Détruisant par sa simple force le monstre qui s'était emparé du chercheur, Kahl ouvrit une faille énorme dans le corps de la bête qui tentait vainement de l'expulser de ses branchages sans y parvenir. Scindant en deux l'abomination, l'Oni s'y infiltra à grands coups de poings, perforant le bois à chaque impact rageur et s'enfonça tel un gigantesque écureuil cornu dans la structure tubulaire, déchiquetant tout sur son passage pour finalement arriver au cœur, qu'il broya sans peine avant de se projeter en dehors du cadavre colossal via un nouvel orifice creusé à coups de cornes. L'Ogre bondit dans une explosion de bois et de sève, agrippant au passage le manteau du gaillard hébété par la terrible expérience qu'il venait de subir. Rendu hilare par la folie de la bataille et galvanisé par sa malédiction qui multipliait chaque pic de douleur ressenti, l'Oni barbare devenu berserker éclata d'un rire tonitruant avant de déposer au sol le petit corps du bonhomme malmené pour retourner aussitôt au cœur de la mêlée.

"Sur mes talons, bonhomme ! Si tu me lâches, t'es parti pour un deuxième tour !"

Le gaillard était mal en point mais l'énergie de la dernière chance aidant, il parvint tant bien que mal à rattraper la masse bleue et rouge qui chargeait dans tous les sens. Un balayage rapide des environs lui permit surtout d'établir que Dimitri et le cochon n'étaient point parvenus à libérer la télépathe et lorsque Kahl entraperçut entre deux grands coups de masse les vilaines racines qui perforaient la bouille de la victime capturée, il ne put qu'esquisser malgré sa profonde vilénie une grimace de dégoût. Ce n'était pas beau à voir, et il était franchement peu probable que tel traitement fut agréable. Cette peste l'avait lourdement agacé, certes, mais ses talents demeuraient utiles au groupe et la voir ainsi transformée en brochette avait de quoi déplaire au Dévoreur. Il espérait fort que l'astuce d'Ellana allait régler le problème ou, à défaut, écourter les souffrances de la pauvrette.

Parlant d'Ellana, elle venait tout juste de s'extraire des griffes du Tréant malfaisant qu'elle subissait déjà le contrecoup de l'utilisation de magie suivante, chose que l'œil alerte du fauve à crinière blanche ne manqua pas de remarquer. Le dos rond et les griffes en évidence, le goliath cornu courut en ligne droite, bousculant une poignée de Tréants miniatures au passage pour enfin se jeter dans un bond impensable jusqu'à l'une des créatures qui tentait de se ruer sur la cible facile que constituait l'elfe affaiblie. Dans un ignoble craquement, l'arbre malveillant fut démoli et projeté dans le décor par les deux poings serrés du géant azuré, qui atterrit juste devant la maitresse des ombres fichtrement éprouvée par les récents dommages qu'elle avait subi. Ramassant la massue qui était tombée non loin de sa camarade, il tendit sa main libre dans la direction de la jeune femme agenouillée, avant de beugler :

"C'est pas l'heure de la sieste ma jolie, allez du nerf ! On s'y remet !"

L'idée n'était vraisemblablement pas négociable car Kahl, soucieux mais pas trop quand même, empoigna la combattante par le col de son habit pour la jeter sans ménagement sur son dos, lui permettant ainsi de prendre cet instant de répit dont elle semblait avoir lourdement besoin. Infusant une nouvelle dose de magie dans son corps animé par la plus pure sauvagerie, il renforça muscles et tendons pour transformer le poids plume qu'était celui d'Ellana en celui d'un banal sac de voyage. Rendu indifférent à cette condition de porteur qu'il s'était déjà imposé par deux fois, il vociféra une énième fois en courant vers Lars, serrant son arme favorite à deux mains et frappant sans distinction les adversaires qui avaient le malheur d'entrer dans son champ d'action. Le boulot était baclé, mais il s'agissait davantage de repousser que d'achever, pour le moment.

De toute évidence, leur infiniment bref instant de séparation avait été le déclencheur de tous les maux de leur petite troupe, il était donc logique pour le barbare de regrouper au mieux l'ensemble de l'effectif pour se prémunir face aux potentiels encerclements qui arriveraient inévitablement, le nombre de défenseurs face aux attaquants étant absolument dérisoire. S'il n'avait pas intégré les Serres Pourpres, il n'aurait décemment jamais appris l'importance de serrer les rangs dans de telles circonstances. Cette pensée l'amusa brièvement, mais la rage de vaincre l'emporta bien vite sur toute forme de réflexion mielleuse. Accordant un regard en biais à l'hybride porcin, il lui cria :

"Ca va p'tit père ? Tu t'en sors ?"

