Son regard scrutateur balaya la pièce noire de monde. Elle reconnut immédiatement quelques visages familiers, d'autres, attirèrent sa brève attention surtout pour leurs physique atypique. Tel un animal en cage, elle compta les issues, portes et fenêtres, dans le cas où elle ne pourrait plus supporter toute cette mise en scène : une échappatoire. Inviter autant de monde pour annoncer une grossesse, déjà, et en plus de cela sans savoir qu'il a été cocu et qu'il n'est pas le véritable père de l'enfant... À quel point Shawn pouvait-il être naïf ? Et s'il ne faisait que fermer les yeux, il en faisait une belle, d'autruche.
La brune s'arrêta et termina son verre cul sec, avant de le poser à gauche et d'en reprendre un plein à droite. Lamentable : c'était l'état dans lequel elle comptait se mettre et le seul qui lui éviterait de faire une connerie monumentale. Elle porta le nouveau récipient à ses lèvres, lorsque l'on s'approcha d'elle d'un pas très, trop, lourd. Son instinct de survie se manifesta et son sang ne fit qu'un tour. Elle tourna la tête, tout en la levant, pour dévisager le bestiau de près de deux mètres cinquante, qui venait d'entrer dans son périmètre. Kieran Ryven... qui d'autre ? Un "beau bébé", comme on dit et un fidèle spécimen à sa race. Leur relation avait été celle de très bons amis, avant que lui aussi ne finisse sur sa liste de vilains garnements, ou comme elle l'appelait : sa "liste noire". Thyra, malgré leur différence de taille, semblait tout de même réussir à le regarder de haut. Elle but une, puis deux, puis trois gorgées, puis la totalité de son verre sans le quitter des yeux, avant de daigner lui adresser la parole.

« Kieran. » l'imita-t-elle.

Avant de venir, la chasseuse savait qu'il serait très probablement présent à la fête, mais elle ne s'était pas attendue à ce qu'il ait les couilles de venir lui faire la parlote, qui plus est comme une fleur. Il semblait véritablement heureux de la voir, même si quiconque d'autre ne l'aurait très certainement pas remarqué. Entre portes de prison, ils se comprenaient. Après quelques secondes à poursuivre ce ridicule concours de regards, Thyra hocha la tête positivement. Lorsque ses yeux trouvèrent de nouveau ceux du drakyn, un subtil sourire avait étiré ses lèvres. Avec lui à ses côtés, suffisamment intimidant pour effrayer le village tout entier, personne ne viendrait la déranger (crut-elle). Finalement, il y avait peut-être du bon à le retrouver, même si son humeur n'était pas spécialement à la discussion. Quoi qu'il en soit, elle n'avait jamais été très loquace et il leur était arrivé un certain nombre de fois de simplement rester en la compagnie de l'autre, sans prononcer le moindre mot. Un répit dans le brouhaha incessant de leur vie à Drakstrang. En songeant à Drakstrang, il lui semblait avoir reconnu leur ancien instructeur. Ou plutôt, ancienne instructrice ? Avant qu'elle ne tourne la tête pour s'ôter du doute, une présence nauséabonde vint les déranger.

« Encore elle... » pensa-t-elle.

Thyra écarta brièvement les narines, tout en roulant des yeux et tournant la tête pour ne pas avoir à regarder Elsamina. Ses épaules se soulevèrent légèrement : son langage corporel était tel celui d'un chat dont les poils s'hérissent. Elle poussa l'intérieur de sa joue avec sa langue, tout en prenant sur elle. Elle ne résista pas longtemps à la tentation de dévisager la femme de Shawn de haut en bas. La chasseuse souffla par le nez, lorsqu'elle remarqua sa proximité avec leur ancien ami en commun.

