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  • Sam 11 Mai - 17:39

    Le sol était spongieux sous les solerets du Luteni, l’air pestilentiel portait avec lui les effluves caractéristiques des cadavres bouffis par la décomposition, à la chair noircie par le sang qui s’accumulait dans les parties basses et a cette pâleur cadavérique sous le couvert de laquelle frétillait une vie impie, faite de larves, d’insectes et de bactéries qui gonflaient la chair jusqu’à rompre la peau.

    Il ne restait rien de ce village autrefois débordant de vie, rien de plus que des ruines habitées uniquement de regrets et des étals abandonnés dans lesquels pourrissaient des aliments noircis avec lesquels les rats pustulés faisaient bombance.

    Des cadavres étaient empilés dans des chariots abandonnés dans l’allée principale du village, entassés comme de vulgaires sacs de viande qu’on devait transporter aussi vite que possible, dont les chairs liquéfiées donnaient l’impression qu’elles s’étaient agglutinées en un seul monolithe putréfié à la gloire de ces horreurs qu’il avait combattues là-bas, bien plus à l’ouest. Des animaux de traits, des cochons et du bétail avait été abandonné, la peau tendue autour de leurs cages thoraciques et leurs estomacs bouffis par la décomposition de leurs entrailles, les quatre jambes tendues comme des jouets que l’on avait renversé sur le flanc.

    Sa main se posait sur le bois pourri la porte entrebâillée de ce qui avais été autrefois une taverne, qui désormais faisait office de caveau. A l’intérieur, il pouvait voir des corps assis à des tables, figés dans un dernier verre. La pénombre aidant, certains de ces corps lui semblaient n’être que des ivrognes affalés sur une table, d’autres avaient l’air endormis, les bras ballants et la tête penchée en arrière sur le dossier de leurs sièges. Le tenancier, lui, semblait endormi contre son comptoir, une bouteille fraîchement ouverte à la main, dont les bubons pulsaient d’une vie impie. Il ne fit qu’un pas, avant de sentir quelque chose éclater sous la semelle de sa botte, baissant les yeux, il ne vit qu’une légion d’insectes et de larves dont il venait d’écraser un régiment. Partant à l’assaut de l’intrus, il pouvait voir ces petits vers blancs et ces insectes noirs grimper le long de ses chausses.

    La porte avait presque volé en éclat sous l’impact de son épaule, s’appuyant contre un poteau quelconque dans la ville, la main se plaquait contre ses lèvres tandis que son repas glissait entre ses doigts, ses muscles costaux venant étrangler son estomac pour le forcer à recracher son contenu.

    - Luteni ? Vous allez bien ?

    L’un des cavaliers de l’unité dont il avait pris le commandement temporaire venait de s’avancer à sa hauteur. Le jeune homme, aux accents des terres du nord, cachait son dégoût derrière un pan de sa capuche qu’il relevait sur son nez. La main autour de sa bride était ferme, ses talons labouraient les côtes de son palefroi qui remuait l’encolure et fouettait l’air de ses oreilles. Frappant le sol de ses sabots.

    Une toux saisit Tulkas, qui renifla puis cracha un instant, se racla la gorge et se redressa. S’essuyant le gant contre les tassettes de son armure pour tourner son attention vers le cavalier.

    - Je vais bien, Sargenti. Affirma-il. Je vais bien. Qu’il répéta pour s’en convaincre avant de renifler. Au rapport, qu’avez-vous trouvé dans votre secteur ?

    Le sargenti hésita un instant avant de tourner le visage pour regarder par-dessus son épaulière vers les autres cavaliers qui l’attendaient plus loin, munis de torches et de lances acérées.

    - C’est… Il déglutit à son tour. Un charnier à ciel ouvert, Luteni. Je… Il hésita à nouveau, chercha ses mots avant d’affaisser les épaules dans une gestuelle de défaite. Vous devriez venir voir par vous-même, Luteni.

    Sa première réaction aurait été d’admonester le sous-officier pour son incompétence, s’il n’était pas lui-même incertain de ce qu’il se tramait dans ce village sans vie et sans nom. Les épidémies sont monnaies courantes, mais prenant une telle ampleur et ne laissant aucun survivant ? C’était bien plus rare et, admettons-le, allait souvent de paire avec l’influence corruptrice des dieux. Avec l’influence corruptrice de Puantrus.

    Un frisson d’horreur remonta le long de sa moëlle épinière. Il se rappelait encore cette longue descente dans les boyaux de la terre, jusqu’à arriver au nexus de la corruption, d’où se répandait le souffle du Père des Pestes, qui se gaussait de son rire gras et immonde de ceux qui luttaient contre ses bubons et ses plaies tout en étant aimant et tendre avec ceux qui acceptaient ses bénédictions et répandaient ses cadeaux aux quatre coins du monde des hommes. Là où il avait vu périr son frère d’armes pour la première fois, avant de le reperdre à nouveau là-haut, bien plus au nord.

    Roulant des épaules, fourbu et hanté par ces souvenirs dont il ne parvenait pas à se défaire, Tulkas passa le pieds à l’étrier pour monter sur son palefroi, tirant sur les rênes de sa monture pour faire demi-tour et descendre cette allée des cauchemars jusqu’à la place du village, le cœur de toute communauté, où l’attendait un spectacle auquel rien n’aurait pu le préparer.

    Des dizaines de corps, si pas une centaine, éparpillée par-ci et par-là de façon à dessiner l’un des symboles saints de Puantrus. Au centre duquel se tenait un mât poisseux enrubanné de ce qui lui semblait être des entrailles. Son regard se perdit ensuite sur le temple de la lune et du soleil, duquel s’écoulaient des effluves verdâtres à l’odeur putréfiée.

    - Le doute n’est pas permis.

    S’était-il contenté de dire avant de se tourner vers le Sargenti.

    - Brûlez le village. Ordonnait-il calmement. Chaque maison, chaque cadavre, rien ne doit survivre aux flammes.

    Claquant deux fois sa langue pour ordonner à son palefroi de s’élancer au pas, Tulkas le guida jusqu’à ce temple abandonné des quelconques pouvoirs dont étaient imbu le soleil et les étoiles. Il leva les yeux vers le parvis de cette église où devait autrefois siéger l’iconographie Shierak, à en juger la décoloration de la pierre. Tulkas releva le col de la chemise de lin qu’il portait sous son gambison pour protéger son souffle. Jusqu’à enrouler partiellement son foulard autour de sa mâchoire et de son nez. Descendant de sa monture, il franchit le pas de l’église jusqu’à ce que son sang ne se fige dans ses veines.

    Tout les bancs étaient remplis de corps pâles scarifiés par les maux qui les affligeaient, figés dans une position de supplique, les mains jointes contre leurs fronts pour certains, d’autres les bras croisés sur les bancs en face des leurs. Le sol ici aussi, avait cette étrange consistance, mais les larves et les insectes n’étaient pas en cause, non. C’était autre chose, de la chair vivante, animée par cette énergie impie qu’il avait pu voir auparavant. C’était vivant, et son sang était pâle comme le pus, comme ce qu’il avait pu voir dans les entrailles de ce mont chauve couronné lui aussi d’une église.

    Il n’y’avait pas de prêtre ici, mais l’estrade d’où les guides du culte des astres donnaient leurs sermons avait été renversée et à sa place se trouvait un obélisque de chair grouillante et frétillante. Et tout les civils ici, étaient mort en l’adorant.

    Grondant, Tulkas recula et pour la première fois depuis bien longtemps, son feu s’anima en lui. Ca partait du ventre, comme toujours, ça gonflait ses poumons et brûlait qu’il respirait. Puis, dans un rugissement sonore digne de la furie du mont Kazan, il purifia l’endroit.

    Quelques instants plus tard, tandis que les flammes léchaient et lavaient la terre de cette souillure, le Sargenti s’approcha à nouveau de lui.

    - Vos ordres, Luteni ?
    - Nous devons trouver les responsables. Où est le prochain hameau sur notre route ?
    - A une quinzaine d’heures de marches d’ici, Luteni. C’est le bourg de Falkrein.


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  • Sam 11 Mai - 18:56
    "Mes jambes..."