Tâchant de placer Ellana entre lui et le dos de Lars, Kahl s'arrangea au mieux pour former un bouclier suffisamment costaud pour permettre à celle qu'il trimballait de retrouver son souffle. Dimitri quant à lui semblait se débrouiller comme un petit chef malgré quelques griffures superficielles, mais l'Ogre ne manqua pas de l'inviter à se rapprocher également du quatuor déjà reformé :

"Couvrez les flancs des collègues, je n'veux pas un seul angle laissé à l'abandon. On s'la donne mais on fait ça proprement, comme des vrais soldats ! Allez la bleusaille, on s'remue !"

Résumé:

Lardon finissait de bastonner un arbrisseau lorsque la voix de Kahl retentissait dans son dos, et il achevait le petit végétal de même pas trois mètres avant de répondre.

- Une vraie partie de plaisir ! C'est sûr que je reviendrais pour y passer mes permissions, l'endroit est sympathique et on y est si bien accueillit ! Raillait le porcin d'un ton ironique mais non moins amusé.

Les assaillants qui étaient encore debout se tenait encore assez loin du groupe pour que Lardon puisse jeter un coup d'oeil par dessus son épaule sans risquer d'être surpris par une charge, afin d'aviser l'état global de ceux qui s'était rassemblé.
Kahl et Dimitri semblait encore vaillant au premier abord, Ellana au contraire avait l'air épuisée et le souffle court, alors que les deux autres étaient en position de combat, l'elfe était plié en avant, ses mains sur ses genoux, respirant de grandes goulées d'air par la bouche, tremblante de façon erratique alors que des petites plaies étaient visible sur les parties exposées de sa peau et à travers les déchirures de ses vêtements. L'agent des FMR n'était pas dans un meilleur état, il avait même encore des entailles sanguinolentes, tâchant son sac d'échantillons qu'il avait eu la présence d'esprit de récupérer sur le chemin, au moins n'avait-il pas perdu de vue la raison de leur présence ici.
La télépathe en revanche était dans un état bien plus grave, ses blessures étaient plus profondes et béantes et des racines tranchés dépassaient de sa tête, indiquait clairement que son crâne avait été perforé, son visage était figé et il lui semblait que son corps aussi.
Dimitri avait bien fait de ne pas y toucher.

- Ellana, prend son pouls. Si elle est encore en vie, tu vas devoir la soigner du mieux que tu peux avec ta magie. Retire les racines progressivement et en douceur. Toi -désignant l'agent du FMR tout en se délestant de son propre sac d'urgence- tu vas la seconder. Il était impensable qu'un membre des FMR ne dispose pas d'au moins les bases des soins magiques. Occupe toi du reste de son corps pendant qu'elle s'occupe de la tête. Car avec des plaies pareilles la perte de sang lui serait tout aussi fatale. Utilise ce qu'il y a dans le sac à défaut. On va vous couvrir pendant ce temps. Lardon s'était aussitôt remit en garde tout en parlant. Si elle est déjà morte, tant pis, récupérer ses effets si elle en a et préparez vous. Ellana, tes disques tranchants sont les plus efficaces, tu peux facilement en balayer plusieurs d'un seul coup même si tu ne touche pas leur espèce de point faible, on pourra les achever une fois coupé en deux, tiens toi prête à viser les groupes qui surgiraient ou les géants comme ceux qui vous ont attrapé.

Deux nouveaux floraux se présentèrent d'une charge sur eux, Lardon avançait d'un peu pour user de sa magie terrestre à nouveau, des vagues circulaires qui retournaient la terre, la rendant bien plus meuble comme après le laboure d'un champ, et les arbres de leur propre poids s'y enfonçait les jambes comme dans un tas de boue, réduisant fortement leur progression puisque cela les obligeait à "lever les genoux" pour extirper leurs pieds-racines du sol à chaque pas. Lardon visait d'abord les branches qui servait de bras, les élaguant avec l'acier de son épée afin de les priver de moyen d'attaque, puis la jambe du plus proche subit la morsure du fer jusqu'à son tranchage complet, faisant chuter le petit Ent unijambiste sur le côté. Il n'eut pas plus de mal à se débarrasser du second pataud en usant en plus de sa prothèse en guise de lance projectile percutant.

Dimitri d'ailleurs avait eu une remarque pertinente même si Lardon avait du mal à en juger.

- Tu pense qu'il a visé cet endroit en particulier ? Du coup d'oeil qu'il avait lancé, l'hybride avait eu l'impression que la télépathe avait été trouée de partout uniformément. Y a bien des parasites qui font la même chose pour contrôler leur proie mais j'vois pas comment un arbre animé par la magie pourrait faire bien plus que ça, mais si on doit imaginer la pire des idées possible, il aurait pu chercher à sonder son esprit pour obtenir des informations qu'elle détenait. Dans c'cas là j'espère qu'il aura d'abord trouvé c'qu'elle aime grailler et sa couleur préférée que l'emplacement des autres groupes.

