- Palais Rey, Ikusa -

- Ce sera bientôt à mon frère de vivre à mon crochet. Sourire narquois de la jeune femme.

- Mes affaires fonctionnent bien, je peux le dire sans crainte, lorsque l'on constate que l'arène de combat est remplie à chaque combat, ou que l'on observe la quantité de contrats commerciaux que mes navires acceptent. Mais toutes ces petites affaires ne rapportent pas des sommes folles, j'en ai bien peur. Mon arène est certe efficace mais pas bien grande, de plus, elle attire surtout les gens du peuple tels que les marins ou les soldats, qui ne parient pas des sommes extravagantes. Les pauvres ne peuvent jamais rien se payer, c'est bien pour ça qu'ils sont pauvres. Il marqua une pause pour se resservir des lentilles.

- Tant qu'à mes quelques navires, ils ont certe de plus en plus de contrats chaque jours, mais ce sont des petites cargaisons pour chacun d'eux, c'est justement pourquoi je suis obligés de multiplier les contrats commerciaux avec différents comptoirs. J'ai discuté hier avec Yuanarr Vimmifson, un collègue armateur qui a une flotte forte de trente-six navires, et comme c'est un gros nom dans le milieu, les gros marchands se tournent vers lui pour transporter leurs marchandises plutôt que vers le nom de Tevon-Duncan, parmi tant d'autres bien sûr, c'est un exemple. Un seul contrat est assez important pour remplir un de ses navires, alors qu'il m'en faut trois ou quatre de mon côté pour remplir une cale. Enfin... Il fut coupé par sa sœur, intervenant :

- Et le voilà qui chouine parce qu'il ne fait pas les bénéfices qu'il souhaiterai avoir. Pour lui, le possible ne connaît pas de limite.

- Enfin, reprit-il, Les chiffres grimpent tellement que je pourrait bientôt racheter non pas un seul navire, mais peut-être un autre petite compagnie comme la mienne, et du même coup les contrats qu'elle avait, et alors là les économies d'échelle et tout le tintoin me mettrons bien. Il sourit jusqu'à découvrir ses dents.

- Il faut être futé dans la vie. Tenez, écoutez un peu ce que j'ai entendu l'autre jour dans le vieux quartier. Un fermier a libéré cinq cochons dans la salle des ventes, et a peint les numéros 1, 2, 3, 5 et 6 dessus, les gardes ont cherchés toute la journée le quatrième cochon après avoir attrapé tous les autres, persuadés qu'ils étaient qu'il y en avait un avec un 4 peint dessus qui se trimballait encore dans le bâtiment ! Il rigola bruyamment.

- Palais Rey, Ikusa -

Si Zaïn pensait être le seul à connaitre des histoires amusantes dans le genre pour divertir son audience, il s'avéra que Tagar en avait plus d'une dans son sac aussi. Il amusa la galerie avec un fait divers propre à ses fonctions, rebondissant avec adresse sur la première plaisanterie de l'hybride.

- Même moi je n'aurai pas osé faire ça, quel culot ! Applaudit-il.

- L'argent ouvre toutes les portes. Intervint Arkady, fixant le bout de sa fourchette en argent.

- Alors ça a dû leurs faire bizarre, à ces républicains, de constater que les portes du palais ne s'ouvraient pas devant eux. Plaisanta Zaïn.

Il pris un grosse cuillère de lentilles, et se disant qu'il manquait quelque chose avec ça, il piqua une saucisse sur un des nombreux plateaux en étain à sa portée. Il avait des manières de bourgeois à table, dans la manière de tenir ses couverts ou de découper ses aliments, des manières qu'il avait su adopter pour ce genre d'occasion, mais tout œil avisé savait déceler les restes de manières rustres dans sa façon de se servir ou de mêler les aliments, comme si on allait lui arracher la nourriture de la bouche. Ce qui avait été le cas pour une bonne partie de son enfance. Par chance, Tagar n'était pas le genre de personne à s'en formaliser, loin de là.

- Enfin, on aurait de quoi écrire une anthologie avec tout ce que tu as vécu mon cher Tagar. Tiens, mais dis moi, quel ouvrage lit-tu en ce moment ? Car j'imagine que tu es un grand lecteur. Il était curieux, s'intéressant à ce que pouvait bien lire le Coeur.

- Palais Rey, Ikusa -

Le Coeur de l'Empire lisait donc des romans de fiction, et même si le sujet avait une certaine portée philosophique, Zaïn constata avec soulagement qu'il ne lisait pas que des traités d'économie et des ouvrages politiques. Cela prouvait que Tagar avait gardé de sa joie de vivre, ce qui se voyait en discussion mais également par ses lectures, soulignant le fait qu'il appréciait les loisirs en dehors de ses fonctions. Zaïn aimait ce qu'il faisait pour l'argent que ça rapportait, mais au grand jamais il s'y dédierai au maximum, ne pouvant se passer des plaisirs de la vie. Il constata alors qu'il passait plus de temps à s'amuser qu'à travailler, il était temps qu'il se remette en question s'il voulait grimper les échelons. A ce sujet justement, il répondit franco à la question posée par Tagar.