    Les suppliques de la paysanne mourante, pendue comme une vulgaire breloque par dessus le charnier faite des corps de son mari ainsi que de leur premier né, n'effleurent qu'à peine les oreilles de celui auquel ils sont adressés. Le dos vouté, l'immonde paladin accroupi savoure, tel un vautour se nourrissant de la dépouille fumante d'un bovin vaincu par l'âge, les restes d'un milicien ayant eu l'outrecuidance de s'opposer à lui. Les crocs malformés de l'hybride se referment sur la viande nerveuse, crissant lorsqu'ils se heurtent à un ossement broyé ou à un tissu trop spongieux pour eux. Les gencives fumantes, il laisse les sucs caustiques qui barbotent dans sa salive noire se répandre sur la peau du malheureux, ramollissant le met pour le rendre propre à la consommation.

    Des vrombissements, tout d'abord discrets, se font plus impérieux à mesure que l'on s'approche du cœur de ce cloaque dans lequel s'opère les plus sinistres besognes. Les mouches, comme celui qu'elles suivent partout où il se dirige, posent leurs trompes velues contre l'épiderme des morts afin de liquéfier ce qui peut l'être, réduisant avec une sépulcrale lenteur les corps des défunts en une bouillie méconnaissable. Y a t-il pire châtiment pour un croyant que de se voir désacralisé de la sorte ? Peut-on trouver une once de beauté dans le traitement sordide que réserve le héraut de la Peste aux carcasses déshumanisées de ses victimes ?

    "Mes jambes..."

    L'implorante se perd en murmures dénués de sens. Elle n'est pas une combattante, elle n'a pour talent que l'application qu'elle met à cuire le pain et n'a, de son vivant, jamais eu le besoin ni l'occasion de protéger quoi que ce soit. L'Empire a juré de faire d'elle une citoyenne, de lui offrir dans l'œuvre de tout un peuple une place qui lui revient de droit. Voilà comment est récompensée sa fidélité. Instrumentalisée lors de desseins qui lui échappe, elle est changée par une bête ignoble en catalyseur d'un mal qu'elle ne pense pas avoir mérité. Le paladin à la gueule chargée se relève en mâchonnant sa pitance faite de chair humaine puis vient bousculer sans ménagement la pauvrette qui, l'espace d'un infime instant, croit qu'il va la libérer. Le dément se contente à la place de placer sous ses moignons déchirés une soucoupe, qu'il badigeonne ensuite de ce qui se trouve logé entre ses gencives.

    "Pitié..."

    La première réaction depuis de trop longues heures de carnage se fait entendre. L'adorateur des titanides laisse échapper un soupir moqueur tout en grattant l'interstice creusé entre deux de ses dents inégales tout en levant les yeux pour s'assurer que sa coupole soit parfaitement positionnée sous la coulée de gouttelettes sanglantes. Il ne cherche même pas à capter les yeux vitreux de celle que la vie quitte, il n'accorde pas plus de crédit à ses derniers mots qu'il n'en a pour les vociférations des nuisibles grouillants qui s'immiscent dans ses esgourdes pointues lorsqu'elles confondent son enveloppe malade avec celle des défunts.

    Avec un ersatz de force, la blessée parvient à tourner la tête, prenant alors conscience de son environnement ainsi que des lamentations qui, dans sa terreur, lui ont jusqu'à présent échappé. Elle n'est pas la seule survivante du massacre, loin de là. Alignées, d'autres victimes de la folie des divins sont elles aussi harnachée par des cordages usés, entreposées comme de la viande que l'on sèche à l'ombre d'une cuisine. Il y autant de torturés que de coupoles et de leurs plaies profondes s'écoulent parfois une once d'hémoglobine vérolée par la Pestilence.

    Ce n'est pas qu'une mise en scène, c'est la première étape d'une machination planifiée minutieusement par une cervelle croupissant dans un bassin de vers. Sublime, enfant vomi par Puantrus, récolte avec le soin d'un apiculteur la substance résultant d'une orgie de pure violence. Tournant le dos à la malheureuse pour mettre les mains à son trop lourd paquetage, le satyre aliéné lâche un éternuement retentissant dont l'écho se réverbère jusqu'aux confins de l'immense cave du village puis extirpe de ses affaires une grossière seringue à piston. S'assurant que sa trouvaille soit encore fonctionnelle après les aléas des combats, il en teste le mécanisme avec une diligence inquiétante puis retourne à son atelier morbide où il prélève avec soin et méthode le liquide chargé de fange issue de son obscure magie.

    Portant l'objet tâché de poussière à ses yeux, Sublime pose un doigt sur le dard qui orne l'ustensile pour récupérer un peu de la solution pâteuse, attestant par ce contact qu'elle détient l'idéale texture. Opinant du chef davantage pour lui-même que pour les quelques malheureux spectateurs témoins de leur propre déchéance, il lèche le sang pourri qui décore ses griffes et un frisson d'envie vient traverser son échine hirsute.

    "Cette cuvée vaudra cent fois les précédentes."

    Un ricanement gras se mue en toux douloureuse, seulement pour se voir interrompu par le raclement de la trappe menant à la cave de la ferme. Des visiteurs ? Voilà qui est impromptu. Probablement au fait de la montagne de dépouilles qui reposent sur le sol du village, à la surface, les intrus doivent savoir qu'ils s'apprêtent à se confronter à la plus franche incarnation du fléau.

    Sublime en tire une intense satisfaction et tout en arborant un sourire sardonique, il porte à son énorme couperet l'une de ses pognes et file dans les ombres, se jetant droit dans un monceau de membres déchiquetés pour se camoufler aux yeux des imprudents qui osent pénétrer sa tanière.
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  • Dim 12 Mai - 0:10

    - Encore un corps.

    C’était toujours la même chose. Des traces de griffes sur les flancs et des lacérations causées par une lame… Ou plutôt une scie, à en juger le tracé inégal de la plaie qui avait en partie sectionnée l’échine de l’ours qui gisait inerte non loin. Descendant de sa selle dans un bruit d’acier, Tulkas se mit à grimacer. Il pouvait sentir l’atroce puanteur de la carcasse à moitié dévorée.

    - Ça en fait combien maintenant, Jorek ?
    - C’est le troisième sur quinze lieues.

    Et toujours le même mode opératoire, observait silencieusement le Luteni tandis que les soldats de sa troupe continuaient de débattre de la marche à suivre, comme s’ils étaient aux commandes de cette opération. Un rire s’échappa un instant du gosier de l’ancien gladiateur qui secoua la tête pour chasser cette pensée avant de se concentrer sur ce qui pourrissait sous son nez. Un ours, adulte, pesant facilement quelques centaines de livres. Les plaies suintaient du pus et des asticots bouffaient déjà la matière fécale qui suintait de ses entrailles lacérées.

    Les animaux fuyaient les carcasses de ce genre, elles pouvaient sentir le toucher de la putréfaction et de la maladie et pourtant, cet animal avait non seulement été abattu, mais quelque chose l’avait dévoré. Quelque chose qui ne craignait pas la maladie, ou qui à en juger l’état déchiqueté de certains organes et l’absence d’autres, comme la rate, donnait presque un air de repas rituel au carnage.

    - Aucun signe de lutte.

    Soufflait Tulkas, plus pour lui même que pour ses comparses. Oh oui, il en avait abattu des créatures plus grandes que celle-là, certaines à mains nues même, c’était un peu sa marque de fabrique à l’arène. Il savait très bien qu’un ours, même malade, se battrait jusqu’à son dernier souffle pour avoir le droit d’exister un peu plus longtemps. Et pourtant, là, c’est comme si la bête avait accepté son sort.

    - Peste.

    Jurait-il, se frappant les cuissardes du plat de ses gantelets de cuir avant de se redresser et réajuster ses tassettes. Aussi instruit soit-il, il n’était pas un réel homme de sciences, il n’avait pas le savoir des magisters impériaux, les outils du régiment spécial et certainement pas une forme de magie qui lui aurait permis de glaner un peu plus d’informations qu’il en avait. Tout ce qu’il pouvait déceler, n’importe qui aurait pu le faire. Ses sens, terriblement banals, n’étaient pas assez aiguisé pour identifier une quelconque piste autre. Il n’avait pas d’autre choix que d’avancer, de suivre cette piste macabre et remonter le flot de morts jusqu’au responsable. Inspirant, sentant son cœur se serrer, le Luteni grimpa à nouveau sur son palefroi, avant d’enfoncer les talons dans ses flancs, lançant un « Yah ! » pour ordonner à la chevauchée de reprendre la route.

