Neera sortit de l’auditoire avec un certain soulagement, mais elle avait le sentiment de ne pas avoir perdu son temps en se déplaçant jusqu’à l’Université de Drakstrang. Ca avait été rarement le cas jusqu’ici, d’ailleurs. Même si le Reike et la République partageaient des points de vue différents sur pas mal de domaines – aussi bien la religion, que la politique notamment –, l’Empire avait quand même des érudits et des savants considérables au sein de son Académie. Et comme attendu, le colloque qui avait eu lieu avait été d’un assez grand intérêt pour justifier sa présence. Sans surprise, il avait été axé sur le domaine militaire – rien d’étonnant sur le territoire reikois – et on y avait abordé la résistance magique d’anciens et de nouveaux équipements répandus dans tout le Sekai. On y avait démontré particulièrement démontré l’efficacité potentielle de nouveaux enchantements présentés par des  artisans qui espéraient tirer un bon prix de leur expertise. Ils assuraient qu’ils étaient dignes de confiance, que ça protégerait bien les soldats équipés, mais il fallait bien sûr voir quels étaient leurs offres, ce sur quoi se pencheraient certainement des comptables ou des agents des différentes factions. A titre personnel, Neera aurait plus facilement fait confiance à Athénaïs  de Noirvitrail, une façonneuse de la République qui avait fait ses preuves avec le temps. Elle était une cancre en matière de magie élémentaire – l’une des rares où la demi-titan s’était décarcassée pour en tirer quelque chose –, mais heureusement, la Républicaine s’était épanouie dans son premier cursus à Magic et elle avait su développer ses dons en matière d’enchantement.

Différents intervenants avaient eu lieu tout au long de la journée, pour présenter les différentes recherches qui avaient eu lieu et pour montrer des pièces par les artisans. A présent que le colloque était terminé, Neera avait quitté l’auditoire et s’était dirigée à l’extérieur. Elle arriva bientôt près d’une arène où on pouvait s’entrainer aux maniements des armes. Deux soldats s’entrainaient vigoureusement. Malheureusement pour eux, et peut-être heureusement pour elle, ils ne pouvaient la voir car la jeune femme se situaient sur des gradins, et leur terrain d’entrainement était en contrebas.

Il était sûr que le Reike pouvait être fier de ses soldats. Le chant de l’acier, les techniques des recrues, leurs protections et leurs solides formations, justifiait leurs réputation dans le Sekai. Maintenant… Combien de morts avait entrainé Tensai Ryssen dans son sillage ? Rien n’était blanc ou noir en ce bas monde, mais combien de ces étudiants survivraient s’il y avait de nouveaux conflits avec d’autres factions ? Il n’était probablement pas possible de le savoir, et il valait mieux qu’il en soit ainsi.

En tous les cas, Neera avait oublié que le soleil pouvait être si intense, et elle s’apprêta à délaisser le terrain d’entrainement pour se mettre à l’abri quelque part quand son regard se posa sur un homme qu’elle avait déjà vu. Peut-être avait-il participé au colloque ? Ou alors, elle l’avait simplement aperçu en arrivant sur les lieux un peu plus tôt dans la journée… Fait amusant, il avait la même couleur de cheveux, mais c’était leur seul point commun. Là où l’inconnu avait une peau pâle, elle avait une peau mâte, des yeux translucides, presque transparents, qui avaient l’habitude d’intriguer les interlocuteurs qui ne la connaissaient pas.

- Pardon, fit-elle en se rendant compte qu’elle lui bloquait le chemin, je n’avais pas remarqué votre présence. Je m’apprêtais à partir…

D’ailleurs, elle ferait bien de planifier son retour dans la République. Ca lui prendrait quelques jours, pour rentrer à Liberty.

Neera observe d’un air un peu curieux, mais aimable, cet homme qu’elle ne connait pas, qu’elle a seulement vu brièvement lors de ce colloque. Elle fait jouer sa mémoire, essaie de se rappeler le nom de tous ceux qui ont participé à ce rassemblement. Et puis, cela lui revient. Cet homme aux cheveux immaculés, cet homme qui paraît doux, mais qui doit avoir des compétences, puisqu’il est ministre, c’est Tagar Reys. Probablement est-il venu sur les lieux afin d’estimer les prix des artisans et voir si le Trésor peut se permettre une telle dépense. Peut-être est-il venu également pour d’autres raisons, afin de se faire une meilleure idée des avantages et des inconvénients de tels objets enchantés. En tous les cas, les voici tous les deux à l’Université de Dragstrang. Elle, une Républicaine, qui est bien contente de ne pas appartenir à l’Empire ; et lui, un Reikois qui doit probablement avoir mille choses à faire pour plaire à la Couronne.

