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  • Mar 30 Jan - 23:26
    Les sacs étaient lourds. Le dos était douloureux. Les rues empestaient l’alcool à bas prix, la bouffe dégueulasse et la pauvreté. Fauna, en toute logique, aurait dû faire partie de cette pauvreté, mais elle s’en sortait bien. Elle avait encore des pièces dans sa besace, des pièces qui ne lui appartenaient pas et qu’elle avait dû apprendre à compter. Elle était, fort heureusement, tombée sur une âme qui l’avait sincèrement aidée, qui ne lui avait pas arraché les sous des mains pour s’enfuir – et elle a de courtes jambes, alors elle n’aurait pu que pleurer sur son sort. Elle avait appris, petit à petit, ce que signifiaient ces pièces décorées qui tenaient entre ses doigts griffus. Elle avait pas de coupe-ongle, parfois elle les rongeait mais c’était pas parfait, elle allait toujours « trop loin » et la peau s’arrachait dans la souffrance. Pas facile d’être une hybride cachée de tous dans un monde qui existe bel et bien.

    « Papa » avait fait en sorte qu’elle ne sache rien. Des différentes villes, des différents pays, ou elle ne savait pas bien quoi. Il avait fait en sorte qu’elle n’ait pas d’amis autres que les animaux – et elle ne parlait pas le langage animal, malheur sur elle. Il avait fait en sorte de lui apprendre à se défendre, mais pas pour le plaisir : au cas où quelqu’un voudrait s’accaparer ce qui lui appartenait, ses jolis yeux, sa jolie corne, ils n’avaient aucun droit sur elles, les autres, car Fauna était à lui et elle souriait un peu bêtement quand il lui affirmait, elle se sentait aimée, mais par-delà la forêt, y’avait une vie qui l’attendait, une vie qui n’était pas couverte de honte et d’horreurs. Elle avait été heureuse, Fauna, à parler aux arbres, à parler aux étoiles, à dormir sur sa couche chaque nuit, se réveillant en même temps que le soleil, nourrie de légumes, de fruits, parfois crus, parfois cuits car « Papa » était très occupé. TIENS DONC. Quoi de plus étonnant ? Il avait un enfant, une femme, que Fauna n’avait connu que très tard. Elle, elle était la pièce rapportée, l’erreur qui pourrait jeter l’opprobre sur la famille pleine de sourires. Trouvée dans les bois, mais il ne s’était pas présenté comme tel, il lui avait expliqué qu’il était son papa, et que sa maman était morte alors qu’elle n’était pas si loin, décédée depuis longtemps car les chèvres ne vivent pas si longtemps, mais Fauna est une hybride, une erreur, une véritable erreur qui jamais n’aurait dû voir le jour.

    Partie, larmes dans les yeux, larmes sur le visage, et la haine dans le cœur, ce sentiment qui fait peur. Ses lames tranchantes, elles menacent la femme, la vraie, l’amour de cet homme qui au fond s’en fichait de sa « fille », une simple créature inférieure. Elle lui a tout donné, elle l’a suppliée de ne pas faire de mal à sa famille. Fauna n’a pas eu le cœur de révéler la vérité, elle a tant à apprendre, elle a pris l’argent, elle est partie et elle a peur, peur qu’il la retrouve, parce que des Fauna, elle en a jamais croisées depuis. Il sait qu’il est furieux d’avoir perdu ce petit jouet qui s’amusait à tirer les feuilles des arbres, petit jouet qui se défendait si bien, petit jouet qui rigolait en disant qu’elle l’aimait parce qu’elle avait personne d’autre et que son univers n’était qu’une forêt, et pas une maison, encore moins une ville.