    C’est deux heures plus tard que la patrouille aperçut une petite maison en bord de route, un refuge semblait-il, qui devait autrefois être débordant de vie lui aussi. Mais qui désormais lui paraissait si froid et si silencieux, si l’on omettait le claquement des panneaux de bois qui servaient de volets rudimentaires qui claquaient contre le cadre d’une vitre brisée dans la bise crépusculaire.

    Ici, pas de putréfaction apparente, les corps étaient plus frais, plus récents et présentaient eux aussi les mêmes blessures infligées plus tôt à l’ours qu’ils avaient pu trouver. La chair déchirée par une lame inégale, mais ici moins de traces de dents. Non, c’était plus méthodique, plus… Scientifique, presque. Un corps avait été attaché à une table, enfin, « cloué » serait un terme plus approprié. La cage thoracique presque ouverte comme pour observer l’étrange danse des organes doucement bercés par les muscles qui se contractaient en révolte au contact de l’air libre. Ici aussi, des traces de corruption, des pustules et une décomposition bien trop avancée pour la fraicheur du sang et le feu mourant dans l’âtre.

    - Nous… Devrions les enterrer, non ?
    - C’est atroce…
    - Faut les enterrer, ce n’est pas correct de les abandonner comme ça.

    Tulkas grinça des dents. Il portait le sable et le gueule sur son gambison et à la rondelle qui protégeait son aisselle, il était Serre Pourpre et il avait appris à faire la part des choses. Mais les hommes qui l’accompagnaient n’avaient qu’un entrainement lacunaire comparé à celui de ses frères d’armes qui avaient encore du lait derrière les oreilles.

    Il inspira un instant, chassant le flot de violence qui le prenait comme la bile qui remonte la trachée pour se recentrer en soufflant, saisissant le collier qu’il portait sans discontinuer depuis l’opération qui l’avait vu propulsé à son poste actuel.

    - Nous n’avons pas le temps. Brûlez-les, c’est ce que ferait le Dragon-Dieu.

    Ils ne laissèrent que des flammes et des cendres dans leurs sillage, tentant de purifier comme ils le pouvaient les traces impies laissées là par la créature qu’ils traquaient désormais avec une vigueur renouvelée. Cavalant, retournant la terre et levant un nuage de poussière derrière eux, la patrouille ne tarda pas arriver au second village sur leurs route.

    Falkrein, un village paisible, colonie impériale dans rares parties habitables à la frontière de l’ancienne Shoumeï, terriblement dépendantes du grand axe commercial qui reliait Mael au reste de l’Empire et qui avait pu prospérer grâce au commerce et aux services offerts aux caravaniers qui passaient, en moyenne, une fois par semaine en ville. Mais de Falkrein, il ne restait aujourd’hui rien. Rien de plus qu’un autre village devenu fantôme, que la mort avait fait sienne. Ici aussi, toujours les mêmes traces de blessures, des cadavres lacérés, mais ici, la chair était fraîche et le sang avait encore sa teinte carmine. L’air n’empestait pas, du moins, n’avait pas d’autre odeur que celle du fer, de la pisse et de la merde. Les délicieuses odeurs des charniers auxquelles tout les soldats du Reike avaient été forcés de s’habituer.

    Posant pieds à terre, le Luteni se tourna vers ses hommes.

    - Fouillez le village, toujours par deux. Trouvez des survivants s’il y’en a, sonnez le cor si vous trouvez la bête.

    On pouvait dire beaucoup de choses sur les hommes d’armes du reike ; bouchers, barbares, drones fanatiques et esclaves de combats, mais ils avaient l’avantage d’être efficace. Une culture martiale a le chic de produire des hommes qui suivent les ordres sans sourciller et bien rapidement, le village tout entier commença à être passé au peigne fin.

    Deux hommes, spécifiquement Jorek et son comparse Thirmaéon, venaient de vérifier si une des maisons avait bel et bien été abandonnée par ses occupants. Plusieurs d’entre elles avaient encore des feux dans l’âtre, certaines même préparaient encore leurs pitances. Si bien qu’un peu de pillage de circonstance n’allait certainement pas déranger les hommes d’armes.

    - Ils ont l’air d’avoir des moyens dans cette maison, bordel, tout ce sang…
    - Ouais, ça donne soif. Surveille un instant que le Luteni ne se ramène pas ici, je vais aller voir ce que nous réserve la cave.
    - T’es sûr ? Putain Jorek, fais pas le con, j’ai pas envie de finir humilié devant la troupe.
    - C’est bon, putain. Gronda-il en ouvrant la trappe. Fais le guet, tu veux ? Tu sais si bien y faire.

    Dans un rire, Jorek descenda les escaliers menant à la cave, se munissant d’une torche, il descendait calmement en secouant la tête. Thirmaéon avais toujours été un froussard, et même s’ils craignaient probablement le Luteni, il avait bien plus important à faire dans l’immédiat que s’assurer que ses hommes ne piquent ici là quelques bouteilles. Jorek siffla un instant, la cave était spacieuse et grande avec plusieurs alcôves, il fit un premier pas et s’étonna d’une éclaboussure, puis d’une autre. Baissant les yeux vers ses pieds, il prit enfin la mesure de l’horreur dans laquelle il venait de pénétrer.

    - Thirma’ ? Viens un peu ici, je pense avoir trouvé… Je sais pas quoi en fait.

    Dit-il en s’avançant, tirant son épée de son fourreau en avançant. Au bout du couloir, une porte ouverte ou, plutôt, une gueule ouverte sur l’enfer.  Il ne savait rien de ce qui l’attendait de l’autre côté de l’huis. Lui et Thirmaéon ne seraient probablement plus jamais les mêmes.


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  • Dim 12 Mai - 20:27
    Les impériaux approchent de l'amoncellement trop minutieusement préparé pour constituer l'œuvre d'une bête chargeant sa pitance au creux d'un garde-manger. Secoués malgré l'expérience par la perspective d'une telle cruauté ainsi que d'un sadisme dépassant l'entendement mortel, ils s'attardent en exposant les corps déformés par la lueur de leurs torches sur les détails les plus sordides de l'étrange enchevêtrement de chair, de cordages, ainsi que sur les quelques ustensiles de récolte laissés à l'abandon par la bête cornue.

    L'estomac retourné par une telle vilénie ainsi que par les poignants remugles de chair mourante couplés aux parfums écrasants de déjections humaines, Thirma lève avec une morbide fascination la lumière jusqu'à illuminer le faciès tordu d'une femme changée en fétiche par le malin mais lorsqu'il dirige son regard vers les yeux vitreux de la pauvrette, un éclat d'effroi parcourt son échine car son œillade lui est rendue. Elle est encore vivante. A un fil de sombrer dans les bras glacés du Faucheur, la malheureuse se bat dans un ultime espoir de trouver une héroïque conclusion à son calvaire et si des tendons fongiques verrouillent partiellement ses cordes vocales, elle parvient tout de même dans un ultime espoir de salvation à articuler quelques mots laissant présager le pire :

    "Il est... encore là."




    Les reikois comprennent immédiatement ce qu'implique la révélation du cadavre en sursis et malgré la stupéfaction née du drame de l'instant, ils reprennent tous deux possession de leurs corps pour porter leurs mains aux lames qui ornent leurs ceinturons. C'est à cet instant que, dans un fracas tonitruant, la pile de cadavres dans laquelle s'est dissimulée le prédateur malade se soulève en projetant dans toutes les directions des monceaux d'organes et de membres arrachés. Médusé par la vue du satyre, Thirmaéon mire alors de ses yeux écarquillés la grandeur de cet être défait de toute humanité et dans le rictus de damné qui orne le faciès de la créature, il ne voit qu'un appétit illustrant la plus profonde folie.

