Une inconnue parmi les inconnus, voilà à quoi Sixte aimerait ressembler et il faut admettre que sa petite taille lui permet de se fondre aisément dans la foule. Son gabarit mince, lui, l’aide à  se déplacer avec facilité. Un véritable atout pour mener une vie comme la sienne même si il serait mentir que de dire qu’elle n’envie pas les formes généreuses des autres femmes qu’elle peut croiser. Une jalousie tout à fait présente mais dont elle refuserait assurément d’admettre l’existence si on lui posait la question. Le reste de son corps n’est qu’une étendue de muscles fuselés, fins et tendus comme la corde d’un arc, prêt à réagir au moindre signe annonciateur de malheur. Il est également habillé des horreurs du passé, départie du poids de ses ailes mais sertie des plaies que le temps n’a su effacer et que l’elfe s’échine à dissimuler avec habilité sous de large capes aux couleurs sombres qu’elle n’abandonne que très rarement.

Quelle tristesse de vouloir passer inaperçue en possédant une chevelure comme la sienne. Rappelant une rivière d’or  quand le soleil reflète ses rayons dessus, parfois d’un blond polaire lorsqu’elle passe dans l’ombre, il est certain que d’aucun saurait s’en souvenir. Son visage quant à lui possède toute la candeur dont Sixte a été dépossédée il y a de cela de trop nombreuses années, son nez en trompette, ses pommettes hautes, ses lèvres dessinées, sont autant d’arguments qui incite les badauds à voir en elle douceur et complaisance, deux choses que l’elfe ne connaît guère et un art dont elle n’a pas fait l’usage depuis des temps immémoriaux. Ses yeux aussi peuvent intriguer mais ils ne sont rien de plus et rien de moins que deux perles d’un bleu profond, tirant sur un léger vert lorsque le temps se gâte.

Baratineuse - Provocatrice - Bornée - Désinvolte - Loyale - Courageuse - Débrouillarde - Méfiante - Fière - Déterminée - Patiente - Solitaire

Autrefois Sixte connu sous le nom de Vestoria aurait pu être qualifié de douce, de joviale, d’adorable même. Elle était une jeune elfe un peu naïve, souvent perdue dans ses pensées, persuadée que le monde ne lui tomberait jamais sur la tête. Elle était de ceux qui pensent que ça n’arrive qu’aux autres, capable de placer sa confiance entre les mains des plus impétueux, convaincu que le bon se cachait en tout un chacun. La vie, sa vie, lui avait prouvé le contraire et n’avait laissé derrière elle qu’une âme aussi torturée que tortueuse. Une étendue amère de colère et de douleur qui n’avait cessé de flétrir jour après jour, années après années, décennies après décennies, jusqu’à faire de Sixte la créature méfiante et solitaire qu’elle est aujourd’hui.

Loin d’être le monstre de cruauté que certains peuvent décrire, elle est une ombre. Elle va et vient ou bon lui semble, là où ses commanditaires l’envoies et là où sa présence est requise. Mais elle ne s’attarde que rarement. Sixte ne fait jamais rien de moins ni de plus que ce qu’elle doit faire, elle le fait et c’est tout. Les remords et les regrets sont depuis longtemps ses compagnons de route et sa fierté bien trop pugnace pour qu’elle ne les laisse exister autrement que dans un recoin de son esprit. Sa carapace de solitude et de sarcasme, trop longuement portée, lui en à presque fait oublier qui elle était au départ. Il y a longtemps que Vestoria et Sixte ne sont plus une seule et même personne.

