Poussée par le besoin je m’étais finalement laissée appâtée par la grosse prime promise pour la tête du mystérieux inconnu qui semait la terreur parmi les habitants des contrées du nord. Malgré mon aversion envers les chasseurs de prime et autres personnages mettant un prix sur la vie d’autrui, je me retrouvais à devoir m'acquitter d’une besogne similaire. Au moins m’avait-on fait comprendre que c’était pour la “bonne cause”... si tant est qu’il y en ait une.

Mes récentes aventures m’ayant délestée de mes dernières économies, je n’avais pas hésité longtemps avant d’accepter l’offre d’emploi de la silhouette encapuchonnée, rencontrée au détour d’une taverne dans laquelle j’usais mes dernières piécettes. La conversation fut aussi brève que succincte et je n’en tirais que deux informations véritablement utiles : le nom de la cible, Araldor, ainsi que celui de l’autre personne qui allait m’épauler dans cette quête.

L’annonce en elle-même était un peu vague et parlait d’un homme à la carrure imposante et à l’aura mystique menant des raids éclairs sur les populations nordiques du Reike et causant la panique au sein des troupes et des populations avant de disparaître aussi vite qu’il était venu. Cette histoire ressemblait plus à un conte destiné à faire peur aux enfants qu’à une véritable mission mais la récompense offerte pour mettre fin aux agissements de cette créature suffisait à faire taire mes doutes.

Je repensais à tout cela tandis que je courais maladroitement sur le sol boueux et froid  de la toundra nordique. Je m’étais levée tardivement ce matin-là, ayant passé une nuit effroyable, tourmentée par l’idée de devoir jouer avec la vie d’un autre. Pour ne pas arranger les choses, j’arrivais au point de rendez-vous fixé par le commanditaire avec plus d’une heure de retard pour finalement constater qu’il n’y avait personne. -“ Superbe "- N’ayant d’autre alternative, j’avais pris la direction du village un peu plus au nord où notre homme aurait été aperçu pour la dernière fois, en espérant que ma compagne d’infortune ne s’était pas juste défilée au dernier moment.

Le village en question était aussi triste et désolé que les mornes paysages environnants du nord. la quasi-totalité de la populace semblait avoir abandonné les lieux après le passage de notre mystérieux guerrier et les quelques habitants restants se terraient dans leurs chaumières, se contentant de guetter mon passage depuis les ombres de leurs fébriles habitations.

Je balayais les alentours du regard et, au travers de la condensation provoquée par mon souffle encore haletant, une silhouette retint mon attention. Celle-ci se démarquait largement de par la beauté fragile de son anatomie et les couleurs chatoyantes de ses atours. De toute évidence, elle n’était pas du coin. S’agissait-il de la personne supposée m’épauler ? Au premier coup d’oeil, elle n’avait pas franchement l’air d’être taillée pour ce genre d’expédition. Enfin, l’étais-je moi-même réellement…

N’ayant qu’une seule solution pour en avoir le coeur net, je parcourais les quelques mètres nous séparant et, avant que je ne puisse élever la voix afin de m'annoncer, l’inconnue se retourna, me prenant de court. Au moins j’avais vu juste.

“ Oui, c’est bien moi, et toi tu dois être Zenaka. Navrée pour le retard. ”

Lorsque ma compagne me demanda si j’étais versée dans les soins et les enchantements, je manquais de peu d’éclater de rire, me contenant de justesse. À la place, je me contentais d’afficher une moue exagérément amusée.

“ Navrée de te décevoir mais à moins que mon arme -je pointais du pouce la lourde lance en métal attachée dans mon dos- ne se transforme en seringue, je ne pense pas pouvoir soigner quoi que ce soit, haha ! ”

Je n’ignorais cependant pas la remarque hautaine de ma partenaire.

