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    Karsa
    Karsa
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    qui suis-je ?:
    https://www.rp-cendres.com/t1002-karsa
  • Ven 20 Sep - 16:17

    A l'ombre des montagnes noires, dans un écrin de forêt oublié, se dressait la silhouette mélancolique d'une ancienne cathédrale. Ici, le temps s'était arrêté. Des cendres flottaient dans les airs, ersatz de neige grisâtre, se déposant sur une végétation pourtant bien vivante. Dans une allée ravagée par l’oubli, un visiteur encapé évoluait silencieusement. L’ombra marchait doucement, laissant des traces de pas distinctes dans le sol meuble. Elle passa sous une arche en ruine, enlacée de lierre et parsemée de lichen. Des fissures, témoins d’une époque révolue, se dessinaient en menaces éparses sur le corps décharné de l’édifice dans lequel elle s'apprêtait à pénétrer.

    Karsa humait l’air ambiant, emprunt d’effluves fraîches et herbacées de plantes invasives ainsi qu'un parfum âcre minérale et humide. Des rayons de soleil s'épanouissaient au travers des vitraux brisés, pour s’évanouir dans la pénombre de la bâtisse, plongée alors dans une semi obscurité rassurante. Des arbres gémissaient dans les hauteurs, dont les branches s’abaissaient sous le poids des années. Ces bras d'écorce s'enroulaient autour des piliers, comme une atteinte désespérée à retenir ce qui s’effondrait. Le silence enveloppait l’espace, un silence pourtant emplit des sons naturels de cet endroit abandonné.

    L’aventurière continuait de se perdre dans ces lieux ataviques, trahissant des siècles de désertion et de délabrement. Sa respiration était régulière, apaisée. La femme brune leva les yeux, au travers de son masque blanc et noir.  La lumière se glissait à travers de murs fracturés, en traits hésitants, touchant les colonnes effondrées avec une tendresse mélancolique. Une lueur dorée embrassait certains endroits des ruines, dans un puits de lumière spectrale, comme si le ciel pleurait ce monde perdu. Certains bancs de bois, branlants, rongés, avaient bravé les éléments avec une résistance qui s’avérait presque du miracle, s’étalant sous la voûte craquelée de la nef.

    La visiteuse procédait toujours, restant à l’écart des éclats de soleil dispersés. Elle avait emprunté ce qui semblait être l’ancien déambulatoire. Des vestiges de fresques saintes, aujourd’hui délavées et portant les cicatrices d’un autrefois tragique, étaient étreintes de ronces aux mûres sauvages. La femme prit le temps de les admirer, caressant les blocs de calcaire usés d’une main gantée.

    Elle arrivait enfin au bout des ruines, avec ce qu’elle devina être l’abside de l’ancienne cathédrale. Après un moment de contemplation, l’ombra se remit en marche. Prudente, elle évoluait souplement entre les débris, les pierres, recouvertes d’une mousse émeraude et luxuriantes, rendaient le chemin plus laborieux. Son œil fut attiré par une brèche imposante au creux de l’abside, baignée d’obscurité, le sol parsemé de débris rongés par les infiltrations d'eau.  Karsa s’appuya contre une colonne encore érigée, puis s'engouffra dans l’ouverture béante sans un bruit.

    Il y faisait très sombre, des bruits de gouttes ruisselant contre le granit se faisaient entendre tel un murmure lointain. Se laissant guider, l’ombra évolua naturellement, trouvant dans ce chaos de décombres, des escaliers en marbre dont le passage des anciennes habitantes de ce lieu saint en avait lissé et déformé la surface. Ses pas résonnaient en un ballet harmonieux, au rythme des goulettes martelant la terre.
    L’ombra aperçut enfin un faible faisceau de lumière, pour déboucher sur un endroit qu’elle n’aurait pas soupçonné. Elle venait d’arriver dans un cloître qui, comparé au reste de la cathédrale, était en bien meilleur état. Meilleur état ne voulait pas dire exempte de toutes dégradations, aussi la toiture avait partiellement chuté. Le cloître, autrefois résonant des chants des sœurs dévouées, était devenu tristement muet. Des assises de marbres s'érigeaient maladroitement d’entre la végétation, prospère en ces lieux. Les autels se distinguaient sous la mousse humide. Sur le sol, des fragments de symboles religieux s’entremêlaient à des ossements blanchis par le temps, mémoires oubliées d'un passé tragique. L’air, plus lourd ici, paraissait porter le souvenir des prières murmurées, suspendu entre l'absence et la douleur.