Trois cent quatre ans. Cent dix milles neuf cent soixante six jours. Et un millions de fois plus de minutes. Une vie bien trop longue, même au goût de la jeune elfe qui n’avait même pas encore entamé le tiers de sa longue existence. Parfois, songeait-elle, elle enviait les Hommes, les Gobelins et toutes ces races éphémères qui mouraient presque aussi vite qu’elles naissaient. Point le temps de réfléchir, de regretter, d’espérer ou de se souvenir des années durant. Ils existaient, vivaient et s’éteignaient aussi facilement que si l’on avait soufflé sur une flamme. Des créatures si fragiles n’avaient pas de temps à consacrer à autre chose que les bonnes choses de la vie. C’était ainsi que Vestoria les avait toujours imaginés, caché derrière les rideaux en dentelle de la demeure des Amala dans un quartier du centre de Melorn.

Elle s’était imaginée beaucoup de choses, avait lu beaucoup de livres et avait écouté des histoires par centaines. Elle n’avait pas eu beaucoup mieux a faire. Enfermée dans cette chambre gigantesque avec pour seule compagnie la rumeur de la ville et une préceptrice vieille comme le monde qui lui contait  ô combien Merlorn n’était que perfection, leur magie puissante et leur race pure. Pour les Amala tout n’était qu’une question de race, de pureté, d’être et de paraître. Au moins trois choses que la jeune fille ne possédait pas. Nul doute que sa mère était une elfe, son père quant à lui, n’était rien de tout cela. Il n’était ni pur, ni elfe.

Vestoria n’avait jamais connu son père, pas plus que sa mère. Cette dernière ayant été déshéritée et chassée dès sa venue au monde. Dès que l’on avait découvert la supercherie. Qu’elle fut issu d’un viol ou d’un amour consummé, Vestoria naquit incomplète. Ni vraiment elfe, ni vraiment ange. Doté des doux traits de sa mère, de l’amande de ses yeux, le pointu de ses oreilles et de son nez droit propre aux Amala mais affublé de deux ailes maigres et pendantes comme un lot de pénitence. Comme si, la-haut, un quelconque titan avait voulu se rire d’elle. Humiliée, obligée de porter chaque jour la preuve de sa marginalité pourtant non réclamée. Nul doute que sans l’intervention de certains membres de sa famille, Vestoria aurait également fini son chemin au-delà du dôme, face au froid mortel. En grandissant elle avait songé que c’eut été une fin efficace et rapide. Qu’il fut doué en magie ou non, un enfant n’aurait jamais survécu dans les étendues blanches. Elle pas plus que les autres. Pourtant les Amala s’étaient entêtés à la garder, à la nourrir et même à l’éduquer. Miséricordieux ou trop lâche pour abandonner un bébé. Ils ne l’avaient pas battue et elle n’avait manqué de rien. Mais ils n’avaient pas oublié de lui rappeler, chaque jour de sa maudite existence, ce qu'elle était.

Contrairement à ses cousins, ses cousines, ses frères et ses sœurs, elle ne pouvait sortir quand bon lui semblait. Seulement lorsque sa préceptrice daignait l’accompagner et seulement si elle était emmitouflée des pieds  aux épaules, une longue cape traînant dans son sillage pour masquer à la vie de tous l’ignominie cachée sous leurs yeux.

Et comme si Vestoria ne cumulait pas suffisamment de défaut comme ça, elle montra très tôt une certaine incapacité quant au maniement de la magie. A vrai dire ce n’était pas tant un manque de capacité qu’un désintérêt cuisant. Là où les autres excellaient, elle n'atteignait qu’une médiocre maîtrise. Juste assez bonnes pour éviter la punition. Ce qui aurait pu suffire à une famille moyenne. Mais pour les Amala il n’existait que deux possibilités. L’échec et l’excellence. En tout point Vestoria était un échec. Cependant il n’abandonnèrent pas complètement et tentèrent encore et encore de découvrir son domaine d’excellence. La musique, l’écriture, la peinture, le dessin, l’art sous toutes ses formes mais rien n’éveillait moins les sens de la jeune sang-mêlée.

Ce ne fut qu'aux alentours de ses quarante huit ans qu’enfin Vestoria démontra un véritable intérêt, sortant de la torpeur dans laquelle elle se perdait depuis bientôt cinquante ans. L’un de ses aînés avait ramené une petite épée qui, elle l’apprendrait plus tard, n’était autre qu’une dague à double lame.

