Deux ombres sur le sable

Lancés par-dessus bord. Nous deux.

Nos camarades, dévorés par des pirates.

Ici. Au milieu de nulle part.

Sans assistance d'aucune sorte.

Catapultés comme deux sacs poubelles dans les océans, je traîne avec moi une carcasse endormie tandis que nous étions deux ombres sur le sable, rampant sur le sol brûlant avec toute la retombée des événements. Le souffle haletant, il dégueule également de la bile comme de l'eau salée bue plus tôt face aux pirates dans une bagarre que j'aurais aimé éviter. Ça devait être un sauvetage, face à l'inquiétude d'un Séraphin bien trop en retard pour imaginer une simple complication de voyage. Bigorneau et Saumâtre ont marqué nos vies d'une lame chauffée à blanc, appliquée directement sur nos dermes vulnérables.

À présent, nous sommes en cage avec la solitude comme seule compagnie.

L'île, un morceau de roc perdu au milieu de l'océan, semble cracher au visage de quiconque ose s'en approcher. Les falaises abruptes nous font signe de dégager, menaçant de nous balancer dans les flots en furie dès que nous faisons le moindre faux pas. Sur la plage, il n'y a que des débris, du bois fracassé et des coquillages éventrés qui peuvent déchirer les pieds. Les palmiers, ils ont l'air de dire : "Reculez, bande de tocards", avec leurs troncs épineux et leurs feuilles desséchées. Et cette jungle, c'est comme si X'o-rath en personne l'avait plantée là pour nous barrer la route. Des bestioles venimeuses à chaque putain de coin, et des plantes qui n'ont pas l'air d'être là que pour danser au gré du vent.

Le silence, au lieu de calmer, serre le palpitant. Juste les cris des foutus oiseaux de mer, et le fracas des vagues qui s'abattent sur les roches. Pas âme qui vive à l'horizon, juste lui et moi, et cette île maudite qui nous rappelle à quel point nous sommes dans la merde. Ouais, ici, ce n'est pas une partie de plaisir, c'est l'enfer pur et simple. Cette île ne fait pas de quartier, elle attend simplement, indifférente à la destinée de ceux qui se risquent sur ses rivages.

Manifestement, c'est notre tour.

Mon uniforme de Limier, complètement lacéré par les attaques précédentes, ressemble à un haillon obscur à qui il manque des pièces. Le soleil nous cogne de toutes ses forces, alors rapidement je couvre mes cornes de ma capuche et traîne encore avec moi le Loup Argenté du Razkaal jusqu'à une zone d'ombre plus ou moins sécurisée. Soulevant un palmier couché, je le pose contre un rocher qui va servir de préau naturel, avant de balayer le sol pour ne retrouver que le sable mou de la plage.

Le moment d'examiner les constantes du Prévot est venu.

J'ai un pouls. Ses pupilles ne montrent pas de signe de coma profond. Mes blessures sont en grande majorité résorbées par ma régénération, les autres sont de lourds ecchymoses et d'hématomes sous-duraux impossibles à supporter. Les siennes en revanche doivent être rapidement prises en charge. Cherchant dans ma besace des herbes médicinales, je les écrase sur une pierre avec une autre comme mortier de fortune pour préparer un onguent et commencer une première application sur ses plaies.

« Tiens le coup, Séra. »

Qu'est-ce qui se passe dans sa tête ? Est-ce que ces trois enfoirés démoniaques prennent leur pied à le torturer alors qu'il est inconscient ? Ou alors est-ce que toutes les lumières sont éteintes et il peut enfin profiter d'un repos salvateur ?

« Laissez-le tranquille, juste pour cette fois, cloportes. »

En attendant, le soleil commence à faire son mouvement dans le ciel, et la faim se fait sentir. Restant dans les parages pour avoir un œil sur mon binôme, j'essaie de me concentrer sur l'instant présent et les objectifs qui en découlent : se mettre en sécurité, se remettre d'aplomb, préparer notre sortie, revenir au Razkaal. Il ne faudra pas longtemps pour qu'un groupe de mouettes finisse carbonisé par une déflagration ardente d'une boule de feu projetée par mes soins, et revenir avec six volailles grillées dont je me réserve le droit d'en bouffer quatre et de laisser les deux autres.

Quand la chasse prend fin, le soleil commence à se coucher, les victuailles sont posées sur une feuille de palmier. Viandes et fruits, et noix de coco frappées contre mes cornes pour l'hydratation. La température descend drastiquement, ce qui justifie un joli feu de camp pour nous maintenir au chaud. Espérant que les bonnes odeurs de viandes grillées viennent le réveiller, je commence mon festin, en essayant de ne pas penser à ce qu'il s'est passé.

On ne peut pas forcément gagner contre la lâcheté. En revanche, je sais que la prochaine fois, je serai prêt pour faire en sorte que ces deux pirates finissent face à la justice des hommes. J'observe alors le Cerbère, mes oreilles bercées par les mastications bruyantes d'un repas qui me rappellent ma condition ici, mais qui me permettent de retrouver mes forces.

« Tu n'es pas tout seul. » Que je gronde, d'une voix sécurisante.

Mes yeux partent vers l'horizon, bientôt avalé par l'obscurité, tandis que le sable blanc reflète la lumière du tapis céleste ; un millier d'étoiles et une lune qui nous surveillent comme un immense œil qui ne cligne pas. La journée a été terriblement longue.

Et le sablier continuera de nous mettre à l'épreuve.

Journal du Limier

Mers du Sekai, Île perdue

Dans la grandeur silencieuse et imposante de son for intérieur, le vaincu repose, inconscient, une carcasse endormie égarée au cœur d'un désert d'ombre et de silence. Les paroles de Kieran, bien que distantes et presque inaudibles, flottent à travers les ténèbres, telles des lucioles perdues cherchant leur chemin dans une nuit sans fin. C'est dans ce paysage intérieur que le Limier se retrouve seul, privé de la cacophonie habituelle de ses démons, une solitude qu'il a longtemps désirée mais qui, dans l'instant, pèse sur lui tel un voile de plomb.

La défaite face à Bigorneau et Saumâtre a laissé des traces indélébiles, non seulement sur son corps mais aussi sur son âme. Ses démons, habituellement si loquaces et envahissants, ont choisi le silence, accentuant la sensation de vide et d'isolement. Cet abandon sonne comme un désaveu, un reflet de sa propre incapacité à surmonter l'épreuve. Pourtant, au milieu de cette mélancolie profonde, une lumière persiste, faible mais inextinguible : la pensée de Kieran.

Kieran, l'ami, le frère d'armes, celui qui s'est jeté à l'eau sans hésitation pour le sauver des griffes de leurs ennemis. Dans les méandres de son esprit assombri, le Possédé reconstruit le fil de leur amitié, un lien forgé au feu des batailles et trempé dans les eaux tumultueuses de l'adversité. Cet ami, qui même maintenant veille sur lui, est un phare dans l'obscurité, une promesse silencieuse que, quelles que soient les tempêtes à affronter, ils les affronteront ensemble.

Le Limier, dans son sommeil agité, ne peut s'empêcher de glorifier Kieran, de le remercier silencieusement pour sa loyauté et son courage. La gratitude qu'il ressent pour cet homme qui a risqué sa propre vie pour le sauver est un baume sur les plaies de son cœur meurtri. C'est cette pensée, cette reconnaissance envers Kieran, qui parvient à adoucir le fardeau de la solitude et de la défaite.

