea de son bouclier pour éviter une attaque mortelle et se retrouva de nouveau au sol quelques mètres plus loin.
Louise frappa de nouveau le sol de frustration en se relevant, sentant ses organes internes souffrant le martyr et manquant de recracher ce qu’elle avait ingéré la veille. Les jambes tremblantes, elle leva de nouveau sa lame vers son opposant.
—C-ce n’est pas fini, balbutia-t-elle, peinant à garder une pensée cohérente. Je n’abandonnerai pas… quoi qu’il arrive.
Leur niveau à l’art de l’escrime était séparé par un véritable canyon. Objectivement, Louise n’avait pas l’once d’une chance face au démon Azsharien et pourtant, elle continuait de se relever, crachant un peu plus ses poumons à chaque coup que lui portait son opposant. Beaucoup se seraient rendu compte de l’inévitable et auraient fini par baisser les armes, acceptant leur funeste sort. Pourtant, Louise, obnubilée par une émotion qui défiait toute logique, continuait de garder un espoir sincère dans sa réussite. Pour le bien des veilleurs.
Les paroles d’Hector lui revinrent en mémoire.
Si elle devait être un phare dans l’obscurité, guidant les âmes égarées en manque d’espoir, alors elle devait se montrer inflexible. Si elle arrêtait d’espérer, qui le ferait ?
Après de nouveaux enchaînements de coups avec tout autant de ratés de la part de l’Aubépine, cette dernière se releva une ultime fois. L’armure teintée de son propre sang suites aux attaques répétées de Savoir, dont plusieurs avaient fait mouches, la démone pointa de nouveau son ennemi de sa lame.
—Tant que le feu brûlant de l’espoir placé en moi par ceux qui me suivent brûlera, je n’abandonnerai pas. Ni ici, ni jamais.
Elle chargea de nouveau, son cœur battant au rythme effréné de sa course. L’image des veilleurs lui parvint en tête et le rêve qu’elle avait de pouvoir partager avec eux des quotidiens paisibles.
Alimentée par cette puissante émotion, la démone entama par une coupe circulaire que le démon bloqua sans grande difficulté. Ne lui laissant pas le temps de répliquer, elle enchaîna avec un coup de pied pour s’éloigner et éviter le contre de ce dernier pour mieux revenir vers lui. Frappant sa main directrice de son bouclier. Elle leva sa lame d’une main assurée et l’espace d’un instant, elle sentit comme une sorte de “déjà-vu”. Comme mue par une force intérieure insoupçonnée, alimentée par ses rêves et espoirs, elle se sentait capable de soulever des montagnes. Sa fatigue s’amenuisant, cette curieuse impression semblait lui crier comment se battre. Telle une vieille mémoire musculaire venant d’un autre temps.
Elle visa le flanc à découvert de son opposant et rassemblant ses forces, frappa de son épée.
Un bruit sourd se fit entendre. Savoir se trouvait toujours debout, sans la moindre blessure. Au dernier moment, Louise avait tourné son épée pour frapper du plat de la lame. Incapable de blesser celui en qui elle espérait toujours voir un jour, un ami.
Ses forces du moment se dissipèrent et le démon lui plaça un violent coup. L’envoyant sur le dos en arrière. Elle y resta quelques secondes, totalement sonnée.
Il s’était retenu d’utiliser tout son arsenal et elle n’était même pas certaine que cette dernière attaque ne lui fasse autant de dégâts que ça. Quoi qu’il en fût, elle était maintenant au sol. Grimaçant de douleur, elle sentait qu’elle ne pourrait pas continuer bien longtemps. Son corps mortel ne suivait tout simplement pas ses folles envies. Elle n’était pas suffisamment entraînée pour faire face au gardien Azsharien.
Et pourtant, une fois de plus, elle se retrouvait sur ses deux jambes. S’aidant de son épée pour ne pas chuter. A bout, elle pointa Savoir de son bouclier.
—Attends un peu… j-je… je reprends juste mon souffle…
Elle posa alors son front sur le pommeau de son arme avant de relever la tête pour commencer à se traîner vers le démon. Ce dernier envoya sa lame télékinétique et Louise se prépara à la réceptionner.
Cette dernière brisa l’épée de l’Aubépine en éclat avant de la planter au niveau de l’épaule gauche.
Dans un cri d’agoni, Louise s’écroula en arrière. Son sang se dispersant autour d’elle.
Fixant les cieux, elle tenta de se relever mécaniquement, mais rien n’y faisait. Son corps refusait de suivre son esprit.
Est-ce la fin ? pensa-t-elle ?
Ses yeux s’embuant de nouvelles larmes, elle susurra.
—Veilleurs. J’ai failli…
Les bras écartés, elle resta silencieuse quelques instants avant d’ajouter.
—Dactyle, je compte sur toi en mon absence. Si je dois disparaître, mène les vers des lendemains radieux. Je sais que c’est un peu égoïste de ma part… J'espère que tu ne m’en voudras pas trop.
CENDRES