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Citoyen du monde
Phèdre
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Eris avait l’impression que cela faisait cent ans qu’elle n’avait pas revu sa maison et sa patrie. Pourtant ça ne faisait que quelques mois. Des mois de cauchemars, d’horreur et de terreur qui la hantaient encore et encore.
A certains moments, elle avait l’impression qu’elles n’étaient plus qu’une, que la ferveur de l’Autre était la sienne, que sa voix était celle de Phèdre, que plus rien ne lui appartenait dans son propre corps, qu’elle était souillé et substituée à elle-même. A d’autres, elle se sentait enfin entière comme elle ne l’avait jamais été, puis elle se morcelait à nouveau, se rappelait de la déchéance qui était la sienne. Elle avait trahi, elle avait menti, elle avait trompé, elle avait tué. Sous l’égide de Phèdre, elle était devenue une créature vile et immonde, détestable et renégate, aux antipodes de tout ce qu’elle avait toujours été. Presque deux cents ans d’existence réduits à néant par l’éveil d’une créature corrompu dans son esprit.
Phèdre et Eris se disputaient presque quotidiennement le contrôle du corps, mais aussi celui des émotions. La colère s’entrechoquait souvent à l’empathie dans un fracas de tous les diables qui laissait derrière lui des céphalées cuisantes, des humeurs maussades et un isolement grandissant. Le plus difficile dans tout cela était sans nul doute de le dissimuler, d’en amoindrir les effets. Qu’auraient dit les autres en apprenant la nature profonde de ce qu’elle était ? Parfois, elles se demandaient qui parmi les Divinistes choisirait de poser leur tête sur un billot. La réponse différait d’un soir à l’autre, d’une humeur à une autre. Mais il y avait une chose sur laquelle les deux étaient en accord : elles voulaient se souvenir et comprendre.
Eris n’avait jamais eu conscience de l’existence de Phèdre avant que cette dernière ne s’éveille presque un an auparavant. Avec elle était venu un néant de souvenir, profond de plusieurs milliers d’années mais aussi trouble qu’une flaque de boue. Et peu importait la manière dont elle tendait les bras vers eux, ils l’a fuyaient. De temps en temps, ils se muaient finalement en sensation diffuse, à la manière d’un “déjà vu”. D’autre fois, il s’agissait d’évidence, comme lorsqu’elle avait revu Malazach et qu’immédiatement, elle avait su et plus rarement, elles avaient l’impression d’être trois, comme si leur mémoire devenait un monstre hideux, chargé de secrets. Des secrets qui devraient le rester et c’était après cela, qu’elles étaient parties courir.
— Nous vivions à Célestia. Avait murmuré Phèdre un beau matin, blottit dans le lit vide qu’elle partageait avec sa sœur. C’avait été un rêve, peu ou prou réel, mais qui avait suffit à la tirer du sommeil. Il lui avait laissé une sensation indéfectible de joie autant que de peine. Malgré les semaines qui avaient passées, elle se souvenait encore des hautes tours qui menaient aux nichoirs de volatiles et d’une aire d’envol. Dans son rêve, elle était un ange, elle était la Phèdre d’autrefois. Elle s’était posée sur l’aire où un homme l’attendait, quand il s’était retourné, elle s’était réveillée. Le visage de l’inconnu lui, s’en était allé avec le reste des détails de ses songes. Les nuits suivantes avaient été porteuse du même rêve encore et encore. A chaque fois que l’homme levait le visage, tout s’interrompait et Phèdre se réveillait en sursaut avec une seule certitude : elle devait se rappeler, elle devait se rendre à Célestia.
Il lui avait fallu une semaine pour se convaincre du bien fondé de son idée et une de plus pour persuader Siame de la laisser partir. Cette dernière avait bien failli lui coller Launegisiles dans les pattes et lorsqu’elle avait refusé, c’était Qultarn qu’elle avait essayé de démarcher. Finalement, et à force de négociation, Phèdre avait fini par avoir gain de cause.
Gain qu’elle commençait sérieusement à regretter.
Si Eris avait une certaine affection pour la solitude, ce n’était guère le cas de Phèdre qui avait finit par lui laisser la place pour aller se recroqueviller dans un coin de leur esprit en attendant que le temps passe. Les jours avaient été longs et fatigants, interminables pour certains. Étrangement, elle était arrivée jusqu’à Maël en vie. Probablement parce que ce n’était pas la première fois qu’elle effectuait le trajet, d’abord seule pour rejoindre Bénédictus après avoir fui le Reike puis avec Qultarn après qu’ils se soient rendus à la présentation du nouvel intendant. De toute façon, ce n’était pas cette partie du voyage qui l’inquiétait, traverser la ville blanche, même sous contrôle Reikois était un jeu d’enfant ; il lui suffirait de faire profil bas, de jeter quelques charmes et le tour serait joué.
