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  • Mar 22 Nov - 15:00
    La lumière perçait chaque carreau des vitraux colorés du vaste hall de l’Université Magic. Entre les colonnes qui soutenaient un plafond sur lequel on avait placé une illusion de ciel d’été, plusieurs étudiants circulaient, leurs bures ou houppelandes ondulant élégamment dès qu’il se remettait en mouvement. Parfois, certains formaient de petits conciliabules, se montrant grimoires et parchemins sur lesquels on pouvait admirer des avalanches de notes et pattes de mouche. De temps à autre, on parvenait à distinguer diverses runes et symboles arcaniques que le simple quidam aurait été bien incapable de traduire sans œil habitué aux jargons de magiciens. Certains, rongés par le stress, se gavaient d’étranges elixirs de leur propre cru pour regagner un tant soit peu de forces. D’autres, plus discrets et plus honteux, préféraient juste une flasque de courage liquide, moins contraignant à acquérir ; mais ces derniers restaient dissimulés dans les alcôves de l’académie jusqu’à ce qu’ils puissent faire un pas devant l’autre sans tanguer comme une barque. Après s’être réunis pour confronter leurs cartes stellaires pour les leçons d’astronomie ou leurs interprétations d’augures oniriques, ils se séparaient, la boule au ventre, avant de s’engouffrer chacun dans des corridors différents. Au milieu de tout ce petit monde, véritable fourmilière qui ne cessait de bouger, Klarion marchait doucement aux côtés d’une magicienne bien plus âgée que lui.

    Jocasta Cunningham était une bibliothécaire vénérable et respectée au sein de l’université. C’était une vieille dame aux cheveux blancs comme la neige, toujours coiffés en un chignon serré. On la reconnaissait facilement avec ses robes d’un éclatant jaune tournesol ainsi qu’à la pomme de senteur qu’elle laissait pendre d’une chaînette argentée passée à sa ceinture, embaumant l’air autour d’elle une délicate fragrance printanière. Jocasta était une femme consciencieuse et, bien qu’elle ne fut pas une mage particulièrement puissante, était une documentaliste et archiviste extrêmement douée. Son talent était tel qu’on lui avait accordé la gestion de plusieurs livres précieux, uniquement consultables par le corps professoral et les étudiants diplômés de cursus d’honneur, le tout au milieu de salles de lecture si silencieuses que le moindre battement de cil était perceptible à l’oreille. Rares étaient les archivistes de l’établissement à être aussi zélés que Jocasta. Ainsi, quelle ne fut pas la surprise générale en découvrant que trois grimoires vieux de trois-cent ans s’étaient volatilisés. Leur compartiment de rangement avait été retrouvé vide le matin même par Mme. Cunningham, qui avait séance tenante fermé l’accès à l’ensemble des livres précieux le temps que lumière soit faite sur cette affaire.

    - Par les étoiles, pesta Klarion en stoppant la marche, se postant devant Jocasta, pourquoi sommes-nous contraints d’attendre un officier républicain ? Où sont les senseurs de magie ?

    - Je les ai fait mandé dès que j’ai découvert cet odieux larcin, répliqua Jocasta d’une voix plaintive. Mais tous ont été mobilisés dans les bois du sud pour un examen pratique avec les étudiants en Stratégie Militaire de cinquième année, afin de s’assurer qu’aucune tricherie n’ait lieu. Je n’ai eu guère le choix de…

    - Peste ! coupa Klarion sans attendre qu’elle ne termine. S’il y avait besoin d’une énième preuve que nous manquons de personnel senseur

    Bien que Klarion fut déjà diplômé de l’académie, il y revenait régulièrement pour profiter de leur bibliothèque, des divers laboratoires, et aider plusieurs professeurs. Il se sentait ainsi membre à part entière de l’université, même s’il n’était pas maître de conférence. Il portait une longue robe de mage au buste cintré et tenait dans sa main gauche un long bâton de chêne noir, au sommet noueux, dans lequel avait été incrusté une gemme irisée, étincelante comme du diamant, ou de la lumithrite. Quelques reflets multicolores provenant de la pierre glissaient sur le tissu safran de la bibliothécaire tandis que le jeune homme réfléchissait. Il brisa bien vite le silence qui commençait à s’installer tandis qu’une enchanteresse passait près d’eux, un hypo de compagnie aux écailles pourpre voletant autour de ses épaules.

    - Mme. Cunningham, faites part au conseil que je collaborerai avec l’officier en question lorsqu’il arrivera sur les lieux. Il faut que l’Université conserve un certain regard dans cette histoire. D’autant plus que je voulais ardemment consulter l’un des grimoires disparus.

    - Fort bien, je vais à leur rencontre sur le champ dans ce cas. Le temps qu’il arrive, je serai sans doute de retour à la bibliothèque. Tenez, voici les titres des livres.

    Jocasta lui glissa un papier dans la main avant de se hâter vers des escaliers qu’elle commença à grimper. Le premier titre était le grimoire que Klarion désirait lire, Onirie - comment capter et vivre les rêves d’autrui par le mage Deucalion. Les deux autres, du même auteur, s’intitulaient respectivement : Thaumaturgie lithomantique et Tyromancie, vol 2. les fromages de brebis. La singularité du dernier volume interpella quelque peu Klarion lorsqu’il passa son regard dessus. Deucalion fut un mage relativement connu pour ses intérêts divers, surtout en magie de guérison et enchantements domestiques. Pour ses recherches sur la psyché, le Psychomancien souhaitait consulter ses travaux sur les rêves afin d’aborder le subconscient avec plus de détails. S’il existait une forme de télépathie ou de lecture psychique permettant de visualiser les rêves d’autrui, alors Klarion se disait que l’apprendre ne pouvait que lui être profitable. Il rangea la note qu’on lui avait laissée dans une poche de son vêtement avant de faire volte-face et marcher vers l’entrée de l’école, où il attendrait l’officier républicain qui devait arriver sous peu.