    Les mois ont passé, Fauna a une capuche sur la tête qui dissimule à moitié son visage, la forme est bizarre car y’a la corne qui prend toute la place. Y’a ses cheveux verts qui dépassent, et elle ne sait pas trop où aller. La République, elle y est depuis toujours mais elle comprend pas tout. À combien de kilomètres est-elle de la maison ? De cet homme qui a tenté de couper son petit cou, simple animal qui aurait fini en saucisson ? Elle n’en sait rien, elle tente de se reprendre, de sourire, d’être joyeuse et heureuse alors qu’elle parcourt les rues en tremblant. À tout moment, il pouvait apparaître comme par enchantement et la ravir. Elle ne le sait pas, mais il en a plus rien à faire d’elle, elle est pas recherchée, ou très vaguement. Elle est loin Fauna, elle pourrait vivre sa vie dans les rues mal famées, trouver une occupation et sourire de nouveau. Un homme la bouscule, il renverse sa bière et s’éloigne en rigolant. Un autre lui parle, elle ne comprend pas l’accent. Elle doit prendre un bateau, on lui a dit, elle doit trouver de l’eau, elle doit s’éloigner, elle a pas précisé pourquoi, mais y’a le Reike, et pas que, elle n’en sait rien. EXPLIQUEZ-MOI. Elle est paumée dans ces rues crades et dangereuses, une main glisse le long de son dos, frôle ses fesses. Elle écrase le pied du pervers, les sourcils froncés, elle est frêle et petite, elle est en danger, elle devrait partir, trouver des rues sûres, un chemin sûr, y’a ce type, Bigorneau, on l’a vaguement décrit, quelques mots puis une nouvelle bière renversée, Fauna cherche un gars à la peau bleue qui l’emmènera au loin, sur les mers, là où son « père » ne la retrouvera pas car il ne sait pas nager, elle non plus d’ailleurs. On a décrit le bateau, elle voit un truc semblable et oh, c’est plutôt joli, elle ouvre grand ses yeux, elle découvre le port pour la première fois, ses vivants, et les rires tout autour d’elle. Jeune fille perdue qui cherche l’âme d’un Bigorneau pas commode, elle doit s’accrocher de toutes ses forces pour pas passer par-dessus bord. Le bateau qui est joli selon les goûts un peu pourris de Fauna qui n’y connaît rien, il tangue doucement car l’eau le fait remuer, c’est ce qu’elle en conclut silencieusement. Soudain, un éclat bleu et un sourire carnassier qui font trembler ses petites mains. L’homme est là, plus si loin, et elle pense qu’il la regarde. Soudain, elle se dit que faire demi-tour n’est pas une erreur, mais elle prend son courage à deux mains, d’un bon pas elle comble le vide entre eux et coasse, d’une voix pas assurée, parce qu’il n’y a quasiment que des hommes autour, et « Papa » a bien dit de se méfier de ces créatures-là : « Monsieur Bigournot, excusez-moi, je m’appelle Fauna, je veux partir très loin et votre bateau, là, il pourrait m’y emmener. Vous voulez bien que votre bateau me prenne et m’emporte loin ? S’il-vous-plaît… » elle pas encore compris que le bateau, fallait bien quelqu’un pour le diriger. Des hommes, des femmes appliqués à la tâche, et cet élémentaire était celui qui décidera de l’avenir de Fauna en République. « Vous avez un joli sourire » elle tente, toute timide, ses sacs lourds sur le dos, courbée par leur poids, épuisée par la marche. Elle tremble encore un peu, mais c’est de douleur. C’est l’espoir d’un avenir meilleur qui la maintient sur ses pieds.
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    L'Amiral Bigorneau
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  • Jeu 1 Fév - 7:48


    Occupée à recoiffer des mèches rendues rebelles par le sel et le sable, Al'Aheera la sirène s'affairait tant bien que mal à peigner les extrémités les plus fourchues de sa tignasse indomptable et si elle se heurtait occasionnellement à un nœud revêche qui nécessitait toute son attention, elle avait tout de même eut l'opportunité de laisser son regard voguer sur les quais bondés. Trop habituée aux marins puants qui grouillaient comme de la vermine aux quatre coins du port, elle avait naturellement été happée par le contraste saisissant que constituait avec le décor la petite silhouette frêle d'une demoiselle cornue et affublée de paquetages trop conséquents pour son petit dos faiblard. Un sourire laissant transparaître des crocs affutés comme des lames de rasoir apparut sur la bouche délicate de la dame issue des tréfonds et, d'une voix aussi enjôleuse que prédatrice, elle lâcha doucement :

    " 'Gardez donc, Amiral. N'est-elle pas adorable, celle-ci ?"

    L'intéressé, qui était quant à lui happé par la part la moins intéressante de sa profession et qui s'était confortablement assis sur un tonneau de victuaille, ne leva même pas les yeux lorsqu'il fut interpelé par Al'Aheera et se contenta sobrement de continuer à inscrire sur un petit carnet de voyage les quelques notes qu'il prenait concernant les stocks de vivres de son vaisseau légendaire. Actant quelques primes et notant pour lui-même quelques indications offertes par le navigateur en chef concernant leurs futurs voyages, le vieil Elémentaire au teint océanique ne se formalisa pas lorsque la sirène passa deux doigts sous son menton barbu pour l'inciter à lever la tête. Cherchant mollement de ses yeux laiteux ce qu'essayait de lui montrer sa suivante, il soupira :

    "Qui ça ?"

    Le rictus carnassier de la sirène ne manqua pas de s'étendre et à l'aide de son peigne doré, elle pointa la jeune étrangère qui fendait la foule avec la maladresse et l'indécision palpable de ceux qui ne savent pas exactement où ils se trouvent et encore moins ce qu'ils veulent. Lâchant la barbiche de l'Amiral lorsqu'elle sut qu'il avait identifié ce qu'elle cherchait à lui montrer, Al'Aheera retourna à sa coiffure et se contenta d'ajouter d'un ton amusé :

    "Ce n'est pas tous les jours qu'un aussi joli brin de femme vient vous faire la causette, n'est-ce pas ?"

    Soufflant du nez en rendant son sourire à la crapule qui s'adressait à lui, Bigorneau rétorqua :

    "C'est un moyen détourné de m'pousser à te faire un compliment ?"

    En extirpant de ses cheveux un petit crabe qui s'y était emprisonné, elle pouffa puis lui dit :

    "Certainement pas. Vous faites les mêmes grâces à toutes les filles du bateau. Vos louanges ne valent rien, Amiral."

    Se levant du baril qui faisait pour lui office d'assise, Bigorneau referma son calepin et vint le fourrer dans la poche de son épais manteau, avant de s'épousseter les paluches. Ayant capté le regard de la petite voyageuse, il lui fit signe d'approcher tout en marmonnant pour sa suivante :

    "Quand j'fais la cour à ta sœur, elle me sort pas ce genre de méchancetés; pourtant."

    "Parce qu'elle en a après votre bourse. Pas les bleues, l'autre."