Non, ce qui inquiétait Phèdre était bien plus dangereux qu’une poignée de Reikois bête à manger du foin et s’étendait devant elle à perte de vue comme le lit en argent d’un géant. La forêt des pins argentés n’avaient pas été nommée ainsi pour rien et sous les rayons de la lune pleine, elle offrait un spectacle grandiose. Mais inquiétant.
Quelque chose soufflait à Eris -et ce n’était pas Phèdre- que ce qui se cachait dans ces bois n’avait rien d’amical. Pourtant, il fallait en passer par là. Elles pouvaient éviter son cœur, mais il lui faudrait tout de même s’y enfoncer suffisamment pour perdre de vue la route principale. De là, elle approchera le pied des montagnes puis le petit village qui jouxtait la route allant vers le col et enfin, ascensionner vers le temple.
“C’est la seule solution…” Souffla Phèdre comme une caresse dans leur esprit.
Assise au coin d’un feu fébrile dont la flamme tremblotait lorsque le vent soufflait. Son dos reposait contre le dernier pin vert à la ronde, l’ultime rempart contre la forêt des argentés et la magie qui l’habitait. Elle aurait dû s'y engouffrer plusieurs heures auparavant, lorsque le soleil était encore haut dans le ciel mais la peur l’en avait empêché et l’avait fait hésiter si longtemps que lorsqu’elle avait pris sa décision la lune avait remplacé le soleil. Avec lui, envolée sa détermination. Ainsi, elle avait monté un camp de fortune à la lisière des pins d’argent tout en tentant de se convaincre que demain, elle s’y engagerait.
— Nous aurions dû contourner par les plaines de Céléstia… Soupira Eris.
“Et perdre trois jours de plus ? Je m’y refuse. Je ne sens déjà plus mes pieds.”
— Moi non plus je les sens plus, je te ferais remarquer. Et on ne les sentiras pas plus si nous sommes mortes…
“Je ne te laisserais pas nous tuer.”
— Je ne… Ce n’est pas…
“Dors, nous avons besoin de repos.”
Et c’était vrai, Phèdre pas plus qu’Eris n’avaient été taillée pour les voyages solitaires. Ses repas étaient frugaux, constitués de baies et de fruits, parfois elle avalait un repas consistant lorsqu’une auberge se trouvait sur son chemin mais depuis son départ, elle avait déjà perdu plusieurs kilos. Ses vêtements étaient sales malgré tout ses efforts pour les laver aussi souvent que possible et à défaut de pouvoir se brosser et se laver les cheveux comme elle l’entendait, elle les avait noués en une couronne autour de sa tête. Si sa beauté était incapable de la quitter, à cet instant personne ne l’aurait cru fille d’Aurya La Parfaite.
— Bien, bien… Eris se pencha, attrapa une couverture qu’elle enroula autour de ses épaules et tâcha de s’endormir. Elle ne sut pas à quel moment le sommeil la faucha, pas plus qu’elle ne sut qu’elle heure il était lorsqu’elle en fut arraché. En revanche, ce dont elle était certaine, c’est qu’à cet instant elle n’était pas seule.
A certains moments, elle avait l’impression qu’elles n’étaient plus qu’une, que la ferveur de l’Autre était la sienne, que sa voix était celle de Phèdre, que plus rien ne lui appartenait dans son propre corps, qu’elle était souillé et substituée à elle-même. A d’autres, elle se sentait enfin entière comme elle ne l’avait jamais été, puis elle se morcelait à nouveau, se rappelait de la déchéance qui était la sienne. Elle avait trahi, elle avait menti, elle avait trompé, elle avait tué. Sous l’égide de Phèdre, elle était devenue une créature vile et immonde, détestable et renégate, aux antipodes de tout ce qu’elle avait toujours été. Presque deux cents ans d’existence réduits à néant par l’éveil d’une créature corrompu dans son esprit.
