Combien de bâtons faut-il lancer ? [Feat Usha]

- Nom de... Hé, Usha ! C'est quand la dernière fois que vous avez mis ces cartes à jour ? Si je mets la main sur le tocard qui a dessiné ça et qui l'a laissé pourrir dans un coin je jure que je vais le... (grommellements indescriptibles)

L'ordre de mission avait été clair, un cerbère faisant la taille d'un chariot de marchandises avait été aperçu sur les flancs de Kazan bordant les plaines sèches, et la bête avait commencé à faire des ravages sur les habitations locales et les sentiers commerciaux au point de nécessiter l'intervention d'une unité spécialisée pour la mater. Et quand les chasseurs locaux ont échoué à coincer le canidé tricéphale, c'est le RSAF qui a du s'en mêler en envoyant des experts triés sur le volet, à savoir un nain à moitié maladif et une secrétaire qui faisait deux fois la taille du-dit nain. Normalement, un herboriste aurait également dû être de la partie mais pour des raisons de sécurité du personnel, il avait été décidé de se limiter à la valkyrie pour escorter et surveiller le nain sur sa première mission officielle post-convalescence.

Mais pour retrouver la trace du cerbère, il fallait déjà mettre le pied sur son territoire et les deux compagnons n'avaient pas été aidés avec les ressources du régiment. Il était clair que la montagne de feu était un coin peu documenté pour le Reike, les cartes étaient souvent le produit d'un lunatique assez fou pour se balader dans la région et elles devenaient vite obsolètes. Le meilleur moyen de s'y retrouver, c'était encore de vivre dans le coin ou de s'adresser aux peuples indigènes, mais ils étaient peu à vivre dans le coin, surtout depuis que la guerre avait forcé les habitants à se réfugier sous terre. Même Kérémir n'avait pas posé le pied sur ces plaines depuis plus d'un an et pourtant sa mémoire lui disait fermement que le col indiqué sur son bout de papier jauni n'existait plus.

"Hé hé hé, tu es sûr que ce n'est pas ta tête qui débloque ? Ce ne serait pas la première fois, petit nain."
"La ferme le blob, j'essaye de me concentrer."
"Et voilà que tu recommences. Tu sais que si tu te montrais un peu plus reconnaissant, je pourrais t'aider. Je suis dans ta tête après tout."
"C'est bon, tu vas la fermer ta grande gueule ?"
"Mais c'est qu'il est vraiment ingrat le nain. Tu as de la chance en plus, les cerbères sont des cousins éloignés, ils sont pratiquement ta famille maintenant."

- Aaaaargh... C'est vraiment pas possible. Usha, tu vois le talus là-bas ? On y va et on pose le camp, si je fais un pas de plus aujourd'hui ma tête va éclater avec l'autre connard qui me siffle aux oreilles.

Ils étaient presque arrivés à destination, les premiers pics cendrés pointaient au loin et l'odeur tournait lentement au souffre. Heureusement, ils ne devraient pas s'aventurer outre mesure dans les terres volcaniques à proprement parler, les attaques avaient été signalées majoritairement dans les plaines plutôt que les plateaux calcinés, signe qu'il s'était passé quelque chose de pas net dans l'habitat du cerbère. C'étaient des bestioles territoriales qui se fichaient éperdument de la chaleur et de la suie tant qu'elles avaient de quoi croquer et ce n'étaient pas les prédateurs qui manquaient dans cet environnement hostile.

Une fois arrivés au talus, Kérémir posa son paquetage et sortit un sachet de viande séchée dont il s'empressa de retirer une tranche avant de mordre dedans. Et entre deux bouchées, il prit la parole.

- Honnêtement, c'est pas le clébard qui me fait le plus peur. C'est dangereux ces bestioles je dis pas, mais ça rôde pas en dehors de son terrier pour rien et les gens du coin sont pas assez cons pour aller les faire chier. Si notre cerbère fait du grabuge, c'est qu'il s'est passé quelque chose de bizarre sur les flancs. Faudra probablement qu'on jette un œil après avoir attrapé notre canidé géant.

Avec un peu de chance, il n'aurait pas perdu la main même si ça faisait belle lurette qu'il n'avait pas parcouru les sols noircis de sa terre natale. Et dans le pire des cas, ses sens sauraient le tirer du pétrin, surtout que le plus gros problème ne venait pas de la montagne mais de lui. On l'avait étudié, soumis à divers traitements et affublé d'un gardien mais la vérité c'est qu'il ne savait pas du tout s'il était en état de se balader sans risquer de perdre le contrôle et d'arracher un membre qu'il ne fallait pas. Enfin, au moins en théorie il ne risquait plus de se transformer toutes les nuits en boule de poils hargneuse et le cas échéant, il avait un outil de 2m50 pour l'assommer sec avant qu'il ne se mette à baver partout.

Un autre inconfort qui allait se montrer c'est qu'ils ne pouvaient plus faire de feu de camp sous peine d'embraser la moitié de la plaine, le mieux qu'ils pouvaient faire pour avoir un tant soi peu de lumière une fois la nuit tombée était de compter sur les aptitudes magiques des membres du groupe, dans le cas présent, Kérémir. Après avoir fini de suçoter la graisse qui restait sur ses doigts, il éleva un orbe de feu pour éclairer les environs et aider Usha dans les quelconques tâches qu'elle pouvait avoir à faire.

- Bon, a priori demain on devrait trouver nos premières traces. Ça m'étonnerait qu'on tombe sur des caravanes par contre, faudrait être timbré pour passer par ici avec l'autre enragé qui rôde. Je prends le premier tour de garde, avec un peu de chance Kazan m'épargnera d'aller aboyer sur notre clébard avant l'heure.

C’était il n’y a pas si longtemps que cela que les cartes avaient été mise à jour, enfin, il lui semblait. La notion du temps qui passe est souvent floue pour la valkyrie. Pas flou dans le sens qu'elle ne le voit pas passer, simplement le concept d’y il y a longtemps ou non est des plus abstraits pour le coup. Donc, la mise à jour de la carte pour le coup pouvait parfaitement dater d’une dizaine d’années et que cela semble récent alors que ce n’est pas du tout le cas pour une zone comme le mont Kazan.

– C’est ce que j’avais de plus récent dans les archives, mais bon, il y a beaucoup de lieux qui sont… hum… Laisser à l’abandon niveau mise à jour des lieux. D’autres le sont beaucoup trop alors qu’il n’y a parfois aucune raison. Par exemple, j’ai un obsessionnel qui entre dans les archives chaque changement de place des pots de fleurs du palais, même si c’est pour quelque heure… ça n’a aucune putain de sens.

Là, pour le coup, c’était vraiment un jardinier avec un tic obsessionnel du contrôle qui avait commencé à faire un journal de ce genre de changement par rapport aux plantes pouvant être présentes dans le palais. Cela pouvait avoir un avantage pour suivre exactement ce qui était introduit comme plante proche de la famille au pouvoir, mais là parfois cela frôlait la folie. Frôler n’est pas le bon terme, nager en plein dedans serait plus exact.

Sable, son dingo, suivait le rythme de ses pas en reniflant régulièrement Kérémir. L’odeur du lycanthrope l’intriguait visiblement. Le nain avait l’air, on ne va pas se le cacher, beaucoup plus abordable que ses congénères présents chez les dévoreurs donc l’animal avait plus une curiosité face à cette différence qu’une crainte. Azur, son faucon, était beaucoup moins en confiance et préférait simplement voler bien au-dessus d’eux où se poser parfois loin du nouveau loup, la méfiance avait toujours été bien plus son truc à lui.

– Ambré, on se pose où tu le souhaites. Tu connais bien plus la région que moi, ce n’est pas comme si j’allais décider où l’on va installer le camp. Pense simplement à te laver les mains un peu avant de manger.

Oui, elle sait que son prénom est Kérémir, mais il lui rappelle les bières, par son caractère fort et un peu amer, donc une bière ambrée lui correspond bien dans son esprit. Oui, elle pourrait faire l’effort d’utiliser son prénom, elle le fera plus tard, possiblement, mais les surnoms aident à moins s’emmêler les pinceaux. Elle a commencé à en donner quand elle a commencé à se tromper entre deux membres d’une même famille, pas du tout la même génération, les gobelins ont une espérance de vie bien trop courte en même temps. Donner ses propres surnoms lui donne l’impression de mieux se souvenir, cela demande moins d’effort que de retenir une flopée de noms qui seront rapidement inutiles pour le coup. Elle-même accordait assez peu d’importance au fait d’utiliser ou non son prénom de base.

