La vérité est un poids que le brave se doit de porter

Ven 13 Oct 2023 - 21:42

La vérité est un poids [ . . . ]

Octobre de l'an 4,
Perdu dans les Rocheuses menant à Célestia

Les nuages s’étendaient dans l’infini azurin des cieux. Chacun s’attelait à former des objets ou des animaux, se laissant porter par le souffle du vent vers d’autres contrés. Et pour ceux qui finissaient leur course à bout de souffle dans un étalage de blanc duveteux, Neve leur trouvait un symbole bien précis. Celui-ci ressemble trait pour trait au griffon qu’elle avait vu arpenter dans ses montagnes il y a de cela quelques semaines. C’était chose rare dans apercevoir un à l’état sauvage lui avait-on confié, elle était chanceuse. Le petit juste en dessous avait la même forme qu’une botte. Et puis celui-là avec son gros nez en trompette, c’est le portrait craché de sa mère supérieur. La religieuse s’éclaffa étendant d'un rire tout son corps. Cela devait bien faire une bonne quinzaine de minute qu’elle s’était allongée dans l’herbe fraiche, s’autorisant une « courte » pause. Maintenant qu’elle avait quittée les Perce-Neiges, il lui était libre de choisir sa prochaine mission. La jeune femme n’était plus à la merci des volontés des autre sœurs et pouvait si bon lui semblait observer le ciel à tout moment. Neve contait bien profiter de cette liberté toute nouvelle, s’annonçant fièrement dans l'indépendance de sa vie d'adulte.

À présent, le soleil d’automne au zénith illuminait les Rocheuses de ses timides rayons comme pour saluer le Sekai avant la saison froide. Il s’agissait d’une journée à la douce chaleur et à la brise calme, propice pour entamer son voyage. Neve quitta le couvent deux semaine auparavant. Comme à son habitude la fae s'était levée quelques minutes avant l’aurore pour changer les fleurs délicatement déposées sur l’autel à la gloire d’Aurya de la chapelle, puis elle retourna prestement dans sa chambre pour se changer et faire sa toilette, étendit les draps de lin une ultime fois et sans un mot s’en alla. Cette dernière avait déjà annoncée son départ sans préciser le jour ni même l’heure exacte de son envol. À ses yeux, tout ceci devait se faire silencieusement et sans grand au revoir. Bien sûr elle ne put contenir un léger pincement au cœur en se privant d’un adieu solennel aux quelques véritables bonnes amitiés qu’elle avait bâtie aux courts de ses neuf dernières années. Cependant son choix avait été murement réfléchit : elle quitta Celestia muette, enveloppée de sa tunique céruse tel un fantôme.

Un perce-neige à la main gauche, Neve souleva à présent son corps afin d’observer le petit bout de chemin qui lui restait à entamer. Elle songea à l’étape suivante. Mael était de toute évidence le choix le plus raisonnable. La Cité Blanche bien que d’appartenance reikoise pour le moment, proposait des chambres où séjourner et peut-être un peu de travail. Bien consciente du sort réservé aux divinistes, la religieuse se dit qu’elle pouvait faire profil bas le temps de trouver ses repères et éventuellement se construire un réseau d'irréductible pro-titans. Mais pour rien au monde ne voulait-elle suspendre son activité de bonne sœur afin de se plier au désir de l’empire. Ainsi, le choix d’arpenter les Rocheuses pour trouver des croyants à rallier au Nouvel Ordre s'imposa comme seconde option. Une troisième, peu recommandable fut évoquée par sa mère supérieure : la « Confrérie des Flammes » une secte à la gloire du dieu forgeron Kazgoth avait tissé ses liens jusqu’au couvent. Ils recherchaient des fervents adeptes pour accomplir une sombre quête à Benedictus. Neve n’en savait pas plus, son ainée refusa de lui confier en détail les obscurs désirs du groupuscule prétextant qu’un tel accomplissement devait être laissé aux mains de personnes suicidaires. Sans doute se référait-elle à ces divinistes ne craignant pas la mort. De véritables pratiquants. Tout ce mystère avait ainsi laissé le doute germer chez la jeune fae, la poussant à prendre contact avec la confrérie dans l’espoir d’accomplir un rôle plus noble pour le Sekaï.