En tous les cas, Neera ne sait pas exactement pourquoi il est venu sur le terrain d’entrainement. L’enseignante constate qu’on sépare les deux combattants, mais elle ignore tout du conflit qui oppose les deux soldats, aussi elle ne leur accorde qu’une œillade distraite. Apparemment, quelqu’un d’autre, probablement un membre de l’Université, est en train de leur passer un savon, mais ce n’est pas son problème. Son interlocuteur, lui, constate la même chose qu’elle, et semble se détendre puisqu’il s’adresse de nouveau à elle avec un sourire. Apparemment, il a apprécié l’intervention de l’élémentaliste, et cette dernière eut bientôt une expression un peu espiègle.

- Visiblement, il n’a pas apprécié mon intervention non plus quand je leur ai proposé de tester leurs enchantements, pour voir jusqu’où allait la résistance de leurs armures. Je suppose qu’ils ont eu peur que je n’y aille trop fort et trouvent une faille dans leur magie. Ils ont bien fait une démonstration dans la salle du colloque, mais ce que j’ai noté, c’est que c’est un de leurs mages qui a fait l’opération.

Neera a une moue légèrement dubitative, mais elle laisse tomber finalement tomber le sujet. Ce n’était pas comme s’ils allaient discuter du colloque toute la journée non plus, et pour une fois, elle a l’occasion de faire la connaissance d’un Reikois, elle peut espérer que ça va bien se passer.

- L’université de Drakstrang reste quand même bien différente de celle de Magic, observe-t-elle. La République était une professionnelle de l’administration, mais le Reike était sans aucun doute un spécialiste des armées militaires. Dites-moi, Monsieur Reys. Vous avez fait des études au sein de cette Académie ?

Elle se doute que la réponse est probablement « oui », mais elle ne connaît rien de son parcours, donc autant poser la question. La jeune femme effectue ensuite un geste pour l’inviter à la suivre s’il le désire. L’homme est peut-être habitué au soleil impitoyable de l’Empire, mais pas elle, et elle n’a pas l’intention de cramer sur place.

- Est-ce vous avez déjà été à la Liberty ? C’est loin de votre domaine d’expertise, mais peut-être apprécierez-vous l’Université Magic.

Qui était la meilleure école du Sekai.
En toute objectivité bien entendu.

Tagar rit légèrement quand il se rappelle la tête de l’artisan, terrifié à l’idée que Neera mette à l’épreuve ses enchantements. Puis il lui avoue qu’il n’a jamais donné un seul cours dans l’université de Drakstrang. C’est un peu étonnant, ou peut-être pas, compte-tenu de son domaine de prédilection. Quand on commence comme comptable ou inspecteur des finances, ce qu’on doit savoir, ce n’est pas forcément se défendre avec une arme ou une armure. Le combat se situe ailleurs, dans les chiffres, dans la diplomatie, dans la ruse, aussi. Mais apparemment, le fait que Tagar ne soit pas un guerrier pur souche lui fermait des portes et la diviniste haussa un sourcil.

- Tout le monde ne peut pas être un parfait guerrier. Il faut de tout pour former un peuple. Et ce n’est parce que vous n’êtes pas un combattant que vous manquez de compétences.

D’ailleurs, si l’homme avait véritablement de l’expérience, comme il semblait le suggérer, c’était du gâchis de ne pas lui permettre de transmettre son savoir.

- On oublie souvent que certains professeurs sont très bons au niveau de la théorie, mais qu’ils n’arrivent absolument à se représenter la réalité du terrain. Parfois, il est bon de sélectionner quelqu’un d’expérimenté – qu’on soit  à Drakstrang, Melorn ou Magic – qui arrive donc plus facilement à illustrer des cas pratiques et concrets à leurs étudiants. Au moins, sourit l’enseignante, ils ne s’endorment pas dans les auditoires. Mais j’imagine que si certains voulaient piquer un somme, ils seraient vertement repris par leurs professeurs. Moi la première.

Neera se tourne ensuite vers Tagar, et elle reprend.

- J’espère en tout cas qu’on vous proposera un jour une place. Qui sait ? Vous viendrez peut-être un jour diriger vous-mêmes un colloque à Magic, plaisante-t-elle, avec un air à demi-sérieux, toutefois.