L’art du combat devint son premier amour à compter de ce jour. Elle y voua ses journées inoccupées, ses nuits d’insomnies tant et plus, priant pour la première fois les siens de lui prendre un professeur. Elle passa des mois, et des années à s'entraîner. Jusqu’à ce que ses lames ne soient plus que l’extension de ses bras, des mains tranchantes et dangereuses qu’elle maniait avec la dextérité de ceux qui ont plus d’une vie devant eux. Quand elle sortie enfin de l'enfance c'est auprès de l'armée de Melorn qu'elle fit ses armes. Ce ne fut là que le début des railleries et de la déchéance des Amala.  
Après plus d’un siècle à s'entraîner sans relâche, l’université de Drakstrang s’imposa comme une évidence pour la jeune femme et lorsqu’elle atteint enfin l’âge et l’expérience requit, elle présenta sa candidature. Cette étape fût de loin la plus simple car une fois le cursus intégré, il fallut le supporter. Le moins qu’elle put dire c’est qu’elle l’endura -il n’y avait pas d’autres mots - avec plaisir.

Demi-elfe ou demi-ange, qu’importait son ascendance et le cœur qu’elle avait mit à s'entraîner elle en bava. Peut-être plus que les autres. Ses ailes mortes étaient aussi bien sources de moqueries que de pénibilité. Lourdes, immobiles, semblable a deux blocs de pierres la clouant au sol. Pis encore, les Amala eux-même commencèrent doucement à la renier. Cela se fit presque en douceur, insidieusement et sans qu'elle ne le vit réellement venir. Toute naïve qu'elle était.

L’indifférence se mua en colère et la colère en haine. Moins de quatre ans plus tard Vestoria avait plié bagage, plus de force que de gré, pour intégrer le campus de Taisen et espérer finir sa formation avant qu’ils ne décident de lui couper les vivres. Cependant sa demande de mutation ne parvint jamais jusqu’au Reike, pas plus que sa formation ne parvint à son terme.




Juché sur le toit d’un haut bâtiment de Liberty, Sixte laissait ses jambes pendre dans le vide tout en parcourant du regard ce qui l’entourait. La nuit était déjà tombée depuis belle lurette et peu à peu les rues s’étaient vidées pour laisser place au clapotis d’une bruine désagréable qui faisait boucler les petits cheveux récalcitrant qui dépassaient de sa capuche. Au loin, elle aperçut une chandelle s’allumer puis une silhouette féminine se découpa dans l’ombre. L’elfe détourna le regard. Elle n’avait jamais aimé la ville et son vis-a-vis, qu’elle fut Reikoise ou Républicaine, ou même Shoumeirienne d’ailleurs. Si elle avait grossi les rangs de la république autrefois, c’était uniquement pour se protéger. A l'époque trouver asile était une question de survie et le peuple du Reike avait déjà prouvé son inimitié pour les anges qu’ils le soient purement ou partiellement en lui ôtant le peu qui faisait d’elle un demi-ange.Le  Shoumei quant à lui était en perdition, et Sixte ne tenait aucunement à revivre ses déboirs passé, retourner au point de départ n’était pas une option pas plus que retrouver une foi qui s’était évaporée depuis fort longtemps.