De toute les façons, même cette information là était futile, quand bien même la forêt apprendrait la mission de leur groupe, elle n'avait qu'à tous les tuer, peut-être alors y avait-il autre chose à découvrir dans la caboche de la mage qui pouvait justifier ce type d'attaque parasite ? L'hybride ne pouvait malheureusement pas s'attarder sur la question.

- J'ai l'impression que certains sont moins grands que tout à l'heure. La magie s'épuise peut-être mais restez sur vos gardes, on va quand même devoir s'occuper de ceux là. Disait-il pour Kahl et Dimitri qui ne se tournaient pas les pouces.

Résumé:

Expliquer les tentations de la chasse à un être normalement constitué revenait à tenter de décrire un arc-en-ciel à un aveugle de naissance. Comment décrire une cascade de couleur à quelqu'un peinant déjà à imaginer le principe même de la vision? Aucun mot, aucune formule scientifique, aucun poème lyrique ou récital lugubre ne pourrait venir à bout de pareille barrière. Les créatures de ce monde ne comprenaient que ce qui leur était possible de visualiser, et aucun homme ne pouvait décemment imaginer le principe même de partager un corps, un esprit et un même appétit avec une bête. Une seule âme, un seul corps, une seule conscience…fendue en deux. Mélangée, confuse, contrainte de s'imaginer condamnée à un combat intérieur permanent pour conserver un semblant de jugement.
Certains jeunes chiots faisaient l'erreur de penser qu'ils n'étaient pas le loup. Que cet étrange parasite, surgissant à la pleine lune, était un ennemi, un cauchemar tentant de dévorer l'homme et s'accaparer le contrôle total du corps.
C'était faux, évidemment. La bête souhaitait le contrôle, se battait pour la dominance de l'enveloppe mais sans jamais refermer ses crocs autour de la gorge de son vis-à-vis humain. Pourquoi? Parce que la mort de l'homme signifiait la mort de la conscience. Ce ne serait donc pas une mise à mort, mais un suicide. Et aucun prédateur ne met fin à sa vie volontairement.
D’où ce combat perpétuel. Cette lutte chronique, qui transformait -avec le temps- chaque lycanthrope en créature étrange et lunatique ne manquant jamais de s’éloigner des masses face à ce qu’une partie de leur esprit assimilait comme une proie. Ou comme un chasseur.

La Salvatrice s'extirpa de son fourreau de chaîne alors que son possesseur hurlait un long et inintelligible défi destiné à la vie elle-même. Le loup qui grattait dans son crâne hurlait aussi. Les griffes de ses pattes labouraient les parois gélatineuses de son cerveau, maculant sa vision de rouge, de sang et de rêve de destruction. Il saignait du nez et ses lèvres retroussées laissaient échapper un torrent de bave sanglante provenant de sa gorge mise au supplice par le volume de ce cri inintelligible. Ses cordes vocales se tordaient et dansaient, le faisant larmoyer à chaque nouveau pic de douleur, lorsque l'une d'elles venait à lâcher et que ses capacités de régénération en faisait naître une nouvelle, presqu’immédiatement.
Comment décrire l'appel de la chasse? Le goût du sang chaud? Le dernier souffle d'une proie parfaitement brisée? Il n'y avait pas de mots pour ça, seulement des sensations. D'ennivrantes et addictives sensations. Et c'était précisément ce que ce nouvel arrivant avait tenté d'utiliser contre eux.

Le sang d'Iratus coulait sans discontinuer de la pointe de son menton et de ses lèvres. Il se mordait les joues, la langue, comme à chaque fois, mais…la provenance principale d'un tel niveau d'hémoglobine se trouvait être sa matière grise. Son crâne prenait part à sa lutte pour ne pas céder à la transformation et cela se traduisait par un saignement abondant qui finissait invariablement en larmes de sang. Le géant d'airain retira son casque pour le jeter à-terre et cracher un glaviot rougeâtre et malodorant alors que la bête pénétrait la clairière. Elle était gigantesque, peut-être plus encore que son propre loup. Blanche. Et animée d'une rage travestie, celle d'une créature des titans ne parvenant que difficilement à décider pour elle-même.
Une créature solitaire, errant dans une jungle oubliée de tous, tentait de corrompre sa propre liberté avec des promesses de meutes et de chasses ineptes. Et cela rendait Iratus fou de haine.

"-REGARDES-MOI, CABOT." Beugla-t-il en frappant du poing l'airain de son plastron.

