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Citoyen de La République
Sixte V. Amala
Messages : 187
crédits : 1494
crédits : 1494
Info personnage
Race: Elfe (mi-ange)
Vocation: Guerrier assassin
Alignement: Chaotique Neutre
Rang: D
Cela faisait plusieurs jours maintenant que Vestoria mettait un point d’honneur à ignorer son époux. Autant parce qu’elle n’avait aucune envie de lui parler que parce qu’elle savait que ses mots auraient dépassés sa pensée. Malgré sa préférence à lui, il était sa préférence à elle et elle préférait encore ne pas lui adresser la parole que de le blesser volontairement. Ainsi elle avait fait en sorte de le croiser le moins possible, fuyant sur la falaise dès qu’elle sentait ses émotions former un maelstrom qu’elle ne parvenait plus à gérer. Certaines fois cela arrivait le matin, d’autrefois la nuit et puis parfois le soir. C’était ce qui c’était passé ce jour-là. L’après-midi touchait à sa fin lorsqu’elle avait sentit sa colère vrombir. Pourtant, elle n’avait rien fait d'autre que de se mettre à penser alors qu’elle effectuait une énième tâche ennuyeuse au domaine mais il n’en avait pas fallu plus pour que tout s’emballe. Alors elle avait pris ses jambes à son cou, avait grimpé le chemin sinueux et une fois en haut, malgré la sueur qui perlait déjà le long de ses tempes, elle s’était entraînée avec toute la rage qu’elle contenait jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire. Là, elle avait consenti à redescendre et c’est avec surprise qu’elle avait retrouvé Altarus aux pieds de son perchoir. Elle l’avait toisé, prête à l’ignorer une fois de plus mais il lui avait tendu la main et plutôt que de la prendre, Vestoria s’était jetée dans ses bras. Dieux, qu’il lui avait manqué.
- Merci, merci, merci, merci. Avait-elle murmuré contre la peau de son cou en le serrant contre elle tendrement.
Vestoria aurait dû savoir que parfois, certains signes sont envoyés par les dieux en personne et qu’il n’est pas vraiment bon de les ignorer. Hélas, elle était alors jeune et surtout heureuse, volontairement aveugle au mur vers lequel son couple était en train de foncer, aveugle à la promesse qu’elle était en train de rompre. Plusieurs années plus tard, lorsqu’elle repenserait à ce jour et à ce voyage, elle serait incapable de ne pas se trouver idiote de n’avoir rien vu alors que sous ses yeux, tout était pourtant si ostentatoire. La violence de la tempête, son incapacité naturelle à ne pas vomir tripes et boyaux durant la première semaine de voyage. Toutes ces choses qui auraient pourtant dû l’alerter.
Vestoria rayonnait, ne se plaignait même pas d’être malade. Aurait-elle seulement pu se le permettre alors qu’Altarus consentait à un sacrifice qu’elle s’était promise de ne jamais lui imposer ? Lorsque cette question lui venait à l’esprit, elle l’a chassait en songeant égoïstement que ce ne serait l’espace que de quelques années. Le temps pour elle de se remettre à niveau, d’entrer à l’académie, d’y faire ses classes et d’en sortir diplômée. Si ses calculs n’étaient pas trop mauvais et qu’elle s’en sortait bien, la demi-sang espérait n’en avoir que pour une dizaine d’années. Peut-être un petit peu moins si elle travaillait suffisamment dur et elle le ferait. Le sacrifice de son amant ne serait pas vain et une fois son vœu exaucé, elle rendrait Altarus à sa maudite mer. Elle voguerait à ses côtés, en vendant son épée au plus offrant et plus jamais elle n’aurait à l’attendre durant des mois. Cette idée la mettait en joie et plus ils approchaient de Melorn, plus son bonheur était flagrant. Par extension, leur relation semblait elle aussi se porter bien mieux que les semaines qui avaient précédé leur départ. S’il leur avait fallu un peu de temps, Vestoria était entièrement revenue à Altarus. Mais elle ne savait pas que ce n’était pas son cas à lui, même dans les baisers qu’il lui donna, avant de monter dans la calèche, elle ne décela pas l’étendue de son amertume.
Il ne fut pas difficile aux deux tourtereaux de se trouver une petite résidence aux abords de la petite couronne urbaine. Une charmante demeure dans la plus pure tradition Melornoise, aux fleurs exquises et aux jardins grandioses. Chaleureuse et accueillante mais dotée d’une cour intérieure où Vestoria pouvait aisément s'entraîner. Ce fut d’ailleurs l’une des première chose qu’elle fit ; se trouver un nouveau maître d’arme et la tâche n’était pas aisée car elle ne pouvait se permettre de prendre le premier combattant venu. Elle se devait de prendre une lame qui la surpassait en tout domaine. Ce ne fut qu’au bout d’une semaine à écumer les entretiens qu’elle l’a trouva en la personne de Shihi Jhogo, une drakyn aux écailles dorées et tout droit venu d’Ikusa. Manieuse de lames, tireuse hors pair, elle mit la jeune elfe à terre en deux tours de mains et s’attira ainsi ses bonnes grâce. La seconde semaine de leur arrivée fut presque entièrement consacrée à une rude remise en forme ainsi qu’à gérer les formalités de leur retour en ville auprès de leurs familles respectives.
- Tu pars demain ? Demanda Vestoria en se glissant dans la chambre conjugale après avoir passé une bonne trentaine de minutes à récurer la crasse incrustée sous ses ongles et dans les pliures de ses oreilles pointues. Pieds nus, elle se fraya un chemin parmi les malles jusqu’à Altarus et s’assit sur le bord du lit en lui prenant la main. - Comment tu te sens ? Demanda-t-elle en la caressant du pouce. - Je sais que ce n’était pas un choix évident mais je t’assure, ça ne sera pas long. Je vais travailler dur pour être admise rapidement et lorsque ce sera fait je travaillerai encore plus dur pour obtenir ce diplôme et enfin, nous serons libres. Tu verras. Elle déposa un baiser sur le dos de sa main avant de se hisser sur le lit, puis au-dessus d’Altarus dont elle vint embrasser les lèvres amoureusement. - L’idée que tu t’en ailles encore loin de moi… Elle délaissa ses lèvres pour les faire dériver le long de sa mâchoire puis de son cou. - Je déteste ça.
- Merci, merci, merci, merci. Avait-elle murmuré contre la peau de son cou en le serrant contre elle tendrement.
***
Vestoria aurait dû savoir que parfois, certains signes sont envoyés par les dieux en personne et qu’il n’est pas vraiment bon de les ignorer. Hélas, elle était alors jeune et surtout heureuse, volontairement aveugle au mur vers lequel son couple était en train de foncer, aveugle à la promesse qu’elle était en train de rompre. Plusieurs années plus tard, lorsqu’elle repenserait à ce jour et à ce voyage, elle serait incapable de ne pas se trouver idiote de n’avoir rien vu alors que sous ses yeux, tout était pourtant si ostentatoire. La violence de la tempête, son incapacité naturelle à ne pas vomir tripes et boyaux durant la première semaine de voyage. Toutes ces choses qui auraient pourtant dû l’alerter.
Vestoria rayonnait, ne se plaignait même pas d’être malade. Aurait-elle seulement pu se le permettre alors qu’Altarus consentait à un sacrifice qu’elle s’était promise de ne jamais lui imposer ? Lorsque cette question lui venait à l’esprit, elle l’a chassait en songeant égoïstement que ce ne serait l’espace que de quelques années. Le temps pour elle de se remettre à niveau, d’entrer à l’académie, d’y faire ses classes et d’en sortir diplômée. Si ses calculs n’étaient pas trop mauvais et qu’elle s’en sortait bien, la demi-sang espérait n’en avoir que pour une dizaine d’années. Peut-être un petit peu moins si elle travaillait suffisamment dur et elle le ferait. Le sacrifice de son amant ne serait pas vain et une fois son vœu exaucé, elle rendrait Altarus à sa maudite mer. Elle voguerait à ses côtés, en vendant son épée au plus offrant et plus jamais elle n’aurait à l’attendre durant des mois. Cette idée la mettait en joie et plus ils approchaient de Melorn, plus son bonheur était flagrant. Par extension, leur relation semblait elle aussi se porter bien mieux que les semaines qui avaient précédé leur départ. S’il leur avait fallu un peu de temps, Vestoria était entièrement revenue à Altarus. Mais elle ne savait pas que ce n’était pas son cas à lui, même dans les baisers qu’il lui donna, avant de monter dans la calèche, elle ne décela pas l’étendue de son amertume.
Il ne fut pas difficile aux deux tourtereaux de se trouver une petite résidence aux abords de la petite couronne urbaine. Une charmante demeure dans la plus pure tradition Melornoise, aux fleurs exquises et aux jardins grandioses. Chaleureuse et accueillante mais dotée d’une cour intérieure où Vestoria pouvait aisément s'entraîner. Ce fut d’ailleurs l’une des première chose qu’elle fit ; se trouver un nouveau maître d’arme et la tâche n’était pas aisée car elle ne pouvait se permettre de prendre le premier combattant venu. Elle se devait de prendre une lame qui la surpassait en tout domaine. Ce ne fut qu’au bout d’une semaine à écumer les entretiens qu’elle l’a trouva en la personne de Shihi Jhogo, une drakyn aux écailles dorées et tout droit venu d’Ikusa. Manieuse de lames, tireuse hors pair, elle mit la jeune elfe à terre en deux tours de mains et s’attira ainsi ses bonnes grâce. La seconde semaine de leur arrivée fut presque entièrement consacrée à une rude remise en forme ainsi qu’à gérer les formalités de leur retour en ville auprès de leurs familles respectives.
- Tu pars demain ? Demanda Vestoria en se glissant dans la chambre conjugale après avoir passé une bonne trentaine de minutes à récurer la crasse incrustée sous ses ongles et dans les pliures de ses oreilles pointues. Pieds nus, elle se fraya un chemin parmi les malles jusqu’à Altarus et s’assit sur le bord du lit en lui prenant la main. - Comment tu te sens ? Demanda-t-elle en la caressant du pouce. - Je sais que ce n’était pas un choix évident mais je t’assure, ça ne sera pas long. Je vais travailler dur pour être admise rapidement et lorsque ce sera fait je travaillerai encore plus dur pour obtenir ce diplôme et enfin, nous serons libres. Tu verras. Elle déposa un baiser sur le dos de sa main avant de se hisser sur le lit, puis au-dessus d’Altarus dont elle vint embrasser les lèvres amoureusement. - L’idée que tu t’en ailles encore loin de moi… Elle délaissa ses lèvres pour les faire dériver le long de sa mâchoire puis de son cou. - Je déteste ça.
