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Citoyen du Reike
Tulkas
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crédits : -259
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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B
Quelque chose ne tournait pas rond, et ça, Tulkas en était persuadé. Le monde est supposé être stable sous ses pieds, surtout dans une ville au climat et à la géographie aussi clémente que Kyouji. Pourtant, la pierre était comme le sable sous les sabatons de son armure, l’air glacial de la nuit lui faisait l’impression d’une fournaise et la lueur de la lune elle-même n’avais rien à envier à la colère du Soleil. Il étouffait, comme s’il portait son armure noire dans le désert, il tremblait, comme s’il était nu dans la cour de Coeurébène.
Le monde se penche, il titube et percute une surface rêche de son épaule. Le tissu de ses vêtements de ville se froissent, le chèche qu’il porte autour du cou se défait, se délie et tombe en écharpe froissée sur ses épaules. Soie teinte de sable et de sang, décorée des armes régimentaires. Alors qu’il tente de se redresser, la porte cède soudainement et dans un grand branlement, il chute sur un corps chaud, velu et à en juger par la poigne qui tire sur ses cheveux, puissants.
- Frhzhr !
Il n’arrive pas à comprendre ce que la voix hurle, mais le fait qu’il se retrouve soudainement sur ses deux pattes, la vue obstruée par une cascade de cheveux noirs huileux et bouclés lui fait se dire qu’il est debout. Puis, la terre s’emballe à nouveau, devant ses yeux, les formes vaporeuses se muent en caléidoscopes étranges.
Puis il fait froid à nouveau, la joue reposée contre quelque chose de dur, d’humide et de froid. Puis, il fait noir.
C’est un impact dans les côtes qui le réveille, difficilement, encore une voix qui dis quelque chose, des images troubles faites de diverses tâches de couleurs qui défilent devant ses yeux.
Il s’entends répondre quelque chose, un « Laissez-moi » veut sortir, mais ce ne sont que des onomatopées sans réelles structures qui s’échappent de sa bouche. Il bave un peu, s’essuie la bouche du dos de la main et se redresse. L’air est plus respirable, moins lourd, plus doux. Ses doigts lui picotent un peu et ses jambes sont lourdes mais dans l’ensemble, le Luteni récupère. Il secoue la tête, se presse le front de la paume de la main droite et se pince les yeux.
Soif, il a tellement soif.
C’est ainsi qu’il défile dans les rues de la somptueuse Kyouji, centre névralgique du commerce entre l’Empire et les cités de la république. Terre qui lui est toujours aussi étrangère, si éloignée du style architectural presque brutaliste du Joyaux du Désert, tellement plus somptueuse et ornementée qu’elle pourrait faire presque pâlir de jalousie les bâtiments de la capitale impériale elle-même, enfin, excepté le somptueux palais de l’Empereur et de l’Impératrice.
En tant qu’officier des Serres, il pouvait avoir accès à presque tous les établissements de haut-vol de la ville et pourtant, c’était naturellement vers les bas-quartiers qu’il s’était dirigé après avoir mené à bon port la patrouille dont il avait pris le commandement.
Quelque chose l’avait dérangé, quand il s’était rendu dans les quartiers les plus riches, mais quoi ? Il ne saurait le dire pour être franc, quelque chose clochait chez lui, et le pire, c’est qu’il ne savait pas quoi. Il refermait la main autour d’une timbale de terre cuite, fronçant les sourcils et la levant devant ses yeux pour jauger la qualité du récipient, il se demandait.
Ça et des dizaines d’autres questions qui peinaient à prendre forme dans le brouillard de l’alcool et dans les vapeurs de magi qu’il fumait d’une longue pipe en bois. Levant le verre à son nez, il l’en écarta presque aussi tôt. Une liqueur, forte, presque une eau-de-vie dont il était bien incapable d’identifier l’origine. Mais une fois ses cavités nasales purgées par les vapeurs d’alcool, elle lui semblait presque buvable, voir même, gouteuse.
Mais avant de satisfaire l’énorme précipice dans lequel se déversait son œsophage, Tulkas redéposa la timbale doucement sur le comptoir. Glissa sa main dans le col de son manteau et en extirpa un collier sailli d’une dent, qu’il trempa silencieusement dans l’alcool avant de la recacher sous les plis de ce tissu de laine épais qui le protégeais du froid nocturne des terres du Sud. Avant de trinquer seul, avec ses fantômes.
Encore, puis encore, jusqu’à finalement se retrouver avec une bouteille de terre cuite à moitié vide dans la main, à faire le tour de cette auberge dont il ignorait le nom.
Les longues tables, couvertes de plats aussi simples que savoureux, auxquelles étaient attablés des gens de tout les peuples et de toutes les provenances qui riaient et qui discutaient des dernières nouvelles, des dernières rumeurs, des derniers faits d’armes d’un champion quelconque ou d’une bataille navale qui avait secoué la république. En vérité, tout cela lui importait peu. Ce qui attira son regard et captiva ses oreilles, cependant, était le chant d’une barde. Une jeune femme, vêtue d’un pourpoint trop grand pour elle, avec des mains graciles a la pulpe écharpée par les cordes de la cithare qu’elle tenait avec autant de délicatesse que s’il s’agissait de la taille d’une belle ingénue. Ses cheveux, faits de filins d’ors, étaient réunis en un chignon. Sa tête, elle, ceinte d’un chapeau à larges bord sous lequel elle portait un simple bandeau rouge.
Sa voix perçait le brouillard trouble de ses sens endormis par l’alcool. Et comme une sirène, captait l’attention de l’officier qui décidé de s’appuyer, tel un chaland captivé par une sirène, sur une poutre de la salle principale. Un sourire fin au visage, les yeux pétillants et brillants par l’alcool, sa timbale à la main.
Mais les soirées arrosées finissent rarement bien, tellement obnubilé qu’il était, il ne s’était pas rendu compte d’une tension dans la taverne. Une insulte mal placée, une remarque désobligeante, une main baladeuse… Qu’importe la raison pour laquelle tout avais commencé, mais le coup de poing dans la mâchoire qu’il venait de se prendre venait de sonner le glas des réjouissances.
Rien de tel qu’une bonne bagarre dans une taverne.
Le monde se penche, il titube et percute une surface rêche de son épaule. Le tissu de ses vêtements de ville se froissent, le chèche qu’il porte autour du cou se défait, se délie et tombe en écharpe froissée sur ses épaules. Soie teinte de sable et de sang, décorée des armes régimentaires. Alors qu’il tente de se redresser, la porte cède soudainement et dans un grand branlement, il chute sur un corps chaud, velu et à en juger par la poigne qui tire sur ses cheveux, puissants.
- Frhzhr !
Il n’arrive pas à comprendre ce que la voix hurle, mais le fait qu’il se retrouve soudainement sur ses deux pattes, la vue obstruée par une cascade de cheveux noirs huileux et bouclés lui fait se dire qu’il est debout. Puis, la terre s’emballe à nouveau, devant ses yeux, les formes vaporeuses se muent en caléidoscopes étranges.
Puis il fait froid à nouveau, la joue reposée contre quelque chose de dur, d’humide et de froid. Puis, il fait noir.
C’est un impact dans les côtes qui le réveille, difficilement, encore une voix qui dis quelque chose, des images troubles faites de diverses tâches de couleurs qui défilent devant ses yeux.
Il s’entends répondre quelque chose, un « Laissez-moi » veut sortir, mais ce ne sont que des onomatopées sans réelles structures qui s’échappent de sa bouche. Il bave un peu, s’essuie la bouche du dos de la main et se redresse. L’air est plus respirable, moins lourd, plus doux. Ses doigts lui picotent un peu et ses jambes sont lourdes mais dans l’ensemble, le Luteni récupère. Il secoue la tête, se presse le front de la paume de la main droite et se pince les yeux.
Soif, il a tellement soif.
C’est ainsi qu’il défile dans les rues de la somptueuse Kyouji, centre névralgique du commerce entre l’Empire et les cités de la république. Terre qui lui est toujours aussi étrangère, si éloignée du style architectural presque brutaliste du Joyaux du Désert, tellement plus somptueuse et ornementée qu’elle pourrait faire presque pâlir de jalousie les bâtiments de la capitale impériale elle-même, enfin, excepté le somptueux palais de l’Empereur et de l’Impératrice.
En tant qu’officier des Serres, il pouvait avoir accès à presque tous les établissements de haut-vol de la ville et pourtant, c’était naturellement vers les bas-quartiers qu’il s’était dirigé après avoir mené à bon port la patrouille dont il avait pris le commandement.
Quelque chose l’avait dérangé, quand il s’était rendu dans les quartiers les plus riches, mais quoi ? Il ne saurait le dire pour être franc, quelque chose clochait chez lui, et le pire, c’est qu’il ne savait pas quoi. Il refermait la main autour d’une timbale de terre cuite, fronçant les sourcils et la levant devant ses yeux pour jauger la qualité du récipient, il se demandait.
« Qu’est-ce que je fais là ? »
« Où suis-je ? »
« Que bois-je ? »
« Pourquoi est-ce que je perds mon temps ici ? »
« Où suis-je ? »
« Que bois-je ? »
« Pourquoi est-ce que je perds mon temps ici ? »
Ça et des dizaines d’autres questions qui peinaient à prendre forme dans le brouillard de l’alcool et dans les vapeurs de magi qu’il fumait d’une longue pipe en bois. Levant le verre à son nez, il l’en écarta presque aussi tôt. Une liqueur, forte, presque une eau-de-vie dont il était bien incapable d’identifier l’origine. Mais une fois ses cavités nasales purgées par les vapeurs d’alcool, elle lui semblait presque buvable, voir même, gouteuse.
Mais avant de satisfaire l’énorme précipice dans lequel se déversait son œsophage, Tulkas redéposa la timbale doucement sur le comptoir. Glissa sa main dans le col de son manteau et en extirpa un collier sailli d’une dent, qu’il trempa silencieusement dans l’alcool avant de la recacher sous les plis de ce tissu de laine épais qui le protégeais du froid nocturne des terres du Sud. Avant de trinquer seul, avec ses fantômes.
Encore, puis encore, jusqu’à finalement se retrouver avec une bouteille de terre cuite à moitié vide dans la main, à faire le tour de cette auberge dont il ignorait le nom.
Les longues tables, couvertes de plats aussi simples que savoureux, auxquelles étaient attablés des gens de tout les peuples et de toutes les provenances qui riaient et qui discutaient des dernières nouvelles, des dernières rumeurs, des derniers faits d’armes d’un champion quelconque ou d’une bataille navale qui avait secoué la république. En vérité, tout cela lui importait peu. Ce qui attira son regard et captiva ses oreilles, cependant, était le chant d’une barde. Une jeune femme, vêtue d’un pourpoint trop grand pour elle, avec des mains graciles a la pulpe écharpée par les cordes de la cithare qu’elle tenait avec autant de délicatesse que s’il s’agissait de la taille d’une belle ingénue. Ses cheveux, faits de filins d’ors, étaient réunis en un chignon. Sa tête, elle, ceinte d’un chapeau à larges bord sous lequel elle portait un simple bandeau rouge.
