Bien, alors... la créature est un mâle, elle pèse une trentaine de kilogrammes, nous l'avons mesurée à approximativement 160 centimètres de long. Poil dense, teinte violacée, la bête présente des traits retrouvés principalement chez les mustélidés mais certains éléments de sa structure anatomique m'évoquent un squelette... d'humanoïde ? Mélange d'éléments structurels attribués aux mammifères et aux reptiles...  Musculature importante malgré la taille... Trois doigts aux pattes avant, pouces opposables et faculté à saisir et manipuler des objets... Pression de la mâchoire équivalente -au moins- à celle d'un loup, le crâne semble capable de pivoter verticalement, le cou est légèrement élastique et les muscles mandibulaires paraissent flexibles, ce qui donne à sa morsure une portée trompeuse. Ce n'est pas un trait que l'on retrouve chez les mustélidés, justement. Ce n'est qu'une supposition, mais il pourrait tout à fait s'agir d'un hybride sauvage et non d'un animal magique. Eh, qu'est ce que tu fais ? Non, tu ne touches pas à ça. Lâche ma toge, enfin. Aïe, pas la moustache ! Vous pouvez me le prendre deux minutes ? Merci.

Reprenons... Et notez ce que je dis, on constituera un autre rapport.

Nous avons observé cette créature pendant plusieurs jours et nous l'avons suivie à bonne distance durant son quotidien. Elle a rapidement remarqué nos éclaireurs mais n'a pas semblée se sentir menacée et s'est contentée de vaquer à ses occupations sans se soucier de notre présence. Après ce premier contact, nous avons décidé de procéder à une extraction afin de l'étudier dans un environnement plus sécurisé.

Comme vous pouvez le voir, le spécimen est étrangement sociable et semble pourvu de facultés intellectuelles bien au delà de nos premières suppositions. Il porte d'ailleurs actuellement des bijoux constitués d'ossements et de cordage et possédait, lorsque nous l'avons trouvé, des lances fabriquées à partir de bois et de silex, ce qui laisse supposer qu'il est capable de construire de l'outillage pour s'aider lors de la chasse. Son comportement est certes imprévisible mais il parait docile, voir même amical. Lors du transport et depuis son arrivée au centre de recherches, il ne s'est montré que très peu hostile et nous a d'ailleurs accompagnés de son plein gré ! Il a suffi de lui offrir des fruits et il est monté sans souci dans notre charette. Depuis son arrivée au temple, il n'a cessé de saisir tout ce qui passe à sa portée pour l'apporter ensuite à un quelconque membre du personnel. Ah ! En parlant de fruit, il émane de tout son corps un curieux parfum de marron chaud...




S'il n'est pas capable de s'exprimer convenablement, il semble parfois vouloir imiter nos discours et parait même s'en amuser ! Non mon petit, pas "samamoozé", j'ai dit "s'amuser" tu veux répéter après moi ? Oui, allez. Bon, ce n'est pas encore ça. He ! Faites attention, ne le laissez pas jouer avec le matériel ! Et sortez le de mes pattes, je vous ai dit ! Hm... il est encore difficile d'établir avec certitude s'il peut être complètement apprivoisé, mais nous détenons déjà des résultats encourageants. Le simple fait qu'il se montre aussi bavard malgré l'incohérence de son discours laisse entrevoir une volonté assez évidente de sociabiliser.

La capture de la bête a été rendue particulièrement risquée du fait de ses mécanismes de défense pour le moins atypiques et surtout très inquiétants sur le plan environnemental. Son corps semble capable de sécreter des fluides hautement inflammables et d'autres organes permettent de déclencher des réactions qui occasionnent des combustions puissantes. Ses crocs sont hypertrophiés, extrêmement résistants et lui permettent, par des successions de claquements rapides, de générer des étincelles pour déclencher des explosions. Nous avons d'ailleurs eu la chance de la voir à l'oeuvre et les dégats causés par ses morsures sont très importants. Rien ne résiste à cette mâchoire explosive, malgré la petite taille de la bête et c'est d'ailleurs de cela que nous vient la théorie selon laquelle ses organes étranges ne suffisent pas à générer de telles détonations, bien trop puissantes en vue de la taille supposée des glandes contenant le produit inflammable. Il est probablement question d'une maitrise instinctive de la magie; et pas des moindres.