Peut-être aurait-il une opportunité en fin de carrière, comme récompense pour ses services. C’était difficile à savoir, et l’élémentaliste n’était pas véritablement devin. Aussi elle l’écoute parler de Liberty, qu’il avait déjà visité quelques fois, apparemment. Quand le ministre dit que rien ne peut équivaler leur université, un sourire franc apparaît sur les lèvres de l’enseignante. Elle ne pouvait nier que le cadre de Magic était exceptionnel, ni que son université avait une somptueuse bibliothèque, et qu’elle formait de très bons mages en devenir.

Elle a un rire léger quand Tagar prétend qu’il compte faire les sept cursus s’il devient un jour immortel, et elle réplique :

- Vous savez, j’ai 500 ans, et je n’en ai fait que deux. Donc prenez votre temps si vous avez l’éternité devant vous !

Quant à connaître tout de la magie… C’était un bien doux rêve, sans doute.

- Je me demande si c’est seulement possible. Quand on voit tous les apprentissages réservés à la magie élémentaire, uniquement, et toutes les découvertes qu’on peut encore faire, toutes les magies qui peuvent peut-être apparaître suite à un cataclysme ou un événement particulier, on n’en aura jamais fini d’apprendre. On pourra peut-être devenir très sage, comme votre vice-roi – je crois qu’il a plusieurs millénaires et que c’est peut-être l’un des plus vieux membres du Sekai ? – mais tout savoir sur la magie… Seul les Titans en sont capables peut-être. Et si certains, comme les Reikois, pensent que ce sont que des créatures qu’on peut abattre, on peut se demander s’ils connaissent vraiment tout ce qu’il se passe dans leurs Royaume divin.

Non, être omniscient et tout connaître sur la magie… Ce n’est pas de leur ressort, même pour celui qui a l’éternité devant lui.

Mais Neera sort de sa réflexion quand Tagar lui pose une autre question, en cherchant à savoir quelle était sa spécialité à son Académie.

- J’enseigne les théories fondamentales de la magie, ce qui peut mener à une spécialisation très spécifique, si vous cherchez à maîtriser des arcanes particulières. Mais cela ouvre des portes aussi à pas mal d'étudiants, qui peuvent devenir des mages, des professeurs, ou encore des soldats, s'ils en ont envie. Ma spécialisation, c’est la magie élémentaire, explique-t-elle. Regardez.

La femme aux cheveux immaculés tend son bras, paume ouverte vers le haut, et un peu de concentration suffit pour qu’une boule d’électricité pure apparaisse dans sa main. Pas plus grande que sa main, Neera veille bien à ce que les éclairs soient très limités pour ne pas qu’ils touchent son interlocuteur.

- Evidemment, je peux faire ça avec les autres éléments. Pas tous, concède-t-elle,  alors qu’une boule de feu, puis une boule d’eau, et d’air, apparaissent successivement dans sa paume. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Mais agrandir mon savoir m’a toujours passionnée, sourit-elle, et je compte bien améliorer la maîtrise de mes arcanes avec le temps. Surtout qu’il semble bien généreux avec moi, remarque-t-elle.

Elle a cinq siècles, et elle n’a strictement aucune idée de combien de temps elle va vivre dans le Sekai. Assez paradoxal, puisque généralement, tout le monde connaît ses origines. Elle avait cru pendant pas mal de temps qu’elle était humaine, mais… Son père et sa mère devaient avoir hérité des gènes d’une autre race, estimait la professeure, ce n’était pas possible autrement. Allez savoir laquelle…

- Mais je ne fais que parler de la magie et de mon parcours, sourit-elle en effectuant un geste d’excuse. Parallèlement, elle arrête l’utilisation de son pouvoir et sa main gauche retombe contre son flanc. Sauf erreur, vous êtes ministre ? J’espère que vous vous plaisez dans vos fonctions ?

Question un peu rhétorique, il est vrai, mais Neera enchaine avec une dernière prise de parole.

- Être ministre… Voilà une carrière que je ne suis pas vraiment sûre d’ambitionner, vu toutes les responsabilités que ça doit vous donner…

Quand Tagar lui explique que la violence lui ferme des portes, Neera ne peut s’empêcher de faire légèrement la moue.

- J’ai un peu de mal avec le concept. J’ai davantage l’impression que la violence n’engendre que la violence et qu’il faut aussi utiliser les mots, la diplomatie, l’intelligence. Si on n’utilise que la violence… Ne le prenez pas mal, je ne veux pas insulter votre peuple, mais alors, on n’est qu’un peuple de barbares.

Un sourire apparaît ensuite davantage sur ses traits lorsque Tagar semble enthousiasmer à l’idée d’aller à Magic. Il fait preuve d’une très bonne volonté, assurément, qui serait rafraichissante pour les étudiants de Dragstrang, voire ceux de la République.