Sa voix perçait le brouillard trouble de ses sens endormis par l’alcool. Et comme une sirène, captait l’attention de l’officier qui décidé de s’appuyer, tel un chaland captivé par une sirène, sur une poutre de la salle principale. Un sourire fin au visage, les yeux pétillants et brillants par l’alcool, sa timbale à la main.
Mais les soirées arrosées finissent rarement bien, tellement obnubilé qu’il était, il ne s’était pas rendu compte d’une tension dans la taverne. Une insulte mal placée, une remarque désobligeante, une main baladeuse… Qu’importe la raison pour laquelle tout avais commencé, mais le coup de poing dans la mâchoire qu’il venait de se prendre venait de sonner le glas des réjouissances.
Rien de tel qu’une bonne bagarre dans une taverne.
Citoyen du Reike
Ellana Blackwood
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Le soleil s'était couché depuis quelques heures. Plus la soirée avançait plus l'ambiance chaleureuse devenait une cacophonie bruyante, mêlant éclats de voix et de rire, de coups sur les tables et de pintes s'entrechoquant, de parties de jeux de mains et de force, des chants... Enfin, l'heure était à la fête comme de nombreux soirs à une certaine auberge de Kyouji, le Dragon Rouge. Si Ellana aurait pu opter pour un lieu de repos plus calme ou moins onéreux, l'emplacement de celui-ci était le plus proche de Drakstrang, école où, elle devait répondre à une invitation d'ici quelques jours.
Impossible pour elle de revoir des obligations, de s'attarder sur des lettres ou de potentielles missions à venir, l'environnement dérangeant, en plus de lui taper sur le système, l'empêchait de penser ou même d'envisager sortir des papiers au risque de les souiller. Elle se contenterait de seulement se nourrir et de se loger le temps qu'elle devait rester dans cette ville. Assise dans un coin, sur une table isolée, elle profita seule son met qui était relativement délicieux, une saveur qui ne devait être que très peu dégusté au vu du taux l'alcool dans le sang des consommateurs. Elle était certes esseulée, elle eut parfois quelques visites à sa table, si ce n'était le tavernier, c'était quelques malotrus alcoolisés, maladroits ou en tentative de discussions. Rien de bien méchant et aisément repoussable en montrant les crocs.
Enfin, sirotant une liqueur fruité, observant la taverne, ses yeux se posèrent sur différents acteurs du brouhaha. Une partie de bras de fer accompagnée de spectateurs tout aussi enjoués, acclamant les gagnants et huant les perdants. Une barde aux formes pulpeuses, plus jolie que les propos qu'elle chantait, durs, contant l'histoire d'un guerrier vaincu. Des femmes et des hommes en tout genre qui parlaient de tout et de rien, devant élever la voix pour s'entendre. Des habitués, bourrés, comme chaque soirs, qui avaient des discussions bien moins logiques et pertinentes que les autres, bien qu'ils finissaient par partir en fou rire.
Silencieuse, Ellana reposa son verre après avoir examiné tout ce petit monde, tournant la tête vers le vitrail qui la séparait de l'extérieur, presque appuyée contre celui-ci, préférant sûrement être de l'autre côté, dans la pénombre et la solitude de la rue. Elle regarda les différents motifs et couleurs de la mosaïque avant de... De voir dans le reflet, une énième silhouette qui s'approchait de sa table. Elle pivota rapidement la tête en direction du nouvel arrivant, prête à l'envoyer chier, mais celui-ci, bien qu'alcoolisé comme un coing, avait l'air éteint.
"Oulà, tu as l'air bien entamé toi."
N'attendant pas de réponse, elle se doutait qu'il n'était plus très réceptif à ce stade. Il ne faisait que déambuler, se ramasser, se relever, et... vaquer, ici et là. A jongler entre les tables ou en s'en prenant les coins, peut être qu'il ne sentait plus la douleur de se heurter. Ses cheveux mi-longs sombre lui tombaient sur le visage, les pointes humidifiés trempées par l'alcool, sûrement lorsqu'il avait chuté. Son regard, absent, n'arrivait pas à se poser sur un intérêt... Ah ! A moins que. Alors qu'il s'éloignait nonchalamment de la table de l'elfe, se tournant vers la belle voix qui chantait de plus bel, le visiteur venait de trouver une curiosité. L'ouïe étant son dernier sens actif.
Portant de nouveau son verre à ses lèvres, Ellana se mit à rire à cette scène. Le pauvre, pour en venir à un état comme celui-ci il devait être bien malheureux. Zieutant une dernière fois encore l'inconnu avant de finalement l'oub... Alors qu'il s'approchait de l'estrade où se trouvait la barde, l'oreille pointue cru apercevoir sur lui l'écusson rouge et noire à son ceinturon. Elle manqua de s'étouffer à la vue de celui-ci, toussotant, s'essuyant le bord des lèvres et reposant le récipient, les yeux ronds sur l'homme qui tanguait.
Qu'est-ce qu'un Serre Pourpre faisait à picoler là ?
Le voyant non plus comme un ivrogne étranger, elle le vit comme un confrère en piteux état. Elle observa les alentours, revisitant les différentes personnes qui se trouvaient présentes. Pas un Serre Pourpre en vue. Il était seul et aux abords d'un coma éthylique. Bon, il ne faisait rien de méchant et ne risquait pas de s'attirer les foudres des autres, mais il avait besoin de dessaouler et de s'hydrater et... Oh bon sang, il continuait à boire de grandes gorgées de sa pinte. L'elfe se pinça entre les sourcils, hésitant à agir ou laisser le soldat tranquille. Elle ne put se décider qu'un nouvel ivrogne atteignit sa table, prenant place sur la chaise inoccupé qui lui faisait face.
"Eeeeh, on s'd'mandait avec Dirwenn s'les elf' sont 'ternellment p'celles."
Ellana oublia un instant le confrère, tellement l'intervention était ridicule. Regardant un instant le mal rasé au gros pif qui lui avait posé une question qu'elle n'avait pas compris, elle cligna des yeux plusieurs fois, son visage optant doucement pour une grimace de colère.
"Quoi ?"
L'homme soupira comme s'il était difficile de parler et de réfléchir, la respiration lourde et puant la bière. L'elfe ne put s'empêcher d'afficher une mine de dégoût et de mépris palpable.
"C'que, c'que j'veux dire, c'que, qu'on peut s'rranger."
Comme pour appuyer ses propos, il glissa sa main sur celle de l'elfe sans aucune délicatesse, ce qui, ne manqua pas de faire réagir la blondinette instantanément avant même qu'il n'atteigne sa dextre. Ayant sa patience bien entamée par le brouhaha et les différents visiteurs, d'autant plus qu'elle était préoccupée par un semblable en piteux état, ce pervers serait le dernier à la déranger. Attrapant la fourchette qui avait servi à son repas, elle planta celle-ci sans hésiter, ne prenant pas en compte les risques de complications.
"Essai de me toucher encore une fois sale chien et je t'arrache la main."
La douleur mit apparemment un certain temps à monter au cerveau mais lorsque les neurones se concertèrent, il se mit à hurler, taisant certaines discussions alentours. Le fameux Dirwenn se releva violemment, plus réactif que son compère. Hors, ayant aussi peu d'esprit en cet instant, il heurta un susceptible qui ne manqua pas de faire directement preuve de violence, déclenchant une réaction en chaîne d'animosité entre tous. Ellana en profita pour s'extirper de son interlocuteur qui essayait toujours de retirer la fourchette de sa main, embroché à la table.
L'ambiance chaleureuse n'était plus, faisant place à l'agitation. Si certains restaient éloignés ou tentaient de calmer les gens, d'autres s'adonnaient avec joie à la violence, surtout ceux qui se faisaient des parties de bras fer. Haine véritables pour certains, amusement pur pour d'autres. C'était ridicule. Se glissant entre les gens, l'elfe s'apprêtait à quitter les lieux en toute hâte mais, passant près du Serre Pourpre, elle fut témoin du poing s'écrasant sur la figure du pauvret. Celui-ci tombant tel un torchon.
"HEY !"
Bon, si elle voulait extirper un corps plus lourd qu'elle, ce ne serait pas en se faufilant entre les bagarreurs qu'elle y arriverait sans encombre. Alors autant commencer à dégager le passage et ça commencerait par ce connard d'elfe joufflu qui avait oser frapper un innocent. La blondinette arma son coude pour le faire rencontrer la mâchoire de sa cible avant d'enchaîner un poing dans son ventre pour le retarder quelque peu.
Puis elle attrapa le soldat qui venait de se relever avec peine, le soutenant par l'épaule.
Impossible pour elle de revoir des obligations, de s'attarder sur des lettres ou de potentielles missions à venir, l'environnement dérangeant, en plus de lui taper sur le système, l'empêchait de penser ou même d'envisager sortir des papiers au risque de les souiller. Elle se contenterait de seulement se nourrir et de se loger le temps qu'elle devait rester dans cette ville. Assise dans un coin, sur une table isolée, elle profita seule son met qui était relativement délicieux, une saveur qui ne devait être que très peu dégusté au vu du taux l'alcool dans le sang des consommateurs. Elle était certes esseulée, elle eut parfois quelques visites à sa table, si ce n'était le tavernier, c'était quelques malotrus alcoolisés, maladroits ou en tentative de discussions. Rien de bien méchant et aisément repoussable en montrant les crocs.
Enfin, sirotant une liqueur fruité, observant la taverne, ses yeux se posèrent sur différents acteurs du brouhaha. Une partie de bras de fer accompagnée de spectateurs tout aussi enjoués, acclamant les gagnants et huant les perdants. Une barde aux formes pulpeuses, plus jolie que les propos qu'elle chantait, durs, contant l'histoire d'un guerrier vaincu. Des femmes et des hommes en tout genre qui parlaient de tout et de rien, devant élever la voix pour s'entendre. Des habitués, bourrés, comme chaque soirs, qui avaient des discussions bien moins logiques et pertinentes que les autres, bien qu'ils finissaient par partir en fou rire.
Silencieuse, Ellana reposa son verre après avoir examiné tout ce petit monde, tournant la tête vers le vitrail qui la séparait de l'extérieur, presque appuyée contre celui-ci, préférant sûrement être de l'autre côté, dans la pénombre et la solitude de la rue. Elle regarda les différents motifs et couleurs de la mosaïque avant de... De voir dans le reflet, une énième silhouette qui s'approchait de sa table. Elle pivota rapidement la tête en direction du nouvel arrivant, prête à l'envoyer chier, mais celui-ci, bien qu'alcoolisé comme un coing, avait l'air éteint.
"Oulà, tu as l'air bien entamé toi."
N'attendant pas de réponse, elle se doutait qu'il n'était plus très réceptif à ce stade. Il ne faisait que déambuler, se ramasser, se relever, et... vaquer, ici et là. A jongler entre les tables ou en s'en prenant les coins, peut être qu'il ne sentait plus la douleur de se heurter. Ses cheveux mi-longs sombre lui tombaient sur le visage, les pointes humidifiés trempées par l'alcool, sûrement lorsqu'il avait chuté. Son regard, absent, n'arrivait pas à se poser sur un intérêt... Ah ! A moins que. Alors qu'il s'éloignait nonchalamment de la table de l'elfe, se tournant vers la belle voix qui chantait de plus bel, le visiteur venait de trouver une curiosité. L'ouïe étant son dernier sens actif.