Et alors que les ombres semblent se resserrer autour de lui, un très fin sourire éclot sur le visage du Limier. Dans le néant de son inconscience, ce sourire est le témoignage d'une chaleur retrouvée, d'un instant de paix au milieu du chaos. C'est le souvenir de cette amitié, de ce lien indéfectible qui les unit, qui lui offre un répit, une éclaircie dans l'obscurité. Seraphin demeure inconscient, mais ce sourire, aussi ténu soit-il, est une promesse silencieuse que, même dans les moments les plus sombres, il n'est pas seul.

Qu'est-ce qu'on se fait chier, quand même.

Mais ça laisse à notre comprenette de faire le point sur notre vie. Voir ce qu'on pourrait changer, oui, ou non. Ça nous renvoie à notre propre existence, et peut-être permettre une conclusion qui nous feront prendre des décisions importantes. Est-ce que je suis bien là où je suis ? Est-ce que je suis bien aligné avec mes principes ? Est-ce que j'avance dans la vie ? Est-ce que ça compte pour mon entourage et mon environnement ?

Est-ce que je suis heureux de le faire.

Toutes ces questions remuent un paquet d'autres, et sans réponses concrètes. Je fais alors la rétrospective de ces dernières années. Le Reike, la défaite contre Ryssen, ma fuite vers la république, mon recrutement avec Séraphin, le mentorat avec Gerbald, l'entraînement que j'ai partagé avec Abraham, les centaines de personnes que j'ai inculpées, abîmées dans la Forteresse. Et maintenant cette escarmouche pirate qui a failli me coûter la vie.

Où en suis-je, dans la mienne ?

Dans les méandres de ma réflexion, mes yeux vont se poser sur le Prévôt, toujours endormi. Son corps récupère, sa respiration est régulière, apaisée. Je n'ai pas le sentiment de voir ses paupières fermées dans la tourmente, pas de murmures ou de spasmes qui indiqueraient que ses démons lui jouent encore des tours. Et alors que j'avise son visage, je remarque un rictus qui n'a rien de malsain. Un sourire qui adoucit mon regard, et qui relâche mes épaules. Il est bien là où il est, et c'est le plus important.

Je me concentre alors sur ma bectance, l'esprit continuant désespérément de trouver une solution. D'abord, il faut explorer l'île, en espérant trouver de l'eau douce, des fruits, des plantes et des matériaux solides pour construire un abri. Je ne suis pas certain qu'on puisse se barrer d'ici en moins de deux jours, ou alors Séraphin me cache des atouts que je n'ai pas encore découverts. Et voir comment créer des signaux de détresse pour essayer d'attirer l'attention d'un navire. En espérant que celui-ci ne dresse pas un pavillon noir avec une tête de mort dessus. Les volailles finissent rapidement dans un petit tas d'os mis sur le côté, accompagnés de quelques trognons de fruit. Rationnant mon eau, je cherche dans les affaires du Prévôt pour lui prendre sa gourde et la porter à ses lèvres pour quelques gorgées.

« Le reste du combat, va falloir te débrouiller. »

La stratégie de lui donner des avoines jusqu'à ce qu'il se réveille n'est peut-être pas la meilleure idée du siècle. Alors en attendant, je me sers de ma corde légère ainsi que des ossements et des coquillages pour étirer une zone sécurisée par des alarmes qui viendront me réveiller à la première intrusion. Adossé sur le rocher qui tient ce palmier couché qui nous abrite de ses feuillages, je fais le guet, durant de longues heures...

Jusqu'à ce que mes yeux se ferment contre ma volonté. Piégé dans l'obscurité de ma vision, mon corps m'invite cordialement à fermer ma gueule et à roupiller une bonne fois pour toutes.

Demain, une nouvelle journée, une nouvelle épreuve.

Coincé ici, encore.

Chiasserie.

Journal du Limier

Mers du Sekai, Île perdue

Dans la solitude de son esprit, le Défait se débat avec les sombres vagues de l'inconscience, flottant dans un néant où le temps et l'espace perdent leur signification. Il est un navire sans gouvernail dans l'océan tumultueux de ses pensées et souvenirs, chahuté par des rêves éthérés et des cauchemars insaisissables de ses douleurs et ses hontes. C'est une lutte silencieuse, invisible à l'œil extérieur, mais qui consume toute son essence. À travers les brumes de son esprit, les murmures de ses démons se font entendre au très loin, enfin... Des voix familières dans l'obscurité. Ils ne sont ni pernicieux ni rassurants, simplement présents, tels des compagnons constants dans son voyage intérieur. Ils lui parlent de force, de résilience, de la nécessité de se réveiller, de revenir parmi les vivants. Il y a une urgence dans leurs voix, un appel à se battre non seulement pour lui-même mais aussi pour ceux qui dépendent de sa force.

Alors que les heures s'écoulent, un changement s'opère subtilement. Les ténèbres commencent à se dissiper, remplacées par une lueur douce et pénétrante, un présage du réveil imminent. Les voix des démons s'estompent, laissant place à une conscience émergente, à la sensation du sable sous lui, à la chaleur du soleil sur sa peau, au bruit des vagues qui se brisent non loin.

Et soudain, avec la lenteur d'un monde se remettant en mouvement, le Défait ouvre les yeux. Le monde autour de lui revient sous la forme d'images floues, un paysage d'île déserte baigné de lumière et de couleurs. Il se redresse, ses sens s'aiguisant, son esprit reprenant ses marques. À ses côtés, Kieran, son compagnon de fortune dans cette aventure inattendue, dort encore, la fatigue de la veille gravée dans les traits de son visage.

"..."

Péniblement, il tente de se lever, non sans difficultés, ses membres engourdis protestant contre le mouvement soudain, jusqu'à ce qu'il abandonne la tâche et se laisse retomber au sol, tel un sac sans âme. Son regard fatigué se laisse aller aux alentours, le camp de fortune, les restes de leur repas nocturne, et au-delà, l'immensité de l'océan qui les entoure. Il y a une paix trompeuse dans ce décor, une tranquillité qui cache les défis à venir. Avec un soupir, il retourne son regard vers son Compagnon-Dragon, se demandant comment avaient-ils pu atterrir ici ensemble, et surtout, comment ils affronteront les épreuves que l'île leur réserve. Le soleil montant promet chaleur et lumière, mais aussi révélations et décisions.

C'est un nouveau chapitre qui commence, non seulement dans leur lutte pour survivre mais dans la découverte de ce qu'ils sont vraiment, de ce qu'ils peuvent devenir. Et dans ce moment de calme avant la tempête, le Possédé sent que, quel que soit le destin qui les attend, ils y feront face ensemble.

Cette odeur de chair brûlée.

Ce sable brûlant, les carcasses de balistes et de catapultes gisant sur l'avant-poste près de Taisen.

Oui, je suis en train de rêver. Encore ce même putain de rêve.

La bataille commence dans un tourbillon de chaos et de fureur. Les cris des combattants, le grondement des catapultes et le sifflement des flèches remplissent l'air alors que nous tenons notre position dans le désert aride près de Taisen. Les flammes crépitent et dansent autour de nous, peignant le paysage d'une teinte rouge sang. On n'a pas de renforts, pas de soutiens, seulement notre détermination à tenir le front. On ne s'est jamais débiné, ce n'est pas aujourd'hui qu'on va le faire.

Je regarde avec horreur alors que les projectiles enflammés s'écrasent sur nos lignes, déchirant nos défenses comme du papier. Shael et Roman sont emportés dans l'embrasement, leurs cris se mêlant au crépitement du feu. Je sens une rage aveugle monter en moi, mais même elle ne peut rien contre la puissance destructrice qui s'abat sur nous.

