- Palais impérial, Ikusa -

Zaïn n'avait pas encore eu l'occasion de voir Tagar Reys depuis sa nomination au poste de grand argentier, il n'attendait que de le croiser pour le féliciter pour cette impressionnante promotion. Tout allait bien pour le bonhomme aux cheveux blancs, il fallait croire. Il ne manquait plus qu'une invitation à son mariage pour que Zaïn soit convaincu de la pleine réussite de son ami. Il se trouvait, pour l'instant, qui avait été convoqué au palais impérial pour une entrevue personnelle avec le Coeur, ce qui était en soit une merveilleuse nouvelle pour Zaïn, se doutant que Tagar ne le conviait certainement pas pour lui annoncer une mauvaise nouvelle : A chaque fois qu'il était avec lui, tout se déroulait bien. Zaïn avait alors revêtu pour l'occasion l'un de ses plus beaux costumes, après tout c'était la première fois qu'il pénétrait dans l'enceinte du palais.

La tenue en question :

Il passa sans encombre la première muraille, les gardes l'ayant laissé passé lorsqu'il eu décliné son identité. En temps normal il aurait été fouillé, ce qui aurait pris un certain temps, puis interrogé, ce qui aurait pris encore plus de temps, pour enfin subir un contrôle magique, ce qui aurait pris une éternité. Mais tous ces contrôles administratifs et de sécurité lui avaient été épargné, assurément à la demande expresse du Coeur. Zaïn se sentit comme le roi du monde lorsqu'on le fit passer devant toute la file d'attente à l'entrée principale du palais, on le fit même passer avant le Voïvode Barner en personne, ce qui fut perçu comme un honneur par l'hybride.

Quelques instants plus tard, guidé par un garde dans les couloirs, jardins et hall, il se présenta devant une porte qui s'ouvrit et il fut introduit par ce qui devait être l'intendant de Tagar. Impressionnant. Ce fut avec le sourire qu'il s'avança vers son ami, s'inclinant brièvement - il savait que Tagar n'appréciait guère cela - avant de déclarer :

- Alors, comment dois-je m'adresser à toi à présent ? Plaisanta-t-il.

- Palais Impérial, Ikusa -

Il savait que Tagar appréciait les choses raffinées, tout comme lui, il avait donc sciemment revêtu un costume adéquat à ses premiers pas dans l'enceinte du haut lieu de pouvoir du Reike. Et cela fit mouche chez le ministre des finance qui le fit remarquer, pour toute réponse, Zaïn fit un clin d'œil à son interlocuteur, fin observateur qu'il était pour reconnaitre l'ouvrage du dit-tailleur. Il prit seulement la parole lorsque Tagar lui demanda comment il se portait.

- C'est un grand jour pour moi, outre le fait que je visite l'un de mes plus chers amis, j'ai le plaisir de constater que ce dernier ai si bien réussi sa vie. Complimenta t-il avec rhétorique.

- Je prendrai bien un verre de Bleuette, je devine là que tu as toi aussi voté pour celle-ci lors du Festival. Il faut dire que c'est une innovation pas commune. Fit il en s'avançant après lui avoir serré la main.

Il alla alors s'installer dans le fauteuil indiqué par son hôte. Tout en écoutant les multiples titres portés par son ami, il passa un regard admiratif sur les meubles de la pièce. Il fallait dire que Tagar avait le sens de la décoration, c'était fort chic, mais pas tape-à-l'œil, un savant équilibre qui collait parfaitement au personnage. Il ne pu s'empêcher de le signifier à son interlocuteur.

- C'est un bien beau bureau que tu as là ! C'est du Cocobolo ? il indiqua le bureau central. C'en est un comme ça qu'il me faut. Il pinça ses lèvres, signe d'estime.

- Palais Impérial, Ikusa -

Comme toujours, Tagar était très prévenant et semblait heureux de recevoir l'un de ses amis, Zaïn savait que Tagar n'en avait pas beaucoup, ce qui expliquait surement le plaisir qu'il avait à voir un visage amical, qui plus est quand celui-ci était celui de Zaïn, sur qui il pouvait compter en tout instant. Surtout qu'ils avaient failli être liés par le lien du sang, quel dommage qu'Arkady se soit détourné d'un si bon parti. Zaïn réalisa alors qu'il ne l'avait jamais questionné sur ses raisons pour ne pas aller plus loin avec Tagar, mais elle n'en parlait pas non plus... Après tout, le jour où 'on comprendrai les femme était loin d'arriver. Son interlocuteur le questionna justement là-dessus.