Citoyen du monde
Altarus Aearon
Messages : 415
crédits : 1478
crédits : 1478
Info personnage
Race: Humain-elfe
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal neutre
Rang: C
Pourquoi pensait-on toujours que les choses étaient simples à prendre ? Que les décisions qu’on croyait avoir mûrement réfléchies seraient plus faciles une fois le moment venu de les accomplir ? Pourquoi la vie veillait-elle toujours à compliquer les choses ? Certaines questions demeureraient des énigmes à l’existence, vouées à toujours chercher une réponse qui ne sera jamais satisfaisante.
Quand la mer avait disparu derrière l’horizon devenu terrestre, le demi-elfe ressentit un étrange sentiment. Celui de faire fausse route. Il n’était pas trop tard pour accepter une bonne fois pour toutes la voie qu’il avait laissé faussement entrevoir à Vestoria. Le doute piqua son cœur, le poussant à reconsidérer ce qu’il croyait être le mieux pour sa bien-aimée. Elle était jeune, vouée à une vie plus longue que la sienne. Une décennie à être à ses côtés, bien que trop souvent absent il est vrai, n’effaçait en rien la beauté de son sourire, l’éclat de ses yeux. Mais dix ans, ce n’était rien pour elle. Même si le sang angélique ne coulait qu’à moitié dans ses veines, elle resterait jeune, là où le temps le rattraperait bien plus rapidement. Sa part humaine était plus forte dans ses chairs que sa part elfique. Dix ans… il pouvait encore en vivre plusieurs, voire plus. Mais accepterait-elle de rester à le voir doucement perdre de sa jeunesse et de sa force ? Là aussi, c’était une question qui resterait sans véritable réponse, qu’il ose ou non lui demander. Peut-être aurait-il dû lui poser la question…
Et si… et s’il l’avait posée ? Avec des « si », le monde aurait été bien différent. Plus encore si Altarus n’avait pas été à ce point « enfant de la mer ». Il y baignait depuis sa naissance, il était donc plus que difficile de défaire un élément intégré à sa propre âme. Se savoir au cœur des terres, éloigné de la mer, de sa vue, de son odeur, lui apportait une forme d’amertume… ou de vague à l’âme. L’amour qu’il portait pour Vestoria réussissait à combler le vide qui s’était installé maintenant qu’ils approchaient de Melorn. Un amour sincère, mais qui ne le poussait pas à choisir la même voie d’avenir pour Vestoria. Il l’aimait et ne pensait qu’à la liberté qu’elle méritait. Il lui briserait le cœur, mais une fois ses peines apaisées, elle aurait toute la vie devant elle. Elle aurait encore la fougue de sa jeunesse pour trouver ce qui lui irait le mieux. Il en était si convaincu…
À Melorn, il fut aisé de trouver une habitation de taille adéquate et très confortable. Rapidement, le jeune couple sut trouver ses marques, plus encore quand le pirate eut cessé de souffrir du mal de terre. Vestoria profita de la petite cour intérieure pour faire ses séances d’entraînement, d’abord seule, avant de trouver une maîtresse d’armes au niveau exigeant, qui l’obligeait à progresser. Rentrer à l’Académie était ce qui importait le plus à Vestoria, qui, après avoir pu s’échapper du giron de sa famille grâce au mariage, devait maintenant se donner tous les moyens possibles pour être à la hauteur des compétences requises pour adhérer à la prestigieuse institution. Plusieurs fois, le demi-elfe, les mains jointes dans le dos, la regarda, arme en main, affrontant sa professeure. Un étrange soupir le saisit une fois. Lui aussi ne devait pas perdre la main. Il profitait de certaines belles nuits pour rejoindre le couvert des jardins environnants et croiser le fer contre un ennemi invisible. Même s’il ne voguait plus, savoir se battre restait primordial. Même à Melorn, tout pouvait arriver. Durant cette deuxième semaine, il ne négligeait donc pas ses acquis. Par contre, il mettait bien moins d’entrain que sa dulcinée pour converser par missive avec les siens. Depuis le mariage, il n’avait recontacté aucun d’entre eux. Une forme de distance était présente depuis qu’il avait acquis ses propres affaires en mer… Les Aearon étaient et resteraient une famille discrète, qui n’était pas du genre à étaler ses possessions matérielles et financières. Une façon et une manière de vivre qui s’en ressentaient chez Altarus, plus qu’il ne pouvait l’imaginer.
Deux semaines étaient donc passées. À la fin de cette période, Altarus attendait toujours la missive qui devait faire état des dégâts sur la coque de son navire. Ne pas la voir arriver comme il l’avait espéré ne l’inquiétait pas outre mesure. Il avait juste pris le temps de faire emballer ses affaires, qui encombraient un recoin de la chambre. Vestoria ne pourrait pas passer à côté. D’ailleurs, ce fut quand elle le rejoignit, après s’être nettoyée de sa dernière séance d’entraînement, qu’elle les remarqua. Une fois assise sur le bord du lit, elle lui saisit la main. Elle était chaude, douce… Il ne répondit pas immédiatement à sa question, savourant du regard la souplesse de son corps quand elle le rejoignit, après avoir déposé un baiser aimant au dos de sa main.
« Je me sens toujours bien quand tu es à mes côtés. » Ce qui était vrai, même si derrière, il sentait le poids de la culpabilité croître. « Tu as déjà la liberté, Vestoria. Elle est tienne et tu dois la garder. » Il porta sa main dans la chevelure dorée de Vestoria, pour s’imprégner intensément de leur texture et de leur légèreté. Il savoura le contact de ses lèvres, comme au premier jour. Tendrement, il l’invita à se rapprocher plus de lui, pour mieux s’enivrer de son parfum naturel, de mieux porter ses paumes rugueuses sur la finesse de sa peau. « Nous ne décidons pas forcément ce qu’on souhaite. Mais là, maintenant, il n’y a que toi et moi, rien d’autre. » Il l’embrassa dès qu’elle lui fit face, une fois qu’elle eut remonté jusqu’à ses lèvres. Au fond de tout son être, il ne voulait pas qu’elle parte. Mais derrière, c’était lui qui se préparait au départ.
« Je peux attendre encore un peu, pour rester avec toi… »
À nouveau, il partit à sa rencontre, l’embrassant avec cette douceur et cette volonté qui lui étaient propres. Un homme empli d’assurance, mais de prudence, qui savait comment naviguer pour apporter la plus belle des passions à la femme qu’il aimait. Cette passion n’avait rien de comparable à celle qu’il ressentait pour la mer. Ce n’était pas le même amour. Il y avait des ressentis qui ne se définissaient pas, simplement à percevoir et à vivre à travers eux…
Altarus resta un mois de plus, avec cette incertitude grandissante qu’il commettait l’irréparable. Se dérober… il ne pouvait pas, pas vraiment. Son navire, la mer… certaines voies se déterminaient par ces facteurs. Quand il reçut la missive, il sut. La raison vertueuse aurait conseillé qu’il oublie totalement son départ, qu’il n’embarque pas. Prendre ce risque pour permettre à Vestoria d’acquérir pleinement ce qu’elle méritait depuis toujours, cette liberté chérie… Sans plus avoir à craindre pour la disparition pure et simple de son époux… de lui et de le voir année après année. Ce jour-là, il avait embrassé Vestoria comme jamais.
« Je t’aime comme tu aimes ta liberté. Ne laisse personne te l’arracher… »
Plusieurs jours s'écoulèrent.
Quelqu’un vint frapper à la porte de la petite résidence. Si Vestoria crut à un retour prématuré de son époux, elle déchanta vite en trouvant un homme affichant le visage de celui qui porte de mauvaises nouvelles, de celles qui vous arrachent le cœur. De la bouche du marin rescapé du tragique naufrage, la demi-sang apprit que deux jours après avoir appareillé, le brick se brisa violemment en deux, coulant en si peu de temps que ce fut presque un miracle qu’une bonne partie de l’équipage en réchappa. Ce que ne saura pas Vestoria, c’est qu’Altarus avait donné congé à la moitié de son équipage, pour s’assurer de sauver tous ses hommes restés à bord. Gardant le nécessaire pour voguer jusqu’à Benedictus, le miraculé racontera tristement comment leur capitaine s’était démené pour sauver les membres de son équipage avant qu’un mât ne l’empêche de rejoindre la chaloupe et que le sillage engloutissant du reste du navire ne l’emporte sous les flots… La mer, si haïe par Vestoria, avait emporté sa moitié de cœur, comme si elle avait cherché à se venger de sa haine de la dernière fois… Mais la mer n’était cruelle qu’avec les âmes qui ne la respectaient pas.
Et bien que même Altarus ait pris le risque de parcourir ses flots, malgré la quille condamnée du navire, le pirate avait eu confiance en son instinct. Désormais, là où il se trouvait, à l’autre bout de la mer des Anciens, fixant le lointain miroitant de l’étendue marine, il portait son regard comme s’il cherchait l’ombre urbaine de Melorn. Silencieusement, il regardait sans pouvoir voir ce qu’il avait consenti à laisser, pour qu’elle ne sacrifie pas sa liberté. Regrettait-il son choix ? Oui, dans son cœur, il sentait la meurtrissure de cette trahison semi-orchestrée.
Une dernière fois, il fixait une silhouette qu’il ne pensait déjà plus jamais revoir. Avant de se détourner, il sentit une larme couler sur sa joue. Les mâchoires crispées, il l’essuya du bout de son index, la contemplant. Elle était comme une petite perle, l’ultime morceau de trésor qu’il délaissait derrière lui.
