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Citoyen du monde
Louise Aubépine
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crédits : 751
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Châteaux embrasés
La femme en armure afficha un sourire en entendant Tagar lui annoncer le nom de l’animal. Puis peu à peu, voyant que ce dernier était sérieux et qu’il ne s’était pas exprimé sur le ton de la plaisanterie, son sourire s’effaça peu à peu. Intérieurement, là voilà qui se fâchait. Ce marchand était vraiment un sacré filou !
—Je suis désolée d’apprendre ça, lui dit-elle finalement. J’espère de tout cœur que vous parviendrez à vous rapprocher suffisamment de votre nouvelle monture pour que lui cesse l’envie de faire sa mauvaise tête. Et j’espère que ce marchand s’en mordra les doigts lorsqu’il comprendra que vous avez su dompter profit ! Entre nous, ce sera bien fait pour lui ! Je ne doute pas que vous ferez un bien meilleur maître que lui.
Elle laissa le contrôleur s’écarter pour finalement revenir avec une carotte entre les mains.
Bonne idée ! pensa-t-elle avec un sourire alors qu’elle croisait les doigts pour que tout se passe sans accroc.
Par chance, l’animal sembla plus doux. Ou du moins, il n’entama pas un combat avec Tagar, ce qui était un excellent début.
—Vous avez raison, dit alors Louise. Le temps est la seule chose qui vous permettra d’obtenir sa confiance. Mais heureusement, vous semblez très bien vous y faire et semblez également être un homme patient. Je croise les doigts pour qu’un jour, vous soyez devenus les meilleurs amis. Je pense qu’il sera heureux en votre compagnie lorsque les choses iront mieux entre vous.
Ils continuèrent d’avancer dans le désert avant que finalement, l’homme à la tête du convoi ne sonne la halte de celui-ci. Prétextant que les voyageurs allaient devoir se reposer un peu et même se sustenter. Il était vrai que la femme commençait sentir ses jambes lourdes et qu’elle ne dirait certainement pas non à un peu de repos. Néanmoins, elle n’avait pas faim. Les démons n’avaient pas besoin de se nourrir. Toutefois, Louise Aubépine avait toujours été particulièrement gourmande et les bons plats étaient pour elle un de ses péchés.
Surprise mais en même temps reconnaissante, elle fixa un instant les vivres que proposait de partager Tagar. Hésitante à les récupérer. D’un point de vue purement pratique, ce serait du gâchis si elle venait à les prendre. Et ces vivres pourraient bien être salvatrices pour le contrôleur un peu plus tard mais d’un autre côté… il les lui avait proposées n’est-ce pas ?
Soucieuse, la démone leva son regard pour rencontrer celui de l’homme et finalement elle trancha. Elle n’allait pas lui cacher ce non-besoin. Ce serait malhonnête et contraire aux enseignements de son père.
—Avant que je ne jouisse de votre précieux don, déclara-t-elle finalement. Je dois vous mettre au courant d’un fait particulier concernant mon espèce. Nous n’avons pas ce besoin vital qui est de manger ou de boire pour vivre. Ainsi, si vous rétractez votre offre, je ne m’en offusquerai pas. Mais si vous souhaitez tout de même partager avec moi quelques vivres, j’en serai heureuse et je ne ne vous en remercierai jamais assez. Il se trouve que… (Elle hésita un instant en rougissant légèrement. Il était difficile d’expliquer qu’elle aimait manger sans se faire moquer.) J’aime particulièrement partager de bons repas. Ça fait un bon moment que je n’en ai pas eu le plaisir. (Plusieurs milliers d'années à dire vrai.) En un sens, je me demande si la gastronomie a évolué depuis tout ce temps. Vous avez dû faire des avancées fulgurantes non ? Peut-être que de nouveaux plats ont été inventés ? A l’époque, je raffolais de viandes en fondue. Il y avait même une auberge où je me suis rendue un jour et… Je m’égare un peu. Mes excuses.
Elle lança alors un regard à Salomon, trop timide pour continuer de parler de sa passion pour la cuisine. Ou plus particulièrement celle des bons plats. Elle avait certainement dû se rendre ridicule ou même passer pour un ventre sans fond.
Elle se leva prestement pour récupérer un petit sac de carottes et vint se rasseoir proche de Tagar et de Profit. Posant une main sur la crinière de la bête, elle lui offrit un légume pour tenter de l’amadouer tout comme l’avait fait le contrôleur quelques minutes plus tôt. Au moins, le cheval semblait au moins autant gourmand que ne l’était la femme en armure car bien vite, il oublia sa mauvaise humeur au profit des bonnes carottes.
Louise se mit à rire doucement. Décidément, il y avait peu de chose qu’un bon repas ne pouvait pas guérir.
Tagar lui parla alors de sa mère puis lui offrit de touchants mots qui arrachèrent une larme à la démone. Il semblait s’être approché pour la serrer contre lui. Tout comme l’aurait fait son père pour la consoler, mais il abandonna finalement l’idée. Peut-être était-ce là un code de l’honneur reikois ? En y repensant, elle n’utilisait plus sa magie de métamorphose pour paraitre enfant comme autrefois et ressemblait désormais à une femme bien adulte. Elle était certes naïve, elle savait qu’il y avait certains codes à suivre en société. Peut-être que le contrôleur avait une épouse et qu’il serait très mal vu de prendre dans ses bras une autre femme ? C’était malheureux, mais Louise comprenait. Elle allait devoir faire attention de son côté aussi à ne plus lui prendre la main sans raison !
Sur cette fausse déduction, la démone sur d’elle lui offrit un sourire. Même si le geste n’était pas arrivé à son terme, l’intention y était.
—Votre cœur est pur Tagar. Je vous remercie du fond du cœur. Sachez néanmoins que votre proposition n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Je pense réellement que ce n’est que par l’unisson que nous pourrons surpasser les plus grands défis. Viendra peut-être le jour où je viendrais vous demander de l’aide. Pour le bien de notre monde. J’espère que vous répondrez à mon appel. Mais n’ayez crainte, ce n’est pas à sens unique. Si vous avez besoin de quoi que ce soit que je sois en mesure de faire, même s’il s’agit d’une tâche simple comme garder vos enfants une après midi ou même vous aider à arroser vos plantes, si je le peux, je le ferai. J’espère pouvoir vous compter parmi mes amis. Vous avez su me tendre la main sans rien demander en retour. C’est grâce à des gens comme vous que je continue d’avoir un espoir sans précédent envers le peuple de Sekai.
Elle marqua une courte pause pour nourrir de nouveau Profit qui, décidément, raffolait des carottes.
—C’est une bonne chose de bien s’entendre avec ses parents, ajouta-t-elle finalement avec un sourire triste. La famille, les liens, les proches, je pense que c’est ce qui nous maintient en vie. Ce qui nous fait nous sentir vivant. C’est grâce à eux que nous sommes qui nous sommes. Un jour viendra où… vous aurez à faire le deuil de votre mère. (Elle ne put s’empêcher de lâcher quelques larmes, se mettant à la place du contrôleur.) Mais ce jour-là, n’oubliez pas. Même si le désespoir vous accable. Même si vous sentez que vous ne parviendrez plus jamais à être heureux. Souvenez-vous de qui elle a été pour vous. Souvenez-vous de comment elle vous a forgé. De comment elle s’est occupée de vous. Comment vous avez veillé l’un sur l’autre. Son souvenir vivra à jamais en vous. Pour mes proches, c’est la même chose. Je ne peux m’empêcher d’être triste bien sûr, mais j’ai la certitude que si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est grâce à eux. Et mes souvenirs en leur compagnie resteront intarissables. Peu importe les années qui s’écouleront. Et c’est aussi pour ça. Que je suis heureuse de vous avoir rencontré.
Le cheval souffla finalement bruyamment. Demandant une nouvelle carotte et après un rapide sursaut, la démone lui en offrit une autre.
—Je crois que ça va vite vous revenir cher en carotte, dit-elle alors amusée. Mais il semble bien plus calme.
CENDRES
Citoyen du monde
Louise Aubépine
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Châteaux embrasés
La voyageuse écouta attentivement les dires du contrôleur impérial lorsqu’il s’exprima sur les différents mets qu’ils auraient le luxe de manger plus tard. Tagar venait de dire qu’il l’inviterait partager un repas au sein d’un restaurant reikois et cette information était loin d’être tombée dans l’oreille d’une sourde. La gourmande hésitait tout de même sur un point. Etait-ce bien juste de ne pas aider à régler la note ? D’un autre côté, elle se sentait mal de dépendre autant de Tagar sans pouvoir lui apporter quelque chose en remerciement mais d’un autre côté, son père lui avait toujours appris qu’il était particulièrement impoli de refuser une invitation. Finalement, ce fût lorsque l’homme annonça le repas que la démone trancha. Ses yeux s’allumèrent d’une certaine envie alors qu’elle s’imaginait déjà manger ce fameux bon repas.
—De la blanquette de veau ! s’écria-t-elle avant de reprendre à timbre normal. C’était la spécialité de Père. Mon plat favori. Nous n’en mangions pas souvent parce que la viande était coûteuse mais pour les occasions spéciales, Père revenait du marché avec de belles pièces de veau et il passait toute la journée derrière les fourneaux pour que nous puissions avoir ce festin à la tombée de la nuit. Je suis contente de voir que de tels classiques n’ont pas disparu à la traversée des âges. C’est avec plaisir que j’accepte votre invitation et j’espère pouvoir un jour pouvoir vous offrir à mon tour le couvert.
La discussion continua paisiblement avant que Louise ne se rende compte de sa bêtise. Elle posa une main sur ses lèvres en clignant doucement des yeux réellement désolée.
—Je vous prie de bien vouloir excuser mon empressement. Je m’étais permis de penser que vous étiez déjà fiancé parce que euh… eh bien…
Elle baissa finalement la tête, les joues empourprées par son erreur, n’ayant pas réellement de justification à donner. Heureusement, Tagar ne sembla pas s’en offusquer car voilà qu’il acceptait son amitié. Soulagée, Louise soupira doucement de contentement.
—Je me suis mal exprimée. Veuillez me pardonner. Evidemment, je croiserai les doigts pour que votre mère ait la vie la plus longue et la plus joyeuse possible. Je parlais d’un futur très lointain mais c’est sans doute parce que j’ai encore du mal à relativiser le temps. Enfin, oublions cette mégarde de ma part. Je serai ravie d’être votre amie.
Elle termina son repas avant de se tourner de nouveau vers Tagar alors que le reste de la troupe commençait à préparer leurs affaires. Ils avaient encore quelques temps devant eux, mais certains voulaient être prêts à partir à la hâte si mauvaise surprise venait à se dévoiler. Certains, plus rapides que les autres, en profitaient déjà pour fermer un peu les yeux.
Louise prit le temps d’enlever son armure car elle se voyait mal dormir avec, dévoilant une simple tunique sombre avec un pantalon tout aussi commun.
—Je me demandais, Tagar. Qu’est ce qui vous emmène si loin de la capitale ? Proche du mont Kazan. Vous aviez des comptes à contrôler ici ?
Elle déposa sa sacoche pour l’utiliser comme un oreiller et s’allonger sur le sable. Ce n’était pas si inconfortable que cela. Elle avait décidé de faire la discussion jusqu’à ce que le sommeil ne l’attrape dans ses bras pour l’envoyer dans le monde des songes.
CENDRES
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Louise Aubépine
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Châteaux embrasés
Louise l’écouta expliquer une partie de son travail. Elle baissa finalement les yeux, pensive.