Elle décide de faire comme s’il était parfaitement normal qu’il ait du mal avec son loup interne et que cela ne poserait aucun souci à aucun moment de leur périple. On lui avait appris que de faire comme si tout était normal en cas de trouble chez un patient lui mettait moins la précision et engendrait assez souvent moins de stress d’une situation. Normaliser la chose en sommes. Tout comme il était normal pour Sable de courir après un bâton qu’elle venait de lancer pour lui rapporter toute joyeuse, visiblement pour le moment il n’y avait aucun danger qui poussait ses sens à être en alerte, donc le jeu était possible.

– Je suis d’accord avec toi, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans l’histoire, c’est une créature qui est présente sur ce territoire depuis un long moment, mais qui ne pose des soucis vraiment que dernièrement. Il y a bien eu des morts à cause de lui avant, mais bon ont ne vas pas envoyer des équipes pour chaque idiot qui pense qu’il entrer dans la tanière d’un prédateur et en ressortir en parfaite santé.

Là le vrai souci c’est que s’attaquait à des groupes qui ne sortaient pas des sentiers normalement plus sûrs, un peu comme des attaques de bandits, mais à base de cerbère qui laisse toutes les possessions sur place après son passage. Quoi que, est-ce que toutes les possessions étaient vraiment là ? C’est ce qu’il semblait en tout cas a premiers vus, mais aucun inventaire détaillé n’avait été vraiment été fait. Quand certains objets notables manquant cela partaient plus souvent sur l’hypothèse de la destruction dans le feu de l’action qu’autre chose. Le bâton vole encore une fois pendant qu’elle se fait cette réflexion mentale.

– Il y a toujours des timbrés, encore plus quand il y a du danger. Certains vont faire monter leur prix et donner une valeur à leur marchandise sous prétexte qu’ils ont affronté la mort pour l’apporter. Vraiment, il y a des idiots de partout. Pour le premier tour de garde, tu veux un bâton pour t’occuper avec Sable ou est-ce que cela donne trop envie à… Tu lui as donné un nom ?

Elle demande cela le plus naturellement du monde alors que son dingo apporte une nouvelle fois le bâton et que son faucon se met à tourner au-dessus d’eux avant de foncer sur un rat passant par là pour commencer son propre repas.

– Est-ce que tu as tenté de chasser depuis qu’il est en toi ? Est-ce que… hum… Désolé, trop de curiosité, les gens actuellement naissent directement lycan et donc la transition me pique un peu trop la curiosité.

Oui, normaliser la situation est bien, mais normaliser quelque chose qui n’est plus arrivé depuis un long moment, qu’elle n’a jamais pu connaître de son vivant, ce n’est pas si évident que cela mine de rien.
CENDRES

Une imbécile heureuse qu'on lui avait collé. Alors qu'il s'évertuait à essayer de donner du sens à un papier qui se foutait de sa gueule, la valkyrie lui déblatérait des histoires à se jeter dans un tronc. Ça ou alors tout le staff administratif du Reike était composé d'imbéciles aussi heureux qu'elle. Remarque, ça expliquerait pourquoi la documentation était aussi mauvaise mais d'un autre côté, une telle explication était difficile à avaler après avoir passé quelques semaines en congés gracieusement offerts au sein du régiment suite à la... mésaventure qu'il avait connu.

Et pour ne rien arranger, il y avait ce foutu toutou de chasse qui n'arrêtait pas de lui renifler les guiboles, déjà qu'elles n'étaient pas bien grandes, il en avait fallu de peu pour qu'il casse sa pipe à plusieurs reprises, et le dos de l'animal avec lui. Au moins le pigeon avait la décence de ne pas lui crotter la barbe, ou plutôt ce qu'il en restait. Faut dire que ça met du temps à pousser une telle tignasse et ça ne supporte pas très bien l'incinération, à se demander où partait sa fourrure quand il reprenait forme naine après avoir lycanthropé. Finalement, peut-être que l'arrêt n'était pas uniquement dû à l'autre con qui lui sifflait aux tympans.