    L'épée-scie est dressée avec sauvagerie au dessus de la tête du paladin corrompu et tout en poussant un bêlement strident, le guerrier aux sabots fendus frappe avec toute l'énergie d'un bovin sur l'épaule du reikois, l'écrasant sous le poids de l'arme tout en sectionnant nerfs et tendons dans un froissement sinistre. Le second chevalier impérial tente de riposter mais se voit quant à lui cueilli par une gerbe de vomi empoisonné qu'éructe le possédé dans un grondement guttural. Recouvert de ce liquide croqueur de chair qui affute la gourmandise des charognards volants, il ressent immédiatement la torture qu'accompagne l'inoculation du venin magique et lâche un beuglement aux échos aigus tout en tombant à la renverse.

    Thirmaéon n'a l'occasion que de maladroitement lever son bras encore vaguement lié à son corps qu'il se voit frappé par le poing colossal de l'hybride qui s'évertue, avec une vigueur démentielle, à cogner le casque de fer jusqu'à l'imbriquer dans l'arête nasale de sa victime. Les mugissements de l'homme-chèvre se sont plus bestiaux et diaboliques à chaque impact et les dents crantées s'enfoncent toujours plus profondément dans la viande malmenée. Ce n'est que quand le visage du fier reikois est réduit à l'état de pure bouillie que Sublime interrompt son saint massacre pour reporter son attention sur son autre cible qui se débat pour chasser de sa peau la substance corrosive.

    "Deux de plus pour la mixture. Du sang tiré aux tueurs de Dieux, une gâterie qui se célèbre ? Des viscères de traîtres pour alimenter l'impitoyable Monstre. Un jour glorieux."

    L'un des sabots plaque le survivant à terre et l'épée écorcheuse quitte le corps du mort dans une gerbe sanglante. Le faciès recouvert de morve, de bile et du sang de ses ennemis, Sublime se sent exalté et dresse son arme gigantesque au dessus de sa tête en éclatant de rire.
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  • Mer 15 Mai - 15:36
    - Encore une maison vide ?
    - Ouais, chou blanc, pas même un chat crevé sous l’meuble.

    Hakim n’eut qu’un soupir en réponse, il comprenait bien l’importance de leurs missions. Ah ça, le Luteni n’avais pas manqué de leurs répéter à outrance. « Il faut trouver les responsables », qu’il avait dit avec son air sévère, « Il faut purger par le feu ce mal avant que les racines ne soient trop profondes » et tout le tremblement. Lui n’avais rejoint l’armée impériale que pour faire plaisir à son père, n’avait jamais participé à aucune bataille et maudissait amèrement son déploiement dans les Marches de l’Empire. Le sable chaud du désert lui manquait, l’odeur des dattes, du lait et des épices sur les étals. Il inspira un instant avant de froisser son visage d’une expression de dégoût intense. La ville puait le cadavre, sans qu’un seul ne soit à portée de vue.

    - J’en ai marre, je suis crevé.

    Avait-il confié à Vaught, un réfugié républicain qui avait échangé plusieurs années de sa vie au service du Reike pour bénéficier de sa protection. Un petit criminel, réformé en un soldat de fortune. Le décret de la Main de doubler les effectifs de la Kyrielle avait eu pour effet inattendu de réduire la qualité des recrues, mais qu’importe. Vaught était passé dans les mains habiles des vétérans de la Grande Guerre et était plus Reikois que l’Ur-Khal, l’empereur, lui-même. S’exclamait en Shierak sans saisir toutes les subtilités de la langue et régalait ses camarades des histoires sanglantes des Saqoyalats qui servaient le Tovyr d’airain.

    - Nakhat, gaezo. Qu’il avait répondu, écorchant le son en « ch » du premier mot et prononçant le « a » silencieux du second. On a bientôt fini notre secteur.

    Le Taïsenois leva les yeux au ciel, implorant les astres de ses paumes de lui donner la force de ne pas écraser son poing dans la figure de son frère d’armes. De tout ceux qui suivaient la patrouille, rien ne l’énervait plus que cet huluberlu de républicain qui pensait pouvoir lui expliquer sa culture et sa propre langue alors que lui avait la chaleur du désert à même la peau. Face au reniflement moqueur de Vaught, Hakim inspira un instant avant de se lancer dans la gueule du loup…

    Du moins… C’est ce qu’il aurait fait, si la prise de tête naissante ne venait pas de mourir dans l’œuf, tuée par un bruit étrange qui parvint à leurs oreilles.

    - Tu as entendu ?

    Que demanda Hakim en relevant sa main sur la hampe de sa lance pour s’en saisir.

    - Ai. Répondit Vaught à l’affirmative. J’ai entendu.

    L’ancien républicain, lui, passa sa paume sur la poignée de son épée longue. Sans se rendre compte que pour une fois, il avait correctement prononcé le mot « oui » de cette langue qu’il voulait tellement faire sienne.

    Au loin, un bruit étrange, rythmé d’inspirations, de hoquets et soubresauts parvint à leurs oreilles. Un son qui ressemblait à s’y méprendre à un rire étouffé, étrangement aigu et pourtant glaireux. Le premier des deux soldats Reikois leva son arme, l’autre récupéra la lanterne qu’il avait posé sur une table-basse abandonnée et tirait sa lame. Ils remontèrent la rue ensemble, suivant ces bruits lointains qui semblaient venir de partout et de nulle part à la fois. Hakim jura un instant que le bruit venait de derrière eux, Vaught jura qu’il l’entendait venir de l’entrebâillement d’une porte. Ce n’est que quand ils s’engouffrèrent dans les boyaux d’une bâtisse abandonnée qu’ils découvrirent la source de ces bruits. La terre, traversée de part en part par des boyaux qui reliaient les bâtisses les unes entre les autres. Des murs défoncés dans des caves, dont les pierres avaient été griffées jusqu’à s’en retourner les ongles par des victimes tirées dans le centre de la terre. A en juger le sang et les signes de luttes, Hakim et Vaught venaient de trouver la raison de la disparition de tant de villageois.

    Ils ne firent qu’une seule erreur, en vérité. Celle de ne pas savoir quand s’arrêter, aussi, les deux soldats du Reike décidèrent d’explorer au moins un peu les tunnels. Faisant preuve de courage, de témérité diraient certains, ils se condamnèrent à une mort bien plus brutale et bien plus douloureuse que toutes celles qu’ils avaient pu craindre un jour.

    Mais de tout ça, Tulkas ne savait rien pour l’instant. Il était resté au centre de la ville, à étudier la carte de la région pour déterminer les prochaines cibles potentielles et déjà envoyer des éclaireurs. Falkrein était situé sur l’un des axes commerciaux d’importances vitales pour l’approvisionnement de Maël, les cibles potentielles de ceux qui avaient profané le village sans nom étaient limitées. Du moins, ça c’était en partant de l’hypothèse que ces déments avaient un plan en tête, et qu’il ne s’agissait pas simplement d’une orgie de violence et de sacrilèges faits pour répandre la terreur parmi les colons Reikois de la région. La brutalité du carnage qu’il avait vu de ses propres yeux faisait pencher la balance de ce côté-là, pourtant il y avait clairement quelque chose de plus, une mise en scène dirait-il, comme si les monstres qui venaient de massacrer une population désarmée voulaient envoyer un message. Et un message n’a de mérite que s’il est vu.

    - Sargenti !

    Aboya Tulkas en se redressant. Le cavalier chevaucha jusqu’à sa hauteur, salua son supérieur.

    - Toujours rien trouvé j’imagine ?
    - Négatif, il y a des retardataires cela dit.
    - Comment ça ?
    - Jorek et Thirmaéon sont en retard pour le rapport. Hakim et Vaught ont un plus grand secteur à quadriller et trois autres équipes ne sont pas encore revenues.

    Tulkas fronça les sourcils en l’écoutant. Il savait que le moral des hommes était en berne depuis le début de cette course poursuite, aussi, leva-il la main vers le Sargenti.

    - Sonne le rassemblement général, si Jorek et Thirmaéon rappliquent la queue entre les jambes, Iratus leurs semblera bien sympathique en comparaison. Ensuite, envoie une des deux autres équipes en soutien avec Hakim et Vaught pour qu’ils quadrillent plus vite le secteur.
    - Ase, me nem mesa !

    Et dans la ville morte, le cor retentit. Jusque dans ses entrailles.