La pluie s’intensifia suffisamment pour obliger la jeune femme à décendre de son perchoir. Elle se laissa glisser le long d’une corniche, longea prudemment une gouttière, qui grinça de mécontentement sous son poids, et se laissa tomber sur un premier balcon dont elle enjamba la balustrade pour rejoindre celui en dessous. A cette heure si, il y avait rarement quelqu’un pour s’offusquer de sa présence et c’était tant mieux car elle put rejoindre l’ombre d’une ruelle exiguë en quelques cabrioles. Plus en aval son coursier l’attendait. C’était une belle bête qu’elle avait acheté au prix fort deux années auparavant. Borgne d’un œil, il était aussi mauvais et teigneux qu’elle l’avait suspecté quand elle était entrée dans sa stalle pour la première fois. Il avait rué dans les brancards en manquant de lui décocher un coup de sabot en pleine figure et avait fini par réussir à lui mordre le dos, lui laissant une marque cuisante pendant plus de deux semaines. Par chance, Seedra -baptisé en raison de sa capacité à vouloir mordre toute forme de vie qui passerait à moins d’un mètre de sa tête -, s’avérait être aussi courageux qu’acariâtre. Il ne lui avait jamais fait défaut malgré tous les kilomètres parcourus. Alors qu’elle s’approchait en silence du hongre dont la robe bai avait viré au noir à cause de la pluie il renâcla et se mit à piaffer d’impatience.

- Oui mon vieux, on s’en va.

Qu’il eut compris ou non, les oreilles de Seed s’agitèrent sur son crâne et le claquement de ses sabots se calma. Pour faire bonne mesure il ne s’empêcha pas d’envoyer un coup de dents à sa cavalière qui esquiva sans difficulté.  Sixte souleva le rabat en cuir de ses sacoches de voyages et en tira un petit paquet ainsi qu’une enveloppe dont elle brisa le sceau avant de lire l’écriture manuscrite tout en rondeur.

- Eh bien voilà une course que j’aurais peut-être dû refuser finalement… Grommela-t-elle tout en remettant le paquet là où il était et fourrant la lettre dans sa poche. Seed frappa le sol du sabot. - On retourne dans le Reike. A Taisen. Elle s’exprima comme si l’hongre pouvait lui apporter une once de réconfort, à la place il s'ébroua suffisamment fort pour l’asperger de la tête au pied, visage compris, la laissant l’observer avec une moue dubitative.

Sixte ne s’émit pas d’autres objection, elle ressengla sa selle, descendit les étriers et enfourcha son cheval. Elle vérifia que sa dague était bien accrochée à sa ceinture et que son épée était bien attachée à la selle de Seedra puis elle le talonna doucement. Le cheval ne se fit pas prier et descendit calmement la rue dans le silence de la nuit. Quand ils arrivèrent enfin aux portes de la ville, ils prirent le trot et Sixte laissa ses pensées vaquer. Retourner dans le Reike était toujours un véritable supplice, Taisen particulièrement. La simple idée d’y retourner la terrifiait en vérité, malgré la pluie elle pouvait sentir ses joues s’enflammer, son corps devenir moite et ses mains trembler. Ses souvenirs de ce jour-là étaient encore vagues et incertains pour ne pas dire caduques. Lorsque des flash lui revenaient, elle était incapable de dire si il s’agissait de souvenir ou de fabulation de son cerveau. La seule chose dont elle était certaine c’est que Vestoria y avait laissé sa peau et ses ailes pour laisser place à Sixte et des plaies béantes.  Après ça, elle avait été mue par une peur atroce et une amnésie féroce qui l’avait enjointe à fuir la ville sans se retourner. Cela remontait à près d’un siècle, pour autant rien ne s’était jamais totalement effacé.  Elle talonna une nouvelle fois les flancs du coursier qui prit un petit galop avant d’allonger ses foulées jusqu’à galoper à bride abattue. Sixte laissa la pluie lui fouetter le visage et le vent cingler et emporter les pensées qui débordaient sans discontinuer.

Elevée dans le culte des divins, Sixte a eut à subir les déboires découlant de ses origines angélique. En grandissant elle a fini par exécrer les Titans au point de renier sa propre foi les tenant pour responsables de la vision des gens vis à vis de ceux de son espèce. Elle voue aussi une haine farouche au Reike dans sa totalité à cause de ce qu'une poignée d'entre eux lui ont fait subir. Loin d'être objective à ce sujet, c'est un débat qu'il vaut mieux ne pas aborder avec elle.  

Lutte contre les titans
Culte des divins