Puis, le ministre lui confie que la magie élémentaire le fascine et qu’il aimerait l’apprendre, mais il n’est pas naïf : il sait que cela demande beaucoup d’entrainement, et apparemment, il essaie de prendre du temps pour approfondir sa maîtrise.

- Si vous persévérez dans cet état d’esprit, je suis sûre que vous verrez des résultats, sourit la demi-titan. Tout le monde peut acquérir des compétences magiques si on le veut vraiment, donc ça n’est assurément pas hors de votre portée.

Une idée naît dans son esprit, et elle lui pose alors une question :

- Puisque je suis ici, et que je maîtrise relativement bien la magie élémentaire, voulez-vous que je vous montre un élément en particulier ?

Autant être aimable, surtout si c’était son domaine de prédilection.

Bientôt, Neera apprend qu’il n’est ministre que depuis quelques semaines, son précédent métier étant celui de contrôleur royal. Ce n’est pas vraiment dans les cordes de l’enseignante, mais au moins a-t-il voyagé dans tout le continent.

- J’imagine que vous avez dû rencontrer beaucoup de monde, observe la mage, sans dissimuler son intérêt. Si ce n’est pas trop indiscret, quel a été vos meilleurs souvenirs en tant que contrôleur royal ? Ou même, soyons fous, en tant que Ministre ?

Elle attend qu’il lui réponde avant de reprendre la parole.

- De mon côté, je respecte ceux qui ont des responsabilités, mais j’avoue qu’assumer un rôle politique me donnerait l’impression de m’enchainer. Je ne serai plus vraiment libre, puisque j’aurais des devoirs envers ma nation, et parfois… Parfois, voire même souvent, sinon toujours, le milieu politique est bien corrompu. Mais ça, elle ne le dit pas devant un responsable du pays voisin, qui peut tantôt être un allié, tantôt être un ennemi. Je n’ai pas envie d’avoir des comptes à rendre, finit par conclure Neera, et l’université Magic a des valeurs qui me conviennent tout à fait.

C’est alors que Tagar lui propose une chose intéressante. Il lui demande si l’enseignante veut participer à un jeu, le but étant d’envoyer un ballon à l’intérieur du but adversaire. Bonne enfant, et un peu compétitrice dans l’âme, disons-le, elle accepte d’un hochement de tête.

- Pourquoi pas ? Ca me fera plaisir de découvrir un divertissement populaire de votre Université.

L’élémentaliste laisse Tagar préparer le jeu, et s’arranger avec des tierces personnes si c’est nécessaire. Neera, elle, s’avance dans l’arène et attend qu’on lui trouve des adversaires. Bientôt, trois étudiants, probablement du début de la vingtaine, se présente à elle et un sourire apparaît sur ses traits. Elle attend néanmoins qu’on lui donne le feu vert pour s’emparer du ballon avec sa magie de l’air.

La balle est très légère, et donc très facilement manipulable. Préférant voler à quelques centimètres du sol pour améliorer sa mobilité et sa vitesse, la demoiselle semble léviter alors qu’elle maintient le ballon à quelques centimètres de sa main gauche. L’espace d’un instant, le temps semble figé et puis…

Puis, elle lance la balle.
Droit vers le but en face.

Les étudiants sont néanmoins habitués à ce jeu, et l’un des défenseurs, qui semble faire aussi office de gardien, intercepte le projectile sans guère de difficultés. Il faut dire que la professeure n’a pas mis trop de force non plus, dans son jet : le but n’est pas que la balle devienne un boulet de canon. Le jeune homme décide alors de la renvoyer à un de ses coéquipiers, à hauteur de Neera, coéquipier qui s’empresse de courir de l’autre côté du terrain tout en utilisant sa magie pour déplacer la balle.

Mais c’est sous-estimer la diviniste.
Le seul qu’elle ait jamais estimé comme un rival, lorsqu’elle était étudiante, c’était Eliëndir.
Et ces deux-là sont très loin d’être du niveau de l’elfe de Melorn.

C’est avec un regard joueur qu’elle suit les deux étudiants qui voient leur chance pour marquer des points face au professeur d’une autre Académie. Elle voit que leur espérance grandit quand ils approchent du goal que Neera est censé défendre et qui est désespérément vide. Ils croient y arriver quand ils se mettent à lancer, toujours par magie, le ballon.

Leur déception est donc bien grande quand, loin de marquer un point, Neera parvient à leur hauteur, dévie la balle par sa magie de l’air, et revient dans la main de l’élémentaliste.  

