Engoncé dans mon armure poussiéreuse à la suite du voyage jusqu'à Sancta et trônant sur mon fidèle Diamante, j'observais avec attention la lugubre cité qui se dressait à plusieurs centaines de mètres devant nous. L'air vicié en provenance de celle-ci charrié par le vent mordant, l'aube naissante teintant le ciel d'un rougeoiement quasi surnaturel, les ruines noircies et par dessus tout, les râles inarticulés des nombreux malheureux privés du repos éternel par la magie corrompue du titan fou X'o-Rath, donnaient à la ville déchu une aura infernale et apocalyptique. Oui apocalyptique, c'était bien le mot, cette aberration qui se prétendait être un dieu, avait réduit à néant toute vie et toute possibilités de vie futur dans ce lieu et tout ça par pur sadisme et mépris pour nous autres mortels. Désormais, rien ne pouvait demeurer en ces lieux, du moins, rien de censé.

Je me tenais donc là, accompagné d'une trentaine de soldats de l'armée sous mon commandement à observer ce spectacle. Nous avions été demandés afin d'assister des nécromanciens et des chasseurs à la capture de Driv'Zafras. L'abolition progressive de l’esclavage à l'initiative de l'impératrice, avait peu à peu laisser apparaître des trous dans l'économie de la nation et il fallut donc trouver une nouvelle main d’œuvre sans conscience, corvéable à merci, acceptant sans broncher les taches les plus ingrates et les plus dangereuses de l'empire. Le choix fut donc porté tout naturellement sur les zombies, ces victimes de la guerre contre les titanides, relevés bien malgré eux par la magie noire. Était-ce pour autant moralement acceptable ? J'en doutais fortement, mais faute d'avoir trouvé mieux pour le moment, cette pratique était bien plus tolérée dans l'Empire, enfin... tout dépendait pour qui.

Des énormes cages d'aciers attendaient dans le campement rudimentaire installé la veille, derrière moi, prêts à avaler leurs pitances de non morts. Les différentes âmes composant cette caravane d’esclavagiste d'un autre genre, s'affairaient à leurs préparatifs au vu des prochaines heures qui allaient se montrer particulièrement rudes. Se rendre dans Sancta n'était pas ce qu'on pouvait appeler une douce balade de santé, loin de là, c'était complètement suicidaire mal préparé et mal accompagné. J'ai d'ailleurs eu l'occasion durant la préparation de cette mission, d’apporter à ma connaissance les quelques histoires de marchands avides ayant fait le chemin allé mais n'ayant jamais fait celui du retour. À l'heure actuelle, ils devaient sûrement faire ami ami avec les habitants des lieux attendant de revenir, mais cette fois-ci en tant que Driv'Zafras afin d'en enrichir d'autre, bien malgré eux. Ah, comme la vie pouvait parfois avoir un sens de l’humour sordide. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire cynique à cette idée.

J'attendais là les yeux plissés asséchés par le vent glacial qui me fouettait le visage, mon regard se promenant sur l'horizon guettant le retour des six éclaireurs que j'avais missionné plus tôt avant les premières lueurs de l'aube, afin qu'ils puissent me faire un rapport détaillé sur les différents chemins à emprunter, la concentration en zombies et les autres dangers qui seraient amenés à nous corser la tache. Car il fallait en être totalement conscient :dans cette ville et ses alentours, se cachaient des aberrations bien plus dangereuses que les morts.

Année 4, le 27 décembre :

Atchoum ! Atchoum !

Je ne peux m’empêcher d'éternuer à cause de toute cette poussière. Elle est partout, faisant partie intégrante de ce paysage d’apocalypse. Certains doivent sûrement trouver, c’est endroit très beau, ou même faisant réfléchir à la place de vie dans le Sekaï, moi, il me fait tousser. Je sors du camp, où je suis arrivé la vieille, tard, pour rejoindre le chef de l’expédition, un véritable géant, rendu encore plus grand à cause de sa monture et de son armure.
J’arrive à sa hauteur, monté sur mon propre cheval, avec mes dix gardes du corps à une vingtaine de mètres, pour ne pas nous déranger. N’ayant pas une musculature très développée, au contraire de la majorité des Rekois, je dois lui sembler fluet, surtout que je n’ai même pas d’armure ! Je lui dis donc, le saluant d’un signe de tête :

Vous devez être l’officier Shango, enchanté de vous connaitre.