On va perdre... On est en train de perdre... On a perdu.

Le bruit d'empalement sur les cris gutturaux de mon père résonnent dans ma tête comme un coup de marteau dans le crâne. Ses énormes jambes puissantes s'effondrent au sol. Sa puissante cage thoracique, percée de part en part, est maculée de son sang qui s'échappe de sa bouche dans des éclaboussures grossières. Je me bats comme un possédé, chaque coup de mon épée portant la promesse de vengeance, mais il est trop tard. Les lignes sont rompues, la défaite est imminente. Je crie de frustration, ma voix étouffée par le vacarme de la bataille. La peur et la colère s'entremêlent en moi, totalement impuissant. Une explosion retentit à proximité, secouant le sol sous mes pieds. Un éclair de lumière blanche aveuglante me submerge, et dans un dernier élan de volonté, je me dis qu'il faut que j'en sauve un de plus... Un de plus...

« Que... J'en... Sauve... Un de plus. »

Ma voix bourdonnante me sort de ma torpeur. Lumière aveuglante. Je secoue la tête comme pour reprendre pleinement possession de mes moyens. Le sable, qui réfléchit la lumière du soleil, me poignarde les iris qui ont encore du mal à se remettre de mon cauchemar. Pour en retrouver un autre : cette île. Les ficelles n'ont pas été rompues, pas de bestioles qui se sont approchées cette nuit. Mais à la différence de la veille, des yeux ambrés viennent s'inviter à la fête.

Ceux du possédé. Un rictus me trahit.

« T'es vraiment increvable, hein. Bienvenue en enfer. »

Je me redresse doucement, mais mes douleurs continuent de me torturer, grognant au passage à travers une grimace difficile à contenir. J'avise alors les blessures du Prévôt.

« Ne touche pas à tes plaies, j'y ai mis de l'onguent. »

Je déchire un long pan de ma cape avant de lui tendre.

« Je te laisse panser tout seul comme un grand, ça serait dommage que je te saucissonne et que tu ne puisses plus respirer. » Que j'essaie de plaisanter malgré le calvaire merdique autour de nous.

Le genou enfoncé au sol, je vais mettre une éternité à me lever. Rien à bouger, comme si nous étions dans un tableau dont seuls les protagonistes peuvent avoir le "privilège" de se déplacer. Arrachant une nouvelle feuille de palmier, je commence une tresse pour en faire un panier de fortune, et avec mon odorat, je cherche des fruits comestibles. Il faudra quelques minutes pour en trouver cinq, ainsi que deux plantes à bouffer. Nos gourdes sont encore pleines, c'est la seule bonne nouvelle. Le tout posé sur un rocher, je croise mes bras sous le torse, avisant l'horizon. L'idée de m'envoler avec Séraphin me traverse l'esprit, je déploie mes ailes, en tire une, puis l'autre sous mes yeux pour chercher une quelconque blessure. Deuxième bonne nouvelle : elles sont en état, et si j'étais blessé, ma régénération a fait le travail.

Je finis par croiser mes bras sous le torse.

« Comment te sens-tu ? »

Question rhétorique, mais réponse essentielle si on veut espérer qu'il tienne... Le voyage. S'il se passe ce que je pense, je vais vraiment en baver.

Une nouvelle épreuve, mais on en a vu d'autres, et ça ira.

Journal du Limier

Mers du Sekai, Île perdue

Dans le silence qui enveloppe l'île déserte, le Défait observe son frère d'armes et ami le plus proche, luttant contre ses propres démons de son propre sommeil. Les murmures et les mouvements agités du Dragon révèlent une vulnérabilité que le Possédé n'avait jamais perçue auparavant chez lui. Cette révélation brise le mythe de l'invincibilité qu'il avait construit autour de lui, rappelant à Seraphin que, malgré leur force, ils restent humains, sujets aux mêmes peurs et incertitudes que quiconque.

La douleur et la fatigue envahissent toujours le corps du Maudit, son éveil n'ayant pas apporté la clarté ni le soulagement espérés. Il se sent étranger à lui-même, son esprit flottant quelque part entre la conscience et un brouillard de douleur. Ses blessures le retiennent prisonnier de son propre corps, limitant ses mouvements et sa capacité à agir.

Lorsque Kieran émerge de son sommeil, Seraphin tente de lui offrir du réconfort, posant une main bandée sur son épaule dans un geste d'amitié silencieuse. C'est un effort pour reconnecter Kieran au présent, pour lui rappeler qu'ils sont ensemble dans cette épreuve, malgré les fantômes qui hantent leurs esprits.

La réponse de Kieran, pleine de résilience malgré les circonstances, arrache au Limier un rire douloureux mais sincère qui, bien que faible, est un rappel de leur complicité, de leur capacité à trouver de la lumière même dans les moments les plus sombres.

"Merci... pour tout", murmure-t-il d'une voix cassée en réponse, reconnaissant envers son frère d'arme pour les soins qu'il lui a prodigués, avant de répondre à sa prochaine question d'un simple "Ca va", un mensonge transparent à peine voilé destiné à épargner Kieran de soucis supplémentaires. Il sait combien il a déjà porté pour eux deux, et il refuse d'ajouter plus à son fardeau déjà lourd.

Un peu plus tard, dégustant les fruits, fruits du labeur du Dragon, c'est avec une certaine peine que le d'Elusie tente d'ajouter une touche d'optimisme à leur situation actuel, préférant plutôt que de se morfondre de, se tournant vers l'avenir cette fois, partageant avec lui une lueur d'espoir, un plan pour quitter cette île. "Si on voit un bateau... on pourrait essayer de signaler notre présence. Il y a toujours une chance", dit-il, cherchant à insuffler un peu d'optimisme dans leur situation désespérée.

Leur conversation, bien que brève et marquée par la douleur et la fatigue, est un témoignage de leur lien indéfectible. Dans ce monde où chaque jour est une lutte pour la survie, leur amitié est un phare dans l'obscurité, guidant chacun d'eux vers un avenir incertain mais partagé.

Le Razkaal est encore debout. Dans un sale état, avec une sale gueule, mais encore debout.

Épargnés par des pirates, mais ce n'est pas cette fausse clémence qui va m'empêcher de les retrouver pour leur mettre la dérouillée de leur vie. Le Razkaal, c'est aussi l'endroit où deux amis se soutiennent malgré le bourbier dans lequel nous sommes. C'est apprécier une main sur l'épaule alors que son vis-à-vis a rapidement deviné qu'il était dans un cauchemar pas agréable. C'est vrai que je ne me suis jamais vraiment arrêté sur mon passé avec Séraphin. Il sait que je suis Reikois, il sait que je suis un guerrier, un combattant et un soldat de nombreuses années d'expérience. Mais qui j'ai perdu, et pourquoi j'étais un rebelle durant la guerre de clans, sont des éléments que je n'ai jamais osé étaler dans une discussion intime.

Je me demande ce qu'il en dirait, s'il savait que j'étais un rebelle qui a imaginé la tête de Ryssen sur une pique, Ayshara épargnée d'avoir été vendue comme une biquette et un Vaenys légitime pour le trône du Reike après son défunt père, décapité sauvagement comme le reste de ses seigneurs. Rien que de remuer cette histoire, j'en ai les mâchoires qui se resserrent.

