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- Bienvenue dans la lecture du RP Solo de Zelevas. Je comptais le publier post par post au rythme d'un post tout les deux à trois jours pour en faciliter la lecture aux membres intéressés, mais au vu de la soudaine accélération de rythme pour la politique républicaine je préfère plutôt publier le RP le plus vite possible pour pouvoir le passer en validation au plus tôt et sécuriser sa cannonisation le plus rapidement possible. Je posterai donc tout le RP d'un coup, en mettant seulement le premier post en lisible et le reste en hide, et je débloquerai chaque post en clair au fur et à mesure en les éditant progressivement. Je vous souhaite à tous une bonne lecture.
”Vieillir ça ne te va pas jeune homme. Tu deviens difficile avec l’âge, tu devrais faire attention ou tu vas filer un mauvais coton, c’est pas bon pour les politiciens de faire ça. Oh non.”
Le plateau en argent fait un bruit mat en se posant contre la table en marbre beige, les ménisques des verres de thé oscillent en venant à l’arrêt, et Séléna saisit délicatement chaque tasse pour les déposer sur des petits napperons brodés afin d’éviter les taches. Elles sont encore fumantes, sortant tout juste de la théière, une douce odeur monte depuis les infusions pour parfumer les narines des deux personnes présentes. Zelevas d’Élusie Fraternitas tends une main fatiguée vers l’anse de la tasse qui lui est présentée, puis la soulève à hauteur de nez et profite de la fragrance familière en fermant les yeux. Bergamotte. Figue. Ses traits se froncent, forçant de petites inspirations pour deviner la dernière pointe fruitée qu’il relève mais ne parvient pas à nommer.
”Coing.”
Ses paupières se rouvrent et il porte ses iris bleus acier sur la vieille femme, elle est debout, devant la table d’extérieure à laquelle il est assis, à le regarder avec cet air de tendresse particulier, presque embarrassant. Son uniforme de domestique rapiécé contraste bien avec ceux impeccables du reste des servants du domaine Fraternitas, chaque anicroche, chaque déchirure ou simple fatigue du tissus est troquée en faveur d’un habit neuf mais dans le cas de l’intendante du Manoir, il y a bon nombre de règles qui ne s’appliquent tout bonnement pas, ou plus. Ses traits ont un peu changé depuis la dernière visite du Sénateur, elle a perdu un peu de poids et se fait plus maigre, ses traits sont maintenant acerbes et sa peau fait relief avec les angles abruptes de son ossature. Les cheveux grisonnants de Séléna Meillers descendent en anglaises incurvées sur ses tempes, encadrant ses yeux noisettes dont l’éclat intarissable est la seule note invariable de son apparence dans les souvenirs de Zelevas, quels qu’en soit la temporalité. Ces yeux vifs qui scrutent les moindres recoins de l’immense propriété familiale des Fraternitas depuis plus longtemps que Zelevas n’est en vie, ont toujours été animés de cette lumière maligne, comme si la domestique savait quelque chose que ses maîtres ignoraient. Quand il était bien plus jeune et qu’il venait tout juste de commencer à fréquenter la Famille, le jeune d’Élusie avait vu ces prunelles pour la première fois sur le visage d’une fraîche adulte, tonique et débordante d’énergie mais qui à l’époque, se contenter de répondre quand on lui parlait, et de faire ce qu’on lui demandait. Aujourd’hui, les deux perles noisettes trônaient au milieu d’une peau foncée par le soleil, tachée par la mélanome et ridée par les années, mais ce n’étaient pas les rides du temps qui auraient eu la moindre chance de calmer cette langue bien pendue et sa répartie aigre-douce. La vieille dame faisait désormais partie de l’héritage Fraternitas, bichonnée comme une ancienne de la famille tant par les maîtres des lieux que par le reste du personnel. Elle continue d’appeler tout le monde jeune homme ou jeune fille, qu’importe la différence d’âge avec son interlocuteur si tant est qu’il ou elle soit plus jeune que l’intendante, c’est ce genre de petites marques de personnalité qui la démarquait vraiment parmi les domestiques du manoir et qui contribuaient à sa popularité au sein de la maison. Zelevas lui adresse un sourire qui fait plier ses pattes d’oies, un sourire sincère jaillissant de la nostalgie qu’il ressent en se faisant une fois de plus servir le thé à sa venue ici par la même vieille femme inébranlable.
”Coing. C’est mon odorat qui devient difficile je crois, ma mécanique défaille.”
”Oh s’il te plaît, tu pourras te plaindre quand tu auras mon âge jeune homme, tu es pimpant comme un sou neuf.”
Madame Meillers s’assied en face de Zelevas en repliant sa jupe sous ses cuisses, enroulant ses doigts rêches et râpeux autour d’une des tasses dont elle semble ignorer la chaleur. Sa physionomie avenante dévoile ses dents restantes, toujours plus nombreuse que les trous, et ses pommettes remontent sous son sourire. Le Sénateur ricane un petit coup, amusé par l’insistance de l’ainée à s’afficher comme une antiquité, en fin de compte à leur tranche d’âge on ne compte plus vraiment les années qui passent. Il boit une gorgée du thé floral, savourant l’écoulement du liquide chaud dans sa bouche et l’inévitable sensation de brûlure qui lui prends la gorge en ne l’ayant pas laissé refroidir avant, mais qu’est-ce qu’il y peut, le goût est aussi irrésistible que le parfum.
”Ça me fait plaisir de te revoir ma petite pinzée de Zel.”
”-Séléna!” s'esclaffe le Sénateur en reposant la tasse.
”Bah enfin!” Elle prends une mine faussement choquée, laissant son bras ballant frapper doucement la table avec cette malice propre aux ainés. ”J’ai quand même bien le droit de le dire non? Tu vas me faire un chichi pour ça? Alors que ça fait huit mois que tu n’es pas passé à la maison, même pas une lettre pour me dire bonjour penses-tu. Moh là non. Aller je te taquines je sais que tu es très occupé en ce moment.”
Elle est toujours comme ça, quelque part c’est rassurant de voir ce monolithe traverser les époques et rester elle-même, il y avait quelque chose de réconfortant à se dire que qu’importe ce qu’il se passait dans le monde, de la révolte au Reike, à la disparition de Shoumeï en passant par la guerre contre l’annihilation totale, on pouvait toujours revenir ici et savourer ce personnage devant une tasse de thé. Le sourire que Zelevas avait arboré tantôt ne quitte toujours pas ses lèvres tandis que les souvenirs remontent à la surface, la pinzée de Zel, jadis elle ne l’appelait que comme ça quand il n’y avait personne autour, mais ça le faisait toujours rire. Lui qui avait toujours été obnubilé par sa propre éducation pour conserver une apparence la plus juste et rigoureuse possible, il adorait cette fenêtre dans un autre monde que représentait pour lui Séléna, une bonne éducation, un milieu d’étiquette exigeante, et pourtant un comportement qui bafouait les règles quand tout le monde avait le dos tourné. Quelque part, il est amusé par le parallèle avec son propre parcours. Il souffle un peu sur sa tasse, la dépose pour la laisser décanter et reporte ses yeux sur le magnifique jardin du domaine, un paysage bien plus organique que le style usité en République, où les par terre de fleurs sont libres de pousser ça et là et les regroupements de bosquets, de buissons et d’arbrisseau donnent au tout un aspect sauvage et naturel rafraîchissant. La beauté du jeune printemps. La dernière remarque de Meillers l’invite à se justifier sur son éloignement récent et il lui doit bien une explication.
”Occupé oui. J’ai abattu plus de travail cette dernière année que jamais dans ma vie. Heh, j’ai l’impression de courir partout tout le temps. Quand je ne réponds pas à mes obligations sénatoriales, je file à un comptoir de la Societas pour rattraper la paperasse en retard, et quand j’ai fini…” Il souffle un long moment, mais pas sur son thé cette fois. ”Je gère les avancées de mon parti et je prépare mes propres plans.”
”Et bah c’est bien, ça tu vois, c’est la marque des grands hommes mon petit Zel, une légende ça oublie l’homme derrière l’histoire alors ceux qui veulent laisser la leur, ils doivent s’oublier aussi, si tu te dépasses comme ça je suis sure que tu arriveras à faire ce que tu veux. Courage jeune homme.”
Le sourire que le Sénateur lui retourne est cette fois à moitié feint, teinté par les convictions qui l’habite si contraires à celles de la maison dans laquelle il se trouve, mais il n’y a nul besoin de causer de peine à la vieille dame en remuant le couteau dans la plaie, s’il vient ici moins souvent, c’est aussi et surtout à cause des différents politiques grandissant entre lui et Junior. La réalité, c’est qu’il n’était plus vraiment la bienvenue au sein des Fraternitas. On en est là. Ils continuent à siroter leur boisson, discutant pendant un petit quart d’heure au soleil, rattrapant les nouvelles et les ragots de la maison auxquels Zelevas fait mine de s’intéresser simplement pour faire plaisir à la vieille femme. Lorsque la conversation vire sur les maîtres de Maison, le regard de Séléna se plonge dans les reflets de son thé et semblent se perdre dans sa tasse.
”Quelque chose ne va pas?”
Le plateau en argent fait un bruit mat en se posant contre la table en marbre beige, les ménisques des verres de thé oscillent en venant à l’arrêt, et Séléna saisit délicatement chaque tasse pour les déposer sur des petits napperons brodés afin d’éviter les taches. Elles sont encore fumantes, sortant tout juste de la théière, une douce odeur monte depuis les infusions pour parfumer les narines des deux personnes présentes. Zelevas d’Élusie Fraternitas tends une main fatiguée vers l’anse de la tasse qui lui est présentée, puis la soulève à hauteur de nez et profite de la fragrance familière en fermant les yeux. Bergamotte. Figue. Ses traits se froncent, forçant de petites inspirations pour deviner la dernière pointe fruitée qu’il relève mais ne parvient pas à nommer.
”Coing.”
Ses paupières se rouvrent et il porte ses iris bleus acier sur la vieille femme, elle est debout, devant la table d’extérieure à laquelle il est assis, à le regarder avec cet air de tendresse particulier, presque embarrassant. Son uniforme de domestique rapiécé contraste bien avec ceux impeccables du reste des servants du domaine Fraternitas, chaque anicroche, chaque déchirure ou simple fatigue du tissus est troquée en faveur d’un habit neuf mais dans le cas de l’intendante du Manoir, il y a bon nombre de règles qui ne s’appliquent tout bonnement pas, ou plus. Ses traits ont un peu changé depuis la dernière visite du Sénateur, elle a perdu un peu de poids et se fait plus maigre, ses traits sont maintenant acerbes et sa peau fait relief avec les angles abruptes de son ossature. Les cheveux grisonnants de Séléna Meillers descendent en anglaises incurvées sur ses tempes, encadrant ses yeux noisettes dont l’éclat intarissable est la seule note invariable de son apparence dans les souvenirs de Zelevas, quels qu’en soit la temporalité. Ces yeux vifs qui scrutent les moindres recoins de l’immense propriété familiale des Fraternitas depuis plus longtemps que Zelevas n’est en vie, ont toujours été animés de cette lumière maligne, comme si la domestique savait quelque chose que ses maîtres ignoraient. Quand il était bien plus jeune et qu’il venait tout juste de commencer à fréquenter la Famille, le jeune d’Élusie avait vu ces prunelles pour la première fois sur le visage d’une fraîche adulte, tonique et débordante d’énergie mais qui à l’époque, se contenter de répondre quand on lui parlait, et de faire ce qu’on lui demandait. Aujourd’hui, les deux perles noisettes trônaient au milieu d’une peau foncée par le soleil, tachée par la mélanome et ridée par les années, mais ce n’étaient pas les rides du temps qui auraient eu la moindre chance de calmer cette langue bien pendue et sa répartie aigre-douce. La vieille dame faisait désormais partie de l’héritage Fraternitas, bichonnée comme une ancienne de la famille tant par les maîtres des lieux que par le reste du personnel. Elle continue d’appeler tout le monde jeune homme ou jeune fille, qu’importe la différence d’âge avec son interlocuteur si tant est qu’il ou elle soit plus jeune que l’intendante, c’est ce genre de petites marques de personnalité qui la démarquait vraiment parmi les domestiques du manoir et qui contribuaient à sa popularité au sein de la maison. Zelevas lui adresse un sourire qui fait plier ses pattes d’oies, un sourire sincère jaillissant de la nostalgie qu’il ressent en se faisant une fois de plus servir le thé à sa venue ici par la même vieille femme inébranlable.
”Coing. C’est mon odorat qui devient difficile je crois, ma mécanique défaille.”
”Oh s’il te plaît, tu pourras te plaindre quand tu auras mon âge jeune homme, tu es pimpant comme un sou neuf.”
Madame Meillers s’assied en face de Zelevas en repliant sa jupe sous ses cuisses, enroulant ses doigts rêches et râpeux autour d’une des tasses dont elle semble ignorer la chaleur. Sa physionomie avenante dévoile ses dents restantes, toujours plus nombreuse que les trous, et ses pommettes remontent sous son sourire. Le Sénateur ricane un petit coup, amusé par l’insistance de l’ainée à s’afficher comme une antiquité, en fin de compte à leur tranche d’âge on ne compte plus vraiment les années qui passent. Il boit une gorgée du thé floral, savourant l’écoulement du liquide chaud dans sa bouche et l’inévitable sensation de brûlure qui lui prends la gorge en ne l’ayant pas laissé refroidir avant, mais qu’est-ce qu’il y peut, le goût est aussi irrésistible que le parfum.
”Ça me fait plaisir de te revoir ma petite pinzée de Zel.”
”-Séléna!” s'esclaffe le Sénateur en reposant la tasse.
”Bah enfin!” Elle prends une mine faussement choquée, laissant son bras ballant frapper doucement la table avec cette malice propre aux ainés. ”J’ai quand même bien le droit de le dire non? Tu vas me faire un chichi pour ça? Alors que ça fait huit mois que tu n’es pas passé à la maison, même pas une lettre pour me dire bonjour penses-tu. Moh là non. Aller je te taquines je sais que tu es très occupé en ce moment.”
Elle est toujours comme ça, quelque part c’est rassurant de voir ce monolithe traverser les époques et rester elle-même, il y avait quelque chose de réconfortant à se dire que qu’importe ce qu’il se passait dans le monde, de la révolte au Reike, à la disparition de Shoumeï en passant par la guerre contre l’annihilation totale, on pouvait toujours revenir ici et savourer ce personnage devant une tasse de thé. Le sourire que Zelevas avait arboré tantôt ne quitte toujours pas ses lèvres tandis que les souvenirs remontent à la surface, la pinzée de Zel, jadis elle ne l’appelait que comme ça quand il n’y avait personne autour, mais ça le faisait toujours rire. Lui qui avait toujours été obnubilé par sa propre éducation pour conserver une apparence la plus juste et rigoureuse possible, il adorait cette fenêtre dans un autre monde que représentait pour lui Séléna, une bonne éducation, un milieu d’étiquette exigeante, et pourtant un comportement qui bafouait les règles quand tout le monde avait le dos tourné. Quelque part, il est amusé par le parallèle avec son propre parcours. Il souffle un peu sur sa tasse, la dépose pour la laisser décanter et reporte ses yeux sur le magnifique jardin du domaine, un paysage bien plus organique que le style usité en République, où les par terre de fleurs sont libres de pousser ça et là et les regroupements de bosquets, de buissons et d’arbrisseau donnent au tout un aspect sauvage et naturel rafraîchissant. La beauté du jeune printemps. La dernière remarque de Meillers l’invite à se justifier sur son éloignement récent et il lui doit bien une explication.
”Occupé oui. J’ai abattu plus de travail cette dernière année que jamais dans ma vie. Heh, j’ai l’impression de courir partout tout le temps. Quand je ne réponds pas à mes obligations sénatoriales, je file à un comptoir de la Societas pour rattraper la paperasse en retard, et quand j’ai fini…” Il souffle un long moment, mais pas sur son thé cette fois. ”Je gère les avancées de mon parti et je prépare mes propres plans.”
”Et bah c’est bien, ça tu vois, c’est la marque des grands hommes mon petit Zel, une légende ça oublie l’homme derrière l’histoire alors ceux qui veulent laisser la leur, ils doivent s’oublier aussi, si tu te dépasses comme ça je suis sure que tu arriveras à faire ce que tu veux. Courage jeune homme.”
Le sourire que le Sénateur lui retourne est cette fois à moitié feint, teinté par les convictions qui l’habite si contraires à celles de la maison dans laquelle il se trouve, mais il n’y a nul besoin de causer de peine à la vieille dame en remuant le couteau dans la plaie, s’il vient ici moins souvent, c’est aussi et surtout à cause des différents politiques grandissant entre lui et Junior. La réalité, c’est qu’il n’était plus vraiment la bienvenue au sein des Fraternitas. On en est là. Ils continuent à siroter leur boisson, discutant pendant un petit quart d’heure au soleil, rattrapant les nouvelles et les ragots de la maison auxquels Zelevas fait mine de s’intéresser simplement pour faire plaisir à la vieille femme. Lorsque la conversation vire sur les maîtres de Maison, le regard de Séléna se plonge dans les reflets de son thé et semblent se perdre dans sa tasse.
”Quelque chose ne va pas?”
Il repose sa tasse sur la petite soucoupe, saisissant la serviette pour s’en tamponner les poils de la moustache. L’intendante paraît troublée et relève son menton pour plonger ses yeux dans ceux de l’homme politique. La tristesse mélancolique qui parsème ses traits est dorénavant palpable, il est évident que Séléna ne va pas bien.
”J’aurai apprécié que vous vous entendiez mieux. Tous.” Elle relève la tête, parcourant des yeux les oves et les caissons de la corniche dont elle connait chaque détail. ”Que ce soit toi, Maître Junior, Vigent ou Artorne, ça m’a toujours un peu peiné que la Famille se fragmente comme ça, regardez-vous, ce n’est pas normal ça, même dans les autres Sept Grandes ça se sert plus les coudes qu’ici alors que la Famille est sensée être la plus humaine.”
Les sourcils blancs de Zelevas sont désormais arqués dans une expression de curiosité, il invite son aînée à élaborer sur son propos, ça ne ressemble pas à Séléna de déverser son sac d’un seul coup, encore moins de mentionner les affaires de Wendell en mal, d’habitude elle est la première à rapporter les accomplissements du Patriarche mais rarement avait-elle critiqué ses agissements. Il affiche un sourire contri et prend un air inquiet pour demander des précisions:
”Vigent et Wendell sont en froid? Je comprends que ça te pèse sur le coeur.”
S’il ne va pas plus loin dans sa consolation, c’est pour éviter de trop la réconforter, en profitant de son état passager de tristesse, Zelevas l’incite à parler en mettant l’accent sur la raison de sa peine plutôt que l’aider à rationaliser la situation. La moue naissante de la vieille femme se transforme bientôt en résultat, et elle concède un morceau intéressant:
”Vigent est venu il y a quelques jours pour parler avec Maître Junior, ils se sont fâchés et Sylvestre était dans une colère noire. Noire noire!” Ses doigts ridés se crispent et ses yeux s’écarquillent pour souligner ses dires. ”C’est bien une fois toutes les éclipses qu’il devient rouge comme ça, tu le connais, d’ordinaire il est toujours stoïque et impassible, c’est à peine s’il avait versé une larme quand son père est mort tu sais. Là je ne le reconnaissais plus. Il a hurlé sur Vigent et ça fait quelques semaines qu’il jure sur son nom à chaque occasion.”
”C’est rare en effet, mais pourquoi se sont-ils disputés de la sorte?” C’est justement cet élément qui intéresse le plus l’opposant politique mais la vieille femme ne crache pas le morceau. Elle dodeline sa tête de désapprobation.
”Je ne peux pas te le dire, c’est les affaires du PFR, vraiment je me fais du mouron pour vous, si vous continuez comme ça vous allez tous finir par mourir seuls dans votre coin, c’est pas des façons alors que vous avez une si belle famille. Et moi ça me fait de la peine, je vous ai vu grandir alors...” Sa voix meurt un peu dans sa gorge. ”Ça me fait de la peine, de vous voir comme ça. À la limite bon, toi oui tu n'as pas fait partie de leur fratrie, mais tu en as passé du temps avec eux, alors c'est dommage que vous soyez tous aussi...”
