”Qu’est-ce que cela veut dire, Savoir?”

Le regard ésotérique de la Juge apaisée fixe un point mystérieux derrière l’espion du Reike, les particules de lumière qui constellent son iris azurée dansent dans l’organe oculaire avec une harmonie hypnotique tandis que sa voix répond, d’un ton aussi éternellement serein et réconfortant:

”Que tu as un rôle à jouer mortel.”

La consternation du principal concerné exprime tout à fait l’insatisfaction d’une telle réponse, mais Savoir ne peut se permettre d’apporter trop de clarification alors que la pupille d’Éva revient lire les symboles anté-diluviens gravés dans les pages d’acier du Livre du Jugement. Orion Yamveil. Arbitre. Champion. Balance. Obscure. Corruption. Racinaire. Le Démon de la Connaissance contemple les informations avec une certaine précaution, lorsque l’iris bleutée procède à un Jugement réussi, la transe qui s’ensuit pendant laquelle Éva marque le Livre lui apporte des informations dont elle n’avait auparavant pas conscience, quand bien même elle les inscrit par elle-même, et dans le cas du chef de cellule, les concepts cosmologiques renseignés par son ordalie victorieuse sont puissants mais pernicieux, l’azsharien pondère un instant de plus la situation et décide cette fois d’occulter la connaissance. Le Livre se referme d’un claquement télékinésique pour soustraire au regard curieux d’Orion les doubles pages rédigées, et l’objet revient flotter au dessus de l’épaule du Démon.

”La connaissance est un poids, et il y a des fardeaux qui ne doivent être portés. Tu n’es pas encore prêt pour ces informations.” Et alors que la lame en lévitation désigne l’entrée du temple, Savoir reprend. ”Entrons.”

Le manque de traits faciaux impaire inévitablement la compréhension de la psychée de Savoir pour ceux qui le côtoient, et il est difficile lorsque ses pupilles ouvertes ne dévisagent pas leurs interlocuteurs de s’assurer que l’entité démoniaque les écoute, lorsque l’assassin expose donc ses réflexions analytiques concernant leur entrée dans le complexe souterrain et qu’Éva se contente d’ausculter la porte du regard, il pourrait sembler que le Démon n’en ait rien perçu. Pourtant après un bref instant de silence pendant lequel seul le vent apporte une réponse sifflante au Vent, la voix maternelle de la Juge réagit enfin:

”Ces remparts sont tels la foi qui meut les coeurs des égarés, des illusions maçonnées dans les ténèbres…”

Froid et pragmatique, Savoir ne cherche qu’une chose dans l’instant: l’élimination des suppôts des Titans, et nulles précautions ne sauraient lui être nécessaire dans l’accomplissement de cet objectif. Si chaque âme a le potentiel de jouer un rôle dans la grande trame du combat ultime, cette capacité à se battre pour la survie est conditionnée par le vécu des mortels qui arpentent le Sekaï, et en tant que Démon Savoir se nourrit de ces éclats d’âmes libérés dans la lutte des vivants contre l’existence. Les Titans veulent mettre fin à ce cycle perpétuel, ils souhaitent faire table rase, repartir de zéro et reconstruire un Sekaï peuplé de mortels servils comme autrefois. Ni le Désintégrateur d’Azshary ni ses soeurs, ni les mortels, ni les Champions ne les laisseront faire. Quant à ceux qui décident envers et contre toute rationalité de soutenir le plan d’éradication des Divins, ces âmes en peine peuvent retourner dans le cycle éternel de la réincarnation et revenir à la vie dans des dispositions plus éclairées. Tout le monde a un rôle à jouer, mais parfois pas dans cette vie là. La téléportation serait impossible pour Savoir qui n’est jamais rentré à l’intérieur du temple, il serait trop dangereux de laisser Orion entrer seul à l’intérieur et ce dernier étant un Champion, le Démon de la Connaissance ne peut se permettre de le laisser courir un risque aussi inutile quand une autre alternative existe. Les particules luminescentes dans l’iris de Savoir se mettent à se rallonger si fortement que les filaments qu’elles dessinent atteignent presque le sol, faisant paraître la Juge pour une sorte de fleur lugubre dont les pétals menaçants s’incurvent légèrement vers l’avant.

