Dans une de série de froissement bruyants suivis de caquètements exotiques, une dizaine d'oiseaux multicolores s'échappèrent de l'arbre où ils étaient perchés lorsque s'approche le Limier. Sachant reconnaître l'allure et l'aura d'un prédateur en approche, ils l'avaient fui sans savoir qu'il n'était pas pour eux une menace, mais bel et bien leur seul espoir de salvation. La Réserve Faunique de la Nation Bleue voyait planer sur elle une ombre minuscule mais ô combien menaçante et les indices que laissait derrière lui cet intrus ne laissaient que peu de doutes quant à ses intentions.

Klak-Klak, comme l'avaient surnommé ceux qui avaient eu l'occasion d'interagir avec lui et d'entendre ses incompréhensibles babillements, était une créature insaisissable que de nombreux mercenaires avaient pris en chasse au cours de cette dernière année mais tous étaient revenus soit bredouille, soit entre quatre planches. Il y avait dans les descriptions faites par les témoins un grotesque contraste entre l'apparence de l'adorable créature hybride et l'aspect diabolique des exactions dont elle s'était rendue responsable et si elle n'avait été traitée lors de ses premières apparitions que comme une nuisance minime, on assimilait aujourd'hui une grande part des feux de forêt à ses passages chaotiques.

C'était donc tout naturellement que la République, après s'être tournée vers les petites mains et les sans-bannières, avait décidé à regret de faire usage de ses forces majeures en faisant appel au Prévôt lui-même; ainsi qu'à certains de ses suivants. S'il était un peu tiré par les cheveux de considérer l'existence de Klak-Klak comme un problème de nature politique, il était impossible d'exclure que l'incapacité des forces de l'ordre à traiter cette menace constituait un aveu de faiblesse et de désorganisation parfaitement inadmissible. La faute n'était pourtant pas entièrement du côté des autorités car poursuivre un monstre miniature capable d'invisibilité et disposant d'une fâcheuse tendance à foutre le feu à tout ce qu'il touchait était chose complexe. La Salamandre ne laissait derrière elle que d'infimes traces et disparaissait comme elle était venue à chaque carnage causé pour ensuite jeter son dévolu sur une autre foret, rendant la tache de sa capture presque insurmontable.

Presque, seulement.

Le Limier entendit l'écho d'un hurlement affolé et malheureusement bien humain. Tournant la tête en direction du son, il sut aussitôt reconnaître le timbre de cette complainte aux faux airs d'appel à l'aide. Arc en main et prêt à en découdre avec le monstre qu'on lui avait décrit, Séraphin fut alors témoin d'un second bruit, bien plus terrible, qui avait précisément la même provenance et qui ne laissait aucune forme de doute quant à la présence de la bête qu'il était venu traquer.

Dans un tintement métallique, la lame du jeune initié vibra lorsqu'elle fut percutée brusquement par le coutelas embrasé du petit être bondissant. L'apprenti Limier, bien que particulièrement talentueux, s'était montré négligent et c'était désormais en maintenant sa main libre contre une plaie profonde qui ornait son flanc qu'il combattait l'animal. Désireux d'impressionner Séraphin, il avait fait preuve d'un zèle certes louable mais qui, bien évidemment, risquait fort de s'avérer léthal.

Klak-Klak était un traqueur, un habile prédateur ayant pour usage de se dissimuler dans les épais feuillages pour prendre l'ascendant sur les proies qu'il avait choisi d'abattre. Il était cependant doté d'une certaine fierté, bestiale par nature mais étrange au demeurant, qui le poussait parfois à s'attaquer de front à ses plus valeureux adversaires. D'où lui venait ce combattif esprit, était ce la preuve d'une intelligence s'étant mue en sadisme ? Nul ne le savait mais lorsque le jeune bretteur piégé plongea son regard dans celui du fauve aux crocs noirs, il ressentit en son for intérieur l'indiscutable malveillance de cette dernière.

