Tensai avait vaincu. Des abominations, des entités titanesques que certains "pauvres d'esprit" considèrent comme des Dieux, des êtres immortels, des "créateurs" aujourd'hui, l'un d'eux était réduit en gravât. L'empereur reikois avait su rendre possible, l'impossible à la seule force de ses bras et de sa folie au combat. Revenu en héros aux yeux du monde, du Reike, de sa femme, la reine, Tensai fut mis au repos. Son corps, meurtri par de nombreuses blessures physiques, son esprit tiraillé par des blessures magiques, Tensai reposait dans son palais. Mais le repos n'est pas Tensai. En tant que souverain, il entendait les colporteurs, il savait ce qu'il se tramait. En tant que Barbare, il savait comment empêcher cela, et c'est en tant que père, qu'il voulut prendre les devants pour protéger son royaume, sa femme, son enfant. Aujourd'hui, les yeux étaient rivés sur le Reike. La perfidie diplomatique républicaine grandissait à vue d'œil. Kaizoku était devenu leur. Bientôt la conquête de l'or bleu commencerait. Le Reike, lui, sortait enfin de cette dépendance répugnante républicaine. Devenue autonome financièrement grâce à la guerre, c'est grâce à la guerre que le royaume instaurera une hégémonie totale sur le Sekai.

Ainsi, Tensai rejoignit, sur sa solide monture aussi sombre que la nuit et aux yeux d'un feu brulant, un bataillon sur les Terres du Nord. Même si la domination territoriale était devenue reikoise, quelques villages avaient encore l'audace de nous résister. Refusant de courber l'échine devant notre autorité. Des ignorants, des barbares du nord n'obéissant qu'à une seule règle : le combat. Et ça Tensai le comprenait très bien, lui qui était jadis dans leur position. Lui qui n'était qu'un Barbare du Sable. La différence. Aujourd'hui, l'hégémonie de Tensai était connue de tous. Par delà les montagnes, les fleuves et les mers. Le Tueur de Titans. Un roi puissant, dominateur, ne transparaissant aucune pitié envers les faibles, les traitres ou ses ennemis. Malgré des blessures encore fraiches, nul ne peut prétendre se dresser en ce jour face à ce Drakyn.

Eargur, le Dunark dirigeant ce bataillon, s'inclina devant son roi.  

— Bonjour Monseigneur, Eargur, Dunark de ce bataillon. 80 fiers soldats reikois prêt à lever le fer pour vous, mon roi. Un de nos hommes est revenu d'un pourparler. Le chef de ce village du Nord ne souhaite pas se soumettre à notre nation.

— Un mal pour un bien.

— Souhaitez-vous que nous donnions l'ordre d'attaquer ?

— Nous ne sommes pas des Barbares, nous sommes le Reike. Renvoyez le pourparler afin qu'il stipule les règles de l'affrontement. Nous les attaquerons dans trois jours, le temps qu'ils préparent leur défense et qu'ils mettent à l'abri les personnes fragiles. Nous attaquerons uniquement de jour, même si je doute qu'il faille plus d'un jour pour soumettre ce village. Ils peuvent opter le choix d'un Holmgang. Leur Champion pourra ainsi me défier dans un duel à mort. Ça évitera des pertes inutiles.

— Bien monseigneur ! Votre clémence sera appréciée.

— Ce n'est pas de la clémence ! C'est le code d'honneur ! Vous ferez bien de l'encrer dans votre crâne, Dunark !

Le Dunark n'ose répondre. Il s'inclina en reculant puis frappa le poing droit fermé près du cœur puis garda le bras droit à l'équerre en maintenant le poing en direction du ciel. Le signe reikois lui fut rendu par Tensai qui alla ensuite se reposer dans sa tente de fortune en attendant que les trois jours soient écoulés. Empli d'un désir brulant de faire à nouveau couler le sang, Tensai désirait recruter ainsi de nombreux guerriers du Nord, d'augmentant son armée et sa domination sur le Sekai. 

