Il n’aimait pas les villes. Encore moins celles où on parvenait à le reconnaître -c’est-à-dire toutes celles sous l’allégeance Reikoise désormais- car, d’innombrables et pompeux traîne-savates n’hésitaient jamais à venir le saluer, tous fiers et pimpants, en bombant le torse et en déclamant d’une voix qu’ils pensaient fortes “Tovyr”, dans l’espoir d’obtenir…Quoi d’ailleurs? Une tape dans le dos? Un remerciement pour lui avoir rappelé son propre grade ? Ce genre de traditions militaires n’avaient tellement jamais eu le moindre sens, pour lui.
Alasker fixait les terres dévastées de Shoumeï depuis les remparts. La main gauche posée sur la pierre des murs et la droite sur la hampe de la Salvatrice reforgée, se balançant sur son épaule gauche. Il observait les routes sinueuses de ce pays devenu cimetière, l’air légèrement dubitatif, encore perturbé par le briefing de l’hybride-chat et de ce que ce dernier impliquait. Son esprit, trop terre-à-terre et centré sur ses principaux atouts, avait tout le mal du monde à comprendre comment diable prélever des morceaux de cadavres dans une tanière de non-morts infectés pourrait…Sauver des vies et permettre de développer un remède. La maladie n’était pas un ennemi que le géant avait l’habitude d’avoir. La mort de sa famille, dévorée par la peste, l’avait rendu méfiant dès lors que des risques de contamination venaient se greffer à une histoire, quelle qu’elle soit, et c’était donc sans tarder qu’il s’était présenté près des savants du FMR pour boire cette…Solution ? Pâte? La consistance du remède lui paraissait indéfinissable, mais ce n’était clairement pas le cas de son goût, amer, désagréable. Artificiel. N’était-ce pas le dénominateur commun de tous les médicaments, après tout? Le loup n’était pas difficile lorsque venait l’heure de se nourrir, quand bien même ce goût-ci risquait de lui demeurer un moment dans le palais.

Mais qu’importe. Ses yeux d'encre dérivèrent vers l’intérieur des remparts, là où d’innombrables lueurs dansaient au rythme de l’engouement des civils et des militaires, rassemblés dans les tavernes pour célébrer une future victoire ou simplement évacuer un peu de pression, avant de retourner travailler. Un rictus de dégoût déforma ses lèvres et il alla s’asseoir au bord des remparts, de sorte à faire pendre ses pieds dans le vide. Deux mètres plus bas, l’escalier qu’il avait emprunté pour venir ici disparaissait dans le noir. Calmement, le géant retira son heaume et le déposa sur le sol à sa gauche avant de fouiller dans la besace battant sa hanche pour en retirer une pierre à aiguiser.
Iratus contempla la lourde lame de Bronze Céleste ayant remplacé celle qui avait éclaté à Sable d’Or et une succession de souvenirs violents vinrent obstruer sa vision, l’espace de quelques courtes secondes. La pierre passa sur le fil de l'arme, sans changer quoique ce soit.
C’était le plus troublant, avec ce matériel. Il ne s’usait pas. Ne s’oxydait pas. Ne changeait pas. Immuable, immortel, tout comme l’engeance que les titans avaient engendré pour punir ce monde. Certains des Dévoreurs lui avaient conseillé de faire enchanter une telle beauté en usant de ses privilèges de Tovyr pour échapper au paiement, mais Alasker souhaitait d’abord offrir à la nouvelle Salvatrice un baptême par le sang. Quelque chose de significatif, qui permettrait à l’outil comme à son porteur d’apprendre à se connaître. Cette mission ferait l’affaire. Les huiles s’attendaient à du vilain. Cette fois la guerre venait jusqu’aux rejetons des titans. Un juste retour des choses, après les événements de sable d’or. Alasker se demanda si Puantrus avait engendré, lui-aussi, des créatures aussi puissantes que les sinistres Archontes. On s’habituait vite à l’éventualité de tels défis. L’ancien gladiateur souhaitait presque découvrir, parmi les gravats, un nouveau géant décharné aux pouvoirs impossibles, quelque chose d’assez puissant pour lui offrir quelques minutes de gloire supplémentaire. Les autres créatures paraissaient si fragiles, après ça…
Quelqu’un hurla au niveau de la taverne où les Dévoreurs s’amusaient. Ca n’était pas un cri de douleur ou de rage. C’était de la joie. Ou de l’amusement. Alasker soupira.
Ce genre de pitrerie n’avait jamais été son genre. Ça ne le serait jamais. Il ne se sentait bien -dans un groupe- que lorsque ce dernier se tenait derrière-lui, à la recherche d’une menace, d’une cible, de quelque chose à chasser et vaincre. Le géant laissait aux civils et aux fêtards le soin de se concocter une bonne gueule de bois, si cela les chantait. Chacun avait sa façon de se préparer au combat, bien sûr. Quand bien même, il ne comprendrait jamais les humains et leurs facéties.

Alasker avait quitté la salle de réunion sitôt son médicament administré. Inutile d’attendre plus longtemps dans un lieu lui donnant mal au crâne, où l’assourdissante cacophonie de la vie risquait à chaque instant de réveiller l’appétit du loup. Sans un mot, après avoir englouti un pichet d’eau entier, l’irascible guerrier s’en était allé prendre l’air pour finalement atterrir ici, sur les remparts. “Prendre l’air” était d’ailleurs un grand mot. On pouvait difficilement “prendre l’air”, à Shoumeï, puisque le temps semblait suspendu. L’air chargé de cendres rendait parfois la respiration difficile, désagréable. C’était les particules en décomposition d’un pays entier qui flottaient ainsi au gré du vent, alors, évidemment que renifler ici devenait une épreuve, lorsque la pluie ne tombait pas.
“-Tovyr.” Bredouillèrent deux gardes en pleine ronde, en passant derrière-lui. Alasker résista à l’envie de les jeter tous les deux au bas des murs et se contenta de grogner à leur encontre.
Il ne dormirait pas cette nuit. Pas besoin. Il avait pris avec lui une carte pour étudier le décor Shoumeïen et ses reliefs. Deydreus et les autres pouvaient bien se charger de monter un beau plan et de choisir les chemins les plus courts, Iratus souhaitait simplement savoir où et quand les risques d’attaques fleuraient le ridicule. Cette mission avait des airs de buffet ambulant pour les innombrables prédateurs alpha venus s’établir dans les ruines laissés par les humains et, si lui le voyait, alors les monstres le verraient immanquablement aussi. Cela lui prendrait toute la nuit si nécessaire mais, au terme de celle-ci, au moins, Alasker connaîtrait la plupart des planques potentielles sur leur chemin.
Et si, au final, rien de cela ne servait…l’étude de la carte occuperait au moins son esprit le temps de quelques heures supplémentaires.

résumé: