C’est au petit matin que Koraki se rendit de nouveau au manoir. Alors qu’elle parcourait la ville, les passants s’écartaient devant sa démarche déterminée. Certains chuchotaient, s’étonnaient et s’indignaient quant à l’absence de ses ailes. Que s’était-il passé ? Aussi, personne n’eut le courage de le lui demander devant l’expression que soutenait son visage.

Et enfin, après avoir bravé les regards de la foule quant à sa nouvelle condition, la mairesse put entrer dans le manoir décrépit. Le majordome l’accueilla avec tout le savoir faire dont il put faire preuve malgré son âge avancé, se retenant de faire le moindre commentaire sur l’absence des ailes majestueuses que portait autrefois la femme aux cheveux immaculés.

Le vieil homme, comprenant rapidement que l’opposante de Koraki, Courtney Seaside ne se montrerait pas aujourd’hui, laissa à la maîresse le loisir d’acheter le fameux livre des morts au prix de départ. Laissant Koraki, gagnante sur toute la ligne. Le livre entre les mains et un pécule de réserve satisfaisant. Elle avait su gagner sur toute la ligne.

Le majordome lui indiqua de nouveau de faire attention avec un tel objet et la remercia de nouveau pour avoir fait affaire. Ce fût donc la tête haute, et victorieuse que la mairesse quitta la demeure des Montclays.

Quelques minutes plus tard, alors que le calme était revenu dans l’habitat. La gobeline suppliante sortit de derrière un banc. Prenant progressivement l’apparence de la sorcière dont Koraki avait fait la rencontre.

—Alors, ne t’avais-je pas dit qu’elle était parfaite ?

—Effectivement, elle a la tête sur les épaules. Plus que ce que je ne le pensais. Tu avais raison et j’avais tort. Contente ? Cela dit, la roue du destin est en marche. Koraki sera-t-elle en comprendre les rouages pour s’y élever ? Ou restera-t-elle le pion utile que je pensais ? Puisse-t-elle savourer sa victoire et continuer de danser, incapable de voir les fils qui la suspendent.

—Je te trouve bien dure, répondit la sorcière en secouant la tête. Et puis, veux-tu bien enlever ce déguisement grotesque ? Ou peut-être as-tu pris goût à l’idée de te prendre pour un vieil homme ? (Elle s’approcha un peu plus devant le vieux majordome avant de s’enquérir d’un sourire carnassier.) Faisons un nouveau pari dans ce cas. Je suis prête à parier qu’elle est bien plus qu’un pion comme tu dis. Car il ne faut pas oublier, que même le plus ridicule des pions à la possibilité de devenir reine en usant de suffisamment de ferveur. Et sur cet échiquier qu’est la République, ceux qui sous-estiment leurs opposants finissent bien souvent par rejoindre les abîmes.

—Nous verrons, renchérit l’homme alors que ses traits fondaient pour prendre l’apparence d’une charmante femme à l’expression plus sévère que sa consoeur. Faisons ce nouveau pari dans ce cas. Voyons si Koraki Exousia atteindra la grandeur que tu lui prédis tant.

Les femmes se serrèrent alors la main, une expression pleine de malice sur le visage avant d’éclater dans un long rire qui résonna au sein du manoir. Les temps sombres approchaient.

[...]

A des lieux d’ici, le Drakyn qui avait participé aux ventes était accoudé à une caravane, sur une route de campagne. Discutant avec le conducteur.

—Affirmatif. La maîresse de courage a certainement dû mettre la main sur l’ouvrage à l’heure qu’il est. La gamine n’est jamais ressortie, tout comme Bluefield. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans cette cave mais je te le dis, ça ne sent vraiment pas bon. Honnêtement, je pense qu’il y a quelque chose dans l’ombre que nous n’arrivons pas à discerner pour le moment. J’étais venu pour me renseigner sur le destin de l’artefact shoumeien, et finalement je me retrouve avec plus de questions que de réponses. J’ai l’impression de manquer tout un pan du puzzle et c’est assez frustrant. Je te laisse ramener au pays ce que j’ai acheté, je sais que c’était pas malin mais que veux-tu, je suis un sentimental. Tu feras ton rapport, je sais que nous avons beaucoup sur le feu, mais ne fermons pas les yeux trop vite sur la seconde puissance de notre monde. Il va se passer de sales trucs, je le sens. De mon côté, je vais continuer de faire ce que je sais faire le mieux. Tendre l’oreille dans les tavernes. Ahahaha ! Oui comme tu dis, la boisson républicaine est quand même un cadeau des astres. Allez, on se dit à la prochaine et bonne route.

Il sauta alors de la caravane, reprenant sa mission d’espionnage.

[...]

Dans un monde où chacun semble tirer les fils d’un autre, et où chacun porte un masque, Koraki parviendra-t-elle à jouer les bonnes cartes afin de briser ses chaînes et d’accéder à la liberté tant convoitée ? Aujourd’hui, elle venait de faire un pas de géant. Mais qu’elle prenne tout de même garde, à voler trop proche du soleil sans précaution, on en finit par y laisser des plumes. Il ne tiendrait qu’à elle de s’accomplir dans la suite des événements.

La République allait subir une véritable tempête. Il était temps que les cartes soient redistribuées et l’échiquier renversé.

CENDRES