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Citoyen du monde
Rêve
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Le corbeau effectua une spirale aérienne lorsque son accompagnatrice lui fit remarquer avec rancœur l'incohérence de son propos. Intelligente, bien plus qu'il ne l'avait jaugé de prime abord. Le volatile se figea face à la lumina, lui octroyant de biais un regard lourd qu'accompagnait un bien cruel silence. L'espace d'un instant, la silhouette de la créature au plumage de jais se fit confuse, difficilement compréhensible pour l'œil de celle qui avait noté sans encombre sa malhonnêteté, ce avec cette même adresse qui lui avait permis de comprendre les véritables intentions de l'engeance démoniaque.
La silhouette de l'animal se stabilisa prestement, ne laissant que furtivement présager ce qui allait suivre. Cette légère altération formelle pouvait sembler des plus anodines mais ceux qui avaient eu le déplaisir de s'en faire témoin un jour savaient qu'elle était la marque, chez le Voyageur, de l'amorce d'une manœuvre aussi rarissime qu'elle était terrible. Ce mirage, perceptible seulement pour ceux dont les yeux s'étaient affutés, était une annonce de mort imminente.
Il y eut une bourrasque créée au passage d'une masse invisible, suivie d'un froissement bruyant semblable de bien des manières à celui du tissu déchiré sauvagement. La lumina sentit poindre au niveau de son bas-ventre une douleur aussi vive que soudaine et réalisa, avec une évidente stupéfaction, que son flanc gauche avait été perforé d'un seul coup par un objet invisible dont les formes se révélaient par le sang qui le maculait. Il n'y avait eu ni menace, ni signe annonciateur de cette trahison subite. Par dessus son épaule, la demoiselle médusée par la souffrance entendit les voix profondes de la créature chimérique :
"Pardonne moi, douce rêveuse."
Dans un crépitement arcanique, Rêve se remanifesta, révélant enfin la nature de sa sournoise supercherie. Habile maître des illusions, il avait laissé sur place un leurre détenant la forme de son corps d'emprunt pour s'immiscer furtivement derrière sa proie en se nappant d'ombre, trouvant dans la passagère confusion de sa cible un moment d'égarement parfaitement adapté pour trouver une fenêtre d'assaut. Aussi cruelle qu'implacable, son approche d'une absolue vilénie avait au moins le mérite de s'être avérée efficace. L'une des mains de Rêve apparut et dans sa paume se trouvait une orbe qu'il vint broyer entre ses doigts puissants. Des cris d'âmes en peine résonnèrent dans le vide et la magie obscure afflua, dotant ainsi la chimère de la force phénoménale que lui procuraient les pleurs et la fidélité des siens.
Arborant sa forme originelle, le monstre eut au moins la décence de revêtir ses propres traits pour s'adonner à ce crime irréparable dont il venait de se rendre responsable en dépit de toute vraisemblance. Ses mains griffues, trop douces pour être dotées d'une force si démentielle, se refermèrent sur les épaules d'Iris tandis que la queue terminée en lame dont il avait usé comme d'une arme s'enfonçait plus profondément dans la plaie, arrachant la chair sur son passage et rapprochant toujours plus la malheureuse de cette fin macabre qu'il avait orchestré pour elle. Les serres de l'être aux mille visages remontèrent jusqu'à la gorge de la lumina, détourant les contours de son faciès si splendide avant de se perdre dans la cascade de sa chevelure qui voletait au vent. Rêve ouvrit son bec de carnassier et tout en rivant sur Iris un œil dont les reflets impensables laissaient entrevoir des galaxies imaginaires, il lui dit avec une douceur détestable :
"Tu étais absolument magnifique, destinée à un avenir dépassant l'entendement des mortels. Malheureusement, tu aurais insinué chez mes fidèles un doute et des angoisses que je ne pouvais me permettre de tolérer."
Les deux corps basculèrent en avant et les trois paires d'ailes titanesques de Rêve cessèrent de battre et ensemble, ils entamèrent ainsi une chute aussi vertigineuse qu'inexorable, un piqué fatal dont l'issue ne pouvait être que le trépas. Le passage de l'air sur leurs corps se fit assourdissant, la vitesse devint hallucinante. Rêve conservait face à l'inéluctable un calme divin et vint amoureusement caresser la joue de celle qu'il avait meurtri tout en extrayant de la chair de sa cible son excroissance affutée. Dans une gerbe sanglante, la lance reforma l'éventail de plumes multicolores et vint parsemer les cieux d'un crachin écarlate. Ils continuèrent de tomber mais le temps, curieusement, sembla se dilater.
