Citoyen du monde
Karsa
Messages : 43
crédits : 1705
crédits : 1705
Info personnage
Race: Ombra
Vocation: Mage élémentaliste
Alignement: Loyal Mauvais
Rang: D
Il n’y a pas de lumière sans ombre
Pas d’ombre sans lumière.
Telle est une des lois de ce monde. Elle était venue au monde dans l'obscurité la plus totale, entourée des siens qui attendaient sa venue, silencieusement. Elle arriva sans un bruit, seulement dans le bruissement d’une végétation qui l’entourait avec précaution. C’était l'île qui laissait venir son enfant dans le vrai monde avec prudence. Elle fut accueillie par des mains cajoleuses, de douces chansons et un ciel profondément noir, provoquant chez elle une sentiment d’immensité. C’est à ce moment que son nom lui fut donné. Ainsi baptisée, elle se tourna vers ce ciel qui semblait la happer. Elle se sentait entière et faisant partie d’un tout.
C’était, encore à ce jour, l’un des souvenirs qu’elle chérissait le plus au monde.
***
Elle ouvrit les yeux. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas rêvé de sa naissance. Karsa releva la tête, et adressa ses remerciements à l'Existence grâce à qui ce songe fut rendu possible. L’ombra se releva, époussetant sa longue cape noire, souillée par la neige fondue et la poussière. Les habits que lui avait offert Maria étaient encore anormalement propres, aussi elle plissa la jupe de sa tunique, l’image de la jeune fossoyeuse flottant dans son esprit. Elle avait fait son choix, et ne ferait pas marche arrière.
L’adoratrice remit sa capuche, afin de se protéger du froid et de dissimuler son nouveau masque. Elle en avait confectionné un, blanc aux marquages noirs, voulant rappeler les traits d’une chouette. Réajustant ce dernier, elle était enfin prête à reprendre sa route. Elle savait déjà où elle devait aller, voyageant entre chien et loup pour avancer plus rapidement. Un endroit bien particulier, qui avait besoin d’elle. Et de Lui.
Elle se mit en marche, sa silhouette flottant entre les ombres crépusculaires, s’engouffrant toujours plus profondément dans des bois sombres.
Après une nuit de marche, elle arriva enfin à sa destination. Elle se tenait à l’orée du bois, une masse sombre avachie sur son épaule. Niché au creux d’une colline, non loin d’une chaîne de montagnes, le hameau de Sova s’y dessinait. Malmené par les événements de son territoire, il ne restait que quelques habitations modestes, dont certaines étaient en piteux état. Quelques ruines de maisons, autrefois certainement splendides, jonchaient le sol gadouilleux. Vestiges et réminiscences d’un passé douloureux, certaines habitations avaient été brûlées.
Karsa contemplait ce paysage morne. Ses yeux ne pouvaient être distingués à travers son masque, aussi personne n’aurait pu voir qu’ils étaient rieurs.
Elle se mit enfin en route vers le hameau, laissant une traînée de sang derrière elle.
Les lieux étaient déserts, silencieux. Le peu de vie qui habitait cet endroit ne s’était pas encore éveillé. Karsa avait repéré de son perchoire une demeure plus grande et en meilleure état que les autres, un peu plus au centre du hameau. Un ruisseau traversait le bourg, et la silhouette d’un puits se dessinait un peu à l’écart des habitations. Un pont de pierres, à moitié effondré, reliait jadis une route maintenant impraticable. Sova était livrée à elle-même. L’ombra enjamba le ruisseau, non sans marcher dans une grand flaque d’eau gelée, qui craqua sous son poids. Elle pouvait sentir qu’on l’observait, aussi elle cala plus confortablement la masse informe qui pendait lamentablement sur épaule. Elle aurait voulu faire une entrée plus majestueuse, mais sa prise était lourde, alors la jeune femme arriva courbé et titubante devant la porte de bois sculptée de la maison qu’elle avait choisie. Elle toqua fortement, trois fois, et attendit. Elle entendit des chuchotements, puis des pas. La porte s'entrouvrit et le visage d’un homme apparut. Un air méfiant et bravache, le personnage ouvrit en grand, une main assurée sur une masse cloutée. La rôdeuse ne se démonta pas et laissa enfin choir au sol le cadavre qu’elle transportait depuis les hauteurs.
- Je vous ai débarrassé d’un problème. Dit-elle sans cérémonie.
L’homme fut décontenancé. Au sol gisait un loup, manifestement mort. Son corps était lardé de coups de dague. Un femme surgit d’une pièce adjacente de la où ce trouvait le villageois et poussa un cri de surprise. Il se reprit bien vite, et secoua la tête.
- Vrai. Que veut la dame en échange ?
- Un hébergement pour les prochains jours, le col est infranchissable pour le moment.
- C’est que…Hésita l’homme, en ne quittant pas la masse sans vie des yeux.
- Ruslan… Intervint la femme, d’une voix apeurée.
- Tais-toi femme ! On est pas bien riche ici, voyageuse. Faudra vous débrouiller pour manger, ma famille passe avant une parfaite inconnue, aussi serviable soit-elle. Asséna le dénommé Ruslan, en bombant le torse, prêt à dégainer son arme. Karsa leva une main en signe d’apaisement.
- Je comprends tout à fait, comme je vous ai dit, un endroit où dormir ira parfaitement.
- Bien. Entrez. Laissez la bête dehors, on s’en occupera plus tard avec mon fils.
- Je vous remercie.
La jeune femme masquée pénétra dans la maison, d’un pas feutré. Éclairée de plusieurs bougies, décorée modestement de tapisseries brodées et aux poutres sculptées, la pièce dans laquelle se trouvait Karsa devait être la pièce de vie de la famille. Une grande table en bois, un banc, des fleurs qui séchaient au plafond et un vieux poêle amenageaient l’espace. Une odeur de potage flottait dans l’espace, et semblait venir de la pièce d’à côté. L’ombra s’asseya sur l'extrémité du banc, et abaissa sa capuche. Ruslan revint vers elle, un chope en étain dans la main. Il la posa devant l’aventurière.
- Pour votre peine. Marmonna-t-il. Elle le remercia et se pencha pour humer la boisson. C’était un jus de pomme chaud aux épices. La jeune femme souleva légèrement son masque afin d’en boire gorgée par gorgée. - Ce serait pas plus simple de l’enlever ? Observa l'homme qui se préparait visiblement à sortir.
- Je ne pense pas qu’il vous serait très agréable que je l’enlève. Le villageois haussa les épaules.
- Pour ce que j’en ai à faire, on en a vu d’autres par ici. Ruslan se gratta nerveusement la barbe, et commença à s’habiller pour affronter le froid de l’extérieur.
- La guerre ? Demanda-t-il en évitant de la regarder. Elle ne mit pas longtemps avant de comprendre qu’il devait parler de son visage. Elle se mit à sourire.
- Oui.
-Je vois, je vois. Répondit simplement le l’homme, toujours sans la regarder. Il s'affairait à préparer une besace, avec plusieurs cordes, un couteau de chasse et une gourde. Karsa prit une nouvelle lampée de jus, et se frotta les mains. Malgré les gants de cuir qu’elle portait, des engelures avaient commencé à meurtrir sa peau, et cela lui démangeait.
- Je dois partir. Ramener ce que je peux. Tatiana ! Je vous présente ma femme. Tania, je te laisse avec…?
- Vera.
-…Vera. N’ennuie pas trop notre hôte, je rentrerais avant la nuit.
- D’accord. Une jeune femme à la chevelure rousse séparée en deux tresses, vêtue d'une blouse épaisse, d'une jupe de laine et d'un tablier brodé regardait tour à tour son mari et l'étrangère qui était assise sur son banc.
Visiblement mal à l'aise, elle croisa ses bras contre sa poitrine, se qui fit tinter les colliers de perles en verre qu'elle portait autour du cou. Ruslan, à présent bien couvert et armé de sa masse ainsi que d’une arbalète, s’engouffra dehors, repoussant d’une botte usée la dépouille du loup sur le parvis. Karsa attendit que les bruits des pas du chasseur soit effacés par la neige et le vent pour se tourner vers la jeune femme rousse qui l’observait à la dérobée, sans oser s’approcher d’elle.
- Enchantée, Tatiana.
L’adoratrice remit sa capuche, afin de se protéger du froid et de dissimuler son nouveau masque. Elle en avait confectionné un, blanc aux marquages noirs, voulant rappeler les traits d’une chouette. Réajustant ce dernier, elle était enfin prête à reprendre sa route. Elle savait déjà où elle devait aller, voyageant entre chien et loup pour avancer plus rapidement. Un endroit bien particulier, qui avait besoin d’elle. Et de Lui.
Elle se mit en marche, sa silhouette flottant entre les ombres crépusculaires, s’engouffrant toujours plus profondément dans des bois sombres.
Après une nuit de marche, elle arriva enfin à sa destination. Elle se tenait à l’orée du bois, une masse sombre avachie sur son épaule. Niché au creux d’une colline, non loin d’une chaîne de montagnes, le hameau de Sova s’y dessinait. Malmené par les événements de son territoire, il ne restait que quelques habitations modestes, dont certaines étaient en piteux état. Quelques ruines de maisons, autrefois certainement splendides, jonchaient le sol gadouilleux. Vestiges et réminiscences d’un passé douloureux, certaines habitations avaient été brûlées.