Il voulut poursuivre la contemplation de ce dernier morceau de cette part de vie, mais elle roula hors de son doigt pour rejoindre le sable humide imbibé d’eau de mer…
Quand la mer avait disparu derrière l’horizon devenu terrestre, le demi-elfe ressentit un étrange sentiment. Celui de faire fausse route. Il n’était pas trop tard pour accepter une bonne fois pour toutes la voie qu’il avait laissé faussement entrevoir à Vestoria. Le doute piqua son cœur, le poussant à reconsidérer ce qu’il croyait être le mieux pour sa bien-aimée. Elle était jeune, vouée à une vie plus longue que la sienne. Une décennie à être à ses côtés, bien que trop souvent absent il est vrai, n’effaçait en rien la beauté de son sourire, l’éclat de ses yeux. Mais dix ans, ce n’était rien pour elle. Même si le sang angélique ne coulait qu’à moitié dans ses veines, elle resterait jeune, là où le temps le rattraperait bien plus rapidement. Sa part humaine était plus forte dans ses chairs que sa part elfique. Dix ans… il pouvait encore en vivre plusieurs, voire plus. Mais accepterait-elle de rester à le voir doucement perdre de sa jeunesse et de sa force ? Là aussi, c’était une question qui resterait sans véritable réponse, qu’il ose ou non lui demander. Peut-être aurait-il dû lui poser la question…
Et si… et s’il l’avait posée ? Avec des « si », le monde aurait été bien différent. Plus encore si Altarus n’avait pas été à ce point « enfant de la mer ». Il y baignait depuis sa naissance, il était donc plus que difficile de défaire un élément intégré à sa propre âme. Se savoir au cœur des terres, éloigné de la mer, de sa vue, de son odeur, lui apportait une forme d’amertume… ou de vague à l’âme. L’amour qu’il portait pour Vestoria réussissait à combler le vide qui s’était installé maintenant qu’ils approchaient de Melorn. Un amour sincère, mais qui ne le poussait pas à choisir la même voie d’avenir pour Vestoria. Il l’aimait et ne pensait qu’à la liberté qu’elle méritait. Il lui briserait le cœur, mais une fois ses peines apaisées, elle aurait toute la vie devant elle. Elle aurait encore la fougue de sa jeunesse pour trouver ce qui lui irait le mieux. Il en était si convaincu…
À Melorn, il fut aisé de trouver une habitation de taille adéquate et très confortable. Rapidement, le jeune couple sut trouver ses marques, plus encore quand le pirate eut cessé de souffrir du mal de terre. Vestoria profita de la petite cour intérieure pour faire ses séances d’entraînement, d’abord seule, avant de trouver une maîtresse d’armes au niveau exigeant, qui l’obligeait à progresser. Rentrer à l’Académie était ce qui importait le plus à Vestoria, qui, après avoir pu s’échapper du giron de sa famille grâce au mariage, devait maintenant se donner tous les moyens possibles pour être à la hauteur des compétences requises pour adhérer à la prestigieuse institution. Plusieurs fois, le demi-elfe, les mains jointes dans le dos, la regarda, arme en main, affrontant sa professeure. Un étrange soupir le saisit une fois. Lui aussi ne devait pas perdre la main. Il profitait de certaines belles nuits pour rejoindre le couvert des jardins environnants et croiser le fer contre un ennemi invisible. Même s’il ne voguait plus, savoir se battre restait primordial. Même à Melorn, tout pouvait arriver. Durant cette deuxième semaine, il ne négligeait donc pas ses acquis. Par contre, il mettait bien moins d’entrain que sa dulcinée pour converser par missive avec les siens. Depuis le mariage, il n’avait recontacté aucun d’entre eux. Une forme de distance était présente depuis qu’il avait acquis ses propres affaires en mer… Les Aearon étaient et resteraient une famille discrète, qui n’était pas du genre à étaler ses possessions matérielles et financières. Une façon et une manière de vivre qui s’en ressentaient chez Altarus, plus qu’il ne pouvait l’imaginer.
Deux semaines étaient donc passées. À la fin de cette période, Altarus attendait toujours la missive qui devait faire état des dégâts sur la coque de son navire. Ne pas la voir arriver comme il l’avait espéré ne l’inquiétait pas outre mesure. Il avait juste pris le temps de faire emballer ses affaires, qui encombraient un recoin de la chambre. Vestoria ne pourrait pas passer à côté. D’ailleurs, ce fut quand elle le rejoignit, après s’être nettoyée de sa dernière séance d’entraînement, qu’elle les remarqua. Une fois assise sur le bord du lit, elle lui saisit la main. Elle était chaude, douce… Il ne répondit pas immédiatement à sa question, savourant du regard la souplesse de son corps quand elle le rejoignit, après avoir déposé un baiser aimant au dos de sa main.
« Je me sens toujours bien quand tu es à mes côtés. » Ce qui était vrai, même si derrière, il sentait le poids de la culpabilité croître. « Tu as déjà la liberté, Vestoria. Elle est tienne et tu dois la garder. » Il porta sa main dans la chevelure dorée de Vestoria, pour s’imprégner intensément de leur texture et de leur légèreté. Il savoura le contact de ses lèvres, comme au premier jour. Tendrement, il l’invita à se rapprocher plus de lui, pour mieux s’enivrer de son parfum naturel, de mieux porter ses paumes rugueuses sur la finesse de sa peau. « Nous ne décidons pas forcément ce qu’on souhaite. Mais là, maintenant, il n’y a que toi et moi, rien d’autre. » Il l’embrassa dès qu’elle lui fit face, une fois qu’elle eut remonté jusqu’à ses lèvres. Au fond de tout son être, il ne voulait pas qu’elle parte. Mais derrière, c’était lui qui se préparait au départ.
« Je peux attendre encore un peu, pour rester avec toi… »
À nouveau, il partit à sa rencontre, l’embrassant avec cette douceur et cette volonté qui lui étaient propres. Un homme empli d’assurance, mais de prudence, qui savait comment naviguer pour apporter la plus belle des passions à la femme qu’il aimait. Cette passion n’avait rien de comparable à celle qu’il ressentait pour la mer. Ce n’était pas le même amour. Il y avait des ressentis qui ne se définissaient pas, simplement à percevoir et à vivre à travers eux…
Altarus resta un mois de plus, avec cette incertitude grandissante qu’il commettait l’irréparable. Se dérober… il ne pouvait pas, pas vraiment. Son navire, la mer… certaines voies se déterminaient par ces facteurs. Quand il reçut la missive, il sut. La raison vertueuse aurait conseillé qu’il oublie totalement son départ, qu’il n’embarque pas. Prendre ce risque pour permettre à Vestoria d’acquérir pleinement ce qu’elle méritait depuis toujours, cette liberté chérie… Sans plus avoir à craindre pour la disparition pure et simple de son époux… de lui et de le voir année après année. Ce jour-là, il avait embrassé Vestoria comme jamais.
« Je t’aime comme tu aimes ta liberté. Ne laisse personne te l’arracher… »
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Plusieurs jours s'écoulèrent.
Quelqu’un vint frapper à la porte de la petite résidence. Si Vestoria crut à un retour prématuré de son époux, elle déchanta vite en trouvant un homme affichant le visage de celui qui porte de mauvaises nouvelles, de celles qui vous arrachent le cœur. De la bouche du marin rescapé du tragique naufrage, la demi-sang apprit que deux jours après avoir appareillé, le brick se brisa violemment en deux, coulant en si peu de temps que ce fut presque un miracle qu’une bonne partie de l’équipage en réchappa. Ce que ne saura pas Vestoria, c’est qu’Altarus avait donné congé à la moitié de son équipage, pour s’assurer de sauver tous ses hommes restés à bord. Gardant le nécessaire pour voguer jusqu’à Benedictus, le miraculé racontera tristement comment leur capitaine s’était démené pour sauver les membres de son équipage avant qu’un mât ne l’empêche de rejoindre la chaloupe et que le sillage engloutissant du reste du navire ne l’emporte sous les flots… La mer, si haïe par Vestoria, avait emporté sa moitié de cœur, comme si elle avait cherché à se venger de sa haine de la dernière fois… Mais la mer n’était cruelle qu’avec les âmes qui ne la respectaient pas.
Et bien que même Altarus ait pris le risque de parcourir ses flots, malgré la quille condamnée du navire, le pirate avait eu confiance en son instinct. Désormais, là où il se trouvait, à l’autre bout de la mer des Anciens, fixant le lointain miroitant de l’étendue marine, il portait son regard comme s’il cherchait l’ombre urbaine de Melorn. Silencieusement, il regardait sans pouvoir voir ce qu’il avait consenti à laisser, pour qu’elle ne sacrifie pas sa liberté. Regrettait-il son choix ? Oui, dans son cœur, il sentait la meurtrissure de cette trahison semi-orchestrée.
Une dernière fois, il fixait une silhouette qu’il ne pensait déjà plus jamais revoir. Avant de se détourner, il sentit une larme couler sur sa joue. Les mâchoires crispées, il l’essuya du bout de son index, la contemplant. Elle était comme une petite perle, l’ultime morceau de trésor qu’il délaissait derrière lui.
Il voulut poursuivre la contemplation de ce dernier morceau de cette part de vie, mais elle roula hors de son doigt pour rejoindre le sable humide imbibé d’eau de mer…
Citoyen de La République
Sixte V. Amala
Messages : 187
crédits : 1494
crédits : 1494
Info personnage
Race: Elfe (mi-ange)
Vocation: Guerrier assassin
Alignement: Chaotique Neutre
Rang: D
Encore aujourd’hui Vestoria se souvenait de la manière dont il l’avait embrassée ce fameux jour, alors que l’hiver était sur le point de poindre et qu’elle avait réussi à arracher quelques semaines de plus aux côtés de son époux. Le baiser qu’il lui avait offert était profond, passionné mais aussi désespéré. Il avait le goût amer des aurevoirs et celui, plus acide et qui lui était inconnu, des adieux. En retour, elle avait répondu avec autant de ferveur et plus encore d’amour, elle était venue jouer avec sa langue alors que ses mains s’étaient perdues dans ses cheveux pâles et que son corps était venu épouser la courbe du sien. Dieux qu’elle aurait voulu l’enfermer dans leur chambre pour lui voler quelques jours de plus. Des semaines ou des années mêmes, si seulement elle avait su que la culpabilité de ne pas avoir cédé à ses désirs la rongerait toute sa vie. Qu’elle passerait des nuits entières à se demander combien d’années ils auraient pu vivre si seulement elle l’avait retenue. Ne serait-ce qu’une ridicule heure. Peut-être que le vent aurait été moins violent ? Peut-être les vagues auraient-elles été moins meurtrières ? Mais elle ne savait pas ce que son futur méprisable lui réservait. A ses yeux, le dernier voyage d’Altarus n’était que le premier chapitre d’un nouveau livre, qu’ils allaient écrire ensemble. Alors elle avait simplement répondu :
— C’est toi ma liberté. Et enfin, elle l’avait libérée.