Portant de nouveau son verre à ses lèvres, Ellana se mit à rire à cette scène. Le pauvre, pour en venir à un état comme celui-ci il devait être bien malheureux. Zieutant une dernière fois encore l'inconnu avant de finalement l'oub... Alors qu'il s'approchait de l'estrade où se trouvait la barde, l'oreille pointue cru apercevoir sur lui l'écusson rouge et noire à son ceinturon. Elle manqua de s'étouffer à la vue de celui-ci, toussotant, s'essuyant le bord des lèvres et reposant le récipient, les yeux ronds sur l'homme qui tanguait.
Qu'est-ce qu'un Serre Pourpre faisait à picoler là ?
Le voyant non plus comme un ivrogne étranger, elle le vit comme un confrère en piteux état. Elle observa les alentours, revisitant les différentes personnes qui se trouvaient présentes. Pas un Serre Pourpre en vue. Il était seul et aux abords d'un coma éthylique. Bon, il ne faisait rien de méchant et ne risquait pas de s'attirer les foudres des autres, mais il avait besoin de dessaouler et de s'hydrater et... Oh bon sang, il continuait à boire de grandes gorgées de sa pinte. L'elfe se pinça entre les sourcils, hésitant à agir ou laisser le soldat tranquille. Elle ne put se décider qu'un nouvel ivrogne atteignit sa table, prenant place sur la chaise inoccupé qui lui faisait face.
"Eeeeh, on s'd'mandait avec Dirwenn s'les elf' sont 'ternellment p'celles."
Ellana oublia un instant le confrère, tellement l'intervention était ridicule. Regardant un instant le mal rasé au gros pif qui lui avait posé une question qu'elle n'avait pas compris, elle cligna des yeux plusieurs fois, son visage optant doucement pour une grimace de colère.
"Quoi ?"
L'homme soupira comme s'il était difficile de parler et de réfléchir, la respiration lourde et puant la bière. L'elfe ne put s'empêcher d'afficher une mine de dégoût et de mépris palpable.
"C'que, c'que j'veux dire, c'que, qu'on peut s'rranger."
Comme pour appuyer ses propos, il glissa sa main sur celle de l'elfe sans aucune délicatesse, ce qui, ne manqua pas de faire réagir la blondinette instantanément avant même qu'il n'atteigne sa dextre. Ayant sa patience bien entamée par le brouhaha et les différents visiteurs, d'autant plus qu'elle était préoccupée par un semblable en piteux état, ce pervers serait le dernier à la déranger. Attrapant la fourchette qui avait servi à son repas, elle planta celle-ci sans hésiter, ne prenant pas en compte les risques de complications.
"Essai de me toucher encore une fois sale chien et je t'arrache la main."
La douleur mit apparemment un certain temps à monter au cerveau mais lorsque les neurones se concertèrent, il se mit à hurler, taisant certaines discussions alentours. Le fameux Dirwenn se releva violemment, plus réactif que son compère. Hors, ayant aussi peu d'esprit en cet instant, il heurta un susceptible qui ne manqua pas de faire directement preuve de violence, déclenchant une réaction en chaîne d'animosité entre tous. Ellana en profita pour s'extirper de son interlocuteur qui essayait toujours de retirer la fourchette de sa main, embroché à la table.
L'ambiance chaleureuse n'était plus, faisant place à l'agitation. Si certains restaient éloignés ou tentaient de calmer les gens, d'autres s'adonnaient avec joie à la violence, surtout ceux qui se faisaient des parties de bras fer. Haine véritables pour certains, amusement pur pour d'autres. C'était ridicule. Se glissant entre les gens, l'elfe s'apprêtait à quitter les lieux en toute hâte mais, passant près du Serre Pourpre, elle fut témoin du poing s'écrasant sur la figure du pauvret. Celui-ci tombant tel un torchon.
"HEY !"
Bon, si elle voulait extirper un corps plus lourd qu'elle, ce ne serait pas en se faufilant entre les bagarreurs qu'elle y arriverait sans encombre. Alors autant commencer à dégager le passage et ça commencerait par ce connard d'elfe joufflu qui avait oser frapper un innocent. La blondinette arma son coude pour le faire rencontrer la mâchoire de sa cible avant d'enchaîner un poing dans son ventre pour le retarder quelque peu.
Puis elle attrapa le soldat qui venait de se relever avec peine, le soutenant par l'épaule.
Citoyen du Reike
Vaesidia Inviere
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crédits : 1630
Quelle chienne de vie. Comment avais-je fait pour me retrouver dans une telle situation ? Telle était la question qui m’occupait l’esprit depuis que l’astre du jour avait daigné laisser sa place à la lune. Par quelle malédiction des Titans avais-je pu obtenir une tâche aussi ingrate ?! La réponse à mes questionnements était pour le moins simple. En vérité, je n’étais pas sans l’ignorer. Néanmoins, je ressassais les derniers évènements, encore et encore. Un tel comportement n’était pas des plus salutaire, car je n’étais pas sans savoir que celui-ci ne ferait qu’assombrir davantage mon humeur déjà ô combien revêche au regard des circonstances. Cependant, cette attitude avait le mérite de me distraire. Du moins était-ce là l’idée première bien qu’elle fût en réalité, bien peu judicieuse. En effet, un érudit nain, quelque peu porté sur le houblon, avait jadis affirmé que le temps était une notion très relative. Concrètement à ses yeux, cette notion pouvait s’avérer différente d’une personne à l’autre selon sa condition. Par exemple, celle-ci s’écoulait bien plus rapidement pour un soldat dans une taverne que pour un de ses homologues de corvée de latrines. Or, par une facétie ô combien détestable du destin, j’étais en train de confirmer cette théorie. J’avais la désagréable sensation que chaque minute durait une heure voire même une éternité. Aussi, en revins-je très rapidement à plonger dans mes pensées et à me remémorer les derniers évènements pour m’expliciter, une fois encore, les causes de mon tourment.
Comme à l’accoutumée, j’avais reçu, dernièrement un ordre simple, mais ô combien classique et ce, alors, que je demeurais à Ikusa. Conformément aux us en vigueur, certains de mes camarades et moi-même avions été envoyés relever les janissaires en faction à Kyouji. Aussi, cela faisait quelques jours que nous avions pris nos quartiers en ville dans la section de la caserne qui nous avait été attitrée. Dès lors, notre quotidien avait été divisé en plusieurs moments où nous devions nous entrainer ou patrouiller afin, notamment, de pleinement nous familiariser avec la ville. La routine, en somme. Rien ne présageait alors que mon existence se retrouverait confrontée aux affres de l’infortune ! Absolument rien. J’avais même fait de me montrer irréprochable durant ces derniers jours afin de pleinement me consacrer à mes errements tactiques. Nulle remarque désobligeante n’avait franchi le seuil de mes lèvres. Nul manquement à mes obligations n’avait été souligné. J’avais été un véritable exemple de probité.
Mon seul caprice avait été de m’éloigner quelque peu des autres janissaires avec qui je n’avais rien en commun si ce n’est la charge. Quand bien même du temps s’était écoulé, je n’affectionnais qu’assez peu les « nouvelles » recrues qui provenaient à « l’origine » des rangs des fidèles des Titans. Ces hommes et ces femmes étaient des personnes que mes anciens compagnons d’infortune et moi-même avions combattues. J’avais probablement croisé le fer avec certains d’entre eux. Mais le fait était là. Ces janissaires étaient d’anciens ennemis qui, à mon sens, en dépit de toutes les garanties, auraient mérité de voir leur tête être mise sur un billot. Hélas ! L’Empire en avait décidé autrement. Aussi demeurais-je sur mes gardes et restais quelque peu isolée du groupe tout en veillant, néanmoins, à ne pas me faire remarquer d’une quelconque façon ou à générer une quelconque querelle avec l’un de mes « camarades ».
En dépit de toutes mes précautions et de mon attitude vertueuse, un des sergents de la ville avait décidé d’octroyer à trois de mes compagnons et à moi-même un cadeau de « bienvenue », si j’en croyais l’expression employée par cet humain chauve dont l’haleine empestait le vin bon marché. En effet, il nous avait ordonné d’effectuer une ronde de nuit dans les bas quartiers de la ville, et ce, dès le coucher du soleil. Ce présent, qui me faisait surtout l’effet d’être empoisonné n’avait pas manqué de me faire grincer des dents même si j’avais pris soin de ne rien laisser transparaitre sur mon visage et d’obtempérer bien gracieusement pour ne pas m’attirer d’autres surprises pour le moins déplaisantes. Après tout, il aurait été malvenu qu’une janissaire conteste un ordre, aussi ingrat soit-il sous prétexte que son supérieur hiérarchique allait, si j’en croyais la causette que j’avais ensuite captée au vol grâce à mon ouïe fine, s’encanailler avec la troupe étant donné qu’aujourd’hui il avait pu faire main basse sur sa solde. Aussi afin de se distraire et d’échapper à ses obligations nocturnes, il avait quelque peu « abusé » de son autorité.
Bien que des plus détestables, une partie de mon être comprenait l’attitude de cet homme. Combien de fois, avais-je fait le mur en compagnie de mes anciens compagnons pour profiter des joies qu’offrait la vie nocturne reikoise au sein de la capitale… Cela remontait à si loin. Pourtant, je parvenais à me remémorer chacun de ces précieux moments comme si tout ceci datait d’hier. Bien que teintés de joie, ces réminiscences achevaient de me plonger dans l’amertume et d’assombrir mon humeur qui, en cet instant, n’en avait nul besoin ce qui me ramena aussitôt à la question première : qu’avais donc fait pour me retrouver affectée au sein d’une patrouille ?
Soupirant longuement, je fixais du regard le paysage qui m’environnait afin de me changer temporairement les idées. Cela faisait déjà plusieurs heures que l’astre de la nuit s’était levé sur Kyouji. Sous le manteau étoilé du désert nocturne, les bas quartiers de la ville marchande se transformaient en un tableau d’ombres et de mystères. Le mince filet de vent tiède qui soufflait soulevait sur son passage des volutes de sable qui donnaient le sentiment qu’une multitude d’esprits parcourait certaines de ces rues ô combien étroites. Peut-être était-ce là une manifestation de la fatigue que je ressentais ? C’était une possibilité. Après tout, l’un des motifs de ma colère était dû au fait que je devais officier en pleine nuit. Or, à l’inverse de ma sœur jumelle, je n’appréciais guère de me mouvoir dans l’obscurité. Je ne m’y sentais pas à mon aise. Bien que le spectacle qu’offrait la mer étoilée au-dessus de nous fût tout bonnement splendide, il n’en demeurait pas moins qu’elle me révulsait tant elle était synonyme de froideur et de silence à mes yeux. Elle était aux antipodes, à mon sens, des valeurs véhiculées par le soleil dont les rayons caressaient ma peau par leur chaleur que je jugeais être des plus délectables. Hélas ! Long et dur serait le chemin qui, en cette soirée, mènerait des ténèbres à la lumière.