Karsa contemplait ce paysage morne. Ses yeux ne pouvaient être distingués à travers son masque, aussi personne n’aurait pu voir qu’ils étaient rieurs.
Elle se mit enfin en route vers le hameau, laissant une traînée de sang derrière elle.
Les lieux étaient déserts, silencieux. Le peu de vie qui habitait cet endroit ne s’était pas encore éveillé. Karsa avait repéré de son perchoire une demeure plus grande et en meilleure état que les autres, un peu plus au centre du hameau. Un ruisseau traversait le bourg, et la silhouette d’un puits se dessinait un peu à l’écart des habitations. Un pont de pierres, à moitié effondré, reliait jadis une route maintenant impraticable. Sova était livrée à elle-même. L’ombra enjamba le ruisseau, non sans marcher dans une grand flaque d’eau gelée, qui craqua sous son poids. Elle pouvait sentir qu’on l’observait, aussi elle cala plus confortablement la masse informe qui pendait lamentablement sur épaule. Elle aurait voulu faire une entrée plus majestueuse, mais sa prise était lourde, alors la jeune femme arriva courbé et titubante devant la porte de bois sculptée de la maison qu’elle avait choisie. Elle toqua fortement, trois fois, et attendit. Elle entendit des chuchotements, puis des pas. La porte s'entrouvrit et le visage d’un homme apparut. Un air méfiant et bravache, le personnage ouvrit en grand, une main assurée sur une masse cloutée. La rôdeuse ne se démonta pas et laissa enfin choir au sol le cadavre qu’elle transportait depuis les hauteurs.
- Je vous ai débarrassé d’un problème. Dit-elle sans cérémonie.
L’homme fut décontenancé. Au sol gisait un loup, manifestement mort. Son corps était lardé de coups de dague. Un femme surgit d’une pièce adjacente de la où ce trouvait le villageois et poussa un cri de surprise. Il se reprit bien vite, et secoua la tête.
- Vrai. Que veut la dame en échange ?
- Un hébergement pour les prochains jours, le col est infranchissable pour le moment.
- C’est que…Hésita l’homme, en ne quittant pas la masse sans vie des yeux.
- Ruslan… Intervint la femme, d’une voix apeurée.
- Tais-toi femme ! On est pas bien riche ici, voyageuse. Faudra vous débrouiller pour manger, ma famille passe avant une parfaite inconnue, aussi serviable soit-elle. Asséna le dénommé Ruslan, en bombant le torse, prêt à dégainer son arme. Karsa leva une main en signe d’apaisement.
- Je comprends tout à fait, comme je vous ai dit, un endroit où dormir ira parfaitement.
- Bien. Entrez. Laissez la bête dehors, on s’en occupera plus tard avec mon fils.
- Je vous remercie.
La jeune femme masquée pénétra dans la maison, d’un pas feutré. Éclairée de plusieurs bougies, décorée modestement de tapisseries brodées et aux poutres sculptées, la pièce dans laquelle se trouvait Karsa devait être la pièce de vie de la famille. Une grande table en bois, un banc, des fleurs qui séchaient au plafond et un vieux poêle amenageaient l’espace. Une odeur de potage flottait dans l’espace, et semblait venir de la pièce d’à côté. L’ombra s’asseya sur l'extrémité du banc, et abaissa sa capuche. Ruslan revint vers elle, un chope en étain dans la main. Il la posa devant l’aventurière.
- Pour votre peine. Marmonna-t-il. Elle le remercia et se pencha pour humer la boisson. C’était un jus de pomme chaud aux épices. La jeune femme souleva légèrement son masque afin d’en boire gorgée par gorgée. - Ce serait pas plus simple de l’enlever ? Observa l'homme qui se préparait visiblement à sortir.
- Je ne pense pas qu’il vous serait très agréable que je l’enlève. Le villageois haussa les épaules.
- Pour ce que j’en ai à faire, on en a vu d’autres par ici. Ruslan se gratta nerveusement la barbe, et commença à s’habiller pour affronter le froid de l’extérieur.
- La guerre ? Demanda-t-il en évitant de la regarder. Elle ne mit pas longtemps avant de comprendre qu’il devait parler de son visage. Elle se mit à sourire.
- Oui.
-Je vois, je vois. Répondit simplement le l’homme, toujours sans la regarder. Il s'affairait à préparer une besace, avec plusieurs cordes, un couteau de chasse et une gourde. Karsa prit une nouvelle lampée de jus, et se frotta les mains. Malgré les gants de cuir qu’elle portait, des engelures avaient commencé à meurtrir sa peau, et cela lui démangeait.
- Je dois partir. Ramener ce que je peux. Tatiana ! Je vous présente ma femme. Tania, je te laisse avec…?
- Vera.
-…Vera. N’ennuie pas trop notre hôte, je rentrerais avant la nuit.
- D’accord. Une jeune femme à la chevelure rousse séparée en deux tresses, vêtue d'une blouse épaisse, d'une jupe de laine et d'un tablier brodé regardait tour à tour son mari et l'étrangère qui était assise sur son banc.
Visiblement mal à l'aise, elle croisa ses bras contre sa poitrine, se qui fit tinter les colliers de perles en verre qu'elle portait autour du cou. Ruslan, à présent bien couvert et armé de sa masse ainsi que d’une arbalète, s’engouffra dehors, repoussant d’une botte usée la dépouille du loup sur le parvis. Karsa attendit que les bruits des pas du chasseur soit effacés par la neige et le vent pour se tourner vers la jeune femme rousse qui l’observait à la dérobée, sans oser s’approcher d’elle.
- Enchantée, Tatiana.
Citoyen du monde
Karsa
Messages : 43
crédits : 1705
crédits : 1705
Info personnage
Race: Ombra
Vocation: Mage élémentaliste
Alignement: Loyal Mauvais
Rang: D
Tatiana avait toujours eu peur. Peur des bois la nuit, peur des bruits de pas à l’extérieur, peur de l'obscurité. C’était une enfant craintive, qui fut mariée peut-être trop vite à un jeune homme plein d'orgueil. Elle ne comprenait pas pourquoi il s’acharnait à rester en ces lieux maudits, privant ainsi sa femme et son fils d’une vie nouvelle ailleurs. La maison de ses beaux-parents avait brûlé, avec les autres. Il n’en restait plus que quelques fragments de bois peint, et un épitaphe avait été inscrit sur une pierre non loin des ruines avec la devise familiale. “Gloire dans la grâce de mon sang”. Tatiana détestait cette devise. Elle en avait demandé la signification à Ruslan, autrefois. Il lui avait expliqué, les yeux emplis de fierté, ce que cela représentait pour lui et sa famille. Rien n’avait fait sens pour la jeune fille. Aucune grâce n’était à trouver dans le sang, encore moins celui des êtres aimés. Il n’y eut aucune gloire non plus lors ce qu’il durent enterrer ses beaux-parents, sans réelle cérémonie par peur des représailles. La guerre emporte tout, efface tout, ravage tout.
Sova s’était comme figée dans le temps. Ce qui pouvait être réparé avait été réparé. Ce qui avait été brûlé ou détruit restait intouché. Comme par respect. Tatiana trouvait cela hypocrite. Les gens qui avaient habité ses ruines étaient soit morts, soit réfugiés ailleurs depuis des lunes. Rien ne servait de laisser ses squelettes de souvenirs joncher le hameau. Pourtant, personne n’avait voulu s’y affairer. Pis encore, Ruslan était adamant sur le fait de préserver “l’âme” de Sova. Mais quelle âme ? Une âme meurtrie, hantée par ses fantômes et son atmosphère lugubre ? Malheureusement, elle n’avait pas son mot à dire. Ce n’était déjà pas une créature au fort caractère, mais elle était encore plus discrète depuis les tragiques événements ayant bouleversé leur monde.
Elle faisait des cauchemars. Chaque nuit, sans exception. Chaque cauchemar était si réel, si détaillé, qu’elle avait développé une réelle phobie d’aller se coucher. Elle essayait de se fatiguer le plus possible avant l’affreux moment où elle devait se glisser sous les couvertures et fermer les yeux. Elle coupait les tronçons de bois servant à alimenter le poêle jusqu'à ce que ses bras en soient courbaturés. Si son fils souhaitait entendre un énième conte, alors il aura son énième conte. Si la vieille Nadezhda avait besoin qu’on lui chauffe son lit, qu’on l’aide à monter ses escaliers, qu’importe l’heure, alors elle était la première à s’y rendre. Qu’importe la tâche, tant qu’elle pouvait s’y fatiguer autant que faire se peut. Pour éviter le moment qu’elle redoutait le plus. Se retrouver, seule, dans l’obscurité, à chercher le sommeil. Car même avec un mari dans son lit, on est toujours seul face au sommeil. La respiration paisible de Ruslan ne la rassurait plus. Des ombres qui dansaient au plafond, créées par la lumière de la lune, les bruits des bois résonnant dans le hameau, les grincements de la maisonnée. Le moindre son la faisait sursauter, et la peur s’insinuait et grignotait ses entrailles. Quand elle arrivait enfin à s’endormir, loin de la délivrance du repos, s’ouvrait les portes d’un nouvel enfer.