    La lumière avait peine à se faire une place parmi les ombres, qui se fondaient dans les cendres. Elles dansaient avec les ornements sculptés des chapiteaux, se remémorant peut-être, les promesses faites aux dieux silencieux.
    Ce lieu, naguère soigné avec amour et recueillement, n’était plus qu’une réflexion désenchantée d’un temps révolu. Karsa s'imprégnait de l’ambiance nostalgique que lui évoquait cet endroit. Elle retira son masque, simple signe de respect envers les âmes disparues au sein de ce prieuré dénudé de sa splendeur d’antan.

    L’herbe a repris ses droits, poussant avec insolence en touffes épaisses et indomptées. Des racines serpentaient entre les fissures de l’ancien chemin de pierre. Certaines pierres en étaient totalement soulevées, enserrées par des lianes d’émeraudes et de bronze. Les quatre galeries, qui formaient un carré parfait, n’étaient plus que désormais des sentiers de ruines envahis par la mousse et les ronces. Malgré l’abandon, malgré la décrépitude omniprésente, une étrange beauté persistait dans ce lieu sauvage, exaltant un mélange de désolation et d'enchantement liés par le fil invisible du passé.  L’endroit ne paraissait pourtant pas hostile, et gardait une plénitude déconcertante pour la visiteuse qui se décida alors à emprunter un des sentiers survivants.

    La voyageuse fut intriguée par la présence d’une volière immense, entourée d’un jardin qui devait jadis être scrupuleusement entretenu. Les panneaux de verre de cette cage grandiose étaient majoritairement brisés en mille morceaux. Ils laissaient passer les rayons mourants du soleil, créant des éclats de lumière diffractée qui luisaient sur le sol. Elle s’en approcha alors, en prenant soin d’éviter les ossements afin de ne pas désacraliser leur tombeau de fortune. Elle n’était venue ici que pour chercher refuge, et n’avait en tête aucune malice. Elle avait d’ailleurs l’esprit clair et vidé de pensées parasites, se laissant porter au gré de ses découvertes. Peut-être était-elle guidée par les fantômes de ce berceau, fragilisé par la mousse et les ronces comme pour dissimuler jalousement ce sanctuaire oublié. La mage arriva au niveau de l’entrée de la volière. Elle entendait presque les chants des nonnes, prenant soin de leurs compagnons ailés en riant. Elle admira le jardin, où elle pouvait sans effort imaginer  les arbres fruitiers, les rosiers en fleurs et les plantes médicinales aux senteurs légères. Seuls, des liserons se déployaient en corolles blanche et lilas sur le bâtiment vétuste, apportant une délicatesse touchante à ce tableau désœuvré.

    Karsa remarqua qu’un chemin avait été frayé au travers des herbes hautes, menant à un côté du sanctuaire des oiseaux, rare emplacement touché d’une lueur dorée. Toujours mue par un instinct indescriptible, elle entama alors de rejoindre cet endroit qui paraissait vouloir lui révéler ses secrets. Le bruit de sa progression était agrémentée du froissements des végétaux ployant sous son poids, des roulements de cailloux se faisaient rejeter plus loin et du clapotis des flaques stagnantes de pluie. La femme s’étonna d’ailleurs de ne pas en sentir les effluves viciées, et remarqua que l’eau présente était encore limpide et pure. Elle avait contourné l’ancienne pépinière, et se retrouva alors entre la volière et le jardin.

    Au centre du jardin, une fontaine antique, à la mosaïque séculaire fêlée, laissait encore couler son eau sainte. Cette eau claire reflétait la voûte en marbre au-dessus du bassin, s’érigeant toujours plus haut vers le ciel marbré et végétal. Tandis que des cendres continuaient de virevolter dans l'air, retombant parfois en surface, épargnant toujours le liquide béni, l’eau émettait un bruit apaisant comme un écho d'une prière distante et immémoriale.  Tout près de cette fontaine, un peu en retrait des allées principales, se trouvait un banc en pierre. Plus modeste que ces frères de marbre, il était petit et se trouvait à l’ombre des timides rayons flavescents qu’offrait le peu de source de soleil en ce lieux reculé. Soudain lasse, la vagabonde s’en approcha lentement et s’étendit telle une statue sépulcrale. Elle pouvait entendre un nouveau son, qu’elle n’avait pu distinguer auparavant, des chants d’oiseaux, mélodieux et altérés.