Continuant de déambuler dans les rues, en compagnie de mes deux camarades, et ce, dans mon attirail de janissaire, je fixais les façades des bâtiments en adobe aux murs décrépis qui encadraient notre patrouille. La plupart de ces dernières étaient éclairées très faiblement par des lanternes. Celle-ci projetait des ombres dansantes sur les murs craquelés et sur les étals de marché, qui à cette heure-ci, étaient déserts. Bien que ces commerces fussent clôturés, l’air ambiant agressait mon odorat en véhiculant un mélange enivrant de senteurs qui me firent froncer, subrepticement, le nez. Les arômes persistances des épices de certaines de ces échoppes s’amalgamaient, sans peine, avec la poussière chaude du désert et l’odeur lointaine de bois craquant et se consumant dans les cheminées.
Pour autant cette flagrance, bien que surprenante, n’en était pas moins agréable et contribuait à adoucir notre « châtiment » du soir. En un sens, cela me mettait l’eau à la bouche tant certaines émanations incarnaient la promesse d’un repas chaud et convivial. En d’autres circonstances et à une tout autre époque, j’aurais sans doute sauté le pas et fréquenté l’une des auberges ouvertes de cette cité. Hélas ! Je n’en avais pas la possibilité. Plus maintenant. Complètement plongée dans mes pensées, j’en fus brutalement arrachée par le grincement ô combien disgracieux d’une enseigne délabrée qui ne manqua pas, sur le coup de me faire dresser les oreilles et de porter mon regard vers l’origine de ce son. M’admonestant une claque mentale, je me concentrais à nouveau sur la tâche qui m’incombait.
Pour ainsi dire, je n’avais rien d’autre à faire. Notre trio n’était guère causant ce qui n’était pas pour me déplaire au regard du mépris que je ressentais pour eux. Que ce fût ce nain dont la barbe et les cheveux, roux, étaient hirsutes ou encore cet homme noir robuste, dépourvu de toute chevelure, aucun des deux ne m’inspirait confiance. Il s’agissait de « recrues récentes ». Par conséquent, il y avait de fortes chances pour qu’ils aient été des serviteurs des titans…soit des traitres et des fanatiques. Converser avec eux n’avait donc pas grand intérêt bien qu’une partie de moi-même en venait à se poser la question suivante : comment pouvait-on accepter de servir des êtres qui, jadis, avaient menacé notre monde ? Cela me paraissait incompréhensible et surtout illogique. Je savais, par expérience, que la religion pouvait influencer les individus au point de pouvoir les contrôler, mais de là à abandonner toute forme d’esprit critique, cela me paraissait difficilement concevable. Après, il était vrai qu’étant une elfe, je n’entretenais pas, de base, le même rapport avec ces entités que la plupart des races mortelles. Mais tout de même… Comment pouvait-on en arriver là ? J’avais bien quelques idées sur le sujet, mais elles demeuraient théoriques. Qui plus est, l’heure n’était pas à avoir ce genre de questionnements alors que je voyais certaines personnes s’éloigner de nous. Aussi détestable soit ma mission de ce soir, je me devais de la remplir.
Non qu’elle fut difficile. À cette heure, les ruelles irrégulières résonnaient de murmures étouffés, de rires discrets et de notes de musique jouée dans une quelconque taverne au loin. Parfois, nous croisions des chats errants qui nous fixaient de leurs yeux brillants dans l’obscurité avant de se glisser entre les recoins de certaines structures afin de faire main basse sur une quelconque pitance durant leurs aventures nocturnes. Certaines portes entrouvertes révélaient des fragments de la vie des habitants de Kyouji. Porte après porte, nous pouvions entrapercevoir des familles attablées autour d’un repas, des amis en train de festoyer, des groupes d’habitants partageant des histoires autour d’un verre de vin chaud, des marchands nocturnes déployant leurs échoppes ou même des prostitués en quête de clients.
Sous ce ciel constellé d’étoiles, les habitants des bas quartiers se mouvaient dans un ballet nocturne des plus mystérieux. Parfois, il m’arrivait de pouvoir capter, au gré de la lueur des lanternes, un regard, un visage, des lèvres appartenant à des personnes qui, même en cette heure tardive, vaquaient à leurs affaires dont la nature m’importait assez peu même si je n’étais pas naïve. Je me doutais que certains profiteraient de notre départ de ce quartier pour s’adonner à certaines pratiques répréhensibles, voire pires. C’était à la faveur de la nuit que les intrigants et les conspirateurs prenaient un malin plaisir à se réunir, à décider de la marche du monde et surtout à ordonner l’exécution de leur basse œuvre. Mais je n’en avais cure. Tant que le cité n’était pas en danger ou qu’aucun acte séditieux n’avait lieu sous les yeux de mes camarades ou de moi-même, n’avions pas à intervenir à moins que l’un des deux « nouveaux » janissaires n’éprouvassent le besoin de faire du zèle. J’espérais que non. Après tout, si nuit pouvait demeurer tranqui…
Des cris et vociférations composées notamment d’insultes et d’exclamations de colère fusèrent non loin de notre position. Tendant quelque peu l’oreille, je perçus très nettement le son distinctif de verres et de bouteilles se brisant ainsi que le bruit de plusieurs personnes qui « visiblement » se déplaçaient rapidement ou trébuchaient. En clair, tout indiquait qu’un véritable tumulte s’était soudainement déclenché dans ce qui était, à ne pas en douter, une auberge. Moi qui avais espéré que notre affectation de cette nuit serait dépourvue de toute forme de chambard… C’était raté. Et encore, j’étais loin de me douter de ce que j’allais rencontrer une fois sur place même si j’en avais une bonne idée. Aussi, prononçais-je ce simple mot d’un ton sec :
« Pressons.»
Non que j’eus une quelconque envie de le faire. Hélas ! J’avais un « devoir » à accomplir même si, en l’occurrence, nous ne risquions pas d’avoir à faire étalage de nos talents au nom du Reike. Nulle gloire ne jaillirait de ce qui allait probablement prendre la forme d’une escarmouche. C’était même plutôt l’inverse. Être la cible des quolibets n’était pas un problème. En revanche, se retrouver exposé à des jets de bouteille si ce n’est de nourriture ou de vaisselle et ce, en faisant face à des personnes peu ragoutantes et susceptibles de vider le contenu de leur estomac ou de leur entrailles sur mes bottes, en était un. Rien que d’y penser, je sentais déjà l’odeur méphitique de ces piliers de comptoir me monter au nez… J’imaginais sans peine le tableau qui allait se présenter en nous. Outre des chaises renversées, si tant est que l’auberge fût pleine, nous allions nous aventurer dans un endroit où une foule enragée se livrerait à ses plus bas instincts, et ce, car l’alcool lui était monté à la tête. Et encore, c’était sans compter sur la forte possibilité que cette plèbe ait démonté une partie du mobilier de la taverne pour se constituer des armes de fortune et ainsi s’adonner au chaos. L’on s’estimerait heureux si tout ce tintamarre n’occasionnait pas un mort voire deux…
Mais comment allions-nous gérer cela ? Je n’en savais strictement rien alors que j’arrivais, avec mes compagnons, devant la source de tout cet esclandre. Fut un temps, en tant que capitaine du Reike et possiblement instigatrice de ce genre d’évènements, j’aurais rallié à moi mes hommes, non sans faire preuve de facétie, pour mener une percée vers l’extérieur après avoir remis à leur place nos ennemis, et ce, dans l’optique d’échapper à la garde. Mais là…nous n’étions que trois et surtout…les rôles étaient inversés ! J’allais devoir complètement improviser ce qui me fît quelque peu grimacer. Non que cette situation me rendit anxieuse. En vérité, je craignais surtout les répercussions de ce grabuge si mes actes occasionnaient quelques menus dégâts. Je ne tenais absolument pas à devoir subir d’autres affectations de ce genre avant un très long moment si possible.
Hélas ! L’heure n’était plus aux tergiversations, mais bel et bien à l’action alors qu’un homme traversait littéralement la fenêtre de la taverne, brisant au passage ladite ouverture, pour finir par atterrir devant nous dans un bruit sourd non dénué de gémissements. Au moins, il était encore en vie. Restait plus qu’à espérer que ses homologues à l’intérieur de cet établissement miteux étaient dans un meilleur état que lui auquel cas je risquais d’en entendre parler encore longtemps. Sans une ni, deux, je poussais brusquement la porte de la vieille taverne qui grinça sur ses gonds et en franchit le seuil, flanquée par les deux autres janissaires. Malgré le fracas de notre arrivée, les occupants du lieu ne semblèrent guère concernés. Ils étaient même plutôt absorbés par leur querelle. Celle-ci n’était pas prêt de prendre fin si j’en croyais le brouhaha ambiant ainsi que le spectacle ô combien tumultueux qui se jouait juste devant mes yeux pour mon plus grand déplaisir.
Le tavernier qui avait remarqué notre présence nous jeta un regard désespéré qui en disait long sur la nature de ses sollicitations. Sa supplique consistait, sans nul doute, à ce que nous sauvions son établissement d’autres déprédations avant qu’il ne soit trop tard. Soupirant une nouvelle fois et maudissant en elfique le sergent responsable de ma présence dans ce sordide endroit, je m’avançais de quelques pas et m’éclaircissais la voix, et ce, dans l’optique de la solliciter d’une manière qui allait s’avérer des plus disgracieuses.
« SILEEEEEEEEEEEEEEEENCE ! » commandais-je d’une voix ferme afin d’éteindre ce tumulte alors que je montais sur le bar pour pleinement toiser la foule.
Par je ne sais quelle intervention divine, les clients ivres et les belligérants s’immobilisèrent et leurs regards hébétés croisèrent le mien. Visiblement, j’avais réussi mon coup…pour le moment. Ne restait plus qu’à mettre dans le rang cette populace et de couper court à toute velléité de résistance. Ce n’était pas gagné, mais j’avais une petite chance de parvenir à mes fins. Encore me fallait-il réussir à les convaincre ce qui étant donné mon collier d’esclave et leurs esprits embrumés par la bêtise et l’alcool, n’allait pas être une mince affaire. Mais après tout, n’avait-on pas coutume d’affirmer que la chance souriait aux audacieux ? Autant mettre cet adage à l’épreuve de la réalité. Je me pinçais le nez un court instant avant de reprendre la parole d’un ton péremptoire.