"Nous aurions pu tant accomplir ensemble, mais tu représentais déjà un danger trop grand. Ton monde et ses défis sont d'une incomparable rudesse, vois-tu ? Peux-tu comprendre les risques qu'auraient alimenté ta survie ?"
Une brume violacée émana du bec de la bête, s'insinuant dans la bouche de la blessée dont le sang s'écoulait en gerbes colorées. Ses muscles crispés par la torture qu'elle subissait s'apaisèrent un peu, son cœur affolé parvint à rétablir passagèrement son rythme. En guise d'ultime offrande avant la déchéance, il lui offrirait par amour le plus beau rêve qu'il pouvait lui sculpter.
"Ta conclusion est injuste, je le sais, mais nous ne pleurons pas nos morts car nous savons que nous les retrouverons sur le plan suivant. Je ne t'oublierai pas, ma tendre enfant. Dans mon nouvel univers, je te recréerai. Je te ferai plus heureuse et splendide que tu ne l'as jamais été en ce bas monde. Tu seras une idole, une déesse aimée de tous. Je t'en fais le serment."
Le brouillard onirique vint s'épaissir. La vision d'Iris se troubla.
"Dors, s'il te plait. Rêve et trouve la plénitude dans le songe que je te bâtis."
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"Le plus intime des amis devient parfois le plus effroyable des ennemis." - Extrait d'un conte oublié... à moins que ça ne provienne d'une chanson, ou bien d'un poème.
Ou peut-être que ce n'était qu'un fragment d'imagination délirante auquel Iris avait donné vie. Elle avait cru être prête à confronter le démon et ses manigances, lui arracher des réponses, se laisser convaincre, déchiqueter sa forme incorporelle, ou alors fuir. Mais elle n'aurait jamais cru que l'élément sur lequel elle avait une totale maitrise puisse un jour lui faire défaut, si sa vision était loin d'être irréprochable, sa perception de l'air était si exceptionnelle que seule une poignée d'individus dans tout Sekaï pouvaient se targuer de lui arriver à la cheville, et il était probable qu'elle puisse compter sur les doigts d'une seule main ceux capables de la surpasser, peut-être même que la légendaire Storm était la seule.
Et pourtant, la plaie dans son flanc était bien réelle. Elle avait envisagé une traitrise du démon beau parleur mais pas qu'il soit capable de tromper sa vigilance d'une telle façon. Qu'il puisse s'insinuer de force dans sa tête, elle n'aurait rien pu y faire, mais qu'il puisse se soustraire à son œil pour frapper... Il n'aurait pas dû en être capable, elle l'aurait senti venir. Mais pouvait-elle encore sentir quoi que ce soit ? Une Iris en pleine possession de ses moyens aurait déjoué un coup bas de la sorte sans aucune difficulté, mais celle qui venait de se faire poignarder était au bout du rouleau. La chaleur ardente qui circulait dans son corps était éphémère, l'adrénaline et l'émotion ne pouvaient dissimuler son état physique et émotionnel proprement lamentables.
Tout avait été si soudain, le corps de la lumina s'était figé sous l'effet de la surprise, même son sang semblait refuser de s'échapper par la plaie béante qui lui perforait l'abdomen, abasourdi par un tel vice. Elle ne parvenait plus à respirer, même quand l'ignoble créature vint planter ses griffes dans ses épaules, elle ne bougea pas d'un pouce, paralysée. Ce n'est que lorsque l'excroissance s'enfonça encore plus loin dans son flanc que le sang accepta enfin de couler et qu'une bouffée d'air parvint à se faufiler jusqu'à sa gorge. Le cri avec lequel il aurait dû ressortir en revanche, n'arriva jamais.
Une douleur foudroyante se propageait à toute vitesse dans ses nerfs, les divers tendons et membranes se déchiraient les uns après les autres sous le passage de la queue grotesque et il n'y avait absolument rien qu'elle puisse faire pour y remédier, ses membres ne lui obéissaient plus.
La vois doucereuse de l'infernale créature vint lui cajoler les oreilles, même en plein milieu d'un acte aussi méprisable, il continuait à susurrer ses paroles mielleuses au goût de fiel. Iris essaya vainement de porter une main à sa blessure pour stopper l'avancée inexorable du poignard improvisé mais c'était impossible, elle ne pouvait qu'écouter son meurtrier enrober sa traitrise d'un ton réconfortant.