    Ils rirent de bon coeur et leur conversation s'arrêta là car déjà, l'inconnue venait de se présenter à eux. Lorsqu'elle arriva au niveau de l'Amiral, d'autres forbans aux trognes plus patibulaires les unes que les autres s'agglutinèrent autour de la petite demoiselle chargée comme une mule et, contre toute attente, celle-ci entama les présentations sans y être invitée. Ne relevant même pas la mauvaise prononciation de son nom, Bigorneau dévisagea l'effrontée qui ne semblait pas manquer de cran et, dans un éclat très franc, il ricana de plus belle lorsqu'elle fit une remarque sur son sourire, seulement pour être suivi dans son hilarité par les pirates les plus proches. Après quelques secondes passées à s'amuser de la bizarrerie de cette situation, l'Amiral passa un doigt ganté sous son œil pour en chasser une larme salée et lança à la dénommée Fauna :

    "C'est pas "Monsieur", ma jolie. C'est "Amiral" Bigorneau... Bien sûr qu'on peut t'embarquer, mais 'faut commencer par le début. Où tu veux aller et qu'est-ce que t'es prête à offrir pour y parvenir ?"

    Il n'était pas dans ses habitudes de faire transiter des touristes d'un continent à l'autre, mais ce n'était pas non plus la première fois qu'il proposait ce genre de services. Tout or était bon à prendre, après tout. Dans un élan maternel qui ne lui ressemblait pas des masses, Al'Aheera se redressa et flanqua sur son crâne le tricorne usé qu'elle avait chipé à un marin républicain lors d'un précédent abordage, avant de lancer à la petite :

    "Tu t'es perdue ma grande ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?"
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  • Jeu 1 Fév - 15:56
    Fauna est sûre de ses choix, mais ne sait pas comment les mettre en application. Comment quitter un pays pour en rejoindre un autre ? Et déjà, c’est quoi un pays ? Les informations, depuis qu’elle est en République – même si elle l’a toujours été, mais elle considère ses anciens quartiers comme faisant partie d’une dimension parallèle : y’a le monde, y’a la République et tout en-dessous, accessible par une porte magique et toute laide, la forêt qui l’a vue naître – ne cessent de fuser. Elle apprend vite, sur certains sujets. Sur d’autres, elle a besoin d’éclaircissements nécessaires mais ne les demande que rarement car ça emmerde les gens de faire face à cette ignorante et à son sourire un peu con, ce sourire qui ne la quitte que rarement, elle sait se mettre en colère, elle fait presque peur car le contraste est saisissant, bref, Fauna découvre et ce qu’elle sait, c’est qu’elle est en danger – sentiment bien légitime qui étreint son cœur depuis plusieurs mois, depuis qu’elle s’est libérée de ses chaînes invisibles, qu’elle a eu la colère de sa vie, et la frousse aussi, et les cris alarmistes de ceux à qui elle a raconter son histoire lui glacent le sang – et qu’il lui faut partir. Loin. Pas n’importe quel moyen. A pied, c’est possible. Y’a des routes, mais on lui a dit que c’était long et éreintant, et elle n’a pas de monture. Y’a des bandits, elle en a croisé pour arriver jusqu’ici – et leur a botté les fesses parce qu’ils ne valaient pas la réputation qu’ils se donnaient, et volé leur argent. La mer, c’est ce qu’elle a choisi mais elle n’y connaît rien. En fait, elle n’a rien compris. Dans les auberges, les langues se délient et elle a passé beaucoup de temps dans les auberges ces derniers temps Fauna. Elle a mangé et bu, elle a réclamé plus de fruits, plus de légumes. Elle a été chiante, elle a fait grincer les dents, se lever les yeux, elle a posé des questions, s’est invitée aux tables et n’a jamais pleuré quand on l’a rejetée parfois brusquement – sauf cet individu qui l’a traitée de vilains mots sur sa nature, désormais sa faiblesse, le sujet à pas aborder. Elle lui a foutu un pain étrangement violent pour une si petite bestiole et est partie sans demander son reste avec ses sacs et son mécontentement. Et les larmes qui coulaient le long de ses joues rosies par l’effort, c’est vraiment pas juste.