***
L’absence d’Altarus était toujours pesante, surtout les premiers jours, surtout après qu’ils aient partagé tant de temps ensemble. Il s'écoulait bien des semaines avant que le pincement de son cœur ne se relâche à force d'habitude et que ses humeurs soient moins moroses. Ce jour-là Vestoria était installée dans le bureau de son époux, à faire le tri parmi les liasses de papiers qu’ils avaient ramenés de Kaizoku. En l’absence du jeune homme, c’était à elle de gérer leurs finances et c’était une tâche qui ne lui plaisait guère mais dont elle s’acquittait tout de même avec sérieux. Seule depuis un moment, sa seule compagnie se résumait à sa maîtresse d’arme qu’elle voyait presque tous les jours ainsi qu’aux quelques domestiques qu’ils avaient engagés. Un quotidien assez proche de ce qu’elle avait vécu dans les îles mais l’espoir d’un avenir meilleur avait le mérite de lui remonter le moral. En sommes, il ne manquait plus que le retour de son pirate de mari pour que le tableau de son existence ne devienne parfait et cette idée l’enchantait. C’est pourquoi elle ne se méfia pas lorsqu’on frappa à la porte.
— Allez ouvrir Archi ! Lança-t-elle du bureau sans lever le nez de ses papiers, repoussant machinalement un encrier avant qu’il ne se déverse par inadvertance. Elle entendit des pas descendre précipitamment les escaliers, la porte d’entrée s’ouvrir, quelques échanges à voix basse et enfin, deux paires de pieds qui montaient les escaliers au lieu d’une. On toqua deux fois à sa porte. — Entrez. Archibald, un homme dont l’expérience n’avait d’égal que l’âge entra. Son visage ridé était un véritable masque de neutralité, tant et si bien que parfois Vestoria se demandait s’il avait jamais été capable de sourire. Pourtant, ce jour-là, elle décela dans le tréfonds de ses iris noirs quelque chose qui l’inquiéta. Son regard cilla et elle se leva de sa chaise. — Qu’y a-t-il ?
— Quelqu’un voudrait s’entretenir avec vous, un… des Hommes de Monsieur.
Vestoria resta interdite un instant avant de contourner le secrétaire pour se diriger vers le petit salon juste à côté. Peu de temps après le matelot entra dans la pièce, serrant fermement un bonnet dans ses doigts calleux. Le pas incertain, il avança jusqu’à la jeune femme et courba l’échine si bassement que son front manqua de toucher le sol.
— Madame, j’apporte des nouvelles de la côte.
—Venez en aux faits. Répondit Vestoria d’une voix blanche. En dix ans, personne n’était jamais venu lui porter des nouvelles de quoi que ce fut, même lorsque Altarus s’était absenté presque une année. — Parlez ! S’étrangla-t-elle alors que son menton commençait déjà à trembler.
Ainsi, on lui conta comment son époux avait été suffisamment héroïque pour sauver ses hommes mais pas assez pour se sauver lui, comment le bateau s’était brisé et le mat après lui, comment les flots avaient juste englouti le capitaine du navire en ne laissant rien de plus qu’une étendue d’eau infinie. Ainsi, Vestoria regarda un inconnu déconstruire son existence pierre après pierre et comment la mer avait juste fermé ses serres sur l’homme dont elle était amoureuse en ne laissant de lui rien de plus que de l’écume et un corps qu’elle ne pourrait même pas enterrer.
— Mais… Altarus, il va rentrer n’est-ce pas ? Demanda-t-elle d’une voix incrédule alors que ses yeux étaient en train de se brouiller de larmes. — Il n’a pas… Il n’est pas… Son visage se tordit en une grimace hideuse qui tendait à retenir les larmes et le chagrin qui débordaient déjà sur ses joues.
Archibald fit un pas en avant avant de poser un genou à terre.
— Madame, votre époux est…
— Non, bredouilla-t-elle, — Je vous interdit de dire ça. Sa voix n’était plus qu’un souffle. — Elle ne l’aurait pas pris. Pas ainsi. Continua Vestoria alors que son regard cherchait une quelconque duperie sur les traits de ses interlocuteurs. A son grand désarroi, elle n’en trouva aucun ; et elle sentit sa poitrine se déchirer aussi sûrement que si elle s’était mise à y creuser de ses propres mains.
***
Vestoria était adossée à la pierre froide, la même qui accueillait son dos une fois par an depuis presque dix ans maintenant. Le tapis d’herbe jaunâtre sous ses fesses était confortable bien qu’il ait du mal à pousser, comme si la terre elle-même lui gardait une place à cet endroit précis.
— Mon frère a accepté de payer mon entrée à l’académie. Dit-elle en faisant sauter le bouchon d’une bouteille de vin doré de Melorn. — A condition que je reprenne le nom des Amala. Ca m’emmerde, putain. C’est bien la dernière chose dont j’ai envie. On a pas fait tout ça pour que je me coltine à nouveau ce foutu nom… J’ai dû revendre la maison aussi. Enfin, tu te doutais bien que ça allait arriver. Un rire désabusé franchit la barrière de ses lèvres. — C’était notre maison après tout, pas la mienne. Je m’en trouverais une autre, à moi. Ou peut-être pas. Est-ce que finalement, je te ressemble pas un peu plus que ce que j’imaginais ? Peut-être que j’aurais dû accepter de vivre avec toi sur ton vieux rafiot. Elle déglutit. — J’ai décidé de faire ce que je t’avais dit. Je vais étudier, je serais diplômée et après… Je m’en irais. Je ne sais pas où, ni comment mais je le ferai. J’irais fouler toutes ces îles dont tu m’as parlé. J’irais au Reike, à Ikusa ou à Taisen. Comment on aurait dû le faire.
Vestoria porta la bouteille à ses lèvres et en avala goulument plusieurs gorgées avant de laisser sa tête retomber lourdement sur la pierre alors que ses yeux se portaient sur le paysage au loin. Les montagnes de Célestia avaient eu sa préférence car elles étaient à l’extrémité Ouest du continent et que ses monts n’étaient entravés par rien. D’ici, elle avait une vue imprenable sur l’océan qu’elle méprisait tant.
— Je te déteste. Avoua-t-elle enfin. — Je te déteste à en crever et ceux qui m’ont dit que le temps finirait par panser mes plaies sont des menteurs. Tu es partout où je suis, je hais ça. Tout en se redressant, elle ramena ses genoux à elle et y déposa son menton tout en aillant prit soin d’avoir vidé un autre tiers de la bouteille avant. — Finalement, cette traînée à eu ce qu’elle voulait hein ? Je crois que je n'aurais pas pu lutter contre elle de toute façon, même si tu m’as suivi, tu aurais fini par lui revenir. Enfin, c’était ce que tu voulais de toute façon. Mourir en mer. Ses lèvres se pincèrent et elle renifla bruyamment. — A choisir, j’aurais préféré qu’on devienne deux vieux croutons, ensemble. Plutôt que de planter un caillou en haut d'une maudite montagne dans un coin perdue pour pouvoir te pleurer en paix. Puis elle rit tout en se tournant pour faire face au monolithe d’onyx finement taillé qui se dressait fièrement sur la falaise ; dominant lui aussi l’océan. Ses doigts coururent sur la pierre lisse où il n’y avait aucune écriture ; il n’y en avait pas besoin.
— On a fait tout ça pour rien au final. Tu es mort parce que je t’ai imposé ce mariage et moi je redeviens une Amala.
Doucement, elle déposa son front contre la pierre froide. Le silence qui l’entourait aurait pu être reposant, seulement brisé par le vent qui balayait sa tresse, mais il était oppressant.
— Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Murmura-t-elle d'une voix brisée, sanglotant.
Lorsque Vestoria se redressa, le soleil flirtait déjà avec l’horizon et le ciel et les nuages avaient pris une teinte rouge violette. D’un revers de manche, elle essuya ses yeux rougis puis se leva malgré ses membres ankylosés. Ses lèvres effleurèrent l’onyx quand elle murmura :
— Au revoir, mon amour.
Ainsi et comme elle le faisait depuis presque une décennie, la demi-sang se remit à cheval pour effectuer le trajet du retour ; celui qui la ramenait à la vie qu’elle avait toujours voulu fuir.
Durant les vingt années qui suivirent, Vestoria continua à se rendre sur la tombe qu'elle avait elle-même construite pour Altarus. Et puis comme le lui avait promis : le temps fit son affaire et ses plaies devinrent moins vives bien que parfaitement marquées jusque sur son âme, alors ses visites diminuèrent. Tous les deux ans, tous les cinq ans, tous les dix ans, tous les vingt cinq ans et un jour, elle cessa simplement de s'y rendre. Mais la pierre demeura, face à la mer, comme un doigt d'honneur à son attention. Mais viendrait un jour où Vestoria s'apercevrait qu'en vérité, c'était la mer qui avait toujours été la favorite et elle la maitresse fantoche.
***
Courage, An 5
Une gifle aurait été sans doute moins douloureuse que le sentiment féroce qui venait de l'assaillir ; l'incertitude. Ce visage qui se tenait face à elle et qui était désormais vieillissant était celui d'un homme qu'elle avait contemplé durant des années et dont elle avait rêvé pendant plus d'un tiers de son existence. Elle l'avait fantasmé, aimé et pleuré, prié pour le revoir un jour. Aujourd'hui s'il était différent, marqué par les épreuves de la vie et par le temps qui passe, un œil en moins, elle était toujours capable de le reconnaître. Sixte se souvenait sans peine de ses sourires, de la douceur de ses lèvres sur les siennes et de la chaleur que dégageait son corps lorsqu'il avait enlacé le sien. Mais elle se souvenait aussi de sa perte, du jour où elle avait pleuré à genoux au milieu de son bureau en suppliant des inconnus de lui mentir, des semaines qui avait suivit où la simple idée de vivre sans lui était tellement suffocante qu'elle avait cru qu'elle n'y survivrait pas, de la seule manière qu'elle avait trouvé pour dormir ; en s'enroulant dans l'une de ses chemises qui imprégnait encore son odeur et puis de tous le parcours qui avait suivit. De ses décennies de deuil, de la douleur qui n'en finissait pas, de la culpabilité qui, encore aujourd'hui, la rongeait jusqu'à la moelle. Tant de douleur infligé et pour quoi ?
— Tu es... en vie ? Sa voix de brisa au moment où ses bras retombaient le long de ses hanches, incapable de dégainer la moindre arme.
Plus d'un siècle s'était écoulé depuis qu'ils s'étaient vu pour la dernière fois.
— Non... Tu es mort. Tu es mort lors de ton dernier voyage, son nez se fronça, son visage se déforma sous l'incompréhension et elle recula. — On m'a rapporté la nouvelle, notre mariage à été... Tu es mort. S'étrangla-t-elle.