- Arkady est en parfaite santé et exerce le rôle d'intermédiaire entre la SSG et ma petite société de commerce, un travail ma foi bien ennuyeux mais qui semble lui convenir. Je ne sais pas comment c'est possible, mais elle est parvenue à un point où elle fait des insomnies presque chaque nuits. Elle prend des somnifères pour dormir et elle est rentrée vivre avec notre mère, mais elle est aussi forte que moi et ne manque pas d'énergie à revendre ! Il leva son verre.

Après cela, Tagar passa au vif du sujet, ne faisant pas attendre d'avantage Zaïn en politesses. Ce qu'il lui présenta ne sembla pas bien complexe, le bon côté d'être une petite compagnie commerciale c'était la flexibilité, la possibilité de choisir ses contrats, les plus juteux ou les plus intéressant pour les Tevon-Duncan. En l'occurrence, porter assistance à Tagar passait en première position de ses priorités, de plus Zaïn avait à tout moment son navire personnel, le Vanguard, qu'il pouvait utiliser pour ce genre de service. Aucun navire ne rivalisait en terme de rapidité contre le trois-mâts de l'hybride. Il s'enfonça dans son fauteuil, confiant.

- Je n'ai qu'une question. Quand fait-on ça ? Il signifiait par là qu'il était partant.

« ...la navigation n'est pas à proprement parlé une science exacte, certains pourraient même la qualifier d'art. Ce point est intéressant dans la mesure où certains navigateurs et capitaines sont à même d'être qualifiés de démiurges dans leur domaine. Le fait est que l'océan n'est jamais prédictible de manière sûre, certaines anomalies climatiques peuvent survenir à tout instant, et ce en dépit de notre connaissance exacte des courant marins. Certains évènements tectoniques peuvent causer des problèmes fort déplaisants, tout comme les créatures hostiles qui sont amenés à perturber les voies maritimes, sans parler de la piraterie. Mais nous constatons que tout artiste maritime, appelons-les ainsi, sont préparés à toutes ces éventualités, savent lire les vents, connaissent les courants marins et parviennent ainsi à déjouer tout ces dangers et difficultés... »

- Chroniques d'un marin, Capitaine Megiris.

- Palais Impérial, Ikusa -

- Bien sûr. Répondit-il à la première question posée.

Zaïn n'était pas ce qu'on pouvait appeler un démiurge de la navigation, certains de ses pairs possédant une magie du vent leurs permettant de se déplacer à des vitesses bien supérieures à la normale, d'autres marins maitrisent l'eau, leurs permettant des prouesses utilitaires comme offensives sans pareilles. Mais dans la catégorie des gens normaux, Zaïn était surement un très bon marin dans le sens où il avait un excellent équipage et un très bon navire, sans parler de connaissances tout à fait satisfaisantes en la matière. Il pouvait donc relever le défi posé haut la main, il fallait juste un peu d'enthousiasme, et cela Zaïn en débordait.

- Ma foi, si ton cartographe est efficace et que nous avons le vent en poupe, je ne vois pas en quoi le délai ne pourrait être tenu. J'ai un bon navire et je sais me faire discret lorsque cela s'impose. Il hocha la tête.

Il croisa les bras sur sa poitrine, après tout il avait fini par s'habituer aux demandes atypiques de Tagar, et jusqu'à présent il était très satisfait des résultats, ainsi il n'allait certainement pas refuser la mission, d'autant plus qu'il y avait de l'argent à se faire. Tant qu'à connaitre le but de cette expédition, Zaïn ravala sa curiosité, cela pouvait être un vilain défaut dans certains cas. Et puis si ce qu'il lui demandait avait été impossible, il aurait eu la franchise de le lui dire, mais il se trouvait que les courant marins chauds remontaient vers le détroit de Sancta, ce qui faciliterai grandement les allés.