Phèdre et Eris se disputaient presque quotidiennement le contrôle du corps, mais aussi celui des émotions. La colère s’entrechoquait souvent à l’empathie dans un fracas de tous les diables qui laissait derrière lui des céphalées cuisantes, des humeurs maussades et un isolement grandissant. Le plus difficile dans tout cela était sans nul doute de le dissimuler, d’en amoindrir les effets. Qu’auraient dit les autres en apprenant la nature profonde de ce qu’elle était ? Parfois, elles se demandaient qui parmi les Divinistes choisirait de poser leur tête sur un billot. La réponse différait d’un soir à l’autre, d’une humeur à une autre. Mais il y avait une chose sur laquelle les deux étaient en accord : elles voulaient se souvenir et comprendre.
Eris n’avait jamais eu conscience de l’existence de Phèdre avant que cette dernière ne s’éveille presque un an auparavant. Avec elle était venu un néant de souvenir, profond de plusieurs milliers d’années mais aussi trouble qu’une flaque de boue. Et peu importait la manière dont elle tendait les bras vers eux, ils l’a fuyaient. De temps en temps, ils se muaient finalement en sensation diffuse, à la manière d’un “déjà vu”. D’autre fois, il s’agissait d’évidence, comme lorsqu’elle avait revu Malazach et qu’immédiatement, elle avait su et plus rarement, elles avaient l’impression d’être trois, comme si leur mémoire devenait un monstre hideux, chargé de secrets. Des secrets qui devraient le rester et c’était après cela, qu’elles étaient parties courir.
— Nous vivions à Célestia. Avait murmuré Phèdre un beau matin, blottit dans le lit vide qu’elle partageait avec sa sœur. C’avait été un rêve, peu ou prou réel, mais qui avait suffit à la tirer du sommeil. Il lui avait laissé une sensation indéfectible de joie autant que de peine. Malgré les semaines qui avaient passées, elle se souvenait encore des hautes tours qui menaient aux nichoirs de volatiles et d’une aire d’envol. Dans son rêve, elle était un ange, elle était la Phèdre d’autrefois. Elle s’était posée sur l’aire où un homme l’attendait, quand il s’était retourné, elle s’était réveillée. Le visage de l’inconnu lui, s’en était allé avec le reste des détails de ses songes. Les nuits suivantes avaient été porteuse du même rêve encore et encore. A chaque fois que l’homme levait le visage, tout s’interrompait et Phèdre se réveillait en sursaut avec une seule certitude : elle devait se rappeler, elle devait se rendre à Célestia.
Il lui avait fallu une semaine pour se convaincre du bien fondé de son idée et une de plus pour persuader Siame de la laisser partir. Cette dernière avait bien failli lui coller Launegisiles dans les pattes et lorsqu’elle avait refusé, c’était Qultarn qu’elle avait essayé de démarcher. Finalement, et à force de négociation, Phèdre avait fini par avoir gain de cause.
Gain qu’elle commençait sérieusement à regretter.
Si Eris avait une certaine affection pour la solitude, ce n’était guère le cas de Phèdre qui avait finit par lui laisser la place pour aller se recroqueviller dans un coin de leur esprit en attendant que le temps passe. Les jours avaient été longs et fatigants, interminables pour certains. Étrangement, elle était arrivée jusqu’à Maël en vie. Probablement parce que ce n’était pas la première fois qu’elle effectuait le trajet, d’abord seule pour rejoindre Bénédictus après avoir fui le Reike puis avec Qultarn après qu’ils se soient rendus à la présentation du nouvel intendant. De toute façon, ce n’était pas cette partie du voyage qui l’inquiétait, traverser la ville blanche, même sous contrôle Reikois était un jeu d’enfant ; il lui suffirait de faire profil bas, de jeter quelques charmes et le tour serait joué.
Non, ce qui inquiétait Phèdre était bien plus dangereux qu’une poignée de Reikois bête à manger du foin et s’étendait devant elle à perte de vue comme le lit en argent d’un géant. La forêt des pins argentés n’avaient pas été nommée ainsi pour rien et sous les rayons de la lune pleine, elle offrait un spectacle grandiose. Mais inquiétant.
Quelque chose soufflait à Eris -et ce n’était pas Phèdre- que ce qui se cachait dans ces bois n’avait rien d’amical. Pourtant, il fallait en passer par là. Elles pouvaient éviter son cœur, mais il lui faudrait tout de même s’y enfoncer suffisamment pour perdre de vue la route principale. De là, elle approchera le pied des montagnes puis le petit village qui jouxtait la route allant vers le col et enfin, ascensionner vers le temple.