    Après avoir admiré une nouvelle fois, de sa position allongée le cloître endormi, elle s’affaissa à son tour. Elle pouvait sentir qu’une présence universelle veillait sur son sommeil.
    Prophétesse
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    Siame
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    qui suis-je ?:
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  • Sam 5 Oct - 13:23

    C’est ici que tout a commencé. Une époque où les Titans régnaient
    J’aurais voulu pouvoir dire

    Un battement d’ailes silencieux tourne la page raturée. La volière l'écrasait de toute sa hauteur. Ici, il n’y avait que le vent qui soufflait contre les parois vitrées, s'insinuant furtivement dans celles brisées, et le bruissement des ailes fendant l’air.

    J’ai toujours souhai

    Siame referma son manuscrit, en même temps que ses paupières. “Toujours”, prenait un sens tout particulier, lorsque c’était elle qui l’écrivait. Toujours correspondait à dix mille longues années, durant lesquelles elle avait souhaité beaucoup, longtemps, souvent, sans jamais obtenir le fruit de ses désirs. Parce qu’il fallait croire qu’au fond, elle n’avait pas été créée pour désirer, ni pour jamais trouver quelconque satisfaction dans ce qu’était ce Monde. Pas même lorsque les fidèles suivaient sa voix comme des agneaux vers l’abattoire—dociles, ignorants. Qui osait se souvenir de cette époque, aujourd’hui ? Prier les Titans, c’était une insulte faite à la douleur de ceux qui continuaient de subir les dures conséquences de la guerre. Et pourtant… L’Ange était persuadée que son Sang, celui des innocents qu’elle avait un jour sacrifiés, avait nourri les racines de ce Sekaï ingrat. Aujourd’hui, il ne restait plus rien de ces offrandes, hormis les traces noires sur ses ongles et tatouées dans sa chair. Le Culte de ses Maîtres n’était désormais qu’un souvenir pâle, une relique sans âme, et leurs Enfants ne portaient plus leur lumière. C’était désormais la Nuit. Le Noir. La pourriture et l’abandon.

    Elle avait éprouvé le besoin de solitude, bien consciente du piège insidieux que cette dernière pouvait représenter. Combien de fois était-elle tombée dedans ? Et à chaque fois, il avait été plus difficile que la fois précédente de se tirer de ses dangereux abîmes. Cette chose avait toujours été en elle—même lors de ses plus jeunes années. Siame n’avait pourtant jamais tenté d’en finir : comme si la mort n’était jamais apparue comme une solution plausible pour l’Ange. Comme si elle ne pouvait véritablement approcher sa psyché du concept, pas comme les Mortels le pouvaient. Elle pensait néanmoins au suicide au moins deux fois par jour : la première fois au lever—pour se rappeler qu’il était bon de vivre ; et la seconde en allant se coucher—songeant ô combien il aurait été doux de ne jamais se réveiller. Seulement voilà : plus elle vivait, plus elle comprenait que le véritable poison ne se situait pas dans ses désirs mélancoliques, mais dans la haine vengeresse brûlant ses veines et noircissant ses os. Cette haine, elle la vivait à grandes époumonées, la sentait bourdonner sous son plexus. Ce sentiment la tenait en vie—véritablement.