- Vous avez une bon travail d’équipe, les félicite-t-elle. Mais ce n’est pas suffisant.

Et pour preuve, la mage renvoie aussitôt le ballon qui fait un beau vol plané avant d’atterie dans le but adverse. Le gardien a bien tenté de l’intercepter, mais il est passé à ça du ballon.

- On continue ? suggère-t-elle aux étudiants avec un sourire en coin, qui ne demandent pas mieux que de prendre leur revanche.

Après une ou deux parties supplémentaires, toutes marquées par une victoire de Neera, la diviniste se tourne finalement vers Tagar, qu’elle n’a pas oublié. Elle joue distraitement avec le ballon qui volette autour d’elle.

- Vous voulez participer, Monsieur le Ministre ?  

Les regards se tournent alors vers Tagar, et Neera lui accorde un sourire conciliant, montrant qu’il est totalement libre de refuser sa demande.

Tagar lui fait remarquer que le Reike a depuis toujours vécu dans un environnement difficile, et en cela, il n’a pas vraiment tort. Neera ne sait pas tellement ce que c’est, de vivre dans un milieu aride et désertique : le climat de la République est plutôt tempéré et clément, et cette dernière a donc pu plus facilement se concentrer sur les arts, la magie, et sa culture. L’Empire, lui, a dû compter sur sa force, mais il a instauré une sorte de… d’aide pour les plus faibles, si elle en croit les propos du Ministre. Bon, peut-être bien. Mais est-ce que ce système n’aide pas sur le long terme le régime politique en place ? Il doit bien y avoir des conditions pour accéder à ces aides et la mage a du mal à croire que cette bonté du couple royal est totalement gratuite. Enfin… Autant laisser tomber le sujet, peut-être et Neera acquiesce simplement quand Tagar lui dit qu’il appréciera avec plaisir une démonstration quand elle aura un peu de temps.

L’homme aux cheveux blancs lui révèle ensuite que ses voyages à l’étranger avec son père l’ont profondément marqué. Cela, elle veut bien le croire : quand on est jeune et qu’on découvre le monde, chaque périple a une saveur particulière.

- Mon père voyageait beaucoup lui aussi, mais il ne m’a jamais emmenée. C’est un peu ma faute puisque j’étais très concentrée sur mes études. J’ai surtout voyagé après mes deux cursus dans le Sekai, notamment pour visiter votre Académie et celle de Melorn. C’était très enrichissant, mais voyager avec un membre de sa famille doit donner des souvenirs tout particuliers..

Puis vient le moment où Tagar lui propose de jouer à un jeu propre à l’Université de Dragstrang. La mage est joueuse et accepte facilement sa proposition, mais il est clair et net que ses trois premiers adversaires ne sont pas de taille. Alors la demi-titan se tourne vers le Reikois et lui demande, avec un sourire conciliant, mais aussi empreint de léger défi, s’il veut jouer aussi. Il ne tarde pas à accepter sa proposition avec un grand sourire, alors même que davantage d’étudiants sortent de leurs cours. Rapidement, on se demande ce que font ces deux personnes dans l’arène, et le mot passe en lèvre de bouche en bouche : il s’agit d’une enseignante étrangère qui va affronter un de leur propre ministre. La curiosité des étudiants est aussitôt exacerbée, et puis, qui refuserait de regarder un bon match entre deux adultes expérimentés ? Bientôt, les gradins se remplissent, Neera croit même entendre que certains prennent des paris, et que la plupart préfère choisir leur propre ministre. Ce dont elle ne peut honnêtement pas leur en vouloir.

- On dirait qu’on espère votre victoire, sourit-elle à l’adresse de son adversaire.

Apparemment, ce dernier est accompagné par ses propres hommes, et le chef de sa garde personnelle (elle suppose ?) établit rapidement un périmètre de sécurité, si bien que les étudiants sont obligés de bien rester dans les gradins. Quelques-uns proposent certes leur assistance à Tagar, mais il refuse poliment leur offre. Ce sera donc du un contre un, et Neera a un léger sourire. Ce n’en sera que plus intéressant, même si, bien sûr, ils vont s’affronter gentiment, en gens bien civilisés. La diviniste note néanmoins que le garde du corps de Tagar appréhende quelque peu cette confrontation, aussi la Républicaine regarde son futur adversaire avec curiosité.

- Qu’avez-vous fait pour que votre propre garde se méfie de vous ? demande-t-elle.

La jeune femme attend sa réponse, puis va sur sa propre partie du terrain. Tagar, lui, laisse la balle au milieu du terrain et l’invite à lancer les hostilités.