“C’est la seule solution…” Souffla Phèdre comme une caresse dans leur esprit.
Assise au coin d’un feu fébrile dont la flamme tremblotait lorsque le vent soufflait. Son dos reposait contre le dernier pin vert à la ronde, l’ultime rempart contre la forêt des argentés et la magie qui l’habitait. Elle aurait dû s'y engouffrer plusieurs heures auparavant, lorsque le soleil était encore haut dans le ciel mais la peur l’en avait empêché et l’avait fait hésiter si longtemps que lorsqu’elle avait pris sa décision la lune avait remplacé le soleil. Avec lui, envolée sa détermination. Ainsi, elle avait monté un camp de fortune à la lisière des pins d’argent tout en tentant de se convaincre que demain, elle s’y engagerait.
— Nous aurions dû contourner par les plaines de Céléstia… Soupira Eris.
“Et perdre trois jours de plus ? Je m’y refuse. Je ne sens déjà plus mes pieds.”
— Moi non plus je les sens plus, je te ferais remarquer. Et on ne les sentiras pas plus si nous sommes mortes…
“Je ne te laisserais pas nous tuer.”
— Je ne… Ce n’est pas…
“Dors, nous avons besoin de repos.”
Et c’était vrai, Phèdre pas plus qu’Eris n’avaient été taillée pour les voyages solitaires. Ses repas étaient frugaux, constitués de baies et de fruits, parfois elle avalait un repas consistant lorsqu’une auberge se trouvait sur son chemin mais depuis son départ, elle avait déjà perdu plusieurs kilos. Ses vêtements étaient sales malgré tout ses efforts pour les laver aussi souvent que possible et à défaut de pouvoir se brosser et se laver les cheveux comme elle l’entendait, elle les avait noués en une couronne autour de sa tête. Si sa beauté était incapable de la quitter, à cet instant personne ne l’aurait cru fille d’Aurya La Parfaite.
— Bien, bien… Eris se pencha, attrapa une couverture qu’elle enroula autour de ses épaules et tâcha de s’endormir. Elle ne sut pas à quel moment le sommeil la faucha, pas plus qu’elle ne sut qu’elle heure il était lorsqu’elle en fut arraché. En revanche, ce dont elle était certaine, c’est qu’à cet instant elle n’était pas seule.
Citoyen du monde
Rêve
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Il y a cette présence, ou plutôt cette sensation d'être observé. Lourde, spirituellement omniprésente, insistante au point de nous pousser à vouloir tourner la tête en une direction que l'on sait dénuée de toute menace. Il est désagréable de se savoir victime d'un humble jeu cérébral, il est déplaisant pour une aventurière et combattante chevronnée d'admettre que, parfois; l'on redevient l'enfant qui craint de passer la tête sous le sommier pour vérifier qu'aucune entité diabolique ne s'y est logé.
Phèdre... Eris... l'une et l'autre constatent avec incrédulité quelque chose d'aussi inhabituel que profondément surprenant.
Cet étrange phénomène, cette fantomatique manifestation fort heureusement privée de tout fondement crédible, a usuellement la particularité de ne pas être omnidirectionnelle. L'angoisse de ce cauchemar invisible terré dans les angles morts d'un champ de vision tristement étroit trouve généralement cible dans une bête que l'on fantasme dans son dos ou, dans d'autres circonstances, sur ses flancs. On croit voir un mouvement vif sur sa gauche, une altération lumineuse qui nous pousse à l'œillade et pourtant rien. Dans une moindre mesure, c'est du sol obscurci que l'on peut s'inquiéter; croyant peut être avoir senti les fourmillements témoignant de l'ascension d'un rampant hostile sur nos jambes.
Ce qui est infiniment rare en revanche, c'est d'avoir l'impression que l'ennemi provient des cieux.
Aussi curieux que cela puisse paraître, c'est pourtant dans cette direction que la possédée peine à lever le museau. Elle devine, malgré la noirceur des arbres trop droits qui l'entourent, qu'une lune offre aux environs le privilège d'une pale lueur. C'est ce seul astre lunaire, joyau des impériaux, qui domine le ciel à une heure si tardive. Pourquoi diable craindre de jeter un simple coup d'œil à cette orbe aussi pure qu'immuable ? Pourquoi redouter cette blancheur franche, commune à chaque fin de jour, ennuyeuse et paisible ?