Tensai est une légende. Il était le seul à avoir vaincu un Titan. Sa légende était aujourd'hui chantée dans les comptines des bardes. Tueur de Titan. Dieu Soleil. Père Dragon. L'empereur sans peur. Le guerrier sans pitié. Tous des qualificatifs augmentant considérablement la grandeur, l'admiration et la terreur de se retrouver face à lui. Mais lorsque l'on se présentait réellement en sa présence, l'aura qu'il dégageait décuplé davantage les sentiments de peur et de terreur à son encontre. Seule sa femme pouvait partager une tout autre émotion. Pourtant, Tagar Reys entra dans sa tente, s'inclina comme le veut la coutume reikoise, et s'adressa à son roi dans les yeux, comme s'il parlait d'égale à égale. Malgré cela, Tensai laissa d'abord le soin à l'homme de s'exprimer. Après tout, il s'annonçait comme "contrôleur royal" et peut-être était-il dépêché par la reine elle-même. Mais il s'avéra que non. Tagar Reys informait, dictait, imposait une nouvelle comme "mauvaise". Sur ce point, Tensai était irrité. Il n'avait pas pour habitude qu'on lui donne des ordres et la suggestion de Tagar ne proposant d'autres alternatives que stopper l'invasion des Terres du Nord était inacceptable pour le roi. Tensai se redressa.

La lune surélevait la tente du roi comme la faux de la mort attendant son jugement. Tensai connaissait bien les finances de son pays en tant que souverain. Il savait que la guerre avait permis au Reike de croitre, de prospérer. Depuis l'affrontement face aux Titans, le Reike était devenu autonome financièrement et ne dépendait plus de la République. De nombreuses richesses étaient encore à percevoir de Shoumei, et l'agrandissement vers les terres du Nord offraient de nombreuses mines de pierres précieuses. Bien sûr, le roi était au courant que recruter des soldats revenait à octroyer à ceux-ci un salaire décent, lui-même approuvé la réforme et promettait gloire et richesse à ses hommes. De plus, les richesses que renferme le Sekai, sont telles, que le Reike a encore une bonne marche de manœuvre avant d'être dans une situation d'"impasse" budgétaire. De nombreuses terres sont encore "non conquises" et d'autres actions pouvant faire fructifier les finances doivent être prises. Plutôt que des interdictions, Tagar Reys ferait mieux de trouver des plans d'actions s'il tient réellement à la vie.

— Nous ne pouvons avancer en évitant de marcher sur les fourmis.  

Il était évident que conquérir des terres demanderait des sacrifices, qu'ils soient humains ou financiers. Mais lorsque le Reike aura son hégémonie sur le Sekai, cela ne sera plus un problème. C'est à ce moment-là que le Dunark entra dans la tente. Il posa un genou au sol et baissa la tête devant son roi.

— Monseigneur, notre homme est revenu du camp. Ils ont choisi d'accepter le Holmgang. Un de leur champion vous affrontera dans deux jours. Le chef demande juste à ce qu'ils puissent récupérer la dépouille au cas où celui-ci péri de votre main.

— Sa demande est refusée. Lorsqu'il sera mort, sa tête sera exposée sur une pique, ses yeux et sa langue nourriront les corbeaux, tandis que son corps sera jeté aux porcs. Même s'il a la bravoure de se battre pour son village, il affronte son roi, et trahit ainsi le Reike. Son sort n'en sera que mérité !  

— Bien ! Je demande à mes hommes de préparer une pique.  

— Préparez-en deux !  

— À vos ordres, monseigneur !  

Le Dunark fit le signe reikois et quitta la tente en inclinant sa tête avec respect. Tensai se tourna vers Tagar Reys.

— Tagar Reys. Me prends-tu pour un idiot ou es-tu toi-même un imbécile n'ayant reçu aucune éducation ?  

Tensai se souvenait de Tagar Reys et de son jugement. Il avait été acquitté de ses torts en échange de verser une somme considérable à la Reine. Tagar avait été traité alors de lâche, de traitre sans preuve direct. Tensai, lui, avait remarqué la fourberie de cet homme. Celui-ci devrait en user s'il voulait espérer revoir un jour la lumière du soleil.  

Les tensions restèrent présentes, puisque Tagar n'avait pas daigné excuser son impolitesse. Celui-ci, lui, qui avait dicté un fait sans prendre en considération l'avis de son roi. Malgré, tout, peut-être, se rendait-il, compte de son erreur. Sa gestuelle semblait être plus proche de la soumission qu'il ne l'était. Une chance pour lui, Tensai avait remarqué de l'incrédulité chez le contrôleur royal. Il paraissait ne pas comprendre. Ignorer. Certes, cela est embêtant, mais pas autant qu'une trahison. Devait-il mourir par ignorance. Peut-être... Probablement pas si Tensai sentait une utilité chez Tagar Reys. Ainsi le souverain lui laissa la chance de s'exprimer.