    C’est les « bons » conseils qui l’ont menée jusqu’ici. Un nom inscrit sur un papier qu’elle a retenu à moitié à l’oral, des indications vestimentaires et physiques, elle aurait pu se tromper de cible mais l’homme est reconnaissable entre tous, et elle semble bien entouré. Mais Fauna est courageuse aujourd’hui, elle a un but en tête, celui de partir, et l’homme pourrait être un grand mangeur de chèvres qu’elle trottinerait vers lui avec la même énergie. Elle est désespérée, mais c’est un visage déterminé qu’elle lève vers lui, ignorant les messieurs patibulaires qui l’entourent, tous un sourire bien plus laid sur la gueule, et cette femme aux cheveux mal coiffés – le peigne de Fauna est bien plus efficace, car sa chevelure est impeccable, soyeuse et brillante – et elle se présente, et elle s’intéresse à sa personne, elle ne comprend pas tout, mais quand aura-t-elle le savoir exquis et complet d’une situation ? Pas demain la veille. L’homme, de prime abord, ne lui semble pas hostile. Il la reprend sur l’appellation et Fauna a un peu des yeux ronds et curieux car elle n’a jamais entendu ce mot « Amerdal », ah, non, « Amiral » car un membre de l’assemblée le répète et cette fois, ses oreilles sont bien dressées et prêtes à ne pas l’enfoncer dans plus de conneries encore. Amiral, donc, c’est quoi un amiral ? En fait, elle est sûre d’avoir entendu le terme un peu plus tôt, dans l’auberge qui lui a donné toutes ces informations, mais elle ne l’a juste pas retenu. Elle hoche vivement la tête et répète : « Amiral… » faudrait pas vexer l’élémentaire ! Fauna est là pour convaincre, mais elle ne maîtrise pas la verve du discours. Elle sourit lorsqu’il lui annonce que son projet n’est pas impossible et elle est prête à monter à bord, elle ne sait trop comment car ce bateau n’est pas commun, et puis il est grand, et elle n’en a jamais vu « en vrai », objectif rempli, passons à la suite. Payer ? Oh, bien sûr. Si Fauna a très vite capté quelque chose lors de sa découverte du monde, c’est la valeur de l’argent, et elle a compris qu’elle en aurait besoin, qu’elle en avait besoin. Elle n’est pas prête à céder sa minuscule fortune à cet homme tout bleu, mais elle fera des concessions pour ne pas rester les deux pieds sur le plancher des chèvres. « Amiral, j’ai acquis ce que j’ai par le vol et les méfaits. Mon voyage est long, et je voudrais que vous compreniez que je ne peux pas vous rendre riche. Ces quelques pièces sont mon prix, et vous aurez toutes les tasses de thé que vous voudrez, j’en ai de toutes sortes, tout d’abord du… et puis de la… et encore du… » paroles étrangement fermes et fortes pour ce petit bout de femme qui paraît si frêle, si stupide. Fauna ne porte pas un masque, elle ne se cache pas derrière une stupidité apparente, mais il y a des moments où elle est redoutable. Son cerveau, parfois, décide de fonctionner correctement. La dame mal coiffée l’aborde, elle aussi, et elle répond, le plus sérieusement du monde, profitons que les neurones accrochent et se réveillent, c’est si rare : « J’me suis pas perdue, Madame. Je devais rencontrer l’Amiral, je l’ai trouvé et je suis face à lui, prête à embarquer » puis, se retournant vers l’homme à la barbe bleue : « Je veux partir d’ici. J’ai entendu parler d’un endroit nommé le « Reike » mais j’en sais pas plus. Je veux juste m’en aller. S’il-vous-plaît… » et les neurones se sont détachés car sa voix s’est faite minuscule, adorable, Fauna la petite femme qui a besoin d’aide.
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  • Lun 5 Fév - 11:14
    Visiblement médusé par la teneur des propos de la jeune hybride, l'Amiral vit apparaître les quelques piécettes qu'acceptait de lui dévoiler la dénommée Fauna. Les marins renégats s'échangèrent bien des regards incrédules et nombre d'entre eux haussèrent les épaules, ne sachant nullement comment réagir face à une confiance aussi déplacée. Elle ne manquait pas d'air, cette petite !

    Inspectant la bourse tendue d'un bref coup d'oeil, il s'attarda ensuite sur la présentation des diverses variétés de thé qu'elle avait embarqué avec elle et lorsqu'elle entreprit d'en faire le détail devant les malfrats situés sur les flancs de Bigorneau; ceux-ci semblèrent contre toute attente particulièrement intéressés par ce qu'elle proposait et se contentèrent d'observer dans un mutisme rarissime. L'Amiral et sa suivante échangèrent un regard complice, se sachant l'un et l'autre à deux doigts d'éclater de rire. Ce fut Bigorneau qui reprit la parole en premier en réprimant un ricanement tandis que la pirate qui l'accompagnait se retournait en plaquant une main gantée de cuir contre sa bouche pour éviter d'hurler à gorge déployée. La détresse bien évidente de la demoiselle, visiblement; en touchait une sans faire bouger l'autre.

    "Eh bien... c'est d'accord, 'm'zelle Fauna. On était justement en train d'charger les dernières caissettes de vivres avant l'grand départ."

    La camarade de Bigorneau fit volte-face avec une contenance retrouvée et chassa d'un doigt les quelques larmes qui perlaient au bord de ses yeux étincelants. Soufflant un grand coup pour recouvrer un peu de calme; la grande sirène plaqua ses mains contre ses genoux et se pencha en avant pour se mettre au niveau du visage de la petite demoiselle; avant de lui donner quelques indications au sujet du voyage dont les préparatifs s'achevaient.

    Al'Aheera:

    "Tu n'es pas la seule à à nous avoir fait une telle demande; mais disons que tu nous parais un peu... atypique ? T'es pas perdue, d'accord; mais t'es sûre de vouloir t'engager sur un trajet aussi long que celui-ci ? Tu vas passer pas loin d'un mois en mer avec nous. C'est pas..."

    Trop amusé par la façon qu'avait Al'Aheera de tirer maladroitement sur une fibre maternelle lourdement négligée lors de sa carrière, Bigorneau croisa les bras sans dissimuler son rictus malin et laissa faire la jeune sirène à son sort alors qu'elle semblait pourtant implorer son aide en lui jetant occasionnellement des œillades en biais. Tapotant l'épaule de la sirène, l'Amiral se dirigea vers les planches tendues entre la Ginette et les quais et commença à s'éloigner. Laissée plus ou moins seule avec la jeune hybride, Al'Aheera adressa un regard furibond au capitaine du vaisseau qui s'éloignait déjà en lançant avec entrain :

    "J'vous veux sur le pont dans cinq minutes, mesdames !"