Il n'y a pas en elles que cette peur irrationnelle, il y a aussi une part de dévorante curiosité. Est-ce réellement par effroi infantile qu'elles se refusent à mirer tel spectacle cosmique ? La perspective d'un paysage nouveau et donc d'un changement si drastique qu'il témoignerait de la toute-puissance des Titans est séduisante, alléchante au point de s'en faire hypnotique. C'est peut être par crainte de passer pour une idiote face à l'autre que ni l'Ange ni l'Elfe ne consentent à lever leurs yeux pour en avoir le cœur net. L'esprit d'aventure, de raison ou même de rébellion aidant; elles cèdent finalement à la tentation.
C'est sans doute sans emballement, voir avec une certaine déception; qu'elles découvrent que rien ne valait un tel tourment. Les étoiles sont à la place que les Dieux leur ont assigné. La lune préside, tranquillement installée au cœur de cette sempiternelle nappe noire contre laquelle elle a élu domicile. "De quoi as-tu eu peur ?", se dit Phèdre... ou Eris... Cela n'a aucune forme d'importance.
"De quoi as-tu eu peur ?"
Ces voix éthérées n'appartiennent pas aux âmes scindées. Phèdre abaisse ses yeux en le réalisant et, dans un frisson glaçant qui lui lèche l'échine, elle se retrouve face à l'auteur de cette intrusion spirituelle. Entièrement recouverte d'un plumage d'ébène, une petite diablesse pourvu d'un faciès inhumain de par sa perfection la dévisage. La créature assise dans l'herbe ramène ses genoux contre son menton, plisse ses yeux faits d'ombres insondables et offre ensuite un sourire aux crocs charbonneux. Cette écrasante impression d'être observé vient de trouver sa source.
Phèdre... Eris... l'une et l'autre constatent avec incrédulité quelque chose d'aussi inhabituel que profondément surprenant.
Cet étrange phénomène, cette fantomatique manifestation fort heureusement privée de tout fondement crédible, a usuellement la particularité de ne pas être omnidirectionnelle. L'angoisse de ce cauchemar invisible terré dans les angles morts d'un champ de vision tristement étroit trouve généralement cible dans une bête que l'on fantasme dans son dos ou, dans d'autres circonstances, sur ses flancs. On croit voir un mouvement vif sur sa gauche, une altération lumineuse qui nous pousse à l'œillade et pourtant rien. Dans une moindre mesure, c'est du sol obscurci que l'on peut s'inquiéter; croyant peut être avoir senti les fourmillements témoignant de l'ascension d'un rampant hostile sur nos jambes.
Ce qui est infiniment rare en revanche, c'est d'avoir l'impression que l'ennemi provient des cieux.
Aussi curieux que cela puisse paraître, c'est pourtant dans cette direction que la possédée peine à lever le museau. Elle devine, malgré la noirceur des arbres trop droits qui l'entourent, qu'une lune offre aux environs le privilège d'une pale lueur. C'est ce seul astre lunaire, joyau des impériaux, qui domine le ciel à une heure si tardive. Pourquoi diable craindre de jeter un simple coup d'œil à cette orbe aussi pure qu'immuable ? Pourquoi redouter cette blancheur franche, commune à chaque fin de jour, ennuyeuse et paisible ?
Il n'y a pas en elles que cette peur irrationnelle, il y a aussi une part de dévorante curiosité. Est-ce réellement par effroi infantile qu'elles se refusent à mirer tel spectacle cosmique ? La perspective d'un paysage nouveau et donc d'un changement si drastique qu'il témoignerait de la toute-puissance des Titans est séduisante, alléchante au point de s'en faire hypnotique. C'est peut être par crainte de passer pour une idiote face à l'autre que ni l'Ange ni l'Elfe ne consentent à lever leurs yeux pour en avoir le cœur net. L'esprit d'aventure, de raison ou même de rébellion aidant; elles cèdent finalement à la tentation.
C'est sans doute sans emballement, voir avec une certaine déception; qu'elles découvrent que rien ne valait un tel tourment. Les étoiles sont à la place que les Dieux leur ont assigné. La lune préside, tranquillement installée au cœur de cette sempiternelle nappe noire contre laquelle elle a élu domicile. "De quoi as-tu eu peur ?", se dit Phèdre... ou Eris... Cela n'a aucune forme d'importance.
"De quoi as-tu eu peur ?"