Mon Empereur, j’avoue ne pas comprendre votre interrogation. Vous connaissez la situation financière de l’Empire sans aucun doute mieux que moi. Je suis venu ici, pour vous aider à bâtir votre projet et faire en sorte que vous puissiez réaliser vos objectifs, cela, car je pense que vous êtes le seul dirigeant légitime de notre nation ainsi que le seul à pouvoir nous protéger des Titans.

— Votre ignorance vous perdra... Soit poursuivez !

Tensai s'assit dans un fauteuil de guerre. Il sentit qu'au vu de la fiche qu'avait sorti Tagar de sa veste, cela risquait d'être long. Tagar Reys lui raconta diverses choses. Une liste d'objectif pour faire fructifier les finances du pays. Enfin des actions concrètes. La partie concernant les animaux mythiques comme arme de guerre l'intéressait moins dans ce cas présent. Tensai s'appuya contre l'accoudoir et pris une pomme qu'il mordit sur sa moitié d'un seul coup de crocs.

— Tagar Reys, vous êtes contrôleur royal, n'est-ce pas ? Votre rôle est de vous occuper de la trésorerie, des créances, des impôts. Alors de quel droit, étudiez-vous avec Dame Stormborn l'art de la guerre, les montures et animaux dont nous aurions besoin pour agrandir notre armée ? Cessez de vous éparpiller et concentrez-vous sur votre rôle et votre rang.

Tensai mangea l'autre moitié de pomme et cracha le trognon dans la corbeille.

— Je vais affronter le Champion de ce village. Une fois qu'un Holmgang est accepté, nul ne peut le rompre. Sur mon honneur, je ferais ce combat contre ce guerrier. Ça, c'est un fait. Le Reike continuera son extension en terre du Nord et à Shoumei, ça aussi ce sont des faits. Chaque soldat travaillant pour le Reike sera correctement logé, nourrit et payé, ça, c'est ma parole. Nul être ne peut revenir sur des faits et sur ma parole. Alors maintenant, dites-moi ce que vous proposez pour enrichir notre armée, notre pays. Ne me sortez plus d'idiotie concernant des impasses budgétaires ou des impossibilités. J'attends de vous du concret, contrôleur royal ! Vous avez déjà usé de ma patience, n'en n'abusez pas !   

En effet, s'il y a bien un roi pouvant prétendre que rien n'est impossible, c'est bien Tensai Ryssen. Un enfant barbare devenu roi. Père d'un Dragon. Tueur de Titan. Tant d'impossibilité rendu possible par un seul Drakyn. Tensai pris un bout d'os et se cura ses dents pointues de Dragon. Le Durnak pénétra à nouveau dans la tente. Tensai lui fait un signe de se taire.

— Pas maintenant, Durnak ! Cet homme doit me prouver sa valeur et me convaincre de lui laisser la vie.     

La pression était désormais sur les épaules de Tagar. Le moindre faux pas lui sera dès lors fatal. Il devra faire attention à ses propositions. Il n'est pas là pour devenir conseiller du roi. Ni pour s'occuper de son armée. Son seul but, faire fructifier la trésorerie du Reike en prenant en considération les contrainte, car nul n'est tenu d'ignorer Tensai. S'il sort de sa route, s'il fait le moindre faux pas, il y aura un mort ce soir.  

Une fois que nous parlions trésorerie, Tagar Reys semblait maitriser son sujet. Les plans de trésoreries étaient crédibles et murement réfléchis. Si cela pourrait faire en sorte que l'armée soit plus riche, plus puissante, alors Tensai approuverait cela. Ce que taraudé le plus le roi était plus l'homme que ses compétences. Tagar Reys était connu pour être volage. Il voyage beaucoup et à peut être déjà pu voyager dans tout le Sekai. Mais un être doté d'un sens stratégique important pour le Reike devra rester au Reike. Peut-être était-il temps de lui proposer le poste de Coeur ? Tensai grogna avant de prendre la parole.

— Je ne vous parlerai pas de Mael ! Je réfèrerai de mes plans à la Griffe qui en informera le Coeur.

Tensai se leva. Il s'approcha du Durnak, et pris le glaive attaché à la ceinture du Soldat. Une dague, d'une lame de 20 cm seulement. Fine et extrêmement tranchante.

— Tagar Reys, vous semblez connaitre votre sujet. Vous augmentez donc l'importance de vous avoir dans notre nation.

Et l'importance de vous empêcher de quitter nos frontières, mais ça Tensai le gardait pour lui. Le souverain pointa le bout de la lame sur le torse du contrôleur Royal.