Une larme pointe sa perle cristalline à l’orée de la paupière de Séléna, c’est là que le vieil homme se rend compte qu’il y a quelque chose de plus grave, soit l’affaire entre les deux Fraternitas est hors de proportion, soit un autre problème touche l’Intendante de manière personnelle. En dévisageant la femme aux traits tirés et fatigués, et en recoupant ça avec cette soudaine irruption de sentiments dans leur discussion, il tente le coup de sa déduction:
”Séléna, comment vas ta santé?”
Le doux sourire chagriné qu’elle lui rends lui apporte sa réponse.
***
”Ba-! Tu repars déjà?” La figure étonnée de Séléna arrache un rire à Zélévas.
Après avoir finit leur petite dégustation en extérieur, le Sénateur s’était relevé et s’était dirigé non pas vers le bâtiment mais plutôt en direction du portail, ce qui n’avait pas manqué de surprendre l’Intendante qui pensait que leur petite discussion n’était que la première d’une série de rattrapages mielleux pour le vieux Zel. En se retournant celui-ci lui apporte sa réponse, un prétexte déguisé pour ne pas avouer qu’il avorte en réalité sa visite:
”Je ne suis venu que pour te voir Séléna, désolé d’ajouter à tes préoccupations concernant la Famille, mais je n’ai rien à dire à Wendell. Peut-être que tu as raison, peut-être mourront nous tous esseulés, cependant ça ne me surprendrait pas que le Juge soit le premier à se retrouver isolé de la sorte.” Les bleus aciers du villain petit canard des Fraternitas sont rivés dans ceux de la vieille femme, il lui adresse une dernière bise avant de s’en retourner, quittant le jardin sous le regard déçu et morne de Madame Meillers. ”Il n’a pas besoin de savoir que je suis passé, je n’ai pas envie de lancer tout un débat sur pourquoi je ne suis pas venu le voir alors que j’étais là s’il-te-plaît.” Rajouta-t’il en s’éloignant.
Ça ne fait pas plaisir au Sénateur de causer du tracas à cette femme si tendre et pleine d’amour, mais ce qu’il a appris pendant leur petite collation est une information capitale dont l’Intendante ne se rend seulement pas compte de l’importance, elle a toujours eu du mal à accepter que Zelevas en ayant changé de courant politique devenait un ennemi non pas de la Famille mais du Parti Fraternitas, les affaires du PF sensées rester dans le PF étaient maintenant pour lui des pions à placer sur son échiquier. Ses chaussures frappent le pavé de l’allée principale, et après avoir passé le portail du somptueux domaine Fraternitas, Zelevas monte les marches de sa diligence pour prendre place à l’intérieur, sommant au cocher de faire route vers son propre manoir. Pendant le trajet du retour, le Sénateur est pensif, regardant défiler les paysages périurbains domaniales, les forêts et les parcs, le soleil baignant la composition savante de nature et de pavillons dans une lueur radiante pour une fin d’après-midi. Séléna n’est pas simplement troublée par sa maladie et son état décadent, la peur de partir de ce monde en laissant derrière elle une famille déconstruite possède un crédit dans la réaction de l’Intendante tantôt, mais Zelevas se doute que quoi qu’il se soit passé entre Vigent et Junior, c’est sérieux. Le Courant Humaniste est déjà affaibli par l’impopularité de leurs mesures devant les évènements de ces dernières années, le peuple craint l’instabilité potentielle de l’empereur Ryssen, le retour potentiel des Titans, les menaces d’insurrection à Kaizoku et tout ça c’est sans parler de la pression sociale qui s’exerce maintenant sur leur culture, étouffée par le poids du Reike et affaiblie par l’intégration des rescapés du Shoumeï. Aujourd’hui plus que jamais les alliés d’un même parti doivent se serrer les coudes et se soutenir, c’est encore plus vrai dans le cas des humanistes comme les Fraternitas, alors l’avènement d’une telle dispute, surtout à l’approche des Primaires Humanistes et de la période électorale ne peut pas être une coïncidence. De là où il se tenait, c’est à dire ostracisé de la Famille, Vigent est sensé être le champion du Parti cette année, et dépendamment de la nature de sa dispute avec Junior, dont Zelevas savait que le Juge avait suffisamment de jugeote pour mettre de côté son égo au profit de la Famille, il se pouvait bien que les plans du PFR allaient drastiquement virer de bord et élir quelqu’un d’autre à la position. Si c’est vraiment le cas, d’Élusie n’avait absolument aucune idée de qui pourrait prendre la place de son confrère Sénateur, personne d’autre dans la famille n’avait autant de traction que le Vigent à part Junior, et le vieux Juge n’avait plus les épaules après sa dernière campagne pour supporter une dernière course aux présidentielles, n’importe quel remplacement serait une rétrograde. Un tel moment de faiblesse… Le poing ganté de Zelevas se ressert, son coude est posé contre le rebord de la vitre de sa diligence, son air pensif est concentré dans les machinations qui prennent forme dans son esprit. Il voit une porte fermée dont l’obtention de la clé est pernicieuse, mais les possibles récompenses qui reposent derrière allèchent fortement son ambition personnelle pressée par la sentence approchante de l'âge.
Plongé dans ses réflexions, il revient à l’instant présent en sentant la voiture s’immobiliser devant la grille du domaine, il ouvre la porte, congédie le cocher et va en ligne droite vers le perron du Manoir d’Élusie. Le bâtiment est délabré, la fin de l’après-midi et la luminosité mourante donne un air triste à ce qui était autrefois une propriété resplendissante et joviale, l’homme gravit les marches lavées par les années de négligence et s’arrête devant la porte d’entrée. Il toque avec le heurtoir une paire de coups, et attends patiemment qu’on vienne lui ouvrir, retirant ses gants et commençant déjà à défaire son lourd manteau.
”Bon retour M.Fraternitas.”
Un homme plus jeune, dans la fin de sa vingtaine, aux petites lunettes rondes dont les branches se perdent dans les longs cheveux noirs qui lui descendent jusqu’à la poitrine, se tient debout dans le cadre de la porte et s’efface sur le côté pour laisser rentrer le Sénateur. Himir, le secrétaire de Zelevas est un ancien étudiant en économie qui avait initialement rejoint le cabinet du Directeur de la SSG en tant qu’apprenti, mais qui de par son intérêt pour la politique et surtout son efficacité bureaucratique, sa loyauté et son affinité pour les objectifs de Zelevas, s’était élevé au secrétariat du Sénateur.
”Alors? Junior s’est-il prononcé favorable à votre proposition?”
”Changement de plans, je n’ai pas parlé à Wendell, en vérité il ne sait même pas que je suis venu chez eux. J’ai uniquement discuté avec leur intendante.”
”Leur intendante? Euhm, et… ça a été… fructueux?” Le jeune homme a l’air dubitatif.
”Très, bureau.” fit Zelevas en pointant du doigt le fond du couloir qui prolongeait le vestibule.
”Whiskey?”
”Volontier mais ne part pas tout de suite, on s’occupe de ça d’abord.”
Ils marchent ensemble le long du couloir, passant devant les tableaux ternes qui avaient un jour connu l’éclat du vernis. Le vieil homme s’arrête pour regarder Himir, le laissant passer devant tandis que son secrétaire sort un porte-clé de la poche de son pantalon attaché par une chaîne au vêtement, avant de déverrouiller la serrure du bureau pour rentrer dans une des rares pièces entretenues par le personnel occasionnel qui venait y faire le ménage. Des étagères de dossier empilés les uns sur les autres s’amoncellent sur les rangements et décorent les murs du bureau, lui donnant un aspect claustrophobe un peu étriqué. Certaines piles de papier sont déposées à même le sol aux côté du meuble central qui trône dans la pièce, et en esquivant les obstacles sur sa voie, Zelevas se fraye un chemin à travers le désordre et s’agenouille devant un des coins de la salle en fouillant dans des documents libellés. Il commence à expliquer ses plans au petit jeune qui se tient dans le cadre de la porte.
”L’intendante m’a dit que Vigent et Junior ont eu un différent, mais elle m’a laissé sous-entendre qu’il ne s’agit pas d’une simple dispute. Mmh, non c’est pas ça… Tu sais où est le carnet d’adresse de Liberty?”
”Là bas, troisième rang, la chemise verte.”
”La Famille est fragilisée, si je veux les faire plier pour récupérer leur soutien ouvertement à Justice c’est le moment où jamais de frapper bas et fort.” Bien sûr il a également autre chose derrière la tête mais Himir n’a pas nécessairement besoin de tout savoir non plus. ”Déjà première tâche, identifier la raison de leur dispute. Je dois savoir ce que Vigent a bien pu faire pour autant fâcher ce vieux mollasson.”
”Et qui a assisté à la scène? Ça me paraît impossible de demander à l’un des concernés non?”
”Tout juste Himir. Qui pourrait savoir pourquoi Sylvestre Wendell Junior Fraternitas et Vigent Fraternitas sont froissés?”
”Un autre Fraternitas? Vous avez encore des leviers dans la Famille pour obtenir ce genre d’information? Je vois mal qui que ce soit vous l’avouer de gaieté de coeur.”
”Mhmhmm” En fouillant parmis les nombreuses lignes écrites dans le carnet que lui avait indiqué son secrétaire, il trouva enfin son bonheur. ”Ah! Le voilà.” Il sort une page de la chemise et s’assieds à son bureau, s’équipant d’une plume et d’encre pour recopier les informations de contact sur une enveloppe. ”J’ai besoin que tu partes maintenant pour délivrer une lettre. Ce n’est pas un autre Fraternitas qui me donnera ce que je veux, mais c’est tout comme. Tient, pour Liberty.”
Ce qui soulève la curiosité d’Himir, c’est qu’il scelle l’enveloppe avec le sceau non pas des Fraternitas comme à son habitude, ni avec celui de la SSG, mais avec celui de la Maison d’Élusie. Un sceau qu’il n’a que très rarement l’habitude d’utiliser.
”Pendant que tu passes à Liberty, enquiert toi de savoir si l’orphelinat ‘Les Jardins du Destin’ est encore debout. Juste pour avoir l’information.”
En tendant la lettre au jeune homme, le secrétaire qui la saisit fait lentement tourner l’enveloppe entre ses doigts, il relève son menton pour regarder son employeur, incertain de ce qu’ils s’apprêtent à faire. Ce n’est de loin pas la première fois qu’il trempe dans l’illégalité tout les deux, l’un entraînant l’autre à en faire de même plus tard, mais l’adresse qui est inscrite sur l’enveloppe fait partie d’un des pires quartiers de la capitale, un endroit où même les Officiers ne patrouillent plus pour éviter de tomber dans des embuscades.
”M.Fraternitas, qu’est-ce qu’on cherche exactement?”
”Un Courtier, Himir.”
***
Un bruit de halement accompagne la buée qui se forme sur le carreau, et un chiffon humide vient l’essuyer sans trop forcer pour ne pas passer au travers de la vitre qui devait peut-être avoir le même âge que lui. Zelevas s’applique en nettoyant le panneau de la fenêtre, il n’allait pas tous les faire, seulement tenter d’en rattraper au moins un pour pouvoir y regarder au travers en direction de l’entrée de son domaine. Le Manoir d’Élusie est laissé à l’abandon depuis la mort de ses parents il y a vingt cinq ans de cela, plus personne n’y habite régulièrement à part l’héritier de la famille, et encore. Il est souvent en déplacement, le peu de temps qu’il passe donc ici, il est seul, parfois avec Himir qui vient garder les lieux, mettre un peu d’ordre et s’occuper des affaires et des courriers qui arrivent pendant son absence, mais hormis le jeune aucun personnel n’y met les pieds, à part l’unique fois dans l’année où il a recours à de la main-d’oeuvre pour le minimum de salubrité. Satisfait d’avoir un carreau net à travers lequel il pouvait voir, le Sénateur dépose le chiffon sale dans le baquet d’eau et de savon à ses pieds, regardant le ciel nocturne à l’extérieur. La nuit est encore timide, l’été rallonge les journées et à presque onze heures passées la teinte bleu foncé de la voûte céleste trahis quelques pointes du jour mourant. Il attends avec impatience l’arrivée de son invité, il y a bientôt une semaine maintenant qu’Himir est parti de la Maison d’Élusie et il a reçu hier une lettre lui annonçant l’acceptation de son faire-part. Campé devant sa fenêtre, il attends patiemment de voir le portail de son domaine s’ouvrir, éclairé par la lueur des torches à l’entrée.
”Salut votre Honneur.”
Zelevas sursaute en entendant la voix venir du haut des escaliers de l’entrée. Il se retourne soudainement pour voir des pieds apparaître dans le cadre de la porte en descendant les marches. Ainsi il est déjà là.
”Ça faisait un bail.”
”À peu près douze ans.” Zelevas desserre un peu le col de sa veste rouge, son col blanc lui tient soudainement à la gorge. ”Bonsoir, Courtier.”
”Pas de noms?”
”Pas de noms.”
Le mercenaire arrive à quelques pas de lui, des souvenirs du Sénateur il n’a presque pas changé, en même temps il est difficile de différencier sur ce visage marqué, où s’arrêtent les rides et où commencent les cicatrices, son front est barré par une grande balafre, son arête nasale est cassée dans un angle abrupte là où sa peau a une teinte marron comme si on y avait fait une tache, et sa joue droite porte les stigmates d’une méchante griffure qui déforme les contours de sa mâchoire. Le type hausse ses épaules carrées en acquiesçant, il se fiche un peu des coquetteries de son employeur, mais tant qu’il y a de l’argent à la clé il fera son travail en faisant des pirouettes si ça lui chantait.
”Je dois dire que c’était une bonne surprise de revoir ce sceau sous ma porte…” Il sort l’enveloppe déchirée que Zelevas avait envoyé il y a quelques jours. ”De quoi vous avez besoin votre Honneur? Qu’est-ce que ma petite personne peut bien faire, pour la grande pointure de Juge! Garde des Sceaux! Directeur de la Soc-”
”Il suffit. Je n’ai pas eu besoin de tes services pendant douze ans, ne crois pas que j’en ai impérativement besoin aujourd’hui.” C’est faux. ”Je t’ai appelé toi parce qu’on a déjà travaillé ensemble et que c’est donc plus facile de te faire confiance que d’avoir recours à un parfait inconnu.” C’est faux. Il fait un pas en avant. ”Si tu décides que tu n’as pas besoin de ce travail, j’irai trouver quelqu’un d’autre pour le faire, aux démons le bonus d’ancienneté que tu m’apportes.” C’est faux aussi, la réalité c’est qu’il ne connaît personne d’autre taillé pour une mission pareille, et si le mercenaire refuse il aura l’air bien fin.
Le visage biscornu du Courtier le regarde droit dans les yeux, et Zelevas sent la transpiration venir dans le bas de son dos et la paume de ses mains, une moiteur désagréable sous le poids de l’échange visuel. D’un côté l’expérience des bureaux, les cheveux blancs témoins des innombrables passes diplomatiques et des négociations financières et judiciaires les plus ardues. De l’autre, l’expérience du combat, de la rue, de la réalité à son degré le plus cru et le plus sordide, des cicatrices témoins d’affrontement pour un sujet plus fondamental encore que gagner ou perdre, celui de la survie à l’état pur. Malheureusement pour le Sénateur, dans le feu de l’action seul un de ces savoir-faire prévaudra sur l’autre, et ce n’est pas le sien, il connaît le Courtier, c’est un fou furieux quand il le veut, il n’est pas complètement lunatique, seulement un peu euphorique quand il s’emporte dans les moments impétueux. Il est bien placé pour le savoir en l’ayant aquité du meurtre de sa femme à l’époque où il portait encore la robe rouge, à défaut de sa veste d’aujourd’hui.
”Et si je dis non?”
”Alors tu peux faire demi-tour et je ne te défrayerai certainement pas le déplacement.”
”J’ai un prix un peu spécial cette fois.”
Zelevas flanche un peu intérieurement, manquant de le montrer à son interlocuteur. Vraiment? Venant d’un pouilleux des bas-fonds ce genre de demande n’est jamais une bonne nouvelle, déjà qu’il commande quelque chose de singulièrement dangereux en raison de sa proximité entre lui-même et la cible, mais alors en plus si le Courtier lui demande de faire du bruit de son côté c’est tout pour lui déplaire.
”Tu vas devoir choisir entre l’or et ta demande. Je te préviens, tu n’auras certainement pas les deux.”
”C’est tout vu. J’ai un Limier au cul, peut-être deux, je veux que vos chiens rentrent à la niche. Ça se fait pour vous non? Vous avez encore un vieux pote Préfet ou quelque chose dans le genre.”
Merde. Putain. de. merde. Il était coincé, et il l’avait fait tout seul. Le Courtier avait naturellement sauté sur l’occasion bien sûr, recevoir une lettre de son ancien employeur avait dû être une vraie aubaine pour le fugitif qui cherchait un moyen de se dépêtrer des bêtes du Razkaal. Autrefois Zelevas en avait d’ailleurs fait partie, mais il avait raccroché bien avant de devenir complètement fou, ruiné par la corruption de la forteresse sous-marine, plus tard dans sa carrière il s’était retrouvé de l’autre côté du bureau à la plus haute instance de la sécurité Républicaine, et il garde encore aujourd’hui des contacts de son temps comme Garde des Sceaux.
”Et tu as osé venir jusqu’ici avec un traqueur après toi? Es-tu seulement sûr que tu n’as pas été vu?”
”N’oubliez pas à qui vous parlez et ne vous foutez pas d-”
”Je t’ai fait évité les barreaux, je peux te remettre à ta place Courtier, n’oublie pas la tienne.”
La tension dans l’air est palpable, le clair-obscure ambiant à l’intérieur du manoir rajoute une dimension incertaine à leur échange, la peur germe facilement du tableau dramatique qui se peint lentement au fil des coups bas. Comme il sent la conversation glisser sur une pente trop hostile à son goût, Zelevas fait machine arrière et désamorce la situation, il feint l’agacement pour vendre son virage dans la négociation en se pinçant le nez et en soupirant.
”Hhh, excuse moi, c’est l’énervement d’un tel imprévu. Repartons du début d’accord? Parce que la situation est assez simple en soit, tu as des compétences que je cherche, j’ai des contacts dont tu as besoin, il y a une façon triviale de s’en sortir.”
”Jusque là je suis d’accord.”
”Donc, je vais voir ce que je peux faire de mon côté.”
”Hein hein.”
”Et toi tu vas aller récupérer les informations dont j’ai besoin.”
Un long moment de silence envahit la pièce, une chappe de silence qui semble durer trop longtemps pour avoir une quelconque réponse positive, et pourtant quand le visage du Courtier finit par se relever et fixe Zelevas les yeux dans les yeux, il demande:
”Des infos? C’est tout? C’est le sale boulot?”
Au tour du Sénateur de hocher la tête.
”Parlons affaire.”
”Pas de noms?”
”Pas de noms.”
Le mercenaire arrive à quelques pas de lui, des souvenirs du Sénateur il n’a presque pas changé, en même temps il est difficile de différencier sur ce visage marqué, où s’arrêtent les rides et où commencent les cicatrices, son front est barré par une grande balafre, son arête nasale est cassée dans un angle abrupte là où sa peau a une teinte marron comme si on y avait fait une tache, et sa joue droite porte les stigmates d’une méchante griffure qui déforme les contours de sa mâchoire. Le type hausse ses épaules carrées en acquiesçant, il se fiche un peu des coquetteries de son employeur, mais tant qu’il y a de l’argent à la clé il fera son travail en faisant des pirouettes si ça lui chantait.
”Je dois dire que c’était une bonne surprise de revoir ce sceau sous ma porte…” Il sort l’enveloppe déchirée que Zelevas avait envoyé il y a quelques jours. ”De quoi vous avez besoin votre Honneur? Qu’est-ce que ma petite personne peut bien faire, pour la grande pointure de Juge! Garde des Sceaux! Directeur de la Soc-”
”Il suffit. Je n’ai pas eu besoin de tes services pendant douze ans, ne crois pas que j’en ai impérativement besoin aujourd’hui.” C’est faux. ”Je t’ai appelé toi parce qu’on a déjà travaillé ensemble et que c’est donc plus facile de te faire confiance que d’avoir recours à un parfait inconnu.” C’est faux. Il fait un pas en avant. ”Si tu décides que tu n’as pas besoin de ce travail, j’irai trouver quelqu’un d’autre pour le faire, aux démons le bonus d’ancienneté que tu m’apportes.” C’est faux aussi, la réalité c’est qu’il ne connaît personne d’autre taillé pour une mission pareille, et si le mercenaire refuse il aura l’air bien fin.