Esquivant un bond menant à un assaut porté par l'incendiaire, le pauvre gaillard à l'armure ensanglantée effectua une pirouette sur le côté pour établir un peu de distance entre lui et son agresseur puis, prenant appui sur un genou, il se mit à canaliser de la magie dans sa main libre pour préparer un projectile aqueux à envoyer sur son adversaire mais lorsque la Salamandre aperçut l'objet fait d'eau qui se formait dans le vide, son sang bouillant ne fit qu'un tour et sa mâchoire se déverrouilla dans un claquement nerveux, s'ouvrant dans un angle impossible alors qu'un épais nuage de fumée noire s'extirpait de sa gueule béante.

Dans un craquement monstrueux, Klak-Klak prit une grande inspiration et souffla vers sa proie un véritable rayon de flammes destructrices. L'apprenti Limier vint par réflexe interrompre sa canalisation magique et plongea une seconde fois sur le côté pour échapper à l'attaque flamboyante de son opposant cruel. Le feu infernal vint démolir deux troncs d'arbre qui s'écroulèrent dans un puissant grondement et Klak-Klak cessa de souffler non sans pousser un grognement bestial. Levant la gueule puis chassant l'excès de fumée et de braise dans un nuage ardent, il reporta son entière attention sur sa cible qui, malgré ses excellents réflexes, avait été partiellement handicapée par le brasier ayant dévoré une partie de sa cuisse. Voyant la mort en face, le jeune homme murmura pour lui-même :

"C'est... c'est la fin..."

La gueule de cauchemar s'ouvrit une seconde fois et de la gorge du fauve, une lueur volcanique naquit à nouveau.

La gueule distordue de la bête vint abruptement se refermer sur les flammes qui en jaillissaient lorsque le son d'une flèche décochée se fit entendre. Bondissant en arrière par réflexe, le petit monstre inversa sa prise sur son sabre rudimentaire et se posta sur ses quatre pattes, le dos rond et la queue tendue verticalement en signe de menace. Faisant frétiller l'extrémité luisante située au bout de ses vertèbres, il vint émettre le sifflement caractéristique d'un serpent à sonnette sur la défensive. La lueur se fit plus imposante, plus évocatrice de la menace qu'incarnait la bête velue et enragée.

Observant de ses prunelles noires la flèche qui avait achevé sa course entre sa proie et lui, Klak-Klak porta ensuite un regard curieux à la silhouette qui venait de s'extirper des ténèbres pour le rejoindre. La tête de la Salamandre se pencha sur le côté tandis qu'émanait de sa gorge un furtif roucoulement et, tout en conservant le silence, l'animal étonné riva ses yeux malins sur la silhouette du Limier qui venait tout juste de se joindre à la fête. D'autres guerriers apparurent et vinrent en aide au combattant blessé mais Klak-Klak estimait malgré le surnombre qu'il n'avait rien à craindre de quelques bipèdes vaguement plus adroits que la moyenne. Ce n'était pas la première fois qu'il se lançait dans des joutes mortelles avec les autorités républicaines, et ce ne serait certainement pas la dernière.

La voix du chef de meute parvint aux oreilles pointues de la petite bête et les deux organes poilus se réorientèrent pour capter les sons avec plus de précision. La truffe de la Salamandre s'agita par réflexe et lorsque l'étranger prononça quelques mots dans la langue des Hommes, le monstre se redressa prestement sur ses pattes arrières, bras repliés contre son poitrail touffu. Incapable de comprendre un traître mot de ce que baragouinait l'être qui lui faisait face, Klak-Klak orienta sa tête agile dans toutes les directions, cherchant en adoptant divers angles d'approches à jauger les émotions transmises par le visage de son vis-à-vis plutôt que de s'intéresser au moins. La Salamandre confuse lut étonnamment peu d'hostilité dans les expressions de l'intrus mais malgré cet état de fait, elle ne pouvait oublier l'affront qu'elle venait de subir.

Son précédent adversaire maniait la plus affreuse des magies, la plus corrompue de toutes : celle de l'eau. Défendre cet énergumène possédé jusqu'à l'os par les flots maudits revenait inévitablement à se faire adversaire du fauve au pelage pourpre. Répétant machinalement les sons qu'il avait entendu, il marmonna de sa voix suraiguë :

"Bouté souvaj."