Elle faisait quasiment toujours le même cauchemar.
Il va faire bientôt nuit, et elle doit se dépêcher. Elle est avec les femmes de Sova, préparant les prochaines vivres pour les hommes. Elle est la dernière en ligne, et doit emballer les colis alimentaires. L’ambiance est lourde, angoissante. Le soleil qui se couche est d’une couleur sanguinaire, la silhouette des bois est aussi noire qu’une nuit sans lune, et ses mains tremblent. La femme à côté d’elle, qui lui passe les aliments fait des bruits étranges, mais elle n’ose pas la regarder. Elle referme les colis machinalement, une angoisse irrépressible continuant de la gagner. Elle se rend compte que la nappe blanche est devenue rouge. Elle se demande pourquoi. Puis la femme à côté d’elle l’interpelle, car elle ne va pas assez vite. Tatiana baisse alors les yeux, et s’apprête à emballer le dernier colis.
Mais ce n’est pas un colis. Elle veut hurler mais rien ne sort. C’est un nouveau-né. Ensanglanté, les yeux exorbités, la bouche tordue en un cri silencieux, le petit être gît sur la table, entre ses mains. La jeune femme reste pétrifiée, cependant la femme d’à côté commence à la gronder. D’autres réprimandes se font entendre du côté des femmes.
-Fais ton travail !
- Fais-le !
- Emballe-le !
- Emballe le colis !
- Continue, continue !
Des larmes commencent à couler des yeux de Tatiana, et en pleurs, elle emballe le nouveau-né et le place dans le panier. L’instant paraît durer une éternité, et les yeux du fœtus semblent la fixer. Une fois cette tâche horrible accomplie, Tatiana ne retient plus ses sanglots, et s'appuie contre la table pour ne pas s’effondrer. Les bruits de sa voisine sont devenus insupportables, aussi elle tourne la tête pour ne pas la regarder. Sa voisine dépose un nouveau colis devant la jeune femme. La peur explose au sein de son être, et elle ne peut plus bouger. Elle ne veut pas voir.
Traîtresse !
Fais ton travail !
Continue, continue !
Emballe-le, emballe-le !
Tatiana !
Dans un hurlement, Tatiana se retourne vers le colis, pour y découvrir un nouvel enfant décédé. Plus déformé, plus misérable. Révoltée, elle se retourne enfin vers ses comparses, qui ne sont plus que des farces d’êtres humains. La bouche béante et les yeux noirs, elles scandent, chantent, encouragent Tatiana à continuer sa besogne. Horrifiée, la jeune femme remarque que si la nappe est devenue rouge, c’est à cause du sang versé par les nouveaux-nés. Elle se met alors à hurler, avant que les femmes n’essayent de lui faire emballer la petite victime de force.
Tatiana se réveillait toujours en sueur, en pleurs. Ruslan qui avait l’habitude des terreurs de sa femme, ne se réveillait presque plus pour la rassurer. A quoi cela servait-il ? Rien ne fonctionnait. Pas même la verveine ingurgitée la veille, ni le miel et la valériane mélangés dans du lait tiède. La jeune femme se levait alors, se rincer son visage pâle comme la mort et, pour se calmer brossait sa longue chevelure rousse et les tressait impeccablement. Il en était ainsi depuis maintenant deux ans.
Aussi, quand son chasseur de mari avait accepté d’héberger une parfaite étrangère au sein de leur demeure, Tania n’était pas des plus rassurées. Peu de personnes passaient par le col de Sova pour rejoindre la ville, et elle trouvait cela étrange qu’elle ait même réussi à trouver le hameau. Elle ne voulait pas se montrer ingrate, la voyageuse les avait débarrassés d’un des loups qui s’aventurait trop près des habitations, et avait déjà essayé d’emporter la fillette des Zaitsev. La pauvre petite avait eu le mollet déchiqueté, et le couple avait dû monter sur la capitale afin de lui prodiguer les soins nécessaires. La blessure avait commencé à gangrener, et elle avait bien failli perdre sa jambe. Eux qui rêvaient aussi d’une nouvelle vie dans un autre endroit, les frais médicaux avaient été trop importants, et ils avaient dû se résoudre à rester dans la triste Sova.
Elle était restée à distance, les premiers jours. Puis ne sentant aucune animosité ni dangerosité palpable venant de cette personne, Tatiana avait commencé à se montrer plus loquace. Elle lui donnait de quoi manger discrètement, pour éviter les remontrances de Ruslan. Il aurait certainement râlé, tapé un peu du poing mais rien de plus. Cependant, c’était un peu leur secret à toutes les deux. Tatiana avait commencé à demander à la dénommée Vera d’où elle venait, ce qu’elle avait vu lors de ses voyages. Elle avait entendu la raison pour laquelle Vera portait un masque, alors elle avait eu assez de tact pour ne pas se montrer sans-gêne sur ce sujet. Les deux femmes parlaient de tout et de rien, la voix posée et l’attitude calme de leur invitée faisait beaucoup de bien à la jeune femme. Il arrivait à Vera de sortir de temps en temps, s’aventurant dans les bois, ce qui n’était pas pour plaire à Tania. Or, Vera ramenait souvent des plantes, du bois ou parfois un renard ou du gibier, si bien que même Ruslan avait commencé à se dérider face à elle.
A son arrivée, elle dormait sur une banquette, dans la cuisine. Puis Tania avait jugé bon de la déplacer à l’étage, dans la chambre de Constantin. Bien sûr, elle ne faisait pas passer le confort de son fils au profit d’une reconnaissance envers l’étrangère, cependant, le petit garçon qui n’était pourtant pas très bavard, avait l’air à l’aise avec Vera. C’était un enfant un peu particulier, prompt à faire des crises de larmes sans aucune raison particulière, avec des difficultés pour se concentrer et souvent nerveux. Quand Tania avait surpris son enfant en train de discuter calmement avec la femme masquée, son cœur fut d’abord consumé par une honteuse jalousie. Puis, voyant que Vera lui apportait le même apaisement, comme pour s'amender, elle lui offrit un couchage supplémentaire dans la chambre de son fils. Deux jours à peine étaient-ils passés que déjà, le bambin semblait plus calme. Il écoutait convenablement ses parents, et participait aux tâches quotidiennes de la maisonnée sans broncher. Tatiana aurait voulu se réjouir, pourtant quelque chose l’en empêchait.
Elle les entendait parler, la nuit. Constantin et la voyageuse. Ils chuchotaient dans un flux constant de paroles qu’elle ne comprenait pas, la voix fluette du garçon enrouée de parler si bas. Elle avait essayé d’écouter à la porte de la chambre, mais après s’être collée contre le mur, près de la porte entrebâillée, les murmures avait cessé. Inquiète, Tania s’était risqué à jeter un œil dans la pièce plongée dans la pénombre. Elle ne distinguait aucune forme, pourtant la fenêtre de la chambre laissait entrevoir les lueurs de la nuit. Elle sentit un souffle, et crut entendre un bruissement de plumes. Elle sursauta et, devant elle, se tenait son petit garçon.
- Ce n’est pas bien d’écouter aux portes, Mama.
Paralysée par la peur, la jeune femme crut jurer entrevoir le masque souriant de Vera dans l’obscurité.
Sova s’était comme figée dans le temps. Ce qui pouvait être réparé avait été réparé. Ce qui avait été brûlé ou détruit restait intouché. Comme par respect. Tatiana trouvait cela hypocrite. Les gens qui avaient habité ses ruines étaient soit morts, soit réfugiés ailleurs depuis des lunes. Rien ne servait de laisser ses squelettes de souvenirs joncher le hameau. Pourtant, personne n’avait voulu s’y affairer. Pis encore, Ruslan était adamant sur le fait de préserver “l’âme” de Sova. Mais quelle âme ? Une âme meurtrie, hantée par ses fantômes et son atmosphère lugubre ? Malheureusement, elle n’avait pas son mot à dire. Ce n’était déjà pas une créature au fort caractère, mais elle était encore plus discrète depuis les tragiques événements ayant bouleversé leur monde.
Elle faisait des cauchemars. Chaque nuit, sans exception. Chaque cauchemar était si réel, si détaillé, qu’elle avait développé une réelle phobie d’aller se coucher. Elle essayait de se fatiguer le plus possible avant l’affreux moment où elle devait se glisser sous les couvertures et fermer les yeux. Elle coupait les tronçons de bois servant à alimenter le poêle jusqu'à ce que ses bras en soient courbaturés. Si son fils souhaitait entendre un énième conte, alors il aura son énième conte. Si la vieille Nadezhda avait besoin qu’on lui chauffe son lit, qu’on l’aide à monter ses escaliers, qu’importe l’heure, alors elle était la première à s’y rendre. Qu’importe la tâche, tant qu’elle pouvait s’y fatiguer autant que faire se peut. Pour éviter le moment qu’elle redoutait le plus. Se retrouver, seule, dans l’obscurité, à chercher le sommeil. Car même avec un mari dans son lit, on est toujours seul face au sommeil. La respiration paisible de Ruslan ne la rassurait plus. Des ombres qui dansaient au plafond, créées par la lumière de la lune, les bruits des bois résonnant dans le hameau, les grincements de la maisonnée. Le moindre son la faisait sursauter, et la peur s’insinuait et grignotait ses entrailles. Quand elle arrivait enfin à s’endormir, loin de la délivrance du repos, s’ouvrait les portes d’un nouvel enfer.