Le visage biscornu du Courtier le regarde droit dans les yeux, et Zelevas sent la transpiration venir dans le bas de son dos et la paume de ses mains, une moiteur désagréable sous le poids de l’échange visuel. D’un côté l’expérience des bureaux, les cheveux blancs témoins des innombrables passes diplomatiques et des négociations financières et judiciaires les plus ardues. De l’autre, l’expérience du combat, de la rue, de la réalité à son degré le plus cru et le plus sordide, des cicatrices témoins d’affrontement pour un sujet plus fondamental encore que gagner ou perdre, celui de la survie à l’état pur. Malheureusement pour le Sénateur, dans le feu de l’action seul un de ces savoir-faire prévaudra sur l’autre, et ce n’est pas le sien, il connaît le Courtier, c’est un fou furieux quand il le veut, il n’est pas complètement lunatique, seulement un peu euphorique quand il s’emporte dans les moments impétueux. Il est bien placé pour le savoir en l’ayant aquité du meurtre de sa femme à l’époque où il portait encore la robe rouge, à défaut de sa veste d’aujourd’hui.
”Et si je dis non?”
”Alors tu peux faire demi-tour et je ne te défrayerai certainement pas le déplacement.”
”J’ai un prix un peu spécial cette fois.”
Zelevas flanche un peu intérieurement, manquant de le montrer à son interlocuteur. Vraiment? Venant d’un pouilleux des bas-fonds ce genre de demande n’est jamais une bonne nouvelle, déjà qu’il commande quelque chose de singulièrement dangereux en raison de sa proximité entre lui-même et la cible, mais alors en plus si le Courtier lui demande de faire du bruit de son côté c’est tout pour lui déplaire.
”Tu vas devoir choisir entre l’or et ta demande. Je te préviens, tu n’auras certainement pas les deux.”
”C’est tout vu. J’ai un Limier au cul, peut-être deux, je veux que vos chiens rentrent à la niche. Ça se fait pour vous non? Vous avez encore un vieux pote Préfet ou quelque chose dans le genre.”
Merde. Putain. de. merde. Il était coincé, et il l’avait fait tout seul. Le Courtier avait naturellement sauté sur l’occasion bien sûr, recevoir une lettre de son ancien employeur avait dû être une vraie aubaine pour le fugitif qui cherchait un moyen de se dépêtrer des bêtes du Razkaal. Autrefois Zelevas en avait d’ailleurs fait partie, mais il avait raccroché bien avant de devenir complètement fou, ruiné par la corruption de la forteresse sous-marine, plus tard dans sa carrière il s’était retrouvé de l’autre côté du bureau à la plus haute instance de la sécurité Républicaine, et il garde encore aujourd’hui des contacts de son temps comme Garde des Sceaux.
”Et tu as osé venir jusqu’ici avec un traqueur après toi? Es-tu seulement sûr que tu n’as pas été vu?”
”N’oubliez pas à qui vous parlez et ne vous foutez pas d-”
”Je t’ai fait évité les barreaux, je peux te remettre à ta place Courtier, n’oublie pas la tienne.”
La tension dans l’air est palpable, le clair-obscure ambiant à l’intérieur du manoir rajoute une dimension incertaine à leur échange, la peur germe facilement du tableau dramatique qui se peint lentement au fil des coups bas. Comme il sent la conversation glisser sur une pente trop hostile à son goût, Zelevas fait machine arrière et désamorce la situation, il feint l’agacement pour vendre son virage dans la négociation en se pinçant le nez et en soupirant.
”Hhh, excuse moi, c’est l’énervement d’un tel imprévu. Repartons du début d’accord? Parce que la situation est assez simple en soit, tu as des compétences que je cherche, j’ai des contacts dont tu as besoin, il y a une façon triviale de s’en sortir.”
”Jusque là je suis d’accord.”
”Donc, je vais voir ce que je peux faire de mon côté.”
”Hein hein.”
”Et toi tu vas aller récupérer les informations dont j’ai besoin.”
Un long moment de silence envahit la pièce, une chappe de silence qui semble durer trop longtemps pour avoir une quelconque réponse positive, et pourtant quand le visage du Courtier finit par se relever et fixe Zelevas les yeux dans les yeux, il demande:
”Des infos? C’est tout? C’est le sale boulot?”
Au tour du Sénateur de hocher la tête.
”Parlons affaire.”
Quelques minutes plus tard, les deux partenaires sont assis devant la petite table basse avec un grand morceau de parchemin à plat sur le verre, traçant au fusain le dessin grossier du domaine Fraternitas, Zelevas renseigne le plus d’informations possible sur la topologie de l’endroit ciblé.
”La cible est l’Intendante du Manoir Fraternitas, c’est forcément une effraction à haut risque en raison de la Famille à qui tu t’attaques, mais heureusement pour toi c’est celle des Sept Grandes avec le moins de protection potentielle.” Une croix apparaît sur le dessin. ”La chambre de l’Intendante est ici, là c’est la caserne de leur garde personnelle, tu as des points d’accès ici, ici, là et là pour passer par les toits. Derrière c’est la forêt domaniale des Fraternitas, tu auras des difficultés à t’y infiltrer mais il y a un talus qui traverse le champs à cet endroit, je doute que les gardes en soient au courant.”
”Vous m’avez l’air assez sûr que ce sont de gros branleurs.”
”Le chef de leur sécurité a le même âge que moi, je le connais depuis suffisamment longtemps pour savoir dans quelle négligence oisive il s’est enfouis, Justice appartient aux Ironsouls et aux Fraternitas, ils s’y sentent plutôt sereins et les attaques ont été rare. Il y a bien la campagne présidentielle de Junior il y a sept ans qui lui a donné du fil à retordre mais depuis, il s’est encroûté dans la passivité.”
”Et à part le vieux allumeur et la cible y’a qui qui habite là dedans?”
”À l’intérieur même de la demeure, le personnel de cuisine, d’entretien et de domestiques, en habitant réguliers il y a Anastase Fraternitas et ses deux enfants, ce sont les petits derniers de la Famille.”
Le Courtier semble plongé dans ses réflexions, et tandis qu’il regarde obstinément la carte primitive avec ses traits égratignés, Zelevas peut voir les engrenages de son art commencer à tourner. Le truand n’est pas quelqu’un de foncièrement intelligent, du moins pas dans le sens classique du terme, il n’est agréable avec personne, n’affectionne ni le raffinement, ni la culture, ni les philosophies, il n’excelle qu’en un seul point: son travail. C’est dans ce domaine de prédilection qu’il a développé au fil des années de pratiques et des erreurs commises, une compréhension instinctive de sa technique et s’il possédait un plan il serait bien incapable d’en communiquer clairement tout le fonctionnement et les précautions qu’il impliquerait à un potentiel partenaire, le gaillard agit et avait toujours agit seul, justement parce qu’il est détestable et qu’il ne cherche pas à ce qu’il en soit autrement. C’est donc instinctivement que le criminel voit devant lui les différentes pièces de l’énigme se mettre en place et s’agencer pour former l’esquisse de sa toile.
”Je vous emprunte ça. Je ne vous tiens pas au courant, je serai de retour quand je serai revenu, par contre faudra venir quand je vous le demande, oh et n’oubliez pas notre accord hein?” Le gaillard ramasse la carte sur la table et la plie sommairement pour l’enfouir dans sa poche.
”C’est la dernière fois que tu viens ici Courtier. Tant que tu es traqué par les Limiers il est hors de question que tu reviennes là, l’autre endroit de rendez-vous est toujours debout, alors nous l’utiliseront.”
”Uh huh, je ne crois pas non, ils l’ont rasé y’a deux ans. C’est une baraque à pute à la place.”
”Ah.”
”Mais y’a un nouveau café à côté, pas beaucoup de monde en général, les gens préfèrent aller chez le voisin.” Il sourit en voyant la mine blasée du Sénateur.
”Ah. Va pour le café.”
Le soleil couchant ne parvient pas à égayer le ciel assombrit par les nuages, et bien que la température ait été clémente toute la journée, l’air porte cette lourdeur caractéristique des journées de pluie estivales, rendant l’atmosphère pesante. La diminution de la lumière aurait ailleurs été compensée par la présence d’éclairages publiques magiques, mais dans le quartier des Esse-Malins ils ont tous été vandalisés depuis bien longtemps, volés par des ferrailleurs à l’abri des regards indiscrets ou carrément brisés par des enfants mals éduqués et autres voyous stupides. Seuls les mâts qui les perchaient autrefois témoignent encore de leur présence imaginaire, plongeant donc aujourd’hui les rues du bas-quartier dans les ombres qui font tant écho à l’hospitalité du voisinage. C’est justement dans les ténèbres projetés par les façades austères des maisons délabrées et rapiécées qu’une encapée marche à pas lent, elle sait très bien qu’il ne faut pas avoir l’air pressé en passant par ici, surtout lorsqu’on arbore son genre d’accoutrement par soucis de discrétion. Ayez l’air un peu trop hâtif et vous montrez à la vermine locale votre crainte de vous faire accoster, c’est le meilleur moyen de finir au mieux détroussé, et au pire… ça dépendais de ce qui vous effraie le plus. La figure couverte se meut à travers les ruelles et les allées, sous les regards menaçants des groupes de gang occasionnels qui surveillent leurs territoires, elle ne croise jamais aucun regard, se contente de marcher droit devant elle, sans répondre aux sifflements ou aux interjections intempestives. Être une femme seule dans ces coins mals famés est déjà dangereux en soi, et même s’il savait se battre il ne pouvait s’empêcher de se sentir particulièrement vulnérable. Arrivant enfin devant un carrefour familier, la silhouette change de bord et continue plus loin dans une allée esseulée, hormis un drogué qui git immobile au fond de la rue et git avachis sur le perron d’une porte qui ne se souvient plus de la dernière fois qu’elle fut ouverte, il n’y a pas âme qui vive pour l’observer. Parfait. La femme s’arrête au niveau du coin d’une des maisons, les fenêtres condamnées par les planches de bois présentent un interstice pour passer, mais ce n’est pas lui qui l’a aménagé, probablement des squatteurs qui cherchaient un refuge le dernier hiver. Ce qui l’intéresse est plus bas, à l’angle des deux murs. La femme se baisse et ses cheveux gris bouclés dépassent un peu en basculant vers l’avant, ses mains gâtées tatonnent le mur dans la pénombre croissante pour trouver ce qu’elle cherche. Elle sent enfin un trou dans un des bloquants de pierre bleue et elle y passe un doigt, avant de tirer fermement sur le morceau déscellé, dévoilant ainsi la cavité à l’intérieur du mur contenant une bourse, une dague effilée et un carnet de notes. Elle emporte la sacoche en cuir pour son contenu, la dague pour sa protection mais laisse le carnet, et les place dans ses poches avant de regarder sa montre, quatre-vingt-douze minutes, elle a encore le temps, c’est pas mal, il aura fait plus vite que prévu. La femme remet en place la dalle de pierre et fait maintenant route vers sa dernière destination qui elle n’est pas très loin, le Nouveau Forum, le café où l’attends son client.
”La cible est l’Intendante du Manoir Fraternitas, c’est forcément une effraction à haut risque en raison de la Famille à qui tu t’attaques, mais heureusement pour toi c’est celle des Sept Grandes avec le moins de protection potentielle.” Une croix apparaît sur le dessin. ”La chambre de l’Intendante est ici, là c’est la caserne de leur garde personnelle, tu as des points d’accès ici, ici, là et là pour passer par les toits. Derrière c’est la forêt domaniale des Fraternitas, tu auras des difficultés à t’y infiltrer mais il y a un talus qui traverse le champs à cet endroit, je doute que les gardes en soient au courant.”
”Vous m’avez l’air assez sûr que ce sont de gros branleurs.”
”Le chef de leur sécurité a le même âge que moi, je le connais depuis suffisamment longtemps pour savoir dans quelle négligence oisive il s’est enfouis, Justice appartient aux Ironsouls et aux Fraternitas, ils s’y sentent plutôt sereins et les attaques ont été rare. Il y a bien la campagne présidentielle de Junior il y a sept ans qui lui a donné du fil à retordre mais depuis, il s’est encroûté dans la passivité.”
”Et à part le vieux allumeur et la cible y’a qui qui habite là dedans?”
”À l’intérieur même de la demeure, le personnel de cuisine, d’entretien et de domestiques, en habitant réguliers il y a Anastase Fraternitas et ses deux enfants, ce sont les petits derniers de la Famille.”
Le Courtier semble plongé dans ses réflexions, et tandis qu’il regarde obstinément la carte primitive avec ses traits égratignés, Zelevas peut voir les engrenages de son art commencer à tourner. Le truand n’est pas quelqu’un de foncièrement intelligent, du moins pas dans le sens classique du terme, il n’est agréable avec personne, n’affectionne ni le raffinement, ni la culture, ni les philosophies, il n’excelle qu’en un seul point: son travail. C’est dans ce domaine de prédilection qu’il a développé au fil des années de pratiques et des erreurs commises, une compréhension instinctive de sa technique et s’il possédait un plan il serait bien incapable d’en communiquer clairement tout le fonctionnement et les précautions qu’il impliquerait à un potentiel partenaire, le gaillard agit et avait toujours agit seul, justement parce qu’il est détestable et qu’il ne cherche pas à ce qu’il en soit autrement. C’est donc instinctivement que le criminel voit devant lui les différentes pièces de l’énigme se mettre en place et s’agencer pour former l’esquisse de sa toile.
”Je vous emprunte ça. Je ne vous tiens pas au courant, je serai de retour quand je serai revenu, par contre faudra venir quand je vous le demande, oh et n’oubliez pas notre accord hein?” Le gaillard ramasse la carte sur la table et la plie sommairement pour l’enfouir dans sa poche.
”C’est la dernière fois que tu viens ici Courtier. Tant que tu es traqué par les Limiers il est hors de question que tu reviennes là, l’autre endroit de rendez-vous est toujours debout, alors nous l’utiliseront.”
”Uh huh, je ne crois pas non, ils l’ont rasé y’a deux ans. C’est une baraque à pute à la place.”
”Ah.”
”Mais y’a un nouveau café à côté, pas beaucoup de monde en général, les gens préfèrent aller chez le voisin.” Il sourit en voyant la mine blasée du Sénateur.
”Ah. Va pour le café.”
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Le soleil couchant ne parvient pas à égayer le ciel assombrit par les nuages, et bien que la température ait été clémente toute la journée, l’air porte cette lourdeur caractéristique des journées de pluie estivales, rendant l’atmosphère pesante. La diminution de la lumière aurait ailleurs été compensée par la présence d’éclairages publiques magiques, mais dans le quartier des Esse-Malins ils ont tous été vandalisés depuis bien longtemps, volés par des ferrailleurs à l’abri des regards indiscrets ou carrément brisés par des enfants mals éduqués et autres voyous stupides. Seuls les mâts qui les perchaient autrefois témoignent encore de leur présence imaginaire, plongeant donc aujourd’hui les rues du bas-quartier dans les ombres qui font tant écho à l’hospitalité du voisinage. C’est justement dans les ténèbres projetés par les façades austères des maisons délabrées et rapiécées qu’une encapée marche à pas lent, elle sait très bien qu’il ne faut pas avoir l’air pressé en passant par ici, surtout lorsqu’on arbore son genre d’accoutrement par soucis de discrétion. Ayez l’air un peu trop hâtif et vous montrez à la vermine locale votre crainte de vous faire accoster, c’est le meilleur moyen de finir au mieux détroussé, et au pire… ça dépendais de ce qui vous effraie le plus. La figure couverte se meut à travers les ruelles et les allées, sous les regards menaçants des groupes de gang occasionnels qui surveillent leurs territoires, elle ne croise jamais aucun regard, se contente de marcher droit devant elle, sans répondre aux sifflements ou aux interjections intempestives. Être une femme seule dans ces coins mals famés est déjà dangereux en soi, et même s’il savait se battre il ne pouvait s’empêcher de se sentir particulièrement vulnérable. Arrivant enfin devant un carrefour familier, la silhouette change de bord et continue plus loin dans une allée esseulée, hormis un drogué qui git immobile au fond de la rue et git avachis sur le perron d’une porte qui ne se souvient plus de la dernière fois qu’elle fut ouverte, il n’y a pas âme qui vive pour l’observer. Parfait. La femme s’arrête au niveau du coin d’une des maisons, les fenêtres condamnées par les planches de bois présentent un interstice pour passer, mais ce n’est pas lui qui l’a aménagé, probablement des squatteurs qui cherchaient un refuge le dernier hiver. Ce qui l’intéresse est plus bas, à l’angle des deux murs. La femme se baisse et ses cheveux gris bouclés dépassent un peu en basculant vers l’avant, ses mains gâtées tatonnent le mur dans la pénombre croissante pour trouver ce qu’elle cherche. Elle sent enfin un trou dans un des bloquants de pierre bleue et elle y passe un doigt, avant de tirer fermement sur le morceau déscellé, dévoilant ainsi la cavité à l’intérieur du mur contenant une bourse, une dague effilée et un carnet de notes. Elle emporte la sacoche en cuir pour son contenu, la dague pour sa protection mais laisse le carnet, et les place dans ses poches avant de regarder sa montre, quatre-vingt-douze minutes, elle a encore le temps, c’est pas mal, il aura fait plus vite que prévu. La femme remet en place la dalle de pierre et fait maintenant route vers sa dernière destination qui elle n’est pas très loin, le Nouveau Forum, le café où l’attends son client.
Pénétrant dans l’établissement en repoussant les portes, la vieille femme conserve sa capuche sur sa tête, s’attirant ainsi l’attention de l’unique client encore présent à cette heure ci, un éternel pilier de bar dont l’alcool et les glaçons ont suffisamment torpillé la mémoire pour que les officiers du coin le prennent pour un dur à cuir en terme de secret, alors qu’il est juste con. Elle s’avance vers le propriétaire des lieux en sortant la bourse qu’elle a récupéré tantôt, et ses doigts frippés déposent sur la table trois pièces d’argents et une pièce en or frappée d’un sigle particulier. Cette dernière ne lui sert pas de paiement pour le service offert mais d’identification, et après un rapide coup d’oeil, le tenancier lève un de ses gros sourcils en zieutant le pochtron pour vérifier qu’il est complètement rond, avant de revenir sur la nouvelle venue.
”Entre.”
Sans un mot, la femme récupère la pièce d’or en la laissant retomber dans la bourse et passe silencieusement derrière le comptoir pour ouvrir la trappe sous les tireuses à bière, elle s’accroupit pour descendre les marches de l’étroit passage qui descend dans la réserve de la bâtisse, éclairée uniquement par une bougie qu’elle a emprunté au vol. Le couloir amène à une cave tout ce qu’il y a de plus normal pour un café, des sacs de grain s’entassent dans un air sec et plein de poussière au milieu des tonneaux de vin, de bière et d’autres alcools moins populaires. Ce qui la distingue des autres caves cependant, et la raison pour laquelle elle vient de payer aussi chère la soirée pour y accéder, c’est le trou dans le mur qui donne l’accès au sous-sol voisin, où plusieurs salles clandestines aménagées servent de scène de crime à des abus divers et variés. Passant ainsi devant des portes à travers lesquelles des éclats de voix étouffés lui parviennent doucement, la figure cachée vient jusqu’au fond d’un des couloirs et ouvre la dernière porte à droite, entrant nonchalamment dans la pièce. À l’intérieur, un grand homme, dans les deux mètres environ, intégralement vêtu de cuir noir et portant sur la tête un masque de médecin de la peste dissimulant tout ses traits se relève à son arrivée, il est strictement impossible de déterminer au premier coup d’oeil son identité, ni même la race à laquelle il appartient, de même qu’il est incertain de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. À ses pieds gît une grande besace, remplie de matériel important à leur besogne, le premier geste du docteur est donc de fouiller à l’intérieur du sac pour en retirer une clé qu’il lance à la nouvelle arrivante, et celle ci s’empresse de fermer à double tour derrière elle. Une fois fait, elle dépose le contenu de ses poches sur la table de la pièce, parmis quoi figure un trousseau de clés, et vérifie que la citerne dans le coin a été remplie, puis elle ressort une dernière fois sa montre.
”Cent treize, je n’en ai plus que pour quelques minutes de plus.” Comme on connaît son record d’apnée, il sait aussi combien de temps il peut tenir avec sa magie, et là il se sent bientôt à bout.