”... balayés par la première Lumière qui les illuminera.”

Un amas radieux de cercles concentriques successifs aux diamètres irréguliers se manifeste soudainement devant l’entité démoniaque, Savoir arque son dos vers l’avant et ses jambes aux ramifications filiformes se plantent dans le sol, étalant les appuis d’avant en arrière afin d’assurer son équilibre. Des raies de lumière fusent alors des environs pour venir se concentrer en une sphère d’un blanc aveuglant juste devant la pupille de la Juge, sous la concentration intense d’énergie magique, un vrombissement crescendo emplit les environs et monte dans les aigus avec l’accumulation de la charge de mana. Braqués en direction de la façade du temple, les cercles s’élargissent lentement pour permettre le passage de l’attaque à travers les arceaux, et lorsque le bourdonnement maintenant assourdissant de la sphère magique s’interrompt l’espace d’une demi-seconde, il est suivi par la déflagration catastrophique. Un faisceau comparable à celui qui avait rasé une partie de Kaizoku éventre la façade montagneuse dans un suintement de désintégration suraigu, l’odeur de brûlé se disperse instantanément dans les parages alors que l’éclat de lumière fait fondre la neige à plus d’une vingtaine de mètres à la ronde, et les bruits d’explosion de la roche frappée de plein fouet détonnent dans les échos des montagnes. Lorsque le calme revient enfin sur le duo punique, un tunnel géométriquement quasi-parfait se tient là où leur faisait encore face quelques secondes auparavant les imposantes portes du temple des cultistes. Des volutes de vapeur accompagnent le refroidissement de la pierre incandescente qui se vitrifie sur les pourtours du passage nouvellement créé, quelques flammes timides bordent par endroit les reliquats de la désintégration luminescente et l’air tremblant de chaleur se stabilise à nouveau.

Comme si la montagne elle-même pouvait émettre un râle de douleur, des cris de terreurs lointains leur parviennent, mais il ne s’agit que de la réverbération des fervents pris au piège dans les souterrains qu’ils s’apprêtent à nettoyer. La crinière de la Juge se rétracte jusqu’à un demi-mètre de diamètre et l’azsharien qui avait reculé de quelques pas sous la puissance de la frappe se met en marche:

”La voie nous est montrée. Il nous incombe de mettre un commencement à leur fin.”

Avançant au milieu des débris encore fumants de l’entrée du temple, le Démon pose ses pattes griffues sur la pierre brûlante et ses appendices décharnés semblent ignorer la gêne causée par sa propre chair qui fond au contact de la roche, laissant à chaque pas de fines traces de chitine liquéfiée dans le sillage de la créature, Éva procède, implacable. Derrière les imposantes portes dont l’épaisseur est maintenant apparente à travers la découpe surréaliste, certains chapiteaux des colonnes de soutènement du vestibule s’effondrent en l’absence du corps qui les maintenaient en place, quelques débris chutent du plafond à des intervals irréguliers, et le silence escorte les deux combattants dans l’antre des cultistes. En désintégrant la pierre à chaud, la carbonisation de l’air même macule les pourtours de la roche d’une couche de suie plus noire que la nuit, mais à certains endroits des tâches plus clairsemées indiquent une combustion partielle de la pierre en surface, laissant supposer la présence d’un combustible plus gras qui aurait dissipé l’énergie plus efficacement qu’à travers une brutale réaction. Des taches de graisses dont l’origine est plus qu’apparente lorsque Savoir marque une pause en avançant dans les décombres pour trouver une masse calcinée à la bordure du tunnel d’impact. L’oeil de la Juge fixe en silence le tas difforme, recouvert d’une couche de derme fondu, de ce qui devait être il y a une minute un être vivant. Alors qu’il s’apprête à se remettre en route, un sifflement rauque et archaïque attire l’attention de Savoir vers la paroie opposée. L’optique pivote sur le filament sans un mouvement superflu de son détenteur et observe la moitié de corps d’un demi-elfe qui s’arrête abruptement sous le périné. Un membre antérieur carbonisé est distinct malgré la peau et les muscles liquéfiée qui ont coulé le long de l’os comme une crème trop liquide, et la poitrine du mourant se soulève encore avec crachats ensanglantés et crissements trop aigus. Le demi-elfe lève son bras mort avec le mouvement d’une épaule à peine fonctionnelle, et l’avant-bras dont la position n’est plus maintenue par des tendons ou des ligaments brûlés tombe purement et simplement de l’articulation du coude. Le regard d’Éva revient devant elle sans un mot, déviant de sa victime pour reprendre sa procession silencieuse, tandis qu’après s’être éloignée l’Épée du Jugement file dans les airs à sa suite, se fiche dans le crâne du rescapé et s’en extirpe en un seul mouvement, ne faisant de bruit que le glissement maladif du métal dans la chair et le soupir viscéral du blessé qui expire.