Toute sa jeunesse, il avait refusé la facilité des meutes de lycanthropes. Plus tard, lorsque son premier officier en charge s'était avéré être un piètre commandant, Alasker lui avait extirpé les tripes pour le pendre avec. Sa punition aurait dû être de devenir un janissaire, mais son esprit indomptable s'était rendu imperméable aux manipulations magiques, au reconditionnement, même aux lavages de cerveaux. Il avait préféré la souffrance de l'arène que la soumission. Ses griffes, chaque jour, avaient lacéré son dos couvert de cloques suintantes causées par le soleil dominant les combats de gladiateurs du désert. Et puis, enfin, avec l'aide de Deydreus, il avait pu créer et diriger sa propre meute. Non pas une meute de loups-garous imbéciles, mais une meute de guerriers, de tueurs impitoyables, indomptables et cruels. Comme lui.
Et maintenant, ce misérable enfant de putain sortait de sous un tas de fougère, drapé d'un pelage neigeux, en s'improvisant chef de meute. Alpha. Alpha !
Ses tempes s'enflammèrent de nouveau. Sa vision n'était guère plus qu'un tunnel rougeâtre, donnant directement sur l'origine de son courroux, tout le reste n'avait plus d'importance. Sa bouche s'assécha alors que son organisme trop performant venait déjà cicatriser les plaies dans sa gueule garnie de crocs. La clairière n'avait jamais semblé aussi inhospitalière qu'à cet instant précis. Les tiges de plantes épineuses, les longs brins d'herbes hautes, les racines s'extirpant de la terre trop meubles…tous ces éléments "naturels" n'étaient au final que les veines et la capillaires de ce monstre nommé Jungle. Et Alasker haïssait la Jungle, sans même parler de ses occupants. Ceux qui respiraient sous la canopée, au travers des nuages de moustiques, des miasmes de pourritures et des relents infectés d'eau croupie ne méritaient que mépris et violence, comme il l'avait jadis appris, dans la plus horrible des Jungles.

Alors, qu'importe ce que son corps lui indiquait. Qu'importe le sang qui s'écoulait sans discontinuer de ses narines, de son orbite gauche ou de sa bouche écorchée. Qu'importe les implorations du loup en lui. Que ses hurlements pitoyables continuent de raisonner, seul, dans son crâne supplicié. Ce fils de putain albinos, originaire d'un tas de merde saupoudré de moisissures et de maladies n'allait certainement pas avoir le plaisir de chasser avec un prédateur comme lui.

Le restant d'instinct du nouveau venu au pelage immaculé le sauva de la morsure de la Salvatrice. A travers son intellect ravagé, l'abomination avait dû saisir que ce prédateur-ci était incapable de soumission. Peut-être que les cicatrices du monstre au regard noir avaient-elles éveillées ses soupçons, à moins que le défi hurlé précédemment n'ait suffit à l'avertir. Toujours est-il que le garou dénaturé se déroba diablement rapidement, d'un bond magistral qui mis un peu plus d'une dizaine de mètres entre lui et les occupants de la clairière. Avec une technique née de l'habitude, il s'écrasa contre le tronc d'un arbre, qui ploya sous son poids lorsque ses pattes puissantes l'utilisèrent comme tremplin pour se projeter au beau milieu de la clairière, là où se trouvait encore Silvius, parfaitement hébété par ce nouveau déchaînement de violence.
Tous crocs et griffes déployés, l'abomination mutante fila depuis les airs jusqu'à sa proie sans défense…avant que quelque chose de froid et infiniment solide ne vienne percuter son thorax avec la force d'une charrette de bœufs.
Peut-être que la blessure infligée par les cruelles lames de Deydreus avait fragilisée ses appuis, ou qu'une flèche d'Ersa avait touché un point sensible. Amoindrie momentanément, la bête avait probablement jeté son dévolu sur Silvius -relativement loin des proies les plus agressives- non pas par envie mais par nécessité.
Et ça aurait probablement pu marcher. Si Alasker n'avait pas lui-même bondit à l'instant où son adversaire s'était élancé, lame en avant, pour enfoncer la Salvatrice dans le torse offert, hurlant de rage et de satisfaction avant d'être éjecté d'un coup de patte arrière puissant et paniqué qui tordit son plastron et le força à rejoindre de nouveau la terre ferme.
Chasseur et guerrier s'écrasèrent ainsi au sol de façon presque synchronisée. A l'atterrissage, la nuque d'Alasker manqua de se rompre sur une racine dépassant d'un talus. La douleur alimenta sa colère en lui permettant de se relever d'un bond accompagné d'un grondement animal. Sitôt debout, ses yeux allèrent se poser sur le fossé creusé par l'énorme corps de l'horrible amas de mutations, dans l'espoir d'y découvrir encore assez de vie pour une dernière passe d'arme.

résumé: