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  • Jeu 19 Jan - 13:24
    - Quelle douce musique, tu ne trouves pas ?

    Tulkas était somnolent, assis sur son klismos – sorte de chaise typique des peuples du désert – le dos calé contre le dossier incurvé de la chaise. Vêtu d’une toge qui recouvrait son flanc droit, le poing fermé contre sa joue. L’homme était transporté ailleurs par cette musique. A laquelle l’artiste insufflait la vie en pinçant les cordes d’un luth à nuque étroite, qu’on appelait dans certaines régions du désert des gish-gu-di.

    Elle parlait d’un temps lointain, peut-être même plus lointain encore que la révolte des titans. A cette époque, que peut-être certains êtres à la longévité presque infinie avaient pu connaître. Elle racontait l’histoire d’un roi, d’une cité-état plus ancienne encore que le Reike, la République ou le Shoumeï. Elle racontait l’histoire d’un roi, puissant, a l’image de l’Empereur, le fléau des titans. Un roi si puissant qu’il avait subjugué un petit empire par la force de ses bras, par le feu dans son cœur et par l’acier de sa volonté.

    Les Titans, cruels oppresseurs des mortels, s’étaient opposés à cette perturbation de leurs ordres qu’ils voulaient éternel. Et dans leurs folies mégalomanes, avaient créé un monstre pour vaincre ce Roi antique.

    Hélas, chantait l’artiste, cette créature née de la force des Titans pour abattre ce Roi antique en était incapable. Tout comme le roi n’était pas assez fort pour s’opposer a la volonté des oppresseurs des temps antiques. Alors, le Roi fit de la créature un allié, et ensemble, ils eurent de grandes aventures. Des armées détruites par la force de leurs bras, des monstres réduits en servitude pour la grandeur de cet antique Roi.

    Mais, rappelait le chanteur, les Titans sont des créatures malfaisantes, mues par l’égoïsme et qui ne voyaient en leurs créations que des esclaves, seulement bons a les vénérer et les idolâtrer. Et cette trahison d’une de leurs créatures ne pouvait être pardonnée, aussi, les Titans tuèrent l’allié du Roi. Balayèrent ses cendres aux quatre vents pour qu’il ne reste aucune trace de cette rébellion. Que jusqu’à sa mémoire soit oubliée.

    Cependant, le Roi avait vu un ami dans cette créature qu’il ne pouvait vaincre et rendu inconsolable par la mort de son égal, avait décidé de partir en quête de l’immortalité, afin que personne n’oublie jamais l’existence de son ami. Mais le temps des hommes est court, fugace, éphémère aux yeux de nombreuses races. Et même le Roi ne pouvait repousser éternellement les ravages du temps, aussi forts soient ses bras, aussi brûlant soit le feu dans son cœur, aussi solide soit sa volonté. Le temps emporte tout.

    Qui aujourd’hui se souvient du nom de ce Roi ? De l’histoire que ses scribes ont du retenir quelque part ? Qui aujourd’hui se souvient du nom de cette créature, qui s’était opposée à la vision de ses créateurs et en avait payé le prix ?

    Personne, répondait le chanteur dans sa mélodie dont les notes résonnaient avec le cœur du Gladiateur, qui lui aussi voulait devenir immortel. Qui lui aussi voulait que d’ici des millénaires on raconte son histoire avec cette révérence qu’avait l’artiste. Pourtant, Tulkas était mortel. Les griffes ayant fracturé son casque et entaillé ses chairs à sa taille étaient de cruels memento mori qui faisaient honte au Gladiateur. Iratus avait été le premier à lui imposer un match-nul, qui, aux yeux du vétéran de l’arène était pire qu’une défaite. Au moins, les morts ont l’honneur sauf. Tulkas était cruellement mortel, et cette réalisation le remplissait d’un dégoût qui venait jusqu’à parasiter ses papilles, transformant le vin coûteux qu’il buvait en vulgaire jus de raisin trop aigre.

    Regardant le liquide carmin qu’il faisait tournoyer dans sa coupe en bronze, il réfléchissait. Les grands anciens de ce monde, se souvenaient-il de l’existence d’un roi pareil ? Ou bien n’était-ce qu’une légende inventée au détour d’un feu de camp avant la guerre contre les titans ? Le nom de ce roi, tout comme celui de cette engeance des Titans avaient été oubliés, nul livre, nul mémoire d’historien ne rapportais l’existence d’une pareille civilisation et d’un roi qui avait pu égaler un jour la force de Tensaï, pourtant, cette chanson devait exister depuis bien plus longtemps. Était-ce une façon de donner espoir aux premiers rebelles ? De leurs dire qu’un jour viendrait un être assez fort pour repousser définitivement les Titans ? L’Empereur lui-même avait-il entendu cette chanson dans sa jeunesse et avait pris pour modèle ce premier rebelle ? Tulkas en doutait, mais la pensée lui plaisait. Avoir sa légende émulée par un puissant, qui donne corps a notre mythe et fait office d’un précédent récent justifiant notre existence amplifiée par le temps. N’est-ce pas une façon d’être déifié ?

    Si un jour, il avait l’occasion de discuter avec l’Empereur, peut-être lui demanderait-il. Ou peut-être pas. Sa Majesté ne lui avait jamais donné l’impression d’être un homme particulièrement préoccupé par des licences artistiques et légendes que l’on raconterait volontiers à des enfants. Après tout, quand on écrit sa propre légende a chacun de nos faits d’armes, que chacun de nos actes semble défier tout précédents, qu’ils soient couchés sur le papier ou virevoltent dans les chants du peuple, peut-on vraiment s’inquiéter de l’impact que notre vie laissera ?

    Combien de légendes de l’Arène est-ce que Tulkas avait tenté d’émuler au cours de sa carrière ? Des guerriers les plus sauvages aux plus habiles, des plus solides aux plus agiles. Toute sa vie, qu’il s’agisse des enseignements de son laniste ou des combats chorégraphiés avec ses frères d’armes du Ludus, est-ce que Tulkas pouvait dire s’être créé un style de combat qui lui était propre ? Bien entendu, aux yeux des spectateurs aussi fanatiques soient-ils de ce noble sport qu’était la lice gladiatoriale, Tulkas avait évidemment son propre style. Des combats rapides, où la force écrasante du gladiateur était exploitée a son plein potentiel et quand ses adversaires étaient capables de plus grandes prouesses, c’est par sa vitesse qu’il les dominait.

    Pourtant, certains philosophes disent que rien n’est réellement inventé de nos jours, que l’on se dresse toujours sur les épaules des géants pour atteindre de nouvelles hauteurs. Et selons lui, aussi amoureux soit-il de sa propre image, Tulkas considérait qu’il n’était même pas arrivé sur les épaules des précédents géants qui avaient fait de leurs carrière de gladiateur quelque chose de légendaire.

    Son langage, son style de combat, n’était pas le sien, ce n’était que des émulations d’anciens champions, des réappropriations de certaines passes d’armes. Il n’avait encore rien inventé et s’était simplement contenté d’apprendre de ses maîtres et de s’approprier leurs coups. Pourtant, aussi talentueux que l’on puisse être en suivant les pas de nos meilleurs, on ne laisse pas d’empreinte dans l’histoire. Et Tulkas voulait laisser son empreinte sur l’histoire de ce monde. Sur l’histoire de l’arène. Sur l’histoire du Reike.

    - Oui maître, comme du miel.
    - Quelque chose te travaille, Gladiateur ?
    - Non maître.

    Sau’inn le regardait un instant, ça devait être l’une des rares fois où son Gladiateur osait lui mentir. Avait-il honte de quelque chose ? Ne comprenait-il pas la langue et la verve du chanteur ? Était-il malheureux après avoir été éconduit par une servante ? L’homme à la peau basanée et aux yeux bleus aussi perçant que l’acier se posaient sur sa propriété. Ramenant un des pans de ses manches sur ses genoux, confortablement allongé sur son baldaquin. Le Maître regardait celui qui était Esclave en tout sauf en nom et, sans donner le fond de sa pensée, retournait son attention sur les artistes qui se lançaient dans un nouveau chant.
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  • Jeu 19 Jan - 17:41
    Ba-nu ḫur numuedanzizig


    - Ça ne te ressemble pas d’être aussi morne, Tulkas.
    - Je vais bien.

    Vagirhn avait cependant raison, la réception de la veille pesait un peu sur la conscience du Gladiateur. La chanson qui racontait l’histoire presque oubliée de ce roi millénaire continuait de résonner dans sa tête. Cette chanson qui avait su entrer en résonnance avec la musique de l’âme de l’arrogant acteur qui voulait laisser sa marque sur le monde et sur l’Histoire de sa nation.

    Des pléthores de gens de tout âges et de tout peuples se réunissaient régulièrement à l’arène de Taïsen pour venir admirer les combats de cette étoile montante théoriquement invaincue, si l’on exceptait cet humiliant match-nul qui remontait maintenant à de années de cela. Des cohortes entières de fanatiques qui hurlaient son nom, frappaient le sol de l’arène en rythme au point tel que les vibrations se ressentaient jusque dans le sable. Un monde incroyable qui se rassemble pour hurler de joie au moindre coup de tranche, a la moindre esquive in extremis, qui hèle et hue, qui rit et pleure en fonction des humeurs avec lesquelles le Gladiateur s’amusait à jouer en fonction de la pièce qui avait été préparée pour lui et ses adversaires.

    Ne vous détrompez pas, les combats étaient bien réels, mais les mises-à-mort des prisonniers de guerre ou des criminels n’amusaient pas le public uniquement par le sang versé, mais par l’histoire qui était racontée. Parfois, certains Gladiateurs, Tulkas y compris, prenaient le rôle de figures importantes de l’histoire du Reike et les condamnés a morts – bien souvent des combattants vicieux mais ne disposant d’aucune éducation solide en la matière – celui des ennemis du Royaume, puis de l’Empire.

    Combien de fois avait été rejouée la Titanomachie de Tensai, qui terrassa un Titan à lui seul ? Combien de fois avaient été rejoués des scènes devenues mythiques, voir presque mythologiques, de la première guerre contre les Titans ? De la soumission des nations ennemies, rejouées sous la forme d’un combat mettant en scène deux équipes de Gladiateurs où le Reike ne pouvait pas se permettre de perdre.

    Parfois, certains combats prenaient presque une tournure rituelle, rappelant l’unification du Royaume et de l’Empire, où mages élémentalistes jouaient de leurs arts pour apporter une pyrotechnie plus que bienvenue ?

    Tulkas était devenu une star après une vie de gladiature, il avait été tout, mirmillon, rétiaire, venator et j’en passe. Changer d’armatura et de style de combat était devenu une seconde nature pour lui, aussi à l’aise dans un art martial que dans un autre. Il faisait souvent le sujet de conversation, la plupart du temps autour d’une bonne bière relevée aux épices ou d’un verre de vin partagé avec un ami. Et pourtant, aussi populaire puisse-il être auprès des amateurs de ce grand sport, une réalité s’imposait toujours à lui. Il devait en faire plus, aller plus loin dans le spectaculaire, repousser les limites du danger, affronter toujours plus des adversaires où ses capacités naturelles n’étaient pas un arsenal suffisant pour atteindre la victoire. Où Tulkas devait faire preuve d’esprit créatif pour triompher.

    Toujours repousser les limites du spectacle, de la raison et de la sécurité, pour qu’il ne soit pas éclipsé par un rival, pour que son nom reste synonyme d’excitation et d’impatience. Pour que sa présence seule sur les sables d’une arène soit suffisante pour réunir son public, son auditoire, son orchestre. Orchestre dont il guidait les réactions et les chants de son glaive, a l’image d’un conducteur dirigeant ses chanteurs avec sa baguette.

    Pourtant, un jour viendra où l’or de sa gloire finira par se ternir, où ses réflexes deviendront moins vifs et son bras, moins puissant. Un jour viendra où un jeune gladiateur le détrônera, lui, l’un des derniers gardiens de la gladiature traditionnelle.

    Deviendrait-il, alors, se demandait-il, un homologue a ce roi lointain dont le chant résonnait dans son crâne. Dont jusqu’au nom aura été oublié, devenu peut-être un amalgame de plusieurs figures historiques qui se sont démarqués par leurs maîtrise de leurs arts ? Un concept, celui du Gladiateur, dont on chantera les figures, ou qu’on plaindra pour son esclavage qui deviendra aux yeux des futures générations de plus en plus abject ?

    - Ça va commencer.

    La voix de Vagirhn le tira de sa contemplation mélancolique de ce destin qui faisait naître une crainte dans ses tripes. Tulkas redressa la tête, enfonçant son casque ceint du crâne d’Endymion l’usurpateur.

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  • Jeu 19 Jan - 23:43
    Nam-tar

    - Rugissez ! Peuple de Taïsen ! Que votre cri de joie fasse trembler les cieux !

    Avait crié le héraut. Et le peuple rugit.

    C’était une cacophonie écrasante qui faisait naître le feu de la fierté dans le ventre du Gladiateur. De ses sandales il retournait le sable gorgé de sang de l’arène du Lion. De ses bras, il accueillait l’amour et l’adoration de la foule. De sa foule.

    Il était un dieu et eux, ses adorateurs.

    Toute crainte fut balayée, toute angoisse étouffée. De cette peur panique qu’il avait d’être au précipice de l’Oubli, il ne restait rien. Comment pouvait-il en être autrement ? Des centaines, si pas des milliers de gens avaient fait le déplacement pour ces jeux inauguraux d’une nouvelle saison gladiatoriale. Et sous une pluie de pétales de roses et autres fleurs, s’avançaient les deux gladiateurs.
    Tulkas et Vagirhn.


    Des milliers, ils étaient des milliers, de tous les âges et de tous les peuples, tous, étaient venu pour Lui. De ses deux mains, il haranguait la foule, pointait du doigts quelques admirateurs, de tout sexes et de tout âges, avant de se tourner vers Vagirhn. Qui de son côté aussi, saluait quelques admirateurs, levait son glaive et frappait son bouclier pour encourager la foule à aller plus loin dans son exaltation, d’aller chercher toujours plus de joie.

    Même Endymion, depuis son pic logé dans l’orifice occipital de son crâne, pouvait profiter de cette adulation que leurs vouaient les citoyens du Reike. Puis retentirent à trois reprises le bruit des tambours, enjoignant le peuple au silence.

    - Peuple du Reike ! Pour célébrer la nouvelle année et la nouvelle saison des jeux gladiatoriaux, l’Empire vous offre ces jeux ! Gloire au Reike ! Gloire au couple Impérial ! Gloire au Reike !

    Tulkas, Vagirhn et l’ensemble du public hurlèrent de chœur « Gloire au Reike ! », certains se frappaient le tatouage sacré, d’autres levaient les poings, Tulkas, lui, se frappait le cœur du poing fermé. Les gladiateurs se devaient d’être des fidèles serviteurs de l’Empire, après tout, Tensaï lui-même n’avait-il pas été l’un des leurs dans le passé ? Preuve vivante que les plus grands de l’Empire peuvent surgir de la plus basse des fanges, si l’on se donnait un peu de volonté ?

    - Aujourd’hui ! Tulkas, l’invincible Lion de Taïsen et Vagirhn, le marteau de Kazan vont démontrer la supériorité martiale de l’Empire en affrontant l’incarnation même de la sauvagerie de la nature ! Vivants au plus profond des forêts et dans les montagnes les plus escarpées… UN OGRE !

    Les gladiateurs marquèrent un temps d’arrêt alors que le peuple s’élança dans un cri de joie sans pareille, quelle meilleure façon y avait-il de commencer la nouvelle année que par une Venatio ? Ces chasses, ou plus exactement, ces combats qui opposaient les gladiateurs aux créatures sauvages du Sekaï.

    - Un ogre… ?

    Vagirhn avait ce tressaillement dans la voix, celui de l’incertitude et du doute. Deux défauts qui pouvaient être synonymes de mort dans l’arène, où seules la force, la volonté et la ténacité pouvaient faire la différence. Cependant… Même Tulkas avait du mal a prendre la pleine mesure de l’adversaire terrifiant qui leurs était réservé. Mais arrogance aidant, mégalomanie confirmant, Tulkas était plus occupé a se demander quelle serait la meilleure façon de tuer un géant pour offrir un spectacle digne de ce nom a son public.

    Puis sonnèrent les cuivres et tonnèrent les tambours alors que la foule explosait à nouveau en liesse tandis que les lourdes herses qui faisaient face aux deux combattants commencèrent à se hisser grâce a un mécanisme dont la complexité échappait complètement à l’arrogant Gladiateur. Cette tâche incombait elle a des mages de métal ? Ou plutôt a des bêtes de sommes qui travaillaient sous l’ombre des estrades, a faire tourner de grands rouages ?

    Toutes ces questions d’ingénierie d’ordre parfaitement théorique furent balayées quand surgit de sous la herse une figure colossale encerclée de plusieurs mètres de chaînes en acier. Les tambours tapaient la cadence tandis que les gardes repoussaient en avant la figure qui devait bien mesurer cinq mètres de haut. Un colosse, tout fait de muscles et de colère à peine contenue. Un coup de lance placé dans le fessier de la créature paracheva de la faire plonger dans une rage noire et dans un grincement métallique, fit rompre l’une après l’autre les liens de ses chaînes pour lancer un rugissement qui étouffa l’espace d’un instant les cris de joie de la foule.

    Le silence s’installa un instant tandis que la créature qui leurs faisait face respirait lourdement, les épaules se levant et s’affaissant. L’œil torve et l’air stupide. Puis, les tambours reprirent et les cors sonnèrent le début du combat.

    De cette Venatoria, Tulkas ne pouvait ressortir que vivant et victorieux ou mort et déshonoré. Tournant son regard vers Vagirhn, l’arrogant Gladiateur désigna d’un geste du casque l’adversaire qui s’élançait vers eux en faisant trembler le sol à chacun de ses pas.
    Le combat avait commencé.
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  • Ven 20 Jan - 1:17
    Urun kalag-ir

    « L’Ogre » s’élançait vers le Marteau de Kazan et le Lion de Taïsen, le sol tremblait alors que le colosse de cinq mètres de haut retournait le sable en grande gerbes de poussière et rugissait comme une bête sauvage en chargeant les deux Gladiateurs qui d’un regard se coordonnèrent.

    Tulkas était clairement le plus fort des deux gladiateurs qui était présent, du moins, en termes de prouesses physiques. Ses armes étaient encore rangées dans leurs fourreaux, écartant les bras de son corps en frappant le sol de son pied droit, le Lion de Taïsen poussa un rugissement dont la férocité égalait celle de la créature colossale qui les chargeait. Bien entendu, que le Gladiateur aurait été incapable de rivaliser naturellement avec la force de l’abomination qui soulevait un peu plus de nuages de sables alors que sa furie se déchaînait, de la cinquantaine de mètre qui les séparait, ne restait maintenant plus qu’une dizaine ou deux.

    Levant les poings au-dessus de sa tête, dans un geste presque théâtral pour le plaisir du public qui admirerait ce combat d’anthologie, le Lion inspira, chargeant son corps de cette énergie magique étrange, puis, il poussa un cri bestial avant d’abattre ses deux poings dans le sol.

    Sous la force de l’impact, une bourrasque de sable s’éleva à plusieurs mètres de haut. Cette démonstration de force, força soit le respect de la créature, soit la perturba assez pour la forcer à s’arrêter dans sa charge brutale. Quoi qu’il en soit, la démonstration de puissance de Tulkas eut l’effet escompté sur la foule qui dans un grand cri de joie leva les bras en haranguant les deux gladiateurs qui faisaient face à « l’ogre ». Beaucoup avaient entendu parler de ces bêtes colossales et l’adversaire qu’affrontaient les deux Gladiateurs semblait correspondre en tout point à la description qui était faite de ces bêtes, peut-être était-elle juste un peu petite. Mais bon, depuis les estrades, difficile de faire la différence entre les traits quasi-humanoïdes d’un ogre et les traits presque humanoïdes d’un troll.

    D’ailleurs, le fait qu’il se soit arrêté face a cette charge démontrait une certaine intelligence, une propension à l’appréhension. Peut-être n’était-ce pas réellement un ogre que les deux combattants affrontaient. Mais qu’importe, le danger n’était pas feint et la gloire ne serait pas usurpée.

    Profitant de la distraction de Tulkas, Vagirhn s’élançait et, vif comme l’éclair, l’homme vint frapper au tibia l’imposante créature qui poussa un rugissement de douleur alors que la tête lourde du marteau de guerre s’abattait sur sa jambe. Le craquement des os sembla si bruyant aux oreilles de Tulkas qu’il était persuadé que même le public avait pu l’entendre. Sans perdre de temps, le Lion releva a nouveau les mains vers le ciel en levant une jambe pour a nouveau l’abattre sur le sol de l’arène en enfonçant profondément ses phalanges dans le sol rocailleux de l’Arène. Grondant et rugissant, le Gladiateur en extirpa un rocher si lourd que son corps lui-même semblait prêt à rompre sous l’effort. Pressant sur ses jambes, penchant le dos en arrière de quelques degrés à peine et puis dans une seconde démonstration de force, Tulkas lança un projectile de plusieurs centaines de kilos sur le ventre de la créature qui lui faisait face.

    La force de l’impact sembla faire vibrer jusqu’à l’air, et dans un cataclysme de poussière et de rocaille qui s’effrite, l’énorme masse tomba par terre. Sous le cri de joie de la foule. Tulkas leva les bras vers le ciel pour haranguer la foule.

    Bien entendu que Vagirhn s’était joint aux réjouissances, s’étant un peu éloigné de la colossale figure de « l’Ogre », il levait son marteau a plusieurs reprises, arrachant des holà au public à chaque poing qu’il dressait vers le ciel.

    Le marteau de Kazan s’avéra être aussi ce que les gladiateurs qualifiaient entre eux de « Naturels », car beaucoup de monde peut se battre. Peu savent comment tenir en haleine un public et jouer avec ses émotions. Kazan et Tulkas formaient un brillant duo, par leurs forces, ils venaient de mettre à terre relativement promptement une créature colossale dont l’existence même semblait être le combat. Seigneur, quelles terrifiantes bêtes de siège elles feraient si l’on venait a les dompter comme il se doit.