« Sale garce. »

La brune ignora totalement Ran, qui venait d'accourir, n'ayant que peu d'intérêt pour le garçon sans cesse fourré dans les jupons de sa mère... L'instant d'après, elle vit une scène ô combien amusante se produire devant elle, comme si elle avait été au ralenti. Qwellaana Airdeoza, la femme qui l'avait soignée durant sa convalescence, durant ses premiers mois sous la forme d'une wyverne, venait de renverser l'intégralité de son verre sur la robe d'Elsamina. Haussant les sourcils, Thyra remarqua qu'elle avait, elle aussi, été touchée par l'éclaboussure. Elle vit les traits de la rousse se déformer sous la colère, et plus rien d'autre n'eut d'importance... Un sourire sarcastique étira ses lèvres. Elle regarda Kieran et haussa les épaules, l'air de dire que pour une fois, elle n'y était pour rien. Profitant de la scène que la garce était entrain de faire, elle échangea son verre avec un autre plein. Elle le sirota, curieuse de savoir à quel point l'hôtesse de la fête comptait se ridiculiser publiquement. À ce moment là, leur ancien instructeur ? Instructrice. Entra en scène et la prit bras dessus, bras dessous, pensant très certainement la sauver, pour rebrousser chemin et quitter les festivités. Bien qu'elle n'appréciait pas particulièrement les contacts physiques - autres que ceux des hommes qu'elle invitait dans son lit et ce, pour une période déterminée -, elle se laissa faire. Avant d'être emmenée, presque de force, Thyra trouva une dernière fois le regard de Kieran et lui fit lire sur ses lèvres :

« Plus tard. »

Ça n'était ni le lieu, ni, surtout, le moment pour des retrouvailles. Les deux femmes marchèrent d'un pas rapide vers la sortie et dans leur empressement, Thyra ignora complètement les remarques acerbes de sa rivale.

« Tu tombes à pic. » informa-t-elle son accompagnatrice, lorsqu'elles se retrouvèrent dans le hall d'entrée.

Elle se défit aisément de sa poigne, puis marcha vers une porte à la droite des escaliers menant à l'étage, sans l'attendre.

« Ton nom ? Ou je suppose, ton vrai, nom ? » demanda-t-elle en tournant brièvement la tête pour la regarder.

Elle avait senti l'alcool sur elle et avait décidé dans la foulée, qu'elle serait sa partenaire de beuverie pour le restant de la soirée. Lorsqu'elle atteint la porte, elle se tourna à nouveau, en l'ouvrant.

« Viens. On va braquer la cave à vin. » dit-elle sans la moindre expression, comme à son habitude.

Elle commença à descendre les marches en terminant le verre qu'elle avait encore dans la main.

« Ça n'est pas comme s'il allait s'en apercevoir, déjà qu'il n'a pas remarqué que sa femme s'est faite sauter par un autre... » marmonna-t-elle, pour elle-même.

Une fois dans la cave, Thyra dépoussiéra quelques bouteilles, les regarda et en choisit deux pour les ramasser de leur position couchée. L'une des deux était un cadeau que la chasseuse avait faite à Shawn, après avoir retrouvé sa forme humaine. Elle la reprenait, n'en ayant certainement rien à faire.

« Alors, pourquoi autant de secrets ? » demanda-t-elle distraitement à Kilaea, se servant d'un tire-bouchon qu'elle trouva à proximité, pour ouvrir l'une des deux bouteilles.

Elle la lui tendit et ouvrit l'autre. Elle leva sa bouteille à la blonde et but au goulot. Elle ne serait pas bavarde longtemps, alors autant en profiter.

Tout le monde, ou presque, avait fini par rejoindre la salle principale où devait avoir lieu les festivités. J’avais suivi Qwell, cette Valkyrie aux ailes blanches, alors qu’elle s’amusait avec les enfants. Je trouvais la scène adorable même si j’étais parfaitement incapable de pouvoir faire la même chose. Il ne fallait pas aller chercher bien loin pour savoir d’où me venait cette incapacité à être aussi… tactile, proche ou que sais-je avec les enfants. Ça me crispe, ça me coince et je ne sais jamais vraiment comment agir, ou me comporter avec eux. Le seul… « exemple » que j’ai, c’est moi et mon frère… et on a uniquement huit années de différence… Et puis, ça aussi… C’est du passé.

