La Sirène patientait sur le sable fin de la berge, guettant non un certain appétit pétillant dans le regard, tant pour le poisson qu'elle avait pêché, que le retour du jeune homme. Quand elle revint, elle était étalée sur son ventre, la tête reposante sur ses bras croisés, sa longue queue se mouvant avec paresse dans l'eau peu profonde. Même une otarie ne pourrait pas rivaliser de grâce avec elle. Se contentant d'un léger sourire amusée, elle observa le jeune homme arriver avec de quoi faire un feu. 

Quand il eut fait le foyer, un feu joyeux entama sa combustion. Toujours sans mot dire, le mercenaire avait pris en charge le poisson vidé aux soins de la Sirène et entreprit de l'écailler. De chacun de ses gestes, l'Aquarienne n'en perdit pas une miette. Tout est bon à noter comme comportement chez les terrestres, même les gestes les plus insignifiants. Une fois le futur repas écaillé et tranché en deux morceaux dans le sens de la longueur, l'humain les plaça sur le feu, une fois un bâton en travers des chairs pour les cuire non loin des flammes. Tout cela se fit en lèvres closes, le jeune homme n'entama aucun début de conversation. Takhys n'avait pas de scrupules à l'imiter, mais elle avait le sourire aux lèvres. 

Une douce odeur appétissante envahit l'air environnant. Quand sa part fut cuite, la Sirène eut l'honneur d'être servie. Ce fut avec appétit donc qu'elle planta ses dents dans la chair cuite à point de sa prise de tantôt. L'idée de saler sa chair avant la cuisson était intéressante, ça rajoutait une saveur plaisante, qui valorisait le goût d'un poisson d'eau douce d'ordinaire moins fort en termes de saveur, pour la langue de la Sirène. Et le merco' était toujours silencieux. Sûre et certaine que ce n'était pas de la timidité, elle cassa ce silence qui commençait à être un peu morne. 

"Hmmm, vous l'avez parfaitement cuit ! En plus d'être un escorteur, vous êtes aussi cuisinier ! Je présume que vous avez acquis cette habilité en cours d'autres missions  ? D'ailleurs, voilà qui pique ma curiosité.... Qu'est ce qui pousse un homme tel que vous à devenir mercenaire ? "Et hop, elle en profita pour prendre un autre morceau de truite cuite du bout des dents, les yeux rivé sur le terrestre, guettant avidement sa réponse. 

Isaac lança un regard à la sirène et finit sa bouchée avant de parler.

-Mercenaire est un métier qui me permet de voyager tout en gagnant de l’argent pour pouvoir continuer à le faire. Expliqua-t-il simplement.

Alors qu’il parlait, il repensa à son maître et son ami. Cela faisait maintenant un an qu’il était parti, et ils commençaient à lui manquer terriblement. Même s’ils échangeaient des lettres, ce n’était pas la même chose. Peut-être devrait-il passer les voir ?
Son visage se détendit et il sourit légèrement.
Oui, une fois cette mission terminée, il se dirigerait vers Kyouji pour aller voir Eric. S’il avait de la chance, peut-être verrait-il aussi Klaus ?
Il retint un petit rire.
Non, il y a peu de chances. S’il y a bien une chose dont il est sûr à son sujet, c’est qu’il ne tient pas en place.
Il poussa ces questionnements dans un coin de sa tête avant de poser à son tour une question à la femme.

-Et vous ? Pourquoi vivre parmi les humains ?

Ne sachant rien des sirènes, il ne savait pas si c’était une chose habituelle pour elles ou non.

 La sirène se retint de faire une moue déçue. Quoi, il n'avait que cela à raconter ? Tout simplement qu'il exerçait cette profession de mercenariat pour voyager tout en gagnant de l'argent ? C'était un peu banal et il ne sera pas le premier humain à dire cela pour répondre à la curiosité de ses interlocuteurs.
 
Gardant un semblant de sourire amusé, elle se permit de le chatouiller un peu.
 
"Le goût de l'aventure donc. D'ordinaire, les mercenaires ont autre chose derrière. Certains deviennent mercenaires, parce qu'ils ne se voient pas dans des professions plus terre à terre... ou alors parce qu'ils n'ont rien à perdre. Mercenaire, ce n'est pas que de l'escorte, n'est-ce pas ? Il faut être prêt à affronter le danger…"
 
La jeune femme à la queue de poisson mordit plus vivement dans un autre morceau de sa truite, afin de passer sa brève frustration sur quelque chose de plus concret. Après tout, peut-être que le jeune terrestre était un poil timide et ne souhaitait pas en dire plus. Il faut dire que de manger un bout de poisson cuit à point sur le bord d'un lac en la splendide compagnie d'une Sirène, ce n'était pas rien comme situation.
 