Mais le passé ne va pas m'aider à me sortir de là. À ses remerciements, je lui offre un simple signe de tête. Parce que je m'en veux. De ne pas avoir fait ce qu'il fallait, et des dizaines de morts sont tombées en plus de cela. Et pour couronner le tout, le captif que Séraphin devait ramener au Razkaal ne sera pas là. L'échec d'une mission, le deuil de beaucoup de morts, la perte de beaucoup de ressources. Définitivement pas le moment pour lui rendre des remerciements. Non, seulement garder le silence pour leur rendre hommage. Mes traits s'adoucissent alors qu'il essaie tant bien que mal de dissimuler son état. Le Loup a encore ses crocs, son regard est encore vif, et ses démons n'ont pas eu raison de lui.

Il est encore fort. Et c'est une bonne nouvelle.

« Content de te retrouver. Tiens encore le coup. »

Avec un élan d'optimisme qui me surprend, je marche alors vers l'horizon, mes bottes s'enfonçant dans le sable chaud tandis que je recouvre mes cornes de ma capuche. Un vent commence à souffler, les vagues bougent avec énergie, les ressacs contre les falaises sont violents, tout est hostile pour les non avertis. Mais il avait raison. L'Existence nous sauve des pirates, ce n'est pas pour nous tuer sur une île, ou alors, je me trompe sur sa volonté. Peut-être qu'un bateau pourrait nous retrouver si on délivre assez de moyens pour pouvoir être repéré à suffisamment de lieux, mais les chances sont infimes.

« On va se sortir de là. » Que je tonne, déterminé.

Avec une énergie nouvelle, c'est des kilos de bois qui sont jetés sur le sable dans la perspective d'allumer un bucher suffisant pour être vu à des lieux d'ici. Si la Ginette est passée par là, d'autres navires le peuvent aussi. En espérant que ces derniers ne seront pas hostiles.

Parce qu'on ne pourra pas encaisser cette attaque, cette fois.

Mais, on va y arriver. On va rentrer chez nous.

Je n'ai pas dit mon dernier mot.

La liberté. Les ailes déployées en grand, Tinder respirait à plein poumon cet air marin dans cet espace infini où le bleu n’avait ni début, ni de fin. Il n’y avait pas de sentiment plus exaltant pour l’oiseau élémentaire après ces millénaires enfermé dans un tombeau. Peu à peu, ses souvenirs de ses précédentes vies qui s’étaient terminées de manière violentes, souvent dans la folie la plus totale, s’atténuaient grâce à cette merveilleuse thérapie qu’était “la liberté”. Mais il lui en faudrait bien plus que ces quelques années passées aux côtés de l’Amiral Fallenswords pour se libérer complètement de ses démons...

Une étrange fumée noire finit par ternir ce beau paysage monochrome et qui rappela au phénix qu’il était également Second Lieutenant sur la Dame Blanche. Un navire en feu peut-être ? Au milieu d’une bataille ? La flottille du Contre-Amiral n’était pas très loin et pouvait peut-être changer le cours des choses. Quelques battements d’ailes plus tard, Tinder put apercevoir enfin l’île d’où s’échappait la fumée. Signal de détresse ou piège tendu par des pirates ? Vandaos avait été très clair lorsqu’il avait anticipé ce genre de trouvailles : de la précaution, la sécurité avant tout autre chose et surtout : pas d'actes héroïques. Des héros, il n'y en a plein les cimetières qu'il disait... Apercevant nettement la plage, l’oiseau de feu fit désormais lentement le tour de l’île afin d’évaluer la situation : celle-ci n’était pas vraiment habitée et aucune flotte pirate ne se cachait dans un recoin : même pas un petit bateau. Une fois le tour terminé, le phénix se rapprocha encore de l’île et examina particulièrement la plage où avait été dressé un immense bûcher et où se dessinait deux silhouettes humanoïdes, l’une bien plus imposante que l’autre.

Le lieutenant Firebirds finit par atterrir à distance respectable des deux humanoïdes, laissant l’immense bûcher en guise de dernière barrière physique. L’oiseau se métamorphosa alors en une jeune femme elfe parcouru par les flammes, comme si le feu lui-même habitait son corps. Cette dernière remarqua rapidement les uniformes des limiers du razkaal, fortement endommagé et la mine plutôt mal en point du Drakyn et de l’humain qui la regardaient désormais.

Second Lieutenant Firebirds de la Marine Républicaine, veuillez décliner vos identités s’il vous plaît.

L’habit ne faisant pas le moine, les deux humanoïdes devant elle pouvaient très bien être des flibustiers déguisés. Méfiante, des grandes ailes de feu se déployèrent depuis le dos de la jeune femme, prête à mettre les voiles au premier signe d’agression.

Deux ombres sur le sable | Vandaos OIG3.ZYVz379a

Journal du Limier

Mers du Sekai, Île perdue

Dans les rayons du soleil déclinant, les traits de Seraphin étaient creusés, marqués par le sel et les épreuves, mais ses yeux brillaient d'une lueur reconnaissante à la vue de la silhouette enflammée qui se tenait devant eux. Il fit un pas en avant, levant les mains en signe de paix, son uniforme élimé témoignant des jours de survie forcée sur cette île déserte.

"Je suis Seraphin, Prévot du Razkaal, et voici mon compagnon, Kieran, également Limier," répondit-il d'une voix où perçait un soulagement mêlé de prudence. Il esquissa un sourire fatigué, ses yeux balayant brièvement les environs avant de revenir sur le phénix transformé en elfe. "Nous avons été séparés de notre unité et avons émis ce signal de détresse dans l'espoir d'être récupérés par des alliés. Votre présence ici nous redonne espoir, Lieutenant Firebirds."

Son regard se posa sur les ailes de feu de Tinder, impressionné mais non intimidé, habitué aux manifestations de magie puissante. "Nous cherchons à retourner auprès des nôtres."

Il prit une profonde inspiration, la brise marine soulevant légèrement ses cheveux ébouriffés. "Nous avons affronté et survécu à plusieurs dangers ici, et je peux vous assurer que nous sommes bien ce que nous prétendons être..."

Seraphin fit un geste vers le bûcher derrière eux, les restes d'un feu de détresse. "C'est tout ce que nous avions pour signaler notre présence ici. Aucun acte héroïque, juste une tentative désespérée de rentrer chez nous."

Il jeta un regard vers Kieran, cherchant à lui transmettre un sentiment de solidarité, puis reporta son attention sur Tinder. "En tant qu'Officier de la République, je vous prierai de nous garantir une extraction sûre." Sa voix, bien que ferme, trahissait une vulnérabilité temporaire, celle d'un guerrier loin de son champ de bataille habituel.

Compter les jours pour ne pas se perdre. Compter sur les Astres, la lune et le soleil pour gérer sa fatigue, son appétit et son sommeil.

Tous les outils étaient bons à prendre pour survivre.

Séraphin revient de très loin, mais il est revenu. Il ne cessera de me surprendre sur sa résistance. Qu'elle soit physique ou mentale, il garde le cap en dépit de tout ce qui peut lui tomber sur le pif. Très peu de gens peuvent faire ce qu'il fait, c'est indiscutable. La bouffe se résume à des mouettes, du poisson quand on arrive à en attraper, des fruits, des baies qu'on doit vérifier à moulte reprises pour savoir si ce n'est pas empoisonné. Même si le physique est malmené, le mental n'a pas bougé d'un iota. Nous sommes deux Limiers qui ont été conditionnés au Razkaal, subissant des dizaines de conditions difficiles pour l'homme moyen. Soit pour se taire devant l'ennemi quoi qu'il arrive, soit pour tenir bon quand les conditions ne sont plus au rendez-vous.

Mon esprit se renforce sur ses mots, tandis que j'avise une énième fois l'horizon, m'assurant que le bûcher tienne bon. Des brouettes entières de bois ont été consumées dans ce feu de détresse en espérant que quelqu'un nous repère. Abîmer l'écosystème, la nature, l'environnement, et ce n'est pas contre ma volonté. Je serais hypocrite à l'idée de dire que je n'étais pas prêt à tout pour nous sortir de là. Heureusement, l'île est suffisamment isolée pour avoir le temps de se reconstruire sur ses cicatrices, et suffisamment dense pour être un lieu pour les espèces grouillantes dans les environs.

Et en parlant d'espèce dans les environs... Quelque chose trace une traînée de flammes, ma bouche s'ouvre à moitié, le regard interdit. Une créature de légende faite de flammes éternelles. Ses plumes brillent d'une lueur dorée, irradiant une chaleur réconfortante même à cette distance. À chaque battement d'ailes, des étincelles jaillissent, peignant une traînée d'or dans le firmament. La chaleur me caresse la peau comme si c'était un deuxième soleil. Un soleil qui change de forme pour s'étirer sous la silhouette d'une Elfe dont il est impossible de situer l'âge, particularité propre à cette race. Mes yeux se plissent par sa lumière incandescente, avant qu'une voix vibre dans mes oreilles dans un écho qui sonne peut-être le glas de notre exil.

Séraphin sera le premier à baver les réponses, en bon chef de Meute. Je me contenterais d'acquiescer par l'affirmative à toutes les informations transmises à la Sergent de la Marine. Partageant le même regard auprès de mon ami, j'avance également d'un pas.

« Ravi de voir quelqu'un de la maison. Le Razkaal nous attend. »

La respiration irrégulière, les cheveux abîmés par le sel et le sable, l'uniforme ressemblant plus qu'à un tas de haillons avec des pièces cassées d'armure, j'étais le Drakyn le plus pathétique du monde ce jour-là.

Mais, ça va changer.

L’histoire des deux limiers sonnait juste même si l’oiseau était méfiant et Vandaos n’avait pas eu besoin d’insister sur l’importance de cet état devant des inconnus et encore plus des humanoïdes. Même si peu à peu le phénix apprenait à faire la part des choses, elle avait un ressentiment plus que marqué avec tous les humanoïdes, voyant un potentiel Mage Noir souhaitant l’emprisonner en chacun d’eux. L’ironie du sort fût que ce soit en un autre Mage Noir qu’elle retrouva –en partie- foi en l’humanité. Bien sûr Tinder jouerait le jeu des “Robinsons” mais elle savait pertinemment que l’Amiral Fallenswords ne dévierait pas le cap d’un degré sans avoir fait vérifier l’identité des deux protagonistes. Et s’ils mentaient, les deux amis en haillons risquaient de vivre encore d’amour et d’eau fraîche pendant un long moment : le Contre-Amiral ne plaisantait pas avec tout ce qui touchait au patriotisme et usurper l’identité d’un officier républicain c’était clairement l’équivalent de brûler son ticket de retour à la maison.

Et bien la chance est avec vous, officiers. Une flottille de la Marine fait route pour Courage à quelques milles d’ici, l’Amiral prendra les dispositions pour votre sauvetage. Je m’en vais le prévenir et si les vents nous sont favorables, un bateau devrait arriver d’ici quelques heures pour venir vous chercher.

Puis la jeune elfe s’envola, emportant avec elle tous les espoirs des deux malheureux restés sur la plage. Calculant mentalement la position de la flottille au début de son vol, le Lieutenant Firebirds retrouva les bateaux républicains au bout de quelques heures, ce qui l’avait d’ailleurs obligé à se re-métamorphoser en sa forme originelle. En quelques battements d'ailes, elle arriva à destination et se posa sur son perchoir conçu spécialement pour elle sur le vaisseau familial des Fallenswords, la Dame Blanche. C était une Corvette conçue pour faire des trajets pas trop long et qui avait pour principale qualité son aptitude à semer ses possibles assaillants. Bien sûr il y avait quelques balistes, celles dont avait la charge le Second Lieutenant Firebirds mais une fois q' ils récupéreraient leur nouveau Navire Amiral à Courage, elle aurait la responsabilité d’une véritable batterie de canons.

C’est l’Enseigne Carragher qui se présenta auprès de l Oiseau élémentaire. Tinder aurait préféré que l'Amiral en personne vienne à sa rencontre mais il devait certainement étudier un vieux grimoire d'un autre nécromancien d’un autre âge. L''aspirant officier collecta les informations et se présenta ensuite devant la cabine du Contre-Amiral, qui n'était pas forcément très aimable lorsqu’on le dérangeait dans son étude. L’Enseigne prit une grande inspiration avant de frapper trois coups à la porte du commandant en chef de la Paradize Fleet.

Carragher au rapport Amiral.

Entrez Lieutenant et faites votre rapport , dit machinalement Vandaos avec un ton froid et détaché.

Deux limiers ont été retrouvé sur une île à quelques miles d’ici. Le prévôt Séraphin et le limier Kieran, dois-je demander au Lieutenant télépathe de vérifier leur identité.

Non.

Devant l'incompréhension qui se lisait sur le visage de l'Enseigne, l'Amiral s’ expliqua. Certes son statut lui aurait permis de ne pas aller plus loin mais Carragher avait été promu à sa demande et il se sentait obliger de justifier ses écarts au règlement, si cher aux officiers de la Marine qui avaient un peu d’ambition. En tout cas, pour le Contre-Amiral Fallenswords, aucun avancement s'effectuait sans un respect scrupuleux des règles : c'était une des bases du management apprit durant ses années d’étude à Drakstrang.

Séraphin est un vieil ami. Si quelqu’un ose s'approprier son identité, j'aimerais le questionner moi-même. Mais effectivement transmettez aux commandants de la flottille que je pars chercher nos deux limiers à bord de la Dame Blanche. Le commandant Vingerton prendra le commandement le temps de notre absence, transmettez lui l’ordre de maintenir le cap. Transmettez également l'ordre au Capitaine Sinferd de faire route vers l'île de nos deux naufragés à pleine cadence, le Lieutenant Firebirds lui donnera le cap à suivre.

Séraphin… Qu’est ce qui t’a poussé à venir t’échouer si loin du Razkaal ?

Vandaos Fallenswords fit signe à son subalterne qu’il en avait fini. L’Enseigne Carragher parti avec l’empressement des jeunes gens zélés. C’était un bon petit et l’Amiral continuerait de le former pour en faire un officier de la Marine et surtout, un homme supplémentaire qui l’accompagnerait jusqu’en enfer s’il lui en donnait l’ordre.

***

Terre en vue !

A ce signal, Vandaos sortit de sa cabine pour rejoindre le Capitaine Sinferd qui se trouvait aux côtés du Quartier-Maître Deentab, en charge de la barre. Le Capitaine se tenait aux gardes à vous tandis que le marin restait concentrer sur l’outil de navigation de la Dame Blanche, sa fonction exigeant toute sa concentration.

Repos Capitaine. Maintenez le cap mais baissez l’allure, il serait fâcheux de devoir demander au reste de la flottille de venir nous sortir d’un banc de sable sous les yeux des limiers du razkaal ? Lorsque la vigie nous avertira que les fonds seront visibles, faîtes descendre une chaloupe, je monterais à bord : j’aimerais accueillir personnellement nos deux rescapés.

