Des actions n’est-ce pas? Le jeune demi-ange semble adoucir un tantinet ses propos, nul cynisme ni sarcasme, ce qui dans son habituelle corrosion signifie pour Zelevas que tout n’est pas perdu. Le vieillard jette un bref coup d’oeil en direction de Koraki pour s’assurer que celle-ci est occupée ailleurs, il s’approche un peu plus de l’éphèbe et se retourne pour faire dos à la foule, face à Soren, il baisse le ton et approche légèrement sa tête de l’oreille du jeune homme pour lui susurrer:

”Vous semblez connaître un peu Exousia n’est-ce pas? Elle m’a approché après l’assemblée pour ‘discuter’ avec moi. Comprenez par là qu’elle m’a trainé de force sur un toit, je ne suis pas sûr de son jeu, mais elle semble vouloir se détacher de Mirelda, si jamais il y a de l’avancement vous serez le premier informé. Elle a indiqué son intérêt pour des mesures drastiques en république, il est peut-être possible que Mikael ne soit pas le seul à se détacher des Conservateurs.”

Une potentielle collaboration avec Exousia avait la possibilité de changer bien des choses, surtout depuis son accession en tant que Vice-Présidente. Le seul problème était de savoir si elle comptait jouer franc-jeu ou non.

”Je n’en connais pas suffisamment à son sujet pour pouvoir mieux la cerner, mais tout ceci est peut-être un coup monté pour continuer de nous miner.”

Suite à la remarque de Soren concernant la petite de Casteille, le Z releva la tête pour chercher l’Humaniste du regard, mais c’est une toute autre vue qui s’offrit à lui. Ses yeux bleus aciers d’ordinaire si graves s’écarquillent en apercevant son neveu approcher d’eux, un autre coup d’oeil vers le demi-ange et Zelevas est pris de soulagement en voyant que son collègue a le dos tourné. Rapidement, le vieillard se tourne alors vers le Limier, il connaît ce regard, il connaît le caractère névrosé presque psychotique du jeune homme, il sait qu’il marche sur un fil terriblement fin. L’oncle factice écarte donc les bras comme pour accueillir son arrivée en s’exclamant suffisamment fort pour être entendu à la fois par l’enfant du Razkaal et par le demi-ange insouciant:

”Ah Séraphin, te voilà! C’est mon neveu, Séraphin d’Élusie, vous saviez qu’il est désormais Prévôt de Courage? Ce n’est pas rien n’est-ce pas?” Tout en parlant il vient aux côtés du vrai Fraternitas pour passer un bras derrière lui et tenter de le sortir de sa transe d’une accolade franchement insistée. Peut-être le secouer le fera revenir à lui? Il tapote l’uniforme du jeune homme de sa main libre au niveau de l’épaule et lui susurre doucement à l’oreille. ”Les Goldheart oui, mais pas lui.” Il adresse un sourire à Soren avant de se retourner. Il avait érigé les Grandes Familles au rang de némésis pour le garçon, peut-être était-ce ce qui avait fait tiquer le Prévôt. Sa mine redevient subitement grave maintenant qu’il tourne le dos à Soren pour regarder de Casteille et de Rockraven au loin qui discutent à table. ”Fais bonne figure fiston. Cherche tes ennemis mais là n’est pas le moment d’agir. Ressaisis toi bon sang, tu me fais honte.” Deux tapes supplémentaires sur l’épaule et il avance en direction des deux Humanistes. Il ne pouvait pas vraiment faire plus à propos du jeune homme, de toute façon il était né au Razkaal, s'il se passait quelque chose le juge comprendrait non?

En  se retournant une nouvelle fois vers Soren pour s’assurer que tout aille au mieux entre lui et son neveu fantoche, Zelevas entend le nom dudit neveu être appelé depuis l’autre côté de la salle de réception. Ceci constitue déjà une surprise en soi parce que personne ne connaît encore bien son neveu ici, mais l’étonnement est total quand le vieillard se rend compte que c’est la voix de de Casteille qui a tenté de les interpeller. Redirigeant donc de gros yeux sur Séraphin, le regard de Zelevas ne cache pas son questionnement interne ni son ébahissement bien externe: comment diable ce gamin névrosé jusqu’à la moelle par la forteresse maudite pouvait connaître la fille de Bastian?

Le son de la cloche qui invite les convives au repas fait écho avec le singe à cymbales qui claque des mains dans la tête du Sénateur en guise de réponse. Si c’est décidément un mystère qu’il devra éclaircir plus tard, le vieillard interrompu pendant qu’il tentait de rejoindre la jeune aveugle découvre avec stupeur l’effroyable plan de table qui l’attend dans la salle principale du dîner. Soren a raison, quelle pute. Comme sur le toit d’un des bâtiments de Liberty il y a encore quelques jours, les yeux bleus aciers de Zelevas s’ancrent dans les ambres de Koraki et cette fois son regard n’est pas défiant, mais plutôt lourd de reproche. Il approche malgré tout de la tablée et saisit sa chaise pour s’installer en face de son confrère Goldheart, accueillant Séraphin à sa droite et donc en face de la Vice-Présidente qui ne perd pas de temps pour déjà être insupportable.

”Ne vous y fiez pas Madame la Vice-Présidente, Séraphin est le Limier avec le nombre le plus élevé d'années de service du Razkaal.” Et accesoirement vous devriez peut-être le savoir si vous faisiez votre travail correctement, puisqu'il officie à Courage comme Prévôt de liaison. Mais ça il se garda bien de le rajouter, il ne tenait pas particulièrement à finir la soirée sur le toit du bâtiment de réception, une fois ça lui avait suffit.