    La sirène soupira puis, après s'être assurée qu'elle n'était pas écoutée par une ou plusieurs paires d'oreilles indiscrètes, elle glissa à Fauna :

    "Ecoute ma grande, je sais pas ce que tu fuis ni ce qui t'est arrivé pour que tu t'retrouves toute seule; mais j'suis pas sûre que tu veuilles embarquer avec ce genre de salopards... Ces gars-là, c'est pas des gens que tu veux fréquenter. Crois moi sur parole, j'en fais partie."

    Il semblait lui couter un peu de faire preuve d'une telle gentillesse, mais elle se força à embrasser pleinement cet aspect de sa personnalité qu'elle enterrait généralement sous un apparent sadisme :

    "T'as personne en République ? Pas d'parents, pas d'cousins, pas d'amis ? Tu connais quelqu'un au Reike, au moins ? Tout plaquer, j'peux le concevoir; mais le faire comme ça c'est... c'est risqué. T'as évalué toutes les autres possibilités avant de prendre ta décision ?"
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  • Mar 6 Fév - 16:27
    Elle se doute, Fauna, que son thé n’intéressera pas grand monde. Elle connaît pas du tout l’univers dans lequel elle met les pieds, mais les amateurs de thé, ça court pas les rues. Y’a pas énormément de clients qui se pressent vers elle lorsque, assise sur le pavé, elle propose des petites tasses pleines de liquide aux différentes teintes. Y’a des curieux qui se penchent vers elle et la regardent faire, y’en a d’autres qui passent leur chemin. D’autres encore trébuchent dans ses jambes étendues, elle a pas l’air maline à renverser son doux thé sur le sol. Lui, il la paiera pas. Après, les gens ils râlent mais Fauna les accuse en les pointant du doigt. Ils n’avaient qu’à faire attention, et elle a failli se brûler et kjezkezhke… elle s’est brûlée. Parfois, plus rarement, l’une ou l’autre âme s’arrêtait et réclamait une tasse de thé chaud, servie par l’hybride au grand cœur et au grand sourire – pour ne pas dire autre chose qui serait vulgaire, qu’elle entend à son sujet auprès des hommes, surtout des hommes, les goujats !

    D’ailleurs, il y avait plein de goujats autour d’elle, elle le voyait bien, mais ils fermaient leur gueule alors elle n’avait pas besoin de crier pour se faire entendre, de leur souffler sa façon de penser de toutes ses forces, elle voulait du silence et du respect pendant qu’elle parlait, car le sujet était très important. Même si vraisemblablement, ses paroles très sérieuses n’étaient pas prises au sérieux par ses deux principaux interlocuteurs. Elle n’était pas aveugle, et décelait leur envie étouffante de rigoler. Sourcils légèrement froncés, elle faillit bien les rappeler à l’ordre, comme l’aurait fait une maman sur ses enfants capricieux, ou un professeur mais elle savait pas trop ce que c’était, mais son instinct lui indiqua de ne rien faire pour ne pas que Monsieur Bigournot change d’avis. Bien sûr, elle trouverait bien, dans le pire des cas, un autre moyen de faire la traversée, contre un peu plus de sous, ce qu’elle n’était pas prête à laisser à l’homme et à son groupe bizarre, mais ce serait dommage de repartir bredouille. Fauna, elle aime pas repartir bredouille car le mot « échec » s’affiche dans son esprit en lettres capitales rouges, alors qu’elle sait même pas comment ça s’écrit.

    Et les choses tournent bien car un beau sourire s’affiche sur le visage de Fauna qui est à deux doigts de perdre son indécrottable sérieux pour sauter au cou du vieux pirate, il a accepté, il a accepté ! Elle va quitter la République pourrie aux odeurs de chacal pour un avenir meilleur, qui, elle le comprendra avec le temps, ne sera pas nécessairement meilleur mais lui aura coûté de nombreuses pièces, du thé, et l’envie de vomir très rapidement. Pas grave, sa décision est prise, elle a pas de boule de cristal dans laquelle lire l’avenir, alors elle est prête à embarquer, d’ailleurs le capitaine du navire la veut, elle et cette dame aux dents pointues, sur le pont dans cinq minutes. Cinq minutes pour changer d’avis, pour s’enfuir la queue entre les jambes, sans se retourner. Idée tentante, mais la jeune hybride est décidément sûre de son choix, et ce ne sont pas les paroles peu rassurantes de la… dame ? C’est quoi son rôle sur le bateau, exactement ? Enfin, « elle » qui la décident à tourner le dos à ce projet complètement débile mais qui a mûri dans son esprit et qui ne le quittera plus.