***

Les 6 matelots tenant les rames avaient réussi à mener l’embarcation au plus proche de la plage et les deux limiers s’étaient empressés de les rejoindre, trop content de voir leurs sauveurs. Les marins aidèrent les deux gaillards à se hisser sur la chaloupe : ils s’y mirent à 4 pour aider le drakyn et avaient bien failli faire chavirer la chaloupe. Puis Séraphin embarqua également, aider par les deux autres matelots. Tout sourire de voir son ami d’enfance -même s’il était dans un état lamentable- Vandaos interpella le prévôt avec un petit sourire aux coins des lèvres.

Séraphin ! Mais que diable fais-tu sur cette île déserte ? Une chance que mon oiseau vous a repéré et que nous passions par là. On va vous ramener à la maison et nous aurons tout le trajet jusqu’à Courage pour que vous me racontiez vos mésaventures...

Puis il se pencha en direction de l’imposant Drakyn, maintenant son petit sourire.

Oh mais je ne me suis pas présenté et manque à tous mes devoirs, Contre-Amiral Vandaos Fallenswords. Nous vous amenons à bord de la Dame Blanche, vous pourrez vous restaurer et vous changer une fois que nous y serons.

Tenir le coup.

Trois mots en qui fallait croire, en plus de cet oiseau flamboyant qui part, avertissant que de longues heures sont encore à attendre avant d'espérer quelque chose. Cette langue, sèche, cette pâteuse, me rappelle ma traversée du désert lorsque j'ai fuit Taisen et quelques soldats dont ma mère après la guerre. Tout me semble plus lourd, même mes vêtements. L’île elle-même semble presque vivante, mais d’une manière cruelle, indifférente. Chaque nuit, les ombres s’allongent et se tordent, déformant le paysage. Le feu de camp, seul point de lumière dans cette obscurité oppressante, vacille, fragile. Les bruits nocturnes, si ordinaires, se transforment en murmures, en grondements indistincts. Le froid s’installe, implacable, et les heures s’étirent.

Pas de chaloupe, pas de secours.

Le deuxième jour est pire que le premier. La lumière du soleil est crue, presque agressive. Même la mer, habituellement un repère calme, a pris une teinte menaçante, un gris plombé qui reflète tout sauf l'espoir. L’esprit divague parfois. À force d’attendre, tout devient un ennemi potentiel : le silence, l’immobilité, le vide.

Les rames crissent sur l’eau alors que la chaloupe se rapproche de la plage. Les six matelots s'activent, et la tension monte d’un cran. Enfin. Deux jours de silence, de solitude, et quelques heures après que le Phénix soit parti, voilà qu'ils débarquent avec leurs sourires trop larges et leurs manières presque joyeuses. Je ne suis pas sûr de ce qui me met le plus mal à l’aise : l’attente interminable ou cette fausse légèreté. Ils nous font signe de grimper, et je n’ai pas besoin qu’on me le répète deux fois. Pourtant, quand ils s’y mettent à quatre pour me hisser sur cette fichue chaloupe, j’ai l’impression qu’ils vont tous finir à l’eau. Une secousse, la chaloupe vacille sous mon poids, mais ça tient bon. Tant mieux pour eux. J’atterris lourdement sur le banc de bois, les muscles tendus et l’humeur aussi sombre que la mer derrière moi.

Puis vient Séraphin, un peu plus léger, mais tout aussi misérable. Un spectacle, vraiment. Il embarque avec leur aide, tout sourire, comme si de rien n’était. Et c’est là que cet autre type ouvre la bouche. Vandaos. Un petit sourire en coin, l’air de connaître l’histoire avant même qu’on ait eu le temps de la raconter. Une familiarité sincère s'installe entre le Prévôt et le Contre-Amiral, et mon coeur se soulage davantage. On est bien au bercail.

Puis il se tourne vers moi. Toujours ce même petit sourire. Un rictus à peine perceptible se dessine sur mon visage, inclinant légèrement le buste.

« Kieran Ryven, Limier Vouivre, du Razkaal. Merci, pour l'intervention. » Que je peine à mâcher correctement.

Ses mots tombent, mais je les accueille avec une neutralité glacée. Le genre de façade que je maîtrise depuis longtemps. Ils veulent qu’on se raconte, qu’on partage nos malheurs, qu’on se laisse aller à quelques confidences dans la chaleur de leur bateau, hélas je n'y arrive pas. La chaloupe fend l'eau doucement, avançant vers l'ombre imposante de la "Dame Blanche" qui se profile à l'horizon. L'attente est presque terminée. Le navire se rapproche, ses voiles blanches gonflées par la brise matinale, et pour la première fois depuis des jours, une sorte de soulagement me gagne. Pas un grand éclat de joie, mais plutôt une libération silencieuse. Enfin, on s’en va.

Le bateau est robuste, immense, bien entretenu, loin de l’idée que je me faisais en voyant cette île déserte pour la première fois. Un endroit qui respire la sécurité, malgré sa taille imposante. Les matelots ralentissent les rames, ajustant leur trajectoire pour qu’on puisse monter. Je me lève, jetant un dernier regard à l’île que nous laissons derrière nous. Rien à regretter là-bas, seulement du sable et des heures passées à espérer ce moment. Des cordages descendent du pont, prêts à nous hisser à bord. Séraphin grimpe en premier, son visage marqué par l’épuisement, mais avec une lueur dans les yeux, celle de quelqu’un qui retrouve enfin un peu d’espoir. Je lui emboîte le pas, agrippant la corde avec fermeté. Mes griffes accrochent la fibre, et je me hisse avec force, mon corps fatigué par l’attente mais soutenu par la nécessité de mettre fin à cette solitude.

Je finis par atteindre le pont, m’y hissant avec un effort silencieux. Le bois sous mes pieds est solide, stable, une sensation qui me rappelle ce que signifie avoir un sol sûr sous soi. Les marins s’affairent autour de nous, chacun dans son rôle, mais je peux sentir leurs regards curieux, leurs murmures étouffés.

Rien de bien méchant, juste la curiosité qu’on suscite après avoir été retrouvé sur une île isolée, au milieu de nulle part. Ce silence est déchiré par un grognement caverneux de ma part, qui écarte tout le monde de quelques pas. Désolé les amis, là, maintenant, j'ai besoin d'espace, d'un verre d'eau, d'une venaison saignante, d'un bon bain et...

Un lit à ma taille. Mais pour l'heure...

« Le Prévôt a besoin d'une unité médicale, Contre-Amiral. Est-il possible de l'escorter vers un lieu plus calme pour se reposer ? »

On pensera à la suite après. Il sait que les mots peuvent attendre. Pour l'instant, l'essentiel est fait : nous sommes à bord, en route vers autre chose, loin de cette terre vide et des souvenirs qui s’y attachent. J'ai tout le voyage pour lui raconter une longue histoire.

Le message de l'Amiral Bigorneau et son fidèle Saumâtre.

Deux enfoirés que je compte briser.

Pas de doute, il a bien en face de lui Séraphin. Les traits tirés par un trop long séjour sur cette île déserte dans état déplorable et l’esprit “Fichtrement” absent. D’ailleurs il ne dit pas un mot, faisant froncer les sourcils du Fallenswords.