    Mais a défaut de ça, elles servaient de pâture a la soif de sang du peuple du Reike, qui se réjouissant et scandait les noms des deux gladiateurs qui étaient les acteurs volontaires d’une démonstration de force de l’Empire.

    Un rire s’échappa de la gorge de Tulkas qui s’inclinait devant la foule comme le ferait un artiste devant son public jusqu’à ce que finalement, la créature ne redonne signe de vie et se redresse.

    Le Lion de Tensaï plissa les yeux sous son heaume. Elle devait être morte, ou du moins, elle n’était pas supposée se relever aussi vite, le coup de grâce n’avait pas été donné. Comment se faisait-il qu’un ogre puisse se redresser après un impact aussi brutal qui, il en était persuadé, avait réduit en bouillie ses organes internes ? Grinçant des dents, l’homme en tira une conclusion simple.

    - Un troll.

    Ce n’était pas un ogre atteint de nanisme, mais un troll atteint de gigantisme. Grinçant les dents sous son heaume, Tulkas ne pouvait pas reculer face à ça. Reculer, ça serait admettre que la crainte avait pris le dessus sur la bravoure d’un fils de la ville du Lion.

    Ce serait avouer un moment de faiblesse.
    Et les dieux, doivent être forts.
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  • Sam 21 Jan - 15:22
    Gallu kalag-ir

    Le sol trembla sous la force du poing qui s’écrasait dans le sol. S’étant projeté en arrière avec sa force prodigieuse, le Lion de Taisen venait de frôler une mort délivrée par les phalanges massives d’un troll enragé.

    Et la poussière se leva, a quelques mètres de ce tourbillon presque surnaturel né de la puissance de la créature, se dressèrent les deux Gladiateurs. Tulkas et Vagirhn. Qui profitèrent de ce petit laps de temps pour héler la foule en levant les bras.

    Et la foule les acclama.

    - Je commence à fatiguer, Tulkas.
    - Ne les laisse pas voir que tu faiblis. Joue ton rôle.

    Disaient-ils, les deux hommes pouvaient parler librement, même un limier a l’ouïe la plus fine ne pourrait pas les entendre à travers la muraille cacophonique d’une foule en liesse qui acclamait les deux héroïques gladiateurs qui faisaient face a une créature qui, en temps normaux, aurait nécessité le déploiement d’une troupe de soldats entière pour l’abattre.

    Vagirhn était casqué, tout comme l’était Tulkas. Personne donc ne pouvais voir l’inquiétude qui commençait à poindre sur le visage du Marteau de Kazan, ni ces étranges spasmes qui faisaient tressailler l’imposante musculature du Lion de Taisen. Après tout, aussi entrainé soit-il, même lui ne disposait de réserves infinies. Ses jambes commençaient à lui faire mal après quatre exploits de force, ses genoux grinçaient un peu. Ses poumons semblaient être remplis de feu et de sable, dont les aspérités lui lacéraient les bronches.

    Mais il ne pouvait rien laisser passer, rien montrer, car ce serait avouer au public que les deux champions commençaient a faiblir devant la créature qui avait été désignée pour mourir sous leurs coups. Car l’arène, est un monde de traditions. Un monde au langage aussi subtil que celui de la cour. Au langage aussi violent que celui de la guerre.

    Un monde de faux-semblants et de manipulations, mais là où les nobles et bourgeois s’affairent à comploter dans l’ombre, les gladiateurs le font au nez et à la barbe du public. Ce qui sépare les amateurs des professionnels est cette capacité, comme il l’avait remarquée au début chez Vagirhn, a manipuler la foule avec la maestria d’un conducteur d’orchestre. Rares étaient les gladiateurs qui s’étaient avant tout démarqués par leurs brutalités ou force naturelle. Certains, comme Iratus, avaient su se démarquer par l’étalage de leurs violences. Répandant sang et viscères sur le sol sableux de l’arène. Plus rares encore étaient ceux qui avaient su user de pareille brutalité sans tuer leurs adversaires pour s’élever au-delà de la simple condition de gladiateurs, comme le champion d’Ikusa, Brak’trarg.

    Tulkas, lui, jouait surtout de l’art de la gladiature et du spectacle. Sa force et sa puissance avaient été a peine suffisante pour survivre a un combat contre Iratus et il n’avait jamais rencontré le champion d’Ikusa auparavant. Tulkas était un gladiateur de renom, un expert dans son art, un maître même diraient certains. Cependant, il savait que sa force et sa rapidité n’étaient pas toujours suffisants pour venir a bout de ses adversaires. Non, Tulkas allait devoir se démarquer des autres légendes de l’arène par son intelligence au combat. Par l’instinctif.

    - Vagirhn. Tu penses pouvoir faire combien de passes encore ?
    - Cinq… Répondit-il après un instant d’hésitation en roulant des épaules. Cinq, tout au plus.

    Le Lion, grondant sous son heaume et pointant de son glaive la figure du troll qui émergeait de la tempête de sable, clama.

    - Nous allons la tuer en trois.
    - Comment ?
    - La créature est lente, fais diversion. Je vais sectionner ses tendons.

    Le Troll poussa un rugissement en ancrant ses jambes massives comme des troncs d’arbres dans le sol. Posant les poings dans le sable d’une façon presque simiesque. Grondant, s’apprêtant a charger a nouveau.

    - Ensuite, je prendrais le relais, toi, tu frapperas son genou. Pas de face, mais de côté. Pour déboiter sa rotule.
    - Et pour finir, le coup fatal.

    Le coup fatal, oui. Mettre a terre la bête pour ensuite la tuer de façon spectaculaire. La force brute n’a jamais été l’as dans la manche de l’Empire. Les plus grands guerriers de l’Empire sont à la fois guerriers légendaires et stratèges d’exceptions. Quand la force ne suffisait pas, la tactique faisait la différence. Mais l’un sans l’autre est une épée sans poignée, une poignée sans lame.

    Les deux guerriers échangèrent un regard et d’un hochement de tête, Vagirhn s’élança pour aller à la rencontre du Troll haut de cinq mètres qui les chargeait tout deux. Ses pas étaient légers et vifs, c’est a peine s’il soulevait le sable en fendant l’air, ses deux mains étaient des étaux de fer autour de la poignée de son marteau de guerre. Le colosse leva le poing pour écraser l’insecte qui se dressait contre, mais comme une mouche, agile et vive, le marteau de Kazan se déroba sur le côté pour éviter d’être écrasé par l’énorme paume. D’un bond, il sautait au-dessus de la main qui revenait balayer l’air où se trouvait la mouche quelques instants auparavant.

    La foule retenait son souffle face a l’habileté et la bravoure de l’appât, là où Tulkas lui usait de sa grande vitesse pour courir, abandonnant son bouclier dans le sable et venir sur le flanc du Troll. Se penchant en avant, une main dans le sable et appuyé sur ses orteils, comme un tigre qui se préparait à bondir, le Lion de Taisen frappa. D’une glissade dans le sable, tenant le tranchant de son glaive à l’horizontale, il passa derrière les pieds de la créature et il put sentir son arme se figer dans quelque chose a deux reprises. Dans une gerbe de sang et un cri de douleur, le Troll posa un genou à terre, ses tendons d’Achille sectionnés.

    Vagirhn profita que la bête soit tombée en avant, paumes dans le sable pour se reculer et laisser la place a Tulkas. Marteau et Lion travaillant de concert, échangeant les rôles d’appât et d’hameçon avec une aisance qui trahissait des années d’expérience dans les venatio. La bête, mue par une rage presque infantile, se mit à fouetter l’air de ses bras en poussant des hurlements presque simiesques. Comme un gorille terrifié et enragé. Le sol tremblait sous les coups, l’air était balayé par l’éventail massif des mains du troll. Et pourtant, Tulkas dansait entre chaque coup, plus vif que la créature, mû par l’adrénaline, le Gladiateur se jouait avec brio de chacun des coups, se penchant sous une main, se dérobant au dernier instant. Pour l’œil non initié et non habitué à voir des prouesses de vitesses, Tulkas semblait toujours attendre le dernier moment pour échapper à un coup fatal. Et pourtant, il était comme l’eau qui glisse autour du rocher.

    Vagirhn lui attendait sur le flanc, jouant avec son marteau, patientant pour profiter du moment où l’ouverture du troll serait assez large pour être exploitée. Il était comme le Mont de Kazan, prêt à s’élancer dans une explosion brutale et venir détruire le dernier pilier sur lequel se tenait la bête que les deux gladiateurs devaient abattre pour apporter la félicité et la prospérité aux arènes de Taisen.

    Son cœur battait fort, son souffle était de feu, ses muscles d’acier étaient bandés jusqu’à la frontière de la rupture. Pas maintenant, trop court, non, pas là, ce n’est pas une ouverture. Non, pas encore. Là, maintenant !

    Et dans une explosion et un cri, Vagirhn bondissait, pivotant sur lui-même autant pour accumuler assez d’inertie dans la tête de son marteau que pour le côté « spectaculaire » du mouvement. Puis, dans un cri de rage et un éclat de tonnerre, abattre la tête du marteau dans la rotule du colosse qui s’opposait aux deux. Le craquement de l’os, réduit a l’état de poussière, fut assez sonore pour résonner dans l’arène.
    Le troll tomba, face contre terre.

    Pas une seconde a perdre, se rendant compte que le crâne de la bête serait trop épais pour être percé par son glaive. Tulkas ouvrit la main vers Vagirhn qui, dans un geste parfaitement naturel, lui lança son marteau.

    Se saisissant de l’arme en plein vol, la levant vers la foule en la haranguant, Tulkas les encourageait a crier plus fort leurs joie. Et d’une voix, le public exigea.

    - A MORT ! A MORT ! A MORT ! A MORT !

    Et levant son marteau, hochant la tête, il le désignait de la paume comme pour demander d’une façon muette a son audience si c’était avec cette arme qu’il devait le faire. La foule se contenta de répondre a l’affirmative en réclamant a nouveau que le sang de la sauvagerie abreuve le sable de la ville du Lion. Puis, le maître de l’arène sonna dans un cor, un son puissant qui couvrait un instant l’extase de la foule.

    La mise-à-mort fut exigée. Et levant l’arme au-dessus de sa tête, regardant le visage du Troll exténué qui lançait un air suppliant a son bourreau, se contenta de fermer les paupières. Et usant de sa force surnaturelle, Tulkas lui donna la mort.

    Et la foule explosa de joie. Des tambours se mirent a battre et des pétales de fleur furent jetées dans l’arène.

    Ils avaient vaincu.
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  • Sam 21 Jan - 22:06
    Ningirsu

    - Sacrée victoire, hein ?

    Tulkas retourna son attention sur les lauriers d’or qu’il avait reçu en récompense pour cette grande victoire aux jeux d’ouverture. L’intérieur avait été poli pour tenir confortablement contre le crâne, là où les feuilles étaient acérées et presque tranchantes. Une vieille tradition qui servait de Memento Mori aux esclaves-gladiateurs victorieux qui se sentaient pousser des ailes, avant que Sa Majesté l’Impératrice ne mette un terme au système des Ebed.

    - Un réel ogre aurait été un défi plus a notre hauteur. Mais je ne pense pas que l’armée sacrifierai une pareille machine de guerre juste pour amuser le peuple.

    Vagirhn avait raison. Tulkas lui, continuait à observer ces lauriers qui lui avaient coupé la main la première fois. Son cœur était encore rempli de cette fierté et de cette béatitude si particulière après son triomphe dans l’arène du Lion. On l’avait qualifié de « Lion de Taisen », un nom de scène sans réelle importance ou forme de légitimité. Mais au sein du peuple, il était persuadé que ceux qui avaient assistés a ces jeux en discutaient autour d’un verre de vin, racontant les faits avec toujours plus d’emphase et d’exagération, grandissant sa légende. Pour tout dire, le gladiateur était persuadé que le jeu de perspective un peu tronqué par les gradins devait donner l’impression que le colosse faisait quelques mètres de plus qu’en réalité.

    Le bouche à oreille, c’est comme ça que naissent les légendes de l’Arène. C’est un étrange mélange de chance et de talent qui donne naissance aux légendes de la gladiature. Et aujourd’hui, les deux combattants avaient malgré une fatigue grandissante réussis un tour de force. Tulkas et Vagirhn, le Lion et le Marteau. Ils étaient entrés en tant que rivaux et étaient ressortis camarades. Pas amis, pas alliés, mais mû par un respect mutuel qui dépaysait Tulkas, lui si habitué aux rivaux fades qui ne voyaient pas l’art dans ce sport sanglant.

    - Qui sait, peut-être pour la prochaine Venatio les maîtres vont mettre de côté assez d’or pour acheter un véritable défi a notre hauteur.
    - Ça ferait doublon, non ? Et puis, « maîtres », Tulkas. Nous ne sommes plus des esclaves.
    - Et pourtant, toi comme moi, on vit toujours chez nos anciens propriétaires, a nous battre pour leurs ludus et remplir leurs coffres d’or.
    - Peut-être, mais ça compte. Nous sommes des hommes libres, nous pouvons, du jour au lendemain, poser nos armes et retourner a la vie civile.
    - Et devenir un inconnu ? Perdre le luxe dans lequel nous vivons ? Plutôt mourir.
    - Tu n’as jamais rêvé d’être libre, Tulkas ?
    - Non, je suis un Ebed de naissance. Je ne connais rien de la vie des « hommes libres », et... Pour être franc, je pense que je suis incapable de vivre selon mes propres désirs. Sau’inn est un bon maître. Je ne vois pas de raison de changer ma vie a cause d’un bout de papier.
    - Mh.

    Les deux hommes échangèrent un regard, Tulkas se saisit d’une coupe en bronze remplie d’un vin épicé et en bu une gorgée. Envoyant sa tête en arrière, se perdant dans les méandres de sa psyché. Une main levée et calée sous sa nuque et les pieds étendus sur une table basse, il réfléchissait. Qu’étais-ce la liberté ? Était-ce quelque chose que l’on pouvait donner comme ça, en griffant simplement un parchemin déclarant que tous les hommes, exceptés les pires criminels de l’Empire, étaient libres ?

    « Stupide », pensait-il. La liberté il ne l’avait jamais connue, toute sa vie n’avait été que labeur, soit des taches serviles, soit un entrainement intense pour la vie de gladiateur-esclave. Il n’avait jamais eu à faire de choix dans sa vie, du moins, pas avant de devenir un atout aussi précieux au maître qui l’avait acheté, quand le père d’Endymion l’avait abandonné pour éponger sa propre dette. C’était soit son laniste, Oreste, qui dictait comment tenir son épée, quels poids soulever, quelle distance courir, quels coups éviter et quels coups parer. Soit Sau’inn, qui désignait les cibles à abattre, les défis à relever et la légende a forger. De tout l’or qu’il faisait gagner a son maître, Tulkas n’en voyait jamais la couleur, cependant il était choyé. Comme l’on choie un animal de compagnie aimé pour son utilité. Avait-il un désir particulier pour sa nourriture ? Des cuistots s’évertuaient a le nourrir. Voulait-il faire l’amour ? Des prostituées lui étaient apportées. Avait-il envie de se cultiver un peu ? Des mestres sélectionnés par Sau’inn venaient lui prodiguer un savoir précieux. Tout ce qu’un homme pouvait le désirer, il l’avait obtenu spécifiquement parce qu’il avait toujours été une propriété et jamais un être humain. Selon lui, la « liberté » n’avait pas de réelle valeur. Bien entendu, si le désir le prenait, rien en l’empêchait légalement de partir de la Ludus de maître Sau’inn. Rien ne l’empêcherait de gagner sa propre croute en tant que soldat, gladiateur indépendant ou garde du corps.

    Mais quelle vie est-ce que ça serait ? Un soldat n’est que l’instrument de la gloire d’un autre. Un gladiateur indépendant sans mécène n’est que de la vulgaire chair que l’on sacrifie a l’autel de l’opinion publique. Un garde du corps n’existe que pour préserver l’histoire d’un autre. Etonnamment c’est par sa servilité qu’il s’était bâti une réputation et une renommée en tant que Gladiateur. Qu’il avait affronté des adversaires aussi variés que puissants, qu’aujourd’hui, c’était lui qui avait eu le privilège de porter le coup fatal aux jeux inauguraux de la nouvelle saison gladiatoriale.

    La lice était son domaine, son territoire. Le public était son peuple, ses serviteurs. Là-bas, dans le sable, quand ils scandaient son nom en frappant leurs mains et martelant le sol de leurs pieds, Tulkas était un dieu. Tulkas était invincible. Tulkas était immortel.

    Libre, il n’était rien.

    Le Gladiateur retourna son attention sur son homologue, Vagirhn. L’observant, lui aussi tenait ses lauriers et a en juger le petit filon carmin qui glissait le long de ses doigts et tâchait le sol d’ébène, c’était la première fois qu’il avait eu l’honneur de recevoir pareille distinction.

    - C’est coupant, hein ?
    - Hm ? Ah. Oui.
    - Tu t’es bien battu aujourd’hui, Vagirhn. Et tu sais, même moi je me suis coupé la première fois. Je ne les compte plus maintenant, mais tu verras. Suis mon exemple et tu en aura tellement eue dans les mains que ces feuilles ne te blesseront plus.
    - J’ai du mal à saisir pourquoi ils les rendent si tranchantes. On n’a pas assez versé notre sang dans l’arène pour en arriver là ?
    - Tu comprendras bien assez tôt pourquoi. D’ailleurs, que dirais-tu que nous travaillons ensemble ? Le public peut apprécier notre collaboration.
    - Pourquoi pas.
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  • Dim 22 Jan - 2:03
    Nan su kur

    - Mangeons, buvons, festoyons !

    Clamait Vagirhn depuis l’estrade improvisée qu’était devenue la table du mess des gladiateurs. Une couronne de feuilles d’or en plus sur sa tête. Depuis l’ouverture de cette saison de jeux, le gladiateur s’était distingué lors de nombreux duels, batailles simulées et plus particulièrement, venationes.

    La gloire lui montait à la tête et rappelait à celui qu’on avait acclamé « Le Lion de Taisen » quelques semaines auparavant ce que c’était de découvrir cette drogue puissante qu’était l’amour de la foule. Un lionceau jeune, voilà ce qu’était Vagirhn aux yeux de Tulkas. C’était rafraichissant, d’avoir non pas un ennemi jaloux, mais un rival que l’on pouvait guider, qui voyait en nous pas un adversaire, mais une figure à égaler et renverser. Il était rare que Tulkas ne profite pas de ses somptueux logements et vienne se mêler aux jeunes recrues de Sau’inn qui, pour la plupart, abandonneraient ce noble art dès la première blessure ou dès le premier gain qui leurs permettrait d’éponger pleinement leurs dettes.

    Pour eux, Tulkas et Vagirhn étaient devenus des idoles. Ce qui, avouons-le, posait souvent un problème à Oreste, qui devait redoubler d’effort pour faire régner la discipline dans les rangs et maintenir une certaine cohésion lors des entraînements. C’était toujours quelque chose d’étrange d’ailleurs, les gladiateurs s’entraînaient ensemble, vivaient ensemble, pansaient leurs plaies ensemble mais devaient parfois s’affronter sous le regard exigeant d’une foule habituée a des jeux toujours plus extravagants et impressionnants.

    Mais après une énième victoire lors d’une journée de jeux, qui avait valu à Tulkas et Vagirhn une énième couronne de lauriers d’or, l’ambiance était au beau-fixe. Cette saison était fabuleuse pour la ludus gladiatoriale de Sau’inn et il récompensait ses poulains en doublant les rations et en s’assurant que les servantes soient plus belles que d’habitude. Certains des plus jeunes gladiateurs s’amusaient à parier sur lequel des deux champions de l’école parviendrait à obtenir le plus de lauriers. Tulkas était souvent désigné comme le plus probable vainqueur mais la montée en flèche de Vagirhn donnait parfois lieu a des débats assez poussés.

    Tulkas était donné vainqueur, ce qui offrait bien évidemment le statut d’underdog à Vagirhn et tout le monde aime les histoires où le donné perdant triomphe in extremis. Tulkas lui-même avait commencé comme ça, détrônant l’ancien champion invaincu de la ludus pour s’élever au sommet de sa carrière qu’il repoussait toujours plus loin. Qui sait, peut-être que Vagirhn allait avoir cette chance.

    - Et toi, Gladiateur, qu’en penses-tu ?

    La voix, pourtant calme et douce, avait fait sursauter le Lion qui se posa la paume sur la poitrine pour calmer son cœur. Sau’inn s’était glissé a ses côtés pour profiter du spectacle de Vagirhn qui racontait aux recrues les jeux du jour, où il avait affronté une dizaine de gnolls a lui tout seul en usant de sa vitesse et de l’environnement, battant les monstres dans un environnement pourtant a leurs avantages, arrachant la victoire in extremis. C’était fier qu’il exhibait la cicatrice laissée a son pectoral, soignée magiquement.

    - Il a du potentiel, Maître.
    - Un poil trop arrogant, il me rappelle-
    - Moi, a son âge, maître.
    - Oui, toi, a son âge. Dit-il en marquant une pause avant de tourner son regard d’acier vers son champion. Gladiateur ?
    - Maître ?

    Ce regard avait toujours eu un drôle d’effet sur Tulkas, ce regard bleu acier qui perce votre âme comme pour en sonder les méandres. C’était comme si une main froide s’était glissée dans sa tête pour fouiller son esprit et tirer la vérité des plis et recoins de son encéphale. Cachant son inconfort, le gladiateur plissa les lèvres avant de détourner le regard, incapable de supporter plus.

    - N’as-tu pas peur qu’il te détrône ?
    - Non.
    - Pourtant il a été plus rapide que toi dans son combat aujourd’hui, et la foule a particulièrement apprécié.
    - Mon adversaire était plus dangereux.
    - Ça le public ne s’en rends pas compte, Gladiateur. Ils ne savent pas faire la différence entre un vulgaire troll et un ogre. Tu as été lent, il a été rapide. Vous avez tout deux vaincus. Mais il a été plus vif.
    - Contre des adversaires plus faibles, maître !
    - N’hausse pas le ton avec moi, Gladiateur.

    La voix s’était faite de glace, Tulkas retint sa respiration comme un enfant rappelé à l’ordre par un parent autoritaire. Redressant la tête, entrouvrant les lèvres avant de les pincer. Il inclina la tête et le buste en soufflant un « Pardonnez-moi, maître. » qui resta sans réponse quelques instants avant que les doigts de Sau’inn n’apparaissent dans son champ de vision et lui ordonnent de se redresser. Ce que Tulkas fit.

    - Quoi qu’il en soit, tu as faibli, Gladiateur. Je sais que tes adversaires étaient plus dangereux que ces vulgaires charognards. Mais le public ne le sait pas. Ton rival le sait, mais il s’en moque. Tiens, regarde le Gladiateur. Que vois-tu ?

    Demandait le maître a son serviteur en désignant d’un air désinvolte le récit de Vagirhn qui racontait comment une des créatures s’était glissé dans son dos, traversant le sable comme un poisson le ferait avec l’eau, pour surgir dans son dos et dans un grand revers de son marteau, se faire fendre la mâchoire.

    - Un jeune gladiateur, qui raconte ses derniers hauts-faits.
    - Regarde, de plus près. Gladiateur.

    Tulkas mit un certain temps à observer d’un peu plus près le récit de son nouvel ami. A aucun moment ne mentionnait-il la victoire de son frère d’arme, avec qui ils avaient quelques jours auparavant vaincus un Cerberus infecté par une rage sanguine. Non, le seul acteur du récit de Vagirhn, était Vagirhn. Il batissait sa légende, grinçant des dents, Tulkas senti quelque chose bouillir en lui. Une vague d’indignation, mêlée a une colère et une tristesse particulière. Une trahison ? Oui, c’était ça, le Marteau de Kazan était entrain de voler la gloire et l’adoration qui devait revenir au Lion. C’était lui qui avait proposé un combat moins dangereux pour que Vagirhn se fasse les dents. C’était lui qui avait dû rejouer la capture d’un griffon. Imitant un exploit légendaire d’un ancien héros Reikois. Baissant les yeux vers son avant-bras dont les chairs se ressoudaient lentement, l’indignation se mua en rage froide.

    - Tu comprends maintenant, Gladiateur.

    Oui, Tulkas comprenait. Vagirhn voulait l’usurper, prendre sa place de champion, devenir meilleur que lui. Les articulations de ses mains blanchies par la colère. Tulkas hocha la tête en retournant son attention vers Sau’inn qui le regardait désormais avec un sourire terrifiant.

    - Veux-tu te venger, Gladiateur ?
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  • Dim 22 Jan - 19:27
    Angalta

    Le sable encore chaud de la journée passée lui brûlait presque la voute plantaire. Pourtant, il était là, sous la lumière des étoiles et de la lune qui se mêlaient au jour mourant. Transformant le ciel pour lui donner cette teinte rose qui séparait le crépuscule de la nuit. La journée mourait et laissait sa place. Un soleil se couchait, pour que bientôt, un autre se lève.

    Tulkas, le Lion autoproclamé de Taisen, observait ce ciel qui avait été décrit, observé, analysé par des hommes bien plus cultivés et savants que lui. Et pourtant, comme chaque être pensant, il trouvait une fascination presque transcendantale à regarder les étoiles. Etoiles qui semblaient immuables, qui n’avaient jamais changé depuis le jour de sa naissance et qui ne changeraient probablement pas de son vivant. Pourtant, certains maîtres du savoir prétendent que les étoiles bougent, peut-être était-ce la distance et l’immensité du ciel qui tronquaient sa perspective. Qui créaient cette illusion d’immobilité.

    L’air se rafraichissait. Vivre dans le désert, c’est apprendre à tolérer la fournaise et la glace, un monde deux extrêmes, des journées brûlantes aux nuits glaçantes. Et pourtant, même si son souffle se condensait en une buée étrange, même si son corps était pris de quelques tremblements, Tulkas était là, immobile. A penser aux journées qui allaient suivre.

    - Tu ne trouves pas le sommeil, Tulkas.

    Les mots qui s’échappèrent de la gorge d’Oreste se réverbèrent contre les murs, cavalant le long des gradins jusqu’à s’étouffer, arrivés à bout de souffles bien plus loin qu’il n’aurait été naturellement capable. Pourtant, quand on était au centre de l’arène, les pieds dans le sable, le moindre mot avait une puissance insoupçonnée.

    - Bonsoir, Laniste.

    Répondait Tulkas en s’asseyant sur ses mollets, venant frotter ses mains dans le sable dans un rituel de purification un peu étrange. Prenant une poignée, il se frottait un bras, puis l’autre, puis la nuque, puis les épaules. Le grain rêche ponçait sa peau et la faisait rougir, mais ça faisait du bien. Appuyant ses avant-bras sur ses genoux, regardant à gauche, à droite. Le Lion se redressait en roulant des épaules avec une certaine grâce, née de cette arrogance et de cette puissance qui émanait de lui.

    - Que puis-je pour toi, Oreste ?

    Demandait finalement Tulkas en regardant la figure massive de son maître d’armes, de son professeur. Cet homme, qui aujourd’hui devait être plus faible qu’il ne l’avait jamais été, souffrant des ravages de l’âge et du temps, s’avançait vers le Gladiateur qui senti sa gorge se nouer en voyant la verge d’olivier qui pendait à sa ceinture. Dont les coups de fouets avaient marqué a plus d’une reprise son dos, sa gorge et ses bras. Une certaine dévotion, apprise par la crainte de la souffrance. Tout pour instaurer une discipline presque militaire aux recrues de l’école gladiatoriale de maître Sau’inn. Et pourtant, qu’en restait-il aujourd’hui, de cette discipline qui avait été imposée à un jeune garçon vendu pour éponger une dette ?

    Rien, rien de plus qu’une crainte presque animale en voyant cet objet qui rappelait bien trop de souvenirs au gladiateur. Secouant la tête et détournant son attention vers l’arène alors que le bruit des pas dans le sable se rapprochaient de son dos, Tulkas refermait les bras sur son poitrail, baissant les yeux vers son avant-bras lacéré dont les plaies étaient presque refermées. Fermant les yeux, se concentrant sur sa respiration, il canalisait un instant son énergie vitale pour accélérer sa guérison.

    - Rien, je ne fais que profiter… De la fraicheur de la soirée naissante.
    - C’est revigorant, hein ?
    - Oui, même si mes articulations ne me pardonneront pas très longtemps de les exposer à pareil changement de température. Hrmf… Dis-moi, as-tu entendu la dernière rumeur qui cours parmi les recrues ?
    - Non. Répondait Tulkas, laconique.
    - Vagirhn aurait demandé à Sau’inn de jouer de ses petites manigances pour avoir l’adversaire le plus dangereux demain.

    Inspirant un peu, le gladiateur tournait le visage, puis les yeux, vers son professeur. Haussant un sourcil et penchant légèrement la tête sur le côté.

    - Tiens donc.
    - Il semblerait que le « Marteau de Kazan » soit motivé, il me rappelle…
    - Moi, après mes premiers combats.
    - Toi, encore aujourd’hui.

    Tulkas ne put retenir un rire, vrais qu’en d’autres circonstances il aurait été celui a demander l’adversaire le plus dangereux. Sau’inn n’était pas le maître de l’arène, mais l’homme au regard d’acier savait quelles pattes graisser, quels imbéciles manipuler et à quelles oreilles susurrer pour que ses poulains soient mis sur le devant de la scène.

    - Il va s’écraser. J’en ai vu des dizaines, des centaines comme lui. Cracha un instant Tulkas. Une victoire et ils s’imaginent déjà devenir les nouveaux champions du Reike, devenir des légendes.
    - Et moi, des milliers, Tulkas.
    - Il ne mérite pas cet honneur. Il d-
    - Devrait te revenir ? Parce-que tu penses être le meilleur gladiateur de la ville ?
    - Parce-que je suis, le meilleur gladiateur de la ville. Gronda-il. J’ai des centaines, des centaines de victoires dans l’arène et une, une seule, égalité. Disait-il en levant l'index pour appuyer son propos. Je n’ai jamais été vaincu Oreste. Oh, je ne suis pas un imbécile, il y a des adversaires qui pourraient me vaincre, j’pense principalement a l’ancien garde du corps de Sa Majesté, tu sais, le champion d’Ikusa, Brak’Trarg Mais hormis lui, et Iratus, je ne vois personne qui m’égale dans la gladiature.

    Tulkas pivotait pour pointer le quartier des gladiateurs, là où se trouvait la prestigieuse école gladiatoriale de Maître Sau’inn.

    - Tu les vois toutes ces précieuses recrues, Oreste ? Combien d’entre-elles sont là par appât du gain ? Combien d’entres elles sont là pour pimenter un peu leurs vies qui n’a aucune valeur ? Des imbéciles qui ne connaissent rien de l’époque où seuls les esclaves, les Ebed, avaient le droit de goûter a cette gloire ? Même les Janissaires n’avaient pas une once de notre notoriété ! Nous étions les plus grands guerriers du Reike, nous étions le Reike ! Des prisonniers de guerre, des criminels, des esclaves et pourtant nous nous battions, pourtant nous montrions que sous l’égide de la nation nous devenions puissants et forts ! Nous nous battions car nous étions nés pour ça ! Que notre destinée nous avait mené ici ! Et maintenant ? Des enfants qui jouent aux gladiateurs, volent la gl- ma gloire !

    Oreste l’écoutait. Croisant les bras, inspirant un peu l’homme secoua la tête en soupirant, la tête s’affaissant avant de la redresser.

    - Je me souviens encore de l’époque où t’étais un gamin perdu qu’on m’avait balancé des les pattes. Tu as survécu jusqu’ici, grâce a moi, grâce à Sau’inn. Tes rêves de grandeur ne sont réalisables que parce-que notre maître t’apprécie et que tu lui rapportes de l’argent. Et par pitié, ne laisse pas ton arrogance t’aveugler.

    Il marqua un temps pour inspirer, lâchant avec une froideur qui glaça le sang de Tulkas.

    - Car tu n’es qu’un mortel. Et un jour, tu mourras. Comme tout les gladiateurs avant toi.
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  • Mer 25 Jan - 0:29
    Gugalanna


    - Enfin, par le soleil, la lune et les étoiles !

    Le mage s’insurgeait, frappant du dos de la main un papier que venait de lui tendre l’un des soldats impériaux. Ce dernier, blafard et morne s’appuyant sur sa lance avec un air torve. Il maudissait son supérieur, pourquoi lui, pourquoi aujourd’hui ?

    - C’est un spécimen unique ! Vous comprenez ça bougre d’imbécile ? U-NI-QUE ! Et vous voulez le jeter en pâture à la plèbe ?!

    Faris, notre soldat en faction, se pinça l’arrête du nez. Oui, bien entendu qu’il comprenait que l’énorme bête endormie dans la cage en fer renforcée de pics en humanite était une bestiole unique, comme tout ces saloperies de monstres infectés par cette étrange magie qui les faisait muter. Tournant la tête vers la cage, il inspira un peu, pour retourner ensuite son attention vers le mage.

    - Monseigneur. Mes ordres sont clairs, je dois superviser la livraison de ce spécimen a l’arène du Lion.