    Alors, Fauna elle réplique d’une voix douce, un peu candide, à quel point elle est sûre d’elle, à quel point ce voyage est important : « Je ne veux pas me lamenter, Madame, sur mon sort, mais je pense que mes raisons sont heu… légitimes ? » première fois qu’elle utilisait ce mot « Enfin, non, je n’ai pas de famille, car la seule que je pensais avoir était composée d’un salopard et c’est tout ! Plus salopard que vous tous réunis ! » elle lance avec beaucoup de colère, beaucoup de ressentiment, le visage déformés par une haine sincère qu’elle tente de calmer pour parfaire son discours et convaincre qu’elle a sa place sur le bateau. « Je connais personne ici non plus. Je connais personne tout court. Alors, au Reike ou ailleurs, quelle importance ? Ce sera l’occasion d’entamer un nouveau départ, j’ai plein de projets » qu’elle ne détaille pas, mais elle voudrait proposer du thé meilleur, avec des options de personnalisation, comme elle n’a vu nulle part encore. Ce sera unique au monde, comme l’amitié entre le Petit Prince et le Renard, mais cette œuvre n’a pas encore été écrite. « Je suis sûre de moi. Les cinq minutes sont passées. Nous devons rejoindre le Amirale sur le navire désormais, sinon il va partir sans nous ! » dit-elle avec des fautes d’orthographe au mot « amiral », que l’on entend même à l’oral. Se faisant, elle trottine d’un pas bondissant et gravit les marches qui la séparent de la liberté, de la sécurité, ses gros sacs sur le dos. Elle sourit, Fauna, elle sourit comme une conne qui est sûre de son coup.
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  • Mar 6 Fév - 20:23


    Voyant la petite hybride se démener pour trimballer son paquetage trop lourd pour ses frêles épaules, Al'Aheera ne put retenir un sourire amusé et lorsque la demoiselle la dépassa; la pirate agrippa deux des sacs de la jeunette; l'ôtant ainsi d'un poids pour ensuite s'aventurer à sa suite sur les planches instables menant au pont de la Ginette. S'assurant que Faune ne vienne pas choir par mégarde du morceau de bois mal tendu qui l'amenait au pont principal; elle fut surprise de découvrir qu'en dépit d'un aspect tête-en-l'air; elle avait à priori un sens assez aigu de l'équilibre. Leur marche les mena jusqu'à la rambarde qu'elles dépassèrent d'un bond et elles purent alors témoigner de la foule absolument gargantuesque qui peuplaient le partie supérieure du navire fantôme.

    "Ta nouvelle maison pour le mois qui va venir, ma grande... Reste près de moi; on va retrouver l'Amiral."

    L'équipage de Bigorneau comptait déjà à lui seul pas loin de quatre-vingt-dix hommes, dont une bonne poignée de combattants hardis ainsi qu'une majorité de gaillards purement affectés aux tâches essentielles au bon fonctionnement du vaisseau sur des voyages aussi longs que celui qu'ils entreprenaient aujourd'hui. Les planches pourries de la Ginette étaient déjà noires de monde en temps normal mais dans ces circonstances; le bateau se chargeait d'une trentaine d'âmes supplémentaires. La plupart des voyageurs désireux de passer la frontière séparant la Nation-Bleue des terres de l'Empire Dragon usaient généralement des routes, un biais plus traditionnel et également bien moins couteux en terme de temps.

    Fauna; par mégarde et par méconnaissance des mœurs en matière de transit; était tombée peut être sans le vouloir sur un transport de voyageurs d'un tout autre genre. Forbans, criminels de guerre et représentants en tout genre de la Pègre républicaine n'avaient pas l'occasion de passer si simplement les frontières et passait donc parfois par les océans; s'autorisant ainsi un accès bien moindrement surveillé par les autorités reikoises. Quoi qu'animaient ceux qui préféraient la Ginette aux convois plus classiques; les raisons qui les poussaient à user de ce moyen de transport si peu conventionnel n'étaient généralement pas bonnes. Elle était; à bien des égards; une chèvre parmi les loups.

    "Alors t'as pas réussi à la décourager ? Tant mieux pour elle, ça va lui faire une belle expérience; pour sûr !"

    Fendant la foule pour se rapprocher des deux femmes; le personnage aussi clivant qu'haut en couleurs qu'était Bigorneau se présenta face à elles puis; les poings contre les hanches et le torse bombé; il soutint momentanément le regard de la sirène qui l'observait avec un savant mélange de dédain et de pure désapprobation. Souriant d'une oreille à l'autre, le capitaine du navire maudit éclata d'un rire gras et sonore; avant de faire signe à Fauna de le suivre tout en pivotant sur place :

    "Allez viens, on va t'faire un tour du propriétaire."

    Bousculant un peu les bonhommes patibulaires qui lui bloquaient le passage, l'Amiral s'aventura sur le pont pour se diriger vers l'arrière, puis il indiqua une cabine vitrée pour laquelle la crasse et les algues faisaient office de rideau. La pointant du doigt, il jeta une œillade en côté à la petite hybride; à laquelle il lança :

    "Ma modeste case. D'une manière générale, tu n'y fous pas les pieds. Si tu y rentres sans être invitée, t'auras précisément trente secondes pour m'expliquer pourquoi t'es là et si j'estime que ça valait pas le coup de m'déranger, on te jette à l'eau. Ensuiiiiteuh..."

    Se dirigeant vers des escaliers trempés et glissants au possible, il dévala les marches quatre à quatre pour pénétrer dans une série de couloirs trop exigus au goût de la plupart des profanes; puis il enfonça d'un coup de coude une porte menant à la Timonerie. Installé sur un bureau minuscule sur lequel était posé d'innombrables ustensiles de cartographie, un petit hybride blanc à gueule d'axolotl s'évertuait à confectionner de nouveaux plans de voyages en jouant de sa loupe et de son compas. Invitant Fauna à se rapprocher, Bigorneau montra l'amphibien du doigt et lança à la nouvelle venue :

    "Mr. Marimba, notre cartographe et navigateur en chef. Quand il bosse, tu le déranges pas. Si t'as des questions, c'est pas à lui que tu les poses."