*Mais que diable t’est-il arrivé mon ami ?*

La montée du colosse dans la chaloupe de la Dame Blanche fut très risquée, le Drakynn manquant de peu de faire chavirer l’embarcation. Mais il lui restait encore assez d’énergie pour garder l’équilibre et maintenir ainsi la barque à flot. Une fois à bord lui aussi, son ami d’enfance se mit à lui sourire lorsque le Contre-Amiral l’aida personnellement à prendre place à ses côtés. Ils échangèrent quelques mots même si Séraphin peinait même à s’exprimer. Ensuite Kieran se présenta en tant que Limier et et le remercia pour le sauvetage. Mais Vandaos faisait face à un mur alors qu’il avait 10 000 questions à leur poser. Comprenant que l’épreuve avait été certainement très intense, trop surement, l’Officier Général fit un signe de main à ses hommes de laisser les deux limiers en paix et de se concentrer sur leur mission. Ils avaient besoin de temps pour réaliser qu’ils étaient enfin sortis de leur enfer et pour avoir déjà vécu le même genre de cas avec Tinder, le quadragénaire respectait cela et saurait être patient. Par contre il ne l’était pas du tout avec son équipage : à peine arrivé sur le pont de la Dame Blanche, il beugla ses ordres juste après que Kieran lui annonçait que le prévôt avait besoin de soins. Et ça sautait aux yeux pourtant et comme il ne pouvait pas s’engueuler lui-même, son courroux finit par s’abattre sur les marins qui croisèrent sa route à ce moment précis.

Remuez-vos miches pour remonter les naufragés sur le pont et leur trouver un lit convenable. Allez, allez on se dépêche !

Tous les marins regardèrent le colosse avec inquiétude, sachant pertinemment qu’il n’y avait rien à bord qui pourrait convenir au Drakynn. Mais devant la mine énervée du Contre-Amiral, personne n’osa moufter. Pourtant il faudrait bien annoncer la nouvelle à l’Officier Général, ça se jouerait surement à la courte paille : tous sur ce Navire savait comme le Fallenswords pouvait rembarrer les oiseaux de mauvais augures et autres porteurs de mauvaises nouvelles.

Puis l’Enseigne Carter arriva au niveau de l’homme à l’uniforme blanc qui tout de suite lui donna des instructions.

Lieutenant Carter, allez porter immédiatement mes ordres au Capitaine Sinferd. Qu’il fasse route vers la flottille toute voile dehors, nous devons amener un officier républicain auprès d’un médecin, c’est urgent.

Bien, Amiral.

L’apprenti officier déguerpit aussi vite qu’il le pu en direction du Capitaine. Pendant ce temps-là, on transférait Séraphin dans une cabine du pont inférieur pour lui apporter tout de même les premiers soins tandis que le “Maître Coq” de la Dame Blanche accompagnait Kieran jusqu’aux cuisines pour lui fournir de quoi se sustenter : viande salée, biscuits secs et fruits des îles paradisiaques étaient disponibles pour notre naufragé.

Une fois l’orage colérique passé, Vandaos Fallenswords retourna voir le Capitaine pour s’assurer que les ordres étaient bien en application puis alla au chevet de son ami d’enfance. On lui avait panser sommairement quelques plaies mal cicatrisées, il avait bu, un peu mangé apparemment et surtout il s’était assoupi. Inquiet, Vandaos posa ses doigts sur le cou du prévôt pour vérifier qu’il était encore vivant mais effectivement, il était juste endormi mais peut-être avait-il choper une saloperie à cause de la malnutrition. Ensuite le noble républicain retourna à ses petites affaires administratives jusqu’à ce que le malheureux moussaillon qui avait été désigné pour transmettre la mauvaise nouvelle concernant le couchage du grand gaillard cornu ne se pointe à l’entrée de sa cabine pour le lui annoncer. L’Officier Général souffla, résigné.

Et vous lui avez dit ?

Non Amiral, on n'a pas osé...

Je vois.

Ce n’était pas vraiment le courage qui poussait les gens à s’engager dans la Marine, c’était la misère. C'était malheureux mais c'était comme ça. Et tous les jours cette réalité venait gifler le noble républicain.

Et que fait-il ? Où se trouve-t-il ?

Il a graillé, un sacré coup de fourchette à c’qu’on m’a dit... Et il est r’monté sur le pont, à la proue que j’l’ai vu Amiral.

Bien, vous pouvez disposer.

Le nécromancien referma le livre de compte qu’il avait ouvert quelques minutes plus tôt et jeta un petit regard songeur aux traités de magie noire qui trônaient dans sa bibliothèque et qu’il n’avait pas fini d’étudier. Lui qui croyait pouvoir finir tous ces bouquins avant de revenir à Courage, c’était peine perdue entre le travail administratif en retard et maintenant avec les mystères de Séraphin sur les bras.

Après avoir demandé à faire installer une paillasse sur le pont inférieur non loin de la cabine de du prévôt, il trouva le Drakynn effectivement à l’avant du Navire, le regard dirigé vers l’horizon.

Kieran c’est bien ça ? J’ai entendu dire que vous avez trouvé de quoi boire et manger mais on ne vous a pas affecté de lit. Malheureusement, on n’en a pas à votre... dimension. J’ai fait au mieux pour vous installer un couchage correct avec les moyens que j’ai à disposition. Vous dormirez non loin de votre collègue.

Puis le Contre-Amiral se tut, plongeant lui aussi son regard sur l’horizon. Il attendait un signe de bonne volonté du Drakynn pour le cuisiner. Certes il était curieux d’en savoir plus sur leurs mésaventures mais il savait qu’il obtiendrait bien plus de renseignements s’il ne pressait pas son informateur. Après tout, il avait vécu une histoire très traumatisante, peut-être avait-il besoin de plus de temps avant de remuer le couteau dans la plaie ?

Le repas est simple, mais après deux jours de diète forcée, il a un goût de festin. Je m’assois dans un coin de la cuisine, écrasant un tabouret qui tient par miracle, loin des conversations, les épaules lourdes de fatigue. Le bol de ragoût devant moi fume encore, et sans un mot, je me mets à manger. Chaque bouchée est dévorée avec une précision méthodique, presque automatique. La viande est ferme, le pain un peu rassis, mais cela m’importe peu. Mon corps réclame cette nourriture, et je la lui donne, en silence, les mâchoires travaillant sans relâche. Autour de moi, les marins bavardent entre eux, des éclats de voix, des rires. Je ne participe pas. Ce n’est pas mon monde, pas encore. Ici, je ne suis qu’un étranger parmi eux, un passager de passage, peut-être un survivant, peut-être juste un fardeau temporaire. Je ne sais pas encore. Et eux non plus, probablement.

Quand mon assiette est vide, je la repousse lentement. Rassasié, mais pas apaisé. La fatigue, elle, ne disparaît pas aussi facilement. Elle s’accroche, comme un manteau mouillé, trop lourd pour être retiré d’un seul geste. Je me lève, saluant d’un simple signe de tête le cuisinier avant de retourner sur le pont.

L’air est frais, le vent souffle doucement, et je me dirige vers l’avant du navire. Je trouve une place à l’écart, m’appuyant contre le bastingage, le regard rivé sur l’horizon. Rien d’autre que la mer à perte de vue. Ce vide, paradoxalement, apaise. Il n’y a rien ici à juger, rien à affronter pour l’instant. Juste le mouvement régulier du bateau, et le vaste océan.

C’est là que Fallenswords me trouve, silencieux, comme moi. Je n’entends pas ses pas, mais je sens sa présence avant qu’il ne parle. Je continue de fixer l’horizon, sans me retourner. Je l’écoute sans broncher. C’est la première fois qu’il s’adresse à moi directement, et il le fait sans brusquerie, avec ce calme qu’ont les marins expérimentés. Il est curieux, c’est évident, mais il n’insiste pas. Pas encore. Il sait que je ne suis pas prêt à m’ouvrir, pas après deux jours passés à errer sur cette maudite île, à ruminer.