Ces voix éthérées n'appartiennent pas aux âmes scindées. Phèdre abaisse ses yeux en le réalisant et, dans un frisson glaçant qui lui lèche l'échine, elle se retrouve face à l'auteur de cette intrusion spirituelle. Entièrement recouverte d'un plumage d'ébène, une petite diablesse pourvu d'un faciès inhumain de par sa perfection la dévisage. La créature assise dans l'herbe ramène ses genoux contre son menton, plisse ses yeux faits d'ombres insondables et offre ensuite un sourire aux crocs charbonneux. Cette écrasante impression d'être observé vient de trouver sa source.
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Phèdre
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Il n’y avait rien alentour. Seulement des rangées d’arbres interminables dont les branches biscornus pouvaient laisser entrevoir un étrange spectacle et qui chantait une mélodie lugubre à chaque bourrasque de vent. Les yeux de Phèdre parcourent lentement la clairière, s’attardant sur les ombres aux formes disgracieuses qui lui faisaient penser tantôt à des monstres, tantôt à des mortels venus la traquer jusqu’au cœur de la forêt mais il n’en était rien. Les ténèbres restaient ce qu’elles étaient et continuaient de soutenir son regard sans vaciller. Il n’y avait rien ici bas qui aurait dû lui faire peur, pourtant Eris autant que Phèdre se sentait comme paralyser par une peur primitive, presque animale qui l’aurait fait s’enfuir à toutes jambes si elle ne l’avait pas clouée au sol.
“Je n’aime pas ça…” Murmura-t-elle en son for intérieur. Elle n'obtint aucune réponse ; ça n’était pas nécessaire, elles savaient très bien le genre de sentiment qui étaient en train de les assaillir. Néanmoins, aux termes de secondes exécrablement interminable Eris dit : “Les grillons ne chantent plus, les oiseaux de nuit se taisent et les petits animaux se cachent…” tandis qu’au même moment, un frisson glacial remontait leur échine jusqu’à hérisser le plus petit poil sur sa peau.
Malgré tout, malgré l’environnement obscur et presque lugubre, malgré la menace de la forêt des pins argentés et la pâleur cadavérique qui avait laissé place au reflet élégant de l’argent, elles n’avaient pas peur de ce qui les entouraient. Non, c’était une crainte autrement viscérale qui les habitaient. Un sixième sens qui leur hurlait que le danger venait d’en haut. D’en haut ? Sur le point de lever le nez, elles se figèrent comme une statue de sel. La peur déferla sur elles avec la puissance d’un ouragan, les enveloppant dans un drap gelé de terreur que Phèdre peina à réprimer. Il lui fallut toute la force de sa volonté pour forcer sa nuque à s’arquer vers l’arrière mais quand son regard se leva enfin, seule la lune la toisait. Pâle, brillante, seule mais entourée d'étoiles. Elle se dressait tranquillement dans son champ de vision.
“De quoi as-tu peur ?” Se sermonna Phèdre alors que la terreur oppressante qu’elle avait ressenti commençait à relâcher son emprise sur elle. Sans doute avait-elle fait un mauvais rêve qui lui avait laissé cette étrange impression, cela n’avait de cesse d’arriver en ce moment. Elle rêvait d’une vie lointaine, très lointaine de celle qu’elle vivait désormais. Une vie ou Eris n’existait pas, ou elle n’était pas mortelle. Une vie qui avait été belle mais qui avait fini, elle ne savait trop comment, par devenir funèbre. C’était sans doute cela qui l’avait tiré de son sommeil. Du moins, elle le crut avant qu’une voix de l’interpelle ; étrange écho de ses pensées.
C’était comme si plusieurs personnes avaient parlé en même temps. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieux. Pourtant la créature était seule, petite et l’air inoffensif. Ni belle, ni laide, quelque chose entre les deux, que même la fille d’Aurya ne savait définir. Cette chose était et c’était, semble-t-il, tout ce qui comptait.
Mue par rien de plus que son instinct, Phèdre s’arracha à son lit de fortune, abandonna ses draps et se tint sur ses jambes. La température autour d’elle perdit quelques degrés alors que du gel se formait sur le bout de ses doigts ; simple manifestation de sa magie de glace.
— De toi. Ses lèvres s’activèrent à l’instant où son cerveau s’était mit à penser. C’était cette chose petite et chétive qui lui inspirait une peur aussi profonde et elle était bien incapable de comprendre pourquoi. Seule sa nature inhumaine transparaissait mais c’eut tout aussi bien pu être un hybride étrange, il en courait plein en Shoumei. Néanmoins, quelque chose lui soufflait qu’elle était plus que… ça. Mais plus que quoi ? Et qu’est-ce qui lui faisait si peur chez elle ? Hormis l’étrange imperfection dont elle semblait affublée.