Elle faisait quasiment toujours le même cauchemar.
Il va faire bientôt nuit, et elle doit se dépêcher. Elle est avec les femmes de Sova, préparant les prochaines vivres pour les hommes. Elle est la dernière en ligne, et doit emballer les colis alimentaires. L’ambiance est lourde, angoissante. Le soleil qui se couche est d’une couleur sanguinaire, la silhouette des bois est aussi noire qu’une nuit sans lune, et ses mains tremblent. La femme à côté d’elle, qui lui passe les aliments fait des bruits étranges, mais elle n’ose pas la regarder. Elle referme les colis machinalement, une angoisse irrépressible continuant de la gagner. Elle se rend compte que la nappe blanche est devenue rouge. Elle se demande pourquoi. Puis la femme à côté d’elle l’interpelle, car elle ne va pas assez vite. Tatiana baisse alors les yeux, et s’apprête à emballer le dernier colis.
Mais ce n’est pas un colis. Elle veut hurler mais rien ne sort. C’est un nouveau-né. Ensanglanté, les yeux exorbités, la bouche tordue en un cri silencieux, le petit être gît sur la table, entre ses mains. La jeune femme reste pétrifiée, cependant la femme d’à côté commence à la gronder. D’autres réprimandes se font entendre du côté des femmes.
-Fais ton travail !
- Fais-le !
- Emballe-le !
- Emballe le colis !
- Continue, continue !
Des larmes commencent à couler des yeux de Tatiana, et en pleurs, elle emballe le nouveau-né et le place dans le panier. L’instant paraît durer une éternité, et les yeux du fœtus semblent la fixer. Une fois cette tâche horrible accomplie, Tatiana ne retient plus ses sanglots, et s'appuie contre la table pour ne pas s’effondrer. Les bruits de sa voisine sont devenus insupportables, aussi elle tourne la tête pour ne pas la regarder. Sa voisine dépose un nouveau colis devant la jeune femme. La peur explose au sein de son être, et elle ne peut plus bouger. Elle ne veut pas voir.
Traîtresse !
Fais ton travail !
Continue, continue !
Emballe-le, emballe-le !
Tatiana !
Dans un hurlement, Tatiana se retourne vers le colis, pour y découvrir un nouvel enfant décédé. Plus déformé, plus misérable. Révoltée, elle se retourne enfin vers ses comparses, qui ne sont plus que des farces d’êtres humains. La bouche béante et les yeux noirs, elles scandent, chantent, encouragent Tatiana à continuer sa besogne. Horrifiée, la jeune femme remarque que si la nappe est devenue rouge, c’est à cause du sang versé par les nouveaux-nés. Elle se met alors à hurler, avant que les femmes n’essayent de lui faire emballer la petite victime de force.
Tatiana se réveillait toujours en sueur, en pleurs. Ruslan qui avait l’habitude des terreurs de sa femme, ne se réveillait presque plus pour la rassurer. A quoi cela servait-il ? Rien ne fonctionnait. Pas même la verveine ingurgitée la veille, ni le miel et la valériane mélangés dans du lait tiède. La jeune femme se levait alors, se rincer son visage pâle comme la mort et, pour se calmer brossait sa longue chevelure rousse et les tressait impeccablement. Il en était ainsi depuis maintenant deux ans.
Aussi, quand son chasseur de mari avait accepté d’héberger une parfaite étrangère au sein de leur demeure, Tania n’était pas des plus rassurées. Peu de personnes passaient par le col de Sova pour rejoindre la ville, et elle trouvait cela étrange qu’elle ait même réussi à trouver le hameau. Elle ne voulait pas se montrer ingrate, la voyageuse les avait débarrassés d’un des loups qui s’aventurait trop près des habitations, et avait déjà essayé d’emporter la fillette des Zaitsev. La pauvre petite avait eu le mollet déchiqueté, et le couple avait dû monter sur la capitale afin de lui prodiguer les soins nécessaires. La blessure avait commencé à gangrener, et elle avait bien failli perdre sa jambe. Eux qui rêvaient aussi d’une nouvelle vie dans un autre endroit, les frais médicaux avaient été trop importants, et ils avaient dû se résoudre à rester dans la triste Sova.
Elle était restée à distance, les premiers jours. Puis ne sentant aucune animosité ni dangerosité palpable venant de cette personne, Tatiana avait commencé à se montrer plus loquace. Elle lui donnait de quoi manger discrètement, pour éviter les remontrances de Ruslan. Il aurait certainement râlé, tapé un peu du poing mais rien de plus. Cependant, c’était un peu leur secret à toutes les deux. Tatiana avait commencé à demander à la dénommée Vera d’où elle venait, ce qu’elle avait vu lors de ses voyages. Elle avait entendu la raison pour laquelle Vera portait un masque, alors elle avait eu assez de tact pour ne pas se montrer sans-gêne sur ce sujet. Les deux femmes parlaient de tout et de rien, la voix posée et l’attitude calme de leur invitée faisait beaucoup de bien à la jeune femme. Il arrivait à Vera de sortir de temps en temps, s’aventurant dans les bois, ce qui n’était pas pour plaire à Tania. Or, Vera ramenait souvent des plantes, du bois ou parfois un renard ou du gibier, si bien que même Ruslan avait commencé à se dérider face à elle.
A son arrivée, elle dormait sur une banquette, dans la cuisine. Puis Tania avait jugé bon de la déplacer à l’étage, dans la chambre de Constantin. Bien sûr, elle ne faisait pas passer le confort de son fils au profit d’une reconnaissance envers l’étrangère, cependant, le petit garçon qui n’était pourtant pas très bavard, avait l’air à l’aise avec Vera. C’était un enfant un peu particulier, prompt à faire des crises de larmes sans aucune raison particulière, avec des difficultés pour se concentrer et souvent nerveux. Quand Tania avait surpris son enfant en train de discuter calmement avec la femme masquée, son cœur fut d’abord consumé par une honteuse jalousie. Puis, voyant que Vera lui apportait le même apaisement, comme pour s'amender, elle lui offrit un couchage supplémentaire dans la chambre de son fils. Deux jours à peine étaient-ils passés que déjà, le bambin semblait plus calme. Il écoutait convenablement ses parents, et participait aux tâches quotidiennes de la maisonnée sans broncher. Tatiana aurait voulu se réjouir, pourtant quelque chose l’en empêchait.
Elle les entendait parler, la nuit. Constantin et la voyageuse. Ils chuchotaient dans un flux constant de paroles qu’elle ne comprenait pas, la voix fluette du garçon enrouée de parler si bas. Elle avait essayé d’écouter à la porte de la chambre, mais après s’être collée contre le mur, près de la porte entrebâillée, les murmures avait cessé. Inquiète, Tania s’était risqué à jeter un œil dans la pièce plongée dans la pénombre. Elle ne distinguait aucune forme, pourtant la fenêtre de la chambre laissait entrevoir les lueurs de la nuit. Elle sentit un souffle, et crut entendre un bruissement de plumes. Elle sursauta et, devant elle, se tenait son petit garçon.
- Ce n’est pas bien d’écouter aux portes, Mama.
Paralysée par la peur, la jeune femme crut jurer entrevoir le masque souriant de Vera dans l’obscurité.
Citoyen du monde
Karsa
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Tatiana ne savait pas quoi faire. Ruslan était de plus en plus absent, et était irascible. Il revenait souvent échevelé de ses escapades, et lui parlait de “présences” dans les bois. Effrayée, la jeune femme n’avait pas réussi à avoir plus de détails de son compagnon sur ces apparitions. Elle craignait pour la santé de son époux, qui passait certainement trop de temps dans cette forêt maudite. Elle n’arrivait pas à lui confier ce qu’elle avait surpris plusieurs nuits plus tôt. Mais qu’avait-elle surpris au juste ? Elle se passa une main nerveuse sur une de ses tresses plaquées.
Vera s’était fait une place naturellement au sein de la maisonnée, Constantin étant totalement subjuguée par elle, et son mari ne paraissait plus autant dérangé par sa présence. Elle avait même commencé à parler avec d’autres résidents du hameau, dont Nadezhda. La vieille femme, veuve, était ravie d’avoir “du sang neuf” à Sova, et elle et Vera s’enfermait pendant des heures, quand venait le jour, pour faire on ne sait quoi. Tatiana avait l’impression qu’on lui enlevait une à une les personnes qui constellait sa vie. Son fils avait changé, et elle se surprenait parfois à regretter l’ancien bambin nerveux et sanglotant qu’il était.. Certes, ses crises étaient difficiles à gérer, cela mettait Ruslan en rogne, mais c’est ce qui faisait de Constantin, Constantin. Avec ses sautes d’humeurs et ses pleurs, il paraissait infiniment plus humain. Mais maintenant…La femme à la chevelure rousse s’essuya le nez, perdue. Elle mit au four un pain de seigle et alla s’attabler près d’une théière usée.