À ces pensées, le sol sembla se dérober sous ses pieds. Elle était le point culminant, immobile d’un monde qui tournait. Le regard perdu, Neve se trouva face à une quête qui la dépassait. Cet univers était libre mais terriblement dangereux. Aveuglée par ses convictions, elle se jetait bras ouvert dans un Shoumei en feu, bordé d’innocence sur l’avenir. La dernière luciole de l’été, brûlant d’une incandescente lumière devant les bourrasques d’hiver.

Finalement, elle déplia son bras enroulé dans ses piètres bandages afin d’observer la fleur qui tenait entre ses doigts brûlés. Ce n’est pas la saison, le bourgeon ne survivra pas bien longtemps loin du couvent. Puis la religieuse plissa les yeux, au loin, dans l’horizon aveuglant se découpa une forme comme les nuages découpent l'éther. Un homme à la peau mate et aux mèches aussi écru que ceux de la fée. Un pèlerin peut-être ? Non. Le voilà qui arrive drapé de long tissus. Aussitôt, Neve agrippa sa sacoche, effaça d’un geste brutal la peinture sur ses joues, recouvra ses totems religieux et se redressa battant de l’aile droite. Toutefois cette dernière ne put ôter ses yeux de l’éclatante ombre qui se frayait un chemin à travers les plateaux rocheux. Dans son for intérieur, elle su à ce moment-là que la rencontre qui s’apprêtait à se produire, dans toute l'écrasante force dont elle défiait le destin, n’était en aucun cas anodine. Oui, une rencontre entre deux enfants du ciel aux cœurs purs et aux intentions justes.
CENDRES

Dim 15 Oct 2023 - 9:54

La vérité est un poids que le brave se doit de porter.

Ainsi soit-il.
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J'avais encore du mal à accepter l'effroyable réalité de ce qu'il s'était passé. Quelques semaines plus tôt, j'avais découvert que j'avais été le leader de la secte religieuse nommée "Le Nouvel Ordre". Le souvenir de cette époque me plongeait dans une profonde perplexité. Mon cœur autrefois brûlait de haine et d'indignation, me poussant à adopter des actions extrêmes. Sous l'influence de ma propre haine, j'avais été considéré comme l'ennemi public numéro un du Reike. Et pour cause, je n'avais épargné aucun effort pour résister à l'invasion de nos terres sacrées par les soldats du Reike, les tourmentant cruellement pour les faire retrousser chemins. Cela avait fini par faire de moi l'ennemi juré du monde entier, car le Reike était perçu comme le sauveur de l'humanité, même si sa méthode pour mettre fin à la guerre était empreinte de violence et de meurtres.

Au fond de mon coeur, je savais que le "moi-d'autrefois" qui m'avait poussé à lutter contre ceux qui menaçaient son peuple et ses croyances avait une certaine justification. Pourtant, il m'était difficile d'accepter que j'avais pu sombrer dans une haine aussi noire que celle qui m'avait animé à l'époque. Aujourd'hui, ma perspective avait évolué. Plutôt que de répondre à la violence par la violence, j'étais enclin à tendre l'autre joue, à prouver que la brutalité ne me touchait plus et ne résolvait rien. Hallewyn, le démon que j'avais rencontré plus tôt, m'avait recommandé de rester discret, de ne pas révéler ma véritable identité tant que je n'aurais pas récupéré Célestia, un lieu de grande importance pour moi. Pour cela, il était impératif que je retrouve ma foi et ma force, sinon je risquais de devenir un simple pion sacrifié dans ce nouveau monde tourmenté.

Avant de reprendre la route vers Célestia, j'avais choisi de voyager tel un pèlerin, parcourant Shoumei pour véritablement comprendre les événements en cours et identifier précisément la source du mal qui rongeait la nation. Même si la royauté avait disparu et que la légitimité du pays avait été anéantie, je croyais en la persistance de l'âme shoumeienne. On ne pouvait éradiquer des convictions aussi profondément enracinées dans des cœurs aussi purs à coups d'épées et de pouvoirs magiques. C'était ancré en chacun de nous, une lumière prête à briller même dans les ténèbres les plus profondes, une lueur d'espoir qui ne demandait qu'à être ravivée.