    Quelque part, dans l’immense volière, un faucon huit.
    Quelques secondes plus tard, le battement d’ailes dans le creux de sa nuque, et la morsure très légère des serres sur son épaule.
    Siame ouvre les yeux, et suit la courbure d’un bec, caresse du regard la soie des plumes. Un œil brillant, mobile, l’observe une seconde, avant que l’oiseau ne s’envole à nouveau…

    Elle l’avait regardé disparaître. Puis s’était décidé à rentrer. Son cœur se serra dans sa poitrine à cette pensée. À l’idée qu’elle avait désormais quelque part où “rentrer”. Un endroit qui l’attendait. Que ce moment de solitude n’avait été qu’une brève accalmie, voulue et désirée. Mais plus éternelle. D’un pas lent, elle avait contourné la fontaine. L’eau y était encore claire, bien que la Corruption s’insinuait toujours plus profondément dans les racines de ce Monde. La végétation ne tarderait pas à faner ici non plus. Elle eut la pensée fugace que ce n’était là que juste rétribution : elle fanerait comme Elle avait un jour fané. Et son cœur manqua un battement. Elle n’était pas seule.

    Une femme se trouvait là, allongée, endormie sur le banc en pierre bordant la fontaine. Elle ne l’avait pas vue, aux premiers abords, et l’inconnue ne l’avait pas entendue. Probablement toutes deux certaines d’être seules en ces lieux : puisque toute forme d’humanité avait décidé de fuir le Shoumei et sa corruption. Siame s’était approchée, lentement, pour mieux la regarder. Le temps semblait défiler au ralenti ici. Elle cilla tranquillement. Sûrement, elle aurait pu partir, détourner les yeux par pudeur et la laisser terminer paisiblement sa sieste, peut-être même s’abandonner aux affres de la solitude.
    Elle aussi…

    Quelque chose avait chevillé son départ. Son visage peut-être : qui lui sembla intéressant. La moitié de son faciès défiguré, et le masque, sûrement destiné à le cacher, qui choyait à côté sur le banc. C’est peut-être ça qui lui avait plu : ce moment où un tout petit accident lui avait offert une porte ouverte dans l’intimité de cette inconnue, une vision sur les vestiges douloureux de sa propre vie. Elle s’était saisie du masque, avait observé un long moment l’objet… Avant de sentir le poids d’un regard sur elle. Deux billes violacées, qui la dévisageait. Elle ne bougea pas d’un pouce. Ne détourna pas non plus le regard du visage difforme de la femme. À quel moment était-elle devenue si insensible à la laideur ? Depuis combien de temps se trouvait-elle à l’apprécier—à chérir tout ce qu’elle racontait ? Elle voyait quelque chose d'infiniment précieux à cette chair informe.

    C’était certainement indiscret de sa part, de s'attarder de la sorte. Mais il était encore plus indiscret d’afficher sa trop grande souffrance aux yeux des autres, alors… elle eut un sourire en coin—complice, satisfait comme celui d’un beau sphinx.

    Cela vous dérange, si je reste ?

    Sans se presser, le plus lentement du monde, Siame rendit son masque à sa propriétaire.


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  • Lun 11 Nov - 16:46


    Était-ce la respiration, ample et souple de l’inconnue qui l’avait tirée de sa torpeur ? Ou bien la lumière qui se reflétait timidement sur sa chevelure albâtre ? L’ombra ouvrit les yeux avec difficulté. Elle entrevoyait cette chevelure qui lui paraissait familière. Karsa tendit alors une main tendre vers une mèche qui flottait doucement. Elle fit passer la mèche entre ses doigts gantés et prononça un nom :

    - Maria ?

    Non ce n’était pas Maria. Un gouffre abyssal vint alors s’ouvrir au sein de la poitrine de la femme masquée. Les années avaient déposé un voile apathique sur le ressenti de ses émotions. Son unique paupière battit plusieurs fois des cils, sa gorge se serra. Elle déglutit puis se décida à se relever lentement. N’importe qui d’autre aurait identifié ce gouffre à la gueule béante comme le manque d’un être cher. Karsa ne fit pas le lien. Elle ignora les profondeurs qui creusaient toujours plus profondément dans son âme. Le vide était plus fort que la raison.

    Les formes se firent plus précises et l’aventurière put enfin découvrir le visage d’une femme qu’elle ne connaisait pas. L’étrangère la regardait avec des yeux où se mêlait fatigue et attente. Karsa baissa sa main, non sans faire glisser les cheveux contre le cuir de sa main. Elle regardait alors la voûte de pierre craquelée au-dessus d’elle. Le lierre s'insinuait partout dans ses fissures temporelles, sublimant et abîmant la pierre.