Mais force était de constater qu'il ne l'était pas. Il était bien vivant et depuis plus d'un siècle, il l'avait laissé vivre dans la culpabilité, dans la douleur. Il n'avait pas été là lorsqu'il l'aurait dû. Elle l'avait aimé. Il l'avait abandonné. Pis encore, il l'avait trahis. Il n'y avait pas d'autres mots, pas d'autres explications. Un éclair de souffrance infâme irradia dans ses yeux bleus cerclés d'or et sans crier gare elle se projeta vers l'avant. Elle allait le tuer, une bonne fois pour toute, de ses propres mains. Qu'il souffre autant qu'elle avait souffert.
Citoyen du monde
Altarus Aearon
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Info personnage
Race: Humain-elfe
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal neutre
Rang: C
L’obscurité du bureau semblait se refermer autour d’eux, malgré la présence du bougeoir. La flamme peinait à repousser la tension presque oppressante qui pesait dans la pièce. Le demi-elfe était déstabilisé après avoir reconnu Vestoria. Il avait cru cette partie de sa vie reléguée à jamais dans ses souvenirs lointains. Et là, tout remontait à la surface avec une telle violence qu'il ne put s'empêcher de faire un pas en arrière, percutant son bureau. Il ne sut que dire, tandis qu'elle balbutiait son incertitude. Quels mots pourraient sortir de sa bouche à cet instant ? Aucun. Il était bien trop ébranlé par ce redoutable tsunami de souvenirs et de sentiments liés à la jeune femme. Elle était là, face à lui, tel un fantôme sorti d’un des rares moments de son existence qui avaient été les plus magnifiques, mais qu'il n'avait jamais pu retrouver par la suite. Un poids dans sa poitrine lui donna l’impression de s’affaisser. Ce poids avait un nom, il le savait au plus profond de son âme, mais son sens véritable restait voilé par le trouble qui l’envahissait à cet instant.
Elle avait balbutié l’incertitude. Elle l’avait cru mort depuis le naufrage qu’il avait sciemment provoqué. Malgré les graves avaries de son brick à cette époque, il avait prévu ce qui allait se produire. Il avait cru bien faire, pensant qu'une fois son lourd chagrin surmonté, Vestoria aurait poursuivi la voie qu’elle avait toujours souhaitée. Le peu de ses traits que dévoilait la bougie vacillante montrait qu’elle n’avait pas vieilli, ou si peu qu’il ne percevait qu’un changement subtil. En revanche, la faible lueur ne dissimulait pas la déformation de son visage. Pour la toute première fois, Altarus découvrit en elle une haine qu’il ne lui avait jamais connue. Une haine intense, qui le figea.
Elle se jeta sur lui, emportée par une soif de rage. L’envie de le faire souffrir était flagrante dans son regard, qu’il avait toujours connu plus joyeux, plus... humain. Pris dans la confusion, il ne fit rien pour l’éviter. Avant qu’elle ne lui tombe dessus, un éclat de lucidité le fit tressaillir. Sa dague, qu’il tenait toujours en main ! Trop tard pour la ranger, trop tard pour la jeter. Ses doigts se serrèrent autour du manche ouvragé, ne lui laissant qu’une seule option.
Le choc de leurs deux corps le projeta violemment contre le coin droit de son bureau. Il grimaça, sentant le bois s’enfoncer dans le bas de son dos. Déterminé à se défendre de l’assaut hargneux de Vestoria, mais sans vouloir la blesser, il tenta de la repousser, tandis qu’elle s’agrippait à lui de toutes ses forces, usant de ses poings pour le frapper. Elle le martelait, cherchant à atteindre son cou. Altarus lui saisit les poignets avec force. Elle se débattait, pire qu’une furie. Une plainte métallique résonna brièvement quand la dague toucha le sol, son tranchant plus sombre que d’ordinaire.
Vestoria se débattit.
“Vestoria… Je…” tenta-t-il de dire.
L’obscurité du bureau semblait se refermer autour d’eux, malgré la présence du bougeoir. La flamme peinait à repousser la tension presque palpable. Vestoria réussit à se libérer et bondit à nouveau sur lui, rapide et déterminée. Il ne put reculer, coincé contre le meuble. Esquiver ? Trop tard, elle était déjà sur lui. Ses doigts agrippèrent brutalement son col, le tirant vers elle avec une force qu'il ne lui aurait jamais attribuée. Pris au dépourvu par la violence du geste, il trébucha en avant, entraînant Vestoria avec lui. L’instant d’après, ils étaient tous les deux au sol. Altarus essaya de se dégager, mais elle réussit à le rouler sur le dos et à plaquer ses deux mains autour de son cou. Il se raidit sous la vrille douloureuse qui envahissait son flanc.
Les mâchoires crispées, le souffle étranglé, il ne put échapper à la haine croissante qui luisait dans le regard de la jeune femme, comme si chaque seconde renforçait son désir de vengeance. Il avait cru bien faire et s'était lourdement trompé. Là où il pensait agir pour le mieux, il n’avait fait que fuir. Il avait fui une vie qu'il n’avait pas su accepter, sous le prétexte de permettre à Vestoria de trouver sa véritable liberté. Il l’avait aimée, mais au lieu de s’accrocher à ce qui les liait, il avait tout coupé, net, sans ménagement. Par les abysses, qu’avait-il provoqué ce jour-là ? Les conséquences s'étaient révélées lourdes, définitivement irréparables.
Sous les mains serrées de Vestoria, il vit presque une sentence pour sa forfaiture. Peut-être devait-il accepter, ne rien faire et... Non, hors de question. Il appela la magie à lui, imposant à Vestoria de lâcher prise. Sur l’instant, la chaleur de son corps contre le sien réveilla des souvenirs qui avaient été merveilleux, mais qu’il avait ensuite gâchés. Avec la force de sa magie aérienne, il la repoussa à quelques pas de lui. La respiration rauque, il se redressa, retenant un gémissement de douleur. Haletant, vacillant, il fixa Vestoria, le visage crispé sous une souffrance qu'il n'avait pas ressentie immédiatement. Insidieusement, elle s'était présentée à lui, s'ajoutant à une autre plus profonde, plus émotionnelle. Il pouvait désormais mettre un nom à ce qui lui déchirait le cœur : le regret… ou peut-être le remord. Probablement les deux. Il l’avait trahie en disparaissant de sa vie, la laissant trahie et abandonnée.
Comment ne pas comprendre ce qui la traversait désormais, après avoir découvert la vérité ?
"Ce que j’ai commis est impardonnable..." dit-il d’une voix empreinte d’une étrange mélancolie.
Il grimaça, pressant sa main gantée contre son flanc. Le sang avait déjà bien imbibé sa tunique noire, son propre sang. Il sentait la moiteur chaude à travers le cuir de son gant noir. Quand Vestoria s’était jetée sur lui, il n’avait pas eu d'autre choix que de détourner la lame vers lui-même, pour éviter qu’elle ne s’empale dessus. Il n’avait jamais eu l’intention de la blesser. La douleur était encore supportable, mais il savait qu’une fois l’adrénaline dissipée, elle deviendrait insoutenable.
"Quand j’ai découvert tes ailes à bord d’un navire de contrebande que j’avais arraisonné..."
Des ailes à l’aspect et à la couleur uniques... Ce jour-là avait été le plus néfaste, le plus terrible de son existence. Il l’avait crue morte. À cause de lui, elle avait connu une fin atroce ! S’il ne l’avait pas abandonnée, elle aurait pu continuer à vivre. Tout cela, par sa faute. En y repensant, il ferma les yeux, se crispant autant sous le poids de cette profonde tristesse qui lui broyait le cœur que sous l'élancement de la blessure qui se faisait de plus en plus vive. S’il pouvait revenir en arrière, empêcher cette prise de décision impensable… Par les abysses ! Pourquoi avait-il raisonné de cette manière ?
Sans quitter Vestoria du regard, il se rapprocha prudemment du manteau de la cheminée pour s’y appuyer et tenir debout. Il s'accrocha ensuite à sa magie, contraignant son corps à se régénérer, afin d'endiguer l’écoulement de son fluide sanguin qui emportait en même temps ses forces.
Une sensation d’engourdissement commençait à gagner ses jambes. Défaillir serait la dernière chose à faire. Mais ne serait-ce pas justice pour Vestoria ? Après tout ce qu’il lui avait fait subir, ne pas résister, lui laisser arracher sa vie comme il avait mutilé la sienne, serait un juste retour des choses. Il serra les dents... tout avait un prix.
"Il n’y aura aucun mot pour exprimer le poids de ma culpabilité..."
Il inspira lentement, pour chasser la faiblesse qui menaçait de le faire vaciller.
"À cause d'un choix que je pensais juste... je t'ai fait souffrir en me faisant passer pour mort. Tu as souffert inutilement, à cause d'une décision irrationnelle. Tu as souffert... par ma faute. Je ne le voulais pas. Je voulais... j'avais cru pouvoir t'offrir la liberté à laquelle tu aspirais. Mais je me suis trompé... J'ai compris trop tard que j'avais brisé ce que j'avais de plus précieux dans mon existence..."
Il soupira, pressant plus fort sa main sur la profonde entaille à son flanc, tandis que de l'autre, il agrippait davantage le rebord de la cheminée. Si Vestoria décidait de réclamer vengeance par le sang, il l'accepterait. Il ne pouvait réparer ce qu'il avait détruit. Laisser son ancienne bien-aimée rendre justice serait la seule compensation qu'il pourrait lui offrir, pour apaiser toutes ces décennies de souffrance.
Citoyen de La République
Sixte V. Amala
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Race: Elfe (mi-ange)
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Sixte avait l’impression d’être à nouveau cette gamine débordant d’une colère dont elle ne savait que faire, seulement bonne à exploser et tout détruire sur son passage.
Son adversaire d’hier était aussi celui d’aujourd’hui, sauf qu’à l’époque elle ne le détestait pas.
Son corps heurta le sien sans douceur, projetant la carcasse d’Altarus contre le bureau avant qu’elle ne se mette à le frapper sans l’ombre d’une logique comme si le choc avait été si grand qu’elle en avait oublié tous ses siècles d'entraînement et ses années à suer sang et eau afin de devenir la plus redoutable version d’elle-même. Ce ne fut que pire encore lorsqu’elle sentit ses mains calleuses enserrer ses poignets pour les faire prisonniers et son prénom dans sa bouche. A quand remontait la dernière fois que quelqu’un l'avait prononcé ? A part lui, qui était encore en mesure de s’en souvenir ?
— Ne m'appelle pas ainsi ! Cracha-t-elle en criant presque.