« Je me fiche de savoir ce qui se passe ici. Je me fiche de savoir qui sont les responsables. Mais, vous allez TOUS me faire le plaisir de foutre le camp de ce rade avant que ne me passe l’envie d’appeler le reste de la garde, de vous faire nettoyer ce merdier et de tous vous botter le cul tellement profondément qu’aucun de vous ne pourra s’asseoir pendant la semaine qu’il passera dans les geôles de la cité ! Vu ? »
Connaissant la faune qui peuplait ce genre d’établissements dans cette partie de la ville, je ne savais que trop bien que seul un discours similaire à ce qu’un vétéran pouvait tenir leur ferait de l’effet. J’étais même plutôt confiante dans le fait que cette démonstration aurait tôt fait de les convaincre du bienfondé de ma demande. Hélas ! C’était sans compter sur les quelques soudards qui eurent tôt fait, dans une bravade éthylique, d’ignorer mon autorité et de reprendre leur querelle qui allait, sous peu, s’étendre une nouvelle fois à toute la taverne et se métamorphoser en véritable mutinerie. M’apprêtant donc à les calmer une bonne fois pour toutes et à leur souligner que feindre l’indifférence face à cette notion d’ordre que j’incarnais était tout sauf une bonne idée, je n’eus même pas le temps de descendre du comptoir qu’un quidam dont l’identité m’échappa totalement sur le moment, visiblement indisposée par mes cris d’orfraie eut la bonne idée de saisir une table à deux mains et de la propulser dans les airs à l’aide de sa seule force. En temps normal, j’aurais sans nul doute évité un obstacle aussi visible et aussi massif.
Malheureusement, mon attention s’était tellement focalisée sur les baroudeurs du fond que je n’eus guère le temps de remarquer une ombre à proximité de mon visage avant que celle-ci ne s’écrasa violemment contre le meuble en question. Le choc fut tout simplement assourdissant. La table se brisa en quelques éclats alors que je perçus, dans un rare éclat de lucidité entrecoupé par un sentiment de douleur, que le sol se dérobait momentanément sous mes pieds avant d’entrer, à nouveau, en contact avec ce dernier dans un fracas tel qu’il résonna à travers toute la taverne dont les clients étaient ébaubis suite à une telle prouesse aussi incongrue avant de retourner à cette altercation qui grâce aux actions d’un seul homme allait devenir mémorable et gagner en intensité…
Mais sur le moment, je n’en avais cure tant, si l’on exceptait la douleur et le fait que j’étais couchée au sol non loin du tavernier, j’étais étourdie. J’étais, pour le moment, bien en peine de comprendre ce qui m’avait frappé, ce qui m’entourait et surtout la raison de ma présence ici. J’avais mal et j’avais de rester coucher et de m’endormir. Ni plus ni moins. Le reste était secondaire.
Comme à l’accoutumée, j’avais reçu, dernièrement un ordre simple, mais ô combien classique et ce, alors, que je demeurais à Ikusa. Conformément aux us en vigueur, certains de mes camarades et moi-même avions été envoyés relever les janissaires en faction à Kyouji. Aussi, cela faisait quelques jours que nous avions pris nos quartiers en ville dans la section de la caserne qui nous avait été attitrée. Dès lors, notre quotidien avait été divisé en plusieurs moments où nous devions nous entrainer ou patrouiller afin, notamment, de pleinement nous familiariser avec la ville. La routine, en somme. Rien ne présageait alors que mon existence se retrouverait confrontée aux affres de l’infortune ! Absolument rien. J’avais même fait de me montrer irréprochable durant ces derniers jours afin de pleinement me consacrer à mes errements tactiques. Nulle remarque désobligeante n’avait franchi le seuil de mes lèvres. Nul manquement à mes obligations n’avait été souligné. J’avais été un véritable exemple de probité.
Mon seul caprice avait été de m’éloigner quelque peu des autres janissaires avec qui je n’avais rien en commun si ce n’est la charge. Quand bien même du temps s’était écoulé, je n’affectionnais qu’assez peu les « nouvelles » recrues qui provenaient à « l’origine » des rangs des fidèles des Titans. Ces hommes et ces femmes étaient des personnes que mes anciens compagnons d’infortune et moi-même avions combattues. J’avais probablement croisé le fer avec certains d’entre eux. Mais le fait était là. Ces janissaires étaient d’anciens ennemis qui, à mon sens, en dépit de toutes les garanties, auraient mérité de voir leur tête être mise sur un billot. Hélas ! L’Empire en avait décidé autrement. Aussi demeurais-je sur mes gardes et restais quelque peu isolée du groupe tout en veillant, néanmoins, à ne pas me faire remarquer d’une quelconque façon ou à générer une quelconque querelle avec l’un de mes « camarades ».
En dépit de toutes mes précautions et de mon attitude vertueuse, un des sergents de la ville avait décidé d’octroyer à trois de mes compagnons et à moi-même un cadeau de « bienvenue », si j’en croyais l’expression employée par cet humain chauve dont l’haleine empestait le vin bon marché. En effet, il nous avait ordonné d’effectuer une ronde de nuit dans les bas quartiers de la ville, et ce, dès le coucher du soleil. Ce présent, qui me faisait surtout l’effet d’être empoisonné n’avait pas manqué de me faire grincer des dents même si j’avais pris soin de ne rien laisser transparaitre sur mon visage et d’obtempérer bien gracieusement pour ne pas m’attirer d’autres surprises pour le moins déplaisantes. Après tout, il aurait été malvenu qu’une janissaire conteste un ordre, aussi ingrat soit-il sous prétexte que son supérieur hiérarchique allait, si j’en croyais la causette que j’avais ensuite captée au vol grâce à mon ouïe fine, s’encanailler avec la troupe étant donné qu’aujourd’hui il avait pu faire main basse sur sa solde. Aussi afin de se distraire et d’échapper à ses obligations nocturnes, il avait quelque peu « abusé » de son autorité.
Bien que des plus détestables, une partie de mon être comprenait l’attitude de cet homme. Combien de fois, avais-je fait le mur en compagnie de mes anciens compagnons pour profiter des joies qu’offrait la vie nocturne reikoise au sein de la capitale… Cela remontait à si loin. Pourtant, je parvenais à me remémorer chacun de ces précieux moments comme si tout ceci datait d’hier. Bien que teintés de joie, ces réminiscences achevaient de me plonger dans l’amertume et d’assombrir mon humeur qui, en cet instant, n’en avait nul besoin ce qui me ramena aussitôt à la question première : qu’avais donc fait pour me retrouver affectée au sein d’une patrouille ?
Soupirant longuement, je fixais du regard le paysage qui m’environnait afin de me changer temporairement les idées. Cela faisait déjà plusieurs heures que l’astre de la nuit s’était levé sur Kyouji. Sous le manteau étoilé du désert nocturne, les bas quartiers de la ville marchande se transformaient en un tableau d’ombres et de mystères. Le mince filet de vent tiède qui soufflait soulevait sur son passage des volutes de sable qui donnaient le sentiment qu’une multitude d’esprits parcourait certaines de ces rues ô combien étroites. Peut-être était-ce là une manifestation de la fatigue que je ressentais ? C’était une possibilité. Après tout, l’un des motifs de ma colère était dû au fait que je devais officier en pleine nuit. Or, à l’inverse de ma sœur jumelle, je n’appréciais guère de me mouvoir dans l’obscurité. Je ne m’y sentais pas à mon aise. Bien que le spectacle qu’offrait la mer étoilée au-dessus de nous fût tout bonnement splendide, il n’en demeurait pas moins qu’elle me révulsait tant elle était synonyme de froideur et de silence à mes yeux. Elle était aux antipodes, à mon sens, des valeurs véhiculées par le soleil dont les rayons caressaient ma peau par leur chaleur que je jugeais être des plus délectables. Hélas ! Long et dur serait le chemin qui, en cette soirée, mènerait des ténèbres à la lumière.
Continuant de déambuler dans les rues, en compagnie de mes deux camarades, et ce, dans mon attirail de janissaire, je fixais les façades des bâtiments en adobe aux murs décrépis qui encadraient notre patrouille. La plupart de ces dernières étaient éclairées très faiblement par des lanternes. Celle-ci projetait des ombres dansantes sur les murs craquelés et sur les étals de marché, qui à cette heure-ci, étaient déserts. Bien que ces commerces fussent clôturés, l’air ambiant agressait mon odorat en véhiculant un mélange enivrant de senteurs qui me firent froncer, subrepticement, le nez. Les arômes persistances des épices de certaines de ces échoppes s’amalgamaient, sans peine, avec la poussière chaude du désert et l’odeur lointaine de bois craquant et se consumant dans les cheminées.
Pour autant cette flagrance, bien que surprenante, n’en était pas moins agréable et contribuait à adoucir notre « châtiment » du soir. En un sens, cela me mettait l’eau à la bouche tant certaines émanations incarnaient la promesse d’un repas chaud et convivial. En d’autres circonstances et à une tout autre époque, j’aurais sans doute sauté le pas et fréquenté l’une des auberges ouvertes de cette cité. Hélas ! Je n’en avais pas la possibilité. Plus maintenant. Complètement plongée dans mes pensées, j’en fus brutalement arrachée par le grincement ô combien disgracieux d’une enseigne délabrée qui ne manqua pas, sur le coup de me faire dresser les oreilles et de porter mon regard vers l’origine de ce son. M’admonestant une claque mentale, je me concentrais à nouveau sur la tâche qui m’incombait.
Pour ainsi dire, je n’avais rien d’autre à faire. Notre trio n’était guère causant ce qui n’était pas pour me déplaire au regard du mépris que je ressentais pour eux. Que ce fût ce nain dont la barbe et les cheveux, roux, étaient hirsutes ou encore cet homme noir robuste, dépourvu de toute chevelure, aucun des deux ne m’inspirait confiance. Il s’agissait de « recrues récentes ». Par conséquent, il y avait de fortes chances pour qu’ils aient été des serviteurs des titans…soit des traitres et des fanatiques. Converser avec eux n’avait donc pas grand intérêt bien qu’une partie de moi-même en venait à se poser la question suivante : comment pouvait-on accepter de servir des êtres qui, jadis, avaient menacé notre monde ? Cela me paraissait incompréhensible et surtout illogique. Je savais, par expérience, que la religion pouvait influencer les individus au point de pouvoir les contrôler, mais de là à abandonner toute forme d’esprit critique, cela me paraissait difficilement concevable. Après, il était vrai qu’étant une elfe, je n’entretenais pas, de base, le même rapport avec ces entités que la plupart des races mortelles. Mais tout de même… Comment pouvait-on en arriver là ? J’avais bien quelques idées sur le sujet, mais elles demeuraient théoriques. Qui plus est, l’heure n’était pas à avoir ce genre de questionnements alors que je voyais certaines personnes s’éloigner de nous. Aussi détestable soit ma mission de ce soir, je me devais de la remplir.
Non qu’elle fut difficile. À cette heure, les ruelles irrégulières résonnaient de murmures étouffés, de rires discrets et de notes de musique jouée dans une quelconque taverne au loin. Parfois, nous croisions des chats errants qui nous fixaient de leurs yeux brillants dans l’obscurité avant de se glisser entre les recoins de certaines structures afin de faire main basse sur une quelconque pitance durant leurs aventures nocturnes. Certaines portes entrouvertes révélaient des fragments de la vie des habitants de Kyouji. Porte après porte, nous pouvions entrapercevoir des familles attablées autour d’un repas, des amis en train de festoyer, des groupes d’habitants partageant des histoires autour d’un verre de vin chaud, des marchands nocturnes déployant leurs échoppes ou même des prostitués en quête de clients.