Je ne lui présente pas ma main, il risque de la broyer avec son gantelet sans même y faire attention. Je me présente ensuite :

Je suis Tagar Reys, ministre des Finances.

Oui, je préfère préciser, cela ne fait que quelques mois depuis ma nouvelle nomination, avant j’étais contrôleur royal et accessoirement bras droit du précédent ministre. Je le laisse ajouter quelques mots s’il le souhaite et je continue par la raison de ma venue :

Les Driv'Zafras étant devenus indispensables à la transition de notre économie, je suis venu voir comment on les capture, afin de me rendre compte par moi-même, combien j’ai de temps pour réaliser mon programme économique.

Et oui, cela ne peut pas durer éternellement, les cadavres ambulants vont bien se détruire avec le temps et j’ai déjà des plans qui sont en cours, il ne reste plus qu’à savoir si je dois les accélérer, ce qui risque de faire des mécontents et de coûter cher à l’état.

Je fus sortie de mes observations de la cité démente par des bruits de sabots venant à ma rencontre. En tournant la tête, je m'attendis à voir un de ces chasseurs arriver à ma hauteur afin de me notifier, qu'ils avaient enfin terminés les préparatifs au vu de la récolte macabre du jour, mais au lieu de cela un homme qui dénotait quelque peu avec les représentations que l'on pouvait se faire d'un collecteur de mort, s'avança jusqu'à moi. C'était un homme de taille moyenne, plutôt élégant par rapport à la situation dans laquelle nous étions et dans laquelle nous allions nous fourrer d'ici très peu de temps ; et au vu de ça garde rapprochée restés en retrait, il devait être plutôt important et fortuné.
Il me salua d'un signe de tête que je lui rendis.

-Oui tout à fait, c'est bien moi ! Pourrais-je demander à qui ai-je l'honneur ?

J'observais tour à tour avec attention l'homme aux yeux clairs et la petite troupe qui l'accompagnait, non pas que je craignais qu'ils puissent être réellement une menace, mais dans ces contrées dévastées, il fallait et à raison, constamment rester sur le qui-vive. Le danger pouvait se cacher même sous des traits les plus amicaux, mais à l’entente de son nom, je me détendis aussitôt.

-Enchanté Monsieur le ministre, nous nous sommes jamais rencontrés je crois, mais j'ai déjà eu l'occasion d'entendre parler de vous à plusieurs reprises.

Je sais que ce n'était pas forcément le cas de tous, car beaucoup étaient là pour exécuter les ordres sans forcément se soucier outre mesure de la politique, mais en tant qu'officier, je souhaitais me tenir au courant de ce qu'il se passait dans les hautes sphères de la nation. Beaucoup trop de choses extrêmement sérieuses se sont déroulées ces dernières années, pour que je puisse me permettre de faire l'autruche et obéir aveuglement à la manière des damnés que l'on partait chasser aujourd'hui.

-Mes hommes m'ont prévenu ce matin que vous étiez arrivé très tard dans la nuit. J’espère que vous avez fait bon voyage et que vous ainsi que vos hommes ont pu se reposer.

Je restais tout de même fort surpris qu'un homme de sa stature et dont le combat n'était, à priori pas sa première vocation, se retrouve en cet endroit peu engageant et je sus d'un bref coup d’œil au cortège d'esclavagistes, que je ne fus pas le seul à penser cela au vu des regards circonspects que nous jetaient ses membres. J’eus l'impression qu'il capta mon étonnement, peut-être à mes sourcils très légèrement froncés, car il me répondit aussi tôt du pourquoi de sa présence.

-Je vois. Et bien Monsieur le ministre soyez le bienvenu ! Dis-je en ouvrant légèrement les bras d'un geste qui se voulait accueillant. Il est vrai que cette situation est très peu enviable sur le point étique, non pas que l'ancien mode l'était pour autant, mais celui-ci pose également de sérieux problèmes sanitaires. Je connais très peu de monde ravis de voir des cadavres ambulants évoluer près de leurs foyers... mise à part ces gens-là !