Après la salle d’entrée imposante dont les ravages n’ont pas laissé la moindre résistance s’opposer aux deux inquisiteurs, une série d’escaliers descendent dans les entrailles de la montagne et s’engouffrent dans une nappe opaque d’ombres fantastiques. Le Démon regarde tour à tour le chef du Vent puis les marches, et sa voix bien trop douce pour le carnage qu’il vient de causer exprime sa réflexion:

”Les rats grouillent dans les moindres des recoins, ils trouveront toujours un moyen d’échapper aux flammes justes qui les menacent, ceux qui se terrent ici ont sans doute leur réseau de galleries et un avantage certain du terrain… nous ne sommes pas les meilleurs en reconnaissance.” Savoir se retourne complètement vers celui qu’il a jugé tantôt, en l’absence d’autre option, il allait cette fois falloir se reposer sur l’option risquée. Orion Yamveil avait passé l’épreuve du Jugement avec brio, maintenant il allait devoir démontrer son mérite. ”Après toi.”

Le regard interrogatif d’Orion ne lâcha pas une seule seconde l’œil si particulier qui surplombait ce corps décharné et horrifique. Il ne fallait pas se voiler la face, le Vent n’était pas aussi serein qu’il en avait l’air, bien au contraire. Il était face à une entité démoniaque et donc, il était à la fois émerveillé et terrifié. Enfin, il arqua tout de même un sourcil, confirmant sa consternation, lorsque son interlocuteur daigna lui apporter une réponse, imprécise. Qu’est-ce que cela voulait dire ?
Orion avait un rôle à jouer, mais dans quoi ? Chacun des événements régissant sur le Sekai pouvait être comparé à une pièce de théâtre oui, donc chacune des personnes foulant les terres du continent de leurs pieds avait un rôle à jouer. Mais, quel était celui du Vent dans tout cela ? Nul doute cependant qu’il avait un rapport précis avec les Titans. Quoi qu’il en soit, le Yamveil ne répondit point, il se contenta de simplement fermer ses rubis, puis de hocher la tête. Dans le pire des cas, il en demanderait davantage à Zéphyr, en espérant que l’Oreille connût l’existence de cette chose.

Bon, il fallait bien l’admettre, le compagnon d’aventure du Vent était assez… radical. Mais pas seulement, il possédait une puissance qui allait au-delà des espérances de l’espion reikois. L’impressionnant faisceau lumineux s’échappant de la prunelle de l’entité démoniaque découpa purement et simplement la porte d’entrée du temps souterrain, d’une précision chirurgicale en plus de cela. C’était à se demander si Savoir n’avait été plus que clément dans son affrontement avec Orion, tant la créature semblait être minutieuse.
Comment avait-elle pu rater sa cible autant de fois ? Orion était agile, certes, mais là, ce spectacle, cette démonstration de puissance et de précision, c’était impressionnant. Nul doute que Savoir ferait un grand allié pour le Reike, si d’aventure il ne voulait point de mal à la Nation du Dragon. Pour l’instant, cette dernière et le démon avait un objectif commun : l’annihilation des Titans. Autant en profiter un maximum avant qu’une telle chose ne se retournât contre le Reike. Même si une claque de Tensai devrait suffire à le calmer.