Elle l'observa quelques instants, pendant qu'elle mâchait lentement son morceau, pour apprécier toutes les saveurs qui explosaient sur sa langue. Le sel judicieusement placé dans le poisson aidait à exalter tout le goût de la chair truitée. Le visage de l'homme se détendit. Il en vint même à sourire. Il deviendra possiblement plus loquace, quand la barrière de l'inconnu s'abaissera un peu plus par la suite.
 
Elle venait à peine d'avaler ce qui lui restait de viande entre les dents qu'il daigna briser le silence. Cette fois, ce fut lui qui la questionna.
 
"C'est une question très pertinente, mon cher. Je pourrai me contenter de vivre comme mes sœurs et frères sous-marins. Mais quand on étend ses horizons, quand on arrive à marier deux mondes en un seul, on découvre bien des choses stupéfiantes... Comme d'avoir d'excellents rapports commerciaux avec la surface. Les opportunités pour gagner sa vie sont bien plus attrayantes à la surface que sous la mer... et puis, il y a toujours quelque chose à apprendre sur vous, les terrestres. "
 
Elle se retint de prendre une autre bouchée. Son estomac grognait de gourmandise et la poussait presque se fichtre un peu de politesse envers son hôte.
 
"Je trouve surtout la vie à la surface plus stimulante. Au point que j'ai ouvert une taverne à Courage. Si vous avez l'occasion, passez-y "et hop, un clin d'œil ! Si ce n'était pas détendre l'atmosphère ça....

Isaac ne pouvait nier qu’être mercenaire était rarement un métier pris par choix, c’était plutôt un métier dans lequel se retrouvaient des personnes qui n’avaient pas d’autres possibilités.
Ce n’était pas la première fois qu’il surprenait les personnes en disant ça mais bon, il ne faisait que dire la vérité.
Il avait toujours été très honnête. Trop d’après Eric.

Son regard se posa sur la sirène alors qu’elle répondait à sa question.

Elle était donc une exception, un peu comme lui. Il avait eu de la chance en la rencontrant. Elle serait sûrement la seule sirène qu’il rencontrerait au cours de sa vie.

-Courage, hein ? Je n’ai jamais quitté le Reike. Et je n’ai pas forcément l’intention de le faire un jour mais si cela doit arriver, j’essaierai de penser à vous. Comment s’appelle votre auberge ?

Contrairement à ce qu'il craignait au début, il ne se sentait pas trop mal avec elle. Son dynamisme lui rappelait son meilleur ami.

Isaac poussa un petit soupir. Il lui manquait décidément beaucoup trop pour en venir à le comparer à une femme. Ils avaient beau être tous les deux énergiques, ils n’avaient pas du tout le même caractère.
Il détourna les yeux de la sirène en se rappelant avec embarras du fait qu’il ait pensé qu’elle était un homme jusqu’au début de soirée.
Il allait mordre à nouveau dans son poisson quand une pensée lui traversa l’esprit.

-Au fait… comment vous appelez-vous ?

Il venait tout juste de se rendre compte qu’il ne connaissait même pas son nom. Il avait peu d’intérêt pour les personnes qu’il escortait en temps normal mais puisqu’ils discutaient, autant en savoir un peu plus.

La Sirène passa une langue sur ses lèvres, comme pour chercher à imprégner ses papilles gustatives du reste de cette délicieuse truite. Ou alors était-ce autre chose ? Qui sait... tout était possible avec cette créature, qui, si elle le décidait, pourrait jouer avec le malheureux. Mais elle était rassasiée. Isaac ne risquait rien. Et puis, comme il était le seul mercenaire du convoi, il serait navrant de ne plus l'avoir sous la main en cas d'attaque de brigands.

Toujours avec le sourire, elle n'eut aucune réticence à répondre à ses questions. 

"Oui, vous avez bien entendu. Courage, l'une des grandes républicaines. J'espère que cela ne rajoutera pas de tension dans notre conversation et pour la suite de notre voyage, rassuez moi..."dit-elle en feignant un léger doute inquiet à son visage aquatique, avant de reprendre plus joyeuse la suite. "...Ma petite taverne s'appelle le Marsouin Blanc. Je sais, ce n'est pas un nom très original, mais ce petit cétacé est un animal joueur et très sociable. Les clients associent rapidement ce caractère animal au confort et à la bonne atmosphère de mon établissement. Allez savoir pourquoi..."Oh, elle le savait très bien, juste qu'elle tenait à voir si l'humain réagirait à ce petit point. S'il n'en faisait rien, ce n'était pas grave pour elle. "Les terrestres sont des fois si compliqués et simples à la fois. C'est ce petit chaos qui les rend attrayants et amusants.

