« Voilà l’épée… » Déclara Lysandre, jetant cette putain d’épée au sol comme si ce n’était qu’un vulgaire objet sans valeur. Et, peut-être était-ce le cas, après tout ? Peut-être Corvus voulait-il se débarrasser de Nordan à cause de l’incident survenu avec ce bon vieux Reinhard. Ou peut-être pas, allez savoir. Quoi qu’il en soit, nos héros semblaient avoir réussi à s’échapper d’une mort certaine et, de peu, à en juger les blessures sur leur corps. Mais, le mercenaire n’avait pas que cette épée à proposer à Nordan. Durant l’effondrement, il était parvenu à se mettre en lieu sûr pour ensuite, aller chercher cet enfoiré.

« Et voilà le sac à merde qui avait cette épée de merde. » Fit-il, tout en jetant l’homme qu’il tenait par le colbaque. Naturellement, avant de passer à l’interrogatoire forcé, le mercenaire alla aider Alaric à se relever, qu’il puisse constater l’étendue des dégâts provoqués par sa puissance phénoménale. « Eh bah mon vieux, je suis content de ne pas avoir à me battre avec toi ! T’es pas le dernier des clochards on dirait et, encore mieux, t’es pas un simple mage, je me trompe ? » Demanda Lysandre, tout en maintenant ses prunelles aciers dans le regard du Mage d’État. Puis, après quelques secondes et surtout, après que ce dernier lui ait répondu, le regard assassin du lointain neveu de Corvus s’ancra dans celui du débile qu’il avait réussi à récupérer dans les débris.

« Bien, bien, bien. Alors, à nous deux, mon petit. Trois, devrais-je dire. Où as-tu eu cette putain d’épée ? Hein ? Et je te préviens, t’as intérêt à très, très, très vite nous le dire, parce que ça fait une journée que j’ai quitté mon domicile et, je commence à grandement perdre patience. Alors, parle, tout de suite. » Cracha Lysandre, sans avoir besoin d’être plus convaincant que cela pour que son interlocuteur daigne ouvrir la bouche.

« Oh, oh, ça va ! Je vais vous dire ce que je sais. En fait, je ne sais rien, c’est un de mes larbins qui me l’a rapporté en disant que ça appartenait à quelqu’un de riche, c’est tout. C’est comme ça que marche notre business ici, c’est comme ça qu’on arrive à survivre, en volant au riche. Parce que, voyez-vous, avant, notre famille était spécialisée dans l’esclavage mais, avec les règles en vigueur installées par l’impératrice et la disparition du prince Vaenys, nous sommes pauvres, nous avons tout perdu. Ces combats clandestins me permettrent, entre autres, de subvenir au besoin de ma famille et… » Commença-t-il à dire, avant de se faire interrompre, non pas par des paroles, mais par un geste venu de Lysandre.

Ce dernier alla ramasser l’épée du Cœur et, il prit Alaric sous son aile pour l’emmener quelques mètres plus loin. De là, il lui confia l’épée et, il prit la parole.
« Alaric, je sais qu’on ne se connaît pas. D’ailleurs, je me permets de te tutoyer parce que, merde, on vient du même milieu, non ? Et justement, je pense que nous devrions lui laisser l’épée. Ne t’en fais pas pour la réaction qu’aura le Cœur en apprenant que nous revenons sans, ce n’est pas un drame en soi. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais je te laisse l’épée, donc, je te laisse la liberté de choisir le destin de cet homme qui est là-bas. Prends ta décision et après, retournons auprès de Corvus. » Murmura-t-il, en se retournant parfois pour s’assurer que sa prise ne bougeait pas d’un poil. C’était assez inhabituel pour un mercenaire de faire ce genre de chose, mais disons que son salaire était assuré, alors il n’avait pas besoin de revenir avec l’épée.

L'épée cessa vite de glisser aux pieds du mage après avoir été jetée. Son agacement s'entendait dans sa voix, avant qu'il ne présente leur prisonnier en le balançant lui aussi sans ménagement. Le Reikois le fixa, le voyant déjà se ratatiner, ne sachant pas le sort qui lui serait réservé. C'était cela le chef du bordel d'arène ? C'était lui l'instigateur du vol de l'épée ? Il peinait à le croire. Ne s'étaient-ils pas trompés ? Non... C'était bien lui qu'ils avaient chopé.