“ Mon truc à moi c’est plutôt le corps à corps et la métalomancie, mais je suis certaine que TOI, princesse, tu auras un atout à jouer le moment venu. ”

Avant qu’elle n'ait eu le temps de répondre, je haussais les épaules avant de me retourner afin de scruter une nouvelle fois les environs. Inutile d’envenimer davantage la situation. Le dénommé Araldor, avait laissé de sacrées séquelles lors de son passage dans ce petit hameau et il s’agissait à présent d’en tirer les bonnes informations.

“ Puisque tu étais là avant moi, tu as déjà repéré quelque chose d’utile à notre chasse à l’homme… ou quoi que soit cette entité ? ”

Moi ? Vexée ? Nooon. Ce ne sont pas les paroles un peu désobligeantes d’une parfaite inconnue qui allaient m’irriter tout de même, n’est-ce pas ? Quoi qu’on en dise, j’attendais à présent les informations demandées à ma “partenaire” en grommelant dans le col de mon manteau, faisant mine de scruter le paysage à la recherche d’indices.

“ Gneugneugeu, pas très utile, gneugneugneu… j’t’en foutrais moi… ”

Il n’y avait rien d’autre autour du village dévasté que des kilomètres et des kilomètres de landes désolées, froides et boueuses. La perspective de passer les prochains jours à patauger dans le coin n’était déjà pas particulièrement amusante mais le faire en compagnie d’une petite pimbêche l’était encore moins ! Au moins je tirais une petite satisfaction, bien que légèrement malsaine certes, en constatant que ma petite pique avait fait mouche également. Je me gardais toutefois bien de le montrer, évidemment.

- Plutôt du type sorcière donc, voilà qui semble t’aller comme un gant. -

Voilà ce que j’aurais déclaré si je n’avais pas à cœur la réussite de cette mission, pour la paye et le bienfait des habitants.

“ Ma foi, avons-nous vraiment plus de détails que ça sur notre mission ? Peut-être qu’un bon coup sur le crâne suffirait à satisfaire tout le monde… ”

Je n’étais pas particulièrement ravie à l’idée de massacrer un homme sans autre justification que mon empressement, et le manque évident d’alternatives s’offrant à nous, mais quelque chose me poussait à croire que plus vite on en aurait terminé avec tout cela, mieux nous nous porterions.

“ Si l’homme est possédé, je ne peux rien pour lui. En revanche, si quelqu’un le contrôle ou le force à agir ainsi, nous pouvons toujours nous débarrasser de celui qui tire les ficelles dans l’ombre pour le libérer… je suppose. ”

Je hochais les épaules en reportant mon attention sur ma partenaire d’infortune.

“ Tu dois sans doute mieux t’y connaître que moi sur le sujet, je pense. ”

Je me retournais avant de me rapprocher de la fae et des décombres gisant à ses pieds.

“ S’il le faut, je peux toujours tenter de l'immobiliser le temps que tu te fraies un passage jusque dans sa tête. ”

L’ambre et le pourpre de nos pupilles se faisaient écho tandis que nos regards s’embrassaient

“ Je ne suis certainement pas la meilleure pisteuse du Reike, mais la chasse à l’homme ça me connaît un peu. Si notre homme nous a laissé des traces plus “tangibles”, je devrais pouvoir faire quelque chose. ”

Je m’agenouillais à côté des écrits énigmatiques gravés à même le bois de ce qui restait d’une porte de chaumière. Mes yeux sondaient les alentours à la recherche de la moindre trace, du moindre indice pouvant nous guider.

“ ça n’a vraiment aucun sens… pauv’ gars… ”

Soudain, un élément attira mon attention. À quelques pas de là, des branchages brisés et des herbes écrasées. Me rapprochant de l’endroit en question, je constatais que notre mystérieux bonhomme semblait nous avoir laissé une grosse empreinte de panard.

“ Eh, il semblerait que notre homme ne soit pas si fantomatique que ça finalement, il nous a laissé de bonnes traces ! ”

Je pointais du doigt la direction approximative dans laquelle notre cible semblait vouloir se diriger.