Sa queue est recouverte d'une sorte de carapace flexible mais résistante et l'extrêmité contient un autre organe qui lui offre la capacité de générer une chaleur si élevée que le fluide qui en émane devient instable, déclenchant ainsi une combustion brutale. Nous avons observé, lors de la précédente phase d'analyse, que la bête semble immunisée partiellement aux dommages causés par ce mécanisme, ce qui lui permet de se projeter dans les airs à plusieurs mètres de hauteur. Par un procédé dont nous ignorons l'origine, le spécimen parvient à régénerer ses tissus détruits après l'assaut.

Nous avons la nette impression de retrouver chez l'animal des organes et des excroissances de nature draconique, ou peut-être de provenance démoniaque. Son crâne est surmonté d'une paire de cornes qui ne semblent pas adaptées pour se défendre ou attaquer, peut-être est-ce là une parure visant à attirer les femelles ? Ou alors... il est vrai que la carapace de la queue et le matériau de ses excroissances ne sont pas sans rappeler les cornes d'un Drakyn. C'est en tout cas le premier spécimen que nous découvrons, rien n'a été retrouvé dans les archives concernant une créature de ce genre.

Il semble fuir tout contact direct avec l'eau et, d'après nos suppositions, il est tout à fait envisageable que l'immersion, même partielle, nuise à son intégrité physique. Il s'hydraterait donc majoritairement en se nourrissant de fruits et aussi grâce au sang contenu dans ses proies, ce qui lui permet de métaboliser les minéraux sans avoir à consommer directement de l'eau pure. C'est un processus qui, à première vue, ne semble que compléxifier sa survie. Est-ce vraiment naturel ? Nous effectuerons des tests, mais en milieu contrôlé. Nous ne voulons pas risquer de mettre le personnel ou le sujet en danger et nous manquons encore d'éléments concernant ses aptitudes.

C'est un prédateur, plus précisément un carnivore opportuniste et il use principalement de ses capacités étonnantes ainsi que de son ingéniosité afin d'attaquer ses proies. Nous avons retrouvé dans son sillage de nombreux arbres abattus et des dépouilles animales partiellement morcelées, certaines dépassant de beaucoup sa taille. Lorsqu'il tue, il se nourrit visiblement sur place et abandonne la majeure partie des restes, une méthode d'alimentation surprenante que nous avons du mal à comprendre. Considère-t-il ces proies imposantes comme des trophées, et non simplement des sources de nourriture, ce qui justifierait cet abandon de telles quantités de victuaille ? Ce n'est qu'une théorie, mais nous avons l'impression qu'il ne se trouve pas dans son environnement habituel et qu'il y a été... potentiellement importé, puisqu'il paraît très inadapté à l'écosystème local. Nous envisageons éventuellement un transfert du spécimen jusqu'à la Réserve Faunique.

Attendez, c'est quoi ça ? Une bassine ?! Mais virez-moi ça d'ici, bon sang de bois ! Il réagit excessivement mal à l'eau ! On l'a déjà établi avec l'équipe de recherches et je viens de le dire, en plus ! Vous êtes qui, vous, vous pouvez pas lire un rapport avant de vous ramener sur mon lieu de travail ? Quoi ?! Vous vouliez le laver pour l'étudier avec plus de précision ? Vous vous foutez de moi ? Voilà, vous nous l'avez fâché et j'aime autant vous dire qu'il a ses petits nerfs, l'animal. Il fait le gros dos, probablement un signe d'agression. Il a dû croire que vous vouliez le blesser. Tâchez de rester calmes et écartez-vous lentement, bande d'incapables, je vais tenter de l'apaiser en lui apportant des fruits, ça a déjà fonctionné.

Voilà mon grand, viens là. Une bonne mangue, ça va te calmer. Tout va bien, personne ne te veut de mal... on veut juste... Ca va, je gère, il va se calm...

Oh oh.

A COUVERT ! A COUV...

L'explosion retentit dans un rugissement tonitruant. Puis vint une seconde détonation, une troisième et encore une autre lorsque s'enclencha une réaction en chaîne, la bête ayant apparemment touché une réserve de produits inflammables à force d'assauts lancés au hasard. En l'espace de quelques secondes, tout fut ravagé par le feu d'artifice cauchemardesque à l'étrange parfum de marron chaud. Le temple dédié à l'étude des créatures magiques fut soufflé comme une vulgaire cabane de bois et de paille et, au beau milieu des flammes grandissantes et de la fumée noire, la silhouette minuscule d'une bête au pelage rosé apparut dans les airs. Tel un projectile velu et incandescent, le petit monstre enflammé s'écrasa et rebondit sur quelques mètres avant de retomber mollement sur son flanc. Profondément enragé par cette tentative de meurtre qu'il venait de subir, il se redressa rapidement sur ses pattes arrière et, tout en brandissant son poing en direction du brasier, il fit alors savoir sa façon de penser aux rares survivants du cataclysme; avec une verve pour le moins saisissante :

"Ba'wagah hedagaa Boubouh ! Bargho barbah babi ? Bawoo wéss ! Heheheha !"