Lysandre le rejoignit pour l'aider à se relever. Alaric se retint de grimacer. Cette impression d'avoir été piétiné était toujours présente. Une fois debout, il prit le temps d'attendre que ses jambes flageolantes arrivent à le soutenir sans devoir rester accroché au mercenaire. Il n'avait pu s'empêcher de grogner une seconde encore, quand il remercia son compagnon de son coup de main. Celui-ci n'eut aucune réticence à savoir s'il était bien plus qu'un simple mage. En voyant l'insistance dans son regard, Alaric ne put s'empêcher de se gratter l'arrière de son crâne, un peu pris au dépourvu.

"Non, en effet, je suis bien plus qu'un simple mage. Je sers dans les FMR..."

Et c'était tout ce qu'il avait besoin de savoir. Rien que cette information pourrait suffire à remonter jusqu'à ses véritables fonctions. Mais Lysandre était un homme loyal à Corvus, quel intérêt aurait-il à poignarder un mage venu aider à retrouver un de ses biens ? Un bien qui avait provoqué un sacré bordel. Lysandre, qui était déjà bien énervé de la mission à récupérer cette lame, exigea à l'autre crétin tremblant de répondre à ses questions. Le pauvret ne joua pas les réticents.

Là où Alaric s'attendait à un complot contre le vampire, le Cœur même de l'Empire, ce fut tout autre chose qui parvint à ses oreilles. Un simple vol pour assurer la survie d'un groupe... Les dernières pièces du puzzle se mirent en place. Cela expliquait pourquoi il y avait l'implication de la famille Akli dans tout ce bazar. Il eut envie de passer sa main sur son visage.

Il voulut balancer à son tour sa frustration, mais Lysandre le mena un peu à l'écart, une fois qu'il eut ramassé l'épée de Corvus. De savoir qu'il devait, lui, prendre une décision vis-à-vis de l'épée et de l'avenir de cet homme manqua de le faire blêmir un peu. Lysandre lui imposait un sacré choix à faire, mine de rien ! Heureusement, il sut se ressaisir, faisant un signe que tout allait bien.

"Ça va, c'était juste un petit vertige."

Bon, cette décision à prendre. Il regarda sombrement l'épée et la saisit.

"Très bien..."

D'un pas décidé, il se rapprocha de leur prisonnier, ses doigts crispés sur la poignée de l'épée.

"De par ce vol et notre kidnapping, vous mériteriez que justice soit appliquée. Mais je laisse le destin décider de ton sort, des choix que tu prendras dès aujourd'hui, pour que toi et les tiens cessiez ces combats clandestins, qui restent assimilés à une forme d'esclavage. D'autres familles et clans ont réussi à trouver une voie autre que celle du commerce des esclaves et de ces combats. S'ils ont pu, alors c'est faisable pour vous aussi."

Ses lèvres se pincèrent. Il ne devait pas laisser d'opportunité à ce que ces gens-là recommencent leurs sales activités.

"Tu auras deux mois pour trouver une alternative. Je saurai m'assurer que des représentants officiels viennent passer au domaine pour une inspection. De la réussite ou de l'échec... je te laisse deviner la suite. Et cette épée, je veillerai à ce que tu ne saches point remettre la main dessus. Ah, et dernier point : tiens ta langue de ce qui s'est produit. Cela n'irait pas en ta faveur durant ces deux mois qui commencent maintenant..."

Il passa la lame de Corvus au travers de sa ceinture pour la caler et mieux la transporter. D'un hochement de tête, il fit signe à Lysandre qu'il était temps de partir. Il demeura silencieux jusqu'à ce qu'ils rejoignent leurs montures et qu'ils prennent la voie du retour. Quand le domaine ne fut plus en vue, Alaric chercha quelque chose de précis dans le paysage désertique.

"Dirigeons-nous vers ces rochers..."