La vieille femme défait sa cape pour enfin révéler les traits de Séléna Meillers à la lueur blafarde des quelques lanternes à huile qui éclairent la pièce. Le Docteur retire également son masque et le visage luisant de Zelevas affiche une expression soulagée d’enfin pouvoir retirer son déguisement.
”Il fait une chaleur à crever là dessous, j’ai cru que j’allais faire un malaise.” Le Sénateur se demandait comment l’original faisait pour porter cet accoutrement en permanence, avant de ranger cette question dans le tiroir des nombreux autres mystères concernant cet individu.
”Restez avec moi, ce serait dommage de foirer maintenant n’est-ce pas? Allez-y aidez moi à m’attacher pour qu’on aille plus vite.”
À deux ils s’affairent le plus rapidement possible, dans cette course contre la montre chaque seconde compte pour finaliser leurs préparatifs, Séléna s’assoit sur la chaise en fonte posée au milieu de la pièce, elle relève sa robe jusqu’aux cuisses, décroche son haut pour l’abaisser à hauteur des seins et pendant que le Sénateur déballe les cordes du sac et en donne une à l’Intendante pour qu’elle s’attache à l’accoudoir, le vieillard lui se penche à ses pieds pour lui lier solidement les chevilles au barreau et remonte le long des cuisses pour l’immobiliser.
”Y’a du mou là, je peux encore bouger. Plus fort.”
”Si elle a des marques sur la peau à la fin elle se doutera de quelque chose.”
”Ça se dissimule toujours mieux qu’une fracture parce qu’elle a pu faire balancer la chaise et qu’elle est mal tombée.”
Zelevas ressert les noeuds et une fois prêts, Séléna tente de se débattre, gesticulant la tête de droite à gauche puis d’avant en arrière pour se donner de l’élan, en vain. La chaise est trop lourde et les cordes trop serrées.
”Et maintenant?”
”Je vais bientôt lâcher, je devrai pas en avoir pour longtemps à te rejoindre normalement, si je reviens pas, dans cinq minutes part du principe que ça s’est mal passé, fais lui boire la potion et largue la n’importe où ensuite.”
”Reçu.”
Zelevas se rassied sur la chaise installée dans le coin de la pièce, celle où il avait longuement patienté toute une après-midi. Sa chaise est orientée vers celle de Séléna, et entre eux se dresse la table sur laquelle repose uniquement la besace en cuir qu’il avait apporté, la montre, la dague et la bourse que Séléna avait déposé en arrivant, le vieillard regarde le corps de l’Intendante, ficelée solidement sur la lourde chaise en fonte comme un jambon de boucher, dos à lui. Il est important qu’elle ne le voit jamais et si tout se déroule comme prévu, elle ne saura même jamais qu’il y avait une personne derrière elle. Le moment où l’esprit du Courtier quitte le corps de la vieille femme, sa tête dodeline toute seule vers l’avant tandis que la transition s’opère, et peu après, en revenant à ses esprits, madame Meillers cette fois en possession de ses moyens se met à paniquer en remarquant tour à tour le changement brutal d’environnement, puis sa condition physique restreinte, et enfin la réalisation du danger de sa situation. Elle se met à hurler et à se débattre, mais de là où elle est, seul les autres clients du sous-sol clandestin peuvent l’entendre ne serait-ce que faiblement, et aucun d’entre eux n’en aura rien à faire. Soupirant silencieusement, Zelevas remet en place son masque de médecin de la peste sur le visage, par pure précaution. Quelques dizaines de secondes plus tard, le Courtier fait son apparition grâce à sa téléportation, un masque lui aussi couvrant ses traits pour dissimuler son visage. Ses vêtements sont sales et pleins de terre, laissant deviner qu’il avait dû s’enterrer lui-même pendant qu’il acheminait Séléna ici via sa possession. Désormais, les trois acteurs du huit-clos sont au grand complet et le spectacle peut commencer.
VLAN
”Entre.”
Sans un mot, la femme récupère la pièce d’or en la laissant retomber dans la bourse et passe silencieusement derrière le comptoir pour ouvrir la trappe sous les tireuses à bière, elle s’accroupit pour descendre les marches de l’étroit passage qui descend dans la réserve de la bâtisse, éclairée uniquement par une bougie qu’elle a emprunté au vol. Le couloir amène à une cave tout ce qu’il y a de plus normal pour un café, des sacs de grain s’entassent dans un air sec et plein de poussière au milieu des tonneaux de vin, de bière et d’autres alcools moins populaires. Ce qui la distingue des autres caves cependant, et la raison pour laquelle elle vient de payer aussi chère la soirée pour y accéder, c’est le trou dans le mur qui donne l’accès au sous-sol voisin, où plusieurs salles clandestines aménagées servent de scène de crime à des abus divers et variés. Passant ainsi devant des portes à travers lesquelles des éclats de voix étouffés lui parviennent doucement, la figure cachée vient jusqu’au fond d’un des couloirs et ouvre la dernière porte à droite, entrant nonchalamment dans la pièce. À l’intérieur, un grand homme, dans les deux mètres environ, intégralement vêtu de cuir noir et portant sur la tête un masque de médecin de la peste dissimulant tout ses traits se relève à son arrivée, il est strictement impossible de déterminer au premier coup d’oeil son identité, ni même la race à laquelle il appartient, de même qu’il est incertain de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. À ses pieds gît une grande besace, remplie de matériel important à leur besogne, le premier geste du docteur est donc de fouiller à l’intérieur du sac pour en retirer une clé qu’il lance à la nouvelle arrivante, et celle ci s’empresse de fermer à double tour derrière elle. Une fois fait, elle dépose le contenu de ses poches sur la table de la pièce, parmis quoi figure un trousseau de clés, et vérifie que la citerne dans le coin a été remplie, puis elle ressort une dernière fois sa montre.
”Cent treize, je n’en ai plus que pour quelques minutes de plus.” Comme on connaît son record d’apnée, il sait aussi combien de temps il peut tenir avec sa magie, et là il se sent bientôt à bout.
La vieille femme défait sa cape pour enfin révéler les traits de Séléna Meillers à la lueur blafarde des quelques lanternes à huile qui éclairent la pièce. Le Docteur retire également son masque et le visage luisant de Zelevas affiche une expression soulagée d’enfin pouvoir retirer son déguisement.
”Il fait une chaleur à crever là dessous, j’ai cru que j’allais faire un malaise.” Le Sénateur se demandait comment l’original faisait pour porter cet accoutrement en permanence, avant de ranger cette question dans le tiroir des nombreux autres mystères concernant cet individu.
”Restez avec moi, ce serait dommage de foirer maintenant n’est-ce pas? Allez-y aidez moi à m’attacher pour qu’on aille plus vite.”
À deux ils s’affairent le plus rapidement possible, dans cette course contre la montre chaque seconde compte pour finaliser leurs préparatifs, Séléna s’assoit sur la chaise en fonte posée au milieu de la pièce, elle relève sa robe jusqu’aux cuisses, décroche son haut pour l’abaisser à hauteur des seins et pendant que le Sénateur déballe les cordes du sac et en donne une à l’Intendante pour qu’elle s’attache à l’accoudoir, le vieillard lui se penche à ses pieds pour lui lier solidement les chevilles au barreau et remonte le long des cuisses pour l’immobiliser.
”Y’a du mou là, je peux encore bouger. Plus fort.”
”Si elle a des marques sur la peau à la fin elle se doutera de quelque chose.”
”Ça se dissimule toujours mieux qu’une fracture parce qu’elle a pu faire balancer la chaise et qu’elle est mal tombée.”
Zelevas ressert les noeuds et une fois prêts, Séléna tente de se débattre, gesticulant la tête de droite à gauche puis d’avant en arrière pour se donner de l’élan, en vain. La chaise est trop lourde et les cordes trop serrées.
”Et maintenant?”
”Je vais bientôt lâcher, je devrai pas en avoir pour longtemps à te rejoindre normalement, si je reviens pas, dans cinq minutes part du principe que ça s’est mal passé, fais lui boire la potion et largue la n’importe où ensuite.”
”Reçu.”
Zelevas se rassied sur la chaise installée dans le coin de la pièce, celle où il avait longuement patienté toute une après-midi. Sa chaise est orientée vers celle de Séléna, et entre eux se dresse la table sur laquelle repose uniquement la besace en cuir qu’il avait apporté, la montre, la dague et la bourse que Séléna avait déposé en arrivant, le vieillard regarde le corps de l’Intendante, ficelée solidement sur la lourde chaise en fonte comme un jambon de boucher, dos à lui. Il est important qu’elle ne le voit jamais et si tout se déroule comme prévu, elle ne saura même jamais qu’il y avait une personne derrière elle. Le moment où l’esprit du Courtier quitte le corps de la vieille femme, sa tête dodeline toute seule vers l’avant tandis que la transition s’opère, et peu après, en revenant à ses esprits, madame Meillers cette fois en possession de ses moyens se met à paniquer en remarquant tour à tour le changement brutal d’environnement, puis sa condition physique restreinte, et enfin la réalisation du danger de sa situation. Elle se met à hurler et à se débattre, mais de là où elle est, seul les autres clients du sous-sol clandestin peuvent l’entendre ne serait-ce que faiblement, et aucun d’entre eux n’en aura rien à faire. Soupirant silencieusement, Zelevas remet en place son masque de médecin de la peste sur le visage, par pure précaution. Quelques dizaines de secondes plus tard, le Courtier fait son apparition grâce à sa téléportation, un masque lui aussi couvrant ses traits pour dissimuler son visage. Ses vêtements sont sales et pleins de terre, laissant deviner qu’il avait dû s’enterrer lui-même pendant qu’il acheminait Séléna ici via sa possession. Désormais, les trois acteurs du huit-clos sont au grand complet et le spectacle peut commencer.
VLAN
Une première gifle cinglante vient secouer Meillers, la réduisant au silence sous le choc brûlant de la douleur, elle prends pleinement conscience de l’impuissance de sa situation et après un laps de temps pendant lequel elle semble réaliser, elle fond en larme à la place. Ses chouinements résonnent dans la salle et contrastent avec la détresse plus fougueuse des hurlements de panique qu’elle poussait il y a quelques secondes. Ça fait bien deux semaines depuis que Zelevas et le Courtier avaient eut leur petite entrevue, il en a mis du temps ce fichu traqueur à trouver une ouverture, une attente que le Sénateur avait passé dans l’angoisse grandissante que des Limiers ne viennent toquer à sa porte un soir. Ce n’était pas arrivé, et il n’avait donc pas eu à faire jouer ses contacts dans le judiciaire pour étouffer un scandale dans l’oeuf, si la soirée se révélait fructueuse il irait cependant acheter l’amnistie du Courtier dans les jours qui viendraient. Une fois les présentations ainsi faites, le criminel en cavale se penche vers sa proie et pose les deux mains sur les bras frêles de la vieille dame, l’agrippant fermement en lui faisant mal tandis qu’il approche son visage du sien.
”Le jeu est simple cocotte, j’ai des questions t’as des réponses. Je pose une question tu réponds pas ou tu réponds mal, je te déglingue. T’as pigé? Je possède, je téléporte, je lis aussi les mensonges, donc si tu me racontes des fables, c’est ticket perdant pour toi.”
Ce n’est vraiment pas la première fois que Zelevas voit l’inquisiteur à l’oeuvre, on l’appelle le Courtier parce qu’à l’instar des pratiquants de la profession commerçante, il facilite lui aussi des transactions en servant d’intermédiaire, il kidnappe, questionne, négocie, restitue. Simple, efficace, peu de bavures. Le genre de procédé suffisamment rigoureux pour qu’un Juge de Justice estime qu’un tel potentiel puisse mieux profiter à la République en servant un de ses défenseurs qu’en croupissant derrière les barreaux d’une cellule. Il manque un peu de discipline, mais le travail est bien souvent accompli sans anicroche et c’est tout ce qui importe à ses clients, tandis que les rares fois où il y a effectivement un dépassement des bornes, c’est toujours facilement rattrapable. Le ton menaçant du Courtier éveille la peur de la vieille femme en capitalisant sur l’inertie de sa panique, elle est encore désorientée et ne comprend toujours pas comment, l’instant d’avant elle avait pu être entrain de cueillir des framboises dans le jardin à l’arrière du manoir domanial, et un clignement de l’oeil plus tard elle se retrouvait ligotée à une chaise dans une salle sombre à se faire frapper par un inconnu. Sans rien perdre de sa lancée le Courtier continue, on pourrait croire qu’il se dépêche par manque de temps, mais en réalité ce n’est uniquement que pour préserver la fébrilité de sa victime, parce que de toute façon ils ont un peu moins de quatre heures devant eux. Quant à l’assertion concernant la lecture des mensonges, c’est complètement faux, aussi doué que soit le Courtier pour les magies obscures, la capacité à distinguer le vrai du faux ne repose purement que sur son expérience et son instinct, c’est à dire le même que celui de Zelevas. L’un entrainé par les actes de torture et l’odorat affuté par les années de grand banditisme, l’autre aussi rodé que le marteau qu’il abattait sur le socle de son bureau de juge pendant pas loin d’une décennie. Madame Meillers réagit enfin et sort de sa torpeur, sa voix brisée est tremblotante, la peur transpire à travers son timbre et ses mots s’étouffent dans ses pleurs:
”Gu’est-ce gue hous m’houlez? Je ne sais rien!”
”Ça c’est à moi de le décider ma cocotte.” Il se relève subitement de sa position penchée pour à nouveau dominer sa proie de toute sa hauteur. ”T’es Intendante pour le Manoir Fraternitas, tu dis qu’tu sais rien? Tu passes tes journées à faire la soumise à courber l’échine tout le jour et la nuit s’il le faut pour des cloportes de richards qui gagnent en un mois plus que toi en toute ta pute de vie. T’es là quand y mangent, t’es là quand y discutent, t’es là quand y chien à attendre de leur torcher le cul avec ta langue. Ta Famille est trop propre sur elle, je veux qu’tu m’dises où est la terre.” Une seconde de pause pour la laisser encaisser la violence des propos, soudain le Courtier lui saute au visage, collant presque son nez contre le sien. ”CREUSE!!”
”JE SAIS PAS!”
”MENTEUSE!”
En s’écartant brusquement de l’interrogée, le Courtier fait le tour de Séléna pour venir saisir le linge épais et la grande carafe que lui tend Zelevas. Normalement le Courtier sait se montrer beaucoup plus persuasif que ces moyens vraiment trop inoffensifs au goût du criminel, mais leur actions ne doivent laisser aucune traces ostensibles sur la vieille dame donc leur choix des armes est fortement restreint. Le bourreau revient vivement dans le champs de vision de sa cible et remplit la carafe d’eau à la citerne, il humidifie aussi le linge préalablement pour un effet plus immédiat, et debout devant sa proie, il prends une pose avec chaque objet dans une main, faisant une moue comme pour attendre qu’elle ne se ravise et décide à parler.
”J-”
D’un coup de pieds le Courtier balance la chaise en fonte vers l’arrière et le dossier tape contre la table, faisant hurler d’anticipation la vieille femme qui s’attendait à un choc violent avec le sol plutôt qu’à un arrêt brutal à mi-chemin. Sa nuque sursaute violemment en arrière et d’un jet de la main le Courtier balance le linge en position sur le nez et la bouche de sa victime, avant de lui tirer les cheveux pour plaquer sa tête vers l’arrière.
Derrière les lentilles fumées du masque du Docteur, Zelevas observe sans un mot la scène, si on lui avait dit il y a deux semaines qu’il en arriverait là… et bien il n’aurait pas rejeté la possibilité. La personne qui se débattait devant lui pour le simple droit de respirer n’est pas sa mère, ce n’est pas non plus une amie, c’est un facteur de plus dans une équation que le Sénateur s’évertue à résoudre depuis des dizaines d’années, et il espère trouver une solution là, maintenant, si l’Intendante cède à la pression et décide enfin de se mettre à table. L’oeil impassible de l’homme qui la regarde se faire torturer n’a rien à voir avec celui du gamin qui venait jouer au Manoir Fraternitas il y a cinquante ans, il n’a rien à voir avec celui du jeune homme fier de son acceptation chez les Limiers qui revient porter une nouvelle fâcheuse pour une famille de nobles, il n’a rien à voir avec le juge qui suivait les pas de Junior et s’amusait à jouer aux cartes lors des dîners de la Famille. Pendant que le bourreau fait son office, le Sénateur récupère doucement le trousseau de clé de Séléna sur la table et s’attarde sur la clé passe-partout de l’Intendante, celle qui lui permet l’accès à toutes les pièces du Manoir Fraternitas, seul Wendell possède un deuxième exemplaire de cette clé, mais ce sera bientôt aussi le cas de Zelevas. Il pioche dans la besace une petite boîte contenant une pâte molle, et après avoir sorti la gomme de son conteneur il enfourne la clé dans la pâte en pressant dessus avec sa main pour s’assurer que la clé y laisse son emprunte. Une fois durcie au contact de l’air, il découpe le moule en deux et range le tout, essuie la clé avec un torchon et la redépose sur la table. Le Sénateur reporte ensuite son attention sur l’Intendante, elle tousse sous le tissus humide, et lorsque le linge s’enlève pour lui laisser un moment de répit, elle hoquète, sa tête s’agite sous les spasmes en réflexe tandis que sa bouche appelle l’air salvateur. Sans un mot, le Courtier qui avait profité de cet interlude pour remplir la carafe, la laisse happer quelques goulées d’oxygène avant de replaquer le coton contre son visage et reprendre où il s’était arrêté. Après de longues minutes à malmener l’Intendante, le Courtier la redresse sauvagement en faisant basculer la chaise cette fois vers l’avant, et alors que le morceau de tissus trempé tombe à terre et que Séléna est prise d’un réflexe de déglutition qui lui fait vomir ses tripes, il lui vocifère dessus:
”ENCORE? J’ENTENDS RIEN? T’EN VEUX ENCORE?”
”Bleuag-argh-ack blon, non don non pidié. Hah, pitié.”
Le Courtier repose la carafe sur la table derrière sa victime et il s’accroupit à côté d’elle, prenant d’un coup une voix bien plus empathique, mais bien évidemment sournoise:
”Alors dis-moi, j’ai juste besoin d’un petit quelque chose à me mettre sous la dent.”
”C’est… ah, c’est V-Vigent. Urglh. Euarg! Kof kooo-kof… Vigent Fraternitas. Il a des problèmes avec Junior.”
”C’est un bon début, mais je crains que ça ne soit pas suffisant, je vais te donner un peu plus de temps pour réfléchir…” Liant le geste à la parole il tend la main vers le linge salit qui gît au sol pour le ramasser, suscitant la terreur dans le regard de Séléna qu’elle n’a pas la force de détourner du sol.
”Att’dez attendez attendez” Elle fond en larme une fois de plus, sanglotant tandis que sa voix s’éteint progressivement. ”attendez attendez, attendez, attendez, attendez, pitié attendez.”
”Hun hun, ma patience a des limites cocotte.” Le Courtier répète la même scène en balançant avec un peu plus de véhémence la chaise contre la table, arrachant un cri de douleur de la vieille femme. ”Prête? Moi oui, mais moi je fais le plus facile.”
”Vigent est sale! Il a des problèmes financiers!”
”Hmm?” D’un moulinet de la main le Courtier l’invite à continuer, comme un professeur qui incite son élève en difficulté à poursuivre sa table de multiplication
”Ah, ah reuh, j’ai entendu qu’un b-morceau de leur conversation, mais il était question de ses investissements, je crois, c’était… hah, c’était beaucoup de bots- de mots, de mots techniques.”
Le Courtier rabaisse la chaise de Séléna en guise de récompense pour avoir craché un petit morceau, les pieds de la chaise atterrissent lourdement sur le sol et la tête de Séléna décrit un arc de cercle dont la vision ferait presque ressentir à Zelevas ses propres rhumatismes. Le tortionnaire profite que sa victime ait les yeux rivés au sol pour regarder son client et chercher un signe d’approbation sur la piste en question, le hochement du bec qu’il obtient en retour lui indique de creuser la piste.
”Qu’est-ce que j’en ai à branler de ce que Vigent fait avec son fric? Je veux savoir qui a tué qui, qui a couché avec quoi et où! JE VEUX DES TRUCS JUTEUX PAS SON RELEVÉ DE COMPTE!!!”
