L'air s'épaissit.

Le vent siffla de nouveau.

Les deux orbes noires de Lyra ne quittaient plus le démon.

Il n’y eu aucun flash, aucun son, rien de matériel ou d’ostensible pour accompagner la magie.

L’instant d’avant le Démon était en présence de la Tovyr, sa griffe tendue vers elle en une inégale invitation à concourir sur la balance d’une lutte éternelle entre les Titans et les Mortels, la seconde suivante, sans même qu’elle ne cligne des yeux, l’entité macabre de Savoir disparu subitement. Il ne laissa comme seul témoin de sa présence que le faible mouvement de l’air qui se rua pour combler le vide laissé par sa disparition. Suite à cette volatilisation immédiate, la tension semblait momentanément avoir disparue, les hommes d’arme à l’extérieur de la bibliothèque qui s’étaient écartés se rapprochèrent légèrement de l’entrée éventrée du bâtiment pour constater l’absence soudaine de la menace, tandis que les gardiens du Berceau se consultèrent du regard. Que le monstre disparaisse ainsi était étrange, presque trop facile, il y avait une certaine crainte qui s’élevait cependant dans le coeur de certains: si la Tovyr même avait décidé de s’écarter du chemin de la créature et que celle-ci se retrouvait maintenant ailleurs, qui sait ce qu’elle pourrait faire? Avaient-ils échoué à contenir une menace pour les habitants de l’Empire? Et si le Démon macabre remettait en cause la sécurité des reikois et que même leur officière ne pourrait pas le stopper, qui le ferait? Les rumeurs commençaient déjà à se propager au sein des troupes qui accompagnent la Tovyr, certains disent que leur supérieure savait ce qu’elle faisait, qu’il fallait lui faire confiance, d’autres commencent à supputer qu’ils allaient maintenant alerter la Griffe.

Les conversations furent coupées nettes lorsque la Tovyr ressorti enfin de la bibliothèque en ruine, tous attendaient que la gradée se prononce ou non, qu’elle ne dise quelque chose à ses hommes ou qu’elle ne les redresse en leur intimant de lever le camp sans réfléchir. Tous suspendus à ses lèvres, ils la regardèrent, mais ce ne furent pas les mots de la Tovyr qui parvinrent en premier à ses oreilles.




Dans un crépitement incandescent, le ciel se fendit en deux le long d’une faille lumineuse à l’intensité aveuglante, l’arc de lumière grossit en se séparant en deux bordures pour révéler à l’intérieur de sa forme, les géométries d’un oeil azuré aux proportions colossales. Perché à une cinquantaine de mètres dans le ciel, l’optique magique darde son regard en direction de la terre et une voix puissante et féminine retentit dans l’espace.


L’oeil se démarque de la voûte nuageuse en éclaircissant les cumulus, son irradiante présence baigne d’une teinte bleutée les armures des soldats et les chaumes des maisons, plongeant la scène dans une ambiance onirique qui, d’après les très récentes rumeurs des survivants de Kaizoku, pouvait virer d’un instant à l’autre au cauchemar. Il n'en fut rien, l'augur sentenciel disparu sitôt après avoir prononcé sa prophétie:


À Sable-d’Or, la paix pour laquelle le Reike s’était battu semblait menacée par le retour d’engeances titanesques sur Sekaï en la figure des Archontes. À Sable-d’Or, quelque chose s’achevait.

À Bénédictus, l’Arbre-Monde corrompu commençait à devenir instable, sa magie affaiblie par l’influence titanesque rémanente attirait le regard des Veilleurs de l’Aurore et des Cultistes de Kazgoth. À Bénédictus, quelque chose commençait.

Mais ici, Savoir regarde en Lyra le bourgeonnement du potentiel humain, l’éclosion d’une fleur à la croisée de son destin et qui pouvait maintenant s’épanouir ou se faner, et Savoir la suivra avec le plus grand intérêt.

Ici, quelque chose observe.