Une fois qu'ils y furent arrivés, Alaric mit pied à terre et tira l'épée de sa ceinture. Il ferma les yeux et dut se concentrer pour que les rochers s'écartent. Une faille s'ouvrit au cœur du plus gros des rocs et là, il y jeta l'épée, avant d'imposer à la matière rocailleuse de se refermer et de reprendre sa forme initiale.

"Dans ce fourreau de pierre, personne ne saura où se trouve cette épée. Personne ne pourra l'employer pour de pathétiques spectacles, ou en faire un mauvais usage qui nuira tant au Cœur qu'à l'Empire."

Il eut envie de soupirer. Tout cela pour cette putain d'épée.

"Je te laisse le soin de trouver une histoire valable à raconter au Cœur quant à son épée, qui ne lui sera jamais restituée..."

Les prunelles d’acier de Lysandre observèrent l’épée de Corvus… cette putain d’épée de merde, tomber dans un gouffre de pierre créé par le Mage d’État. Lysandre était mitigé. À vrai dire, il ne savait pas quoi penser de la situation. Devait-il être encore plus énervé par le geste d’Alaric ou, au contraire, devait-il le remercier ? Il n’en savait rien. Son regard alla se perdre au loin, dans le désert séparant la capitale de Taisen. Il regardait le sable s’envoler au gré des coups de vents qui venaient à la fois soulever des nuages de poussière et, à la fois soulever sa chevelure brune.
Que devait-il faire ? Sa respiration s’accélérait... ses poings se serrèrent. Qu’est-ce que le Cœur allait penser de tout cela ? Qu’allait-il penser du geste d’Alaric ? Il était certain qu’il lui voudrait du mal, rien que pour avoir osé lui désobéir. Pour autant, il s’était, d’une certaine manière, lié d’amitié à cet homme avec qui il avait vécu une chasse à l’homme à la fois étrange et intense.

Ce n’est qu’au bout de quelques dizaines de secondes à regarder au loin que son regard vint s’ancrer dans celui d’Alaric. Un léger sourire amical venait décorer ce visage marqué par de nombreux combats.

- « Je te remercie, Nordan. Cette journée vécue à tes côtés était tout ce dont j’avais besoin pour voir plus loin que la servitude. Je ne pensais pas avoir un jour envie de me rebeller contre Corvus, bien que je lui sois loyal et pourtant, cette maudite épée m’a prouvé le contraire. »

Il fit une légère pause, avant de reprendre.

- « T’es un mec bien, Nordan. S’il venait à apprendre ce que tu viens de faire, il est certain qu’il serait fou de rage. Alors, je m’occuperai de trouver une excuse bidon et, j’encaisserai sa colère à ta place. Je dirai que nous avons été pris en guet-apens et, que cette putain d’épée est restée sous les décombres de l’arène. C’est le mieux à faire. »

De nouveau, il prit une pause, reprenant son souffle.

- « Quant à toi, tu ferais bien de rentrer chez toi. Je dirai que tu as été blessé et que j’ai dû t’emmener au centre de FMR le plus proche. Il te… je ferai en sorte qu’il te paie tout de même, en lui disant de te dédommager grassement pour les blessures subies. »

Il se retourna et, commença à marcher en direction de la capitale, sans attendre Alaric. Il leva la main, en signe de dernière salutation.

- « Bonne continuation, mon ami. J’espère de tout cœur que nous nous reverrons, dans de meilleures circonstances. »


Quelques heures plus tard, alors que la nuit venait tout juste de tomber sur la capitale du Reike, Lysandre se présenta à Corvus, sans son épée. Même s’il voyait le regard menaçant que lui lançait son maître, il se devait de raconter les déboires qu’Alaric et lui avaient vécus.

- « Maître Sanariel. Je suis navré, mais nous n’avons pas réussi à récupérer l’épée. Nous nous sommes fait prendre en guet-apens et, alors qu’elle était à portée de main, un bâtiment s’est écroulé sur nous. Nordan était blessé alors, je l’ai conduit au centre des FMR le plus proche et, je lui ai affirmé que vous le dédommageriez. »