- Regarde moi bien Usha. Est-ce que tu vois de l'eau quelque part pour qu'on se lave les mains ? A part si tu sais générer de la flotte autrement qu'en pissant par terre, on n'a rien d'autre que nos gourdes et crois-moi, on n'a pas envie de les perdre là où on va. De toute façon, c'est pas un vieux bout de viande qui va me buter.

"Cocasse quand on sait où tu as failli rendre l'âme."
"Continue à jacasser et on va voir si t'arrives me soigner quand je me jette dans une coulée de lave, t'es prévenu."

Il ne pouvait même pas manger tranquille, manquait plus que le cerbère vienne lui boulotter un bras et la soirée serait parfaite. Au lieu de ça, le rouleau de carte continuait à le narguer depuis un coin de son œil. Agacé, il le déroula, examina une dernière fois les traits pour confirmer que ça ne lui serait d'aucune utilité à côté de sa caboche, puis il lança le papier jauni dans l'orbe flottant pour le réduire en cendres, voilà qui le rendrait plus utile que de croupir dans une bibliothèque alors qu'il ne servait à rien.

- Hmph, une bonne chose de faite.

Certes il avait manqué de transformer la plaine en mer de feu mais qu'importe, dans le pire des cas ça aurait au moins eu le mérite d'attirer l'attention et qui sait, peut-être que leur proie leur serait tombé dessus par inadvertance. Il devait toutefois reconnaitre que c'était une stratégie pour le moins douteuse, surtout pour quelqu'un de sa trempe. Il reporta finalement son attention sur sa partenaire qui s'amusait depuis tout un moment à jeter un bâton que son chien lui rapportait inlassablement. Elle soulevait toutefois un point pertinent. Il avait déjà eu à faire à des bestioles enragées volontairement par les hommes, le plus souvent pour nuire à un voisin, et un cerbère qui causait autant de dégâts ce n'était pas banal.

- Ce serait pas la première fois que des gens profitent d'une situation de merde. Par contre ce sont probablement pas des locaux qui l'ont foutue, la merde, ça leur ressemble pas, à moins que... Comment ça un bâton ?

La question avait été posée si naturellement que c'en était terrifiant. Il avait déjà eu droit à bon nombre d'étrangetés provenant de la part de la valkyrie, être réduit à un type de bière n'ayant été que la première d'une longue liste, mais la voir contempler l'idée de l'associer à un comportement de chien ça battait des records. Quand au Duc... il ne s'était jamais défini autrement que par son titre et Kérémir ne se référait à lui que par profanités.

"Un nom ? A quoi bon ? Je suis unique, et mon ancien maitre n'a pas jugé bon de me nommer !"

- ... Tu sais quoi ? Je te laisse le soin de lui en trouver un, de nom. Ça vaudra toujours mieux que "blob" ou "gros tas de merde". Et non, je n'ai pas besoin d'un putain de bâton sauf si je veux me péter le crâne.

Un vrombissement se fit entendre et un rat fut soulevé des hautes herbes par le pigeon de compagnie de la valkyrie. C'est vrai que Kérémir n'avait jamais essayé de chasser depuis sa métamorphose, en même temps il n'était libre que depuis quelques jours et transformer Maël en terrain de chasse lui aurait valu de finir prestement six pieds sous-terre. Mais d'un autre côté, à quoi bon chasser quand son sac était déjà plein ? Il venait de bâfrer de la viande séchée.

- Non, j'ai jamais essayé... Ok on va faire comme ça. Je prends le premier tour de garde, SANS BÂTON, et si je suis pas crevé à la relève j'irai fureter un coup, ça me donnera au moins un prétexte de mieux explorer le coin. Et t'as intérêt à tenir ton toutou en laisse quand je serai parti, je garantis rien pour lui si je lui tombe dessus en pleine cambrousse. Maintenant laisse moi tranquille.

"Oh oh oh ! Je sens qu'on va bien s'amuser, surtout que tu as menti. Ta première chasse avait été splendide si ce n'est pour un léger accroc avec tes compagnons."

La nuit s'annonçait longue...