C'est ainsi que je m'établissais temporairement dans les Rocheuses, érigeant un camp de fortune au sein de ce paysage vaste et cendré. Mon besoin de comprendre ma propre identité et de saisir la nature changeante de mon environnement avait pris le dessus sur mon impérieux désir d'aider autrui. Peut-être avais-je enfin atteint ce que certains nommaient "la maturité", un calme intérieur qui me poussait à la réflexion avant l'action. Malgré tout, l'absence de Dame Gunnhildr se faisait douloureusement ressentir, car sa sagesse aurait pu éclairer la voie que je devais emprunter. Alors que je m'éloignais de mon camp, laissant mes pensées errer à la recherche de réponses, je vis d'abord une silhouette dans la distance, puis une personne de plus petite stature que la mienne, aux cheveux argentés. Elle ne portait ni l'emblème du Reike ni une armure guerrière. Intrigué, je décidais de m'approcher, les paumes de mes mains tournées vers le ciel, un geste de paix et d'ouverture pour lui signifier que je n'étais pas un ennemi.

— Bonjour. N'ayez crainte de ma présence. Je ne suis qu'un pèlerin cherchant à découvrir qui je suis vraiment dans ce sekai. Avez-vous besoin d'aide, pour cette fleur ?

Je pointais du doigt la fleur qu'elle tenait dans ses mains.

Sam 4 Nov 2023 - 19:24

La vérité est un poids [ . . . ]

Octobre de l'an 4,
Perdu dans les Rocheuses menant à Célestia

Neve se surprit du chaleureux accueil de l’inconnu. Si jusqu’à présent son périple ne lui offrait qu’une poigne de rencontre toutes plus amicales les unes que les autres, la jeune religieuse s’était néanmoins résolue à rester sur ses gardes. Elle avait appris à ses dépens que tout le monde ne possédait pas nécessairement des intentions charitables. Le Sekaï est une terre vaste, regorgeant d’individus, de créatures et de peuples diverses souvent animé d’un brûlant désir de conquête. Et elle demeurait bien naïve. Une simple jeunette qui doit encore apprendre beaucoup. Une proie idéale pour certains. Ainsi, c’est avec méfiance qu’elle s’approche de l’homme, serrant fort la fleur entre ses doigts.

– J’en doute. À moins que vous ne sachiez comment remonter le temps, cette fleur est condamnée.

Elle eut un léger pincement au cœur. En effet, le bulbe ne survivrait pas bien longtemps loin de la vallée. Neve l’avait cueilli avant de partir afin d’obtenir un ultime souvenir de son couvent. Une de ses ainées, grande spécialiste dans la magie végétale, appliqua par la suite un sort de préservation qui s’était estompé de jour en jour. Demain, sans doute, serait-elle fanée, morte, emportant les derniers souvenirs que la fidèle possédait d’une vie révolue. La demoiselle trembla à cette pensée.

– Veuillez m’excuser, je ne voulais pas paraître grossière. Elle se stoppa net et observa de plus près l’étranger. Un pèlerin, vous dites ?

Heureuse coïncidence. Neve fut aussitôt soulagée. Se pourrait-il que cet homme soit un véritable croyant ? Si tel fut le cas, il ne restait à la bonne sœur plus qu’une mission à accomplir. Peut-être parviendrait-elle à le convaincre de rejoindre les rangs du Nouvel Ordre, si ce n’était pas déjà fait. Cependant, elle devait faire preuve de patiente et amener subtilement le sujet. Après tout, il demeurait un parfait inconnu. Neve ignorait tant de lui et c’est uniquement à l’aide de beaucoup de prudence que la jeune femme le percerait à jour.

– J’entreprends moi-même un pèlerinage figurez-vous. Je me prénomme Neve, enchanté. Je viens des montagnes qui bordent Celestia. Est-ce bien là que se trouve votre destination... ? Questionna-t-elle d'une fausse innocence. C’est un lieu prisé par les croyants en quête de réponse, me semble-t-il.

Neve tenta de rester le plus évasif possible. Elle omit volontairement d’évoquer son couvent ou son statut de nonne. Pire, elle faisait mine de ne pas être certaine de la nature ô combien divine de Celestia. La fae souhaitait avoir la preuve que l’homme se trouvait digne de confiance. Un diviniste pure. Toutefois, quelque chose d’indescriptible chez le Lumina lui parut réellement sincère. S’assurer de sa fiabilité ne relevait que de l’ordre de la formalité. Un moyen de se convaincre qu’elle était bel et bien hors de danger en sa compagnie. Car en effet, la fae souhaitait véritablement entamer la discussion avec cet étrange pèlerin. D’autant plus qu’un sentiment de familiarité vint se nicher dans ses entrailles. Une impression de déjà-vu. Pour sûr, ce dernier n'avait pas le moins du monde laissé la religieuse de marbre.

– Ne vous sentez pas obligé de répondre évidemment. Je fais peut-être preuve d’un peu trop de curiosité ?

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