Pendant qu'Isaac était en train de réfléchir durant un très court instant, car elle l'avait vu détourner la tête, elle en profita pour se mouiller un peu le dos, en usant de sa petite magie. L'eau glissa le long de sa queue, pour remonter sur son dos puis ses épaules, comme un drap translucide et liquide qu'elle ramenait à elle. Elle était à moitié dans l'eau, mais le haut de son corps commençait à se dessécher un peu. Ça démangeait et tiraillait sa peau adaptée à demeurer sous les flots.

"Oh, je ne me suis pas nommée ? Quelle impolitesse de ma part ! Je m'appelle Takhys Suladran, tant nom de surface que de la terre ferme. Certains Tritons ou Sirènes se complaisent à changer de noms, quand ils viennent à la surface. Quelle perte de temps je trouve ! Et vous, très cher, comment dois-je vous appeller ? "

-Je n’ai jamais vu de marsouin, je n’en avais même jamais entendu parler auparavant. Avoua-t-il. J’imagine que c’est une sorte de poisson ?

Il ignorait également ce qu’était un cétacé. Le lac Rebirth était la plus grande étendue d’eau dont il se soit approché et, pour lui, la faune marine se limitait aux poissons.

Quand elle lui parla d’autres sirènes qui changeaient de nom, il haussa un sourcil.
Le jeune mercenaire avait toujours trouvé étrange cette idée de vouloir changer de nom et rejetait fermement ce genre de pratique. Sa mère lui avait donné ce nom et elle était sa seule famille. Pour lui, son nom était bien trop important pour vouloir le changer. C’était l’une des dernières traces qu’il lui restait d’elle.

-Je m’appelle Isaac Nirnos. Se présenta-t-il sobrement.

Après avoir fini son poisson, il utilisa son bâton pour remuer les quelques braises qui restaient du petit feu avant de le laisser tomber dedans, faisant apparaître quelques petites flammes qui diminuèrent très vite avant de disparaître.

La nuit était maintenant bien tombée. Le temps de la garde était venu. Les missions d’escorte lui laissaient peu de temps de sommeil, surtout qu’il était le seul garde du groupe. Bien évidemment, il ne pouvait pas tenir sur plusieurs jours sans sommeil et devait donc se contenter d’un sommeil léger et peu réparateur. Mais il avait l’habitude.

Il se rappela qu’il ne savait toujours rien des compétences de la femme à ses côtés. Si elle savait au moins se défendre, il saurait s’il pouvait se permettre de la laisser un peu se débrouiller en combat ou si elle devait être une de ses priorités à protéger.

-J’ai vu que vous pouvez utiliser de la magie. Vous savez vous battre ? Demanda-t-il à la sirène.

La Sirène n'était nullement surprise de la méconnaissance de l'humain sur l'existence des cétacés. Tous les terrestres n'avaient pas la chance de vivre toute leur vie en bord de mer, ou de sillonner les mers du monde entier pour avoir la chance d'observer et de contempler la faune marine.

"On peut dire que cela ressemble à un poisson en effet. Imaginez sa queue en position horizontale, comme la mienne..."dit en offrant un petit clin d'œil malicieux."... qui n'a pas d'écailles, mais une peau tendue tout en demeurant souple, qui saura vous rendre un regard intelligent et non bêta et luisant de stupidité comme les poissons... Et les marsouins, comme les autres cétacés, respirent à la surface, par un orifice qu'ils ont sur le sommet de leur tête ronde. "

Dit comme cela, cela paraissait étrange, comme bizarre. En même temps, il était plus naturel pour un animal taillé pour fendre les eaux de respirer par le dessus. Mais bon, ce n'était qu'un détail physique. Ce qui fut plus important aux oreilles de l'Aquarienne était le nom du mercenaire.

"Enchanté Isaac. Ravie de mettre un nom si délicieux sur votre personne"

Elle se permit de retenir un rire, comprenant aisément qu'elle en faisait peut-être un peu trop.

L'humain avait désormais fini son poisson et elle aussi. Elle se plut à nouveau à mouiller le haut de ses épaules et son dos avec l'autre de sa nageoire. Il était agréable de ne point causer, le temps de digérer repas et informations. Bon, pas trop longtemps non plus, bien évidemment. Et puis, le merco' aura ses tours de garde à effectuer tantôt.

"Je sais me battre. L'eau est une arme redoutable, aussi mortelle qu'une épée quand on sait l'employer... à bon escient, bien entendu. Aussi bien sous ma forme véritable que sous ma forme humaine. Si le besoin s'avère nécessaire pour défendre le convoi, nous ne serons pas alors trop de deux. Cela vous rassure-t-il ? "

Puis, elle baissa le ton de sa voix, presque espiègle.

"Mais je vous rassure, je ne demanderai pas votre prime si jamais je viens à jouer les supports offensifs. D'ailleurs, j'espère que je ne vous fais pas raté votre première tour de garde. "