Hilare, le violent petit personnage se retourna et inclina sa queue couverte de chitine sous son corps au pelage hérissé et partiellement calciné. Aussitôt, une série de craquements vint secouer l'extrémité de son corps, provoquant enfin d'une détonation brutale qui détruisit l'herbe et la terre tout en projetant la bête dans l'obscurité de la forêt aux abords embrasés. Il avait peine à comprendre pourquoi ces humains pourtant si avenants et sympathiques avaient tenté de le piéger en le trahissant subitement mais, fort heureusement, le prédateur avait perçu la menace de l'eau glacée avant qu'elle n'atteigne son noble pelage.

Et il avait bien fait d'ailleurs car, de sa maigre expérience de vie, la Salamandre avait déjà su établir le danger mortel que représentait l'eau pour elle. Cette maudite substance, pourtant essentielle à la survie de la majeure partie des bêtes, constituait pour ce petit monstre le seul prédateur valant la peine d'être craint. Cet aspect unique de sa personne, justement, avait été pour ses créateurs la source de nombreuses questions.

Si la bête se considérait avec fierté, arrogance -et surtout bêtise- comme l'une des entités les plus puissantes à avoir foulé le Sekaï, elle avait pourtant été dénigrée et rejetée par ceux qui l'avaient conçue. De cette histoire atroce qu'était celle de sa génèse, le monstre miniature ne possédait pourtant que des souvenirs heureux, la mélancolie n'ayant jamais réussi à se frayer un chemin dans les méandres de son esprit étriqué. Après le massacre qu'elle venait de commettre en toute innocence, la créature fit claquer ses dents incandescentes et creusa à grand coups d'explosions un petit terrier afin d'y passer la nuit.




C'était lorsqu'elle sommeillait, à l'abri de la pluie léthale et de la myriade d'opposants peuplant son royaume, qu'elle retrouvait quelques pièces de son tumultueux passé. Elle couvrit son corps de sa queue protectrice et s'endormit doucement. En rêve, elle retrouvait la mémoire des jours passés dans les ténèbres, à ne découvrir du monde que ce que ses "géniteurs" voulaient bien lui montrer. Incapable de comprendre, elle avait toutefois entendu des bribes de conversation concernant la création d'un "combattant parfait", d'une "créature capable de rivaliser avec l'Empereur" ou encore "d'un monstre à même d'annihiler tout adversaire du culte."

Ces théories fumeuses ne menèrent finalement pas loin ces adorateurs des Titans déchus qui, non contents d'experimenter illégalement sur des animaux et des personnes enlevées, avaient pris le risque d'altérer par magie le corps de leurs cobayes. La Salamandre avait figuré longuement parmi les rares espoirs de ce projet sordide mais de son instabilité naturelle n'avait résulté au final qu'un accident gravissime qui avait réduit à néant toute trace de l'établissement secret et par extension de leurs macabres recherches. Les académiciens républicains l'ayant découvert avaient vécu, malgré leurs nobles intentions, précisément le même sort quelques années plus tard...

Le cri d'un oiseau matinal tira l'animal à ses songes et ce fut après un baillement sonore qu'il se délogea tranquillement de son terrier de fortune, s'ébrouant pour chasser la poussière et la terre de ses poils épais avant de venir savourer finalement les premiers rayons d'un soleil timide. Maintenant que le jour s'était levé, elle découvrait à quel point la forêt avait changé tout autour d'elle. Les hommes de science, de toute évidence, l'avaient menée bien loin de son terrain de chasse habituelle.

Elle renifla, fit ses besoins contre un arbre puis, lorsqu'elle vit passer au dessus d'elle un volatile au somptueux plumage coloré, la bête fit claquer par deux fois ses crocs embrasés et projeta brusquement dans les airs un torrent de flammes.

-Bouwouga doungaga, awada' nagaboboh, awadahyrr ? (Waga Waga...*)
(En clair, pas de groupe d'intérêt pour l'instant*)