Neera hoche la tête, les murmures enthousiastes diminuent un peu dans la foule car les étudiants présument que le combat va bientôt commencer. L’enseignante, elle, s’empare du ballon grâce à sa magie de l’air, le fait voler à la verticale jusqu’à une certaine hauteur, puis décide de l’envoyer vers Tagar.

Cette fois, elle n’essaie pas de marquer directement un but.  

Elle ne connaît rien des capacités magiques de son opposant, elle se demande donc comment il va contrattaquer. Il lui a dit qu’il était un passionné de la magie élémentaire mais… Parmi celle-ci, il y a l’air, le feu, la terre, l’eau, l’ombre, la lumière, sans compter les éléments complexes, comme le métal. Qu’a-t-il choisi de développer en premier ? L’enseignante l‘ignore, et elle a hâte de voir comment il va réagir.

Elle décide donc de viser le but adverse, mais sans viser comme une forcenée, ni comme si sa vie en dépendait. Par conséquent, Tagar a le temps de réagir, de se réapproprier le ballon, et de le renvoyer vers sa partie de terrain. C’est clairement un test, avant que les choses sérieuses ne commencent, mais il va de soi que, si l’ancien contrôleur royal renvoie le ballon de son côté, Neera réagira aussitôt avec un peu plus de sérieux et d’adresse, notamment via sa magie élémentaire.

Que la partie commence !

 
- Disons que la dernière fois que j’ai utilisé mes pouvoirs, il y a eu des morts.

…
Attends, quoi ?

- Mais c’était des méchants.

Non mais, elle espérait bien. Après tout, Neera préférait largement affronter quelqu’un qui ne prenait pas plaisir à tuer autrui.

L’enseignante avait été quand même assez surprise par la réponse du Reikois. Ce n’était pas anodin, d’enlever la vie à quelqu’un. Et après ça, pourtant, l’Académie Dragstrang refusait de lui ouvrir ses portes ? Quelqu’un qui était prêt à utiliser ses pouvoirs pour tuer, qu’il soit en légitime défense ou non, devait, selon le Reike, avoir assez de force d’esprit pour intégrer le corps professoral… Non ?

En tous les cas, sans savoir le contexte, ni le pourquoi du comment, la demi-titan préférait ne pas juger le ministre – ce qu’il avait fait le concernait lui et lui seul, et la professeure pourrait peut-être aussi utiliser ses pouvoirs de la même façon un jour. Puis, Neera n’avait pas trop le temps de philosopher. Elle s’était momentanément tue quand l’homme lui avait révélé qu’il avait tué des gens, un peu abasourdie peut-être par la franchise de son interlocuteur, mais maintenant, le match allait commencer et elle aurait été stupide de le juger arbitrairement.

Elle se contenta donc d’hocher la tête, puis le jeu débuta.

Elle observa avec intérêt Tagar réagir. Ainsi, il contrôlait le métal. C’état intéressant, et ça n’allait pas lui faciliter la tâche. Mais tant mieux, ça lui rajouterait au contraire du piment dans cette compétition amicale.

Le mage utilise ensuite adroitement la magie de la terre, et Neera regarde attentivement le terrain. Il est facile de prédire où la balle va apparaître. Devant les buts qu’elle doit défendre. Aussi, quand le projectile fait de nouveau surface, la sang-mêlée n’hésite pas une seconde. Elle entend que son adversaire lui parle, bien sûr, mais tout cela, c’est secondaire, puisqu’ils ne comptent pas s’attaquer l’un l’autre. En théorie du moins.

Au lieu d’utiliser l’air, l’élémentaliste décide de surfer sur la magie de son opposant. Elle reprend la motte de terre créée par la sortie du tunnel, et utilise le sable sous son contrôle pour faire un bouclier de fortune, suffisamment compact pour qu’il dévie in extremis la trajectoire du ballon.  Celui-ci finit sa course contre le pilier blanc de son but. Ce n’est pas suffisant pour marquer un goal. Pas encore.

- Le destin ? Je n’y crois pas vraiment, si vous voulez mon avis. fit tranquillement Neera. Mais j’avoue que je n’aurais jamais cru avoir une compétition avec vous quand je suis arrivée ici !

C’est à son tour de relancer le ballon, et cette fois, l’universitaire décide d’être plus sérieuse. Manipulant toujours la balle à distance, l’air commence à crépiter autour du projectile, sans causer pour autant de dommage à ce dernier. Il semble flotter un instant dans le vide, tout en étant parcouru de mini arc-électriques, puis…

La balle repart.
Et va beaucoup beaucoup plus vite que la première fois.
Mais au lieu d’aller totalement en ligne droite, le ballon zigue-zague, va en haut, puis en bas, puis à droite, enfin à gauche. Il est plus compliqué de prévoir sa trajectoire.