Je ponctuai ma phrase d'un geste de la tête en direction des nécromanciens qui se trouvaient dans le campement. Je trouvais leur goût pour la chair morte extrêmement sordide et je ne pouvais comprendre comment une personne pouvait en arriver là. J’eus bien sûr l'occasion d'entendre les histoires de maris, de femmes ou de parents fou de chagrins quant à la disparition des leurs, tenter de les faire revenir mais un mort restait un mort.

-Non pas que vous ayez besoin de mon approbation, mais je suis ravie d'entendre que vous rechercher une solution pour ce... problème, enfin si je le comprends ainsi ?

Je voulus rajouter autre chose quand du coin de l'œil, je captai du mouvement en provenance de la cité. En me retournant je vis mes éclaireurs partis plus tôt, revenir de la ville morte à brides abattues tels des messagers de mauvais augures.

-J'espère que vous êtes prêt Monsieur ? La chasse commence maintenant ! Dis-je, sans détourner le regard des arrivants.

Mon interlocuteur a déjà entendu de moi ! Je suis flatté et j’espère que c’est en bien. Il s’enquiert ensuite de mon état et je lui réponds en toute honnêteté :

Je ne suis pas un très bon cavalier, mais l’infrastructure de l’ancien Shoumeï est solide et les routes sont plutôt bonnes.

Il va falloir d’ailleurs penser à mettre en place mon programme de réfection des axes de communication, si on veut garder ce réseau en état convenable. Nous parlons ensemble du côté éthique d’utiliser des morts-vivants comme main-d’œuvre et je devine à ses paroles que c’est également un anti-esclavagiste. Il me pose ensuite une question :

Oui, c’est bien un problème, mais qui va être résolu, il faut juste…

Je n’ai pas le temps d’en dire plus que des cavaliers arrivent et le géant à mes côtés me demande d’être prêt. Je me dépêche donc de lui indiquer :

Je suis juste là en tant qu’observateur. Toutefois, si vous avez besoin de mes troupes, elles sont à votre disposition.

Je pense que l’on reprendra notre discussion sur l’avenir de l’Empire plus tard, j’aime en effet, beaucoup échanger avec les gens sur le terrain, à condition, bien sûr, qu’ils aient une certaine éducation, c’est le minimum. Les éclaireurs arrivent finalement à notre hauteur et informent l’officier :

Une grande bande de zombis arrive par ici, certains sont des anciens soldats, car ils sont armés et nous avons même vu des chevaliers !

J’ai une pensée pour les membres de ce pauvre ordre de la Main, qui ont été décimés et dont il ne reste aujourd’hui, plus grand-chose. Dire qu’ils représentaient l’élite de leur nation et ils ont été balayés comme des fétus de paille par les Titans. Je n’ai plus qu’à attendre la décision de l’élémentaire, est-ce qu’il va vouloir les capturer ou les laisser passer ?

Si je comprenais bien ses dires, le ministre était donc principalement ici pour observer la capture de ces corps mortifères. Voilà qui allait fort bien, mes hommes et moi étions également là en soutiens pour ces chasseurs de cadavres et ces mages noirs. Nous n'avions pas pour vocation principale de combattre lors de cette mission, mais seulement de les assister et pour ma part, plus particulièrement, de chapeauter cette caravane. Tant que le danger ne se montrerait pas extrême, je resterais également plus ou moins observateur de la capture, mais je savais par expérience que ce genre d’épopées ne se passaient jamais comme prévu donc je me tenais malgré tout prêt à agir.

-Je resterais également observateur, je donnerais quelques ordres en cas de besoin, mais ces gars savent ce qu'ils font, ils sont spécialisés dans ce genre d'activités. Du moins, je l’espère.

Je soulignai ma phrase en désignant les hommes et les femmes composants la troupe d'esclavagistes du pouce.

-Par ailleurs, je vous remercie pour vos hommes, mais j'espère que nous n'aurons pas besoin de les impliquer là-dedans, mais sait-on jamais.

Les éclaireurs arrivés à notre hauteur, nous firent un rapport de la situation. Donc des soldats, et même des chevaliers faisaient partie de la procession macabre avançant sur nous ? Il fallait s'en douter, il n'y avait pas que les citoyens qui avaient péri lors de cette guerre, d'innombrables guerriers les avaient suivis dans la tombe... et maintenant en dehors.
D'un petit coup de talons sur les flancs de Diamante tout en tirant sur ces rênes du côté droit pour faire demi-tour, je fis face à la caravane afin de dicter mes ordres d'une voix claire et puissante.