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  • Ven 17 Mai - 5:15


    Le mal, pour une fois, se terre précisément là où on l'attend. La lame crantée du paladin purulent vocifère en tranchant la chair du reikois dont la vie ne tient qu'à un ultime fil et qui, maladroitement, s'échine à hurler sa douleur entre les doigts décharnés du monstre qui maintient solidement sa paume contre sa bouche ensanglantée. Son cri étouffé ne parvient qu'à son compagnon grièvement blessé qui ne lui répond que par des hoquets liquides; sa gorge ayant été déchirée puis noyée dans un épais amas de suc toxique.

    Sublime exulte, fasciné par sa propre cruauté au point d'en perdre le fil de sa mission sacrée. Maudire et corrompre les dépouilles d'infidèles constitue son plus glorieux plaisir mais s'en prendre directement aux forces de l'Empire est plus grisant encore. Enivré par la douce chaleur du sang des gardiens reikois, il saisit la chair tranchée et s'imprègne de la dernière once de vie de sa proie; savourant les battements faiblissants de son cœur si vigoureux tout en caressant avec gourmandise un boyau qui vibre et se contraste sous sa paume rugueuse.

    Rendu fou par l'amour débordant qu'il ressent pour les bactéries qu'il propage, il enserre une poignée de tripailles et sent sa gorge se serrer d'émotion lorsqu'il s'agenouille auprès de l'homme en perdition. De ses mains crasseuses naissent un mal profond qui s'insinue sous les os de celui qu'il assujettit aux plus effroyables tortures tout en psalmodiant dans son oreille des formules profanes; aussi décousues que démonstratives de son aliénation occasionnée par une fièvre éternellement grimpante :

    "Le son guttural des prières du croyant feront vibrer jusqu'aux vertèbres des bêtes festoyant dans la fange jaillissant de leurs propres déjections. L'herbe flétrit sous les pieds du corrupteur de mondes, hôte de l'impensable et père de toutes les perversions corporelles. Le shaman noir, figure de la neutralité; appose sur le front du valeureux la marque du cauchemar. Un ciel rougi par le sang du Blasphémateur surmonte un océan de crânes que les peuplades de charognards. Charbonneuse, la gueule fondue d'un impur au corps noyé par une étouffante diphtérie se voit infectée par le Mal des Ardents. Les étoiles brisent leur alignement, formant des pentacles moqueurs au dessus des Tours Ecarlates. C'est un rêve éveillé pour celui qui a su percer ses yeux païens pour mieux voir et qui se jette à terre dans l'impardonnable et lascive posture de l'injuste.

    Vous ne les voyez pas, ceux qui portent à leurs cous les chaînes de l'héritage sanctifié. Une charrette tirée à la force des poings par un satyre pleurant la mort de ceux qui tombent dans une cage que renferme la cervelle de l'Arbre-Monde. Les branches de l'Arbre s'étirent en algues poisseuses, vaisseaux de visages tortueux, tantôt grincheux tantôt joviaux. Un chat auquel on a retiré les poils, affligeant de par sa nudité trace au creux d'un miroir dessiné par le soleil lui-même; il trace les contours des mains d'un prophète portant à son bec les sauvages buvant dans le calice des Nations condamnées. Unité dans le combat. Vous ne les voyez pas mais moi je les vois. Les chaînes sont enroulées autour de mon propre cou, battant le fer rouge qui nourrit le Mal des Ardents lorsque le bras se recouvre d'une carapace chitineuse. Chitineuse qu'est la Peste s'empare d'un Cardinal qui s'approprie le sceptre tiré par le satyre aux sabots fendus. Il est laid, Sublime de par la noirceur de l'âme du mécréant et les vers se nourrissent encore...

    De l'acier froid encore en vie effondre les monts enneigés des cimes de Celestia. Le Mal des Ardents détruit, tord, rompt les ailes du bois, une sorcière s'enroule dans ses racines autour d'un cerbère étranglé par de larges œufs qui verrouillent sa gorge des cris, cris qui verrouillent le ciel noir et pousse à la décomposition ce qu'inhale le prince émergeant des décombres de ce qu'il a lui-même détruit. Il n'y avait plus de retour en arrière. Bien oublié par ceux qui pensaient si mal, sous la chair et même sous la roche que celui qui consomme tout pleure en consommant tout. Le Mal des Ardents de ceux qui mordent le silence; il s'éveille encore et questionne le fervent. Comment atténuer la soif de celui qui meurt toujours, mange demain, ne meurt jamais et voit le jour. Puantrus, J'ai juré que plus jamais je ne ferai d'une pléiade la femme d'un autre, incapable de compenser le Mal des Ardents... Le Mal des Ardents que le Mal des Ardents n'a pas l'assurance d'offrir le silence à celui qui ne peut voir l'éveil du rampant qui se prélasse, baisant la chair d'un ver du matin n..."


    Il y a un son de coupure, violente et visqueuse; accompagnée par un râle de souffrance. La diatribe s'interrompt.

    Perdu dans les méandres de cette écrasante vérole qui s'insinue par ses muqueuses salies jusque dans ses veines percées, le soldat impérial sent sa raison le quitter à mesure qu'il subit la torture infligée par le dément et par des mots insupportables à ses oreilles qui ne veulent plus désormais qu'obtenir la grâce d'un silence offert à la sépulture.

    Il réalise, malgré la profondeur de ce marécage dans lequel son cerveau morcelé s'enlise profondément, qu'il a enfin la bénédiction de ne plus entendre les élucubrations fiévreuses du diable aux iris verdâtres et si ses yeux ne fonctionnent plus le moins du monde et qu'un voile de noirceur a recouvert sa cornée; il sent par delà la douleur le contact d'une main gantée s'apposant contre son torse. Une voix affolée, celle d'un ami ou d'un frère, résonne dans l'obscurité totale offerte par ses yeux noyés de sang noirâtre et de bile viciée.

    "Vaught ! Par l'Empereur, Vaught ! On va te sortir de là. ISHAM, remonte et informe le Luteni, VITE !"

    La voix qui lui répond n'est pas celle qu'il attend :

    "Le Mal des Ardents ? Vous ne le voyez pas ? Je vois quant à moi la longueur des chaînes qui remontent les racines de l'Arbre-Monde pour voltiger jusqu'aux plus hautes cimes de racines qui remontent jusqu'à des nuages créés par mon propre père... Elles remontent pour offrir l'absolution par l'ascension, une distinction qu'accorde le Mal des Ardents jusqu'au bout des ongles à celui qui voit par l'œil du ver. Il n'y a dans un soubresaut d'une femme meurtrie par le poids des âges le retour d'un satyre tirant sa charrette de cadavres pestiférés qu'embaument le Mal des Ardents. Dans son infinie bonté, Puantrus accorde au fervent la parole de l'homme qui..."

    Terrifié par ce qu'il voit, le soldat paralysé reste au chevet de l'homme éventré qu'il a eu l'aveugle espoir de vouloir sauver. Sous ses yeux ébahis, la bête cornue qu'il vient pourtant d'abattre en lâchant dans sa nuque épaisse un violent coup d'épée se redresse, s'appuyant contre un mur pour reprendre ses appuis tout en crachant copieusement un liquide caustique. Les gouttelettes troubles entrent en contact avec le sol rocheux des galeries dans un crépitement furtif et le paladin sombrant dans la démence religieuse se tourne lentement; faisant fi de l'énorme lame abandonnée qui pourtant creuse la chair de son cou. Fort d'une faculté de régénération issue de son aveugle foi envers les destructeurs d'univers; le mastodonte immonde combat sa fièvre et ses plaies, reprenant sous le coup de l'adrénaline un semblant de la contenance qu'avait chassé l'appel du sang.

    Face à son nouvel adversaire, Khaled demeure muet, subjugué par la laideur de cet être semblable à aucun autre. Il a vu bien des batailles, a côtoyé lors de furieuses batailles la mort à de nombreuses reprises. Ce qui s'impose à ses yeux et brûle ses narines aujourd'hui dépasse tout entendement. Aucun entraînement, aucun préparatif n'a été suffisant pour lui permettre de conserver son instinct de survie face à une atrocité si absolue. La gueule de l'hybride aux crocs ébréchés s'ouvre à nouveau et tout en posant son regard vitreux sur l'opposant, Sublime reprend tout en prélevant du sol son arme infernale :

    "Et il sacrera ce qui doit l'être. Le père de tous les maux offrira aux incroyants la rédemption par le sacrifice de leur viande. Sois honoré, païen, de recevoir ce cadeau que tu ne mérites guère."