    Le mage devint rouge de colère, hurlant des choses que Faris ne comprenait pas. Le soldat rentra la tête dans les épaules avant de les affaisser en plongeant le nez dans les étoiles. Pitié, implorait-il ses ancêtres, donnez-moi la force. Fallait-il encore lui expliquer que non, ce n’était pas lui le responsable de cette décision et que non, il n’avait certainement pas l’autorité pour aller a l’encontre de ses ordres et que certainement pas, il n’allait pas faire preuve d’insubordination. C’était bon a finir au mieux Janissaire, au pire esclave.

    Il devait livrer la bête a l’arène du Lion, pour des jeux offerts par les mécènes de la ville au peuple de Taisen. Bordel, les crieurs publics n’avaient pas cessé d’hurler ces derniers jours que des jeux exceptionnels allaient être organisés et offerts au peuple par le maître d’arène et les différentes écoles gladiatoriales. Cette bête monstrueuse, endormie dans sa cage était la clé de voute de ces jeux. Et il était hors de question qu’elle ne disparaisse dans une quelconque académie alors que tout le peuple de la ville attendait avec impatience ces jeux.

    Faris y compris.

    - Laissez-moi au moins prendre des notes ! Chaque spécimen. Soldat. Chaque spécimen est u-ni-que. Je vous en prie !

    Un reflet lui fit plisser l’œil, baissant son attention vers la source de cette lumière, Faris fut confronté a la cordelette d’une bourse ouverte, remplie d’or. Regardant à gauche, puis à droite, le soldat tendit la main pour se saisir de la bourse et la dissimuler dans son plastron. Puis, d’un geste bref et vif de la tête, il faisait signe au mage de s’avancer.

    - Touchez-pas la cage, c’est sensible.

    Bien sûr que c’était sensible, crétin de soldat. Enfin, qu’importe pensait le mage. Qu’étaient quelques dizaines de pièces d’or par rapport à cette opportunité rare ? Rien de plus qu’une broutille inconséquente quand on avait ses moyens. Pour le vulgaire fantassin, cependant, c’était un joli pactole qu’il allait probablement boire en se rendant à l’arène où ce superbe spécimen allait être donné en pâture a des moins-que-rien qui ne pouvaient saisir qu’un fragment de la beauté de cette bête colossale.

    Elle était là, quadripède, aux muscles si noueux et puissant que la fourrure de la bête semblait être sur le point de rompre. Ses cornes, normalement séparées par une fine couche de peau étaient devenues des terrifiantes défenses osseuses, acérées et dentelées qui alourdissaient la tête de la bête qui était encore maintenue endormie par il ignorait quelle magie.

    Créature, qui même profondément endormie, arborait sur sa gueule bovine une expression hargneuse. Pleine de rage et de colère à peine contenue. Ses babines se retroussaient et le mage put observer que les molaires, pourtant si importantes chez les ruminants, avaient laissé la place a des incisives et des canines terrifiantes, aussi grandes que sa main.

    Le spécimen était parfaitement monstrueux, probablement plus haut au garrot qu’un griffon et beaucoup, beaucoup plus massive. Finalement, nota le mage, il ne restait pas grand-chose de ce paisible herbivore qu’on élevait en troupeau dans les contrées plus tempérées du Reike. Cependant ce n’était pas ça qui perturbait le plus le magicien. Comment un tel animal s’était-il retrouvé dans le désert ? Car après tout, les bovins ne sont pas les plus adaptés à la vie dans le désert. Ils tombent soit victimes aux hardes de gnolls, soit meurent de chaud, soit de soif, soit de froid.

    Avait-elle été importée depuis d’autres contrées ? Après tout, elle ne semblait pas avoir subit de mutation utile pour la rendre plus adaptée à la survie dans les contrées inhospitalières de l’Empire. Son poil, bien que court, était dru et dense, offrant peu de moyen de diffuser sa chaleur. Et pourtant, elle ne semblait pas souffrir de la température de la journée, ni de déshydratation. Elle se reposait là, victime d’on ne sait quel enchantement.

    - Faris ?
    - Oui capitaine ?

    Le mage se redressa et s’écarta en entendant la voix. L’air de rien, il s’éclipsa en consignant ses observations dans un carnet.

    - Le Béhémoth est paré pour le transport ?
    - La cage est scellée et les enchantements sont toujours actif, capitaine.
    - Parfait, vous quatre, allez chercher les porteurs. Le maître d’arène m’a dit que tout avait été préparé pour l’accueil de notre locataire.
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  • Lun 30 Jan - 2:48
    Ki-agbad


    La main de Sau’inn posée sur la rambarde de l’alcôve réservée aux nobles et puissants était devenue presque blanche tant les jointures étaient crispées. L’homme de glace du désert aux yeux froids comme l’acier scrutait l’amphithéâtre dans lequel allait se jouer une pièce magistrale dans laquelle il avait investi une somme considérable d’argent.

    Car même si la Gladiatura Leonis avait habitué la populace taisenoise a un certain faste et un exotisme qui faisait de l’arène du Lion la grande concurrente de l’arène d’Ikusa, les jeux d’aujourd’hui promettaient d’atteindre des nouveaux sommets.

    Rien n’avait été laissé au hasard, rien. Tout avait été minutieusement planifié, du changement du décor de l’arène jusqu’aux introductions de tous les évènements de la journée.

    Les jeux avaient commencé dès l’aube par une procession religieuse dirigée d’une main de maître par l’une des figures d’autorité locale du Shierak. Un homme sec, a la peau ravagée par le soleil, maigre comme un clou, vêtu de frusques. Un ascète qui prêchait la gloire du père, de la mère, des enfants et des ancêtres, du Soleil, de la Lune et des Etoiles. Procession à laquelle avaient participés les différentes écoles gladiatoriales avec une discipline qui faisait honneur aux traditions martiales du Reike. Primus inter pares, l’école de Sau’inn avait eu l’honneur récurrent d’être le peloton de tête, et parmi eux, c’était Tulkas qui avait porté ces couleurs qui étaient celles de son maître, véhiculant à travers un blason orangé et de sable l’image de cette longue tradition gladiatoriale.

    La procession traversa la plupart des quartiers populaires de la ville, rameutant au sein du colossal amphithéâtre de l’Arène du Lion un public qui se comptait en milliers. Les nobles, bourgeois et figures notables de la ville avaient été conviés dans différentes alcôves toutes plus luxueuses les unes que les autres. Dans le public, des serviteurs avaient été chargés de distribuer de l’eau et de la nourriture aux moins fortunés.

    Là où les plus riches qui pouvaient profiter des meilleures places dans de somptueuses alcôves se goinfraient avec des mets rares et précieux qu’ils arrosaient copieusement de vin venu des quatre coins de l’empire, la plèbe était nourrie avec des fougasses fourrées avec un mélange de viandes et de légumes et abreuvée avec de l’eau, de la bière tiède ou la lie des vins qui avaient été importés pour ce grand jour.

    Du pain et des jeux. Et si pour des extérieurs cela pouvait sembler être un évènement à la gloire de la barbarie de l’humanité où de jeunes gens versaient le sang dans l’espoir d’obtenir un grand prix, il n’en était rien pour tout ceux qui étaient réunis aujourd’hui, pour qui l’évènement avait acquis au fil des générations une étrange sacralité. Car contrairement à ce que l’on pouvait penser, ce n’était pas par le sang que les jeux étaient déclarés ouverts, mais après une prière à la gloire du Soleil, de la Lune et des Étoiles et ce n’est qu’après avoir observé le Shierak que les jeux purent enfin commencer.

    D’abord vinrent les Venationes, ces grandes chasses où étaient abattus les animaux dont la chair allait être servie ensuite au public dans un grand festin. Ici, ce sont des centaines d’animaux venus des contrées les plus fertiles et du désert les plus arides qui étaient lâchés par vagues pour tomber sous les flèches des archers et les estocs des lanciers. Certains se battaient, d’autres fuyaient. Le peuple adorait ce genre d’évènement, car les animaux recevaient une dernière chance de se battre pour survivre. D’ailleurs, la tradition exigeait qu’un animal capable de blesser l’un des chasseurs se devait d’être épargné, et le chasseur humilié ensuite.

    Cependant les gladiateurs ne participaient pas a ces jeux d’ouverture. Non, c’était aux nobles, bourgeois et chasseurs de la ville que revenait l’honneur de tuer ces bêtes. Après tout, l’occasion était rêvée pour faire ses preuves en tant que potentiel maître chasse ou attirer de la clientèle.

    Non, ce n’est qu’après que le sable ait été abreuvé de sang animal que les premiers gladiateurs entraient en scène sous les cris de joie du public. Ils étaient armés de filets, de lances et de javelines, portant des maniques sur leurs bras d’arme et un casque dont la plaque faciale était constituée d’un grillage en bronze.

    Loin d’être des gladiateurs débutants, les Bestiarii étaient des experts en combat contre des bêtes sauvages. Ils n’avaient rien du chasseur, ils étaient la preuve vivante que les hommes et femmes du Reike pouvaient venir à bout des bêtes les plus violentes et les plus sauvages du Sekaï. Tulkas l’avait été pendant un temps au début de sa carrière, c’était une étape dans la progression « logique » de la carrière de gladiateur.

    Trois hommes et deux femmes étaient entrés dans l’arène, pour affronter un cerbère de grande taille et un lanconda d’une dizaine de mètres de long. Bien entendu, tout avait été préparé minutieusement et les gladiateurs avaient été équipés avec l’arsenal nécessaire pour venir à bout de ces deux bêtes. Deux combattants équipés de boucliers recouverts de peau de Lanconda, un autre tenant une pique à la pointe vorace et les deux derniers maniaient l’équipement « traditionnel » des Bestiarii, c’est-à-dire des lances, des javelines et des filets.

    C’était un combat épique, du moins, en apparence. Le terrain était à l’avantage des créatures, qui elle mêmes étaient particulièrement déboussolée par le vacarme de la foule qui s’exclamait à chaque esquive risquée d’un des gladiateurs et à chaque coup porté. Le combat dura longtemps, un quart d’heure plus ou moins où les joueurs dansaient autour de leur proie avant de porter le coup final. A la grande surprise du public, c’était le Lanconda qui avait été tué en premier. Pourtant considéré plus dangereux qu’un cerbère, la créature avait été abattue par le piquier qui, profitant d’une ouverture, s’était élancé pour planter la pointe de sa lance dans la gueule pleine de crocs du serpent géant. Tous les combattants eurent le droit de prendre un trophée sur les animaux vaincus. En premier celui qui avait porté le coup mortel, et cette fois, le Bestiarii piquier avait choisi de prendre les crocs du Lanconda, ainsi qu’une griffe de Cerbère.

    Tulkas ne participa pas non plus aux jeux qui suivirent, qu’il s’agissait des exécutions des criminels qui étaient envoyés se battre contre des gnolls capturés avec pour seule arme un glaive avant que les Meridiani, duellistes émérites, n’interviennent pour abattre les créatures du désert et se lancer dans une série de combats au qui se concluaient au premier sang. Le dernier homme debout recevant du maître de l’arène une petite feuille en argent en guise de trophée.