Dans un rite particulièrement curieux, le monstre doté en effet d'une étincelle d'intelligence se pencha en avant et traça via la pointe de sa lame un trait dans la terre. Franchir cette ligne était pour lui le symbole d'une entrée dans un duel sanglant. Tâchant d'expliquer ce concept farfelu avec ses balbutiements incompréhensibles, il cria à son potentiel opposant :

"Baga' Hachou Iwah Issi. Klak-Klak essé foleh. Ti pa Issi sifé plotih Po'Eldar. Mi Wagh Wagh. Mi Boom Boom. Mi Klak-Klak. Apich ?"

Son dialecte souffrait toujours d'un évident manque de clarté, mais cela ne l'empêchait jamais de se montrer très bavard. Pour une créature qui n'était jamais comprise par personne, il était ironique de voir avec quel entrain Klak-Klak se démenait toujours pour causer avec tout ce qui bougeait, et même ce qui ne bougeait plus; parfois. Adoptant une posture combattive, le monstre s'affaissa sur lui-même et posa l'une de ses pattes avant à terre tout en jonglant de l'autre avec son arme de fortune. Il ouvrit sa gueule pour passer le métal taillé en dague contre ses lèvres brûlantes et, dans un crépitement léger, l'acier s'illumina tandis que la magie explosive s'y insinuait.

Reddition n'était pas un mot contenu dans son maigre vocabulaire...

Pouvoirs:

Les flèches décochées ne manquèrent pas d'attirer l'attention de l'animal qui, dans un réflexe purement né d'un élan d'adrénaline, activa sans le vouloir son camouflage surnaturel en sentant les vibrations des projectiles qui frappaient le sol derrière lui. Effectuant un pas vers l'avant en se tournant vers le son parasite, il changea de teinte en un battement de cils, devenant légèrement plus brun et verdâtre comme dans une instinctive tentative de passer inaperçu. Malheureusement pour lui, il était clairement la cible unique des traqueurs républicains et s'il avait déjà eu l'occasion de se repaître de la chair de nombre d'entre eux, ceux-là étaient à n'en pas douter bien supérieurs en tous points à ses précédents adversaires.

Le plan ficelé à merveille par les Limiers ne manqua pas d'échapper du début à la fin à l'esprit étriqué de la petite bête incendiaire qui se vit baladée de long en large par le pur génie militaire et par la mécanique particulièrement bien huilée dont faisaient preuve les chasseurs de la Nation Bleue. L'oreille de Klak-Klak se tendit dans la direction opposée lorsque le premier opposant se ruait sur lui et quand la Salamandre tourna la tête pour faire face au combattant, ce fut avec une stupeur non dissimulée que les grands yeux noirs de l'animal s'écarquillèrent. Sa perception altérée de la réalité déforma la vue qu'il avait de l'homme aux traits rendus bestiaux par la magie. Pour Klak-Klak, il ne s'agissait plus simplement d'un combat contre un humain, mais bel et bien un duel primal entre deux fauves se départageant une couronne.

La surprise eut raison de la contenance de Klak-Klak et lorsqu'il tenta maladroitement de lever son arme de fortune pour frapper; son arme fut balayée par la force du coup porté sur sa petite main. L'objet déjà fumant et chargé de magie tomba à terre alors que le second assaut suivait déjà. L'ombre manifestée par magie quitta les mains du Limier pour recouvrir en un épais voile d'encre le champ de vision du combattant miniature qui poussa aussitôt un sifflement désapprobateur. Plongé dans le noir; Klak-Klak bondit en arrière par réflexe et tenta de chasser les ténèbres qui embrumaient ses yeux en se griffant le faciès, mais sans succès.