Sixte avait toujours aimé cette manière particulière qu’il avait de prononcer son prénom, la façon dont les r roulaient sur sa langue et la mélodie que son accent, léger, lui donnait. Désormais cela la rendait malade. Si elle l’entendait une fois de plus sur ses lèvres, elle lui arracherait la langue de ses propres mains. Forte de la rage qu’elle n’avait de cesse d’alimenter, elle libéra ses poignets d’un geste brusque pour repartir à l’assaut et ils tombèrent ensemble. Utilisant sa vitesse plus que sa masse pour faire contrepoids, la demi-sang réussit à prendre le dessus. Rien n’avait plus d’importance que de verrouiller ses doigts autour de la gorge d’Altarus et c’est ce qu’elle fit, l’étranglant violemment, l’esprit hanté par des années de souffrances et par une identité qu’elle avait délaissé depuis longtemps.
“Meurt ! Putain de merde !” Hurla-t-elle en son for intérieur sans desserrer sa poigne, ignorant la chaleur humide et visqueuse du sang qui traversait le tissu de son pantalon au niveau de la cuisse. La seule chose dont elle avait conscience c’était de l’air qui arrivait encore à se frayer un chemin dans la trachée de son ancien amant. Il ne mourrait pas. Il refusait de le faire. A moins que ce ne soit elle, qui soit incapable de complètement lui broyer la gorge. Mais elle eut à peine le temps de s’en rendre compte qu’une lame de vent la rejetait en arrière, l’obligeant à patiner sur le sol comme un cheval sur un lac gelé. Lorsqu’elle se redressa des mèches folles s’échappaient de sa tresse, son corps entier était parcourut de tremblements et son regard était aussi acéré que la dague qui gisait entre eux.
Cela faisait bien longtemps que Sixte n’avait pas été bouleversée de cette manière et si elle avait eu un siècle de moins elle se serait probablement effondré en sanglotant. Mais la jeune femme qu’elle avait été n’était plus qu’un vague souvenir qui avait laissé place à une créature d’une nature bien différente, qui n’avait en commun avec Vestoria que l’apparence. Pourtant, elle l’écouta, même si elle savait qu’elle aurait dû le faire taire. Plus encore lorsqu’il évoqua ses ailes. Titubant en arrière comme s'il l’avait lui-même giflé, elle retroussa ses lèvres sur ses dents, prête à l’affronter à nouveau et à en finir une bonne fois pour toute. Avant que son regard ne tombe sur la dague, ses yeux suivirent le chemin logique et se portèrent au flanc d’Altarus où elle devina une tâche plus foncée sur le noir de sa chemise : volontairement ou non, il s’était empalé sur sa propre lame. La douleur lui transperça la poitrine comme au premier jour et, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient retrouvé, elle la laissa transparaître sur ses traits. Une seconde, le temps d’un battement de cil, avant de reprendre contenance et de faire de son joli visage un masque impénétrable.
— Il n’y a pas de mots, en effet. Dit-elle en laissant un rire aigre lui échapper. — Tu veux qu'j'te dise, Altarus ? Lentement, elle fit un pas dans sa direction. Son corps ne tremblait plus mais ses mains si, trahissant le manque d’assurance qu’elle essayait de masquer. —Toi et tes beaux discours, vous pouvez aller vous faire foutre.
Les jambes du pirate faiblirent et elle arriva à sa hauteur au moment où elles l'abandonnaient et se plaça de manière à ce que sa silhouette soutienne la sienne. Avec une douceur étonnante, elle l’accompagna jusqu’au sol ; elle n’aurait su le soutenir éternellement ainsi et elle n’en éprouvait aucune envie, le simple fait de le toucher la rendait presque malade. Pourtant, lorsque son dos reposa enfin contre le montant de la cheminée, elle resta agenouillée en face de lui et retira une dague du fourreau fixé à sa hanche. D’un coup sec, elle déchira le tissu de la chemise d’Altarus pour découvrir son torse et la plaie béante à son flanc. Mais ce qui ranima la flamme de colère dans son regard se trouvait au milieu de sa poitrine : un ridicule anneau suspendu au bout d’une chaîne. Ses lèvres se pincèrent lorsqu’elle le caressa du bout des doigts et disparurent presque lorsqu’elle le lui arracha d’un coup sec.
— Tu n’en a plus besoin. Et elle laissa tomber le bijou qui rebondit sur le sol un peu plus loin.
Son attention se reporta ensuite au morceau de tissu qu’elle plia presque trop tranquillement avant de l’apposer sur la plaie.
— Tu n’as aucun droit de faire comme si mon souvenir pouvait te hanter. Pas depuis que tu as décidé de te faire passer pour mort. Jamais en résumé. Dit-elle en pressant sa main un peu plus fort sur la blessure. — Tu avais raison, Altarus. Vestoria est effectivement morte. Je l’ai laissé s’en aller le jour où ils ont arraché ses ailes. Dans une ruelle sombre de Taisen. Tu veux que je te raconte ? Elle écrasa presque tout son poids sur la plaie, jusqu’à ce que le vieil homme lui fasse l’aumône d’un glapissement douloureux, après quoi elle reprit : — C’était il n’y a pas si longtemps. Une petite cinquantaine d’années, peut-être un peu plus. Elle eut un sourire mauvais avant de poursuivre : — Ils ont pensé qu’en brisant l’aile, ce serait suffisant pour la décrocher de mon corps. Heureusement pour moi, les miennes ont toujours été fragiles. Alors ils ont put le faire facilement, deux mains, un genou, exactement comme tu le ferais avec un bout de bois. Mais ils s’y sont mal prit : ils ont oublié les muscles et les tendons. A moins qu’ils ne l’aient fait volontairement… Fit-elle d'un air faussement pensif. — Ils ont été forcés de tout découper avec une lame dentelée. Est-ce que tu sais, ce que ça fait, de se faire découper vif par un couteau à pain ? Il faudrait que tu essayes, c’est une sensation… Particulière.
Son souffle était saccadé alors qu’elle luttait contre la psyché malmenée qu’elle tenait en laisse depuis des années.
— Pour la seconde aile, ils s’y sont prit différemment : ils ont d’abord découpé la peau, les muscles et les tendons avant de scier l’os. Un nouveau rire lui échappa. — J’imagine que c'était une forme d’art, pour ces fils de pute de Reikois. Après ça, je ne me souviens de presque rien. Tout ce que je sais, elle se pencha légèrement vers l’avant et en profita pour peser encore sur la blessure. — C’est que personne n’est venu me chercher dans cette putain de ruelle et que j’ai bien cru crever la tête dans la merde et dans le sang.
Sixte s’inclina encore un peu, jusqu’à ce que ses lèvres effleurent l’oreille de son époux.
— Je t’interdis de mourir, Altarus. Je veux que tu vives avec la même culpabilité qui me ronge depuis un siècle et demi et que tu souffres comme j’ai souffert. Lentement presque avec tendresse, elle embrassa sa joue avant de se relever.
Sur le retour, elle s'empara du serpent d'or qu’elle était venue chercher puis elle lança par dessus son épaule :
— Tu sais, Alta. Si tu m’avais parlé, j’aurais fait n’importe quoi pour tout arranger.
Et sans demander son reste, elle s’en alla, repartant par la même fenêtre qu’elle avait franchie pour entrer. Enfin, elle s'enfonça dans les ombres à la recherche d'un petit appartement où elle savait que la porte avait été laissée ouverte à son intention.
Son adversaire d’hier était aussi celui d’aujourd’hui, sauf qu’à l’époque elle ne le détestait pas.
Son corps heurta le sien sans douceur, projetant la carcasse d’Altarus contre le bureau avant qu’elle ne se mette à le frapper sans l’ombre d’une logique comme si le choc avait été si grand qu’elle en avait oublié tous ses siècles d'entraînement et ses années à suer sang et eau afin de devenir la plus redoutable version d’elle-même. Ce ne fut que pire encore lorsqu’elle sentit ses mains calleuses enserrer ses poignets pour les faire prisonniers et son prénom dans sa bouche. A quand remontait la dernière fois que quelqu’un l'avait prononcé ? A part lui, qui était encore en mesure de s’en souvenir ?
— Ne m'appelle pas ainsi ! Cracha-t-elle en criant presque.
Sixte avait toujours aimé cette manière particulière qu’il avait de prononcer son prénom, la façon dont les r roulaient sur sa langue et la mélodie que son accent, léger, lui donnait. Désormais cela la rendait malade. Si elle l’entendait une fois de plus sur ses lèvres, elle lui arracherait la langue de ses propres mains. Forte de la rage qu’elle n’avait de cesse d’alimenter, elle libéra ses poignets d’un geste brusque pour repartir à l’assaut et ils tombèrent ensemble. Utilisant sa vitesse plus que sa masse pour faire contrepoids, la demi-sang réussit à prendre le dessus. Rien n’avait plus d’importance que de verrouiller ses doigts autour de la gorge d’Altarus et c’est ce qu’elle fit, l’étranglant violemment, l’esprit hanté par des années de souffrances et par une identité qu’elle avait délaissé depuis longtemps.
“Meurt ! Putain de merde !” Hurla-t-elle en son for intérieur sans desserrer sa poigne, ignorant la chaleur humide et visqueuse du sang qui traversait le tissu de son pantalon au niveau de la cuisse. La seule chose dont elle avait conscience c’était de l’air qui arrivait encore à se frayer un chemin dans la trachée de son ancien amant. Il ne mourrait pas. Il refusait de le faire. A moins que ce ne soit elle, qui soit incapable de complètement lui broyer la gorge. Mais elle eut à peine le temps de s’en rendre compte qu’une lame de vent la rejetait en arrière, l’obligeant à patiner sur le sol comme un cheval sur un lac gelé. Lorsqu’elle se redressa des mèches folles s’échappaient de sa tresse, son corps entier était parcourut de tremblements et son regard était aussi acéré que la dague qui gisait entre eux.
Cela faisait bien longtemps que Sixte n’avait pas été bouleversée de cette manière et si elle avait eu un siècle de moins elle se serait probablement effondré en sanglotant. Mais la jeune femme qu’elle avait été n’était plus qu’un vague souvenir qui avait laissé place à une créature d’une nature bien différente, qui n’avait en commun avec Vestoria que l’apparence. Pourtant, elle l’écouta, même si elle savait qu’elle aurait dû le faire taire. Plus encore lorsqu’il évoqua ses ailes. Titubant en arrière comme s'il l’avait lui-même giflé, elle retroussa ses lèvres sur ses dents, prête à l’affronter à nouveau et à en finir une bonne fois pour toute. Avant que son regard ne tombe sur la dague, ses yeux suivirent le chemin logique et se portèrent au flanc d’Altarus où elle devina une tâche plus foncée sur le noir de sa chemise : volontairement ou non, il s’était empalé sur sa propre lame. La douleur lui transperça la poitrine comme au premier jour et, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient retrouvé, elle la laissa transparaître sur ses traits. Une seconde, le temps d’un battement de cil, avant de reprendre contenance et de faire de son joli visage un masque impénétrable.