    Le couperet s'abat, un énième cri empli du plus pur tourment s'élève dans les décombres. Isham, les culottes souillées d'urine, court pour sa vie.
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  • Mar 21 Mai - 17:55
    - Toujours rien, sargenti ?

    Le sargenti n’eut besoin que d’un regard et d’un haussement d’épaules pour que le Luteni ne comprenne que non, il n’y’avait rien de neuf à Falkrein. Toujours ce silence étouffant qui n’était interrompu que par le bruit lointain d’une porte que l’on enfonçait ou le bruit cadencé des solerets de ses cavaliers qui fouillaient la zone.

    - Et Isham et Gidéon qui ne reviennent toujours pas…

    La nervosité commençait tout doucement à dissoudre le voile fragile de sa patience. Le cul vissé sur une chaise, le coude reposé contre l’accoudoir et le menton logé entre son majeur et son pouce, Tulkas attendait que quelque chose se passe. La lèvre fendue par son index, il attendait, sa jambe tressaillant et produisant ce tintement infernal de l’acier que l’on secouait. Quand il s’en rendit compte, le luteni libéra son menton pour venir frapper son poing contre sa cuisse pour plaquer ensuite sa paume contre et forcer son talon à toucher le sol.

    Mais rien à faire, sa jambe continuait de trembler. Aussi, excédé par ce muscle qui refusait de lui obéir, il posa les paumes sur les accoudoirs de ce fauteuil de fortune pour se redresser et grimacer. Son corps tout entier était noueux, comme si la chair avait reconnu un mal que l’esprit ignorait.

    Il observa un instant la paume de sa dextre, leva la senestre pour saisir le dos de sa main et presser son pouce sur sa paume. Dessinant à travers le cuir les lignes de sa main qu’il connaissait désormais par cœur. Il tremblait, sans réellement savoir pourquoi. Il n’avait pas peur, oh que non. Mais quelque chose n’allait pas. C’était dans l’air, une odeur bien différente de celle de la mort et de la poussière, bien différente de celle de la pestilence et de la putréfaction. Non, c’était autre chose, qui rendait sa bile acide et picotait le bout de ses doigts. Des démangaïsons semblable à un millier de petites aiguilles qui venaient réveiller chacune un nerf sous son épiderme.

    - Sargenti, vous sentez ça ?

    L’homme leva la tête à la question. Son visage trahissait une forme d’incompréhension aussi, il retira son heaume pour humer l’air, s’éventa un instant avant de se pincer le nez avec un air mécontent. Les joues gonflées et respirant par la bouche avant de secouer la tête de gauche à droite.

    - Autre que cette odeur maudite vous voulez dire ? Mécontent, l’homme remis son heaume. Rien de plus que la puanteur habituelle.

    Tulkas claqua la langue, non, bien entendu que non il ne pouvait pas le sentir. Mais lui, oui. Cela faisait quelques temps désormais qu’il avait du mal à gérer ce trop-plein d’énergie qu’il avait en lui depuis les derniers évènements. Il se sentait chaque jour un peu plus fort, plus puissant, plus rapide. Comme quoi, Iratus avait eu raison de partir de l’arène. Qui sait quels sommets il aurait gravi aujourd’hui s’il avait osé partir plus tôt ? Si lui aussi avait été tempéré dans les flammes de la guerre…

    Flammes, flammes qu’il pouvait sentir courir sous sa peau, jusque dans ses veines, faisant luire sa peau à travers laquelle il pouvait voir ses os. On lui avait dit que ses flammes ne pouvaient pas lui faire mal, alors… Pourquoi pouvait il sentir les langues de feu s’enrouler autours de ses entrailles, de sa trachée et de ses poumons ? Pourquoi sentait-il sa chair brûler et se régénérer dans ce cycle de réparations et de destructions ? Pourquoi n’arrivait-il pas à contrôler ce flot de magie qui venait en lui ?

    - Non, c’est-

    Un cri l’interrompit, un homme déambula dans la rue, il trébucha sur un pavé et se brisa le nez contre un autre. Se releva et trébucha sur quelque chose, rampa, pris appuis sur ses paumes et parvint enfin à se redresser avant d’avancer en boîtant jusqu’à eux. Le visage transfiguré dans une expression d’horreur, recouvert d’une substance qu’il était assez difficile de définir à cette portée, le sargenti s’avança, récupéra sa lance et l’épaula en visant l’homme qui poussa un nouveau cri en levant les bras vers eux.

    Les autres cavaliers, eux, attendaient, figés par le choc de cette vision qui leurs semblait d’outre-tombe. Le sargenti glissa un pied vers l’arrière, pencha le dos et…

    - Attends.

    Le luteni s’avança, posant la main sur la pointe de la lance pour observer ce qu’il se passait. A la vision de son officier qui s’approchait, Isham se para de son plus beau sourire, les yeux devinrent larmoyants et après quelques pas de plus, s’effondra à ses genoux en s’accrochant à ses tassettes. Son odeur agressa les narines de l’officier qui recula la tête en grimaçant, et pourtant il posa la main sur son épaulière qu’il pressa contre son gambison dans un bruit de succion atroce. Chassant l’eau qui engorgeais le lin de son vêtement.

    - Luteni… Lut.. Qu’il répétait en sanglotant avant de crier une fois de plus, pleurant de soulagement. Il les a… Il..
    - Isham. Tonna la voix de Tulkas. Par la lune et le soleil… Qu’il souffla entre ses lèvres avant d’ordonner, plus sévère. Reprends-toi !

    Les pleurs de l’homme résonnèrent un instant dans cette morne place sous le regard médusé des soldats qui n’avaient pas eu le malheur de s’aventurer dans les entrailles de la ville. Tulkas ne savait plus où se mettre, lança un regard sur le côté avant de finalement attraper le soldat par les cheveux, le forcer à lâcher sa jambe et lui mettre une gifle. A croire que c’est thérapeutique, parce-que le pauvre homme s’était tut tandis que l’impact de la baffe salvatrice résonnait entre les murs de cette ville morte.

    - Calmé ? Bien. Maintenant, où sont les autres ?
    - Je… J-
    - Où ?
    - E-En bas. Balbutia-il en s’épongeant le nez dans son gambison, pissant le sang. Ils sont tout en bas… Avec... Avec ce monstre…
    - Plus précis, Isham.
    - Des tunnels… Dans les caves… Il… Oh seigneurs… Il les a tous pris ! Tous ! Les villageois ! Hommes, femmes… Oh mes dieux…

    Tulkas se redressa, libérant l’homme de sa poigne, ne s’étant pas rendu compte qu’il avait partiellement broyé son épaulière sous sa main, qui portait désormais l’impression de ses doigts. D’un geste vif il se tourna vers le sargenti.

    - Rassemble les hommes et occupes toi du blessé, vous sécurisez la place et vous attendez mon retour.
    - Qu’est-ce que vous allez faire, Luteni ?

    Tulkas l’observa un instant. Levant le poing dans l’air en fermant les yeux, il inspira, concentra cette fureur qu’il avait en lui tout en canalisant cette énergie sauvage qu’il sentait le ronger de l’intérieur, pour ouvrir d’un geste sec la paume en produisant une flamme intense.

    - Je vais faire sortir notre proie.

    Il se retrouvait désormais devant l’antre de la bête, une simple échelle qui menait vers les boyaux de la terre d’où lui venait une odeur atroce. Retrouver le chemin emprunté par Isham n’avais pas été difficile, il lui avait suffit de suivre les caisses et les tonneaux renversés, et l’odeur d’urine. Mais maintenant qu’il se retrouvait seul face à ce boyau sous-terrain, il sentait sa bravoure lui faire défaut. C’était encore trop frais dans sa tête, cette expédition maudite qui l’avait vu perdre un frère d’armes.

    Secouant le bras, il peina à canaliser autant d’énergie qu’avant, comme si sa magie avait du mal à lui répondre. Mais après quelques efforts, l’homme parvint à manifester une flamme.


    Qui le guiderait dans les tunnels.
    Tout en se révélant à tous.


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  • Sam 25 Mai - 4:46
    En proie à une incoercible démangeaison faciale, le monstrueux paladin se gausse du sort des infidèles qui ont eu l'arrogance de fouler si impunément la terre qu'il considère sainte. Dans la noirceur pénétrante des galeries souterraines, l'hybride aliéné se jette à terre pour venir scruter avec une abjecte gourmandise la face difforme de l'une de ses proies qui, par malchance, n'a pas encore connu la douceur du baiser mortel de X'O-Rath. Infesté jusqu'à l'œil par les pathogènes que transmet l'adorateur des Titans, le malheureux villageois ayant cru bon de fuir le massacre par cette voie secrète se retrouve à faire face à un traitement si immonde qu'il en devient inqualifiable.

    Plaquant son front gris contre celui de sa victime que la fièvre gagne, le diable aux yeux injectés de pus se délecte des fébriles divagations du pauvre homme affalé contre une paroi rocheuse. Peu porteraient une quelconque attention aux ultimes paroles maladives d'un mort en sursis mais Sublime, dans sa folie la plus absolue, confère à ces propos incohérents une portée presque sacrée. S'improvisant shaman, il voit dans ces élans délirants des présages, parfois même des prophéties. Ses oreilles, entièrement concentrées sur ces marmonnements curieux, n'entendent pas immédiatement les pas lourds qui résonnent au loin et c'est finalement lorsque le héraut de Puantrus entraperçoit une chaude lueur du coin de l'œil qu'il pivote pour faire face à un énième intrus.

    "Ah."

    Il n'a besoin que de découvrir la silhouette du guerrier impérial pour comprendre qu'il y a chez celui-ci tout autre chose que chez les pisseux ayant eu la bêtise de l'affronter. Noble, droit, animé par une rage si flamboyante qu'elle se développe dans le monde réel par un brasier difficilement contenu au creux de sa main, l'étranger n'est pas de ceux qui tremblent aisément. Il incarne un défi, une pierre apposée sur la route du chevalier béni afin de constituer un obstacle censé éprouver sa foi. Sublime accepte, avec enthousiasme, l'épreuve que lui dicte le Père de tous les maux.

    "Enfin, tu te dévoiles ? N'as-tu plus aucun jouvenceau à me donner ?"

    Le regard embrasé du soldat impérial croise la verdâtre lumière qui gonfle les pupilles éclatées du paladin. Avec une aisance déconcertante en vue de la taille déraisonnable de son arme, l'hybride lâche un reniflement glaireux et vient enfoncer son épée rouillée dans la terre rocailleuse, soulevant d'épais monceaux de pierre teintées de poudre brune afin de tracer une ligne. La pointe claque lorsqu'elle s'extirpe de la surface supposément trop solide pour être si facilement déchirée et dans ce même élan, le fou furieux fait jongler son épée jusqu'à la reposer sur son épaule tout en pointant de son index crochu son adversaire tout trouvé. D'un coup, Sublime ressent quelque chose derrière le brasier.

    Un frisson parcourt son échine et sa mine satisfaite est troquée pour celle de la stupeur. Les sourcils réhaussés, le paladin relève sa gueule encapuchonnée et se met à flairer vivement, avant de murmurer :

    "Il y a... un parfum dans l'air. Une aura...? Une sensation..."

    Perdu dans ses élucubrations, le monstre piétine le sol de ses énormes sabots. Il y a dans l'œillade que lui adresse son vis-à-vis un inexplicable détail, une expression à peine déchiffrable que parvient pourtant à saisir l'horrible combattant. Plaquant sa main libre contre son visage distordu, il éclate de rire. Grossière, à peine contenue sous sa paume, la sonorité est celle d'un vautour que l'on étrangle.

    "Tu as frotté ta peau, inlassablement. Tu t'es aspergé de toutes les huiles et de toutes les eaux de ton empire... Tu as tout fait pour te défaire de son offrande, n'est-ce pas ?"

    Son offrande... Le ricanement sardonique se fait plus puissant, plus menaçant encore :

    "La Peste, pourtant, ne t'a jamais entièrement quitté."

    De fétides remugles embaument le tunnel. La pestilence, insidieuse et malodorante, emplit les narines de celui qu'elle désire tant frapper. La lame du croyant est ramenée juste devant son visage et, après avoir marmonné quelques mots vils, Sublime ouvre ses mâchoires et recommence à vomir sa bile chargée de venin gras et translucide, recouvrant sa lame en vue de l'affrontement à venir. Sans cesser entièrement de rire, le monstre se met également à sangloter d'émoi et ajoute, tout en révélant son expression féroce :

    "Puantrus, mon Père. Je ne me savais pas si méritant... Je ferai de lui un sacrifice à ta hauteur."
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    Tulkas
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  • Mer 29 Mai - 12:27
    L’air était lourd, putréfié et chargé d’on ne sait combien d’immondices contre lesquelles son corps luttait. Chaque inspiration portait avec elle les braises ardentes de son feu intérieur, qui purifiait et saisissait sa chair dans des grésillements douloureux qui rendaient sa respiration plus sonore. Ses muqueuses n’en menaient pas mieux, ses yeux remplis de larmes qui recouvraient sa cornée tentaient de le protéger de l’une des innombrables infections qui foisonnaient dans cet écosystème qui lui rappelait avec dégoût les entrailles d’un géant endormis qui digérait les corps entassés ici et là, jonchés sur le sol ou cloué aux parois irrégulières.

    Il faisait plus chaud, dans ce mouroir aux airs d’abattoir dans lequel il avançait. Il n’osait pas baisser les yeux, surtout quand le sol qui aurait dû être dur et irrégulier se révélait plutôt mou et spongieux… Surtout quand parfois le son d’un râle lui parvenait de ses solerets. L’avancée était difficile, douloureuse et fiévreuse. Le corps, mû par la crainte de l’infection, déployait tout son arsenal pour se protéger, au diable certaines fonctions cérébrales supérieures, la survie était tout ce qui comptait. L’esprit brumeux, hanté par le souffle sépultural du Monstre qu’il avait déjà affronté, Tulkas était jusqu’ici seul dans ce pèlerinage impie. Enfin, c’est ce qu’il pensait. Car la bête ne s’était pas encore dévoilée.

    Puis, au détour d’une galerie labyrinthique, il posa enfin les yeux sur la proie qu’il traquait depuis des jours maintenant. Une proie, qui s’était révélée être un prédateur.

    La bête ne pouvait voir que sa silhouette, Tulkas lui pouvait saisir pleinement l’horreur de la créature. Les côtes saillantes, l’estomac distendu par une immonde mixture de bile et de gaz, les lèvres probablement emportées par une quelconque bactérie dévoreuse de chair ou une simple nécrose, des yeux vitreux luisant d’un pouvoir qu’il n’avait côtoyé que de trop près et cette vigueur maladive qui permettait à la bête de se déplacer en ignorant les pires effets des innombrables cadeaux que le Monstre lui avait donnés. Pire encore, quand un gargarisme acide s’échappa de sa gorge et aurait dû lui brûler l’œsophage, la bête n’avait pas montré le moindre signe d’inconfort. Pire encore, elle semblait en tirer une joie aussi malsaine que sincère.

    Mais plus terrifiant encore que ce golem de chair, tissé de scarifications purulentes et gorgé de maladies, c’était sa voix. La bête, aux cornes et au bellement qu’il avait espéré tuer comme l’une des innombrables créatures qu’il avait pu affronter et massacrer dans l’arène s’était révélée être une chose pensante et qui pouvait parler.

    - Abomination.

    Avait-il simplement répondu à sa remarque. Au sacrifice de ses hommes qu’il avait envoyé, sans le savoir, dans les mains de ce monstre, qui ne fit qu’un pas en sa direction pour que Tulkas ne lui en cède un, reculant sans s’en rendre compte.