”Parkil, parce qu’il bdahahah” Un nouvel éclat de sanglot, elle semble à bout. Paradoxalement le Courtier la laisse se reprendre pour ne pas briser l’élan d’aveux qu’elle a l’air d’avoir. ”Parce que Junior ne veut pas qu’il représente la Famille du coup, il a dit, il l’a dit quand il est parti…”
”Que Vigent ne serait pas le champion des suceurs de queue?”
”Hiihiiihuiiii” Un oui à peine intelligible pendant que la femme repart dans une crise de pleurs.”À cause de ‘l’argent du Parti’, c’est ce qu’il a d-dit. C’est tout ce que je sais là dessus par pitié croy-yez-moihaAa.”
Un échange de coup d’oeil entre Zelevas et le Courtier suffit pour confirmer au bourreau que l’information est ce qu’il cherchait à obtenir. Maintenant se pose un choix simple pour le Sénateur, il peut ordonner à son partenaire de continuer son office ou de cesser là, vu la jolie flasque violacée qui attend patiemment dans la besace il sait qu’il n’y a pas besoin de brouiller les pistes dans l’esprit de Séléna en continuant de l’interroger sur d’autres sujets. En revanche il y a toujours d’autres informations qu’ils peuvent obtenir maintenant qu’ils sont ici et qu’ils en ont l’occasion, mais de l’autre côté de la balance il y a la condition physique de Séléna. Madame Meillers est encore plus vieille que Zelevas, si l’exécuteur maîtrise bien sa technique et ne risque pas de la noyer par accident en faisant du zèle, il est possible que son coeur lache en court de route. Il croise ses doigts en forme de ‘X’ pour donner le signal d’arrêt et aussitôt, le Courtier repose le linge sur la table, faisant sursauter sa victime traumatisée.
”Et bah voilà, c’était pas si difficile n’est-ce pas? T’aurais pu t’épargner un peu de souffrance si t’avais été plus maligne. Connasse va.” Il commence à se diriger vers la porte et insère la clé dans la serrure pour l’ouvrir. ”Je vais aller prendre l’air, je reviens plus tard.”
La porte se referme en laissant Séléna seule dans la pièce, épuisée, elle continue pourtant de pleurer en usant de ses dernières forces, de là où il se tient, Zelevas peut voir sa tête hoqueter au rythme de sa respiration. Le Sénateur se relève lui aussi et approche de la chaise pour en inspecter les liens, histoire de vérifier qu’ils tiennent toujours bon, il provoque ainsi le tressaillement de l’Intendante qui l’a vu grandir lorsqu’elle se rend compte qu’elle n’est pas seule dans la pièce. En passant devant elle pour quitter la salle après s’être assuré qu’elle ne pourrait pas se libérer en leur absence, Zelevas ouvre à son tour la porte, et en se retournant pour la fermer, son regard croise celui de sa victime. À travers les verres noirs et le reste de son lourd déguisement il est impossible à la femme de reconnaître un de ses petits protégés, et l’homme la dévisage quelques secondes, regardant les larmes perler sur les joues de la vieille dame, se mêlant à l’eau encore présente sur son visage. Un sentiment monte en lui, mais il n’a rien à voir avec de l’empathie. Il claque la porte avant qu’il ne soit tenté de parler.
Dans un coin de la salle commune du sous-sol clandestin, Zelevas retrouve le Courtier, occupé à méditer pour récupérer de la mana afin de ramener Séléna à bon port. Si l’Intendante s’absente parfois de la maison à de rares occasions récréatives, il serait extrêmement suspect de délayer plus que de raison son retour au Manoir Fraternitas. Le médecin de la peste se dirige vers la sortie du complexe souterrain sans déranger son partenaire dans sa phase de récupération, il reste après tout l’autre moitié du travail à faire, c’est à dire droguer Séléna pour qu’elle ne se souvienne même pas d’avoir été embarquée grâce à la potion d’oubli dans la besace, la lui administrer de force à l’aide d’un spéculum et la téléporter pour la ramener dans la forêt où elle donnera juste l’air d’avoir fait malaise. Le plan du Courtier était satisfaisant, d’Élusie doit bien l’admettre. Simple, efficace, sans bavure. En émergeant de la trappe derrière le comptoir du Nouveau Forum, le tavernier dévisage le Docteur, se demandant bien ce que le type arrivé cet après-midi avait bien pu fabriquer là dedans tout ce temps, et la réponse était bien plus décevante que les fantasmes imaginatifs, Zelevas a simplement attendu que les heures passent pour simplement mettre un maximum de temps entre sa venue ici, l’aller-retour de Séléna et la sortie du Courtier. D’ailleurs…
”Pour mon invité surprise.” Le tintement des trois pièces d’argent sur le bois laissent le tenancier circonspect sur le pourquoi du paiement. Quand il verra qu’un grand gaillard sortira de sa cave sans jamais y être rentré il comprendra sans doute le geste.
C’est un pur plaisir de revenir enfin dehors après une demie-journée passée dans un sous-sol étroit et affreusement sec, le tout sous un accoutrement épais dans lequel il peut se sentir transpirer. L’air nocturne printanier est frais, mais ce n’est pas un froid glaçant, c’est au contraire une brise revigorante, celle qui raffermit la peau et qui réveille en sortant de chez soi le matin. Zelevas en profite pour écarter le masque à bec de corbeau de son visage sans pour autant dévoiler ce dernier aux éventuels observateurs malicieux, et il accueil avec grâce le courant d’air sur ses joues et son front en laissant s’échapper un soupir de soulagement. Remettant le masque en place, il fait lentement marche pour regagner le laboratoire du Docteur dont il a profité de l’absence pour usurper l’identité, et où l’attend son destrier pour rentrer ensuite chez lui au Manoir d’Élusie.
”Alors dis-moi, j’ai juste besoin d’un petit quelque chose à me mettre sous la dent.”
”C’est… ah, c’est V-Vigent. Urglh. Euarg! Kof kooo-kof… Vigent Fraternitas. Il a des problèmes avec Junior.”
”C’est un bon début, mais je crains que ça ne soit pas suffisant, je vais te donner un peu plus de temps pour réfléchir…” Liant le geste à la parole il tend la main vers le linge salit qui gît au sol pour le ramasser, suscitant la terreur dans le regard de Séléna qu’elle n’a pas la force de détourner du sol.
”Att’dez attendez attendez” Elle fond en larme une fois de plus, sanglotant tandis que sa voix s’éteint progressivement. ”attendez attendez, attendez, attendez, attendez, pitié attendez.”
”Hun hun, ma patience a des limites cocotte.” Le Courtier répète la même scène en balançant avec un peu plus de véhémence la chaise contre la table, arrachant un cri de douleur de la vieille femme. ”Prête? Moi oui, mais moi je fais le plus facile.”
”Vigent est sale! Il a des problèmes financiers!”
”Hmm?” D’un moulinet de la main le Courtier l’invite à continuer, comme un professeur qui incite son élève en difficulté à poursuivre sa table de multiplication
”Ah, ah reuh, j’ai entendu qu’un b-morceau de leur conversation, mais il était question de ses investissements, je crois, c’était… hah, c’était beaucoup de bots- de mots, de mots techniques.”
Le Courtier rabaisse la chaise de Séléna en guise de récompense pour avoir craché un petit morceau, les pieds de la chaise atterrissent lourdement sur le sol et la tête de Séléna décrit un arc de cercle dont la vision ferait presque ressentir à Zelevas ses propres rhumatismes. Le tortionnaire profite que sa victime ait les yeux rivés au sol pour regarder son client et chercher un signe d’approbation sur la piste en question, le hochement du bec qu’il obtient en retour lui indique de creuser la piste.
”Qu’est-ce que j’en ai à branler de ce que Vigent fait avec son fric? Je veux savoir qui a tué qui, qui a couché avec quoi et où! JE VEUX DES TRUCS JUTEUX PAS SON RELEVÉ DE COMPTE!!!”
”Parkil, parce qu’il bdahahah” Un nouvel éclat de sanglot, elle semble à bout. Paradoxalement le Courtier la laisse se reprendre pour ne pas briser l’élan d’aveux qu’elle a l’air d’avoir. ”Parce que Junior ne veut pas qu’il représente la Famille du coup, il a dit, il l’a dit quand il est parti…”
”Que Vigent ne serait pas le champion des suceurs de queue?”
”Hiihiiihuiiii” Un oui à peine intelligible pendant que la femme repart dans une crise de pleurs.”À cause de ‘l’argent du Parti’, c’est ce qu’il a d-dit. C’est tout ce que je sais là dessus par pitié croy-yez-moihaAa.”
Un échange de coup d’oeil entre Zelevas et le Courtier suffit pour confirmer au bourreau que l’information est ce qu’il cherchait à obtenir. Maintenant se pose un choix simple pour le Sénateur, il peut ordonner à son partenaire de continuer son office ou de cesser là, vu la jolie flasque violacée qui attend patiemment dans la besace il sait qu’il n’y a pas besoin de brouiller les pistes dans l’esprit de Séléna en continuant de l’interroger sur d’autres sujets. En revanche il y a toujours d’autres informations qu’ils peuvent obtenir maintenant qu’ils sont ici et qu’ils en ont l’occasion, mais de l’autre côté de la balance il y a la condition physique de Séléna. Madame Meillers est encore plus vieille que Zelevas, si l’exécuteur maîtrise bien sa technique et ne risque pas de la noyer par accident en faisant du zèle, il est possible que son coeur lache en court de route. Il croise ses doigts en forme de ‘X’ pour donner le signal d’arrêt et aussitôt, le Courtier repose le linge sur la table, faisant sursauter sa victime traumatisée.
”Et bah voilà, c’était pas si difficile n’est-ce pas? T’aurais pu t’épargner un peu de souffrance si t’avais été plus maligne. Connasse va.” Il commence à se diriger vers la porte et insère la clé dans la serrure pour l’ouvrir. ”Je vais aller prendre l’air, je reviens plus tard.”
La porte se referme en laissant Séléna seule dans la pièce, épuisée, elle continue pourtant de pleurer en usant de ses dernières forces, de là où il se tient, Zelevas peut voir sa tête hoqueter au rythme de sa respiration. Le Sénateur se relève lui aussi et approche de la chaise pour en inspecter les liens, histoire de vérifier qu’ils tiennent toujours bon, il provoque ainsi le tressaillement de l’Intendante qui l’a vu grandir lorsqu’elle se rend compte qu’elle n’est pas seule dans la pièce. En passant devant elle pour quitter la salle après s’être assuré qu’elle ne pourrait pas se libérer en leur absence, Zelevas ouvre à son tour la porte, et en se retournant pour la fermer, son regard croise celui de sa victime. À travers les verres noirs et le reste de son lourd déguisement il est impossible à la femme de reconnaître un de ses petits protégés, et l’homme la dévisage quelques secondes, regardant les larmes perler sur les joues de la vieille dame, se mêlant à l’eau encore présente sur son visage. Un sentiment monte en lui, mais il n’a rien à voir avec de l’empathie. Il claque la porte avant qu’il ne soit tenté de parler.
Dans un coin de la salle commune du sous-sol clandestin, Zelevas retrouve le Courtier, occupé à méditer pour récupérer de la mana afin de ramener Séléna à bon port. Si l’Intendante s’absente parfois de la maison à de rares occasions récréatives, il serait extrêmement suspect de délayer plus que de raison son retour au Manoir Fraternitas. Le médecin de la peste se dirige vers la sortie du complexe souterrain sans déranger son partenaire dans sa phase de récupération, il reste après tout l’autre moitié du travail à faire, c’est à dire droguer Séléna pour qu’elle ne se souvienne même pas d’avoir été embarquée grâce à la potion d’oubli dans la besace, la lui administrer de force à l’aide d’un spéculum et la téléporter pour la ramener dans la forêt où elle donnera juste l’air d’avoir fait malaise. Le plan du Courtier était satisfaisant, d’Élusie doit bien l’admettre. Simple, efficace, sans bavure. En émergeant de la trappe derrière le comptoir du Nouveau Forum, le tavernier dévisage le Docteur, se demandant bien ce que le type arrivé cet après-midi avait bien pu fabriquer là dedans tout ce temps, et la réponse était bien plus décevante que les fantasmes imaginatifs, Zelevas a simplement attendu que les heures passent pour simplement mettre un maximum de temps entre sa venue ici, l’aller-retour de Séléna et la sortie du Courtier. D’ailleurs…
”Pour mon invité surprise.” Le tintement des trois pièces d’argent sur le bois laissent le tenancier circonspect sur le pourquoi du paiement. Quand il verra qu’un grand gaillard sortira de sa cave sans jamais y être rentré il comprendra sans doute le geste.
C’est un pur plaisir de revenir enfin dehors après une demie-journée passée dans un sous-sol étroit et affreusement sec, le tout sous un accoutrement épais dans lequel il peut se sentir transpirer. L’air nocturne printanier est frais, mais ce n’est pas un froid glaçant, c’est au contraire une brise revigorante, celle qui raffermit la peau et qui réveille en sortant de chez soi le matin. Zelevas en profite pour écarter le masque à bec de corbeau de son visage sans pour autant dévoiler ce dernier aux éventuels observateurs malicieux, et il accueil avec grâce le courant d’air sur ses joues et son front en laissant s’échapper un soupir de soulagement. Remettant le masque en place, il fait lentement marche pour regagner le laboratoire du Docteur dont il a profité de l’absence pour usurper l’identité, et où l’attend son destrier pour rentrer ensuite chez lui au Manoir d’Élusie.
À la faveur de la nuit, Zelevas retourne chez lui à cheval, le Manoir d’Élusie est un géant d’ombre austère dans le paysage, son allée principale n’est uniquement éclairée qu’en l’attente d’un invité, quand il en est autrement on pourrait croire qu’il est parfaitement abandonné. Il échappe tout de même aux pilleurs grâce au statut du propriétaire qui en fait une cible à risque pour la pègre, couplé aux contacts que celui ci possède avec le monde criminel et celui des forces de l’ordre, on peut compter sur les doigts de la main la vermine de Justice qui oserait cambrioler la demeure. Le cheval amène son cavalier à l’étable située sur la périphérie du domaine, là où le pavillon du valeureux gardien et sa petite famille veille fidèlement sur la propriété, enfin, il est surtout content de gagner sa vie à ne rien faire, mais c’est une autre histoire. Refermant le box après avoir libéré sa monture à l’intérieur, Zelevas toque à la porte du concierge pour lui signaler son retour et les besoins de l’animal, et retourne ouvrir la porte de sa maison.
Seul.
Himir a dû passer la journée au comptoir de Justice aujourd’hui, à couvrir le travail laissé en plan par l’absence que Zelevas allait prendre le lendemain, une telle veillée ne lui sied guère et il compte bien dormir jusque tard dans la matinée pour rattraper son manque de sommeil. Comme à chaque fois qu’il finit par exagérer sur ses activités et son rythme circadien, sa fatigue le rattrape, le vieil homme se met à traîner des pieds en allant accrocher son manteau dans le vestibule, ses paupières se sentent un peu plus lourdes maintenant que son esprit considère qu’il en a finit pour aujourd’hui et son corps se met à crier d’aller se coucher. Las, il monte une par une les marches de l’escalier et arrive à l’étage, Zelevas sent alors une gêne à sa respiration, ennuyé, il porte une main à sa gorge et il s’arrête un moment sur le palier en s’accoudant sur la rambarde en bois pour contempler un moment de mélancolie. Ses yeux se baladent sur les ruines du manoir familial; le revêtement tapissé des murs de l’étage aux motifs à croisillons est sale, la poussière et les taches ont pu s’accumuler impunément dans le tissus au fil des ans pour incruster le coloris vert et le ternir. Autrefois sa vivacité renvoyait la lumière et faisait paraître l’intérieur de l’espace bien plus grand, plus lumineux, plus chaleureux qu’il ne l’est désormais. Le regard du vieil homme parcours le bois de la rambarde, le même que celui des autres parties de la demeure, et un soufflement du nez accompagne le sourire triste et nostalgique qui se fraie une place sur son visage malgré lui. Du bon vieux bois de violette, une marqueterie de luxe aux motifs naturels bien plus raffinée que du bois de cèdre ou d’acajou moiré, et pourtant en dépit de sa valeur, Zelevas l’avait laissé se ternir, accumulant les marques d’usure et les entailles ici et là, laissant le vernis s'effriter là où il en restait encore pour former de petites écailles grossières. Quand il relève la tête pour observer tristement la jonction du plafond avec les murs, des traces noires d’humidité et de moisissure découlent de la charpente et s’infiltrent dans la texture verte. Même avant la mort de ses parents il n’est jamais monté là haut, il ne peut que deviner que toute l’armature de la toiture doive être refaite, et son esprit habitué à jongler avec les chiffres tente d’en estimer le coût machinalement, en vain. Droit devant lui, il devine les formes de l’arcade vitrée qui se mélangent avec le noir nocturne, éclairé faiblement par l’astre lunaire qui lèche les carreaux troubles.
Qu’est-ce que cet endroit est devenu?
Il passe sa main sur son front, accablé. Question rhétorique. La véritable interrogation c’est pourquoi le destin s’est-il acharné ainsi sur leur famille? Un couple de parents heureux, qui s’aimaient, qui soutenaient leur enfant dans ses démarches, qui l'ont aidé à travers ses études, ses différents choix de carrières, ses envies, les d'Élusie n’avaient absolument rien à voir avec l’univers impitoyable des Fraternitas. Le délabrement de cette maison était une promesse en attente, un fardeau que Zelevas porte en se jurant d’un jour la rénover et d’en restaurer l’éclat et la prestance, mais pas avant d’avoir honoré la mémoire de son nom de famille. Pas avant… le Sénateur exténué baisse la tête, la laissant dodeliner entre ses épaules en regardant la silhouette se ses chaussures ressortir de la pénombre du parquet. Le goût amer dans sa bouche s’intensifie, est-ce qu’il y arrivera à temps? Cette année est peut-être sa dernière chance d’accomplir les rêves qu’il cultive depuis tant de décennies, des dizaines et des dizaines d’années passées à avoir toujours cet éternel objectif en vue. La présidence, mais pas que, aussi asseoir un soutien suffisant de son peuple, afin de pouvoir façonner une République puissante qui rayonne sur Sekaï, il y a quelques années cet objectif il ne le prenait à coeur que personnellement, mais avec l’apparition des Titans à Shoumeï et la destruction de ce dernier, la donne avait magistralement changée. Le vieillard frotte ses doigts en regardant sa paume ridée, et une fois de plus sa respiration s’accélère alors que ses angoisses refont surface. Il n’est plus question de sa propre réussite, c’est tout l’avenir de la République qui est en jeu, il le voit autour de lui chaque fois qu’il rentre dans la Chambre Bleue, les abrutis sont légions, ils dominent les hautes instances, tous complètement aveuglés par les notions grisantes de gain, de pouvoir, de gloire. Ils n’ont que faire du citoyen lambda, seul leur importe que leur nom s’encre dans les livres d’histoire, que leur patronyme figure à côté des légendes de la République sur les statues et les mémorials, engravé à jamais dans la pierre pour ne pas sombrer dans l’oubli inévitable qui guette tout les mortels. Égoïsme. Chaque débat inutile les rapproche un peu plus de la fatalité, et si la République était le prochain Shoumeï? Et si les Titans apparaissaient de nul part, en plein milieu de Liberty en annihilant tout bonnement la capitale? Et si la République tombe? Qu’adviendra-t’il des survivants? Lâchés en pâture seuls face au Reike, les premiers morts dans un éventuel terrassement ne seraient peut-être pas les plus malheureux finalement. Et si le Reike venait à tomber face à la menace des Titans? Ils n’auraient jamais la force nécessaire pour tenir seuls face au Divin. Même en écartant ces faux-dieux de l’équation, il lui est impossible de nier la pression montante que l’Empire exerce sur eux, le marché ne restera pas florissant bien longtemps si les relations continuent sur une pente éternellement descendante, ils ne pourront pas acheter leur paix bien longtemps, si le Reike continue de se renforcer, ils ne pourront pas continuer de vivre, opprimés par les attentats, les rebelles, la pègre, les extrêmistes fanatiques.
Seul.