— Il n’y a pas de mots, en effet. Dit-elle en laissant un rire aigre lui échapper. — Tu veux qu'j'te dise, Altarus ? Lentement, elle fit un pas dans sa direction. Son corps ne tremblait plus mais ses mains si, trahissant le manque d’assurance qu’elle essayait de masquer. —Toi et tes beaux discours, vous pouvez aller vous faire foutre.
Les jambes du pirate faiblirent et elle arriva à sa hauteur au moment où elles l'abandonnaient et se plaça de manière à ce que sa silhouette soutienne la sienne. Avec une douceur étonnante, elle l’accompagna jusqu’au sol ; elle n’aurait su le soutenir éternellement ainsi et elle n’en éprouvait aucune envie, le simple fait de le toucher la rendait presque malade. Pourtant, lorsque son dos reposa enfin contre le montant de la cheminée, elle resta agenouillée en face de lui et retira une dague du fourreau fixé à sa hanche. D’un coup sec, elle déchira le tissu de la chemise d’Altarus pour découvrir son torse et la plaie béante à son flanc. Mais ce qui ranima la flamme de colère dans son regard se trouvait au milieu de sa poitrine : un ridicule anneau suspendu au bout d’une chaîne. Ses lèvres se pincèrent lorsqu’elle le caressa du bout des doigts et disparurent presque lorsqu’elle le lui arracha d’un coup sec.
— Tu n’en a plus besoin. Et elle laissa tomber le bijou qui rebondit sur le sol un peu plus loin.
Son attention se reporta ensuite au morceau de tissu qu’elle plia presque trop tranquillement avant de l’apposer sur la plaie.
— Tu n’as aucun droit de faire comme si mon souvenir pouvait te hanter. Pas depuis que tu as décidé de te faire passer pour mort. Jamais en résumé. Dit-elle en pressant sa main un peu plus fort sur la blessure. — Tu avais raison, Altarus. Vestoria est effectivement morte. Je l’ai laissé s’en aller le jour où ils ont arraché ses ailes. Dans une ruelle sombre de Taisen. Tu veux que je te raconte ? Elle écrasa presque tout son poids sur la plaie, jusqu’à ce que le vieil homme lui fasse l’aumône d’un glapissement douloureux, après quoi elle reprit : — C’était il n’y a pas si longtemps. Une petite cinquantaine d’années, peut-être un peu plus. Elle eut un sourire mauvais avant de poursuivre : — Ils ont pensé qu’en brisant l’aile, ce serait suffisant pour la décrocher de mon corps. Heureusement pour moi, les miennes ont toujours été fragiles. Alors ils ont put le faire facilement, deux mains, un genou, exactement comme tu le ferais avec un bout de bois. Mais ils s’y sont mal prit : ils ont oublié les muscles et les tendons. A moins qu’ils ne l’aient fait volontairement… Fit-elle d'un air faussement pensif. — Ils ont été forcés de tout découper avec une lame dentelée. Est-ce que tu sais, ce que ça fait, de se faire découper vif par un couteau à pain ? Il faudrait que tu essayes, c’est une sensation… Particulière.
Son souffle était saccadé alors qu’elle luttait contre la psyché malmenée qu’elle tenait en laisse depuis des années.
— Pour la seconde aile, ils s’y sont prit différemment : ils ont d’abord découpé la peau, les muscles et les tendons avant de scier l’os. Un nouveau rire lui échappa. — J’imagine que c'était une forme d’art, pour ces fils de pute de Reikois. Après ça, je ne me souviens de presque rien. Tout ce que je sais, elle se pencha légèrement vers l’avant et en profita pour peser encore sur la blessure. — C’est que personne n’est venu me chercher dans cette putain de ruelle et que j’ai bien cru crever la tête dans la merde et dans le sang.
Sixte s’inclina encore un peu, jusqu’à ce que ses lèvres effleurent l’oreille de son époux.
— Je t’interdis de mourir, Altarus. Je veux que tu vives avec la même culpabilité qui me ronge depuis un siècle et demi et que tu souffres comme j’ai souffert. Lentement presque avec tendresse, elle embrassa sa joue avant de se relever.
Sur le retour, elle s'empara du serpent d'or qu’elle était venue chercher puis elle lança par dessus son épaule :
— Tu sais, Alta. Si tu m’avais parlé, j’aurais fait n’importe quoi pour tout arranger.
Et sans demander son reste, elle s’en alla, repartant par la même fenêtre qu’elle avait franchie pour entrer. Enfin, elle s'enfonça dans les ombres à la recherche d'un petit appartement où elle savait que la porte avait été laissée ouverte à son intention.
Citoyen du monde
Altarus Aearon
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Info personnage
Race: Humain-elfe
Vocation: Guerrier combattant
Alignement: Loyal neutre
Rang: C
Concentré sur les efforts qu'il déployait, tant sur l'emploi de sa magie que pour rester debout, il ne put voir le subtil changement de traits sur le visage de la demi-ange. L'esprit accaparé par la nécessité de maintenir son sort et de tenir sur ses jambes, il ne pouvait que l'écouter et garder à l'œil la silhouette ombreuse qu'elle était dans le coin de son champ de vision. Une seule question le taraudait pourtant, malgré tout le chaos émotionnel qui chamboulait son habituel contrôle intérieur : que ferait la jeune femme ? Il avait encore la force nécessaire pour la neutraliser, pour s'en protéger. Il acceptait déjà sa sentence si elle venait à réclamer le prix de sa trahison. Puis, il se sentit tomber.
Le temps d'un voile obscurcissait ses songes, il ne sentit pas la rencontre brutale avec le sol. Cela n'avait duré que quelques secondes, le temps nécessaire à Vestoria pour le soutenir quand ses jambes avaient fini par céder. La lueur vacillante de la bougie redevint étrangement moins sombre, redonnant la faible clarté de tantôt. Elle était là, en face de lui, la main sur sa dague. Une possible menace de mort, la sentence qu'elle serait en droit de lui réclamer. Il ne fixa pas la dague, il la fixait, elle, avant de tressaillir lorsque la courte lame provoqua le bruit d'un brutal déchirement. La jeune femme venait de déchirer le pan de sa chemise pour avoir visibilité sur la blessure qui marquait son flanc. Il se raccrocha presque instinctivement à sa magie pour qu'elle reprenne son travail d'endiguement interne. Même s'il avait été prêt à accepter de périr sous la colère de la demi-ange, il n'en était pas encore à un stade d'accepter l'inéluctable... qui n'arriverait pas.
Elle aurait pu le laisser là à son sort. Elle aurait pu terminer le travail. Elle aurait pu faire bien des choses. Mais elle ne les fit pas. Le temps se figea pour lui comme pour elle quand elle découvrit l'anneau qu'il portait à son cou, symbole d'un passé lointain et brisé, qui portait avec lui le poids d'une nostalgie douloureuse. Il le portait pour ne pas oublier, pour marquer au quotidien ce qui avait été sa vie autrefois. Il l'avait porté, senti sa petite présence dans bien des périls, des tempêtes ou des actes du quotidien, sans réellement se raccrocher à tous les souvenirs heureux que ce petit bijou pouvait rappeler ; simplement pour se souvenir de ce qu'il avait bien voulu se remémorer. En une fraction de seconde, la sang-mêlé l'arracha, brisant la fine chaîne d'argent, avant de le jeter. L'anneau rebondit plus loin.
Quand elle apposa un pan de tissu plié pour comprimer la plaie, il frémit à la douleur que cela provoqua. Mais ce ne fut presque rien en comparaison de ce qui suivit. Vestoria s'exprima. Chacun de ses mots, chaque phrase qui franchit ses lèvres était comme une lame chauffée à blanc remuée dans une blessure intérieure qui n'avait jamais réellement cicatrisé. Quand elle lui décrivit l'horreur et la souffrance qu'elle avait subies quand on lui avait arraché ses ailes, il se crispa avant de gémir à la pression qu'exerça Vestoria, qui y mit plus de force, dans le but de lui faire mal. Cet acte accompli, elle reprit son histoire, réitérant un effort supplémentaire à son point de compression. Le borgne s'accrocha plus intensément à sa magie, pour que l'intérieur de la blessure continue de contenir l'hémorragie, avec l'objectif de la faire cesser... Et quand elle lui susurra presque une injonction de ne pas mourir, il serra les dents. Elle ne le tuerait pas. Elle voulait qu'il vive et souffre de la culpabilité et de la souffrance qu'elle avait pu subir depuis qu'il avait pris la décision de passer pour mort.
Si seulement elle savait...
Quand elle lui déposa un bien étrange et tendre baiser sur la joue avant de se relever, un frisson le parcourut, totalement différent de ceux qu'il avait ressentis tantôt. Elle s'exprima une dernière fois avant de s'accaparer l'objet qu'elle visait depuis le début et de disparaître.
Les dernières paroles de la demi-ange résonnaient encore dans la tête du demi-elfe, s'infiltrant au début comme un poison, lui laissant un goût amer et des émotions qu'il préféra ne pas définir. Puis, il se laissa dériver, restant accroché à sa magie pour refermer sa blessure. Durant quelques heures, il resta là, dans une étrange brume de réalité. Méditait-il ? Peut-être ?
Quand ses forces lui revinrent en suffisance, il se redressa péniblement, s’appuyant toujours sur le manteau de la cheminée. Là, son esprit se remit en marche, tourbillonnant à nouveau, lui imposant de revoir chaque choix, chaque erreur qui l'avait mené à cet instant. Par une mauvaise décision, il avait tout pris à Vestoria. Il ferma sa seule paupière, tentant de refouler la vague de regrets qui menaçait de l’engloutir. Il méritait cette souffrance. Il méritait ce tourment, chaque goutte de haine que Sixte lui avait crachée au visage.
Il rouvrit sa paupière. Son bureau était toujours dans cette pénombre, à peine repoussée par la flamme vacillante du bougeoir. Il fouilla la pièce du regard, repéra sa propre dague, qui avait encore son sang sur le fil tranchant. Il vit le petit éclat de l'anneau. Ce fut la première chose qu'il récupéra, après avoir acquis la certitude que ses jambes flageolantes seraient capables de le maintenir debout.