Le moment était enfin venu pour les protagonistes de pénétrer dans cette immense temple souterrain, qui abritait, d’après les sources d’Orion, des sectaires du Fléau de l’Eternité. Que dire, si ce n’était que la puissance dévastatrice de Savoir avait eu raison de quelques vies. Une odeur de derme brûlée s’empara des narines du vent, lorsque celui-ci, précédé de Savoir, pénétra à l’intérieur du temple, passa le seuil de cette porte détruite. Il observa un bref instant tout autour de lui, le temps que son compagnon en fît de même. Le tas de chair calcinée au sol, l’elfe découpé en deux. Quel spectacle. Un spectacle glauque qui provoqua tout de même quelque haut-le-cœur à Orion.
Oui, il était un assassin, il tuait sans le moindre ressentiment. Cependant, les morts qu’il procurait, bien qu’atroce, n’atteignaient pas un tel niveau. Il y avait une différence entre, par exemple, trancher une tête et, voir un homme coupé en deux, encore en vie, agonisant. Un spectacle macabre auquel Orion n’était pas particulièrement habitué. Et pourtant, il se devait de continuer, d’avancer dans sa quête, en compagnie de l’entité à la puissance dévastatrice.

Bref, tous deux continuèrent leur parcours, s’enfonçant dans les limbes de cette montagne, parcourant une nappe opaque d’ombre. Heureusement pour lui, le Vent était capable, à l’aide de sa vision nocturne, de voir au travers de cette brume. Seulement, elle était si épaisse qu’il ne parvenait qu’à distinguer les formes de ce qui l’entourait.
Se sentant jaugé par l’œil du démon, Orion détourna son regard en sa direction. Naturellement, son compagnon d’infortune voulait que le Vent passât avant lui. Une sage décision, sachant qu’en tant qu’excellent espion du Reike, le Yamveil était le plus propice pour la filature.
Ainsi, l’assassin aux prunelles écarlates se rendit invisible, puis se concentra davantage sur sa vision, sur son sens de la vue. Au dépit des autres sens, ce dernier était privilégié pour permettre de mener à bien cette mission. Ainsi, il était capable de distinguer l’intégralité de son environnement, mais aussi de voir plus loin qu’un simple être vivant dénué de super-sens, comme son interlocuteur certainement.

Dans la pénombre, ils avançaient et, Orion les guidait. Des ombres s’échappèrent de la silhouette du Yamveil, rampant sur le sol, observant les artères secondaires. Parfois, le maître des ombres se téléporta sur ces dernières, pour observer et voir s’il ne croisait pas de vie, mais rien. Dix minutes durant, les protagonistes avancèrent dans les tunnels, à la recherche d’une espèce vivante. Mais, ils ne trouvèrent rien, si ce n’étaient des rongeurs. Etrange. Pourtant, à son arrivée, avant de croiser Savoir, le Vent avait bel et bien pu observer de nombreuses personnes pénétrer là-dedans. Mais, c’était un véritable labyrinthe, comment retrouver son chemin ?
Peu importe, ils continuèrent d’avancer et, le temps continuait de s’écouler, durant plus d’une vingtaine de minutes.

Soudain, la vue affûtée d’Orion perçut un mouvement à l’avant, mais il disparut aussitôt, sans qu’il n’eût le temps de savoir ce que c’était. Il leva la main, indiquant à son compagnon de s’arrêter, puis il attendit. Toujours en plein milieu des artères sombres, le Vent eut un mauvais pressentiment. Et à raison, étant donné que son ouïe capta un mouvement venant de l’arrière. Un mouvement clair et précis, ne pouvant point venir de la masse décharnée de Savoir.
Sans prévenir, la nappe d’ombre opaque disparue, pour laisser place à un éclairage surnaturel et, lorsque qu’Orion se retourna, il vit un projectile magique foncer droit sur lui et Savoir. Tous deux parvinrent à l’esquiver, mais c’étaient sans compter les cinq autres qui arrivaient derrière. Une danse frénétique s’engagea pour Orion, qui tenta d’esquiver la totalité des projectiles. En faisant cela, il tentait de voir quelle était la source de cette magie, mais impossible de la distinguer. C’était sans compter que d’autres projectiles arrivaient de l’autre côté. Les protagonistes semblaient être encerclés, bloqués des deux côtés de ce tunnel étroit, par une personne semblant se jouer d’eux.

