- Santangos, Lac Rebirth, Reike -

Toute cette mise en scène était insolite, pour le moins étrange, il était en effet peu commun de jouer une pièce improvisée lors d'un entretien, qui plus était lors d'une seconde rencontre seulement, et ce avec comme seul public les yeux de Zaïn. Ce dernier perçu cependant où les deux femmes voulaient en venir, cela permettait de mettre Takhys face à l'adversité, afin qu'elle déchaine ses passions et exprime son assentiment envers les esclavagistes qui usaient des hybrides comme d'outils jetables. Cela pouvait fonctionner dans la mesure où la sirène ne jouait pas réellement de rôle, exprimant ses opinions, finalement elle ne faisait que continuer la discussion déjà entamé avec lui, mais cette fois-ci avec une mise en situation.

Comme si cela paraissait évident, Zaïn ne fut pas étonné de la voir user de la magie aquatique. Peut-être Kilanna aurait-elle trouvée sa préceptrice en magie en Takhys ? En effet, l'hybride ombragon cherchait à s'initier à la magie, et donc un précepteur, ou une préceptrice, pour lui enseigner cet art. Zaïn ne connaissait pas l'ampleur des connaissances de la sirène dans le domaine, mais au moins pourrait-elle surement donner quelques clés à Kilanna allant dans ce sens. Mais pour l'heure ils en étaient à mettre en scène la confrontation entre les convictions de Takhys et une noble esclavagiste jouée par Kila.

Zain savait d'expérience que les esclavagistes qui jetaient leur dévotion sur les hybrides en particulier n'étaient pas tous nobles, la vastes majorités étant même des vauriens qui pétaient plus haut que leur cul. Au contraire, les nobles aristocrates qui se laissaient aller à de telles pratiques avaient délaissés l'esclavage dès lors que les édits impériaux l'avaient limité à l'armée. Et si cela ne plut guère aux nobliaux, ils n'avaient d'autre choix que de faire une croix sur l'esclavage, car désobéir aux édits d'Ayshara venait à désobéir à Tensai, et cela, personne ne le souhaitait. Ainsi s'il restait un ou deux nobles assez hardis pour pratiquer l'esclavage d'hybrides, ils le faisaient sous le manteaux et s'en cachaient bien.

La plupart de ces esclavagistes étaient en effet des gens du peuples, des hommes trop intéressés par l'appât du gain pour se plier à la loi, la plupart étant liés à la pègre. Cela, Zaïn le savait aussi. Mais il ne fit pas grand cas du rôle de Kilanna, après tout ce n'était qu'un exemple. Il se montra respectueux et observa avec attention la "pièce", faisant confiance à Takhys, écoutant avec attention ses propos. Elle se révéla ainsi plutôt virulente sur ses convictions, comme quoi elle était prête à faire payer les déboires de l'esclavagisme par la violence, ce qui était une excellente chose dans la mesure où Zaïn pensait la même chose : Peu importe ce que l'on ferait, les gens ne changeraient pas tant qu'il y aurait de l'argent en jeu, seule la violence pourrait punir ceux qui abusaient des autres races. Pour les remettre à leur place. Et c'est ce que faisait Takhys avec brio.

Toutefois, alors que la sirène continuait de parler, Kila avait toujours la tête dans cette bulle d'eau, et même si cette dernière jouait la comédie, toute actrice avait des poumons et manquerait de souffle au bout d'un moment. S'inquiétant de cela, Zaïn finit par se lever du divan, posant son regard sur Takhys, lui faisant comprendre qu'il était parfaitement convaincu par ses propos d'un signe de tête approbateur.

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Le jeu de rôle ayant pris fin, elles pouvaient de nouveau parler en étant elles-mêmes, à la grande satisfaction de Zaïn qui pensait en avoir assez vu pour donner son verdict à son tour. Tout naturellement Kila se porta garante de la probité des convictions de la sirène, après tout elles se connaissaient déjà au préalable et se connaissaient suffisamment pour développer une confiance mutuelle. Tant qu'à Zaïn il avait bien jaugé la Takhys, constatant qu'ils étaient sur la même longueur d'onde. Cette dernière signifia que si elle s'était montrée virulente dans son jeu de rôle, c'était pour mieux exprimer le fond de ses pensées, en temps normal elle faisait preuve de plus de tact.

- C'est très sage. Commenta-t-il. Pour ma part, je suis convaincu que tu es une alliée sur laquelle les hybrides pourront toujours compter, Takhys.

Bon, en l'état le rêve d'une association des hybrides était encore loin, ceci-dit, c'était en recrutant de la sorte des personnes de confiance qu'ils pourraient aspirer à cet idéal. Qui plus était, comme il l'avait soulevé tantôt, c'était en cherchant des alliés en dehors de la diaspora hybrides qu'ils assureraient leurs arrières et des bases solides. De plus, cela permettrait à ce projet de mettre un pied en République grâce à Takhys, même si le gros des persécutions se déroule au sein de l'Empire.