- Bien évidemment ! Il y a de moins en moins de prétextes pour foutre des baffes à des gens, l'arène est justement la raison qu'il me manquait pour me défouler. Il rebondit là-dessus :

- Tiens d'ailleurs, j'ai entendu dire que Brak'Trarg avait eu des ennuis avec l'empereur, as-tu peut-être des informations plus fiables que les ragots que j'ai pu entendre ?

En effet, il avait entendu parlé de ce garde royal démis de ses fonctions par l'empereur, toutefois Zaïn n'avait pas pris le temps de se pencher sur l'affaire, estimant qu'il préférait en parler directement avec l'intéressé. Il se trouvait cependant qu'il n'avait pas revus Brak'Trarg depuis le combat qu'ils avaient livrés dans l'arène du quartier marchand.

- Palais Rey, Ikusa -

Ce n'était pas aujourd'hui qu'il en apprendrait plus sur la situation de son ami, il espérait donc croiser le chemin de Brak'Trarg afin de tirer tout ça au clair. En tout cas si Brak avait besoin de quelqu'un pour l'aider à régler ses comptes, Zaïn répondrait présent pour aller botter quelques derrières. Il était en effet difficile pour Tagar d'aborder ce sujet, ce que Zaïn comprenait, il devait de se faire à l'idée qu'avec ses nouvelles fonctions, Tagar ne pouvait pas parler à tout va de ce qu'il voulait. En revanche, il revint sur le sujet principal de la journée à la grande joie de l'hybride, tout en sauçant son assiette à l'aide d'un morceau de pain, il répondit à l'hôte.

- Je serai bien obligé, c'est une question d'honneur à présent. J'aurai simplement à renforcer les mâts, les cordages et les voiles pour supporter la puissance des mages embarqués. Et connaissant les républicains, à l'heure qu'il est ils doivent déjà se démener à bâtir un navire de course pour tenter de pulvériser le record. On aura qu'à faire de même. Il était très optimiste, comme toujours.

- Le commerce maritime a pris un sacré coup avec la mise hors-course du Shoumei. Les navires reikois ne pouvant plus raisonnablement faire escale sur les côtes de la péninsule afin de changer de cargaisons et de faire un profit raisonnable. Ils sont à présent forcés de passer des semaines en mer jusqu'aux terres républicaines. Mais je pense avoir trouvé une parade. Il prenait son air de professeur qu'Arkady détestait tant.

- Il se trouve qu'on pourrait, et pour une somme pas tout à fait astronomique, creuser un canal à l'Est de Benedictus jusqu'aux eaux de Kaizoku juste avant la chaine de montagne, sinon un canal juste au sud de Mael jusqu'à la baie des Rocheuses. Une ou deux écluses suffiraient et avec l'aide de mages compétents les navires de commerce gagneraient un temps considérable, sans avoir à remonter jusqu'au large de Sancta pour redescendre pendant des jours. Voyant la mine perplexe de son ami, il ajouta, tout fier : Et les coûts seraient amortis par la taxe onéreuse imposée aux navires de la SSG, étant donné que le canal serait reikois. Si tu as une carte, je te montrerai tout cela avec joie.

Il y pensait depuis longtemps déjà et ne voulait qu'en parler à Tagar, persuadé qu'il était que son ami ne s'approprierai pas l'idée et qu'il serait bien plus compréhensif que tout autre seigneur qui le traiterai d'utopiste aux trop grandes ambitions.

- Palais Rey, Ikusa -

Décidemment Tagar accordait une grande confiance et avait en estime son ami, s'ils venaient à développer un navire à la vitesse inédite, Tagar proposait à Zaïn de le commander. C'était bien trop d'honneur, mais l'hybride ne se démonta pas et afficha une mine réjouîtes avant d'acquiescer d'un hochement de tête. Et s'ils en étaient restés là, Zaïn aurait déjà été fort satisfait de leur échange, mais lorsqu'ils virèrent sur le sujet du canal en Shoumei, la satisfaction du pugiliste se mua en exultation. Bien évidemment il n'en montra rien, si ce n'était un large sourire envers son ami.

- Rencontrer ses Majestés pour leurs présenter un projet qui permettrait de saigner à blanc la SSG ? Me semble-t-il que même le plus fini des abrutis ne refuserai pas une telle opportunité. Il serra la main de Tagar, comme pour officialiser la chose. Crois-moi tu ne le regrettera pas, on ne peux mener une guerre militaire contre la République, alors un guerre commerciale semble toute désignée. Ce canal ferait gagner des semaines de voyage à nos navires et taxerait les exportation républicaine, quoi de plus merveilleux dans ton projet de relancer le commerce reikois ? C'était une question rhétorique bien évidemment.