Himir a dû passer la journée au comptoir de Justice aujourd’hui, à couvrir le travail laissé en plan par l’absence que Zelevas allait prendre le lendemain, une telle veillée ne lui sied guère et il compte bien dormir jusque tard dans la matinée pour rattraper son manque de sommeil. Comme à chaque fois qu’il finit par exagérer sur ses activités et son rythme circadien, sa fatigue le rattrape, le vieil homme se met à traîner des pieds en allant accrocher son manteau dans le vestibule, ses paupières se sentent un peu plus lourdes maintenant que son esprit considère qu’il en a finit pour aujourd’hui et son corps se met à crier d’aller se coucher. Las, il monte une par une les marches de l’escalier et arrive à l’étage, Zelevas sent alors une gêne à sa respiration, ennuyé, il porte une main à sa gorge et il s’arrête un moment sur le palier en s’accoudant sur la rambarde en bois pour contempler un moment de mélancolie. Ses yeux se baladent sur les ruines du manoir familial; le revêtement tapissé des murs de l’étage aux motifs à croisillons est sale, la poussière et les taches ont pu s’accumuler impunément dans le tissus au fil des ans pour incruster le coloris vert et le ternir. Autrefois sa vivacité renvoyait la lumière et faisait paraître l’intérieur de l’espace bien plus grand, plus lumineux, plus chaleureux qu’il ne l’est désormais. Le regard du vieil homme parcours le bois de la rambarde, le même que celui des autres parties de la demeure, et un soufflement du nez accompagne le sourire triste et nostalgique qui se fraie une place sur son visage malgré lui. Du bon vieux bois de violette, une marqueterie de luxe aux motifs naturels bien plus raffinée que du bois de cèdre ou d’acajou moiré, et pourtant en dépit de sa valeur, Zelevas l’avait laissé se ternir, accumulant les marques d’usure et les entailles ici et là, laissant le vernis s'effriter là où il en restait encore pour former de petites écailles grossières. Quand il relève la tête pour observer tristement la jonction du plafond avec les murs, des traces noires d’humidité et de moisissure découlent de la charpente et s’infiltrent dans la texture verte. Même avant la mort de ses parents il n’est jamais monté là haut, il ne peut que deviner que toute l’armature de la toiture doive être refaite, et son esprit habitué à jongler avec les chiffres tente d’en estimer le coût machinalement, en vain. Droit devant lui, il devine les formes de l’arcade vitrée qui se mélangent avec le noir nocturne, éclairé faiblement par l’astre lunaire qui lèche les carreaux troubles.
Qu’est-ce que cet endroit est devenu?
Il passe sa main sur son front, accablé. Question rhétorique. La véritable interrogation c’est pourquoi le destin s’est-il acharné ainsi sur leur famille? Un couple de parents heureux, qui s’aimaient, qui soutenaient leur enfant dans ses démarches, qui l'ont aidé à travers ses études, ses différents choix de carrières, ses envies, les d'Élusie n’avaient absolument rien à voir avec l’univers impitoyable des Fraternitas. Le délabrement de cette maison était une promesse en attente, un fardeau que Zelevas porte en se jurant d’un jour la rénover et d’en restaurer l’éclat et la prestance, mais pas avant d’avoir honoré la mémoire de son nom de famille. Pas avant… le Sénateur exténué baisse la tête, la laissant dodeliner entre ses épaules en regardant la silhouette se ses chaussures ressortir de la pénombre du parquet. Le goût amer dans sa bouche s’intensifie, est-ce qu’il y arrivera à temps? Cette année est peut-être sa dernière chance d’accomplir les rêves qu’il cultive depuis tant de décennies, des dizaines et des dizaines d’années passées à avoir toujours cet éternel objectif en vue. La présidence, mais pas que, aussi asseoir un soutien suffisant de son peuple, afin de pouvoir façonner une République puissante qui rayonne sur Sekaï, il y a quelques années cet objectif il ne le prenait à coeur que personnellement, mais avec l’apparition des Titans à Shoumeï et la destruction de ce dernier, la donne avait magistralement changée. Le vieillard frotte ses doigts en regardant sa paume ridée, et une fois de plus sa respiration s’accélère alors que ses angoisses refont surface. Il n’est plus question de sa propre réussite, c’est tout l’avenir de la République qui est en jeu, il le voit autour de lui chaque fois qu’il rentre dans la Chambre Bleue, les abrutis sont légions, ils dominent les hautes instances, tous complètement aveuglés par les notions grisantes de gain, de pouvoir, de gloire. Ils n’ont que faire du citoyen lambda, seul leur importe que leur nom s’encre dans les livres d’histoire, que leur patronyme figure à côté des légendes de la République sur les statues et les mémorials, engravé à jamais dans la pierre pour ne pas sombrer dans l’oubli inévitable qui guette tout les mortels. Égoïsme. Chaque débat inutile les rapproche un peu plus de la fatalité, et si la République était le prochain Shoumeï? Et si les Titans apparaissaient de nul part, en plein milieu de Liberty en annihilant tout bonnement la capitale? Et si la République tombe? Qu’adviendra-t’il des survivants? Lâchés en pâture seuls face au Reike, les premiers morts dans un éventuel terrassement ne seraient peut-être pas les plus malheureux finalement. Et si le Reike venait à tomber face à la menace des Titans? Ils n’auraient jamais la force nécessaire pour tenir seuls face au Divin. Même en écartant ces faux-dieux de l’équation, il lui est impossible de nier la pression montante que l’Empire exerce sur eux, le marché ne restera pas florissant bien longtemps si les relations continuent sur une pente éternellement descendante, ils ne pourront pas acheter leur paix bien longtemps, si le Reike continue de se renforcer, ils ne pourront pas continuer de vivre, opprimés par les attentats, les rebelles, la pègre, les extrêmistes fanatiques.
Et lui, au milieu de tout ça, Zelevas d’Élusie Fraternitas, il semble être le seul capable de voir ce qui se profile dans ce macabre horizon, les autres Sénateurs paraissent mettre leur tête dans le sable à écarter le pire pour se focaliser sur la vision idyllique qui leur convient d’une paix qui se fera toute seule, d’un paradis qui leur tombe dans les mains. Il n’a plus le luxe de l’échec. S’il échoue maintenant, il devra attendre huit longues années de plus pour retenter sa chance, huit ans d’oisiveté à regarder sa patrie chérie avancer plus loin dans la décadence et la médiocrité. Huit ans au bout desquelles rien ne sera moins sûr que sa propre survie, et s’il devenait sénil? Et s’il mourrait tout simplement? Le Docteur l’avait déjà sorti de la tombe une fois, mais s’il n’avait pas été là… l’image de l’ancien Sous-Gouverneur de Courage, couvert de bubons noirs et délirant dans son lit lui revient à l’esprit. Son coeur se sert un petit peu plus. Un sacrifice nécessaire pour la République, comme tant d’autres malheureusement, des martyrs de l’ombre qui n’obtiendront jamais justice, parce qu’aucune justice ne pourra réparer le tort que la faiblesse d’une nation leur a causé. Il doit y arriver, pour eux, pour ceux encore là, pour ceux dont l’insouciance les préservent des inquiétudes du monde, pour ceux qui les vivent au quotidien et pour qui la vie est un combat perpétuel. Ce poids qui pèse sur ses épaules, Zelevas le ressent maintenant physiquement, son coeur s’étreint dans sa poitrine, il a du mal à respirer. Tout lui retombe subitement dessus, le Directorat, le Sénat, les partis, la politique, les méfaits, Justice, la pègre, il se sent pris de vertige et cours brusquement jusque dans sa chambre, il s’effondre dans la salle d’eau devant un baquet. Ses doigts bafouillent autour des boutons de sa veste pour presque l’arracher, il retire ses gants, il tombe à genoux et sa chemise tombe à terre, il tend une main vers le baquet mais son bras heurte le bord et il renverse le contenu sur le sol. Merde. Il rampe sur le sol, à quatre pattes, ses doigts tremblants poussent le baquet jusqu'à la valve d'eau et il ouvre tant bien que mal le robinet. Ses mains plongent enfin dans l’eau froide, il s’asperge le visage frénétiquement en se rinçant la face, la sensation de nausée ne s'efface pas, il a l'impression que sa langue enfle à l'entrée de sa gorge. Ses paumes frottent son visage comme si elles pouvaient effacer les actes qu’il a commis. Le visage de Séléna apparaît dans le reflet de l’eau pendant un éclair de lucidité, la douleur qui le prend au coeur s’intensifie de plus belle. Il revoit la vieille femme, mais il ne parvient pas à visualiser proprement ses traits, il entend ses plaintes de douleur mais ne resitue pas le timbre si particulier de sa voix enrouée. Pourquoi en est-il arrivé là? Lui aussi, à l’instar de sa maison en ruine, a perdu de sa superbe qui faisait sa fierté dans sa jeunesse, il était la fierté de ses parents, le prodige tellement prometteur que les Fraternitas, une des Sept Grandes Familles de la République, lui ont fait l’honneur de lui restituer ce nom de famille grâce à l’infime partie de leur sang qui coule dans ses veines. Pourtant malgré les invitations, les dîners, les bals, les conventions, malgré les apparences, il n’a jamais vraiment pu être un Fraternitas, il n’a toujours été qu’un outil tantôt pour Wendell Père, tantôt pour Falconi. Il avait dû passer sa jeunesse dans l’ombre des héritiers, éclipsé systématiquement dans sa carrière par les mieux nés que lui en dépit des efforts qu’il fournissait, il avait décidé de dédier sa vie à la Nation Bleue, de lui consacrer chaque instant qu’il passait sur Sekaï, et comment le pays le lui rendait? En le faisant passer au second plan derrière les fils aînés des Sept? Il l’avait vite compris, il l’avait vu, il ne parviendrait jamais à éradiquer un tel système, si profondément ancré et corrompu, sans jouer lui aussi en dehors des règles, alors dès son recrutement chez les Limiers il avait fait le choix le plus impactant de toute sa vie, celui de sacrifier son compas moral pour accomplir sa mission sacrée, quitte à y laisser une partie de son âme. Il guidera la République vers une droiture qu'il ne pourra plus jamais posséder. Des voix tournent autour de lui et le harcèlent, il entend les éclats de voix de l’ancien Président lors de leur dispute après qu’il ait refusé un deuxième mandat de Garde des Sceaux, il entend les réprimandes de Wendell Père quand il annonce s’être enrôlé dans les Limiers, il entends la voix suppliante de Séléna. La panique s’estompe et paradoxalement les cris deviennent quasi-réels, il peut les entendre résonner, l’accabler de ses crimes présents et passés. À la voix de l’Intendante et de ses deux autres mentors s’ajoute toutes celles des centaines de personnes qu’il a trompé, abusé, condamné, torturé, manipulé, utilisé. Zelevas se relève, son coeur de nouveau insensible, son esprit habité par sa clarté froide et habituelle, il pose ses mains sur les bords du lavabo et se regarde dans le miroir. Il voit ses propres yeux bleus acier le jauger, défiant. Il regarde ses propres traits, hors d’haleine, haletant, sa poitrine exposée se soulève péniblement alors qu’il reprend son souffle en transpirant de sueur, ses yeux inspectent ses pommettes qui ressortent lorsqu’il sourit à la foule, ses lèvres crevassées qui surplombent un menton angulaire et une ligne de mâchoire forte cachée par une barbe aux contours plus doux, comme pour camoufler la dureté d’un personnage derrière un artifice trompe-l’oeil. Sa tête légèrement penchée vers la bonde du lavabo, il resserre sa prise autour du marbre jusqu’à ce que ses doigts en deviennent blancs. Son regard froid remonte sur le miroir, braquant son reflet, les iris d’un bleu glacial le fixe et il se perd lui-même dans cette tempête de neige impitoyable dont la pupille est l’oeil insondable du cyclone. Ces yeux lui posent une simple question. est-ce qu-il est capable? Bien sûr. Est-ce qu’il a ce qu’il faut? Quelle question. Ce qu’il a fait ce soir, il l’a fait pour la même raison qu’il a jamais fait quoi que ce soit. Les voix autour de lui s’intensifient, elles le harcèlent toutes à l’unisson, lui demandant une seule et même question: Pourquoi?
En défiant son reflet dans la glace, d’un air de supériorité dominant, il articule distinctement et fermement avec toute sa détermination consolidée:
”Pour la République.”
Le soleil est éblouissant pour un début de printemps, il resplendit haut dans le ciel par delà les nuages et éclaire de sa magnificence les reliefs élégants de l’architecture libertine, découpant les toits des multiples tours, cochers, beffrois et toitures des bâtiments dans une verticalité bien propre à la culture républicaine. À travers la fenêtre de sa diligence, Zelevas observe la ville s’approcher à mesure que son véhicule arrive aux abords des premières fortifications qui entourent la cité, ils s’arrêtent à un contrôle d’Officiers, le Sénateur décline son identité et entre enfin à l’intérieur après une inspection magique. N’habitant pas à Liberty, le vieil homme ne vient absolument jamais à la capitale dans d’autre but que les affaires, le plus souvent c’est pour venir assister aux séances de l’assemblée sénatoriale, mais aujourd’hui c’est une toute autre cause qui l’attire ici. La voiture d’Élusie avance à travers les allées populaires pour gagner les beaux quartiers, et progressivement la population des passants change radicalement pour passer de marchands et de roturiers, aux nobles bien affublés et aux dames à la toilettes raffinées. La diligence s’engage ensuite dans une allée devant laquelle un barrage routier empêche toute précipitation mal avisée, des Officiers supplémentaire écartent les quelques barricades qui bloquent l’accès à la rue et la voiture de Zelevas reprends sa progression dans l’allée sécurisée. Lorsqu’enfin le cocher immobilise le véhicule et vient ouvrir la portière pour permettre au Sénateur de descendre, d’Élusie pose à peine un pieds à terre qu’il entends déjà une voix nasillarde lui parvenir.
”Monsieur le Directeur! Quel honneur de vous recevoir aujourd’hui! Je vous en prie entrez.”
Zelevas lâche la poignée sur la cloison du véhicule tandis qu’il dépose enfin ses deux pieds sur le pavé devant l’entrée de la forteresse de la Banque des Chaînes. L’énorme complexe figure probablement parmi les bâtiments les plus surveillés de Liberty et les mieux gardés de la ville, quelque part derrière la Maison Bleue, la Chambre de la même couleur, et les différents Ministères du gouvernement. Le gobelin à la peau d’un vert pomme vif comme le fruit vient l’accueillir à l’entrée, lui tendant une de ses mains parfaitement manucurée pour lui serrer la sienne avec fermeté. Le Directeur de la Comptabilité doit admettre que s’il peut énumérer brièvement le nombre de fois où il dû venir ici par le passé, ce fut à chaque fois un grand plaisir, il a une certaine satisfaction non dissimulée à venir dans cet endroit où tout est trop propre, tout est immaculé et le moindre détail n’est pas laissé au hasard. Aucune fenêtre, aucune sortie suspecte qui présenterait un point faible un peu trop évident, la forteresse n’est pas le siège social de la Banque des Chaînes, c’est son coffre principal, un lieu de stockage pour les biens les plus précieux des clients les plus prestigieux de la banque la plus sure de Sekaï. La renommée de l’organisation est à la hauteur de l’imposante infrastructure de pierre, ou l’inverse, mais quoi qu’il en soit elle se dresse devant lui comme un défi à relever aujourd’hui, car Zelevas vient cette fois avec des intentions plus que malsaines.
”Monsieur Mongstrel, je vous remercie de votre accueil chaleureux.”
Le gobelin se courbe tant et si bien que son nez crochu pourrait gratter les aspérités sur le trottoir, alors le vieil homme ne se fait pas prier et entre à l’intérieur. Ici il n’est plus un Sénateur, car ce n’est pas sa fonction la plus pertinente dans cet espace financier, il est le Directeur de la Societas et il sied au gardien et patron de l’endroit, M.Mongstrel de saluer Zelevas comme tel. C’est un gobelin qui n’a de carré que la rigueur et la discipline, son étiquette est à échelle variable et le vieillard sait qu’il peut également se montrer fortement méprisant quand il s’adresse à plus bas que lui, non pas que ça le concerne.
”Comment s’en sort votre petit protégé?” Le petit être vert amène une discussion sympathique pour meubler leur progression vers son bureau afin de proprement recevoir son client de haute facture.
”Ma foi, à merveille, Himir est un homme fiable et prometteur, je ne doute pas de son potentiel à occuper plus tard des fonctions aussi clés que les miennes si ce n’est plus.”
”Je devrai sans doute me trouver un remplaçant aussi…”
”Le gamin n’est pas un remplaçant, je ne le forme pas pour qu’il marche dans mes pas mais pour qu’il apprenne à se forger sa propre destinée.”
”Admirable.”
Le sourire que le gobelin affiche en ouvrant la porte de son office en invitant Zelevas à passer devant sonne bien trop faux pour que le Sénateur accepte que Mongstrel soit d’accord avec lui. Qu’importe de toute façon, il n’est pas là pour discuter éducation et refaire le monde de la pédagogie, et il fait ce qu’il veut de son secrétaire, mais rien ne lui serait plus insupportable que de mettre le pain tout fait dans la bouche du jeune homme, ce n’est pas le genre de futur qu’il veut laisser à la République, ce ne sera pas le futur qu’il laissera à Himir. Prenant place à l’intérieur du bureau somptueux du Gardien de la forteresse, Zelevas rabat les plis de son lourd manteau sous ses fesses pour s’enfoncer dans le capitonnage du fauteuil. Il dépose ensuite sa serviette à ses pieds pendant que Mongstrel s’assied en face de lui de l’autre côté du meuble, cherchant déjà à lui servir un rafraîchissement.
”Vin? Eau?”
”Non merci.” Il accompagne platement son refus d’un geste de la main gauche et passe directement aux affaires importantes. ”J’aurai adoré prendre mon temps, au vu de la rareté de mes visites M.Mongstrel, mais malheureusement c’est un luxe que je ne peux m’accorder. J’ai affaire ici et je dois repartir au plus vite à Justice pour régler mes travaux en cours. J’ai également une demande à vous formuler.”
”Naturellement, faisons vite, mais bien!”
Le gobelin change légèrement d’attitude en apprenant que Zelevas souhaite lui adresser une requête. Mongstrel sait qu’il n’est pas un expert en finance ou en gestion, ni même en quoi que ce soit ayant un rapport avec l’économie, son domaine de prédilection est la sécurité, si le Directeur a une faveur à lui demander, c’est qu’elle n’est pas de nature pécuniaire, sinon il serait au siège de la Banque plutôt qu’à la forteresse. Quand il reprend la parole, ses yeux jaunes plissés contrastent une fois de plus avec son propos, prouvant que son titre de gardien n’est pas usurpé et que sa méfiance n’a d’égal que sa compétence.
”Comment puis-je vous aider?”
”Je suspecte qu’un document a été stocké illégalement dans votre coffre, plus précisément dans celui des Fraternitas, je comprends qu’ils aient abusé de la confiance de la Banque en tant qu’une des Sept Grandes, et je souhaiterai vous éviter un incident fâcheux.”
Les perles jaunes de Mongstrel s’écarquillent un peu de surprise mais surtout d’incompréhension, il n’y a que peu de façon qu’un document soit déclaré illégal quant à son dépôt à la Banque des Chaînes, et de surcroit il a du mal à voir pourquoi Zelevas aurait besoin d’une faveur à cet égard, le gaillard a déjà l’accès au coffre en tant que membre de la Famille, il pouvait très bien saisir le document et partir avec non?
”Et? Je vais devoir vous demander d’élaborer Monsieur le Directeur.”
”Je vais avoir besoin de rester plusieurs heures dans le coffre pour pouvoir en être sûr, d’où la nécessité de votre coopération. Je suis assez sûr qu’un membre de ma Famille a placé un relevé de compte important constituant une pièce clé d’enquête judiciaire dans le coffre, ce qui constitue un enfreint à vos termes de clientèle mais aussi un crime.”
”J’espère que vous comprendrez qu’il est difficile pour moi d’accéder à votre demande sans la moindre preuve de ce que vous avancez n’est-ce pas?”
”Je le sais, c’est pourquoi je ne vous tiendrai pas rigueur en cas de refus, comme je vous l’ai signifié je ne suis là que pour vous éviter un scandal et alléger la peine de l’individu concerné si la menace est avérée.”
”Si je puis me permettre, pourquoi ne pas simplement emporter le document plutôt que rester dans le coffre?”