Ce qui est sûr, c’est que la balle se rapproche inexorablement du goal adverse.

Que ce soit Tagar ou Neera, l’un ou l’autre va probablement dans les minutes qui viennent.

 
Apparemment, Neera s’est attirée les faveurs de la foule. Pas qu’elle l’ait vraiment cherché : tout ce qui l’intéresse, actuellement, c’est les pouvoirs de son adversaire. Elle a déjà été agréablement surprise par ses talents, et comme elle est naturellement curieuse, la demi-titan a envie d’en voir plus. Elle accorde néanmoins un sourire à Tagar quand il lui souligne qu’elle a déjà des fans.

- Je suis sûre que certains vous soutiennent aussi, vous avez des capacités impressionnantes. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut s’affronter à un mage qui contrôle le métal ! Et vous maîtrisez aussi bien la défense que l’attaque.

Ses compliments sont sincères et elle regarde le ministre avec une once de curiosité quand celui-ci lui conseille de ne pas s’interposer entre la balle et son objectif.

La professeure de Magic a rapidement sa réponse. L’homme crée d’abord une cage métallique qui empêche son opposante de la manipuler à son gré. Puis, il rajoute couche après couche, si bien que la balle devient de plus en plus lourde. Elle doit être impossible à déplacer par un humain lambda. Encore moins par une femme qui est un mage.

Evidemment, Neera ne s’avoue pas vaincue tout de suite. Ce serait désolant si c’était le cas. Et pendant que la balle avance, elle évalue les possibilités qui lui restent. Utiliser le feu ? Même en essayant de provoquer une explosion, ça déviera juste la balle. Tagar n’aura donc qu’à la rediriger vers le goal. Utiliser l’eau ? Elle ne la maîtrise pas suffisamment pour arrêter une balle de plusieurs tonnes, et il en va de même pour la magie de l’ombre et de la lumière. La foudre serait inefficace dans le cas présent, et soulever la balle dans les airs semble être juste un doux mirage, vu le poids actuel du ballon.

Il lui reste donc une possibilité, mais elle n’est pas sûre que ça va changer quoi que ce soit. Prenant soin de ne pas se mettre dans la trajectoire du projectile, Neera se met sur le côté, mais se concentre sur la terre devant elle. Un trou ovale se forme alors dans l’arène, trou qui n’est pas très profond car elle doit agir vite et bien, mais qui est assez large pour forcer la balle à entrer dedans.

Plus le ballon roule, plus il prend de la vitesse, et c’est avec une rapidité considérable qu’il s’engage dans le trou que la demi-titan a créé. La descente augmente encore plus sa célérité, et le projectile commence à remonter l’autre face avec une énergie que Neera n’avait pas totalement programmée. Elle espérait davantage que son poids la ferait retomber au fond de son piège, ce qui se serait certainement passé si elle avait pu creuser davantage son trou dans l’arène.

Prise dans son élan, la balle quitte un instant le sol, comme si elle faisait un vol plané dans les airs en direction du but adverse. Toute la foule la suit du regard et Neera a une légère grimace quand elle se rend compte du résultat pratique que ça va donner. Mais heureusement, la garde personnelle de Tagar a visiblement prévu le coup : il n’y a plus personne derrière le goal, et c’est donc dans un joli fracas que la balle en métal vient se planter dedans.

Le bruit est peut-être un peu assourdissant sur le coup, mais le but est marqué et Neera se rapproche du ministre alors que les applaudissements jaillissent des gradins.

- C’était un joli coup. Je sais au moins que si je veux conseiller un mage expert du métal, je peux vous renseigner auprès de mes étudiants, plaisante-t-elle. On est donc sur un ex aequo ? demande la maîtresse de la foudre avec un souirre conciliant. Après tout, ils avaient marqué un but chacun. Ca nécessitera une revanche la prochaine fois que je viens ici ou que la prochaine fois que vous visitez Magic.

Evidemment, c’est une boutade, mais ça n’empêche pas qu’ils pourront réellement lancer un second round à leur prochaine rencontre.

- Pas trop fatigué après avoir fait cette démonstration ?

De son côté, cela va encore, même si elle ne nie pas qu’une bonne nuit de sommeil lui fera du bien quand même.

Un sourire légèrement amusé flotte sur les lèvres de Neera quand un garde du corps de Tagar offre un regard noir au ministre. Il est vrai que ce dernier a quelque peu détruit le but adverse, mais bon, ils survivront bien tous à cet petit incident…

En tous les cas, il est compliqué de poursuivre la partie, qui se termine donc sur un match nul. Le Reikois ne semble pas contraire à une revanche quand l’occasion se présentera et la diviniste approuve sa déclaration d’un signe de tête. Ils s’affronteront donc un jour à nouveau, quand les Divins le voudront bien. Ce sera intéressant de découvrir encore plus les capacités de son adversaire.

La demi-titan n’est pas surprise quand Tagar lui dit qu’il est épuisé. Il a quand même manipulé une boule de plusieurs tonnes, et utilisé sa magie de métal à de multiples reprises. Neera aussi a utilisé ses pouvoirs, mais pas à un niveau si poussé. Elle s’est surtout contentée d’une manipulation intermédiaire du ballon, au maximum a-t-elle combiné la magie de l’air et de la foudre une fois durant le combat. L’élémentaliste n’est donc pas complètement sur les rotules, même si la journée du colloque et l’excitation de leur duel se fait sentir.

Quand Tagar lui propose d’aller manger quelque chose, son offre la surprend, mais elle ne voit pas de raisons de refuser. A priori, cet homme est sympathique et de bonne volonté. En plus, la magicienne doit bien reconnaître qu’elle a passé un moment amusant dans l’arène. Elle peut bien lui rendre la pareille et elle accepte donc sa proposition avec un sourire.

- Je ne connais pas bien Ikusa, donc je vous laisse prendre les devants, si ça ne vous fait rien.

Neera quitte donc l’Université de Dragstrang en sa compagnie, et elle prend quand même soin à ne pas le perdre dans les rues de la capitale. L’omniprésence de l’armée, et le contrôle militaire du Reike, a quand même le mérite de l’interpeler. Il est certain que cette ville est un endroit sûr, et que l’ordre règne dans cette cité. Puis, une grande partie de la population semble rôdée au combat. Elle voit beaucoup de passants qui ont une musculature fine et une démarche fluide. Elle aperçoit aussi beaucoup d’armes – des épées, des poignards, des cimetières, des espadons – signe que le peuple est habitué à la confrontation physique et que c’est vraiment cela, la spécialisation de l’Empire. La demi-titan sait, bien entendu, que les ennemis des Titans ont des mages de renom, mais il semble être en minorité par rapport à l’armée colossale dont semble disposer le Reike.

En tous les cas, ils arrivent à l’auberge signalée par Tagar et elle le laisse entrer à l’intérieur.

Le gérant pose tout de suite les yeux sur eux. Et s’il se concentre d’abord sur Neera – qui est une femme grande et particulièrement atypique, avec sa peau mât, ses longs cheveux blancs, et ses prunelles immaculées –, ses yeux se plissent quand il se rend compte qu’elle est accompagnée du ministre. Il le connaît, oh, c’est certain, et il n’est pas heureux de sa présence. Mais la sang-mêlée n’a pas fait le cursus des arts et des musiques magiques pour rien, cursus dans lequel on lui a notamment appris l’art redoutable de la diplomatie. Aussi elle se permet contre toute-attente de prendre les devants et elle prend la parole :

- Avez-vous une table de disponible pour Monsieur le Ministre, sa garde personnelle et moi-même ?  

Le commerçant se fige un instant, vient ensuite poser son regard sceptique sur Tagar, puis il grogne, d’un air pas convaincu :

- Vous êtes devenus ministre, vous ?

Heureusement, sa femme arrive elle aussi en salle et se rend compte de leurs nouveaux clients. Elle a le doigté de s’approcher de son mari et de lui glisser quelque chose à l’oreille. Sans doute lui confirme-t-elle qu’il est le Cœur, et le tavernier finit par rendre les armes, bon gré mal gré.

- Y a une table là-bas, m’ssieurs dame.

Neera acquiesce et le remercie, puis elle va s’installer avec la bande de Tagar dans le fameux restaurant. Une fois assis, elle lui fait discrètement :

- Eh bien, je trouve que ça s’est relativement bien passé !  

Un sourire, puis elle enchaine poliment :

- Votre ville me semble en tout cas l’une des plus sûres du Sekai. L’armée fait vraiment partie intrinsèque de vos mœurs, je dois dire. Mais, si vous n’êtes pas violent, comme vous dites, est-ce que vous avez vraiment fait votre service militaire ? Si vous en avez un à fournir ?  

D’une certaine manière, ça lui permettrait d’en apprendre plus sur le parcours du ministre.