—C’est vrai que le Reike a pris part aux batailles, déclara-t-elle doucement. Votre point d’opération principal se trouvait donc en Shoumei ? Il me manque encore certains détails de la guerre. Un couple avec le cœur sur la main a accepté de me mener jusqu’ici alors qu’ils fuyaient les ruines de Shoumei pour se rendre en République. Ils m’ont expliqué que les reikois s’étaient battus férocement contre les titans. Mais ils ont aussi laissé entendre qu’il y eut quelques débordements. Quoi qu’il en soit, votre nation a eu un courage débordant pour se dresser face à nos dieux. Votre implication a certainement sauvé de nombreuses vies et je vous en suis reconnaissante. Je me pose la question à présent. Que va-t-il advenir de ma patrie ? J’ai bon espoir de la voir rayonner de nouveau un jour, il s’agit de mon foyer après tout. (Elle marqua une pause pour regarder le contrôleur.) Vous qui occupez un poste important, Tagar, pensez vous cela possible ? Le Reike serait-il prêt à aider Shoumei à renaître de ses cendres ? J’imagine que du point de vue de beaucoup de vos soldats, nous avons perdu notre droit à réclamer nos terres après avoir prié les titans. J’ai entendu que certains shoumeiens s’étaient même rangés dans le camp de nos dieux. Ils ont suivi leur foi jusqu’à leurs derniers moments. C’est à la fois beau et tragique. Je me dis que si nous nous étions tous serrés les coudes depuis le début, peut-être Shoumei serait encore debout à l’heure qu’il est. Quoi qu’il en soit, ce qui est fait et fait. Nous devons nous tourner vers l’avenir. Puis-je avoir votre honnêteté sur le sujet ? Je n’en prendrai pas ombrage si vous m’annonciez que le Reike n’a prévu d’aider à reconstruire Shoumei. Du moins, sous les couleurs shoumeiennes.
Après quelques temps, le reikois lui apporta une couverture et la démone lui offrit un sourire chaleureux. Il allait vraiment falloir qu’elle prenne le temps de mieux se préparer une fois arrivée au Reike.
—Pour tout vous dire, expliqua Louise. Oui nous pouvons tomber malade. J’en fais souvent les frais d’ailleurs. Dès que vient le printemps et que le pollen commence à envahir les forêts, je finis toujours à éternuer et avoir les yeux qui piquent. Et ne parlons pas des hivers les plus rudes ou j’ai bon souvenir de terminer sous la couette avec une forte fièvre. Heureusement, Père m’apportait toujours une tasse de chocolat chaud et après quelques jours de repos, j’étais prête à sortir de nouveau.
Elle se tut finalement pour se mettre confortablement sous la couette. Dormir à la belle étoile était certes moins agréable qu’être posée sur un confortable matelas, la vue n’en restait pas moins scotchante.
—Dans le désert, les étoiles sont votre seule guide et vos seules amies. Peut-être est-ce une des raisons pour laquelle vous êtes si proche des astres. Ils ont quelque chose de rassurant mais j’ai aussi l’impression de me perdre dans leur immensité en plongeant le regard vers les cieux nocturnes.
Elle contempla un moment les cieux lumineux avant d’entendre la question de son nouvel ami. Une question qui lui était bien difficile à répondre.
—C’est compliqué, déclara-t-elle finalement après une longue minute de silence. Si je pouvais détruire pour de bon les divinités que je prie, le ferai je ? Cela ferait de moi une très mauvaise croyante, n’est-ce pas ? Je pense… je pense qu’il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Ce que je désire, c’est la paix. J'aimerais qu’il soit possible de cohabiter avec les dieux que je prie. C’est mon but premier. Je désire une paix avec ces derniers. Mais… si jamais cette dernière est impossible et qu’ils mettent en danger le monde en lequel je crois et ses habitants que j’ai promis de protéger. Alors je prendrai les armes contre eux. Et si mon grimoire me donne un moyen de les supprimer définitivement, je le ferai. Ce sera certes le cœur lourd car j’aurai trahi ma religion et j’aurai échoué à apporter une paix totale, mais je sais qu’en définitive, il s’agissait de la bonne chose à faire. Ce monde que j’ai juré de protéger, passera toujours avant le reste. Je suis une horrible diviniste pour dire ça, mais oui, pour protéger ce monde, je tuerai chaque titans si c’était la seule solution réalisable. Néanmoins, j’ai bon espoir de ne pas avoir à recourir à de telles extrémités. Le sekaï possède la force de créer des miracles, je le crois sincèrement.
Puis lentement, elle ferma les yeux. Il était temps de profiter de cette nuit sous les astres. Car la chaleur du lendemain serait certainement intense.
—Reposez vous bien, Tagar, parvint-elle à dire avant de se laisser sombrer dans le monde des songes.
CENDRES