Quant à Nadezhda, bien qu’elle soit chronophage et que ses demandes soient exigeantes, elle appréciait la vieille femme. Figure d’autorité dans le lieu-dit, c’était chez elle qu’elle allait souvent pour s’occuper ou bien se réfugier. L’atmosphère chez cette veuve était restée chaleureuse, malgré les faits. Tania ne voulait pas être médisante, après tout la voyageuse ne faisait rien de mal. Pourtant, elle ne pouvait se séparer de ce sentiment de malaise chaque fois qu’elle sentait son regard se poser sur elle, dissimulé derrière ce masque étrange. Elle avait bien essayé de la surprendre sans ce masque, mais Vera ne s’en départissait jamais.
- Je peux ? S’éleva une voix près de l'encadrure sculptée de la cuisine.
Vera se tenait là, vêtue de son éternelle tunique noire aux broderies grises, une ceinture venant accentuer sa taille. Ses cheveux étaient joliment peignés, sa coupe au carrée venant épouser les courbes de son masque. Ne pouvant cacher son trouble, Tania renifla et acquiesça silencieusement. La voyageuse s’approcha silencieusement de la table, et se plaça en face de la jeune mère. Avec ses gants noirs et ses habits, Tatiana se fit la réflexion qu’elle lui évoquait une personne de foi. Ce n’était pas grand chose, mais elle se demandait comment elle ne l’avait pas remarqué auparavant, elle qui priait chaque nuit pour un jour meilleur.
- Je vous sers quelque chose ?
- Non je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine.
- Au point où j’en suis avec vous. Ria nerveusement la jeune femme, en attrapant une de ses tresses. Réalisant sa saute d’humeur, elle se reprit rapidement. - Pardon, je ne voulais pas…
- Je comprends votre désarroi Tania.
- Non, je suis juste…
- Fatiguée ?
- Oui.
- Constantin aussi était fatigué. Je n’ai rien fait qui ait pu nuire à son être, vous avez ma parole.
- Vous ne savez rien de lui ! S’écria Tatiana, qui sentait qu’elle pouvait enfin déverser les pensées qu’elle gardait enfouies au fond d’elle depuis l’arrivée de cette étrangère dans son foyer.
- Bien sûr que si. Je sais beaucoup de choses. Je sais qu’il a peur du noir. Vous me direz, beaucoup de personnes ont cette peur. Mais lui, c’est une peur bien particulière. Qui s’articule sur plusieurs éléments précis. Je sais aussi qu’il n’aime pas les fèves que vous préparez le dimanche. Rien contre votre cuisine, il ne supporte juste pas ça. Quoi d'autre...Ah oui...Il est persuadé que son père ne l’aime pas, et que sa mère…
Vera marqua une pause. Tania resta pendue à ses lèvres, ses beaux yeux bruns écarquillés, attendant la suite comme on pouvait attendre une sentence. Elle avait ses deux poings serrés sur la table, les jointures blanchies tant elle les serrait si fort. Sa lèvre inférieure tremblotait, et elle paraissait prête à défaillir.
- Quoi ? Que vous a-t-il dit ? Qu’a dit Constantin ?! Implora-t-elle.
Elle se fichait des fèves. Elle se doutait, douloureusement, que son petit garçon ne se sentait pas aimé de son paternel. Elle le savait et elle n’avait rien fait pour le rassurer. Alors elle attendait. Elle attendait que cette personne lui dise. Qu’elle lui assène ce que son fils avait pu révéler sur elle. Elle ne comprenait pas ce que voulait dire Vera quand elle parlait de sa peur du noir. Ou peut-être le savait-elle et cette idée lui était insupportable. Toujours était-il qu’en cet instant présent, elle sentait le poids du silence et de ces années de solitude à Sova, entourée seulement de ruines, de gadoue et de bois effrayants, allait l’écraser à la prochaine parole de Vera.
La voyageuse, insondable, laissa flotter un silence assourdissant et, avec un geste ampli de douceur, posa une main sur le poing de la jeune femme.
- Il s’inquiète pour vous, Tania. Répondit Vera d’une voix si basse qu’elle en était presque un murmure.
- Il…Il s’inquiète pour moi ? Bégaya la jeune mère en hoquetant. Incrédule, ses pupilles se dilatèrent et lui donnèrent un air halluciné.
- Oui. Il m’a expliqué que vous ne dormiez pas, ou très peu. Il m’a conté vos gémissements, vos cris, vos pleurs la nuit. Constantin aimerait vous aider.
- M’aider ? Constantin ?
- Bien sûr. Il est peiné de voir sa maman être ainsi torturée par des mauvais rêves.
- Mais…Comment…Pourquoi…
- Lui aussi faisait des cauchemars. Très spécifiques. Et récurrents. Quand vous avez eu l’idée, ingénieuse si je peux me permettre, de me mettre dans la même chambre que votre garçon, il s’en est ouvert à moi.
- Il ne m’en a jamais…Je ne savais pas…
- Vous aviez vos propres monstres à affronter, et lui avait les siens. Il était très lucide sur sa situation et la vôtre, ce petit homme.
Tatiana avait le cœur qui battait à tout rompre. Il cognait dans sa poitrine comme le forgeron martelait le fer pour former son métal. Elle remarqua que sa main s’était ouverte à celle de Vera, et l’étrangère la lui tenait maintenant affectueusement, sans s’imposer. Encore sous le choc, la jeune femme prit une inspiration, elle sentit des larmes venir lui brûler les yeux et essaya de se retenir de ne pas fondre en sanglots devant cette parfaite inconnue.
- Constantin…Il va mieux ?
- Bien sûr, vous avez pu en juger par vous même. Son cœur est en paix. Il souhaiterait que celui de sa mère le soit aussi.
- Je ne sais pas comment faire…Tatiana ne put retenir plus longtemps ses larmes. - Je suis si fatiguée, je n’en peux plus. J’ai tout essayé, mais rien n’y fait je ne comprends pas. Ruslan a même émit l’idée que c’était une maladie…Vous savez…Une maladie de l’esprit. Mais je ne suis pas folle ! Et je n’ai même pas su voir la souffrance de mon petit garçon ! Je travaille pourtant dur, je fais ce que je peux pour que tout le monde soit bien loti. Alors pourquoi, Seigneurs, pourquoi ?
Vera se leva, toujours avec cette démarche feutrée. Quand elle lâcha la main de Tania, la rupture de ce contact rassurant failli briser la jeune femme, cependant la voyageuse se plaça devant elle, et la prit dans ses bras. La tête contre le ventre de Vera, Tatiana laissa enfin aller toute sa peine, et déversa un torrent de larmes. Elle s'agrippa dans un geste désespéré à la tunique de celle qui la berçait maintenant comme une enfant, et hurlait de sanglots. La femme masquée lui caressait les cheveux, lui murmurait des mots rassurants, la cajolait. Elles restèrent ainsi enlacées pendant ce qui parut à Tatiana une éternité. Une éternité pour exprimer ses angoisses et sa tristesse, si longtemps contenues et enfermées à double tour dans le cœur de la jeune mère.
Une fois que ses larmes se soient taries, Tatiana était exténuée. Groggy d’avoir tant pleuré, elle avait maintenant la migraine et ses yeux la brûlaient. Ces derniers étaient d’ailleurs mi-clos, les paupières légèrement gonflées. Elle sentit un linge tiède contre son visage, aux senteurs herbacées, apportant du frais sur ses joues en feu. Elle sentit qu’on lui proposait de l’eau, et elle en avala quelques gorgées, en toussotant. Elle prit d'elle-même le linge dans la main afin de ne pas abuser de la gentillesse de son invitée. Elle réussit enfin à retrouver une vision claire, pour voir Vera de retour à sa place originelle, c'est-à-dire en face d’elle. Dans un pauvre sourire, la jeune épouse s’excusa de la piètre image qu’elle avait montré d’elle.
- Ne vous excusez jamais de montrer vos griefs, Tania. Ils façonnent votre être et font partie de vous, n’en ayez jamais honte. Répondit la femme masquée, d’une voix douce.
- Vous êtes ma foi, trop bonne. Elle se moucha, en essayant de faire le moins de bruit possible.
- Je ne fais que mon devoir.
- …
- Qui y a t-il ?
- Pensez-vous…pouvoir m’aider…Comme vous avez aidé Constantin ? La femme à la chevelure rousse renifla. Pour la première fois depuis l’arrivée de Vera, elle la regardait en face, son beau visage encore marqué par les pleurs.
- Bien sûr, Tania. Ce ne sera, cependant, pas une chose aisée.
- Je ferais n’importe quoi. Je souhaite juste pouvoir enfin me reposer et de plus avoir peur.
- Qu’il en soit ainsi.