Il ne revint pas sur le fait que Tagar avait déjà entendu un tel projet ailleurs, cela devait surement provenir d'une personne ne s'étant jamais rendu sur le terrain. La personne en question avait dû proposer à Tagar de creuser un canal dans le désert entre la mer intérieure et le lac Rebitrh, passant au sud de Taisen. Mais ce projet était bien trop ambitieux et peu lucratif dans la mesure où les navires de commerce n'auraient accès qu'à la ville de Justice et surtout que le désert était fait de sable peu malléable à côté de la terre compacte du Shoumei où Zaïn préférait creuser son canal à lui. Il avait précisément sélectionner les parties du continent les plus fines, dans les quatre-vingt kilomètres pour le canal de Benedictus et environ soixante-dix kilomètres pour celui de Mael. Et même si celui à l'Est de Benedictus était bien plus proche des terres républicaines et de Kaizoku, donc plus intéressant, le canal passant au Sud de Mael serait bien plus aisé à faire car ils ne traverserait que des plaines avec peu de reliefs, limitant ainsi l'installation d'écluses qui font perdre du temps au navires voulant l'emprunter.

Enfin bref, plein de paramètres pour l'instant superflus, qu'il ne faudrait toutefois pas oublier d'aborder avec ses Majestés.

- Bon il est où le dessert ? Fit-il en jetant un regard vers les cuisines.

Les deux propositions de canaux :

- Palais Rey, Ikusa -

Tagar était un petit gars plein de ressources, il n'était pas étonnant une seule seconde qu'il ai atteint un tel prestige. Et si Tagar se demandait si Zaïn avait déjà eu peur dans sa vie, Zaïn se demandait s'il pourrait réussir sa vie autant que son ami. En tout cas Zaïn avait bien mangé, au moins il était repu, il avait en effet sélectionné les plats les plus riches en protéines afin de palier à la consommation d'énergie que lui avait demandé la journée. Cela au moins le changeait des banales journées passées au comptoir, cherchant à remplir le plus de contrats possibles. Heureusement il avait la navigation mais aussi les combats à l'arène qui lui permettait de se changer les idées et de se défouler.

Lorsque Tagar annonça qu'il y avait bel et bien un dessert, l'hybride se frotta les mains, raffolant du chocolat. De l'autre côté, Arkady semblait perdue dans ses pensées, peut-être se souvenait-elle de la soirée en question à laquelle Tagar faisait référence ? Nul ne le savait.

- Tu as un sacré cuistot en tout cas, dis-moi, as-tu également un gouteur personnel allant avec tes nouvelles fonctions ? Zaïn trouvait que ça en jetait pas mal d'avoir son gouteur. Et si Tagar n'en avait pas, Zaïn se proposerait bien pour le poste afin de gouter des gâteaux au chocolat à longueur de journée et d'être payé pour le faire en plus.

- Palais Rey, Ikusa -

Tagar n'avait décidemment pas peur, mais il avait raison, vivre dans la crainte d'être empoisonné était certainement pas réjouissant. Et comme le disait si bien Zaïn : "Il vaut mieux mourir dans le risque que de vivre dans l'ennui" (citation brevetée). Il était vrai qu'on entendait rarement le nom de Reys prononcé dans les discussions de taverne, ceux qui revenaient souvent étaient ceux des grands seigneurs les plus influents, et si Tagar était capital au bon fonctionnement de l'Empire au même titre que la Griffe, ses affaires étaient moins reconnues et, de plus, Tagar était Coeur que depuis peu, il avait encore le temps de se faire une réputation si cela lui chantait.

- C'est fort aimable. Le remercia-t-il alors.

Sa sœur, quant à elle, hocha la tête avec un sourire. Vint alors le fameux dessert, étant prédécoupé, ils se firent servir de suite et Zaïn, avant d'entamer sa part, déclara à la tablée :

- Messieurs, savourez bien cet instant, vous ne serez pas réinvités de sitôt ici... En tout cas pas tant que les républicains auront battu notre record ! Les marins éclatèrent tous d'un même rire.

Il fallait pas non plus que Zaïn se fasse inviter trop souvent à de telles réceptions, car il pourrait y prendre gout et son budget ne lui permettait pas de se faire servir du thon rouge, du caviar et du chocolat à tous les repas. De plus il était plus du genre - de par sa carrure - à opter pour des repas frugaux mais très caloriques, tels que des lentilles, de la volaille, du riz, du lait et autres aliments dans le genre. Ce qui était sûr c'était que le gâteau au chocolat était divin !

- Tiens d'ailleurs, as-tu trouvé un moyen d'embaucher toute la main d'œuvre venant des esclaves affranchis par l'impératrice ? Ils en avaient parlés lors de leur dernière entrevue.