Sous ce ciel constellé d’étoiles, les habitants des bas quartiers se mouvaient dans un ballet nocturne des plus mystérieux. Parfois, il m’arrivait de pouvoir capter, au gré de la lueur des lanternes, un regard, un visage, des lèvres appartenant à des personnes qui, même en cette heure tardive, vaquaient à leurs affaires dont la nature m’importait assez peu même si je n’étais pas naïve. Je me doutais que certains profiteraient de notre départ de ce quartier pour s’adonner à certaines pratiques répréhensibles, voire pires. C’était à la faveur de la nuit que les intrigants et les conspirateurs prenaient un malin plaisir à se réunir, à décider de la marche du monde et surtout à ordonner l’exécution de leur basse œuvre. Mais je n’en avais cure. Tant que le cité n’était pas en danger ou qu’aucun acte séditieux n’avait lieu sous les yeux de mes camarades ou de moi-même, n’avions pas à intervenir à moins que l’un des deux « nouveaux » janissaires n’éprouvassent le besoin de faire du zèle. J’espérais que non. Après tout, si nuit pouvait demeurer tranqui…
Des cris et vociférations composées notamment d’insultes et d’exclamations de colère fusèrent non loin de notre position. Tendant quelque peu l’oreille, je perçus très nettement le son distinctif de verres et de bouteilles se brisant ainsi que le bruit de plusieurs personnes qui « visiblement » se déplaçaient rapidement ou trébuchaient. En clair, tout indiquait qu’un véritable tumulte s’était soudainement déclenché dans ce qui était, à ne pas en douter, une auberge. Moi qui avais espéré que notre affectation de cette nuit serait dépourvue de toute forme de chambard… C’était raté. Et encore, j’étais loin de me douter de ce que j’allais rencontrer une fois sur place même si j’en avais une bonne idée. Aussi, prononçais-je ce simple mot d’un ton sec :
« Pressons.»
Non que j’eus une quelconque envie de le faire. Hélas ! J’avais un « devoir » à accomplir même si, en l’occurrence, nous ne risquions pas d’avoir à faire étalage de nos talents au nom du Reike. Nulle gloire ne jaillirait de ce qui allait probablement prendre la forme d’une escarmouche. C’était même plutôt l’inverse. Être la cible des quolibets n’était pas un problème. En revanche, se retrouver exposé à des jets de bouteille si ce n’est de nourriture ou de vaisselle et ce, en faisant face à des personnes peu ragoutantes et susceptibles de vider le contenu de leur estomac ou de leur entrailles sur mes bottes, en était un. Rien que d’y penser, je sentais déjà l’odeur méphitique de ces piliers de comptoir me monter au nez… J’imaginais sans peine le tableau qui allait se présenter en nous. Outre des chaises renversées, si tant est que l’auberge fût pleine, nous allions nous aventurer dans un endroit où une foule enragée se livrerait à ses plus bas instincts, et ce, car l’alcool lui était monté à la tête. Et encore, c’était sans compter sur la forte possibilité que cette plèbe ait démonté une partie du mobilier de la taverne pour se constituer des armes de fortune et ainsi s’adonner au chaos. L’on s’estimerait heureux si tout ce tintamarre n’occasionnait pas un mort voire deux…
Mais comment allions-nous gérer cela ? Je n’en savais strictement rien alors que j’arrivais, avec mes compagnons, devant la source de tout cet esclandre. Fut un temps, en tant que capitaine du Reike et possiblement instigatrice de ce genre d’évènements, j’aurais rallié à moi mes hommes, non sans faire preuve de facétie, pour mener une percée vers l’extérieur après avoir remis à leur place nos ennemis, et ce, dans l’optique d’échapper à la garde. Mais là…nous n’étions que trois et surtout…les rôles étaient inversés ! J’allais devoir complètement improviser ce qui me fît quelque peu grimacer. Non que cette situation me rendit anxieuse. En vérité, je craignais surtout les répercussions de ce grabuge si mes actes occasionnaient quelques menus dégâts. Je ne tenais absolument pas à devoir subir d’autres affectations de ce genre avant un très long moment si possible.
Hélas ! L’heure n’était plus aux tergiversations, mais bel et bien à l’action alors qu’un homme traversait littéralement la fenêtre de la taverne, brisant au passage ladite ouverture, pour finir par atterrir devant nous dans un bruit sourd non dénué de gémissements. Au moins, il était encore en vie. Restait plus qu’à espérer que ses homologues à l’intérieur de cet établissement miteux étaient dans un meilleur état que lui auquel cas je risquais d’en entendre parler encore longtemps. Sans une ni, deux, je poussais brusquement la porte de la vieille taverne qui grinça sur ses gonds et en franchit le seuil, flanquée par les deux autres janissaires. Malgré le fracas de notre arrivée, les occupants du lieu ne semblèrent guère concernés. Ils étaient même plutôt absorbés par leur querelle. Celle-ci n’était pas prêt de prendre fin si j’en croyais le brouhaha ambiant ainsi que le spectacle ô combien tumultueux qui se jouait juste devant mes yeux pour mon plus grand déplaisir.
Le tavernier qui avait remarqué notre présence nous jeta un regard désespéré qui en disait long sur la nature de ses sollicitations. Sa supplique consistait, sans nul doute, à ce que nous sauvions son établissement d’autres déprédations avant qu’il ne soit trop tard. Soupirant une nouvelle fois et maudissant en elfique le sergent responsable de ma présence dans ce sordide endroit, je m’avançais de quelques pas et m’éclaircissais la voix, et ce, dans l’optique de la solliciter d’une manière qui allait s’avérer des plus disgracieuses.
« SILEEEEEEEEEEEEEEEENCE ! » commandais-je d’une voix ferme afin d’éteindre ce tumulte alors que je montais sur le bar pour pleinement toiser la foule.
Par je ne sais quelle intervention divine, les clients ivres et les belligérants s’immobilisèrent et leurs regards hébétés croisèrent le mien. Visiblement, j’avais réussi mon coup…pour le moment. Ne restait plus qu’à mettre dans le rang cette populace et de couper court à toute velléité de résistance. Ce n’était pas gagné, mais j’avais une petite chance de parvenir à mes fins. Encore me fallait-il réussir à les convaincre ce qui étant donné mon collier d’esclave et leurs esprits embrumés par la bêtise et l’alcool, n’allait pas être une mince affaire. Mais après tout, n’avait-on pas coutume d’affirmer que la chance souriait aux audacieux ? Autant mettre cet adage à l’épreuve de la réalité. Je me pinçais le nez un court instant avant de reprendre la parole d’un ton péremptoire.
« Je me fiche de savoir ce qui se passe ici. Je me fiche de savoir qui sont les responsables. Mais, vous allez TOUS me faire le plaisir de foutre le camp de ce rade avant que ne me passe l’envie d’appeler le reste de la garde, de vous faire nettoyer ce merdier et de tous vous botter le cul tellement profondément qu’aucun de vous ne pourra s’asseoir pendant la semaine qu’il passera dans les geôles de la cité ! Vu ? »
Connaissant la faune qui peuplait ce genre d’établissements dans cette partie de la ville, je ne savais que trop bien que seul un discours similaire à ce qu’un vétéran pouvait tenir leur ferait de l’effet. J’étais même plutôt confiante dans le fait que cette démonstration aurait tôt fait de les convaincre du bienfondé de ma demande. Hélas ! C’était sans compter sur les quelques soudards qui eurent tôt fait, dans une bravade éthylique, d’ignorer mon autorité et de reprendre leur querelle qui allait, sous peu, s’étendre une nouvelle fois à toute la taverne et se métamorphoser en véritable mutinerie. M’apprêtant donc à les calmer une bonne fois pour toutes et à leur souligner que feindre l’indifférence face à cette notion d’ordre que j’incarnais était tout sauf une bonne idée, je n’eus même pas le temps de descendre du comptoir qu’un quidam dont l’identité m’échappa totalement sur le moment, visiblement indisposée par mes cris d’orfraie eut la bonne idée de saisir une table à deux mains et de la propulser dans les airs à l’aide de sa seule force. En temps normal, j’aurais sans nul doute évité un obstacle aussi visible et aussi massif.
Malheureusement, mon attention s’était tellement focalisée sur les baroudeurs du fond que je n’eus guère le temps de remarquer une ombre à proximité de mon visage avant que celle-ci ne s’écrasa violemment contre le meuble en question. Le choc fut tout simplement assourdissant. La table se brisa en quelques éclats alors que je perçus, dans un rare éclat de lucidité entrecoupé par un sentiment de douleur, que le sol se dérobait momentanément sous mes pieds avant d’entrer, à nouveau, en contact avec ce dernier dans un fracas tel qu’il résonna à travers toute la taverne dont les clients étaient ébaubis suite à une telle prouesse aussi incongrue avant de retourner à cette altercation qui grâce aux actions d’un seul homme allait devenir mémorable et gagner en intensité…
Mais sur le moment, je n’en avais cure tant, si l’on exceptait la douleur et le fait que j’étais couchée au sol non loin du tavernier, j’étais étourdie. J’étais, pour le moment, bien en peine de comprendre ce qui m’avait frappé, ce qui m’entourait et surtout la raison de ma présence ici. J’avais mal et j’avais de rester coucher et de m’endormir. Ni plus ni moins. Le reste était secondaire.
Citoyen du Reike
Tulkas
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Info personnage
Race: Humain
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal mauvais
Rang: B
- Quelle tristesse.
Il se souvenait encore de cette douleur qui lançait dans sa mâchoire, remontait jusqu’à sa tempe et faisait siffler ses oreilles. Les doigts se refermaient dans le sable gorgé de sang alors qu’il tentait désespérément de se cacher des jets de pierres et de fruits pourris que lui lançaient le public. La huée, la risée, la honte et la déchéance. Il avait échoué à son devoir, envers son maître Sau’inn, envers son laniste, envers sa schola. Il n’était plus rien, rien de plus qu’un enfant qui tentait de trouver un quelconque refuge loin de la haine et du mépris du public. Ses cheveux crasseux, coagulés par le sang et ses muscles fourbus et endoloris, tombaient en cascade devant ses yeux.
Rien de plus qu’une pauvre merde, rien de plus qu’un sac de viande et de sang qu’on jetais dans la gueule de l’arène pour nourrir les appétits les plus violents d’un peuple lassé par une paix trop durable. Un sac de viande qui valait à peine le coût du gruaux épais qu’on lui servait tous les matins, mélasse immonde de pois, haricots et d’orge. Avec pour seule viande le goût du sang de ses lèvres qu’il bouffait pour taire son angoisse avant d’à nouveau plonger dans la gueule de l’arène de Taisen.
Pour n’en être arraché que par les serviles qui tiraient son corps inconscient à l’ombre de l’ire de la foule. Le moindre bruit, le moindre cri de colère de la foule, le tambour d’une infinité de bottes qui martèlent les gradins dans un unisson chaotique, résonnait dans sa tête, comme amplifié par un porte-voix de cuivre dans lequel hurlait une voix féminine. Qui dans d’autres circonstances aurait pu être agréable à entendre, charmante même, mais qui ici rugissait avec autorité, colère et mépris. Le gladiateur tentait d’articuler quelque chose, ne parvenant à formuler qu’un grognement guttural sans réelle structure, un vulgaire gargouillement digne d’un enfant qui venais de boire trop de lait, sans spasmes, sans douleur, l’estomac rejetant simplement et poliment, à défaut de proprement, son contenu en signe de protestation envers son propriétaire.