Phèdre, dont les yeux d’un bleu profond n’avait pas quitté la créature, recula d’un pas encore.
— Qui es-tu ? Que me veux-tu ? Demanda-t-elle non sans méfiance puis d’une voix plus dure : — Qui t'envoie ?
Siame aurait-elle osé lui envoyer un chaperon ? Zéphyr aurait-il payé un quelconque mercenaire pour lui mettre la main dessus ?
Bien incapable de deviner les intentions de la petite diablesse, elle resta immobile, sa magie s’agitant lentement autour d’elle, prête à se protéger si le besoin s’en faisait sentir.
“Je n’aime pas ça…” Murmura-t-elle en son for intérieur. Elle n'obtint aucune réponse ; ça n’était pas nécessaire, elles savaient très bien le genre de sentiment qui étaient en train de les assaillir. Néanmoins, aux termes de secondes exécrablement interminable Eris dit : “Les grillons ne chantent plus, les oiseaux de nuit se taisent et les petits animaux se cachent…” tandis qu’au même moment, un frisson glacial remontait leur échine jusqu’à hérisser le plus petit poil sur sa peau.
Malgré tout, malgré l’environnement obscur et presque lugubre, malgré la menace de la forêt des pins argentés et la pâleur cadavérique qui avait laissé place au reflet élégant de l’argent, elles n’avaient pas peur de ce qui les entouraient. Non, c’était une crainte autrement viscérale qui les habitaient. Un sixième sens qui leur hurlait que le danger venait d’en haut. D’en haut ? Sur le point de lever le nez, elles se figèrent comme une statue de sel. La peur déferla sur elles avec la puissance d’un ouragan, les enveloppant dans un drap gelé de terreur que Phèdre peina à réprimer. Il lui fallut toute la force de sa volonté pour forcer sa nuque à s’arquer vers l’arrière mais quand son regard se leva enfin, seule la lune la toisait. Pâle, brillante, seule mais entourée d'étoiles. Elle se dressait tranquillement dans son champ de vision.
“De quoi as-tu peur ?” Se sermonna Phèdre alors que la terreur oppressante qu’elle avait ressenti commençait à relâcher son emprise sur elle. Sans doute avait-elle fait un mauvais rêve qui lui avait laissé cette étrange impression, cela n’avait de cesse d’arriver en ce moment. Elle rêvait d’une vie lointaine, très lointaine de celle qu’elle vivait désormais. Une vie ou Eris n’existait pas, ou elle n’était pas mortelle. Une vie qui avait été belle mais qui avait fini, elle ne savait trop comment, par devenir funèbre. C’était sans doute cela qui l’avait tiré de son sommeil. Du moins, elle le crut avant qu’une voix de l’interpelle ; étrange écho de ses pensées.
C’était comme si plusieurs personnes avaient parlé en même temps. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieux. Pourtant la créature était seule, petite et l’air inoffensif. Ni belle, ni laide, quelque chose entre les deux, que même la fille d’Aurya ne savait définir. Cette chose était et c’était, semble-t-il, tout ce qui comptait.
Mue par rien de plus que son instinct, Phèdre s’arracha à son lit de fortune, abandonna ses draps et se tint sur ses jambes. La température autour d’elle perdit quelques degrés alors que du gel se formait sur le bout de ses doigts ; simple manifestation de sa magie de glace.
— De toi. Ses lèvres s’activèrent à l’instant où son cerveau s’était mit à penser. C’était cette chose petite et chétive qui lui inspirait une peur aussi profonde et elle était bien incapable de comprendre pourquoi. Seule sa nature inhumaine transparaissait mais c’eut tout aussi bien pu être un hybride étrange, il en courait plein en Shoumei. Néanmoins, quelque chose lui soufflait qu’elle était plus que… ça. Mais plus que quoi ? Et qu’est-ce qui lui faisait si peur chez elle ? Hormis l’étrange imperfection dont elle semblait affublée.
Phèdre, dont les yeux d’un bleu profond n’avait pas quitté la créature, recula d’un pas encore.
— Qui es-tu ? Que me veux-tu ? Demanda-t-elle non sans méfiance puis d’une voix plus dure : — Qui t'envoie ?