Puis le monde se tourna de travers et Iris perdit toute notion d'équilibre, une fois de plus elle allait chuter et une fois de plus, elle serait seule à l'arrivée, la seule différence étant que cette fois-ci il n'y aurait aucune douleur, il n'y aurait même plus de sensations en dehors d'une fièvre brumeuse. La pique éthérée ne lui labourait plus le flanc au moins, son sang allait pouvoir couler librement au lieu de se buter à un bouchon mal ajusté.
Au bout du compte, elle avait échoué du début à la fin, elle n'avait jamais tissé de liens durables avec les siens, les liens qu'elle avait tissés s'étaient élimés jusqu'à disparaitre dans le flot inlassable du temps, l'œuvre de sa vie gisait sous les décombres maudites de sa patrie, et elle ne parviendrait jamais à accomplir son but futile de perfection élémentaire. Et maintenant qu'elle se précipitait vers sa fin, elle sentait qu'elle ne retrouverait pas l'étreinte primordiale qui lui avait donné naissance.
Nulle leçon à retenir, pas de troubadour pour conter son histoire, sa lumière s'éteindrait loin des yeux de tous et elle finirait oubliée.
Sa conscience n'atteignit jamais le sol.
Quand elle rouvrit les yeux, Iris se rendit compte qu'une main était tendue à son intention, manifestement elle s'était encore vautrée de façon spectaculaire. Machinalement, elle empoigna la paume accueillante pour se relever, et puis elle leva les yeux.
- Et bien, ta journée n'a pas été de tout repos ma chérie. Cette voix si familière, tout droit ressurgie d'un écho lointain du passé...
- Mère ?
- Ha ha... moi qui pensais que tu aurais oublié après tout ce temps. C'est vraiment une chance formidable de pouvoir vivre aussi longtemps, quelle dommage que ça ait dû se finir de cette façon.
- Jamais je n'aurais pu oublier je... merci d'être là, mère. Iris hésita avant de reprendre lentement. - Je ne pense pas que ce soit une bénédiction, malgré cette longévité, je n'ai rien pu accomplir qui ait du sens. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire...
- Pourquoi donc ? Je suis sûre que toutes ces gens que tu as rencontrées ont été très heureuses de ta présence, tu te fais trop de soucis. Et si ça te tracasse vraiment trop, dis-toi que tu n'es pas la seule à essayer. Et qui sait, peut-être auras-tu l'opportunité d'y retourner toi-même un jour ?
- Mais à quoi bon si ultimement, ça n'aboutit à rien de durable ?
- Ça vaudra quand même la peine d'essayer, le monde aura toujours besoin d'âmes aussi bienveillantes que la tienne pour l'aider dans ses heures sombres, et même si elle est éphémère, ton aide ne sera jamais vaine. Viens maintenant, il est grand temps pour toi de te reposer un peu, tu en as suffisamment fait.
Iris lui emboita le pas, il était vrai qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait du bien.
CENDRES
Ou peut-être que ce n'était qu'un fragment d'imagination délirante auquel Iris avait donné vie. Elle avait cru être prête à confronter le démon et ses manigances, lui arracher des réponses, se laisser convaincre, déchiqueter sa forme incorporelle, ou alors fuir. Mais elle n'aurait jamais cru que l'élément sur lequel elle avait une totale maitrise puisse un jour lui faire défaut, si sa vision était loin d'être irréprochable, sa perception de l'air était si exceptionnelle que seule une poignée d'individus dans tout Sekaï pouvaient se targuer de lui arriver à la cheville, et il était probable qu'elle puisse compter sur les doigts d'une seule main ceux capables de la surpasser, peut-être même que la légendaire Storm était la seule.
Et pourtant, la plaie dans son flanc était bien réelle. Elle avait envisagé une traitrise du démon beau parleur mais pas qu'il soit capable de tromper sa vigilance d'une telle façon. Qu'il puisse s'insinuer de force dans sa tête, elle n'aurait rien pu y faire, mais qu'il puisse se soustraire à son œil pour frapper... Il n'aurait pas dû en être capable, elle l'aurait senti venir. Mais pouvait-elle encore sentir quoi que ce soit ? Une Iris en pleine possession de ses moyens aurait déjoué un coup bas de la sorte sans aucune difficulté, mais celle qui venait de se faire poignarder était au bout du rouleau. La chaleur ardente qui circulait dans son corps était éphémère, l'adrénaline et l'émotion ne pouvaient dissimuler son état physique et émotionnel proprement lamentables.
Tout avait été si soudain, le corps de la lumina s'était figé sous l'effet de la surprise, même son sang semblait refuser de s'échapper par la plaie béante qui lui perforait l'abdomen, abasourdi par un tel vice. Elle ne parvenait plus à respirer, même quand l'ignoble créature vint planter ses griffes dans ses épaules, elle ne bougea pas d'un pouce, paralysée. Ce n'est que lorsque l'excroissance s'enfonça encore plus loin dans son flanc que le sang accepta enfin de couler et qu'une bouffée d'air parvint à se faufiler jusqu'à sa gorge. Le cri avec lequel il aurait dû ressortir en revanche, n'arriva jamais.
Une douleur foudroyante se propageait à toute vitesse dans ses nerfs, les divers tendons et membranes se déchiraient les uns après les autres sous le passage de la queue grotesque et il n'y avait absolument rien qu'elle puisse faire pour y remédier, ses membres ne lui obéissaient plus.
La vois doucereuse de l'infernale créature vint lui cajoler les oreilles, même en plein milieu d'un acte aussi méprisable, il continuait à susurrer ses paroles mielleuses au goût de fiel. Iris essaya vainement de porter une main à sa blessure pour stopper l'avancée inexorable du poignard improvisé mais c'était impossible, elle ne pouvait qu'écouter son meurtrier enrober sa traitrise d'un ton réconfortant.
Puis le monde se tourna de travers et Iris perdit toute notion d'équilibre, une fois de plus elle allait chuter et une fois de plus, elle serait seule à l'arrivée, la seule différence étant que cette fois-ci il n'y aurait aucune douleur, il n'y aurait même plus de sensations en dehors d'une fièvre brumeuse. La pique éthérée ne lui labourait plus le flanc au moins, son sang allait pouvoir couler librement au lieu de se buter à un bouchon mal ajusté.
Au bout du compte, elle avait échoué du début à la fin, elle n'avait jamais tissé de liens durables avec les siens, les liens qu'elle avait tissés s'étaient élimés jusqu'à disparaitre dans le flot inlassable du temps, l'œuvre de sa vie gisait sous les décombres maudites de sa patrie, et elle ne parviendrait jamais à accomplir son but futile de perfection élémentaire. Et maintenant qu'elle se précipitait vers sa fin, elle sentait qu'elle ne retrouverait pas l'étreinte primordiale qui lui avait donné naissance.
Nulle leçon à retenir, pas de troubadour pour conter son histoire, sa lumière s'éteindrait loin des yeux de tous et elle finirait oubliée.
Sa conscience n'atteignit jamais le sol.
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Quand elle rouvrit les yeux, Iris se rendit compte qu'une main était tendue à son intention, manifestement elle s'était encore vautrée de façon spectaculaire. Machinalement, elle empoigna la paume accueillante pour se relever, et puis elle leva les yeux.
- Et bien, ta journée n'a pas été de tout repos ma chérie. Cette voix si familière, tout droit ressurgie d'un écho lointain du passé...
- Mère ?
- Ha ha... moi qui pensais que tu aurais oublié après tout ce temps. C'est vraiment une chance formidable de pouvoir vivre aussi longtemps, quelle dommage que ça ait dû se finir de cette façon.
- Jamais je n'aurais pu oublier je... merci d'être là, mère. Iris hésita avant de reprendre lentement. - Je ne pense pas que ce soit une bénédiction, malgré cette longévité, je n'ai rien pu accomplir qui ait du sens. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire...
- Pourquoi donc ? Je suis sûre que toutes ces gens que tu as rencontrées ont été très heureuses de ta présence, tu te fais trop de soucis. Et si ça te tracasse vraiment trop, dis-toi que tu n'es pas la seule à essayer. Et qui sait, peut-être auras-tu l'opportunité d'y retourner toi-même un jour ?
- Mais à quoi bon si ultimement, ça n'aboutit à rien de durable ?
- Ça vaudra quand même la peine d'essayer, le monde aura toujours besoin d'âmes aussi bienveillantes que la tienne pour l'aider dans ses heures sombres, et même si elle est éphémère, ton aide ne sera jamais vaine. Viens maintenant, il est grand temps pour toi de te reposer un peu, tu en as suffisamment fait.
Iris lui emboita le pas, il était vrai qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait du bien.
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