    Offrant à Fauna un regard aussi filou que malin, le petit bonhomme écailleux répondit sobrement avant de baisser le museau vers ses plans :

    "Tu me déranges pas tout court...c'est quoi ce truc encore...'chier..."


    Refermant la porte derrière lui, Bigorneau s'enfonça plus profondément dans le dédale et à mesure qu'ils progressaient; une forte odeur d'épices et de viande cuite se mêla aux senteurs maritimes portées jusqu'à eux. Lorsque Bigorneau poussa la porte épaisse qui menait aux cuisines, un nuage de vapeur s'échappa par l'entrebâillement et les parfums se firent plus intenses encore. Passant à travers cette fumée blanchâtre, Bigorneau montra cette fois-ci le Cambusier chargé de nourrir l'ensemble des âmes arpentant le pont de la Ginette. Egalement un hybride; Eustache le Boscambusier était toutefois bien plus imposant et effroyable que ne l'était Doudou. L'immense homard à la carapace rouge jouait des pinces et des pédipalpes pour faire sauter une portion du repas du soir. Bien qu'affairé, le monstre pourpre se tourna en émettant des cliquetis lorsque l'Amiral se présenta et dans ce langage des signes que comprenait bien Bigorneau; le colosse muet lança en silence :

    *Pour - manger - ou - à - manger ?*


    S'amusant un peu de la réaction de son cuistot; Bigorneau ricana brièvement puis, après avoir jeté un coup d'œil étrange à Fauna; il rétorqua :

    "Une assiette de plus pour elle, en effet."

    Le géant crustacéen obtempéra silencieusement et retourna à ses tâches aux côtés de ses quelques commis et assistants. Une fois la porte des cuisines closes; Bigorneau continua sa visite sous les yeux toujours aussi noirs et inquisiteurs de Al'Aheera qui trimballait les bagages de la petite hybride; mais il ajouta tout de même pour la forme :

    "Ne lui demande pas ce qu'il y a dans la bouffe et ne l'dérange pas non plus. Il cause pas beaucoup; mais il est très chatouilleux lorsqu'il est question de sa cuisine. Mange, souris quand tu le vois passer et tout ira bien, ça marche ?"

    Cela fait, ils atteignirent ensemble les dessous du Pont, là où étaient déjà étendus une multitude de hamacs ou de tissus faisant office de literie de fortune. La foule y était tout aussi impressionnante qu'à l'extérieur et la chaleur qui en émanait était quelque peu étouffante pour l'instant du fait de l'excès évident de monde et d'activité, mais les températures s'y stabiliseraient sûrement plus tard. Ou pas du tout; mais Bigorneau s'en contrefoutait un peu. Traversant les lieux en enjambant des marins saoulés jusqu'à la gueule, Bigorneau et ses deux accompagnatrices s'avancèrent pour dépasser une caisse faisant office de table où étaient attablés plusieurs hommes. Une sirène au maquillage particulièrement notable, équipée d'étranges aiguilles qu'elle maniait pour piquer à l'encre le bras d'un costaud, accorda à Fauna un regard aguicheur avant de lui siffler :

    "Un tatouage, princesse ?"

    Bel'Wanda:

    Refusant l'invitation de la demoiselle sinistre, Bigorneau claqua des doigts devant les yeux de Fauna pour reprendre son attention avant de répondre à la tatoueuse :

    "Pas maintenant. Tu l'emmerderas plus tard, Wanda."

    Il manqua de se prendre les pieds sur le ventre d'un voyageur endormi mais parvint à conserver l'équilibre et fit volte-face pour conclure :

    "En dessous, y'a la cale, où t'as globalement rien à foutre. Pour résumer; balade toi un peu où tu veux, sauf là où on te veut pas, mais 'fais gaffe à tes affaires, ni moi ni mon équipage ne vont en assurer la sécurité. Oublie toute notion d'intimité et pour ce qui est des besoins naturels, ben..."

    Il mit un coup de menton vers une bassine de métal usée qui semblait vide mais qui n'inspirait pas confiance, et rajouta d'un ton goguenard :

    "Disons que tu te débrouilles et que tu balances ça par dessus bord, tu vois ? J'te fais pas un dessin. Des questions, ma jolie ?"
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    Anonymous
  • Sam 10 Fév - 10:57
    Fauna se dépêche vers le pont, le truc, le machin, le bateau, faisant bien attention où elle met les pieds : il ne serait pas difficile de tomber comme une mouche et se retrouver elle ne sait où, avec quelques os cassés. C’est pas dans son programme, de commencer le voyage avec une jambe en moins, elle, son rêve, c’est de rejoindre le Reike par tous les moyens. La dame qui l’accompagne lui prend une partie de ses sacs, et elle la remercie, le regard ailleurs. Où pourrait-elle partir avec ses affaires s’il s’agissait d’un vol ? Non : Fauna considère ce geste comme une aide bienvenue à laquelle elle ne dit pas non. Ce qui change de ses habitudes. Elle aime se débrouiller seule, comme pour prouver qu’elle est capable, qu’elle est méritante. Elle n’est peut-être pas la plus intelligente, mais elle est agile de ses dix doigts (quand elle ne met pas le feu à la jupe d’une dame qui passait par là) et a un caractère décidé. Elle ne se laissera pas abattre sur ce navire qui bientôt la conduira là où elle veut, elle est reconnaissante, déjà, de ce que les pirates sont « prêts » à faire pour elle, même si elle se doute bien que ce n’est pas par gaieté de cœur, ou plutôt par générosité exacerbée.