Lorsque le Z regarde cependant la place à sa gauche et s’aperçoit que la place ci n’est pas nommée, il se retourne pour chercher dans la foule restante une compagnie qui soit plus agréable à défaut d’être chaleureuse, et heureusement pour lui, il parvient à poser ses yeux sur quelqu’un qui saura sans doute être les deux.

”Mademoiselle de Casteille!”

Il ouvre ses bras en avançant vers la Sénatrice perdue dans le brouhaha des convives trépignant et parvient enfin, pour la première fois de la soirée, à lui adresser la parole. Zelevas se penche pour arriver à sa hauteur et regrette immédiatement sa décision. Sa cinquième vertèbre lombaire lui envoie un courtois signal de douleur pour lui demander ce qu’il fout et quel âge il croit avoir, donc le vieillard opte pour un plus classique baise-main.

”Je suis assis aux côtés de Soren Goldheart et de mon neveu Séraphin, qu’apparemment vous connaissiez déjà. Nous feriez-vous le plaisir de votre présence, Hélène?” Cette dernière phrase et le diminutif ne sont seulement que murmuré, si Zelevas connaît Hélénaïs depuis toute petite et avait entretenu une relation amicale avec son père, il ne pouvait sied à une telle réception d’étaler cette familiarité ouvertement.

S’assurant que la jeune femme puisse s’asseoir convenablement à la place qu’il lui a désigné, Zelevas s’installe ensuite sur sa propre chaise. Le vieillard est bien trop soulagé d’avoir une présence à ses côtés qui ne lui soit pas entièrement désagréable dans l’instant pour remarquer le malaise pourtant palpable de la jeune demoiselle de Casteille. Alors que celle-ci se sert justement en vin en demandant au sommelier à l’oral, Zelevas attaque quand à lui une assiette de petits-fours en la délestant de quelques toasts de saumon de Rebirth sur des lits de crème à l’avocat citronnée. Le vieil homme retire ses gants pour éviter de les graisser et porte le premier à sa bouche en savourant le mélange avec plaisir, lui qui est plutôt porté sur les whisky, il se passe de marier un vin à son amuse-bouche. Après un instant de silence pendant lequel il opte d’ignorer la conversation qui se tient en face de lui entre Soren et une sorte de guignol vert, le Sénateur d’Élusie se penche plutôt vers la jeune femme pour poursuivre ce qu’il avait commencé, à savoir rattraper le temps perdu avec Hélénaïs et l’accueillir enfin comme il se doit pour son arrivée à l’assemblée sénatoriale. Se permettant donc un verre de rouge pour avoir de quoi trinquer, il porte son verre en direction de celui de la jeune femme et laisse le tintement des deux récipients annoncer sa prise de parole.

”Le Courant Humaniste,” sa voix n’est pas trop haute, il ne cherche pas particulièrement à être discret, mais évite simplement d’être audible de toute la tablée. ”avait besoin après la démission de Vigent d’une personnalité audacieuse et ferme pour pouvoir le remplacer à juste titre. Aujourd’hui, la victoire que nous fêtons est la résultante des efforts conjoints de l’ensemble de ce Courant, et pour l’obstacle monumental que représentait ce baptême du feu pour une première fois, force est de reconnaître que vous vous en êtes admirablement bien tirée Hélénaïs.” Le Sénateur lève son verre devant celle qui ne peut pourtant le voir. ”Voir sa jeune fille chérie prendre les armes métaphoriques qu’il a manié avec tant de hargne pour continuer de défendre les valeurs qu’il prônait de son vivant. Bastian serait fier de ce que vous êtes devenue.”

Il repose le verre à moitié vide sur la table et propose à la jeune femme une tranche de foie gras au poivre de Kazan, il se sert ensuite lui-même avant de reposer l’assiette sur la table à l’adresse de Soren qui semble bien plus apprécier les liquidités du banquet plutôt que l’alimentaire et continue:

”Je suis également rassuré de vous voir prendre votre envol. Ce milieu est impitoyable, ” un bref coup d’oeil en direction du demi-ange assis en face de lui suffit à échanger la connivence sur ce point. ”et savoir s’entourer est primordial pour aller de l’avant et faire réellement changer les choses. La Consule en est la preuve vivante et je suis heureux de vous voir marcher dans ses pas ma petite.”

Le vieillard essuie sa bouche avant de reposer la serviette pliée et il regarde son confrère aux prises avec le nouveau porte-parole. Abaissant un peu le ton de sa voix avec une main pensivement devant sa bouche, il glisse à la de Casteille tout en continuant de regarder Soren:

”Ici, il est parfois nécessaire de savoir sacrifier quelque chose pour pouvoir en préserver une autre. Ce que je suis maintenant curieux de voir, c’est votre réaction lorsqu’il vous sera imposé par la force des engrenages d’abandonner quelque chose pour protéger les valeurs qui vous sont cher. La détermination est une chose, il est facile de se targuer d’une volonté invisible, mais lorsque le choix se présente, c’est là où les décisions s’avèrent réellement difficile, parfois ce qu’on laisse derrière ne peut être récupéré… ou réparé.” En s’adressant ainsi à Hélénaïs, Zelevas formulait ses pensées comme à lui-même, critiquant à la fois ce qui l’avait poussé à abandonner Soren à l’assemblée, mais aussi intérieurement à justifier l’abandon de son humanité quand il avait présenté le Projet Palladium au Docteur.