”Me laisseriez-vous l’emporter sans renseigner le retrait sur vos registres? Je ne souhaite pas laisser de trace de ma consultation. Si les forces de l’ordre ou la Societas venait à apprendre l’existence du document en question, dans l’hypothèse que le membre de ma Famille est effectivement coupable des rumeurs d’accusations à son égard, les répercussions pourraient être suffisamment néfastes pour faire pencher la balance sur les acteurs impliqués. Cette affaire est pernicieuse M.Mongstrel, je ne peux vous abreuver de détails sans augmenter encore les risques d’ébruitement, mais je n’aurai pas fait le déplacement moi-même s’il n’en valait pas des intérêts de la précieuse Societas. Faites un geste, et je peux vous garantir que la SSG s’en souviendra dans la continuation de notre collaboration.”
Visiblement le malaise de la situation gagne peu à peu l’être vert, sa frimousse dans une telle circonstance considère attentivement ses options, il y a un peu plus en jeu qu’un simple écart des règles pour favoriser un client fidèle, on touche ici aux Fraternitas, une puissante famille de la République avec laquelle il souhaite tout sauf se créer des problèmes, de l’autre côté il y a la SSG, le plus puissant actionnaire sur l’échiquier économique de Sekaï. S’il prend la mauvaise décision et que la Societas se retrouve froissée avec l’organisme bancaire à cause de cela, il risque gros, mais d’un autre côté s’attirer les foudres d’une des Sept Grandes, ce n’est probablement pas mieux. Que faire? Après quelques hésitations supplémentaires, il relève son menton pointu vers le vieillard qui le dévisage avec l’expression assurée et semi-souriante de ceux qui ont le contrôle de la situation, et dit:
”Je… Je vais vous y mener.”
”Je vous remercie de votre coopération M.Mongstrel.”
Le gobelin descend maladroitement de sa chaise pour commencer à marcher vers la sortie et diriger le Sénateur et lui-même en direction de la salle des coffres. En le suivant, Zelevas l’accompagne vers les sous-sols de l’imposant bâtiment, le malaise ostensible du patron de la sécurité ne le touche pas plus que ça, son esprit est surtout concentré sur l’instant présent et l’accomplissement de son objectif. Il prie pour trouver ce qu’il recherche, un indice, quelque chose, n’importe quoi, la réalité des faits dans sa venue ici est qu’il ne sait pas ce qu’il tentait d’obtenir, mais il le reconnaîtrait en le voyant. Le chemin qu’ils empruntent les mène à un couloir en pierre, creusé dans les souterrains de l’édifice et qui débouche sur un vaste ouvrage d’entrepôt, organisé par la présence de grandes rangées ordonnées de casiers en bois tout ce qu’il y a de plus commun. Les gardes dans la pièce se lèvent à leur arrivée, surpris de voir leur patron débarquer dans la salle des coffres où habituellement seuls les clients fortunés et les employés s’aventurent. À leur approche, Mongstrel se retourne vers Zelevas et lui indique de se soumettre à la fouille, un procédé habituel de l’établissement, et lorsque le garde tombe sur les bonbons au caramel dans sa poche, le vieillard se permet de rigoler dessus en disant que celles ci sont plus dangereuses pour ses dents que pour l’intégrité de la Banque. Ensemble ils passent ensuite entre les allées de containeurs et trouvent au fond la porte qui mène à la Salle des Familles. Une conséquente pièce supplémentaire, semie-circulaire dont le seul usage est de concentrer les coffres personnels des Sept Grandes Familles de la République, les autres familles de noblesse possédant des consignes ailleurs dans le dédal souterrain ou situés dans les autres succursales de la Banque des Chaînes. Sur la paroi incurvée se greffent tour à tour les portes massives des coffres, surmontées de plaquettes gravées à l’effigie des sept noms les plus célèbres de la nation et encadrées par les imposants systèmes de verrouillage. Zelevas s’avance lentement vers la porte la plus à gauche du lot.
FRATERNITAS
La porte en bois est parsemée de renforts métalliques, il serait presque impossible d’y passer au travers par des explosifs, de tenter de l’abattre en la faisant brûler ou de la découper. Sur chaque coin de la porte des disques en acier protègent les coins en dénigrant tout accès à l’interstice qui sépare la porte du mur, et pour peu que ce serait la première fois que Zelevas la voie s’ouvrir, il ne saurait même pas dans quel sens elle se déplacerait. Le vieil homme attend sagement en se retournant vers le gobelin pour attendre qu’il lui ouvre, et le Directeur de la forteresse s’exécute. Joint dans son mouvement d’un des gardes de l’entrepôt principal qui les a suivit à l’intérieur de la Salle des Familles, les deux opérateurs sortent chacun une clé dont la tête brillante semble incrustée d’une pierre aux propriétés magiques, et lorsqu’ils les enfoncent dans le socle qui ressort du mur à côté de la porte concernée, ils se consultent du regard pour tourner en même temps leur clés dans les serrures. Immédiatement un bruit sourd se fait entendre, Zelevas regarde la porte s’ébranler subitement, tandis qu’un grondement sourd indique qu’un premier chevron s’ôte de la porte à l’intérieur du mécanisme de l’ouverture. De la poussière de bois tombe doucement au sol et les vrombissements persistent, un par un les bloquants qui maintenaient la porte en place se rétractent dans le mur, et lorsque le dernier cède, un bruit de chaîne se fait entendre tandis que la porte s’élève pour disparaître dans le plafond.
”Prenez le temps que vous voudrez Monsieur le Directeur, trois coups à la porte quand vous aurez terminé.” Le gobelin commence déjà à reculer en trainant un garde surpris vers la sortie.
”Oui je sais, je m’en souviens. Encore merci M.Mongstrel.”
Les perles jaunes de Mongstrel s’écarquillent un peu de surprise mais surtout d’incompréhension, il n’y a que peu de façon qu’un document soit déclaré illégal quant à son dépôt à la Banque des Chaînes, et de surcroit il a du mal à voir pourquoi Zelevas aurait besoin d’une faveur à cet égard, le gaillard a déjà l’accès au coffre en tant que membre de la Famille, il pouvait très bien saisir le document et partir avec non?
”Et? Je vais devoir vous demander d’élaborer Monsieur le Directeur.”
”Je vais avoir besoin de rester plusieurs heures dans le coffre pour pouvoir en être sûr, d’où la nécessité de votre coopération. Je suis assez sûr qu’un membre de ma Famille a placé un relevé de compte important constituant une pièce clé d’enquête judiciaire dans le coffre, ce qui constitue un enfreint à vos termes de clientèle mais aussi un crime.”
”J’espère que vous comprendrez qu’il est difficile pour moi d’accéder à votre demande sans la moindre preuve de ce que vous avancez n’est-ce pas?”
”Je le sais, c’est pourquoi je ne vous tiendrai pas rigueur en cas de refus, comme je vous l’ai signifié je ne suis là que pour vous éviter un scandal et alléger la peine de l’individu concerné si la menace est avérée.”
”Si je puis me permettre, pourquoi ne pas simplement emporter le document plutôt que rester dans le coffre?”
”Me laisseriez-vous l’emporter sans renseigner le retrait sur vos registres? Je ne souhaite pas laisser de trace de ma consultation. Si les forces de l’ordre ou la Societas venait à apprendre l’existence du document en question, dans l’hypothèse que le membre de ma Famille est effectivement coupable des rumeurs d’accusations à son égard, les répercussions pourraient être suffisamment néfastes pour faire pencher la balance sur les acteurs impliqués. Cette affaire est pernicieuse M.Mongstrel, je ne peux vous abreuver de détails sans augmenter encore les risques d’ébruitement, mais je n’aurai pas fait le déplacement moi-même s’il n’en valait pas des intérêts de la précieuse Societas. Faites un geste, et je peux vous garantir que la SSG s’en souviendra dans la continuation de notre collaboration.”
Visiblement le malaise de la situation gagne peu à peu l’être vert, sa frimousse dans une telle circonstance considère attentivement ses options, il y a un peu plus en jeu qu’un simple écart des règles pour favoriser un client fidèle, on touche ici aux Fraternitas, une puissante famille de la République avec laquelle il souhaite tout sauf se créer des problèmes, de l’autre côté il y a la SSG, le plus puissant actionnaire sur l’échiquier économique de Sekaï. S’il prend la mauvaise décision et que la Societas se retrouve froissée avec l’organisme bancaire à cause de cela, il risque gros, mais d’un autre côté s’attirer les foudres d’une des Sept Grandes, ce n’est probablement pas mieux. Que faire? Après quelques hésitations supplémentaires, il relève son menton pointu vers le vieillard qui le dévisage avec l’expression assurée et semi-souriante de ceux qui ont le contrôle de la situation, et dit:
”Je… Je vais vous y mener.”
”Je vous remercie de votre coopération M.Mongstrel.”
Le gobelin descend maladroitement de sa chaise pour commencer à marcher vers la sortie et diriger le Sénateur et lui-même en direction de la salle des coffres. En le suivant, Zelevas l’accompagne vers les sous-sols de l’imposant bâtiment, le malaise ostensible du patron de la sécurité ne le touche pas plus que ça, son esprit est surtout concentré sur l’instant présent et l’accomplissement de son objectif. Il prie pour trouver ce qu’il recherche, un indice, quelque chose, n’importe quoi, la réalité des faits dans sa venue ici est qu’il ne sait pas ce qu’il tentait d’obtenir, mais il le reconnaîtrait en le voyant. Le chemin qu’ils empruntent les mène à un couloir en pierre, creusé dans les souterrains de l’édifice et qui débouche sur un vaste ouvrage d’entrepôt, organisé par la présence de grandes rangées ordonnées de casiers en bois tout ce qu’il y a de plus commun. Les gardes dans la pièce se lèvent à leur arrivée, surpris de voir leur patron débarquer dans la salle des coffres où habituellement seuls les clients fortunés et les employés s’aventurent. À leur approche, Mongstrel se retourne vers Zelevas et lui indique de se soumettre à la fouille, un procédé habituel de l’établissement, et lorsque le garde tombe sur les bonbons au caramel dans sa poche, le vieillard se permet de rigoler dessus en disant que celles ci sont plus dangereuses pour ses dents que pour l’intégrité de la Banque. Ensemble ils passent ensuite entre les allées de containeurs et trouvent au fond la porte qui mène à la Salle des Familles. Une conséquente pièce supplémentaire, semie-circulaire dont le seul usage est de concentrer les coffres personnels des Sept Grandes Familles de la République, les autres familles de noblesse possédant des consignes ailleurs dans le dédal souterrain ou situés dans les autres succursales de la Banque des Chaînes. Sur la paroi incurvée se greffent tour à tour les portes massives des coffres, surmontées de plaquettes gravées à l’effigie des sept noms les plus célèbres de la nation et encadrées par les imposants systèmes de verrouillage. Zelevas s’avance lentement vers la porte la plus à gauche du lot.
FRATERNITAS
La porte en bois est parsemée de renforts métalliques, il serait presque impossible d’y passer au travers par des explosifs, de tenter de l’abattre en la faisant brûler ou de la découper. Sur chaque coin de la porte des disques en acier protègent les coins en dénigrant tout accès à l’interstice qui sépare la porte du mur, et pour peu que ce serait la première fois que Zelevas la voie s’ouvrir, il ne saurait même pas dans quel sens elle se déplacerait. Le vieil homme attend sagement en se retournant vers le gobelin pour attendre qu’il lui ouvre, et le Directeur de la forteresse s’exécute. Joint dans son mouvement d’un des gardes de l’entrepôt principal qui les a suivit à l’intérieur de la Salle des Familles, les deux opérateurs sortent chacun une clé dont la tête brillante semble incrustée d’une pierre aux propriétés magiques, et lorsqu’ils les enfoncent dans le socle qui ressort du mur à côté de la porte concernée, ils se consultent du regard pour tourner en même temps leur clés dans les serrures. Immédiatement un bruit sourd se fait entendre, Zelevas regarde la porte s’ébranler subitement, tandis qu’un grondement sourd indique qu’un premier chevron s’ôte de la porte à l’intérieur du mécanisme de l’ouverture. De la poussière de bois tombe doucement au sol et les vrombissements persistent, un par un les bloquants qui maintenaient la porte en place se rétractent dans le mur, et lorsque le dernier cède, un bruit de chaîne se fait entendre tandis que la porte s’élève pour disparaître dans le plafond.
”Prenez le temps que vous voudrez Monsieur le Directeur, trois coups à la porte quand vous aurez terminé.” Le gobelin commence déjà à reculer en trainant un garde surpris vers la sortie.
”Oui je sais, je m’en souviens. Encore merci M.Mongstrel.”
Zelevas se craque les phalanges une par une en avançant dans le coffre des Fraternitas, il va avoir du pain sur la planche. Le coffre en lui-même est une petite pièce, privilège réservé aux clients les plus aisés de la Banque notamment les familles nobles et les grosses sociétés financières de la Nation Bleue, les murs de pierre sont creusés et aménagés pour renfermer des tiroirs verrouillés et étiquettés aux différents noms des membres de la Famille Fraternitas, et au milieu de la petite salle une table simple et une chaise en métal, les deux terriblement poussiéreuses. Sortant son mouchoir pour en passer un rapide coup sur les meubles, Zelevas récupère sa propre clé de sa poche, celle qui correspond à son tiroir. Chaque tête de clé est forgée pour avoir une forme en aplat de face qui soit unique, les différents points de contact à l’avant de la clé sont ensuite pourvus de minuscules éclats de cristaux banals à la couleur cyan, et seule une, deux ou trois d’entre ces cristaux sont en réalité des fragments minuscules de lumithrite, la distinction est imperceptible à l’oeil nu, et à peine différenciable dans le noir même total sans avoir recours à la magie. À l’intérieur de la serrure se trouve un contacteur en roche obscure qui réceptionne la lumithrite et c’est la réaction magique entre les deux roches qui déverrouille le mécanisme d’ouverture du tiroir. Bien plus complexe que les simples tiroirs à serrure mécanique du reste de la Banque mais la sécurité prime lorsqu’on touche aux Sept Grandes. S’approchant d’un des murs du coffre, le Sénateur plonge sa clé dans la serrure et un demi tour plus tard il vérifie ses effets dans son casier, quelques documents, des titres d’argent, une vieille bague, un dessin au fusain fatigué par les années et il ne reste au fond qu’une pile de dossiers pêle mêle, mélangeant SSG, carnets de politique, FRN et des broutilles de son temps sous Génova. Bien. Refermant le tout il reporte son attention sur la malle commune, un coffre en bois sans verrou que chaque Fraternitas peut ouvrir dès lors qu’il a accès au Coffre de la Famille, il a laissé sous-entendre à Mongstrel que c’était là dedans qu’il comptait fouiller à la recherche d’un fameux document compromettant, mais en réalité s’il l’ouvre, c’est juste pour étaler les documents sur la table pour faire diversion si quelqu’un rentre à nouveau dans la Salle des Familles.
Une fois la duperie en place, Zelevas s’assied et se dissimule derrière la malle qu’il a déposé sur la table pour cacher ses mains, puis il sort une aiguille dissimulée dans la collerette de fourrure de son manteau et retire ses gants pour bénéficier de toute la précision possible. Précautionneusement, Zelevas plie les petits crocs qui tiennent les cristaux en place sur sa propre clé, il sait où ils sont pour les avoir identifié avant de venir. Il extirpe avec attention les infimes fragments de pierre et récupère dans sa chaussure les tiges de métal qui le gêne dans sa marche depuis son départ de sa chambre ce matin. Un “z”, un crochet, des échardes en fer. Fixant les lumithrites sur l’extrémité des échardes en les imprégnant de caramel, Zelevas s’accroupit devant un des tiroirs au niveau du sol, le nom “Vigent” sur l’étiquette lui assurant que c’était bien sa cible.
Sa carrière dans sa jeune vingtaine l’avait formé au crochetage de serrure, et vu sa spécialisation les Titans savent qu’il en avait fait, mais nous reviendrons là dessus plus tard, pour le moment Zelevas en chemise est assit par terre, le manteau plié sur la chaise pour éviter qu’il ne traîne au sol poussiéreux, il se concentre pleinement sur les sons subtils que son oreille atténuée par l’âge peine à relever. Ses doigts jouent avec le crochet à l’intérieur de la serrure pour relever les loquets qui gardent l’entrée du contacteur, c’est la première fois qu’il tente de crocheter un tel mécanisme, et la dernière fois qu’il s’était essayé à une telle action remonte à un temps où il pouvait se réveiller le matin sans avoir mal nul part. Il tâtonne l’intérieur de la serrure du bout du crochet, comptant d’abord le nombre de loquet et éprouvant le résistance un par un, deux… quatre, cinq. Deux d’entre eux présentent une faible résistance, un troisième bloque sans qu’il n’ait besoin d’appliquer de pression. Malicieux. Zelevas empoigne le Z dans la paume de sa main et force un couple de rotation sur la bouche de la serrure pour bloquer les loquets en place, puis il vient soulever le loquet du fond du mécanisme, lentement, très lentement, jusqu’à ce qu’un fin clic se fasse entendre. Reculant un tout petit peu le crochet pour venir caresser le prochain loquet, il répète l’opération sans trop forcer, empoignant très fermement le crochet dans sa main pour éviter d’aller trop vite, il s’agit d’un des loquets trop résistants, normalement ceux ci sont tronqués à la moitié et ont la tendance à subitement se dérober au point d’inflexion, les rendant particulièrement difficile à immobiliser dans la bonne position. Il rate et le crochet enfonce le loquet trop loin.
”Merde.”
Relâchant la pression pour laisser les loquets retomber, il reprend de zéro, fixant à nouveau le premier, puis reprenant plus doucement cette fois avec le deuxième. Clic. Le troisième présente une particularité similaire et il tombe à nouveau dans le panneau, il recommence, échoue encore, s’énerve un tout petit peu, moins patient qu’il ne l’était il y a des décennies de ça, se calme, reprend, y arrive. Le quatrième loquet se place normalement et il arrive sur le dernier en redoublant de prudence, c’est celui qui bloque tout seul. Il vient avec le dos du crochet placer l’outil en quinconce contre le bord du loquet et très délicatement, en relâchant subtilement un iota de pression sur le Z, il descend manuellement le loquet vers le bas jusqu’à ce qu’il le sente complètement déployé. Une fois en place, il le remonte d’un cran infime, tente avec la pression de faire pivoter le cadran, sent le mécanisme bloquer et petit à petit, il test les positions du dernier loquet jusqu’à enfin trouver celle qui débloque la rotation du cylindre. Soupir de soulagement. Hourra. Ça lui aura quand même bien pris un bon quart d’heure.
Prochaine étape il immobilise sa main droite pour conserver la pression sur le cylindre et vient de la gauche ramasser les échardes sur la table pour les enfoncer dans l’interstice. Il tâtonne à nouveau à l’aveuglette, ses doigts se mettent à légèrement trembloter à cause de la durée de l’effort, il penche la tête pour coller son oreille juste au dessus de la bouche de la serrure et écoute attentivement l’arrivée d’un doux sifflement vibrionnant. Il l’entend enfin, force une première fois, mais le mécanisme tient bon, normalement il doit y avoir deux voir trois lumithrite sur une clé, leur position aléatoire en font un nombre suffisant par rapport à la rareté du matériau utilisé pour leur fabrication. L’homme insère une deuxième écharde à l’intérieur du trou, et cinq minutes après, il ouvre le tiroir de Vigent Fraternitas.
L’autre Sénateur de la Famille possède un casier bien moins remplis que Zelevas visiblement, à la place des piles de dossiers qui occupent le tiroir d’Élusie il n’y a ici qu’un petit paquet de chemises.
”Quelqu’un a moins de choses à enterrer visiblement.”
Ce n’est pas forcément vrai d’ailleurs, se dit Zelevas en commençant à éplucher les documents, le Domaine Fraternitas étant à Justice en comparaison de la forteresse à Liberty, faire le déplacement est laborieux donc la plupart des biens entreposés par la Famille dans le coffre de la Banque sont surtout des documents que les membres de la Famille n’ont pas besoin de ressortir régulièrement, c’est le genre de papiers qu’on souhaite mettre de côté et oublier l’existence. C’est parfait. Il continue de feuilleter pendant des heures à la recherche d’un indice sur les fameux investissements dont Séléna parlait, mais les différents documents présentent d’abord assez peu d’intérêt, traitant de vieilles transactions ou d’héritage et de bureaucratie administrative.