- J'ai déjà pour ma part de nombreux hybrides derrière moi, la plupart ayant été libérés de ce trafic illégal. La plupart des employés de mon arène sont des hybrides, et de même pour les équipages de mes navires, en donnant un avenir et une place dans la société à nos pairs, nous gagnons en respect. Nous avons déjà quelques partisans, reconnaissant que les hybrides ont les mêmes droits que les autres races, une évidence qui pourtant n'est pas reconnue de tous. Je suis convaincu qu'ensemble nous parviendront à en libérer plus et à étendre ce réseau d'hybrides qui pourront se serrer les coudes lorsqu'ils seront pris dans des rixes d'auberges ou manqués de respects au marché. Son regard se fit plus intense.

Ce qu'il venait de citer en exemple était par trop fréquent, les cas d'hybrides isolés qui se faisaient prendre au détour d'une ruelle, souvent rossés juste parce que leur apparence physique ne revenait pas à quelque butors du coin. Certains étaient au fait des conditions de naissance des hybrides et cela les dégoutaient, beaucoup ne manquaient pas parmi eux à le manifester par des insultes ou le refus de les servir comme les clients qu'ils sont, les aubergistes dans le genre ne manquaient pas, foutant à la porte les êtres un peu trop différents d'eux à leur gout. Zaïn savait que ses deux amies étaient au fait de ces cas récurrents.

- Nous sommes tous égaux au sein du Sekaï, et si le Reike se targue d'avoir une société égalitaire, fondée sur la répartition des ressources et l'accès à l'armée pour tous, les preuves ne manquent pas : les hybrides ne sont pas appréciés de tous et souvent ce sont eux qui paient le prix d'une société hostile à cette diaspora. J'en sais quelque chose.

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Tout en écoutant attentivement la conclusion de cette entrevue, Zaïn avait pris en main une petite sphère en cinabre poli reposant jusque là dans un encensoir purement décoratif près d'un des divans. Assis dans le divan, il manipulait la pierre écarlate en la faisant rouler en cercle dans sa paume, après tout c'était un homme d'action et avait tendance à occuper ses mains en permanence. Souvent, lors de discussions, il jouait distraitement avec un objet à sa portée, que ce soit un couteau, un caillou ou encore un bouton de chemise. Cependant, son attention était entièrement dédiée aux paroles échangées entre les deux femmes, la pierre rouge avoisinant les sept centimètres de diamètre était simplement là pour occuper ses mains. D'autant plus qu'il se devait de réagir à la dernière proposition de Takhys, au sujet de la relation entre les hybrides des deux nations du continent.

- Tout à fait. Les hybrides républicains, où cette diaspora est plus respectée qu'ici, pourrait facilement venir en aide à leurs pairs au sein de l'empire, et je ne doute pas de leur sollicitude à ce sujet. Cela pourrai passer par le simple fait d'émigrer en République pour certains ou de recevoir le soutien des hybrides républicains malgré la frontière. Après tout, cette dernière se révèle assez poreuse. Regard éloquent. Il reprit. De plus, il est de notoriété qu'une hybride a pu accéder aux plus hautes instances de la République, mais aussi que cette diaspora compte de nombreux citoyens plus ou moins influents, ce qui prouve que l'égalité est un fait réel en République, une chance pour les hybrides. Ce qui bien sûr est loin d'être le cas au sein de l'Empire. Les quelques hybrides qui ont obtenus un certain statut social ici-même, dont nous faisons partis Kila et moi, ne l'ont été que par l'entremise d'humains point atteint par le racisme qui sclérose toutes les strates de cette société.

- Tout ça pour dire que ta proposition de rassembler la diaspora hybride à travers les frontières est une piste tout à fait pertinente. Conclut-il.

En effet, il était rapidement et naturellement passé au tutoiement, en général il restait très brièvement au stade du vouvoiement lors de ses échanges. Il employait ce dernier uniquement pour tester la personne qu'il rencontrait, et dès les premières paroles échangées, il jugeait s'il était bon de passer au tutoiement qu'il trouvait plus naturel et authentique, tout du moins lorsqu'ils s'exprimait, lui. Il était plus à l'aise ainsi et établissait une relation de confiance avec autrui. De fait, il tutoyait depuis quelques instants déjà Takhys et elle ne s'en était point formalisée, comme quoi.

- À ce propos, comment resterons-nous en communication, Takhys ? Il faudra d'ailleurs que tu passes nous visiter à Ikusa. L'invita-t-il tout en se levant de nouveau, reposant la cinabre.