Le déchaînement soudain de magie qui semblait venir à la fois de l’avant et de l’arrière déferle sur le duo avec un acharnement inattendu. Savoir dresse immédiatement un bouclier sphérique autour de sa propre personne tandis qu’a ses côtés, l’espion reikois joue de son agilité extrême pour esquiver les projectiles et se dissimule ensuite à couvert dans les ombres. L’oeil de la Juge le regarde se soustraire au feu de leurs adversaire tandis que d’autres missiles de mana continuent de pleuvoir dans la direction de l’azsharien caché derrière sa barrière luminescente. Le Démon limite la radiance de sa protection au stricte minimum, se contentant de constituer un bouclier tangible mais translucide, il supprime l’occlusion ambiante générée par sa propre lumière pour éviter de dévoiler la position de son allié aux tireurs ennemis. La pupille d’Éva bien à l’abris mais immobilisée par le déluge s’attarde maintenant sur la source des frappes, il paraît singulier pour Savoir qu’ils se soient laissés encerclés par leurs opposants, même s’il le Démon est bien conscient qu’ils évoluent actuellement en territoire ennemi et ce n’est pas parce que l’idée qu’ils se soient fait dépassés est aberrante en soi mais plutôt à cause de la plus-value de la décision. Après leur entrée forcée à l’intérieur du temple montagneux il apparaîtrait comme évident pour n’importe qui que les deux intrus sont des menaces conséquentes, non seulement séparer ses forces en deux fronts distincts serait une erreur tactique monumentale mais en plus ce serait une tare stratégique symptomatique d’une plus profonde méprise: ça impliquerait que leurs assaillants estiment même après une telle éventration de leurs défenses que le duo est attaquable d’office. Savoir est lucide sur la logique de son propre raisonnement et sur la tendance du cerveau mortel à rapidement sombrer dans l’irrationalité face à une situation à l’espérance de gain infime ou quasi-nulle, et il suppose qu’il ne devrait pas écarter la possibilité que les cultistes deviennent imprévisibles en voyant leur dernière heure arriver, mais il y a cependant un détail qui frappe Éva plus fortement que la simple réflexion tactique.

Si leurs adversaires avaient réellement séparé leurs forces pour pouvoir les prendre à revers, ils se retrouveraient devant un choix cornélien, comment diviser efficacement leur puissance de feu? Devraient-ils envoyer plus de gens couper la retraite des intrus ou devraient-ils au contraire poser le plus de ressources possible entre le reste du temple qu’ils cherchent à défendre et les deux assaillants hétéroclites? Tout dépend de leur objectif final et c’est une inconnue que Savoir ne peut supputer tranquillement, pourtant il peut déjà remarquer un fait avéré, l’asymétrie de l’assaut. Un total de six tirs magiques venant de l’arrière et deux seulement par devant, si les adversaires cherchaient à endiguer leur progression ils n’avaient clairement pas fait le bon choix, puisqu’il s’agissait visiblement de devoir les empêcher de repartir avec une telle distribution des mages. Savoir concentre sa mana et à l’intérieur de son bouclier de lumière, il redresse son bras horrifique pour rassembler ses serres en une forme circulaire. Le peu de lumière naturelle qui parvienne encore jusqu’ici s’efface complètement au profit de l’incandescence arcanique de l’azsharien, et il compacte un peu plus le fruit de son effort jusqu’à ce qu’il complète la génération d’une bille de lumière dense et irradiante. Le Démon pince entre deux serres de branches distinctes la création qui ne mesure pas plus de quelques centimètres et se retourne pour faire face aux tréfonds de la grotte là d’où ne venaient qu’une paire de tirs magiques. D’un geste de ses griffes similaire à une pichenette nonchalante, il envoie la minuscule sphère fuser en direction de l’obscurité, éclairant les parois de la roche sur son passage au fur et à mesure qu’elle progresse plus loin dans le dédale de galleries, et Savoir observe attentivement derrière son bouclier pour guetter la moindre trace de présence mortelle. Plus la bille avance et plus il apparait que les devants immédiats sont vides de toute occupation adverse, et quand deux nouveaux tirs viennent traverser les tunnels en provenant de cette même direction, Savoir s’aperçoit alors de la supercherie. Les deux projectiles se manifestent au beau milieu des airs à partir de sensiblement rien, tandis qu’aux alentours il n’y a nulle présence d’un quelconque lanceur de sort ou magicien responsable d’une incantation quelconque. Curieuse, Éva se penche alors sur l’intégrité de sa barrière protectrice et s’aperçoit qu’elle ne diminue pas ses réserves de mana quand les deux tirs impactent de plein fouet la protection, mais que par contre les salves provenant de l’arrière sont non seulement plus imprécises et par conséquent plus réalistes, mais qu’en plus elles diminuent effectivement la puissance de son cocon de lumière. La Juge partage alors l’information sans pour autant être certaine de la position de son allié dissimulé dans les ténèbres.