Ce fut quelques minutes plus tard qu’on vit entrer une nouvelle femme que je ne connaissais pas mais que Kieran connaissait visiblement depuis longtemps. J’ai préféré le laisser y aller seul, après tout, retrouver tout ce monde devait, j’imagine, lui faire du bien. Du moins, c’est ce que j’espère et il avait vraiment besoin de se vider la tête après tout ce qu’il lui était arrivé.

Ce qui me déplaît, par contre, c’est le comportement de la rouquine qui talonnait de près la brunette et qui s’était presque jetée sur Kieran. Aucune jalousie de ma part – juste une pointe – mais je trouvais ça malvenu. Je ne m’imaginais pas faire de même avec son compagnon. Mais, surtout, qu’est-ce que les gens penseraient. Avec la foule, les ragots vont vite. Et pour une femme de son rang, il n’y a rien de pire et de plus facile pour détruire une réputation…

Je suis vite tirée de ma contemplation – de mon jugement – par l’approche d’un Shawn qui se fait alpaguer par sa petite. Elle est adorable, sa petite voix de rêveuse qui parle de voler dans le ciel et qui me rendrait presque jalouse de la Valkyrie et sa capacité à nouer des liens aussi facilement.

- Si tu as de la chance, tu pourras même peut-être voir un dragon.

Que j’ajoute avec un clin d’œil à la petite Laana avant que mon regard se pose sur le demi-ange.

- Je suis sincèrement ravie que vous vous soyez retrouvés, vous et Kieran. Il… en avait bien besoin. Ce grand Tokage tout bleu est plus sensible que ce qu’il veut bien laisser paraître.

C’est ce qui fait son charme aussi. J’ai un petit sourire qui se glisse discrètement sur mes lèvres alors que j’observe, du coin de l’œil, mon pauvre Drakyn aux prises avec la rouquine avant de me recentrer sur Shawn et d’attraper le verre qu’il nous propose – nous force même limite – et d’en apprécier la première gorgée.

Les choses vont rapidement s’enchaîner. Ce qui devait être une discussion amicale vire en catastrophe. D’un côté, Kilaea prend – ou reprend allez savoir – sa voix. Une voix que j’avais connue et qui, comme un réflexe, m’a fait lâcher une insulte à son encontre tout en ramenant à ma mémoire les raclées que j’avais eues de sa part.

- Petit connard !

Et de l’autre, un éternuement suivi d’un silence va me surprendre. Tous les yeux, ou presque, sont rivés sur cette scène pourtant anodine en d’autres situations. Une maladresse, rien de plus, qui fait d’un verre de vin rouge le pire ennemi d’une robe au prix inestimable. Je ne suis que spectatrice d’une pauvre Qwellaana qui s’excuse et d’une Elsamina, noire de colère, qui déverse sa rage pour… une stupide tache pendant que Thyra se fait trimbaler je ne sais où par Kilaea.

Mon sourire s’étire, crispé, alors que je vois Shawn rejoindre sa femme. Je n’ai même pas le temps d’aller près de la Valkyrie pour la soutenir que je sens un petit corps se coller dans mes jambes. Un peu plus et je serais tombée sur la pauvre Laana. Elle a l’air terrorisée par ce qui se passe… Et d’une certaine manière je la comprends.

Ma caudale vient délicatement s’enrouler autour de sa taille pour la soulever doucement pendant que je dépose mon verre. Elle ne pèse rien ou, tout au plus, un petit sac de riz… Enfin, pour moi c’est pas grand-chose.

Je finis par la prendre en douceur dans mes bras tout en me dirigeant jusqu’au hall d’entrée.
Le calme, c’est ce qu’il lui ferait, je pense, du bien… Je n’ai peut-être pas ce que les autres appellent « la fibre maternelle » mais j’avais un petit frère… Je devrais pouvoir m’en sortir… Enfin, je crois.

D’un doigt délicat, je viens sécher les larmes qui coulent de ses deux jolis petits yeux et d’une voix douce j’essaie au mieux de la rassurer.

- Ça va aller, ma grande. On est toutes les deux au calme.

Je n’ai aucune raison de l’empêcher de pleurer… Elle en a visiblement besoin et ça en dit peut-être un peu trop sur l’ambiance du quotidien.

Pauvre petit bouton de rose…