    Le claquement de la lame qui fends la pierre le surprends et il recule à nouveau d’un autre pas jusqu’à ce qu’il ne sente une plaque d’acier contre sa nuque. Qu’un regard haineux et meurtrier ne se pose sur lui et que le vent ne charrie avec lui un rire moqueur et en lui, quelque chose s’éveille à nouveau et n’ouvre un œil incandescent. L’homme se penche légèrement en avant, écarte les bras du corps, la main se fait sûre sur son épée et le feu dans sa paume devient plus intense, aveuglant. L’air noble balayé par un rictus meurtrier.

    - Je préfère ma proie bien nourrie avant un combat, une bête affamée n’a rien d’intéressant à m’offrir.

    La cruauté de cette phrase résonne avec le timbre rauque et graveleux que prends sa voix d’ordinaire si douce, son souffle se charge de ces escarbilles luminescentes qui trahissent la folie contre laquelle il lutte. Une bête de guerre, réveillée par l’odeur des cadavres et la peur d’un homme.

    Et l’espace d’un instant, il a l’arrogance de croire en l’apparition d’une émotion nouvelle dans le cerveau gangrené du bouc décharné. L’atroce couperet qu’il repose sur son épaule, sa nonchalance qui se dissout tandis que son doigt tremblant pointe vaguement dans sa direction, dans quelques instants il va prendre les jambes à son cou. Appeler de tous ses vœux ses parents et ses dieux, demander pitié alors que lui n’en avait eu aucune pour ces hommes.

    Mais non, il hume l’air comme un chien de chasse qui sent l’odeur du sang d’un gibier frais, il frappe le sol de ses sabots et dessine des sillons dans l’étrange substance spongieuse sur laquelle ils marchent, puis, il se mets à rire. Un rire dément qui éveille autant la curiosité de l’homme qu’elle ne stupéfie la créature qu’il emprisonne dans sa poitrine.

    Puis tout lui reviens, la sensation de brulure sous sa peau, le corps luttant contre la gangrène noire et les ganglions qui gonflent le long de tout son système lymphatique. Sa chair qui lutte pour empêcher l’œdème de bloquer son souffle, l’eau qui coule de son front et ruisselle le long de ses traits, sa respiration sifflante et la pâleur soudaine de ses doigts qui noircissent.

    La peste, qui semble se réveiller l’espace d’un instant quand il se lance dans ses tirades moqueuses qui prennent la teinte de la révélation, qui font pleurer le zélote des larmes jaunies par les immondices qui rendent son regard vitreux, qui le gorgent d’humilité et d’amour.

    - Silence.

    Dit-il en reculant, les flammes refusant de répondre à ses ordres et la bête retournant se réfugier dans les tréfonds de son âme, comme un animal qui fuit le chasseur en s’enfouissant dans un terrier profond.

    - Ne m’approche pas, fejat !

    Mais la créature n’a que faire des suppliques du sacrifice, après tout, ils avaient tous hurlé des choses similaires. Quand elle fait un pas vers lui, il recule d’un autre. L’homme peine à garder la main ferme autour de fusée de son épée, un moulinet, plus nerveux, l’aide à raffermir sa prise et quand la bête démentielle lève à nouveau le sabot pour faire un nouveau pas. Le guerrier hurle.

    - Recule !

    Sa voix se modifie en plein cri, se chargeant de flammes et de haine. Il secoue l’épaule gauche, contracte les muscles de son bras et le déplie avec la puissance d’un coup de fouet en ouvrant une paume griffue desquelles surgit une flamme qui-

    Une douleur vive le prend, une chaleur qui remonte le long de sa peau et embrase le tissu de son gambison. Une flamme intense, trop puissante comparée à ce qu’il avait souhaité manifester. Cette magie, primale et sauvage qu’il tentait de manifester semble échapper à son contrôle un instant et viens faire rougir douloureusement la peau de son bras gauche, faisant rougeoyer le tissu de son gambison.

    La douleur est telle qu’il en lâche son arme et tombe à genoux en reculant, se tenant le bras sans comprendre ce qu’il vient de se passer. Sans comprendre que l’œuvre des titans se réveille enfin et que les mortels, comme lui, paient enfin le prix de leur hérésie.

    L’abominable fils de Puantrus qui s’avance lui, n’a que faire de tout ça. Probablement que ça l’amuse plus qu’autre chose, peut-être même qu’il est soudainement mu par une panique, pensant que son sacrifice ne tente de le priver du joyau maladif de son maître. Il s’élance, levant son couperet comme pour venir sectionner ce bras d’où sont partis les flammes.

    Il n’allait tout de même pas le priver de Son don ?


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  • Mer 31 Juil - 21:34
    Malgré les sommations de son vis-à-vis, le guerrier maudit ne rétorque que par un rire qui se mue en immonde gargouillement. Sa lame est follement agitée dans les airs, crissant contre la roche des parois de la galerie à chaque impulsion de poignet. Les yeux globuleux de l'homme-chèvre refusent de quitter ceux du soldat reikois. Le monstre embrasse avec une gloutonnerie perverse ce qu'il perçoit dans les iris tremblant de son interlocuteur. Il sent, sans pouvoir l'expliquer, ce qui se trame aux confins de la caboche de celui qui a eu l'illustre honneur de recevoir les dons du Père de la pourriture.

    "Tu les sens, n'est-ce pas ? Ces ignobles chatouilles, l'anormale froideur de ta sueur. Mes miasmes ont déjà enveloppé ce tunnel, les spores de mes champignons se glissent partout. Tu as le bonheur de connaître une once de mes divins plaisirs, n'as-tu aucune reconnaissance ?"

    Lorsqu'il s'exprime, une coulée de bile s'échappe de son atroce museau à la peau desséchée par la ruine. Des insectes grouillants et d'énormes arachnides s'échappent, glissant entre ses crocs pointus pour venir longer son cou velu. Il ne prête aucune attention aux pérégrinations de ces parasites qu'il accueille avec une joie fervente. Son corps est un sanctuaire désacralisé, un musée des horreurs érigés et sciemment détruit en l'honneur de celui qui offre aux plus répugnants le privilège de la plus somptueuse puanteur.

    Des flammes s'apprêtent à jaillir, une usuelle riposte purificatrice pour faire face à la folie du purulent. Sublime se revoit, traversant des brasiers étincelants dans lesquels il piétine volontairement en faisant fi d'une douleur qu'il ne comprend qu'à peine. Il a été brûlé, à plus d'une reprise, mais nulle cloque n'orne les jointures de ses sabots boueux. La chèvre vorace pousse un bêlement guttural, levant sa gueule pourrie tout en recrachant sans même s'en rendre compte un épais filet de morve jaunâtre. Il a toujours été prêt à faire face à la mort et ne craint rien d'autre que de décevoir celui auquel il a voué son âme.

    C'est quand il s'apprête à se ruer sur l'ennemi, cornes et hachoir en avant, qu'il réalise que la corruption titanesque gagne celui-ci. Le bras du soldat impérial s'illumine, mais son feu paraît se retourner contre lui. Surpris par un tel retournement de situation, Sublime se gausse de l'échec de l'épéiste lorsqu'il comprend ce qui se déroule devant lui. Le Héraut de tous les maux pointe à nouveau son doigt crochu vers sa future victime avant de lancer, avec goguenardise et sadisme :

    "Les Titans te reprennent ce que les cieux n'auraient jamais dû te donner, païen ! Qui êtes-vous, reikois, pour avoir l'arrogance de croire que vous pouvez éternellement faire face au plus grand pouvoir que le cosmos ait jamais engendré ? Je conchie votre Empereur indigne dont je planterai la tête au cœur d'un marécage. J'abhorre votre impératrice, dont je trouerai la panse pour venir y déposer un nid de tarentules. Je tuerai leur engeance, ce pourceau draconique, puis j'ornerai mon plastron de ses viscères éclatées."

    Sa diatribe grossière est interrompue par une énième quinte de toux et son coutelas démesuré s'élève pour venir porter, après un tel flot d'injures, une première attaque circulaire qui déjà se veut léthale. Tandis qu'il frappe avec une imprécision telle qu'il en devient imprévisible, l'aliéné conclut par un beuglement sauvage :

    "Et il n'y aura rien, misérable, que tu pourras faire pour m'en empêcher depuis l'arbre auquel je t'aurai pendu par les tripes !"
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