Vera s’était fait une place naturellement au sein de la maisonnée, Constantin étant totalement subjuguée par elle, et son mari ne paraissait plus autant dérangé par sa présence. Elle avait même commencé à parler avec d’autres résidents du hameau, dont Nadezhda. La vieille femme, veuve, était ravie d’avoir “du sang neuf” à Sova, et elle et Vera s’enfermait pendant des heures, quand venait le jour, pour faire on ne sait quoi. Tatiana avait l’impression qu’on lui enlevait une à une les personnes qui constellait sa vie. Son fils avait changé, et elle se surprenait parfois à regretter l’ancien bambin nerveux et sanglotant qu’il était.. Certes, ses crises étaient difficiles à gérer, cela mettait Ruslan en rogne, mais c’est ce qui faisait de Constantin, Constantin. Avec ses sautes d’humeurs et ses pleurs, il paraissait infiniment plus humain. Mais maintenant…La femme à la chevelure rousse s’essuya le nez, perdue. Elle mit au four un pain de seigle et alla s’attabler près d’une théière usée.
Quant à Nadezhda, bien qu’elle soit chronophage et que ses demandes soient exigeantes, elle appréciait la vieille femme. Figure d’autorité dans le lieu-dit, c’était chez elle qu’elle allait souvent pour s’occuper ou bien se réfugier. L’atmosphère chez cette veuve était restée chaleureuse, malgré les faits. Tania ne voulait pas être médisante, après tout la voyageuse ne faisait rien de mal. Pourtant, elle ne pouvait se séparer de ce sentiment de malaise chaque fois qu’elle sentait son regard se poser sur elle, dissimulé derrière ce masque étrange. Elle avait bien essayé de la surprendre sans ce masque, mais Vera ne s’en départissait jamais.
- Je peux ? S’éleva une voix près de l'encadrure sculptée de la cuisine.
Vera se tenait là, vêtue de son éternelle tunique noire aux broderies grises, une ceinture venant accentuer sa taille. Ses cheveux étaient joliment peignés, sa coupe au carrée venant épouser les courbes de son masque. Ne pouvant cacher son trouble, Tania renifla et acquiesça silencieusement. La voyageuse s’approcha silencieusement de la table, et se plaça en face de la jeune mère. Avec ses gants noirs et ses habits, Tatiana se fit la réflexion qu’elle lui évoquait une personne de foi. Ce n’était pas grand chose, mais elle se demandait comment elle ne l’avait pas remarqué auparavant, elle qui priait chaque nuit pour un jour meilleur.
- Je vous sers quelque chose ?
- Non je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine.
- Au point où j’en suis avec vous. Ria nerveusement la jeune femme, en attrapant une de ses tresses. Réalisant sa saute d’humeur, elle se reprit rapidement. - Pardon, je ne voulais pas…
- Je comprends votre désarroi Tania.
- Non, je suis juste…
- Fatiguée ?
- Oui.
- Constantin aussi était fatigué. Je n’ai rien fait qui ait pu nuire à son être, vous avez ma parole.
- Vous ne savez rien de lui ! S’écria Tatiana, qui sentait qu’elle pouvait enfin déverser les pensées qu’elle gardait enfouies au fond d’elle depuis l’arrivée de cette étrangère dans son foyer.
- Bien sûr que si. Je sais beaucoup de choses. Je sais qu’il a peur du noir. Vous me direz, beaucoup de personnes ont cette peur. Mais lui, c’est une peur bien particulière. Qui s’articule sur plusieurs éléments précis. Je sais aussi qu’il n’aime pas les fèves que vous préparez le dimanche. Rien contre votre cuisine, il ne supporte juste pas ça. Quoi d'autre...Ah oui...Il est persuadé que son père ne l’aime pas, et que sa mère…
Vera marqua une pause. Tania resta pendue à ses lèvres, ses beaux yeux bruns écarquillés, attendant la suite comme on pouvait attendre une sentence. Elle avait ses deux poings serrés sur la table, les jointures blanchies tant elle les serrait si fort. Sa lèvre inférieure tremblotait, et elle paraissait prête à défaillir.
- Quoi ? Que vous a-t-il dit ? Qu’a dit Constantin ?! Implora-t-elle.
Elle se fichait des fèves. Elle se doutait, douloureusement, que son petit garçon ne se sentait pas aimé de son paternel. Elle le savait et elle n’avait rien fait pour le rassurer. Alors elle attendait. Elle attendait que cette personne lui dise. Qu’elle lui assène ce que son fils avait pu révéler sur elle. Elle ne comprenait pas ce que voulait dire Vera quand elle parlait de sa peur du noir. Ou peut-être le savait-elle et cette idée lui était insupportable. Toujours était-il qu’en cet instant présent, elle sentait le poids du silence et de ces années de solitude à Sova, entourée seulement de ruines, de gadoue et de bois effrayants, allait l’écraser à la prochaine parole de Vera.
La voyageuse, insondable, laissa flotter un silence assourdissant et, avec un geste ampli de douceur, posa une main sur le poing de la jeune femme.
- Il s’inquiète pour vous, Tania. Répondit Vera d’une voix si basse qu’elle en était presque un murmure.
- Il…Il s’inquiète pour moi ? Bégaya la jeune mère en hoquetant. Incrédule, ses pupilles se dilatèrent et lui donnèrent un air halluciné.
- Oui. Il m’a expliqué que vous ne dormiez pas, ou très peu. Il m’a conté vos gémissements, vos cris, vos pleurs la nuit. Constantin aimerait vous aider.
- M’aider ? Constantin ?
- Bien sûr. Il est peiné de voir sa maman être ainsi torturée par des mauvais rêves.
- Mais…Comment…Pourquoi…
- Lui aussi faisait des cauchemars. Très spécifiques. Et récurrents. Quand vous avez eu l’idée, ingénieuse si je peux me permettre, de me mettre dans la même chambre que votre garçon, il s’en est ouvert à moi.
- Il ne m’en a jamais…Je ne savais pas…
- Vous aviez vos propres monstres à affronter, et lui avait les siens. Il était très lucide sur sa situation et la vôtre, ce petit homme.
Tatiana avait le cœur qui battait à tout rompre. Il cognait dans sa poitrine comme le forgeron martelait le fer pour former son métal. Elle remarqua que sa main s’était ouverte à celle de Vera, et l’étrangère la lui tenait maintenant affectueusement, sans s’imposer. Encore sous le choc, la jeune femme prit une inspiration, elle sentit des larmes venir lui brûler les yeux et essaya de se retenir de ne pas fondre en sanglots devant cette parfaite inconnue.
- Constantin…Il va mieux ?
- Bien sûr, vous avez pu en juger par vous même. Son cœur est en paix. Il souhaiterait que celui de sa mère le soit aussi.
- Je ne sais pas comment faire…Tatiana ne put retenir plus longtemps ses larmes. - Je suis si fatiguée, je n’en peux plus. J’ai tout essayé, mais rien n’y fait je ne comprends pas. Ruslan a même émit l’idée que c’était une maladie…Vous savez…Une maladie de l’esprit. Mais je ne suis pas folle ! Et je n’ai même pas su voir la souffrance de mon petit garçon ! Je travaille pourtant dur, je fais ce que je peux pour que tout le monde soit bien loti. Alors pourquoi, Seigneurs, pourquoi ?
Vera se leva, toujours avec cette démarche feutrée. Quand elle lâcha la main de Tania, la rupture de ce contact rassurant failli briser la jeune femme, cependant la voyageuse se plaça devant elle, et la prit dans ses bras. La tête contre le ventre de Vera, Tatiana laissa enfin aller toute sa peine, et déversa un torrent de larmes. Elle s'agrippa dans un geste désespéré à la tunique de celle qui la berçait maintenant comme une enfant, et hurlait de sanglots. La femme masquée lui caressait les cheveux, lui murmurait des mots rassurants, la cajolait. Elles restèrent ainsi enlacées pendant ce qui parut à Tatiana une éternité. Une éternité pour exprimer ses angoisses et sa tristesse, si longtemps contenues et enfermées à double tour dans le cœur de la jeune mère.
Une fois que ses larmes se soient taries, Tatiana était exténuée. Groggy d’avoir tant pleuré, elle avait maintenant la migraine et ses yeux la brûlaient. Ces derniers étaient d’ailleurs mi-clos, les paupières légèrement gonflées. Elle sentit un linge tiède contre son visage, aux senteurs herbacées, apportant du frais sur ses joues en feu. Elle sentit qu’on lui proposait de l’eau, et elle en avala quelques gorgées, en toussotant. Elle prit d'elle-même le linge dans la main afin de ne pas abuser de la gentillesse de son invitée. Elle réussit enfin à retrouver une vision claire, pour voir Vera de retour à sa place originelle, c'est-à-dire en face d’elle. Dans un pauvre sourire, la jeune épouse s’excusa de la piètre image qu’elle avait montré d’elle.
- Ne vous excusez jamais de montrer vos griefs, Tania. Ils façonnent votre être et font partie de vous, n’en ayez jamais honte. Répondit la femme masquée, d’une voix douce.
- Vous êtes ma foi, trop bonne. Elle se moucha, en essayant de faire le moins de bruit possible.
- Je ne fais que mon devoir.
- …
- Qui y a t-il ?
- Pensez-vous…pouvoir m’aider…Comme vous avez aidé Constantin ? La femme à la chevelure rousse renifla. Pour la première fois depuis l’arrivée de Vera, elle la regardait en face, son beau visage encore marqué par les pleurs.