Les mots du Limier parvinrent à ses esgourdes sans être compris mais ils furent bien rapidement étouffés par le crépitement croissant en intensité à l'intérieur. Le coutelas se mit à trembler furieusement tout en luisant de plus belle et; dans un ultime craquement; l'explosif à retardement qu'avait précédemment préparé la bête explosa dans une bourrasque embrasée dont le souffle fut suffisant pour projeter le corps léger de Klak-Klak sur le côté. Les poils légèrement calcinés et malmenés par l'impact; l'hybride roula sur plusieurs mètres avant de retrouver une posture convenable. A quatre pattes; sa queue se tourna pour se poster en arc au dessus de sa tête comme l'aurait fait un scorpion sur la défensive mais du fait de sa cécité; il ne trouvait aucune cible à frapper.

Ce fut à ce moment précis que l'instinct l'emporta sur l'incompréhension et la confusion. Klak-Klak ouvrit la gueule et; contre toute attente, ses yeux furent noircis furent brusquement enveloppés sous une couche de pale lumière. Levant sa gueule béante vers le ciel; il poussa alors un cri invraisemblable; une sorte de hululement vibrant chargé de magie et bien qu'il ne comprenne qu'à peine ce qu'il venait de faire; il usa alors d'un sort hors du commun. Ce ne fut pas l'usuelle magie sauvage dont il était maître qui fut employée mais bel et bien une force dépassant l'entendement : celle du géant des mers le plus immense et majestueux de la création. Imperceptible pour l'œil nu; une onde de choc magique se répandit dans la clairière; dévoilant à Klak-Klak toute présence organique dans un imposant rayon en faisant fi de quelconques camouflages.

Désormais capable d'apercevoir des tâches lumineuses derrière le rideau ténébreux; il sut capter l'entièreté des mouvements élégants des Limiers dissimulés dans les branchages épais et; dans une montée de rage sourde; il ouvrit sa gueule encore plus grand tout en alimentant la fournaise implacable qu'abritait ses entrailles. Se croyant à l'abri de la furie sanguinaire de la bête; les bretteurs négligeaient sans doute la possibilité tout bonnement inenvisageable selon laquelle une once de magie volée au Kraken habitait le corps de la créature et pourtant; c'était bel et bien le cas.

Un rayon de flammes écarlates quitta la gueule de Klak-Klak; frappant non pas Séraphin mais s'orientant en direction des arbres. Traquant la tâche lumineuse lui signalant la présence des Limiers, le fauve suivait au mieux les mouvements des fuyards pour les carboniser tout en faisant inévitablement naître un brasier qui entreprenait déjà de dévorer les arbres.

Pouvoirs Utilisés:

Indifférent aux suppliques des Limiers ainsi que de leur dirigeant, le petit monstre flamboyant continua sans défaillir son œuvre de pure destruction, nappant le bois et les feuillages de ses flammes purificatrices et mordant ainsi par ses assauts brûlants plusieurs agents républicains qui furent touchés par delà leurs couvertures. Galvanisé par les cris de ses opposants devenus proies, Klak-Klak maintint son rayon carbonisant durant de longues secondes et s'il entendit les hurlements plaintifs d'un Séraphin dépassé par les évènements, il n'y accorda pas le moindre crédit. L'empereur des forêts bleues avait été offensé et son courroux allait irrémédiablement s'abattre sur tout et tout le monde.

Alors que Klak-Klak se croyait pleinement maître de ce conflit dont il venait d'altérer l'issue en un battement de cils, il ressentit à peine l'inconvenante froideur des doigts glacés qui se frayaient un chemin le long de son échine. Un voile de ténèbres étiré par la magie du Limier en charge de l'expédition enveloppa son petit corps, s'étirant en une toile tentaculaire qui acheva sa croissance en formant une solide muselière d'ébène. L'aveuglante lumière générée par les flammes se tut brusquement et le grondement du volcan intérieur de Klak-Klak redoubla d'intensité alors qu'il portait ses petites griffes à sa gueule refermée.

