La petite troupe de la régente grandissait chaque jour.
Suite aux évènements de sa rencontre avec l’impératrice du Reike, d’anciens chevaliers de Shoumei s’étaient joints à elle. Toutefois, elle avait levé toute ambiguïté sur son intention : Hors de question de reprendre les terres de la Fédération, elle avait une quête à accomplir et celle-ci ne saurait souffrir d’un poids mort. Les chevaliers avaient accepté ce contrat, mus par la perspective de vengeance que leur offrait l’ancienne régente, qu’elle ne le dise ouvertement ou non.
Et chaque jour, les anciens shoumeiens venaient en aide aux nécessiteux qu’ils croisaient. Ils ne leur promettaient rien, ni ne demandaient quoique ce soit en retour. Quand on les interrogeait afin de savoir qui était cette tête blonde qui les menait toujours plus vers le Nord, il répondait  d’un air grave “C’est Elle.”.
Toutes les fois où elle s’était retournée pour voir si on la suivait toujours, la première des valkyries observait qu’il y avait de plus en plus de civils avec eux. Elle ne leur avait jamais adressé la parole et ne les avait, à l’instar des chevaliers qui la suivaient également, considérés dans sa quête ou dans son trajet.

Cependant que la caravane n’était plus qu’à quelques jours de marche de Sancta, l’un des chevaliers rattrapa l’ancienne régente à la tête de celle-ci. C’était un vieil homme dont les traits du visage étaient tirés par une vie bien trop longue au service de la Fédération, son regard affûté semblait toujours vouloir regarder derrière lui, néanmoins il inspirait le respect de ses hommes et il avait un certain don pour calmer les autres.

- Les hommes sont épuisés, les animaux encore plus. Il nous faut nous reposer.

Gunnhildr ne le regarda pas et il se demanda même si elle l’avait seulement écouté. Considérait-elle ne serait-ce, ce qu’il venait de dire ? Il s’apprêtait à ralentir sa monture, lâcher l’affaire une bonne fois pour toute. N’était-ce pas ce qu’elle voulait après tout ? Mais il l’a vit bouger. Leurs regards se croisèrent alors qu’elle se retourna pour jeter un coup d'œil sur ceux qui étaient derrière. Puis elle refit face à la route. Un silence. Et répondit :

- Sancta n’est plus très loin, il serait dangereux de s’arrêter ici. Cela fait des semaines que je parcours nos anciennes terres et ce ne sont pas les bêtes qui m’inquiètent le plus. Toutefois, il serait encore plus dangereux de continuer dans votre état. Bien. Arrêtons-nous. Il me semble qu’un hameau est proche d’ici. Elle le regarda du coin de l'œil afin qu’il confirme sa pensée. Gunnhildr avait une bonne connaissance de la géographie de Shoumei, mais les détails pouvaient lui manquer, mais un signe affirmatif de celui-ci lui suffit à bifurquer au prochain croisement.

Le village était totalement vide, Gunnhildr s’en était assurée en le parcourant depuis le ciel. Les toits étaient en piteux état, la végétation reprenait doucement ses droits ici et là et au vu de sa proximité avec Sancta, nul doute que les habitants de ce petit village avaient connu un funeste destin il y a quatre ans de cela.
Sur les hauteurs, là où autrefois l’on faisait pousser le blé, l’orge et autres grains, se trouvait une grange. Un abri rudimentaire, mais suffisant pour accueillir les villageois et offrir une protection pour la nuit.
Le groupe s’y aventura à la fin de la journée, lorsque les dernières lueurs du soleil se cachèrent derrière l’horizon. D’ailleurs, quelques soldats s’y étaient rendus dans un premier temps, pour s’en assurer de la sûreté, puis le reste avec les civils.

Chacun se trouva un endroit pour passer la nuit. Mais l’hiver était bien installé à cette époque de l’année dans cette région du monde et plus ils continuaient vers le nord, plus les journées étaient rudes et les nuits glaciales. Finalement, malgré la formation de quelques groupes, ils dormaient tous ensemble.
Gunnhildr, elle, resta debout. La seule, d’une part car elle n’avait pas besoin de dormir et d'autre part même les plus vaillants des chevaliers tombèrent de fatigue rapidement, malgré la bonne figure qu’il voulait faire devant la Régente. Elle serait donc de garde pendant la nuit.

Pendant un court instant elle songea à profiter de la nuit pour s’enfuir. Les laisser tous, ces hommes, femmes et enfants ici et continuer sa route sans eux. Tout serait sûrement beaucoup simple sans toutes ces personnes qui la suivaient. Elle n’y trouvait que des avantages Nul besoin de m’arrêter, plus discrète… Elle soupira pour chasser ses pensées de sa tête. Ils n’ont rien demandé.

Alors qu’elle effectuait sa ronde, elle s’aventura jusque dans le village. Peut-être pourrait-elle trouver quelques vivres afin de nourrir les bouches de la grange, peut-être même qu’avec un peu de chance, elle pourrait trouver quelques vêtements également, afin de couvrir les plus frileux. Cependant qu’elle remontait vers la grande, avec un maigre butin, elle vit une petite lumière qui perçait les ténèbres depuis la batisse. Elle lâcha tout.

Folle de rage, elle pénétra à l’intérieur du bâtiment avec fracas. L’instant d’après elle était en train d’écraser l’âtre de fortune du pied sous le regard médusé de ceux qui l’avaient allumé :

- Idiots de Touk. C'était le nom de cette famille. Brûlez-vous la prochaine fois et libérez-nous de votre stupidité.

Ce n’étaient que des enfants, ils ne comprenaient pas ce qu’ils avaient fait de mal, tout cela partait d’une bonne intention pour eux et c’était presque si les villageois, qui commençaient à se réveiller, n’étaient pas déjà en train d’élever la voix à l’encontre de la liche.

- Cette lumière a peut-être été vue à des kilomètres. Soldats, à vos postes. Nul ne sait ce qu’elle a pu attirer.

Les anciens chevaliers ne demandaient pas leur reste et se mettaient déjà en position pour tenir l’endroit. Les civils comprirent vite la gravité de la situation et l’agitation les gagna, d’ici quelques instants ça serait la panique. Gunnhildr mit un terme à tout ceci.

- Si cette grange est tout ce qu’il reste de la Fédération de Shoumei, alors nous la défendrons jusqu'au dernier.

Sa voix était assurée et suffisamment claire pour dépasser l’affolement. Son regard était embrasé d’une fureur sans pareil qui réchauffait les chevaliers présents. Elle serait la première ligne de défense, à l’extérieur du bâtiment, quant à eux ils auraient à charge de s’occuper de tout ce qui pourrait passer la grande porte.

L’agitation avait gagné l’intérieur avant que tout ne se calme. La tension était palpable dans l’air et la première valkyrie jeta un dernier regard dans son dos avant qu’on ne ferme la double porte. Elle entendit les planches se glisser contre celle-ci et elle se tourna à nouveau vers le village, fermant les yeux pour essayer de sonder les alentours magiquement. A quoi devait-elle s’attendre désormais ? Quelles créatures viendraient des ténèbres de la nuit ? Serait-ce des alliés ? Serait-ce les fanatiques du nouvel ordre ? Ou pire encore ?