    Elle pouvait sentir le regard de la femme parcourir son être. Il glissait sur les étoffes que revêtait l’ombra, s’attardait sur son visage. Son visage ? Karsa se toucha la joue, celle mutilée par une brûlure éternelle.

    - Ah… Elle soupira discrètement. Elle comprenait mieux. Quand l’inconnue lui tendit son masque, elle leva enfin les yeux vers elle. Elle la regardait enfin.

    Il était maladroit d’avoir cru un instant de la confondre avec celle dont le nom avait été prononcé plus tôt. Outre les cheveux blancs, elles ne se ressemblaient en rien. A part peut-être cette résignation triste, cachée au fond de leur regard. Le même regard de nuage. Peut-être se mentait-elle à elle-même. Peut-être qu’elle lui ressemblait. Pourtant malgré leur apparence semblable, leurs âmes étaient diamétralement opposées. Contemplant son interlocutrice, Karsa voyait au-delà de son enveloppe de chair. En plongeant son regard lavande dans celui d’un ciel de tempête de l’étrangère, elle crut reconnaître sa propre peine, les maux d’un temps trop long, qui s’étirait tant et si bien qu'il commençait à se déchirer.

    La femme à la chevelure peinte d’une neige pure la regardait aussi. Elle soutenait son regard d’un air presque entendu. Elle la voyait, elle aussi. Son faciès abîmé semblait captivé son attention, aussi Karsa en ressentit une sorte d’irritabilité. Il n’y avait pas de moyen de gagner dans ces moments-là. Au moindre signe de dégoût d’un spectateur, l’ombra n’en éprouvait que dédain et suffisance. Petite âme sensible, trop sensible au point de supporter la vue d’une chair traumatisée. Au moindre signe de compassion et d’intérêt, la femme remettait son masque et cachait cette face brûlée des regards indiscrets. C’était bien sûr les autres qui n’avaient jamais la bonne attitude. Pas elle. Elle n’éprouvait rien. Elle se devait de ne rien éprouver.

    La prêtresse du Rêve récupéra alors son masque, tranchant alors le lien visuel qu’elle avait établi avec la femme, pour poser ses yeux vairons sur l’objet délicatement sculpté. Elle le reposa alors sur son visage avec un geste habitué. L’étrangère faisait donc partie de ceux qui s'enorgueillissaient de  la capacité d’endurer la vue d’une cicatrice de cette ampleur.

    - Je ne suis pas maîtresse en ces lieux. Aussi ce n’est pas à moi de décider si vous pouvez rester ou non. Répondit-elle d’une voix rauque.

    A présent masquée, sa voix était plus calfeutrée. Elle trouva un certain réconfort à dissimuler ses expressions car la présence de cette femme la troublait. Elle l’énervait. Elle l’adorait. Elle avait envie qu’elle parte sur le champ cependant elle ressentait aussi l’empressement de partager avec elle des mondanités. Karsa releva son regard vers l'anonyme. Elle remarqua alors la couleur pourpre de sa robe, ainsi que sa facture. La forme particulière de la tunique lui rappelait la sienne. Une femme de foi ? Cette idée fut confirmée à la vue d’une chevalière encerclant le doigt fin de cette dernière. L’éclat d’un rubis se fit remarquer quand la femme croisa ses mains devant elle. Karsa ne put déchiffrer le motif gravé sur la bague mais elle put deviner qu’il indiquait un grade élevé. Un rang vénérable au sein d'une Eglise différente de celle de la masquée. L’ombra se mit alors dans une position plus composée. L’individue se tenait droite, ses cheveux étaient peignés et son teint était clair. Ne partageant pas la même paroisse que celle-ci, la prêtresse des ombres restait sur ses gardes. Les échos qu’elle avait eue de la situation dans ces contrées s’entendaient toutes sur la même chose : ceux qui ne révéraient pas les entités du Royaume Béni étaient des existences à enrôler et si récalcitrantes à éradiquer. Purement et simplement.

    - Pour vous répondre plus cordialement, non je ne vois aucun inconvénient à ce que vous restiez ici. Même je dois partager ma surprise de croiser quelqu’un dans ce jardin abandonné. Vous êtes la première personne que je croise en…Quelques nombreuses années.
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