Siame aurait-elle osé lui envoyer un chaperon ? Zéphyr aurait-il payé un quelconque mercenaire pour lui mettre la main dessus ?
Bien incapable de deviner les intentions de la petite diablesse, elle resta immobile, sa magie s’agitant lentement autour d’elle, prête à se protéger si le besoin s’en faisait sentir.
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Rêve
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"J'en ai connu une, autrefois..."
Son discours est mystérieux, marmonné doucereusement. Voilà que Rêve se replonge dans le souvenir lointain d'une sorcière trop âgée pour pouvoir se remémorer le fil de sa propre vie. La diablesse voit le givre se former doucement aux fines extrémités du corps de la possédée et si ses yeux taillés dans l'onyx paraissent s'y attarder quelques secondes, c'est avec un désintérêt nonchalant que ses prunelles viennent se reporter ailleurs à peine un instant plus tard. Souriant à crocs dévoilés, la Bête reprend un demi-ton plus haut, comme pour expliciter qu'elle accepte de prendre réellement part à une conversation :
"De moi ? J'en doute."
Sous les yeux du démon, la glace se fait plus épaisse et se cristallise, lui se contente d'observer avec un sourire à l'arrogante nonchalance cette manifestation magique. Il n'y a nulle crainte ou colère chez lui, seulement de l'intérêt tirant sur la fascination. La farouche demoiselle n'est pas sans lui rappeler, de bien des façons, ses multiples déboires du passé ainsi que quelques stigmates issus d'un temps où nulle précaution n'était prise lorsqu'il s'adressait aux rêveurs.
"Personne ne m'envoie. Au contraire, on m'a demandé ici."
La créature ne prend même pas la peine de se redresser et se contente de claquer des doigts. Sans ressentir le moindre vertige, l'âme scindée se sent projetée en arrière puis réalise finalement à mi-parcours, de par une curieuse sensation qu'elle découvre tout juste; que ce n'est pas elle qui chute mais le monde tout entier qui bascule. Allongée contre un sol devenu mur, la magicienne angélique se sent subitement glisser; transportée par une gravité qui la tire tout naturellement vers le bas. Elle se voit tomber, inévitablement décrochée de la paroi au fil de sa descente. Elle s'imagine, heurtant les arbres devenus mortels obstacles au gré de son accélération. Nulle aide divine ne lui parvient et c'est finalement au prix d'un réflexe formidable qu'elle parvient à se stopper lors de sa glissade lorsque ses talons cognent contre un tronc salvateur.
Imperturbable face à cette extraordinaire force cosmique qui vient d'altérer le sens d'un monde tout entier, l'entité mystérieuse demeure toujours aussi paisible et se tient accroupie à l'horizontale. Indifférente aux lois de la physique, elle se lève avec une grâce féline et foule la terre de ses pattes griffues pour parvenir bientôt au niveau de l'Ange dont le maintien d'équilibre ne tient qu'à un fil. Incontestable maîtresse de cet univers tordu par ses soins, la chimère finit par s'allonger sur cette surface supposément verticale. Sa frimousse enfantine se fait moins joviale, son regard d'ébène s'assombrit et ses lèvres ne s'animent qu'un peu lorsqu'elle reprend la parole :
"Tu... m'as demandé, en vérité."
Se prélassant avec l'allégresse d'un chat tout juste tiré d'une sieste, l'entité surnaturelle passe du flanc au dos. Elle appose ses mains contre son propre ventre puis détourne ses prunelles de la possédée pour finalement se perdre dans les méandres du ciel nocturne qui effrayait tant, quelques instants plus tôt, son interlocutrice.
"Je suis... ancien, comme toi. Je trouve mes racines dans tes songes... et dans ceux de tant d'autres avant toi. Je suis un reflet, la personnification d'une idée. Je suis le Rêve, le Cauchemar, la Fantaisie et l'alléchante perspective de leur accomplissement. Construit puis Nourri par mille mondes, je m'offre à ceux qui m'ont donné naissance. Tu es de ceux-là, toi aussi."
Et le ciel change. La lueur se fait violacée, cyan puis vert d'eau. Les étoiles s'animent, dansent en un ballet astral dépassant jusqu'à l'imaginaire du plus créatif bambin. Tout devient plus chaleureux, plus chatoyant et formidable. C'est terrifiant, effroyable de pure beauté et d'immensité. C'est terrifiant car cela tient dans la paume de ce songe qu'ils nomment Rêve.
"Ta foi vacille, n'est-ce pas ?"
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