- Bien sûr, Tania. Ce ne sera, cependant, pas une chose aisée.
- Je ferais n’importe quoi. Je souhaite juste pouvoir enfin me reposer et de plus avoir peur.
- Qu’il en soit ainsi.
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Il ne savait plus depuis combien de temps il marchait. Il connaissait ces bois par cœur et pourtant il se sentait perdu. Ses doigts enserraient fermement sa hachette, donc le taillant perlait de sang. Ruslan n’avait tué aucun animal. Il n’arrivait plus à se souvenir d’où venait ce sang. Tout ce qu’il savait c’est qu’on l’observait.
Dans les ombres, quelque chose le regardait et se moquait de lui. Il entendait des voix qui dissonnaient, lointaines et proches à la fois. Des voix qui murmuraient son nom. Au début, il fonçait sans réfléchir dans les endroits les plus sombres des bois, tirant à l’aveugle sur ce qu’il pensait être à l’origine de son tourment. Sans succès. Sans s’en rendre compte, il avait commencé peu à peu à ignorer cette présence et à répondre aux chuchotements, vociférant dans sa barbe. La pénombre se moquait de lui, l'encerclait, se mouvait avec perfidie entre les arbres millénaires.
- Ruslan.
Le bruit du vent hivernal sifflait au-dessus de sa tête, faisant gémir la cime des conifères. Cette forêt, c'était sa maison, son seul refuge. Or, depuis l'arrivée de cette étrangère, son monde avait changé.
Sa famille aussi était en train de changer. Entre une femme constamment apeurée et insomniaque et un gamin aussi étrange qu’empoté, il n’avait pas la sensation d’être accompli en tant que chef de famille. Et puis, quelle famille d’abord ? La sienne avait péri dans les flammes, après une attaque aussi sournoise que ravageuse dans son petit village natal. Il ne restait plus rien. Que ces bois et lui.
Son mariage avec Tania n’était pas à l’image de l’union qu’il aurait voulu. Dès le début, elle avait peur de lui. Elle venait d’une bonne famille de Sova et les anciens avaient poussé les deux clans à s’unir, afin de faire front ensemble contre les troupes qui avaient pénétré leur contrée. Au départ, il l’avait trouvé belle, avec ses cheveux roux et ses grands yeux. Elle était capable, volontaire et douée pour les tâches qui incombaient à une jeune fille de son âge. Malgré ses qualités qui auraient rendu n’importe quel homme heureux ou à la rigueur, satisfait, Ruslan n’avait pas réussi à aimer sa compagne. Dès qu’elle avait levé les yeux sur lui, il avait su qu'elle ne l’aimerait jamais. Fuyante, elle ne lui parlait qu’à demi-mots, la tête basse et les épaules tremblantes. Il s’en était senti insulté. Jamais il n’avait levé la main sur quiconque, à part ses chiens et peut-être un ivrogne du coin. Jamais, au grand jamais, il ne se serait abaissé à cogner sur plus faible que soi, encore moins une femme. Il savait qu’il était quelqu’un de bourru et qu’il avait une fâcheuse tendance à grogner plutôt qu'à converser.
- Ruslan, aide-moi.
- TAIS-TOI ! Une flèche fut décochée. Le chasseur entendait son cœur battre, pouvant sentir ses mouvements jusque dans sa gorge. Il déglutit.
Mais il avait du cœur. Il avait tout mis en œuvre afin que Tania et Constantin ne manquent de rien dans une Sova ruinée et désertée.
Rien n’y fit. le jeune homme avait essayé de développer un lien avec son fils, à défaut d’en avoir un avec sa femme. L’enfant n’était en rien de ce qu’il avait imaginé. Quand on lui avait annoncé qu’un fils était né, le chasseur avait cru mourir de joie. Il pouvait enfin avoir quelqu’un avec qui tout partager. Et peut-être que cette naissance miraculeuse rapprocherait aussi les parents de ce fruit inespéré. Que nenni. Constantin avait montré des signes de poltronnerie très tôt dans sa petite enfance, ce qui avait eu le don d'agacer son père. En même temps, avec une mère constamment effrayée pour un oui et pour un non, c’était pas bien étonnant. Ruslan avait essayé de l’endurcir. Malgré les supplications de sa femme, il avait décidé que le bambin l'accompagnerait chasser quotidiennement. La seule chose qu’il pouvait accorder à son gamin, c’est qu’il était discret. Il savait marcher sur le sol sans un craquement de brindilles, sans faire pleurer le bois mort. Il était assez agile, quand il ne pleurnichait pas à la vue d’un lièvre pris dans un piège. C’était à peu près tout. le père de famille ne pouvait même pas reprocher à son fils de se réfugier dans les jupes de sa mère, car le garçon passait la plupart de son temps seul, dans sa chambre ou dans la grange, à baragouiner on ne sait quelle histoire comme un dément.
Il pouvait voir la chose se déplacer lentement mais sûrement vers lui. Allant de tronc en tronc, en osmose avec la neige, le vent et le chant du vent, Ruslan n’arrivait pas à comprendre ni distinguer sa forme réelle. Il crut entendre la voix de son épouse.
- Ruslan.
Ruslan s’était senti trahi. Il avait souvent reproché à Tatiana le fait que leur fils n’était pas comme les autres. C’était certainement de sa faute à elle, avec toutes ses manies. Tania avait pleuré, disant qu’elle n’était pas folle. Il en avait ri. La donzelle n’était pas fichu de dormir comme une grande fille, et hurlait à la mort au beau milieu de la nuit. Si c’était pas un signe ça.
Tout en s'appuyant sur un arbre afin de passer un chemin rocailleux, le chasseur fit une pause. Il était en nage. L’image de son épouse flottant dans son esprit, son cœur se serra. La sensation vicieuse et aiguë de la culpabilité venait de poindre tout doucement dans son ventre.
- Ruslan ?
Il se retourna et se mit à hurler comme un forcené, tel un fauve acculé et blessé essayant dans un dernier effort à faire fuir son assaillant. Il hurla longtemps, et son cri se termina par une quinte de toux douloureuse. Les larmes aux yeux, le père de famille émettait des râles étranglés. Les ombres s’étaient rapprochées.
Elle lui avait demandé de l’aide. Une nuit sans étoiles, elle l’avait réveillé d’une main suppliante. Elle pleurait, encore. C’est ce qu’il avait pensé. Néanmoins, cette fois-ci tout était différent. Tania l’avait regardé dans les yeux, directement et sans faillir. Son épouse lui tenait la main fermement, et sanglotait. Elle lui avait conté ses cauchemars, ses angoisses nocturnes. Elle lui avait confié son envie d’ailleurs, ses peurs concernant leur enfant et son envie d’être une meilleure épouse. Son époux s'en été retrouvé totalement sonné.
Il ne savait pas quoi lui dire. Il se sentait impuissant face à la détresse de cette femme qu’il était sensé protéger. Alors, plutôt que de se risquer à se confier lui-même et de partager ses sentiments, il n’avait rien fait. Il s’était levé et lui avait seulement répondu “rendors-toi, ça ira mieux demain”. C’était fut tout. Il savait qu’elle avait retenu sa main avant qu’il ne se lève. Il n'avait pas réussi à lui faire face. Il avait fuit.
Tatiana n’avait plus jamais essayé de lui parler après ça. Pire, elle s’était encore plus renfermée, et il savait qu’elle ne dormait quasiment plus. Elle dépérissait, et c’était de sa faute. Ses beaux yeux étaient creusés de cernes inquiétantes et il la surprenait à prier d'une voix monocorde dans leur cuisine. Pauvre fille. Ni les dieux ni son mari n'étaient capable de l'entendre.
- Ruslan.
Les ombres se lamentaient.
Il frappa d’un poing rageur contre l’écorce gelée de l’arbre sur lequel il s’était appuyé. Qu’aurait-il pu faire de plus ? A quoi bon ? Si. Il aurait pu lui tenir la main, la prendre dans ses bras. Il aurait dû. Mais pour quoi faire ? Ruslan se mit à haleter. Il entendit craquer derrière lui. Il était suivi. Le chasseur en était persuadé. Tous les jours où il s'enfonçait de plus en plus dans ces bois maudits, une présence le traquait. Elle lui rappelait quel échec d’homme il était. Quel échec sa famille était.
- Ruslan ?
- VIENS ! VIENS, DONC ! hurla-t-il, les yeux exorbités.
Il se retourna vers l’endroit où les arbres étaient plus sombres, plus denses. Ses jointures étaient blanches à présent, à force de serrer si fort le manche de son arme. Ruslan reprit sa respiration. Les chuchotements s’étaient intensifiés, et cognaient dans sa tête de leur ode plaintive.
- RUSLAN, RUSLAN !
Il était désolé, il était fatigué mais surtout, il était en colère. En colère contre sa femme, en colère contre son fils, en colère contre sa famille, partie trop tôt le laissant seul. Il en voulait aux anciens de Sova, il en voulait à la guerre, il en voulait aux Dieux, autrefois adorés, qu’ils le laissèrent comme un porc dans la fange attendant d’être égorgé. Il ne se laisserait pas mourir. Il allait tous les tuer.