Je prends une inspiration, lente et mesurée. Mon regard reste rivé sur l'horizon. Ce n’est pas de l’ingratitude. Simplement... l’esprit n’est pas encore prêt à replonger dans tout ça. Ou alors peut-être que j'ai besoin de sortir de ces tourments pour en reparler. Dans tous les cas, je suis encore au travail. Il va falloir que je fasse le nécessaire. Tôt, ou tard.

« Merci, Contre-Amiral, » Que je lâche finalement, d'une voix basse. « Le repas était... suffisant. Le couchage aussi, je suppose. Je n’ai pas besoin de grand-chose. »

Un silence s’installe, un de ces silences qui ne demandent pas à être comblés. Il ne pose pas de questions, et je ne lui offre pas d'explications. Peut-être pense-t-il que je finirai par parler de moi-même. Peut-être espère-t-il que je partagerai mes mésaventures avec lui. Mais pour l'instant, il sait attendre, et c'est ce que je respecte chez lui. Le vent se lève, plus fort, apportant avec lui l’odeur salée de la mer. Toujours la mer, infinie et implacable. Nous restons là, deux silhouettes figées, face à cet horizon qui semble ne jamais s’épuiser. Mais, l'heure tourne, et je ne peux pas rester comme ça indéfiniment.

« Le Fléau Rouge. Voilà pourquoi on devait être en mer. Ca a mal tourné. Le Prévôt s'est fait embusquer par deux navires pirates. Quand j'ai vu qu'il ne revenait pas, j'ai décidé de prendre la mer. J'ai retrouvé notre vaisseau de ravitaillement, éparpillé, englouti par les eaux. Le Prévôt, disparu. Et en face... »

Mes traits se durcissent.

« ...L'Amiral Bigorneau et le Capitaine Saumâtre. Ça vous parle ? »

Je me tourne vers lui, transperçant ses yeux avec mon regard qui venait de faire un bon dans un passé sanglant.

« Un vaisseau capable de plonger dans les mer, et un autre avec des canons qui tire sur la bordée, puis dans notre dos. C'était un carnage. »

Je finis par resserrer ma prise sur la rambarde, m'arrêtant au bon moment pour éviter d'abîmer le véhicule qui me transporte loin de ce cauchemar maritime. Je crois que je suis un peu à cran aujourd'hui.

Après avoir réussi à arracher quelques mots de politesse au Drakynn, le noble républicain lui laissa le temps de gamberger encore un peu à ce qu’ils avaient vécu et de remettre ses idées en place. Les yeux perdus dans l’horizon de cette mer qui semblait n'avoir jamais de fin, les souvenirs de son enfance à Justice rejaillissaient... Ils n’avaient que 8 ans à l’époque mais Séraphin et lui avaient fait les 400 coups ensemble. Et leurs retrouvailles à Magic ! Cette fois-ci c’était lui et ce bon vieil Arès qui avaient entraîné son ami d’enfance dans les fêtes les plus délurées de Liberty... Alors que le demi-triton à l’uniforme s’apprêtait à prendre la parole pour lui faire part de sa proximité avec le Prévôt et le mettre en confiance, le limier se mit à causer. Beaucoup d’informations en peu de mots, comme si en économisant sa parole il évitait de complètement replonger dans cette expérience traumatisante.

Amiral Bigorneau ? Effectivement il connaissait ce nom de crustacé mais dans les discours de l’Amiral Littorina, il était plutôt question de “Capitaine” Bigorneau. Kaizoku avait donc sonné le glas de Beros... Et c’était Bigorneau qui avait pris la relève, voilà une information que sa Supérieure serait ravie d’apprendre. Mais pas que, l’agent du Razkaal rapportait également des informations précieuses sur les bateaux pirates qui semblaient “booster” à la magie : impressionnant pour une bande de fripouilles. Si la Marine ne prenait pas le contre-pied, elle risquait de perdre le dessus un jour ou l’autre.

Humm... Ces noms me parlent effectivement. Même si je constate que Bigorneau a pris du galon d’après vos dire.

Vandaos était songeur mais plutôt que de poser ses questions, il ressentit le besoin de partager avec Kieran son passé commun avec le Prévôt. Pour lui aussi c’était une affaire personnelle désormais et il était important que le limier soit au courant.

Séraphin n’est pas du genre bavard et ne vous a surement jamais parlé de moi je présume.

Le regard du Contre-Amiral se posa alors sur les mains du Drakynn qui étaient à deux doigts d’éclater le bastingage. Puis il se reporta sur le visage du colosse.

Notre amitié est née d’une succession de rencontres impromptues et en voici le troisième acte visiblement.

Un petit sourire aux lèvres en repensant à toutes les bêtises d’enfants qu’ils avaient pu faire ensemble dans les rues de Justice, le regard du demi-triton replongea dans l’horizon marin.

Notre première rencontre, c’était il y a plus d’une trentaine d’années. Je venais de perdre ma mère et les virées avec ce gamin de l’orphelinat était pour moi une bouffée d’oxygène, me permettant d’échapper à mon quotidien morose de petit “gosse” de riche déboussolé et persécuté par un père élitiste au possible. Séraphin n’avait rien, il n'avait personne encore à cette époque-là. Mais pourtant je l’enviais pour une seule et unique raison : sa destinée n’était pas toute tracée comme la mienne, il semblait tellement libre. Comme j’étais naïf, lui non plus n’a jamais vraiment eu le choix finalement... A l’époque c’était le gamin bizarre qui avait toujours des idées un peu folles pour nous distraire. Et un jour les OR ont fini par balancer à mon paternel le petit manège, la fête était finie.

L’amertume dans la voix de l’Officier Générale était palpable, les années suivantes avaient été très dures à supporter pour le noble républicain qui avaient dû alors se réfugier dans les livres de nécromancie dans le secret espoir de faire revenir sa mère...

Et quelques années après mon arrivée à l’Université, j’ai eu le plaisir de recroiser Séraphin pendant près d’une année scolaire. J’avais pensé qu’il aurait mal fini, comme les autres de l’orphelinat qui finissaient tous plus ou moins par accepter des petits boulots de malfrat... Mais non, il avait eu la force de caractère pour faire le bon choix et de défendre les intérêts de notre belle nation bleue au sein des Limiers. A cette époque, avec Arès, on formait un trio d’enfer... C’est aussi à cette période qu’il m’a avoué pour ses petites voix dans la tête, celles qui lui donnaient de supers idées quand nous étions enfant. J’ai bien essayé de trouver un truc pour le débarrasser de sa malédiction mais sans succès, mon don n’est pas vraiment de soigner ce type de maux malheureusement.

Son passage à Magic terminé, je ne l’avais plus recroisé mais au moins je savais qu’il avait bien tourné. Et voilà que je le retrouve aujourd’hui en votre compagnie, sur une île déserte... Rescapé d’une attaque pirate donc.

Le regard rubis du quadragénaire plongea alors dans celui du limier, renforçant la conviction des mots qu’allaient utiliser l’Officier.

Séraphin est quelqu’un qui compte beaucoup également pour moi et je ne pourrais pas me regarder longtemps dans une glace si je ne faisais pas tout ce qui est en mon pouvoir pour mettre un terme aux agissements de ceux qui vous ont fait ça, j’en fais une affaire personnelle. Il se trouve que j’ai une flotte à ma disposition et ma famille dispose également d’énormément de ressources : vous aurez votre revanche, vous pouvez compter sur moi. Par contre il me faut tous les détails, vous devez surement avoir glané des informations pour nous permettre de remonter jusqu'à leur repaire peut-être ?