    Le « Lion de Taisen », regardait depuis son alcôve ces jeux. Se souvenant avec une certaine tendresse ce moment où il avait gagné sa première feuille d’argent. Se souvenant qu’il avait promis à son Laniste qu’il allait gagner assez de feuilles d’argent pour se faire une cotte d’écailles. Chose qui lui prit un an. Sans aucunes défaites.

    Enfin c’est avant d’en arriver aux exécutions des criminels s’étant rendu coupables des crimes les plus graves qu’eurent lieux les « Andabataes ». Jeux cruels où les déserteurs et autres criminels ne méritant pas d’être exécutés par un bourreau étaient forcés a porter un heaume sans visière, armés de deux glaives et ordonnés de se battre les uns contre les autres, poussés les uns vers les autres par des serviteurs équipés de long bâtons. Et sous les moqueries et railleries des Reikois, ces hommes et femmes, condamnés à l’humiliation, se tranchaient dans le vif a l’aveugle. En théorie, dès qu’un d’entre eux était blessé, il devait se laisser tomber au sol et la grâce était accordée. Dans les faits, les blessures étaient souvent bien trop atroces pour que l’on y survive.

    Et c’est sous les moqueries du public qui huait les parias du Reike que les gladiateurs quittèrent l’alcôve pour se préparer aux jeux. D’abord allaient venir les combats gladiatoriaux, où les différentes armatura allaient s’affronter. Des dimachères affrontant des crupellaires, usant de deux dagues courtes pour tenter de percer l’armure colossale des crupellaires. Des rétiaires affrontant des secutors, usant de filets et d’un trident pour tenter de désarmer le secutor et le forcer à se rendre. L’hoplomaque qui affrontait le samnite, la lance contre l’épée longue, jouant sur les distances.

    Ces jeux techniques, réservés aux gladiateurs de classe « moyenne » étaient très apprécié du public, non seulement en tant que démonstrations de talents de combats. Mais aussi car c’est là que se distinguaient ceux qui deviendraient plus tard de vraies légendes.

    Tulkas avait commencé sa véritable carrière de gladiateur en tant que Mirmillon, aujourd’hui, il n’était plus restreint par les règles des armatura et ses combats étaient souvent des défis dignes des héros de l’histoire du Reike. Il affrontait les champions capturés, les monstres légendaires, les bêtes les plus rares et les autres légendes populaires du monde gladiatorial de Taisen. Trônant parmi elles en tant que seigneur des sables de l’arène.

    - Ça va être à toi d’entrer en scène, Tulkas.

    Vagirhn était appuyé contre le mur, dans la petite pièce liminaire qui séparait les gladiateurs de l’arène. Il ne s’était pas encore équipé, portant son pagne et ses braies, bras croisés, a regarder les combats qui arrivaient a leurs conclusions.

    - Mh.

    Répondait le Lion au Marteau, trop occupé a refermer les sangles de son bras d’armure et réajuster les plaques lamellaires qui le composaient.

    - T’as l’air soucieux. Qu’est-ce qui t’inquiète ? T’devrais être content non, d’avoir l’Épreuve Zénithale rien qu'a toi, non ?

    L’épreuve Zénithale, le défi qui ouvrait l'heure des jeux du Zénith. Les jeux les plus importants et les plus glorieux de la journée. Au Zénith, c'est l'heure où les champions des arènes entraient en lice pour s'affronter, sous le regard du Soleil, faisant preuve de puissance et de force, pour devenir Primus.

    Plusieurs tournois étaient organisés de façon ponctuelle pendant une saison gladiatoriale, mais le plus important d'entre eux étaient le tournoi du Primus. C’était un système de points assez complexes, plus qu'une compétition éliminatoire, où chaque "champion" recevait des points en fonction de la technicité, du spectaculaire et, principalement, de la victoire ou la défaite dans les jeux du Zénith. L'épreuve Zénithale étant particulièrement importante, accordant beaucoup de points supplémentaires a celui qui relevait le défi et sortissait victorieux.

    A la fin de la saison, celui qui avait le meilleur score était déclaré « Primus »  et recevait une récompense pécuniaire conséquente. L'épreuve Zénithale était un défi périlleux que n'importe quel champion gladiatorial pouvait relever. Le primus de la saison précédente était la plupart du temps le premier qui recevait l'opportunité de relever le défi. Chose dont Tulkas abusait ouvertement pour conserver son titre de Primus.

    Depuis l’envol de sa carrière, c’était Tulkas qui s’arrachait à chaque saison le titre de Primus, ce qui n’aidait en rien son égo surdimensionné. Au point tel que Tulkas en venait assez régulièrement à réclamer une statue de lui victorieux au maître de l’arène, pour que le peuple n’oublie jamais sa gloire, s’attirant assez souvent les foudres d’Oreste qui désamorçait toujours habilement la situation. Au grand déplaisir de Tulkas.

    - J’ai l’habitude, Vagirhn.

    Répondit-il assez sobrement.

    - Mh, tu sais ce que tu vas affronter ?
    - J’ai demandé une Titanomachie. Pourquoi ?
    - A toi tout seul ? Tu es certain de ce dans quoi tu t’embarques là Tulkas ?
    - Mh-mh.

    Bien sûr qu’il savait, oui, bien entendu que ça aurait été plus traditionnel de faire un combat avec désavantage contre un groupe de gladiateurs de bas rang, ou d’affronter en duel un autre champion dans un combat dantesque. Mais non, blessé dans son orgueil et manipulé par Sau’inn, l’arrogant Tulkas avait exigé une Titanomachie. Seul.

    - Je t’en veux tu sais, Tulkas. C’était mon combat. J'avais demandé à Sau'inn de...
    - Je sais. Coupa froidement le Lion. C’est mon privilège.

    Son privilège, celui de choisir ses batailles, de prendre les adversaires les plus dangereux et les plus glorieux qui soient. De les terrasser et de les écraser pour l’amour sans fin d’un public qui finira par l’oublier le jour où ses tripes se mêleront au sable fin de l’arène.

    Mais c’était son privilège. Et aujourd’hui, il allait se battre seul. Seul, sans partage de gloire, sans partage d’amour, sans partage de vénération. Aujourd’hui, toute la gloire du Zénith serait a lui.
    Et a lui seul.
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  • Jeu 13 Juil - 9:50
    Libéré du fardeau de la gravité, Tulkas pouvait enfin regarder le ciel. Une mer d’azur au cœur de laquelle trônait un cercle d’or dont la magnificence lui brûlait les rétines. Suspendu en apesanteur, un sifflement dans les oreilles le berçait, analgésiant son corps tandis que pour la première fois de sa vie, il se sentait léger. Apaisé.

    Quelques gouttelettes de carmin brillant, comme des étoiles rubicondes dans un champ saphir, émergèrent de la mer céleste. Le gladiateur leva la main lentement, comme pour les attraper, pour venir saisir ces étoiles de richesses qu’il devinait, là, juste à portée de main. Une pression commença à se faire sentir sur ses épaules, un poids qui devenait de plus en plus important. D’abord dans les épaules, puis dans le buste et le ventre. Une bourrasque se leva dans son dos tandis que ses bras et jambes, ballantes, apparurent dans son champ de vision et que ce ciel d’azur étoilé de bourgogne ne disparaisse de son champ de vision pour que finalement, l’arène se redessine devant ses yeux.

    Un choc brutal contre son casque, une douleur sourde dans les épaules et dans le dos malgré un coussin granuleux qui lui ponçait la peau, jusqu’à l’écorcher.

    Tout ses sens commencèrent à se réveiller, une douleur vive dans tout le corps, mais particulièrement vivace dans le flanc. Les mains vinrent s’apposer contre cette douleur. Humide, chaud, fumant. Baissant les yeux avant de redresser la tête pour voir ce qu’il lui était arrivé, le gladiateur se rendit compte qu’il saignait. Partiellement éventré par le croc d’une énorme créature. Oui, tout lui revenait maintenant. La créature s’était cabrée quand il avait tenté de l’achever. Envoyé vers l’avant, la créature cornue l’avait envoyée d’un coup du museau dans l’air, arrachant au passage ce morceau de chair à son flanc.

    Un grognement de douleur, ne pas crier, ne pas paniquer, ne pas hurler. « Tu es fort, tu es une légende, la créature a eu de la chance, c’est tout. Concentre-toi. » pensa-il, répéta-il ad nauseam. « Cette blessure n’existe que dans ton esprit, chasse l’en. ». Il soufflait, grondait et se tortillait dans le sable. Les plaies se renfermaient lentement, car Tulkas était bel et bien capable de régénération, art dans lequel il était adepte même. Mais la douleur vive et le choc l’empêchait d’utiliser efficacement cette prouesse de son corps et de toute façon. Il n’allait pas avoir le temps de régénérer ses chairs librement. Le taureau monstrueux frappait le sol de son sabot, la gueule ouverte comme celle d’un chien qui venait de découvrir le goût du sang, une langue affreusement longue et fourchue pantelante. Signe de fatigue ou d’excitation ? Difficile à dire, les béhémoths étant notoirement affranchis de toute logique taxonomique.

    La créature s’élançait dans une nouvelle ruée vers cet affreuse petite chose qui refusait tout simplement de mourir. Petite chose qui attendait, main contre sa blessure en respirant rapidement. Les muscles se reformaient en longues fibres de myocytes, les tendons blancs se ressoudaient. Le sol tremblait, comme si c’était une armée tout entière qui le chargeait.

    Cinquante pieds, trente pieds, vingt pieds, dix pieds, cinq… Repousser la limite, repousser l’attente du public. Encore un peu, toujours plus prêt, danser sur le fil de l’épée est toujours plus exaltant. A quoi bon regarder un travail de boucher quand on peut raconter une histoire avec ses retournements de situations au dernier moment.

    D’un bond, le gladiateur se jette sur le flanc, évitant ainsi de finir écraser sous les sabots vengeurs de la terrifiante créature. Roulant dans le sable, le flanc encore rougis tant sa peau a du mal à se refermer, il regarde autour de lui. Dans le brouhaha de l’arène et le nuage de sable soulevé par l’abomination, le gladiateur ne retrouve pas son arme. Ses poings ont beau être puissants et ses coups dévastateurs, il y a des adversaires à la peau bien trop épaisse que pour être simplement mis à terre.

    Pas le temps de réfléchir, Tulkas. La créature se retourne et s’élance à nouveau dans une charge. Analyse ton environnement, prends conscience de l’arène et du terrain de jeu qui a été spécifiquement préparé pour toi, des éléments de décors subtilement placés pour servir d’armes et de barrières temporaires, des obstacles à ton avantage. Utilise toutes les armes à ta disposition.

    - Pas d’armes indignes, que des adversaires indignes.

    Grondait-il pour lui-même avant de se jeter à nouveau sur le côté en roulant dans le sable sous les cris du public qui commence à voir poindre la défaite de leurs champions. La créature, aveuglée par le sable se ruait furieusement, offrant un peu de temps au gladiateur pour réfléchir. Ce dernier regardait autour de lui. L’arène toute entière était parsemée de structures de pierres qui émulaient des ruines diverses et variées, faites de briques tenues avec un piètre mortier, le béhémoth pourrait aisément les faire s’effondrer. Mauvaise idée de les utiliser.