Cependant, ce liquide dégoutant n’avait guère la consistance à laquelle on aurait pu s’attendre, pas de gruaux étranges ou de couleur ocre et verdâtre, non, simplement du liquide bileux dont l’acidité semblait lui ronger l’intérieur de la bouche. Puis, c’est dans un éclair de douleur que le corps se réveille et que l’illusion s’estompe, le diaphragme se contracte brutalement, les côtes écrasent les poumons pour en chasser l’air avec force, irritant sa trachée au passage pour en chasser une intruse soudaine. Comme si son système respiratoire, mû par sa propre volonté, prenait fort ombrage de l’intrusion soudaine dans son domaine. Mais le corps est bien fait, il lui suffit parfois d’une vidange, qui tâche la barbe et le kaftan, pour retrouver un pied dans la réalité. Et même si cette dernière s’avérait encore plus bruyante et chaotique que celle fantasmée quelques instants auparavant, elle lui semblait bien moins hostile.
Néanmoins, quelque chose lui échappait. Pourquoi est-ce qu’il reculait alors qu’il voyait la pointe de ses bottes dans son champ de vision ? Qu’était cette tension étrange sous ses aisselles, comme si huit bâtonnets de chair étaient plantés dedans et deux pointes ancrées dans ses épaules. Il s’autorisa un regard vers son buste, pour y trouver son manteau rouge et noir imbibé d’un mélange horrible d’alcool et de bile, qui ne manqua pas de lui arracher un haut le cœur, gonflant ses joues dans un élan dégoutant avant qu’il ne s’échappe de la prise pour rouler sur les coudes et lâcher à nouveau un bruit dégoutant, mais sans vomir s’il vous plaît, avant d’à nouveau éructer, mais de façon plus violente et colérique cette fois.
La main gauche s’éleva, fouillant un peu dans le vide avant de trouver une surface de bois. D’une pression de la paume, d’un léger mouvemente de droite à gauche, il détermine sans trop de peine que l’objet résistera à son poids et, difficilement, le Luteni se redresse. Se hissant d’abord sur un genou, puis sur l’autre avant de balayer ses cheveux en arrière pour retrouver un peu de sa vision. Sonné, l’homme reste quelques instants à retrouver le fil des événements. Il a mal à la mâchoire, sauf qu’il sait qu’il n’est pas du genre à se faire mal pour se faire du bien, du coup, quelqu’un l’a cogné et n’y est pas allé de main morte. Pourquoi ? Bah aucune idée, en vérité. Il reste assis sur ses mollets en regardant la scène qui se déroule devant lui avec un petit air incrédule, le temps devenu une étrange mélasse dans laquelle tous les acteurs de cette pièce de théâtre se déplacent au ralenti.
D’abord, ce petit bout de femme blonde, toute fine et toute gracieuse… Pourtant, c’est une colère sincère qu’il peut lire sur son visage. Il la connait, mais d’où ? Puis, cet autre homme, gras et ventripotent, qui semble avoir pris lui aussi un impact violent à en juger la rougeur sur sa mâchoire et les mains qui pressent contre sa graisse. Les lèvres tendues dans un cercle pulpeux, les sourcils froncés et les paupières closes, comme s’il tentait de récupérer son souffle ou exprimait sa douleur sans la moindre pudeur. Les hommes de Kyouji étaient vraiment trop proches de la république pour se permettre ce genre d’écarts aux bonnes mœurs du Reike.
Bonne mœurs du Reike, enfin, n’était-ce pas lui le Luteni mort ivre, au vêtement poisseux qui pue l’alcool, la magi fumée et la bile ? Tu parles d’un soldat d’élite, pensait-il. Le regard se détourne cependant sur les autres participants à ce joli spectacle de violence et de beauferies. Certains de ses participants avaient tous les atours des petites racailles des bas-fonds, de l’ivraie des parias. Quelques-uns suintaient d’une brutalité bête et méchante, d’autres suintaient eux d’une bête et méchante brutalité. Les plus massifs, presque simiesques aux yeux de l’homme raffiné qu’était le Luteni – et ce malgré sa détermination à faire mentir une vie de luxe – semblaient prêts à en découdre avec le premier imbécile venu qui oserait leurs faire l’affront d’un regard perplexe. Les autres, plus malingres et fourbes, s’agglutinaient en petits groupes, formant de véritables rois-des-rats métaphoriques alors qu’ils puisaient leurs forces dans l’un et dans l’autre. Puis, il y avait les petites gens, des parias et des civils qui vivaient en marge de la société et qui semblaient décidés à se tenir en marge de l’ambiance électrique qui grondait pour une raison qu’il ignorait.
Et de l’autre côté de la salle, une petite troupe d’hommes d’armes, à en juger les atours, des janissaires. La lie du Reike, réduite à l’esclavage militaire afin de payer leurs dettes à cette grande nation. Ou pour la plupart, d’anciens adversaires convertis de force à la cause de l’Empire du Dragon. Des esclaves, comme lui, qui ne connaissaient que servitude. L’espace d’un instant, en observant l’un des gardes, il se demandait si ces derniers souffraient des mêmes démons que lui. Est-ce qu’eux aussi, une fois libérés de cet endoctrinement, seraient rongés par les affres d’une vie entière à n’être qu’un outil, un vulgaire sac de viande et de sang ?
Est-ce qu’ils craignent la liberté ? Ou au contraire, est-ce qu’ils la désirent ? En sont-ils seulement capables ? Car bien que les janissaires et les Edeb soient tout deux des castes serviles, le processus n’était pas le même. Il était né esclave, eux, non. Et c’est sans doute sur cette lancée de pensées que le Luteni se serait attardé s’il n’avait pas été attiré par le cri strident du chef de l’escouade. Une elfe, pas trop grande, pas trop petite pour sa race comparée à son homologue. Au corps bien plus harmonieux et plantureux, mais dont émanait une espèce de rigidité martiale et… Presque un dépit constant, ou une forme de dégout qu’il avait du mal à saisir. Ses grands sourcils dépassant de sa capuche, et ce grand arc qu’elle maniait trahissaient sa profession, archère. Elle avait un air d’autorité certain, et le cri strident qui fit vibrer ses tympans ne fit que confirmer ses suspicions. C’était elle qui dirigeait l’escouade.
Grondant en se redressant et décidant d’enlever son manteau de laine, cette foutue masse de laine spongieuse qui puait la bière et les dieux seuls savent quoi d’autre, Tulkas se redressa pour faire face à la petite Elfe qu’il dévisagea tout un instant. Perplexe, tentant de retrouver son prénom. Il plissait le regard, elle répondit quelque chose qu’il n’entendit pas. Des souvenirs atroces grimpant le long de sa moëlle épinière, réveillant bien trop de cauchemars sur son passage qui hérissait ses poils. Les yeux clos, il inspira avant d’enfin parler avec une certaine clarté dans la voix.
- Ellana, bons-
Avant que les réflexes ne reprennent le dessus, les cadors et autres brutes qui venaient de trembler face à l’autorité naturelle de l’autre Elfe retrouvèrent enfin leurs courages et se rallièrent à la bannière d’un colosse de près de deux mètres de haut, tout en muscles et en balafres qui empoigna à lui seul une grande table et l’envoya vers les janissaires dans un grand geste. Hurlant quelque chose qui devait tenir du :
- Ta gueule pétasse !
Ou quelque chose du genre, pour être franc le Luteni s’était surtout focalisé sur la masse de bois qui se dirigeait vers la nuque de sa camarade, la petite recrue des Serres, que sur la forme du message de l’homoncule de muscles qui semblait ne pas apprécier les qualités féminines de celle avec qui il partirait, quelques semaines plus tard, dans les montagnes du grand nord.
Attrapant la petite boule de nerfs – Enfin petite quand on la compare avec le Luteni bien entendu – pour lui éviter un impact fort désagréable à l’arrière de la tête, il lui rend enfin la pareille. C’était elle qui l’avait aidé, du moins, il en était persuadé. Après tout, les Serres se serrent les coudes. Et Tulkas en avait déjà bien trop gros sur la patate d’avoir perdu un frère d’armes, même si ce dernier n’avait été en fin de compte qu’un clone imparfait du plus imparfait des dévoreurs.
- Mes excuses.
Avait-il lancé presque par automatisme en posant ses mains sur les épaules d’Ellana pour l’écarter du danger. Il avais été à la bonne école et ce n’étaient surement pas quelques verres, enfin non, quelques bouteilles qui allaient lui retirer ses convictions les plus profondes. Celles d’être poli avec la gent féminine, enfin, c’est l’image qu’il renvoyait de lui-même pour qu’on ne l’embête pas trop sur ses convictions et ses déboires.
C’est longtemps qu’il aurait pu suivre ce courant de pensée si le monde avait eu la politesse de s’arrêter de tourner pour son monologue interne. Il était certain que l’ancien gladiateur avait beaucoup de choses à affronter et à dompter en lui-même avant de devenir l’homme qu’il désirait vraiment être. Mais cependant, la masse de bois volante qui passait au-dessus d’eux avait un petit je-ne-sais-quoi de plus captivant que toute diatribe sur ses états d’âme. Principalement parce-que le malabar venait de faire mouche, renversant comme des quilles bien alignées les janissaires qui venaient de tenter de faire régner un peu plus l’ordre dans la pièce. Et ça, c’était hors de question.
Non pas motivé par une fureur chevaleresque à l’idée de voir une femme si bien foutue manger une table en pleine face, mais bel et bien par la colère de voir des frères d’armes être insultés par des civils, Tulkas se redressa en vociférant.
- Eh oh ! Connard consanguin ! Ça va p-
Et de se faire envoyer une chaise à la gueule, dont il se protégea en levant les avant-bras devant son visage. S’ébrouant un instant, le Luteni se para d’un sourire.
- Oh putain. Vous allez regretter d’m’avoir croisé vous.
Les camps semblaient se dessiner, d’un côté les deux Serres avec les janissaires, de l’autre, une taverne remplie de malabars prêts à en découdre. Enfin, rien de tel qu’une bonne bagarre pour chasser ses soucis.
Il se souvenait encore de cette douleur qui lançait dans sa mâchoire, remontait jusqu’à sa tempe et faisait siffler ses oreilles. Les doigts se refermaient dans le sable gorgé de sang alors qu’il tentait désespérément de se cacher des jets de pierres et de fruits pourris que lui lançaient le public. La huée, la risée, la honte et la déchéance. Il avait échoué à son devoir, envers son maître Sau’inn, envers son laniste, envers sa schola. Il n’était plus rien, rien de plus qu’un enfant qui tentait de trouver un quelconque refuge loin de la haine et du mépris du public. Ses cheveux crasseux, coagulés par le sang et ses muscles fourbus et endoloris, tombaient en cascade devant ses yeux.
Rien de plus qu’une pauvre merde, rien de plus qu’un sac de viande et de sang qu’on jetais dans la gueule de l’arène pour nourrir les appétits les plus violents d’un peuple lassé par une paix trop durable. Un sac de viande qui valait à peine le coût du gruaux épais qu’on lui servait tous les matins, mélasse immonde de pois, haricots et d’orge. Avec pour seule viande le goût du sang de ses lèvres qu’il bouffait pour taire son angoisse avant d’à nouveau plonger dans la gueule de l’arène de Taisen.