”Chateau des landes de pierres, Droit de propriété foncière sur la carrière des plaines de Lavaan…” Zelevas tenait mentalement les comptes en prenant des notes au fur et à mesure qu’il parcourait les tableaux de chiffres, explorant les différents papiers avant de s’arrêter sur une chemise verte moins usée que les autres.. ”Comptes An 3 Société Vigeart?”
Qu’est-ce que ça fait là ça? Étrange qu’un registre aussi récent de la compagnie de Vigent soit entreposé ici, peut-être que c’est justement le début qu’il cherche. Le vieil homme lèche son doigt pour décoller les fins filigranes de papier sur lesquels des listes retracent les activités de la compagnie, possessions, achats, commerce, logistiques, avoirs, capitaux…
”...mais?” Le vieil homme vérifie bien que ce qu’il voit n’est pas une illusion ou juste un coup de la fatigue. Il recoupe la déduction d'imposition trois pages auparavant avec la dépense mentionnée ici. ”Il manque encore un million deux cent milles ou…?!” Non ce n’est pas lui. Il y a bien un gouffre abyssal sur le total renseigné, peut-être que les valeurs sont reportées… Il sort le fichier concernant les transactions internes au groupe Vigeart, rien. Déplacement de fonds, rien. Redistrib? Non plus. ”Mais ce n’est pas possible… il est parti où cet argent?” Il n’y a littéralement rien de listé, juste une déduction d’impôt sur un don caritatif et derrière il manque plus d’un million du capital de l’entreprise. Zelevas commence à comprendre pourquoi ce document est ici, c’est évident que ce papier doit simplement être enfouis dans les méandres de l’oubli et quel meilleur endroit que le coffre de Vigent. Regardant sa montre il relève le temps qu’il lui reste avant la fermeture de la forteresse, plus qu’une heure, il a déjà passé trop de temps à épier les différents dossiers avant d’avoir enfin trouvé quelque chose d’intéressant mais ce n’est pas fini, il doit encore grappiller les détails restants sur cet étrange trou de comptabilité. ”C’est que ce n’est pas le seul en plus… bon ceux ci ne sont pas aussi larges, par contre ce sont à chaque fois des dons de charité. Espoirs de Shoumeï, la Bonté Bleue, les Orphelins de la dengue… où est-ce que j’ai déjà entendu parler de ces noms bon sang.” Du bouche à oreille, sans doute parce que ces organismes n’existent plus aujourd’hui, en un an plusieurs arnaques de charités avaient été démantelées de Courage à Liberty, démontant de grosses opérations de fraude à l’échelle du pays qui avaient volé de l’argent un peu partout, aux donneurs suffisamment crédules pour être tombés dans le panneau. C’est ça, c’est sans doute ça la raison pour laquelle Sylvestre parlait des investissements de Vigent d’après Séléna, il avait fait des dons caritatifs qui étaient tombés dans les mauvaises mains via ses propres ressources personnelles et l’argent du PFR. ”Ho ho ho, mal placer l’argent des votants, énorme faux pas Vigent.” Et pas que! Il y a de quoi faire un sacré scandal avec tout ça, juste à l’approche des élections, si le peuple venait à apprendre que leur candidat aux présidentielles n’était qu’un incapable qui égarait son argent ça n’allait pas plaire aux électeurs.
Alors qu’il vient tout juste de se lever de sa chaise pour replacer le document dans le tiroir, Zelevas s’arrête soudainement, circonspect par la pensée qui vient de traverser son crâne. Sur le bilan annuel du dossier le bénéfice indiqué par la compagnie de Vigent était pourtant correcte. Il le sait, c’est lui qui avait inspecté la boîte du Fraternitas quand il l’avait passé au crible en Janvier pour le compte de la SSG, à ce moment là il n’avait accès qu’à l’état de santé de la société et il n’avait rien repéré d’anormal. Comment? Comment est-ce possible? Il doit y avoir des injections cachées quelque part. Il rouvre le registre et feuillette le livret à la recherche d’une explication dans les détails des recettes, le Directeur de la Comptabilité finit par trouver un énième détail suspect, dommage qu’il ne puisse pas retirer ce dossier sans que Vigent en soit inévitablement informé tôt ou tard! Une des filiales de Vigeart, celle qui décline ses produits à l’étranger, semble beaucoup trop lucrative proportionnellement aux échanges avec le Reike sur l’An 3, ça aussi c’est une information qu’il connaît grâce à sa vision d’ensemble des chiffres de la SSG. Il note juste mentalement le nom de cette filiale dans un coin de son esprit en bougeant ses doigts pour ancrer un moyen mnémotechnique dans sa tête. L’heure arrive.
Rangeant tout les documents dans le tiroir avant de remettre celui-ci en place, Zelevas se dépêche de refermer le tiroir, de laisser retirer ses échardes du cylindre de la serrure, de remettre en place les lumithrites sur sa propre clé et de ranger les documents dans le coffre familial avant de laisser la salle renforcée dans le même état que celui où il l’avait trouvé. Saisissant à nouveau sa serviette et son manteau, il se rhabille à la va-vite et vient toquer trois fois à la porte de la Salle des Familles, où le même garde que tantôt lui ouvre la porte avec un sourire fatigué de fin de service. Pendant que le surveillant rentre à l’intérieur de la pièce pour récupérer les clés et que le ronronnement de la porte qui se rabaisse se fait entendre dans l’entrepôt désertique, Zelevas marche fermement vers la sortie en se retournant juste pour dire:
”Mes remerciements à votre Directeur, la SSG se souviendra de son assistance!”
De retour à l’extérieur, la diligence repart dans le bleu timide de la nuit naissante et à son intérieur, un vieil homme, avec un vieux rêve, affiche un sourire sur ses vieilles lèvres.
Alors qu’il vient tout juste de se lever de sa chaise pour replacer le document dans le tiroir, Zelevas s’arrête soudainement, circonspect par la pensée qui vient de traverser son crâne. Sur le bilan annuel du dossier le bénéfice indiqué par la compagnie de Vigent était pourtant correcte. Il le sait, c’est lui qui avait inspecté la boîte du Fraternitas quand il l’avait passé au crible en Janvier pour le compte de la SSG, à ce moment là il n’avait accès qu’à l’état de santé de la société et il n’avait rien repéré d’anormal. Comment? Comment est-ce possible? Il doit y avoir des injections cachées quelque part. Il rouvre le registre et feuillette le livret à la recherche d’une explication dans les détails des recettes, le Directeur de la Comptabilité finit par trouver un énième détail suspect, dommage qu’il ne puisse pas retirer ce dossier sans que Vigent en soit inévitablement informé tôt ou tard! Une des filiales de Vigeart, celle qui décline ses produits à l’étranger, semble beaucoup trop lucrative proportionnellement aux échanges avec le Reike sur l’An 3, ça aussi c’est une information qu’il connaît grâce à sa vision d’ensemble des chiffres de la SSG. Il note juste mentalement le nom de cette filiale dans un coin de son esprit en bougeant ses doigts pour ancrer un moyen mnémotechnique dans sa tête. L’heure arrive.
Rangeant tout les documents dans le tiroir avant de remettre celui-ci en place, Zelevas se dépêche de refermer le tiroir, de laisser retirer ses échardes du cylindre de la serrure, de remettre en place les lumithrites sur sa propre clé et de ranger les documents dans le coffre familial avant de laisser la salle renforcée dans le même état que celui où il l’avait trouvé. Saisissant à nouveau sa serviette et son manteau, il se rhabille à la va-vite et vient toquer trois fois à la porte de la Salle des Familles, où le même garde que tantôt lui ouvre la porte avec un sourire fatigué de fin de service. Pendant que le surveillant rentre à l’intérieur de la pièce pour récupérer les clés et que le ronronnement de la porte qui se rabaisse se fait entendre dans l’entrepôt désertique, Zelevas marche fermement vers la sortie en se retournant juste pour dire:
”Mes remerciements à votre Directeur, la SSG se souviendra de son assistance!”
De retour à l’extérieur, la diligence repart dans le bleu timide de la nuit naissante et à son intérieur, un vieil homme, avec un vieux rêve, affiche un sourire sur ses vieilles lèvres.
Au milieu du grenier, un petit disque de bois au sol est trempé par la pluie qui s’engouffre à travers le trou dans la toiture, une des tuiles manquant à l’appel laisse passer l’averse qui s’abat avec une intensité si morfale que le bombardement de cordes qui se déchaîne sur le toit au dessus d’eux passe facilement pour des grêlons. Dans l’obscurité de cette charpente miteuse et humide se découpent trois silhouettes d’hommes dans la fleur de la jeunesse, seuls deux d’entre eux sont réveillés, le troisième est couché à même les planches poussiéreuses en calant sa tête contre un vêtement roulé en boule sous sa tête. S’il fait sombre dans le grenier où ils sont, ce n’est pas parce qu’il fait nuit, mais parce qu’ils ne prennent pas le risque de s’éclairer d’une quelconque bougie de peur de faire sauter leur position d’observation, le fait que le ciel couvert empêche le soleil de poindre rend l’extérieur tout aussi triste que le trou dans les tuiles.
Les deux hommes éveillés ne parlent pas, ils sont silencieux, prenant leur mal en patience comme ils le font depuis maintenant trois jours, le plus jeune est un homme dans ses premières années de la vingtaine, sa carrure musculaire est athlétique, pas trop de muscles pour ne pas perdre en agilité mais suffisamment de puissance pour développer ses coups quand il se bat. Ses cheveux cours châtains foncés sont sales à force de dormir par terre et de rester terré dans leur trou à rat et ses yeux bleux aciers sont rivés sur la longue vue discrète qui dépasse de la brique manquante dans le mur. Un interstice entre la chanlate et le toit permet de projeter une ombre même lors des jours ensoleillés qui dissimule la présence de l’objectif, et à moins de regarder directement dans leur direction depuis un certain angle, leur cachette d’observation était plutôt bonne. De toute façon le quartier dans lequel ils étaient n’invitait pas trop les passants à baguenauder la terre en l’air et le regard rêveur, il n’y avait pas de petit vieux résident qui passait ses journées à chauffer les bancs parce que déjà, ça faisait bien cinq jours qu’il faisait un temps à noyer les morts, mais ensuite parce que dans le quartier des Aiguillons, les vieux qui traînaient dehors avait plutôt tendance à finir à la morgue, détroussés jusqu’aux os. Le jeune homme a son oeil collé contre sa longue vue, il observe la maison de l’autre côté de la rue avec une discipline religieuse qui lui est due non pas à un entraînement rigoureux, mais à une obstination fanatique que tout ses collègues possèdent également. Ils sont des chiens, ils chassent, l’animal ne détourne jamais le regard de sa proie. À l’affut du moindre mouvement suspect, lui et ses deux compagnons guette comme un forcené depuis trois jours l’arrivée de leur cible, mais ça leur semble fortement compromis. La petite baraque abrite ce qu’ils pensent être la prochaine victime de leur cible, Gamia Solène, une femme dont le profil correspond parfaitement à l’habitude de leur proie: femme, âgée de vingt à trente ans, veuve, habitant seule dans un bas quartier de Liberty, pratiquante religieuse, a supposément subie des sévices sexuelles… Celle ci est particulièrement recluse, la pauvre gueuse sort visiblement rarement de chez elle et c’est habituellement son voisin qui lui apporte ses vivres et va même jusqu’à s’occuper des plantes sur la devanture de la maison. Enfin… ça ce sont les informations qu’ils avaient avant d’arriver sur place, parce que jusqu’à présent leur observation est ridicule. Il n’ont jamais vu le voisin en question et à l’issue de la première journée ils commençaient même à douter de la présence de Gamia chez elle. Ce ne sont que les quelques subtils mouvements qu’ils ont aperçu à l’intérieur à la tombée de la nuit qui leur ont trahi l’habitation de la baraque par la jeune femme, visiblement c’est une nocturne parce qu’elle ne bouge que de nuit. L’oeil bleu acier collé sur l’objectif de l’optique se redresse enfin, observant directement la bâtisse au loin avec un soupir d’épuisement.
Scronch. Munch munch…
Le jeune homme change d’oeil pour éviter de trop se flinguer le regard, moins confortable parce que ce n’est pas son oeil dominant mais tant pis, il vaut mieux ça plutôt que rater l’arrivée de leur proie. Il ignore les bruits de mastication derrière lui et continue de se concentrer sur leur but. Le deuxième homme qui lui tient compagnie, son collègue et aîné respecté de quatre ans dans le service, est un gaillard solide, dans la fin de la trentaine, tonsure militaire qui laisse quand même deviner des cheveux noirs de jais alliés à une barbe de la même couleur, yeux marrons dont la forme tombante en amande fige une expression de tristesse mélancolique permanente sur le visage, il est assis contre une des poutres de soutènement de la charpente et mange bruyamment une pomme en lisant une lettre grâce à sa nyctalopie. Strase de son nom, poursuit tranquillement la lecture de l’écrit, appréciant les nouvelles de sa femme et la distraction qu’elle lui donne dans son office plus qu’ennuyeux, après avoir avalé sa bouchée il tourne sa tête vers son collègue au guet et demande d’une voix curieuse, à la recherche d’une conversation:
”Zel.”
”Hmm?” fit Zelevas sans détourner son regard.
”Toi qu’est d’la haute, de bonne famille tout ça, t’as d’jà vu la jeune milliardaire là?” Un nouveau quartier de fruit s’enfourne dans sa bouche à la lame de son couteau. Strase gratte ensuite la peau du fruit méticuleusement pour continuer de l’éplucher.
”Mirelda Goldheart?”
Si ce n’étaient pas les milliardaires qui manquaient en République, il était rare que les gens atteignent cette borne à l’âge juvénile de vingt-cinq ans. La petite Mirelda fait de nombreuses vagues parmis les Grandes Familles républicaines et Zelevas en entend parler systématiquement à chaque permission au Manoir d’Élusie comme à celui des Fraternitas.
”Ouais, elle.”
”Non jamais. Pourquoi tu me poses la question? Tu voulais que je te la présente, t’en as marre de ta femme?”
”Hin hin hin huuun” Le rire franc de Strase est toujours naturellement drôle à entendre, ça égaye un peu le temps qui passe. ”Y’a ma chouchou qui dit qu’elle est grosse à c’qu’y parait. Apparemment y-z’ont vu qu’elle était d’venue ronde comme une balle en moins d’un mois.”
”Enceinte?” Sous le coup de la surprise, Zelevas dépose la longue vue et se retourne vers Strase pour lui faire face. ”Il ne me semble pas qu’elle soit mariée ni même en concubinage non?”
”C’toi le richard, me d’mande pas.”
”Ben… je ne crois pas. En tout cas je n’en ai jamais entendu parler. Sylv’ non plus sinon je serai au courant aussi.” Junior lui aurait dit s’il le savait, Zelevas n’en doute pas.
Les deux hommes éveillés ne parlent pas, ils sont silencieux, prenant leur mal en patience comme ils le font depuis maintenant trois jours, le plus jeune est un homme dans ses premières années de la vingtaine, sa carrure musculaire est athlétique, pas trop de muscles pour ne pas perdre en agilité mais suffisamment de puissance pour développer ses coups quand il se bat. Ses cheveux cours châtains foncés sont sales à force de dormir par terre et de rester terré dans leur trou à rat et ses yeux bleux aciers sont rivés sur la longue vue discrète qui dépasse de la brique manquante dans le mur. Un interstice entre la chanlate et le toit permet de projeter une ombre même lors des jours ensoleillés qui dissimule la présence de l’objectif, et à moins de regarder directement dans leur direction depuis un certain angle, leur cachette d’observation était plutôt bonne. De toute façon le quartier dans lequel ils étaient n’invitait pas trop les passants à baguenauder la terre en l’air et le regard rêveur, il n’y avait pas de petit vieux résident qui passait ses journées à chauffer les bancs parce que déjà, ça faisait bien cinq jours qu’il faisait un temps à noyer les morts, mais ensuite parce que dans le quartier des Aiguillons, les vieux qui traînaient dehors avait plutôt tendance à finir à la morgue, détroussés jusqu’aux os. Le jeune homme a son oeil collé contre sa longue vue, il observe la maison de l’autre côté de la rue avec une discipline religieuse qui lui est due non pas à un entraînement rigoureux, mais à une obstination fanatique que tout ses collègues possèdent également. Ils sont des chiens, ils chassent, l’animal ne détourne jamais le regard de sa proie. À l’affut du moindre mouvement suspect, lui et ses deux compagnons guette comme un forcené depuis trois jours l’arrivée de leur cible, mais ça leur semble fortement compromis. La petite baraque abrite ce qu’ils pensent être la prochaine victime de leur cible, Gamia Solène, une femme dont le profil correspond parfaitement à l’habitude de leur proie: femme, âgée de vingt à trente ans, veuve, habitant seule dans un bas quartier de Liberty, pratiquante religieuse, a supposément subie des sévices sexuelles… Celle ci est particulièrement recluse, la pauvre gueuse sort visiblement rarement de chez elle et c’est habituellement son voisin qui lui apporte ses vivres et va même jusqu’à s’occuper des plantes sur la devanture de la maison. Enfin… ça ce sont les informations qu’ils avaient avant d’arriver sur place, parce que jusqu’à présent leur observation est ridicule. Il n’ont jamais vu le voisin en question et à l’issue de la première journée ils commençaient même à douter de la présence de Gamia chez elle. Ce ne sont que les quelques subtils mouvements qu’ils ont aperçu à l’intérieur à la tombée de la nuit qui leur ont trahi l’habitation de la baraque par la jeune femme, visiblement c’est une nocturne parce qu’elle ne bouge que de nuit. L’oeil bleu acier collé sur l’objectif de l’optique se redresse enfin, observant directement la bâtisse au loin avec un soupir d’épuisement.
Scronch. Munch munch…
Le jeune homme change d’oeil pour éviter de trop se flinguer le regard, moins confortable parce que ce n’est pas son oeil dominant mais tant pis, il vaut mieux ça plutôt que rater l’arrivée de leur proie. Il ignore les bruits de mastication derrière lui et continue de se concentrer sur leur but. Le deuxième homme qui lui tient compagnie, son collègue et aîné respecté de quatre ans dans le service, est un gaillard solide, dans la fin de la trentaine, tonsure militaire qui laisse quand même deviner des cheveux noirs de jais alliés à une barbe de la même couleur, yeux marrons dont la forme tombante en amande fige une expression de tristesse mélancolique permanente sur le visage, il est assis contre une des poutres de soutènement de la charpente et mange bruyamment une pomme en lisant une lettre grâce à sa nyctalopie. Strase de son nom, poursuit tranquillement la lecture de l’écrit, appréciant les nouvelles de sa femme et la distraction qu’elle lui donne dans son office plus qu’ennuyeux, après avoir avalé sa bouchée il tourne sa tête vers son collègue au guet et demande d’une voix curieuse, à la recherche d’une conversation:
”Zel.”
”Hmm?” fit Zelevas sans détourner son regard.
”Toi qu’est d’la haute, de bonne famille tout ça, t’as d’jà vu la jeune milliardaire là?” Un nouveau quartier de fruit s’enfourne dans sa bouche à la lame de son couteau. Strase gratte ensuite la peau du fruit méticuleusement pour continuer de l’éplucher.
”Mirelda Goldheart?”
Si ce n’étaient pas les milliardaires qui manquaient en République, il était rare que les gens atteignent cette borne à l’âge juvénile de vingt-cinq ans. La petite Mirelda fait de nombreuses vagues parmis les Grandes Familles républicaines et Zelevas en entend parler systématiquement à chaque permission au Manoir d’Élusie comme à celui des Fraternitas.
”Ouais, elle.”
”Non jamais. Pourquoi tu me poses la question? Tu voulais que je te la présente, t’en as marre de ta femme?”
”Hin hin hin huuun” Le rire franc de Strase est toujours naturellement drôle à entendre, ça égaye un peu le temps qui passe. ”Y’a ma chouchou qui dit qu’elle est grosse à c’qu’y parait. Apparemment y-z’ont vu qu’elle était d’venue ronde comme une balle en moins d’un mois.”
”Enceinte?” Sous le coup de la surprise, Zelevas dépose la longue vue et se retourne vers Strase pour lui faire face. ”Il ne me semble pas qu’elle soit mariée ni même en concubinage non?”
”C’toi le richard, me d’mande pas.”
”Ben… je ne crois pas. En tout cas je n’en ai jamais entendu parler. Sylv’ non plus sinon je serai au courant aussi.” Junior lui aurait dit s’il le savait, Zelevas n’en doute pas.
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