Quand l'anneau fut dans le creux de sa paume gantée, les mots de la demi-ange l'envahirent à nouveau : Si tu m’avais parlé, j’aurais fait n’importe quoi pour tout arranger...Ses doigts se refermèrent sur le bijou. Il y avait tellement à dire, à regretter... tant pour lui que pour Vestoria. Il rejoignit son bureau, y déposa la relique d'une vie passée, et souffla sur la frêle flamme du bougeoir, laissant la nuit envahir l'intérieur de la grande pièce.
Le Narval filait bon train sur les flots. Le vent était bon, la mer sereine et généreuse, offrant toutes les conditions idéales pour que le brick avance à bonne allure. Cela faisait plusieurs heures que la terre avait disparu sous la ligne d'horizon.
Le Second, qui tenait la barre, jeta un coup d'œil derrière son épaule. Le Capitaine était derrière lui, n'ayant pas quitté sa position depuis qu'ils avaient quitté le port. L'appareillage, les manœuvres... tout s'était déroulé comme à l'accoutumée. L'humain avait juste trouvé le borgne un peu plus pâle et fatigué que d'ordinaire. Il n'avait pas cherché à connaître les raisons. Il fixa son capitaine une dernière fois avant de retourner à la tenue de son cap et de sa barre.
Altarus contemplait la mer et l'horizon. Son esprit vagabondait, se perdait dans bien des réflexions. Ses épaules s'affaissèrent quand il émit un soupir mélancolique. D'une main, il sortit quelque chose de la poche extérieure de sa sombre tunique : l'anneau qu'il portait autour du cou il y a deux jours. Il ne l'y avait pas remis. Le petit bijou argenté scintillait sous le soleil. Altarus le fixa un moment, avant de pousser un nouveau soupir. Puis, d'un geste ample et puissant, il le lança vers la mer. L'anneau disparut de sa vue, il ne put donc voir où la mer l'engloutit. C'était le dernier souvenir tangible d'un passé qui ne reviendrait plus jamais, qu'il avait condamné plus d'un siècle auparavant à cause d'une décision mal calculée. La vie a toujours été cruelle, et elle finissait toujours par réclamer son dû...
Frenzo s'était retourné.
"Tout va bien, Capitaine ?"
"Oui, Frenzo, tout va bien."
En offrant l'anneau à la mer, il clôturait un chapitre de sa vie, qu'il avait cru terminé depuis longtemps. Mais c'était avant de revoir Vestoria. L'ouvrage de leur vie à tous les deux ne se rouvrira plus... ils étaient tous deux morts depuis des décennies. La mer, quant à elle, était loin d'être un récit à l'approche de sa dernière page. Elle avait été là depuis son premier souffle, elle demeurerait après le dernier. Il continuera de naviguer sur ses flots, avec ses bonnes et ses mauvaises humeurs. Les regrets, les remords... même cette culpabilité qu'il ressentait envers Vestoria et qu'il ressentirait encore longtemps, ne l'empêcheront pas de trouver cette osmose qu'il avait toujours trouvé avec cet élément.
Le temps d'un voile obscurcissait ses songes, il ne sentit pas la rencontre brutale avec le sol. Cela n'avait duré que quelques secondes, le temps nécessaire à Vestoria pour le soutenir quand ses jambes avaient fini par céder. La lueur vacillante de la bougie redevint étrangement moins sombre, redonnant la faible clarté de tantôt. Elle était là, en face de lui, la main sur sa dague. Une possible menace de mort, la sentence qu'elle serait en droit de lui réclamer. Il ne fixa pas la dague, il la fixait, elle, avant de tressaillir lorsque la courte lame provoqua le bruit d'un brutal déchirement. La jeune femme venait de déchirer le pan de sa chemise pour avoir visibilité sur la blessure qui marquait son flanc. Il se raccrocha presque instinctivement à sa magie pour qu'elle reprenne son travail d'endiguement interne. Même s'il avait été prêt à accepter de périr sous la colère de la demi-ange, il n'en était pas encore à un stade d'accepter l'inéluctable... qui n'arriverait pas.
Elle aurait pu le laisser là à son sort. Elle aurait pu terminer le travail. Elle aurait pu faire bien des choses. Mais elle ne les fit pas. Le temps se figea pour lui comme pour elle quand elle découvrit l'anneau qu'il portait à son cou, symbole d'un passé lointain et brisé, qui portait avec lui le poids d'une nostalgie douloureuse. Il le portait pour ne pas oublier, pour marquer au quotidien ce qui avait été sa vie autrefois. Il l'avait porté, senti sa petite présence dans bien des périls, des tempêtes ou des actes du quotidien, sans réellement se raccrocher à tous les souvenirs heureux que ce petit bijou pouvait rappeler ; simplement pour se souvenir de ce qu'il avait bien voulu se remémorer. En une fraction de seconde, la sang-mêlé l'arracha, brisant la fine chaîne d'argent, avant de le jeter. L'anneau rebondit plus loin.
Quand elle apposa un pan de tissu plié pour comprimer la plaie, il frémit à la douleur que cela provoqua. Mais ce ne fut presque rien en comparaison de ce qui suivit. Vestoria s'exprima. Chacun de ses mots, chaque phrase qui franchit ses lèvres était comme une lame chauffée à blanc remuée dans une blessure intérieure qui n'avait jamais réellement cicatrisé. Quand elle lui décrivit l'horreur et la souffrance qu'elle avait subies quand on lui avait arraché ses ailes, il se crispa avant de gémir à la pression qu'exerça Vestoria, qui y mit plus de force, dans le but de lui faire mal. Cet acte accompli, elle reprit son histoire, réitérant un effort supplémentaire à son point de compression. Le borgne s'accrocha plus intensément à sa magie, pour que l'intérieur de la blessure continue de contenir l'hémorragie, avec l'objectif de la faire cesser... Et quand elle lui susurra presque une injonction de ne pas mourir, il serra les dents. Elle ne le tuerait pas. Elle voulait qu'il vive et souffre de la culpabilité et de la souffrance qu'elle avait pu subir depuis qu'il avait pris la décision de passer pour mort.
Si seulement elle savait...
Quand elle lui déposa un bien étrange et tendre baiser sur la joue avant de se relever, un frisson le parcourut, totalement différent de ceux qu'il avait ressentis tantôt. Elle s'exprima une dernière fois avant de s'accaparer l'objet qu'elle visait depuis le début et de disparaître.
Les dernières paroles de la demi-ange résonnaient encore dans la tête du demi-elfe, s'infiltrant au début comme un poison, lui laissant un goût amer et des émotions qu'il préféra ne pas définir. Puis, il se laissa dériver, restant accroché à sa magie pour refermer sa blessure. Durant quelques heures, il resta là, dans une étrange brume de réalité. Méditait-il ? Peut-être ?
Quand ses forces lui revinrent en suffisance, il se redressa péniblement, s’appuyant toujours sur le manteau de la cheminée. Là, son esprit se remit en marche, tourbillonnant à nouveau, lui imposant de revoir chaque choix, chaque erreur qui l'avait mené à cet instant. Par une mauvaise décision, il avait tout pris à Vestoria. Il ferma sa seule paupière, tentant de refouler la vague de regrets qui menaçait de l’engloutir. Il méritait cette souffrance. Il méritait ce tourment, chaque goutte de haine que Sixte lui avait crachée au visage.
Il rouvrit sa paupière. Son bureau était toujours dans cette pénombre, à peine repoussée par la flamme vacillante du bougeoir. Il fouilla la pièce du regard, repéra sa propre dague, qui avait encore son sang sur le fil tranchant. Il vit le petit éclat de l'anneau. Ce fut la première chose qu'il récupéra, après avoir acquis la certitude que ses jambes flageolantes seraient capables de le maintenir debout.
Quand l'anneau fut dans le creux de sa paume gantée, les mots de la demi-ange l'envahirent à nouveau : Si tu m’avais parlé, j’aurais fait n’importe quoi pour tout arranger...Ses doigts se refermèrent sur le bijou. Il y avait tellement à dire, à regretter... tant pour lui que pour Vestoria. Il rejoignit son bureau, y déposa la relique d'une vie passée, et souffla sur la frêle flamme du bougeoir, laissant la nuit envahir l'intérieur de la grande pièce.
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Le Narval filait bon train sur les flots. Le vent était bon, la mer sereine et généreuse, offrant toutes les conditions idéales pour que le brick avance à bonne allure. Cela faisait plusieurs heures que la terre avait disparu sous la ligne d'horizon.
Le Second, qui tenait la barre, jeta un coup d'œil derrière son épaule. Le Capitaine était derrière lui, n'ayant pas quitté sa position depuis qu'ils avaient quitté le port. L'appareillage, les manœuvres... tout s'était déroulé comme à l'accoutumée. L'humain avait juste trouvé le borgne un peu plus pâle et fatigué que d'ordinaire. Il n'avait pas cherché à connaître les raisons. Il fixa son capitaine une dernière fois avant de retourner à la tenue de son cap et de sa barre.
Altarus contemplait la mer et l'horizon. Son esprit vagabondait, se perdait dans bien des réflexions. Ses épaules s'affaissèrent quand il émit un soupir mélancolique. D'une main, il sortit quelque chose de la poche extérieure de sa sombre tunique : l'anneau qu'il portait autour du cou il y a deux jours. Il ne l'y avait pas remis. Le petit bijou argenté scintillait sous le soleil. Altarus le fixa un moment, avant de pousser un nouveau soupir. Puis, d'un geste ample et puissant, il le lança vers la mer. L'anneau disparut de sa vue, il ne put donc voir où la mer l'engloutit. C'était le dernier souvenir tangible d'un passé qui ne reviendrait plus jamais, qu'il avait condamné plus d'un siècle auparavant à cause d'une décision mal calculée. La vie a toujours été cruelle, et elle finissait toujours par réclamer son dû...
Frenzo s'était retourné.
"Tout va bien, Capitaine ?"
"Oui, Frenzo, tout va bien."
En offrant l'anneau à la mer, il clôturait un chapitre de sa vie, qu'il avait cru terminé depuis longtemps. Mais c'était avant de revoir Vestoria. L'ouvrage de leur vie à tous les deux ne se rouvrira plus... ils étaient tous deux morts depuis des décennies. La mer, quant à elle, était loin d'être un récit à l'approche de sa dernière page. Elle avait été là depuis son premier souffle, elle demeurerait après le dernier. Il continuera de naviguer sur ses flots, avec ses bonnes et ses mauvaises humeurs. Les regrets, les remords... même cette culpabilité qu'il ressentait envers Vestoria et qu'il ressentirait encore longtemps, ne l'empêcheront pas de trouver cette osmose qu'il avait toujours trouvé avec cet élément.
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