-Votre attention messieurs dames, soldats ! Un groupe de Driv'Zafras avance sur notre position, la plupart sont armés et d'autres sont potentiellement d'anciens hommes d'armes d'élites. Ils ne sont peut-être plus ce qu'ils étaient, mais ils restent toujours une grande menace. Ne les sous-estimez pas si vous ne souhaitez pas faire partie de leurs prochaines victimes et si vous voulez revoir vos familles. Nous capturerons tous les morts que nous trouverons sans distinction, jusqu'à remplir les cages prévues à cet effet. Soldats, j'ai conscience que la capture de certains de ces anciens combattants de la libertés peu peut-être vous laisser un goût amer et je le comprends, mais nous ne sommes pas là pour avoir des états d'âme. Sachez qu'ils ne sont plus !

J'adressai cette dernière phrase plus particulièrement à mes soldats qui avaient pour la plupart éprouvés leurs valeurs aux côtés des combattants Shoumeïens lors de la guerre.

-J'espère que tout est prêt, nous n'allons pas les attendre ici sagement ! Je veux que les chasseurs forment une première ligne afin d'encercler nos nouveaux venus, utilisez vos pièges ainsi que tout votre attirail afin de les neutraliser à distance sans forcément les détruire pour que la seconde ligne de nécromanciens puissent en prendre le contrôle et les embarquer dans les cages. Pour la première ligne, n’hésitez tout de même pas à en mettre hors d’état de nuire certains si vous sentez que vous allez vous retrouver submergé, mes hommes seront également là pour vous épauler. Pour ma part, je resterais hors du combat afin d'avoir une vision d'ensemble sur la manœuvre et de la gérer au mieux selon les aléas, je serais également accompagné du Ministre. J’interviendrai dans la bataille en cas de force majeure bien évidemment.
Allez messieurs, c'est une belle journée qui nous attend, serrez vous, soyez solidaire et généreux avec vos camarades, ce soir nous repartirons les bras chargés !

Je conclus la fin de mon discours d'un salut Reikois puissant faisant raisonner mon armure dans un tintement métallique avant de me retourner vers l'homme aux yeux clairs qui se tenait près de moi.

-Eh bien Monsieur le ministre, nous voilà partis.

Dans un léger sourire, je fis faire un volte-face à Diamante qui cabra légèrement sous l'impulsion de l'ordre que je lui donnai et me mis en route à allure modéré afin que l'homme aux cheveux clairs puisse éventuellement me rattraper.

Le soldat réagit vite, très vite même, à l’annonce des éclaireurs et il donne ses ordres à ses subalternes en leur demandant de faire preuve de prudence. C’est vraiment dommage pour ses anciens défenseurs du Shoumeï, mais comme disait mon Père, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ce qui est induit que quand on meurt, on n’a plus d’espoir.

Je l’écoute faire son plan de bataille qui me semble très bien, même si je n’ai guère de connaissance en stratégie. Il veut toujours capturer des morts-vivants, ce qui est une bonne chose, puisque je suis là pour observer la manœuvre et je suis l’homme à cheval. Heureusement pour moi, il n’a pas demandé à sa monture de se mettre au galop, car vu mes pauvres compétences en équitation, j’aurais rapidement été distancé.

Nous arrivons ainsi sur les lieux et je dois dire que le nombre de morts-vivants est assez impressionnant, ils doivent être au bas mot un millier, alors que tout compris, nous ne sommes pas plus d’une centaine. Je constate qu’ils sont bien équipés et j’ai pu voir que certains zombies, s’étant mis en avant de la horde ont déjà pu être capturés. D’après ce que je vois, la manœuvre est assez simple, le mort-vivant est mis au sol et un nécromancien s’empresse de lui poser une marque. Ensuite, il est simplement acheminé vers une grande cage et le cycle se répète.

Il y a environ une dizaine de sorciers et je ne sais pas s’ils auront assez de mana pour tous les faire. Je demande donc à mon interlocuteur :

Si les mages tombent à court de sort, est-ce que nous laissons les zombies sur place ?

J’avoue qu’ils me font un peu pitié, car dans le tas, il y a également des femmes et des enfants et je pense que l’on devrait, au moins pour ces derniers, les détruire.