- Palais Impérial, Ikusa -

Zaïn ne s'en faisait pas pour la question de sa rémunération, si en temps normal il aurait abordé le sujet pour mettre les points sur les i, il avait plaine confiance en Tagar sur ce point. Il hocha la tête lorsque ce dernier lui signifia justement que la rémunération ne manquerai pas d'être honnête, Zaïn lui sourit alors. Voyant que son interlocuteur se servait une seconde fois dans le plateau d'amuses bouches attenant au petit salon du bureau, Zaïn se pencha pour gouter un peu et fut ravis du gout que cela avait, les cuistots du palais impérial étaient vraiment des maitres dans le domaine culinaire. De plus, depuis qu'Arkady ne vivait plus à bord du Vanguard, la moitié du menu des Tevon-Duncan, aussi vaste était-il, était parti avec elle. Même si Zaïn savait parfaitement cuisiner, la maitrise des plats à base de viandes de sa sœur lui manquait. Donc dès qu'il avait l'occasion de se régaler avec un plat élaboré, il sautait dessus.

Tagar changea alors de sujet, les bases de leurs entreprise étant conclues, il passa à une discussion plus impersonnelle. L'hybride fut très flatté de constater que Tagar voyait en lui un potentiel conseiller en la matière. En effet, si le Grand Argentier de l'Empire cherchait conseil stratégique, il aurait pu faire appel à une armée de scribouillards, de marchands experts, au Duc de Melornia en personne ou encore au vice-amiral Vaniamin, expert en flotte commerciale. Mais il semblerai qu'il ai Zaïn Tevon-Duncan, petit commerçant d'épices et armateur de trois navires de commerce. La question était donc adressée à l'hybride et non au duc ou au vice-amiral.

- Mes réussites dans le domaine sont pour l'instant fort modestes, mais cela est flatteur de constater que tu les as remarqué. Le fait est que je suis un petit maillons du commerce de l'Empire, mais il se trouve que j'ai passé une bonne part du mois d'août à Courage, en République. J'y ai eu l'occasion de traiter avec des membres relativement éminents de la SSG, mon constat étant que la République s'en sort infiniment mieux dans le domaine commercial, c'est un fait acquis. Mais j'ai aussi relevé l'immobilisme dont tu me parle, peu de nouvelles lignes sont établies, du fait des nombreuses discussions engagées, sans parler des prix proposés qui ne découlent que d'un monopole que je juge affligeant. Et même si ce modèle économique apporte une certaine puissance financière au gouvernement, la Présidente - que j'ai eu l'honneur de rencontrer - il ne pouvait s'empêcher de s'en vanter, n'a absolument aucune pression sur le conseil régissant la SSG, étant un conglomérat d'aristocrates et seigneurs marchands faisant leur commerce en dehors de la juridiction républicaine. Il pris une gorgée avant de continuer.

- Le fait étant que vous pourriez facilement instaurer une telle entité économique au sein des administrations impériale, nationaliser cette flotte commerciale. Ceci-dit, car il y a toujours un mais, diviser pour mieux régner est le dicton qui prévaux à mon humble avis. La concurrence d'un conglomérat unique ne se ferai qu'avec la SSG, ce qui compliquerai quelque peu son avènement, la SSG ayant déjà de nombreuses cases d'avance. Il se trouve, d'un autre côté, que le Reike possède déjà un nombre conséquent de petits marchands - dont je fait partie - et qui ne demandent qu'à s'étendre. L'Empire pourrait donc facilement mettre des bâtons dans les roues de la SSG en diminuant drastiquement les taxes imposées aux marchands reikois, leurs permettant facilement d'investir, crois moi j'en connais un bout là dessus, les faisant ainsi passer sur le devant de la scène pour exploiter les ressources du Nord, sans parler des richesses du territoire séculaire du Reike. La flotte commerciale, aussi disparate soit-elle, pourrai rapidement dépasser celle de la SSG dans sa globalité et diversité. Il déplia ses doigts vers un nouvelle mignardise pour signifier qu'il en avait terminé.

Il lui avait demandé son conseil, il l'avait eu.

- Palais Impérial, Ikusa -

Tagar Reys était décidemment un homme très érudit, connaissant son sujet sur le bout des doigts, et qui plus est, il ne s'enfermait pas dans un carcan d'idées, aussi riches soient-elles, il les partageait à d'autres - comme Zaïn - afin de récolter leur point de vue, enrichissant d'avantage ses projets. De plus, l'hybride avait l'expérience de la mer, et même s'il n'exerçait que depuis deux ans seulement, il avait vite pris en main l'outil commercial et le professionnalisme d'un marin. Il croisa alors les doigts après avoir déposé le verre vide sur la table adjacente à son fauteuil.

- À vrai dire j'aurai eu beaucoup à gagner du Holmgang ! Imagine un peu l'expansion que j'aurai pu connaitre, un concurrent ? Je lui rend visite, le défi et repart les poches pleines de contrats commerciaux... Voyant la mine déconfite de Tagar, il se mit à rire. Ha ha ha ! Mais je comprends que cela puisse déstabiliser le principe de concurrence équitable, ceux sur quoi la nouvelle puissance économique dont nous parlons se baserai. Il fit une moue indescriptible.

- Tant qu'aux autres leviers, on peux faire une croix sur l'esclavage, ce qui pourtant était un sacré avantage sur la République. En revanche, si nous voulons étendre notre flotte commerciale, les Terres du Nord sont à la base des construction navales à venir. En effet, nous y trouvons du pin jaune à foison, tout à fait adapté à la mâture, ainsi que des forêts de chêne blanc qui servent à assembler des coques solides. Tu remarquera que je te parle principalement du commerce maritime car c'est mon domaine d'expertise, mais le commerce terrestre est aussi à prendre en compte, et cela passe par la modernisation et l'entretien des routes j'imagine.

Il avait émis plusieurs idées, des idées qui lui paraissaient essentielles à l'expansion dont parle Tagar. Zaïn pensait même que c'était le minimum requis pour redorer le commerce reikois, en l'occurrence : bâtir de bon navires solides à tour de bras et rénnover les voie terrestres. Ils avaient les ressources et les moyens, comme il venait de le soulever, ils n'avaient qu'à s'en donner les moyens. Et si le Coeur avait besoin d'un conseiller sur le terrain, Zaïn était prêt à tenir ce rôle avec sérieux, et il avait encore plusieurs suggestions à faire si jamais.

- Palais Impérial, Ikusa -

Zaïn était fort aise que Tagar l'ai en si haute estime pour lui poser de telles questions. Bien évidemment le Grand Argentier avait déjà en partie rêglé ces problèmes énoncés et avait déjà pensé à tout, mais en demandant à Zaïn, il y trouvait ses confirmations. Tagar demandait à la bonne personne car l'hybride adorait discuter de tels sujets capitaux avec lui, cela lui donnait l'impression d'être important au système, ce qui au final n'était pas tant une illusion que ça.

- Il est clair qu'il ne faut pas les laisser pour compte. Imagine un peu cette masse d'anciens esclaves, enfin libres, leur premier objectif sera de quitter cet Empire qui les a réduit à de simples objets durant des dizaines d'années pour certains. Il se redressa dans son fauteuil. Mon propos est qu'ils rejoindront la République, choix intéressant du fait que cette dernière motive pas mal les travailleurs à venir s'installer à Liberty ou à Justice, de plus la République est l'allégorie même de la liberté, ce nouveau don dont ils sont pourvus. Et crois-moi, je fréquente assez d'esclaves pour savoir que leur reconnaissance envers l'impératrice est vite balayée par les joies de la liberté. Enfin bref, c'est un fait que ces anciens esclaves doivent rester sur le territoire de l'Empire, cela représente une trop vaste main-d'œuvre pour se permettre de la laisser virer à la République n'est-ce pas ? Question rhétorique, il poursuivit.

- Ce que je propose c'est que du travail soit mis à la disposition directe de cette nouvelle masse ouvrière, faites leurs miroiter une attention toute nouvelle, montrez des signes d'estime à ces anciens objets. On parlait à l'instant de ces nouvelles exploitations forestières, proposez ce travail à tout ces anciens esclaves, mais cette fois-ci avec une rémunération honnête, la liberté dans les terres du nord mais surtout laissez leurs le choix de saisir cette chance ou de la refuser. Crois-moi, la vaste majorité se battront pour qu'on leurs mette une hache entre les mains. Ton projet de rénovation des routes ? En voilà la solution. Une pierre deux coups, réglant ainsi notre premier problème qui était l'expansion du commerce.

Il était clairement dans son élément, les problèmes, ça le connaissait, mais les solutions, ça il en avait toujours sous le bras. Il avait une vision du monde qui était simple : dès qu'un soucis surgissait, Zaïn n'avait qu'à se pencher pour trouver une contre-mesure. Il se rendait ainsi compte que s'il en avait eu les moyens dès le début, il se serait immédiatement lancé dans une carrière politique. Il était fait pour avoir du pouvoir, diriger les masses n'était pas si complexe en soit.