”Seul ceux de l’arrière sont réels, les autres ne sont qu’une illusion pareille à la foi qu’il entretiennent.”

Tandis qu’elle se retourne, la Juge considère un instant ses options de contre-attaque, mais se ravise bien vite, elle ne connait toujours pas assez le modus operandi d’Orion malgré la lecture de son esprit tantôt pour être capable de déduire ses prochains déplacements dans l’escarmouche, et intervenir dès maintenant impliquerai la possibilité de supprimer un allié utile par dégâts collatéraux, son espérance de gain est donc plus favorable en demeurant pour l’instant dans l’inaction supportive. Savoir lève donc son bras humanoïde vers le plafond du tunnel dans lequel il se tient et la voix maternelle d’Éva reprend d’une façon annonciatrice:

”Que les ténèbres obscurantistes dans lesquels vous vous complaisez disparaissent au profit de la lumière de la Connaissance.”

Comme si une lame de lumière venait de trancher net le conduit qu’ils empruntaient, un écran géométriquement parfait vient combler le tunnel derrière la silhouette de Savoir, bouchant la progression du duo momentanément tandis que sa luminescence insupportable se faisait de plus en plus vive. Que ce soient l’azsharien qui tourne le dos à sa propre magie ou que ce soit l’assassin qui devait certainement être entrain de se déplacer en direction des adversaires, aucun des deux ne devaient regarder dans la direction de cette projection lumineuse éclatante, alors que leurs adversaires se retrouvaient au mieux forcés d’interrompre leur barrage arcaniques au pire aveuglés par le sort de Savoir, ce pendant qu’une menace insidieuse faite d’ombres, de froideur et de lames affutées est entrain de remonter la piste jusqu’à eux.

Orion, dissimulé dans les ténèbres, observait attentivement les actions du démon. D’abord, une barrière magique, ensuite, des projectiles de reconnaissance. Décidément, plus il observait son compagnon d’aventure, plus il avait envie d’en savoir davantage sur lui et surtout, plus il avait envie de savoir si d’autres monstres dans son genre existait. Et s’il n’était pas seul ? S'il y avait un savoir, il y avait forcément une Ignorance, non ? Car, pour toute chose existante en ce monde, il fallait son contraire, le blanc et le noir, l’ombre et la lumière, la connaissance et l’ignorance. Une question que le Vent aimerait sans doute poser à la chose aux multiples yeux, s’il n’avait pas peur de la contrarier et de se faire découper un bras, par exemple.
Au moins, il pouvait facilement reconnaître la même chose que son interlocuteur. La foi que pratiquait les membres du Fléau de l’Éternité n’était qu’une vulgaire illusion. Il y avait quelque chose au-dessus, quelque chose de beaucoup plus sombre, sinistre. Rien de surnaturel, c’était certain pour Orion. Un trafic dissimulé, mais quoi ? Cette question restait encore un grand mystère pour l’espion reikois.