    Elle ne sait vraiment pas à quoi s’attendre mais le regard est déterminé.

    Il y a beaucoup de monde sur le pont du bateau. Des hommes, pour la plupart, qui courent de gauche à droite. Elle est légèrement bousculée mais ne dit rien, rejoint Bigorneau. Elle a pris sa décision, et il ne peut avoir tort : cette expérience nouvelle restera gravée dans sa mémoire à tout jamais. Enfin jusqu’à ce qu’elle claque. Et ce sera peut-être plus tôt que prévu. Pas sans se battre.

    Le capitaine du navire a un grand sourire sur le visage, et Fauna tente de le lui rendre avec un peu moins d’entrain, parce que malgré la détermination, l’envie de parcourir les mers le plus rapidement possible, elle est intimidée par le personnage, par les hommes qui s’affairent, par les femmes qui sortent de l’ordinaire. Elle est entrée dans un monde merveilleux, enfin pas merveilleux, mais fantastique, différent, qu’elle ne connaissait pas, qui fait peur mais qui la fascine, fascination découverte il y a exactement cinq minutes. Bigorneau l’invite à un tour du propriétaire, comme il dit, et la biquette le suit d’un pas vif, libérée de ses sacs. Elle a les yeux partout, elle est très curieuse mais sait se tenir. Elle se demande pourquoi le capitaine ne dort pas avec ses hommes, mais retient qu’il vaut mieux pour elle de ne pas s’aventurer autour de sa petite chambrette. Elle l’aura oublié dans cinq minutes.

    Les escaliers sont glissants, et de façon ridicule et qui l’énerve plus qu’autre chose, Fauna manque de tomber. Heureusement, elle se rattrape et sauve l’honneur, s’il y en a un à sauver, car on dit souvent de la biquette qu’elle n’a pas d’honneur. En même temps, elle est hybride, mais sur ce bateau, on ne lui a pas fait de remarque, et elle en rencontre un autre, elle lui offre un sourire qui ne lui est pas rendu, le perd, comprend qu’il ne faut pas déranger la bestiole ressemblant à… rien et ils sont repartis. Des pas les mènent aux cuisines, et Fauna ne sait pas si ça sent bon. Elle décèle de la viande, et désespère. Elle n’en mange pas. Elle est une chèvre. Elle risquerait de tomber malade ! Elle observe un instant en silence l’hybride au travail et décide de suivre les bons conseils de l’Amiral. Encore un à ne pas déranger ! Mais manger ce qu’il prépare, c’est compliqué, alors elle lance, avec un regard de chien battu, une demande dans la voix, un peu d’inquiétude : « Amiral, je… je mange pas de viande. C’est possible d’avoir des fruits et des légumes ? Pas que je remette en question les talents de… » et la fin de sa phrase est tellement basse, tellement embarrassée qu’elle disparaît dans la barbe qu’elle aurait pu avoir, en tant que chèvre.

    Le chemin est poursuivi. Des hamacs. Du dodo. Fauna se pose pas mal de questions qu’elle gardera pour elle. N’y a-t-il pas trop de monde dans une seule pièce ? Est-ce qu’ils ne font pas trop de bruit, ces marins, lorsqu’est venu le moment de faire la sieste ? Est-ce que ça ne risque pas de ce retourner, ces lits de fortune, si le bateau bouge ? Est-ce que ça pue les pieds ? Cette dernière est sûrement la plus importante mais Fauna ferme son grand bec plein de dents et offre à l’Amiral un beau sourire qui est sincère sans l’être, parce qu’elle n’est pas entièrement satisfaite de ce qu’elle a vu. Pas qu’elle s’imaginait un palace à mille pièces d’or la nuit (elle ne les a pas, de toute façon) mais, en venant à sa rencontre, elle imaginait moins de monde, elle imaginait un bateau qui avançait tout seul, sur lequel elle pourrait, l’espace d’une semaine – pas un mois, une semaine, mais elle ne connaît pas bien les distances et ne sait lire une carte – penser à sa vie un peu moisie, mais à ses projets, à ses désirs, car elle ne va pas tout abandonner au moindre obstacle.

    Malgré la visite peu satisfaisante, elle ne fuit pas à toutes jambes – l’escalier est bien trop glissant – et offre, à qui les veut bien, ses gentils sourires un peu con de celle qui n’a rien à faire là mais y est quand même, on ne sait trop pourquoi. Des questions, demande l’Amiral. Elle se frotte le menton de sa main libre, réfléchit intensément et le cerveau chauffe, il chauffe vraiment. Rien de pertinent, rien d’intéressant. Peut-être… « Il y a un travail à effectuer pour ne pas être jeté à la mer ? Comment on s’occupe… Je demande ça, car je suis pas très… douée, enfin ça dépend pourquoi, je sais juste faite du thé, coudre un peu, faire à manger mais vous avez déjà quelqu’un pour ça… » elle a peur de s’emmerder au milieu de tous ces hommes qui ricanent. L’émerveillement retombe un peu. Elle espère ne pas inutilement se mettre en danger. Elle est à un contre mille, parce qu’ils sont mille, sur ce bateau, n’est-ce pas ?
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