Se débattant furieusement pour échapper à ce piège de noirceur qui limitait ses mouvements, la Salamandre griffa la surface éthérée pour s'en dépêtrer mais fut prise de vitesse par une volée de flèches plus précises que les autres et lorsque Klak-Klak tenta de bondir pour y réchapper, il fut maintenu en place par les ombres et touché de plein fouet au flanc. Malgré l'épaisseur extraordinaire de son pelage carmin, le petit monstre velu fut violemment perforé par les projectiles et même s'il était tout bonnement étranger à la douleur, il sut toutefois qu'il avait été blessé. N'ayant pas dans l'idée de se laisser abattre pour si peu, Klak-Klak fit vibrer sa queue qui se mit à sonner furieusement tout en s'illuminant et il vint frapper le sol d'un coup rageur qui déclencha une explosion massive.

La terre fut retournée par la détonation brutale et la nappe d'ombre fut anéantie ensuite, rompant ainsi le lien entre la bête et celui qui la tenait captive. Klak-Klak s'agita furieusement en se roulant en boule lorsqu'il fut libéré de l'étreinte sépulcrale mais les flèches logées dans son cuir l'empêchèrent de se mouvoir convenablement et il ne put donc que s'éloigner d'une poignée de mètres avant d'être contraint d'arracher les projectiles à l'aide de ses dents. Vexé comme un poux et profondément fâché d'avoir été ainsi atteint dans son intégrité physique, Klak-Klak poussa une série de caquètements furieux et montra ses crocs charbonneux tout en exhibant ses gencives.

Le brasier né de l'impétueuse attaque de Klak-Klak continua sa progression, traçant autour des deux combattants un cercle de feu toujours grandissant donc les autres Limiers allaient devoir s'extirper d'une manière ou d'une autre s'ils tenaient à garder la vie sauve. Klak-Klak porta au petit carquois de cuir qu'il portait en bandoulière l'une de ses pattes griffues et vint en extirper un couteau de métal tordu, sur lequel il fit glisser sa langue. Comme précédemment, l'acier partiellement fondu se mit à luire en crépitant brièvement, annonçant une explosion à venir.

A cet instant, le monstre poussa un rugissement aigu et fila sur son adversaire, lame en avant.

Pouvoirs Utilisés:

Klak-Klak était certes parfaitement étranger à toute notion concernant de près ou de loin les possessions démoniaques et les rites blasphématoires qu'elles impliquaient mais lorsqu'il vit les tatouages englober la silhouette du Limier et que sa posture ainsi que son attitude changea du tout au tout, il sut de manière purement instinctive qu'il faisait face à un être n'ayant rien à voir de près ou de loin avec celui qu'il avait affronté jusqu'à présent. Déboussolé par cette transformation qu'il percevait par le prisme limité de sa bestiale compréhension du monde qui l'entourait, il fut désarçonné au point de se laisser désarmer par son opposant.

Sans rien comprendre à l'aisance avec laquelle il se faisait balader, le petit monstre lancé sur sa cible comme un taureau percevait à peine la perte de son arme que déjà, il valsait dans une spirale si adroite qu'elle en devenait élégante avant d'être propulsé face contre terre avec une brutalité sans nom. La vitesse et la précision extraordinaire de l'opposant avait été telle que, du fait de l'élasticité données à ses membres lors de ses gestes impensables, il avait fait claquer le petit corps de la bête avec une force dépassant l'entendement. La Salamandre poussa un couinement de surprise lorsque l'air contenu dans ses poumons le quitta abruptement et alors que son souffle se coupait suite à l'impact, il fut enserré par les ombres qui l'assaillaient pour former une nouvelle toile tentaculaire autour de son corps.

La Salamandre n'était pas une bête craintive par nature. Son sang mêlant celui des descendants des dragons avait été associé par hybridation à celui de l'un des petits fauves les plus voraces et féroces du règne animal et la peur de la mort lui était donc presque étrangère, surtout en situation de duel. Lorsque la voix du Démon lui parvint dans une vocifération éthérée, le poil de l'animal se hérissa pourtant et son corps tout entier se figea tandis que ses oreilles pointues se tendaient à la verticale. Dans son affolement évident, il adopta contre toute attente une stratégie parfaitement inadaptée à la solution et vint changer de couleur à plusieurs reprises. Des motifs circulaires se dessinèrent sur son pelage métamorphe, le rouge devint brun puis vert, gris puis orangé. De multiples transformations s'opérèrent et par réflexe, Klak-Klak devint au fil de ces changements de teinte aussi noir que la nuit.