— La chance vous sourit, notre Grand Argentier, ce vieux croulant, se meurt alors que nous parlons. Peut-être faudra-t-il lui trouver un remplaçant d'ici les mois, les semaines ou les jours à venir. Je ne doute pas de vos capacités en trésorerie et je laisserai soin à ma femme d'en juger lorsque je lui remettrai mon rapport. Néanmoins, votre réputation vous précède. Et je n'ai pas confiance aux lettrés comme vous qui voyage au travers le monde. Du plus, comme un cœur doit rester dans un corps, le nôtre devra rester dans notre royaume.  

D'un léger mouvement, la lame s'enfonça lentement dans la chaire jusqu'à toucher l'os de la cage thoracique de Tagar qui grimaca sans oser bouger. Tensai observait celui-ci pour déterminer sa bravoure malgré la douleur.

— Un cœur est protégé par une cage thoracique. Ainsi le nôtre sera protégé par une armée qui vous accompagnera partout. Tenez ce glaive en main. Et maintenez la pression jusqu'à mon prochain ordre.  

Tagar tenait à présent le glaive, la lame du couteau glissait sur les os de sa cage thoracique si ses mains tremblaient.

— Le cœur est contrôlé par un cerveau. Ici, ce sera l'Impératrice elle-même. En d'autres mots. Soit, vous acceptez de postuler au titre de Cœur en ayant conscience des obligations et des pouvoirs qui vous incomberont. Ceci comprenant une surveillance accrue, une garde omniprésente, et une interdiction de sortir du pays sans en avoir reçu l'ordre de la Reine. Soit, vous enfoncez cette lame dans le vôtre pour me prouver que malgré tout ce qu'on peut colporter sur vous, votre soit-disant lâcheté, votre fourberie, vos voyages en République ne sont que des cendres et que votre loyauté envers le Reike, est supérieur à tout ça. Ainsi, je saurais qu'un homme brave s'est donné la mort devant son roi. Le choix est vôtre.

Tensai toisait Tagar. Si jamais il tentait la fuite, il prendrait un plaisir inavoué de lui trancher la tête sur le champ. Le Durnak, lui, restait de marbre devant cette scène.   

Tensai était un roi, une légende, un tyran. Le sang de dragon coulait dans ses veines. Le Tyran tueur de Titan. Il n'avait aucune pitié, et même si l'épée que tenait Tagar dans ses mains pouvait lui ôter la vie, le regard de Tensai le toisant était plus impressionnant encore. Tensai écouta la réponse de Tagar. Celui-ci souffrait, c'était certain. Ce n'est jamais agréable d'avoir une lame qui frictionne ses propres côtes.  Tensai ne dit rien. La tête haut, il continuait à regarder Tagar transpirant, tremblant. Les secondes paraissaient des heures avant qu'il ne prenne enfin la parole.

— Peu importe ce qu'on colporte à ton égard, tu es un homme brave, Tagar.

Tagar Reys attendait l'ordre.

— Retire cette épée, elle t'appartient désormais ! J'informerai la reine de ta bravoure et ton postulat au poste de Cœur. Va !

Tensai se tourna vers le Durnak.

— Bien, qu'y a-t-il ? 

— C'était pour vous informer que le camp ennemi accepte nos conditions. Ils festoient leur dernier jour de liberté. Devons-nous interférer ?

— Non ! J'ai donné ma parole, seule une vie sera prise. Envoyez cet homme chez le médecin de camp, qu'il bande sa plaie. Cet homme sera bientôt Cœur. Une fois guéri, renvoyer 20 soldats l'escorter jusqu'à Ikusa. Si jamais il se fait capturer, il sera obligé de se donner la mort.     
Tensai se retourna vers Tagar.  

—Jurez-le-moi sur votre honneur, Tagar Reys !  

Un Cœur, un Grand Argentier est un homme de grande importance pour le Reike. Mais c'est avant tout un homme d'honneur, sacrifiant sa propre vie pour son pays. Choyé, celui-ci serait protégé, surveillé, aimé. Mais il faut être solide pour en encaisser les responsabilités. Le Cœur se doit d'avoir toute dévotion envers sa supérieure, la Reine, envers son pays. Dans le cas, où le cœur serait dans les mains de l'ennemi, il n'aurait d'autre choix que de se donner la mort. Peut-être que l'épée courte, reçue en cadeau, parachèverait cet acte. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui Tagar était libre. Libre de servir le Reike jusqu'à sa mort. Car nul ne peut revenir sur son honneur.