    Les protections pour le public, des pieux en acier qui servaient de couronne de fer à l’arène étaient aussi à exclure, trop lourd pour être déplacé rapidement et utilisés comme armes, et puis, ça faisait mauvais genre de voir le gladiateur tourner le dos au monstre qu’il affrontait. Les jeux zénithaux étaient codifiés et laisser supposer l’existence d’une once de lâcheté dans son cœur revenait à insulter le soleil qui brûlait sa peau. « Peut-être la créature elle-même… ? » elle semblait trop lourde, profondément stupide tant elle était aveuglée par sa rage. Et plus que tout, le sable semblait la plonger dans une colère noire. Peut-être ne venait-elle simplement pas du désert ? Une créature dans un environnement inconnu, dont le sol n’est pas fait de terre compactée.

    Regardant autour de lui, le gladiateur repéra une chaîne. Et ainsi vint au monde son plan d’action, il allait vaincre la créature sans verser son sang.

    Se frappant le torse en hurlant, Tulkas attira l’attention de la créature qui se retourna en beuglant avant de se ruer, cornes baissées vers lui. Soixante pieds, quarante pieds, vingt pieds, dix pieds… Mais avant que ne vienne l’impact, le gladiateur rassembla son énergie pour venir frapper le sol avec tant de force qu’un nuage de sable s’éleva, aveuglant la bête et lui offrant tout le temps pour se dérober et aller saisir la chaîne d’acier. Le public encourageait le champion, facilement impressionnable, il s’étonnait et s’émerveillait d’un usage aussi basique de l’environnement.

    Se préparant pour la prochaine charge du béhémoth. Tulkas s’ancra dans le sol, les dorures de son armure brillant tandis que le soleil atteignait son zénith.


    Vaincre ou mourir.
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  • Ven 14 Juil - 21:46
    La chaîne grinçait sous la tension. Le gladiateur décasqué, les pieds fermement plantés dans l’encolure de la bête, déployait toute sa force. Ses muscles criaient, s’embrasaient sous l’effort déployé tandis que lui, hurlait. Hurlait de colère, de rage, de douleur.

    - Meurs !

    Hurlait-il en serrant encore plus fort la chaîne qui étranglait l’abomination qui se ruait avec une violence inégalée, manquant à plusieurs reprises d’envoyer son bourreau dans les airs et de l’empaler sur ses redoutables défenses barbelées. Combien de temps une aussi grosse créature pouvait-elle rester sans respirer ? Un humain, sous un effort et une pression aussi intense qu’exerçait Tulkas aurait déjà sombré dans l’inconscience et offert sa nuque pour le coup de grâce. Mais pas cette abomination.

    Elle se ruait, se cabrait et se révoltait. La langue boursouflée tirée hors de sa gueule remplie de crocs, les yeux gonflés au point de sortir des orbites comme des fruits trop murs qu’on décortiquais. Et pourtant, elle luttait, encore et encore pour sa survie.

    Les articulations du gladiateur, mises à rude épreuve, manquèrent de céder. Ses épaules, soumises à une pression sans pareille malgré sa grande force, étaient sur le point de sauter. Puis, petit à petit, comme si la nature reprenait lentement ses droits sur l’endurance surnaturelle de sa propre création, la bête ralentissait, devenait de plus en plus molle, lente et maladroite. Elle se cabra dans un ultime défi, poussant un mugissement terrifiant avant de lentement se laisser tomber sur le dos. Le gladiateur, toujours accroché à sa chaîne, tournant la tête pour voir le sol se rapprocher de lui se déroba d’un bond, échappant in extremis au baroud d’honneur de sa proie qui, puisant ses dernières forces, avait tenté le tout pour le tout pour abattre cet atroce moustique qui dansait avec lui.

    Le choc avec le sable fut rude, soulevant l’humain du sol de quelques centimètres, retombant dos contre le sable à reprendre son souffle pendant un instant. Un instant en vérité court, mais qui lui semblait pourtant si long. Soufflant un instant, inspirant il se redressa d’un bond en écartant les bras vers son public. Reprenant son rôle tant aimé de gladiateur légendaire, de Lion de l’arène, de gladiateur zénithal qui brillait par et grâce à la radiance du Shierak.

    Et la foule l’acclama, le célébra comme le grand champion qu’il était. Après tout ne venait-il pas de terrasser un béhémoth ? Certes, diraient certains détracteurs, le combat avait été pensé pour que tout les avantages soient du côté de l’exécuteur. Une arène à son avantage, un ennemi connu d’avance, un terrain inconnu pour la créature qui avais été probablement affamée. Mais est-ce que ça enlevait la gloire à la victoire ? Les risques avaient été réels, la violence l’avait été tout autant, la mort était présente et le sang, coulait pourpre. Levant la main vers le maître de l’arène pour demander une arme. Qui lui fut lancée.

    Une pointe de fer blanc au bout d’une hampe d’ébène, polie jusqu’à briller de mille feux. Un simple artifice, une arme rituelle avec laquelle le gladiateur s’approcha de la bête qui tentait de reprendre son souffle malgré la chaîne d’acier qui rongeait les chairs de sa gorge.

    Trop faible pour lutter. Le gladiateur s’arrêta à côté d’elle, posa son pied sur le museau de la bête en prenant l’arme de ses deux mains, la levant pour venir la planter dans l’œil de la bête. Qui focalisa son attention sur lui.

    Et l’espace d’un battement de cœur, le gladiateur hésita.

    En fin de compte, qu’est-ce qui le séparait de cet animal ? Le fait que la chaîne qu’il portait n’était plus faite d’acier mais de velours ? Car en fin de compte, Tulkas et l’abomination n’étaient-ils pas toutes les deux victimes de la vie de servitude ? Destinés à simplement s’entretuer pour le plaisir de nantis qui seraient incapables de faire un dixième de ce dont les deux combattants, humain et bête, avaient été capables de faire ? La créature avait été fière dans sa bataille, qu’importe sa violence et sa rage, elle n’avait jamais cherché à fuir. Et elle était là, acceptant sa mort.

    Puis, la lance se figea dans l’œil de la créature. Avec force et célérité, fendant l’os zygomatique jusqu’à ce la pointe ne rencontre le pariétal et se fige. La créature, se tendit dans un spasme, lâcha un râle guttural et se détendit. D’un geste sec, Tulkas retira la lance, s’avança au centre de l’arène sous une foule en liesse et une pluie de pétales avant de lever son arme au ciel.

    - Gloire au soleil et aux étoiles, gloire à l’empire !
    Et gloire à Tulkas.
    Aussi temporaire soit-elle.
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    Tulkas
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    Info personnage
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    qui suis-je ?:
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  • Dim 16 Juil - 0:25
    - Est-ce que ça en valait la peine ?

    Le vin épicé qui glissait le long de sa gorge lui offrait un précieux temps de réflexion. Avachi dans son klismos en bois précieux, le gladiateur savourait encore quelques instants les fruits de sa victoire. Une couronne de lauriers en or, une écharpe pourpre gravée d’or, un coffret d’or et la corne de l’abominable taureau. Des trophées, encore, des memento à sa gloire. Qu’il aimait avec une passion aussi intense que brève, il savait que demain déjà, l’or lui semblerait terni et la corne, pourrie. Mais pour l’instant, Tulkas était un dieu.

    Sa langue passa sur ses incisives, comme pour s’assurer qu’aucune épice et aucune lie ne vienne teindre ses dents d’un rouge malvenu tandis que ses plaies continuaient de guérir a vue d’œil. Les chairs se ressoudant lentement maintenant qu’il ne focalisait plus trop son attention dessus, déjà d’ici quelques heures, il serait de nouveau sur pieds.

    - J’ai décroché une grande victoire pour le maître, Oreste. Répondit-il finalement. Tu imagines ? Je suis l’un des rares gladiateurs a avoir affronté un béhémoth dans l’arène et probablement le seul à l’avoir vaincu à mains nues. Dit-il en posant la coupe dorée sur la table basse qui séparait l’arrogant du prudent. Moi, seul, j’ai tué un véritable béhémoth, pas un de ces « pseudogéants » qu’on nous avait lancé en pâture.

    Un rire lui échappa, tandis qu’il se redressait un peu sur son klismos en posant ses talons sur la table basse, regardant son laniste et vieil ami en lui servant une coupe de vin. Ne portant guère attention à l’attitude réprobatrice de son vieux tourmenteur et professeur, Tulkas leva son verre.

    - A la victoire.
    -

    Tulkas resta ainsi quelques instants, à attendre qu’Oreste trinque avec lui. Encore et encore jusqu’à ce que dernier ne se mette à parler.

    - Est-ce que ça en valait la peine, Tulkas ?
    - De quoi donc ? Répondait l’intéressé. Gagner ? Ça en vaux tou-
    - De sacrifier un frère d’arme pour ta gloire.
    - … Toujours la peine, oui.
    - Tu as volé son heure de gloire à Vagirhn.
    - Je n’ai fait que reprendre ce qui me reviens de droit, Oreste.
    - Te reviens de droit ? Mais pour qui te prends-tu ?
    - Pour l’homme qui viens de tuer, seul, un Béhé-
    - Un béhémoth ! Oui, une créature affaiblie par la faim ! Grondait le laniste. Relâchée dans un environnement pensé pour que tu aies autant d’avantages que possibles ! Tu pensais vraiment que les maîtres de l’arène allaient laisser le moindre risque que les jeux du zénith se concluent par un échec ?! Tulkas !
    - Et c’est moi qui prends les risques pour maître Sau’inn, Oreste ! Hurlait soudainement le gladiateur en écrasant sa main droite sur l’assise de son klismos qui céda sous la force de l’impact. C’est mon sang dans l’arène ! Le miens ! C’est moi qui m’entraîne jusqu’à ce que mes muscles rompent sous les poids que vous me mettez sur le dos ! C’est moi qui risque ma vie tous les jours dans des combats de plus en plus grandioses ! C’est moi qui offre ma vie, mon art au peuple de Taisen ! C’est moi qui les abreuve de sang ! Ces lâches qui n’arriveraient pas à faire un dixième de ce que je suis capable de faire !

    Ce fut alors à Oreste de se lever dans un grand fracas qui glaça le sang de Tulkas, soudainement ramené à la nature profonde du lien qui l’unissait à Sau’inn et Orestre. Celui du maître à l’esclave. Et c’est silencieusement que Tulkas inclina l’échine.

    - Pardonnez-moi, maître.
    - Vagirhn et toi, vous auriez pu être un duo de légendes. Grondait-il. Sau’inn a ses raisons, mais sais-tu seulement pourquoi il t’a monté contre lui ? Parce-que oui, je connais les plans du maître, gladiateur. Il veut que vous vous affrontiez demain. Dans un combat à mort. Vagirhn te défie, ça sera le clou du spectacle des jeux de demains. Voilà, ta récompense. Tu auras le sang de ce qui aurait pu être un ami sur les mains.
    - … Ase shafki athdrivar. Répondit-il de façon solennelle.

    Le reste de la soirée fut marquée par une amertume profonde. Laissé seul dans ses quartiers pour qu’il puisse se concentrer sur la guérison de ses dernières blessures, le gladiateur attendait, là. Ruminant en faisant tourner son vin dans sa coupe d’or.
    Demain, il tuerait Vagirhn.
    Car telle était la vie gladiatoriale.
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