Pour n’en être arraché que par les serviles qui tiraient son corps inconscient à l’ombre de l’ire de la foule. Le moindre bruit, le moindre cri de colère de la foule, le tambour d’une infinité de bottes qui martèlent les gradins dans un unisson chaotique, résonnait dans sa tête, comme amplifié par un porte-voix de cuivre dans lequel hurlait une voix féminine. Qui dans d’autres circonstances aurait pu être agréable à entendre, charmante même, mais qui ici rugissait avec autorité, colère et mépris. Le gladiateur tentait d’articuler quelque chose, ne parvenant à formuler qu’un grognement guttural sans réelle structure, un vulgaire gargouillement digne d’un enfant qui venais de boire trop de lait, sans spasmes, sans douleur, l’estomac rejetant simplement et poliment, à défaut de proprement, son contenu en signe de protestation envers son propriétaire.
Cependant, ce liquide dégoutant n’avait guère la consistance à laquelle on aurait pu s’attendre, pas de gruaux étranges ou de couleur ocre et verdâtre, non, simplement du liquide bileux dont l’acidité semblait lui ronger l’intérieur de la bouche. Puis, c’est dans un éclair de douleur que le corps se réveille et que l’illusion s’estompe, le diaphragme se contracte brutalement, les côtes écrasent les poumons pour en chasser l’air avec force, irritant sa trachée au passage pour en chasser une intruse soudaine. Comme si son système respiratoire, mû par sa propre volonté, prenait fort ombrage de l’intrusion soudaine dans son domaine. Mais le corps est bien fait, il lui suffit parfois d’une vidange, qui tâche la barbe et le kaftan, pour retrouver un pied dans la réalité. Et même si cette dernière s’avérait encore plus bruyante et chaotique que celle fantasmée quelques instants auparavant, elle lui semblait bien moins hostile.
Néanmoins, quelque chose lui échappait. Pourquoi est-ce qu’il reculait alors qu’il voyait la pointe de ses bottes dans son champ de vision ? Qu’était cette tension étrange sous ses aisselles, comme si huit bâtonnets de chair étaient plantés dedans et deux pointes ancrées dans ses épaules. Il s’autorisa un regard vers son buste, pour y trouver son manteau rouge et noir imbibé d’un mélange horrible d’alcool et de bile, qui ne manqua pas de lui arracher un haut le cœur, gonflant ses joues dans un élan dégoutant avant qu’il ne s’échappe de la prise pour rouler sur les coudes et lâcher à nouveau un bruit dégoutant, mais sans vomir s’il vous plaît, avant d’à nouveau éructer, mais de façon plus violente et colérique cette fois.
La main gauche s’éleva, fouillant un peu dans le vide avant de trouver une surface de bois. D’une pression de la paume, d’un léger mouvemente de droite à gauche, il détermine sans trop de peine que l’objet résistera à son poids et, difficilement, le Luteni se redresse. Se hissant d’abord sur un genou, puis sur l’autre avant de balayer ses cheveux en arrière pour retrouver un peu de sa vision. Sonné, l’homme reste quelques instants à retrouver le fil des événements. Il a mal à la mâchoire, sauf qu’il sait qu’il n’est pas du genre à se faire mal pour se faire du bien, du coup, quelqu’un l’a cogné et n’y est pas allé de main morte. Pourquoi ? Bah aucune idée, en vérité. Il reste assis sur ses mollets en regardant la scène qui se déroule devant lui avec un petit air incrédule, le temps devenu une étrange mélasse dans laquelle tous les acteurs de cette pièce de théâtre se déplacent au ralenti.
D’abord, ce petit bout de femme blonde, toute fine et toute gracieuse… Pourtant, c’est une colère sincère qu’il peut lire sur son visage. Il la connait, mais d’où ? Puis, cet autre homme, gras et ventripotent, qui semble avoir pris lui aussi un impact violent à en juger la rougeur sur sa mâchoire et les mains qui pressent contre sa graisse. Les lèvres tendues dans un cercle pulpeux, les sourcils froncés et les paupières closes, comme s’il tentait de récupérer son souffle ou exprimait sa douleur sans la moindre pudeur. Les hommes de Kyouji étaient vraiment trop proches de la république pour se permettre ce genre d’écarts aux bonnes mœurs du Reike.
Bonne mœurs du Reike, enfin, n’était-ce pas lui le Luteni mort ivre, au vêtement poisseux qui pue l’alcool, la magi fumée et la bile ? Tu parles d’un soldat d’élite, pensait-il. Le regard se détourne cependant sur les autres participants à ce joli spectacle de violence et de beauferies. Certains de ses participants avaient tous les atours des petites racailles des bas-fonds, de l’ivraie des parias. Quelques-uns suintaient d’une brutalité bête et méchante, d’autres suintaient eux d’une bête et méchante brutalité. Les plus massifs, presque simiesques aux yeux de l’homme raffiné qu’était le Luteni – et ce malgré sa détermination à faire mentir une vie de luxe – semblaient prêts à en découdre avec le premier imbécile venu qui oserait leurs faire l’affront d’un regard perplexe. Les autres, plus malingres et fourbes, s’agglutinaient en petits groupes, formant de véritables rois-des-rats métaphoriques alors qu’ils puisaient leurs forces dans l’un et dans l’autre. Puis, il y avait les petites gens, des parias et des civils qui vivaient en marge de la société et qui semblaient décidés à se tenir en marge de l’ambiance électrique qui grondait pour une raison qu’il ignorait.
Et de l’autre côté de la salle, une petite troupe d’hommes d’armes, à en juger les atours, des janissaires. La lie du Reike, réduite à l’esclavage militaire afin de payer leurs dettes à cette grande nation. Ou pour la plupart, d’anciens adversaires convertis de force à la cause de l’Empire du Dragon. Des esclaves, comme lui, qui ne connaissaient que servitude. L’espace d’un instant, en observant l’un des gardes, il se demandait si ces derniers souffraient des mêmes démons que lui. Est-ce qu’eux aussi, une fois libérés de cet endoctrinement, seraient rongés par les affres d’une vie entière à n’être qu’un outil, un vulgaire sac de viande et de sang ?
Est-ce qu’ils craignent la liberté ? Ou au contraire, est-ce qu’ils la désirent ? En sont-ils seulement capables ? Car bien que les janissaires et les Edeb soient tout deux des castes serviles, le processus n’était pas le même. Il était né esclave, eux, non. Et c’est sans doute sur cette lancée de pensées que le Luteni se serait attardé s’il n’avait pas été attiré par le cri strident du chef de l’escouade. Une elfe, pas trop grande, pas trop petite pour sa race comparée à son homologue. Au corps bien plus harmonieux et plantureux, mais dont émanait une espèce de rigidité martiale et… Presque un dépit constant, ou une forme de dégout qu’il avait du mal à saisir. Ses grands sourcils dépassant de sa capuche, et ce grand arc qu’elle maniait trahissaient sa profession, archère. Elle avait un air d’autorité certain, et le cri strident qui fit vibrer ses tympans ne fit que confirmer ses suspicions. C’était elle qui dirigeait l’escouade.
Grondant en se redressant et décidant d’enlever son manteau de laine, cette foutue masse de laine spongieuse qui puait la bière et les dieux seuls savent quoi d’autre, Tulkas se redressa pour faire face à la petite Elfe qu’il dévisagea tout un instant. Perplexe, tentant de retrouver son prénom. Il plissait le regard, elle répondit quelque chose qu’il n’entendit pas. Des souvenirs atroces grimpant le long de sa moëlle épinière, réveillant bien trop de cauchemars sur son passage qui hérissait ses poils. Les yeux clos, il inspira avant d’enfin parler avec une certaine clarté dans la voix.
- Ellana, bons-
Avant que les réflexes ne reprennent le dessus, les cadors et autres brutes qui venaient de trembler face à l’autorité naturelle de l’autre Elfe retrouvèrent enfin leurs courages et se rallièrent à la bannière d’un colosse de près de deux mètres de haut, tout en muscles et en balafres qui empoigna à lui seul une grande table et l’envoya vers les janissaires dans un grand geste. Hurlant quelque chose qui devait tenir du :
- Ta gueule pétasse !
Ou quelque chose du genre, pour être franc le Luteni s’était surtout focalisé sur la masse de bois qui se dirigeait vers la nuque de sa camarade, la petite recrue des Serres, que sur la forme du message de l’homoncule de muscles qui semblait ne pas apprécier les qualités féminines de celle avec qui il partirait, quelques semaines plus tard, dans les montagnes du grand nord.
Attrapant la petite boule de nerfs – Enfin petite quand on la compare avec le Luteni bien entendu – pour lui éviter un impact fort désagréable à l’arrière de la tête, il lui rend enfin la pareille. C’était elle qui l’avait aidé, du moins, il en était persuadé. Après tout, les Serres se serrent les coudes. Et Tulkas en avait déjà bien trop gros sur la patate d’avoir perdu un frère d’armes, même si ce dernier n’avait été en fin de compte qu’un clone imparfait du plus imparfait des dévoreurs.
- Mes excuses.
Avait-il lancé presque par automatisme en posant ses mains sur les épaules d’Ellana pour l’écarter du danger. Il avais été à la bonne école et ce n’étaient surement pas quelques verres, enfin non, quelques bouteilles qui allaient lui retirer ses convictions les plus profondes. Celles d’être poli avec la gent féminine, enfin, c’est l’image qu’il renvoyait de lui-même pour qu’on ne l’embête pas trop sur ses convictions et ses déboires.
C’est longtemps qu’il aurait pu suivre ce courant de pensée si le monde avait eu la politesse de s’arrêter de tourner pour son monologue interne. Il était certain que l’ancien gladiateur avait beaucoup de choses à affronter et à dompter en lui-même avant de devenir l’homme qu’il désirait vraiment être. Mais cependant, la masse de bois volante qui passait au-dessus d’eux avait un petit je-ne-sais-quoi de plus captivant que toute diatribe sur ses états d’âme. Principalement parce-que le malabar venait de faire mouche, renversant comme des quilles bien alignées les janissaires qui venaient de tenter de faire régner un peu plus l’ordre dans la pièce. Et ça, c’était hors de question.
Non pas motivé par une fureur chevaleresque à l’idée de voir une femme si bien foutue manger une table en pleine face, mais bel et bien par la colère de voir des frères d’armes être insultés par des civils, Tulkas se redressa en vociférant.
- Eh oh ! Connard consanguin ! Ça va p-
Et de se faire envoyer une chaise à la gueule, dont il se protégea en levant les avant-bras devant son visage. S’ébrouant un instant, le Luteni se para d’un sourire.
- Oh putain. Vous allez regretter d’m’avoir croisé vous.
Les camps semblaient se dessiner, d’un côté les deux Serres avec les janissaires, de l’autre, une taverne remplie de malabars prêts à en découdre. Enfin, rien de tel qu’une bonne bagarre pour chasser ses soucis.
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