- ALLEZ VIENS ! VIENS QU'ON EN FINISSE UNE BONNE FOIS POUR TOUTE !
Les silhouettes dansaient autour de lui, il ne concevait plus rien. Ruslan se mit en garde et commença à donner des coups de hachette avec une force de démené.
Il poussa un dernier hurlement déchirant puis, plus rien.
Dans les ombres, quelque chose le regardait et se moquait de lui. Il entendait des voix qui dissonnaient, lointaines et proches à la fois. Des voix qui murmuraient son nom. Au début, il fonçait sans réfléchir dans les endroits les plus sombres des bois, tirant à l’aveugle sur ce qu’il pensait être à l’origine de son tourment. Sans succès. Sans s’en rendre compte, il avait commencé peu à peu à ignorer cette présence et à répondre aux chuchotements, vociférant dans sa barbe. La pénombre se moquait de lui, l'encerclait, se mouvait avec perfidie entre les arbres millénaires.
- Ruslan.
Le bruit du vent hivernal sifflait au-dessus de sa tête, faisant gémir la cime des conifères. Cette forêt, c'était sa maison, son seul refuge. Or, depuis l'arrivée de cette étrangère, son monde avait changé.
Sa famille aussi était en train de changer. Entre une femme constamment apeurée et insomniaque et un gamin aussi étrange qu’empoté, il n’avait pas la sensation d’être accompli en tant que chef de famille. Et puis, quelle famille d’abord ? La sienne avait péri dans les flammes, après une attaque aussi sournoise que ravageuse dans son petit village natal. Il ne restait plus rien. Que ces bois et lui.
Son mariage avec Tania n’était pas à l’image de l’union qu’il aurait voulu. Dès le début, elle avait peur de lui. Elle venait d’une bonne famille de Sova et les anciens avaient poussé les deux clans à s’unir, afin de faire front ensemble contre les troupes qui avaient pénétré leur contrée. Au départ, il l’avait trouvé belle, avec ses cheveux roux et ses grands yeux. Elle était capable, volontaire et douée pour les tâches qui incombaient à une jeune fille de son âge. Malgré ses qualités qui auraient rendu n’importe quel homme heureux ou à la rigueur, satisfait, Ruslan n’avait pas réussi à aimer sa compagne. Dès qu’elle avait levé les yeux sur lui, il avait su qu'elle ne l’aimerait jamais. Fuyante, elle ne lui parlait qu’à demi-mots, la tête basse et les épaules tremblantes. Il s’en était senti insulté. Jamais il n’avait levé la main sur quiconque, à part ses chiens et peut-être un ivrogne du coin. Jamais, au grand jamais, il ne se serait abaissé à cogner sur plus faible que soi, encore moins une femme. Il savait qu’il était quelqu’un de bourru et qu’il avait une fâcheuse tendance à grogner plutôt qu'à converser.
- Ruslan, aide-moi.
- TAIS-TOI ! Une flèche fut décochée. Le chasseur entendait son cœur battre, pouvant sentir ses mouvements jusque dans sa gorge. Il déglutit.
Mais il avait du cœur. Il avait tout mis en œuvre afin que Tania et Constantin ne manquent de rien dans une Sova ruinée et désertée.
Rien n’y fit. le jeune homme avait essayé de développer un lien avec son fils, à défaut d’en avoir un avec sa femme. L’enfant n’était en rien de ce qu’il avait imaginé. Quand on lui avait annoncé qu’un fils était né, le chasseur avait cru mourir de joie. Il pouvait enfin avoir quelqu’un avec qui tout partager. Et peut-être que cette naissance miraculeuse rapprocherait aussi les parents de ce fruit inespéré. Que nenni. Constantin avait montré des signes de poltronnerie très tôt dans sa petite enfance, ce qui avait eu le don d'agacer son père. En même temps, avec une mère constamment effrayée pour un oui et pour un non, c’était pas bien étonnant. Ruslan avait essayé de l’endurcir. Malgré les supplications de sa femme, il avait décidé que le bambin l'accompagnerait chasser quotidiennement. La seule chose qu’il pouvait accorder à son gamin, c’est qu’il était discret. Il savait marcher sur le sol sans un craquement de brindilles, sans faire pleurer le bois mort. Il était assez agile, quand il ne pleurnichait pas à la vue d’un lièvre pris dans un piège. C’était à peu près tout. le père de famille ne pouvait même pas reprocher à son fils de se réfugier dans les jupes de sa mère, car le garçon passait la plupart de son temps seul, dans sa chambre ou dans la grange, à baragouiner on ne sait quelle histoire comme un dément.
Il pouvait voir la chose se déplacer lentement mais sûrement vers lui. Allant de tronc en tronc, en osmose avec la neige, le vent et le chant du vent, Ruslan n’arrivait pas à comprendre ni distinguer sa forme réelle. Il crut entendre la voix de son épouse.
- Ruslan.
Ruslan s’était senti trahi. Il avait souvent reproché à Tatiana le fait que leur fils n’était pas comme les autres. C’était certainement de sa faute à elle, avec toutes ses manies. Tania avait pleuré, disant qu’elle n’était pas folle. Il en avait ri. La donzelle n’était pas fichu de dormir comme une grande fille, et hurlait à la mort au beau milieu de la nuit. Si c’était pas un signe ça.
Tout en s'appuyant sur un arbre afin de passer un chemin rocailleux, le chasseur fit une pause. Il était en nage. L’image de son épouse flottant dans son esprit, son cœur se serra. La sensation vicieuse et aiguë de la culpabilité venait de poindre tout doucement dans son ventre.
- Ruslan ?
Il se retourna et se mit à hurler comme un forcené, tel un fauve acculé et blessé essayant dans un dernier effort à faire fuir son assaillant. Il hurla longtemps, et son cri se termina par une quinte de toux douloureuse. Les larmes aux yeux, le père de famille émettait des râles étranglés. Les ombres s’étaient rapprochées.
Elle lui avait demandé de l’aide. Une nuit sans étoiles, elle l’avait réveillé d’une main suppliante. Elle pleurait, encore. C’est ce qu’il avait pensé. Néanmoins, cette fois-ci tout était différent. Tania l’avait regardé dans les yeux, directement et sans faillir. Son épouse lui tenait la main fermement, et sanglotait. Elle lui avait conté ses cauchemars, ses angoisses nocturnes. Elle lui avait confié son envie d’ailleurs, ses peurs concernant leur enfant et son envie d’être une meilleure épouse. Son époux s'en été retrouvé totalement sonné.
Il ne savait pas quoi lui dire. Il se sentait impuissant face à la détresse de cette femme qu’il était sensé protéger. Alors, plutôt que de se risquer à se confier lui-même et de partager ses sentiments, il n’avait rien fait. Il s’était levé et lui avait seulement répondu “rendors-toi, ça ira mieux demain”. C’était fut tout. Il savait qu’elle avait retenu sa main avant qu’il ne se lève. Il n'avait pas réussi à lui faire face. Il avait fuit.
Tatiana n’avait plus jamais essayé de lui parler après ça. Pire, elle s’était encore plus renfermée, et il savait qu’elle ne dormait quasiment plus. Elle dépérissait, et c’était de sa faute. Ses beaux yeux étaient creusés de cernes inquiétantes et il la surprenait à prier d'une voix monocorde dans leur cuisine. Pauvre fille. Ni les dieux ni son mari n'étaient capable de l'entendre.
- Ruslan.
Les ombres se lamentaient.
Il frappa d’un poing rageur contre l’écorce gelée de l’arbre sur lequel il s’était appuyé. Qu’aurait-il pu faire de plus ? A quoi bon ? Si. Il aurait pu lui tenir la main, la prendre dans ses bras. Il aurait dû. Mais pour quoi faire ? Ruslan se mit à haleter. Il entendit craquer derrière lui. Il était suivi. Le chasseur en était persuadé. Tous les jours où il s'enfonçait de plus en plus dans ces bois maudits, une présence le traquait. Elle lui rappelait quel échec d’homme il était. Quel échec sa famille était.
- Ruslan ?
- VIENS ! VIENS, DONC ! hurla-t-il, les yeux exorbités.
Il se retourna vers l’endroit où les arbres étaient plus sombres, plus denses. Ses jointures étaient blanches à présent, à force de serrer si fort le manche de son arme. Ruslan reprit sa respiration. Les chuchotements s’étaient intensifiés, et cognaient dans sa tête de leur ode plaintive.
- RUSLAN, RUSLAN !
Il était désolé, il était fatigué mais surtout, il était en colère. En colère contre sa femme, en colère contre son fils, en colère contre sa famille, partie trop tôt le laissant seul. Il en voulait aux anciens de Sova, il en voulait à la guerre, il en voulait aux Dieux, autrefois adorés, qu’ils le laissèrent comme un porc dans la fange attendant d’être égorgé. Il ne se laisserait pas mourir. Il allait tous les tuer.
- ALLEZ VIENS ! VIENS QU'ON EN FINISSE UNE BONNE FOIS POUR TOUTE !
Les silhouettes dansaient autour de lui, il ne concevait plus rien. Ruslan se mit en garde et commença à donner des coups de hachette avec une force de démené.
Il poussa un dernier hurlement déchirant puis, plus rien.
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