Sous sa poigne monstrueuse, le Limier put ressentir le petit cœur de la créature qui s'emballait. Aussi touffu que brûlant, le corps de l'hybride incendiaire se raidit au contact des griffes mais il cessa entièrement de se mouvoir, comme si l'ordre donné par son opposant avait réussi malgré la barrière linguistique à se frayer un chemin jusqu'à sa caboche miniature. L'œil luisant de l'animal se tourna vers le haut et les deux adversaires échangèrent un regard long et appuyé. Klak-Klak poussa plusieurs reniflements bruyants mais se mura néanmoins dans un mutisme tout à fait extraordinaire pour lui.

Vaincu.

Pour le moment, tout du moins.

Pouvoirs Utilisés:

La Salamandre ne voyait dans les jeux de pouvoir que la plus primale et la plus brutale des violences : celle de l'être qui est dévoré au profit de celui qui s'alimente. Proie et Prédateur, victime et vainqueur, les fondements d'un royaume sauvage constituant sa seule réalité. Il voyait pourtant dans les yeux de cet être défiant toute vraisemblance autre chose, un aspect de la chasse dont Klak-Klak avait été privé durant son entière existence et auquel il avait pourtant été destiné à sa génèse. Bien qu'impulsif et profondément barbare, le petit monstre incendiaire avait été conçu jadis pour servir les dessins d'autrui, pour œuvrer non pas dans l'absolu chaos mais la servitude la plus totale.

Fuyant cette nature que ses créateurs déments avaient bâti pour lui, Klak-Klak avait jusqu'à présent renier cette idée, combattu cette réalité trop rude à porter pour sa cervelle qui n'aspirait qu'à la destruction et à l'absorption du pouvoir de ses innombrables cibles. Il lisait, pour la première fois de sa courte existence, une toute autre réalité que celle qu'il avait toujours cru connaître et maîtriser.

Il y avait d'autres régents, il y avait d'autres êtres capables de dompter plus faible qu'eux et d'imposer leur volonté à autrui.

Le discours de l'être démoniaque lui échappait mais, comme il l'avait été lors de la bataille de Kaizoku; il se sentit subjugué par l'essence de cette étrange entité qui lui dictait sa volonté. Il se revit face à l'oeil colossal qui avait déchiré les cieux de l'île aux pirates, il se fit à nouveau témoin de l'inexorable chute de cette météorite faite de magie ancestrale. Il se sentit tout petit, englouti par des forces qui ne pouvaient que le dépasser, lui et son petit esprit étriqué.

Comme un faucon prenant son envol à l'approche d'une catastrophe, comme un chien figé de terreur par un tremblement de terre en approche, Klak-Klak s'immobilisa alors qu'étaient appliqués sur son pelage des liens pensés pour restreindre sa folie impétueuse. Son camouflage noir se dissipa et ses poils s'empourprèrent à nouveau alors qu'un ronronnement de peur émanait de sa gorge harnachée avec force.  Il prenait tout juste conscience de sa mortalité et de l'ampleur de cette rencontre bien peu fortuite qu'il venait de faire.

Les yeux noirs de la bête ligotée soutenaient avec insistance ceux de l'obscure silhouette qui la surplombait et, sous le regard inquiet d'un Limier se sachant seul face à deux monstruosités, un pacte prononcé dans une langue que les Hommes ne pouvaient comprendre se fit. Pas un mot ne quitta la gueule muselée de la créature pourtant bien trop bavarde, pas un glapissement ne vint trahir son mécontentement. C'était dans l'absolue désolation et le sépulcral silence que cette sordide histoire trouverait sa conclusion.

Dressé sur ses pattes arrières, Klak-Klak retomba une fois mais s'imposa la bipédie, tâchant de se tenir aussi droit que possible face à cet être qu'il ne savait comment traiter. Devait-il mordre, fuir ou suivre ?