Un signe de la tête, c’était la réponse qu’il donnait au démon, sans pour autant sortir de sa cachette et, tout en fixant avec attention cet œil qui ne semblait pas vraiment le regarder. Puis, il l’observa avec attention, ses rubis toujours ancrés sur lui. Sa manière de parler, rien qui n’indiquerait une quelconque présence humaine. Puis, la lumière fut, éclairant d’une intensité phénoménale le tunnel. Orion écouta alors les dernières indications de son compagnon d’infortune et se rua vers l’avant, tournant le dos à cette lumière meurtrière. Il courait de manière à laisser le moins de surface atteignable sur son corps, puis, il ne s’arrêta pas. Ses lames, que ce soit celle de son gantelet droit ou de son gantelet gauche, étaient toutes deux sorties, sifflant dans cet espace clôt, telle une mélodie macabre pour ceux qui avaient la malchance d’en être la proie.
Sachant être contre des adversaires possédant certainement une magie à projectile, les déplacements d’Orion étaient imprévisibles, il avançait en zigzaguant de gauche à droite et, de droite à gauche. Il était impossible de savoir précisément où il allait et, chaque pas qu’il faisait, n’était que l’annoncement d’une mort certaine pour les deux idiots pensant pouvoir l’arrêter, lui, mais aussi Savoir. Le requiem de deux âmes perdues.

Cependant, en avançant vers eux, Orion se demandait s’il n’était pas préférable de les garder en vie, afin que Savoir puisse lire dans leurs pensées, comme il l’avait fait avec celle du Vent. Mais, comme la confiance de celui qui deviendra un Lycan était en l’instant affolante, il se disait que c’était inutile. Non pas qu’il n’avait pas besoin d’information sur cette secte, mais bien parce qu’interroger de la simple chair à canon n’était qu’une vulgaire perte de temps. Il y avait mieux, beaucoup mieux, comme par exemple le chef de cette opération. Mais, ce mode de pensée était à double tranchant. Soit ce serait une grande récompense pour le protagoniste, soit, cet excès de confiance leur vaudrait grande complication. Imaginons que le Consul se cachant au fond de ce temple ait des moyens de fuir, ce serait embêtant non ?

Quoi qu’il en soit, le temps passait et, Orion se rapprochait dangereusement de leur proie. Il était si confiant qu’il ne prenait même pas la peine d’être discret. Il était si rapide que ses ennemis ne le voyaient pas arriver et, en une fraction de seconde, la tête du premier tomba. Ses yeux étaient rouges et, leur rétine semblait comme carbonisée. L'effet indésirable de la puissance du démon de la connaissance. Sans perdre de temps, le Vent ferma à son tour les yeux, puis s’appuya sur le sol avant de bondir sur le second, qui se trouvait de l’autre côté du tunnel. Un bond de quelques mètres qu’Orion n’eut aucun mal à effectuer et, pareillement, la tête tomba. Ils n’avaient, de toute façon, pas la moindre chance et, si Orion n’était pas capable de s’en charger -avec l’aide de Savoir-, nul doute que ce dernier le ferait très bien tout seul.

Fier de son travail, Orion ramena les têtes des sectaires à Savoir -en attendant bien sûr la fin du sort de ce dernier-. Ce qu’il n’avait pas vu, c’était que son propre sang s’écoulait de son bras. En effet, en bondissant de part et d’autre du tunnel, il s’était heurté à une roche tranchante qui lui avait ouvert le bras. Ce n’était que superficiel et, cette blessure fut vite refermée par sa magie régénérative. Il jeta alors les têtes au pied de Savoir -ou quoi que ce soit d’autre- puis regarda l’œil actif.
« Je n’ai pas pensé nécessaire de les garder en vie. Le cerveau de ce temple me semble être plus approprié. » Fit-il, avant de se remettre en route. Cette fois-ci, il avançait prudemment mais, il sentait qu’ils atteignaient le but. Un village dissimulé sous la montagne peut-être ?