    Arrivant au dehors, Klarion s’adossa à une colonne du porche depuis laquelle il scrutait les passants. Il vit un jeune nain en bure brunâtre et à la barbe tressée plongé dans une grande conversation avec un comparse elfique qui tenait une baguette d’if entre ses doigts fins. L’elfe, d’un geste gracile du poignet, conjura une volée de bulles du bout de sa baguette. D’un second moulinet, il modifia leur forme pour qu’elles adoptent celle de papillons ou de cygne. Il acheva sa démonstration en congelant les bulles avant de les faire éclater une magnifique pluie pailletée. Le nain, médusé, semblait vert d’envie en voyant l’aisance de son camarade et grommela quelque chose que Klarion ne put distinctement entendre. Ils disparurent dans le hall en passant la grande porte, laissant le mage psychique avec la certitude que, bien vite, le petit barbu serait rongé par la jalousie. Klarion quitta sa colonne pour parvenir à reposer le regard sur les deux non-humains. L’elfe s’apprêtait à de nouveau utiliser son aquamancie et commençait déjà à tisser un ruban d’eau clair au-dessus de sa tête. Le Psychomancien saisit cette opportunité et, se concentrant, étendit ses griffes mentales pour qu’elles aillent picoter très légèrement l’esprit de l’elfe. Ce dernier ressentit une douleur semblable à celle d’une aiguille qu’on vient subitement piquer au sein  de son crâne. L’eau qu’il venait d’invoquer lui tomba en pleine figure, trempant son visage, sa poitrine, et sa longue chevelure de blé. Klarion relâcha immédiatement son emprise et retourna à son poste, satisfait d’avoir pu rendre un maigre service à un étudiant parfaitement ignorant de son geste…
    Citoyen de La République
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    Pancrace Dosian
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    qui suis-je ?:
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  • Mar 22 Nov - 19:55

    Parfois, pour une raison qui m’échappe un peu, les chefs décident que c’est bon pour nous de sortir un peu de notre environnement naturel et d’aller faire notre boulot ailleurs. Dans les mauvais cas, ça va être un bled moisi en plein milieu de la campagne, mais sinon ça peut être une ville ou une bourgade sympathique. Mais j’crois bien que le pire, c’est que le chef décide de te faire une fleur en t’envoyant dans la capitale du pays pour que tu puisses t’amuser et voir du beau monde, alors que t’as déjà tout fait pour arrêter d’y mettre les pieds.

    Du coup, évidemment que j’ai pas prévenu ma famille que, grâce à la sollicitude de mon supérieur hiérarchique, j’étais juste à côté. C’est que j’aurai trop de travail, évidemment, et pas le temps d’aller pointer le bout de mon nez, c’est bien que ça, sinon, hein, je serais venu, bien entendu.

    Tant que je les croise pas au hasard d’une rue, tout ira bien. Et vu la taille du patelin, y’a assez peu de chances pour que j’profite du beau temps l’esprit serein, quoi qu’il caille d’une part, et que j’suis pas venu pour enfiler des perles d’autre part. Ce qui explique que j’marche d’un pas vif vers l’ouest de Liberty, quittant progressivement la ville et sa forte concentration de population, pour arriver sur des espaces plus verdoyants, toujours très bien entretenus, avec le charme caractéristique de la République.

    Ah ça, c’est autre chose que les ruines de Shoumeï.

    A la vue de mon uniforme, les concierges, ou peu importe leur appellation, me laissent entrer dans la prestigieuse Académie Magic, le genre d’endroit dont on rêve, qu’on soit magicien ou pas, et pour être honnête, si c’était pas autant guindé et réservé à des gens pas comme moi à l’intérieur, j’en serais presque jaloux. Mais faut bien dire qu’à voir les conneries amusantes des étudiants, j’me dis que j’travaille quand même sur du plus concret, le genre qu’est utile pour faire mon taf d’officier républicain, loin de la théorie excessive de leurs cursus. Puis j’ai jamais eu le luxe, j’ai toujours bricolé à l’arrache, et ça fonctionne jusque-là.

    J’me demande quand même pourquoi les autres ont choisi de m’envoyer, moi. Ils avaient p’tet plus de mage sous la main, mais c’est pas de ça que l’académie devrait manquer, a priori. Ca se trouve, il leur faut le brio et la vista d’un jeune officier réépublicain pour résoudre une enquête et lui témoigner toute leur reconnaissance.

    Mon guide me pointe vers la bibliothèque et, ignorant l’elfe et le nain qui font mumuse avec de la flotte après un regard dédaigneux, j’m’avance vers la porte pour la pousser et trouver ce qui m’attend à l’intérieur quand un type appuyé sur la porte à côté de moi me fait un signe de la main.

    « Officier. Klarion Brando, enchanté. Je vais collaborer avec vous pour élucider l’affaire qui nous intéresse.
    Pancrace Dosian. Parfait, je vous écoute.
    Entrons, d’abord. »

    Même taille et corpulence que moi, avec un grand bâton en chêne et un truc qui brille dessus. Pierre précieuse ou semi-précieuse, potentiellement magique, bon potentiel de revente. Mais j’suppose que peu nombreux seraient ceux à vouloir tenter l’aventure. C’est le souci avec les mages, on sait jamais vraiment sur quoi on tombe. En tout cas, soit il sort pas souvent de son bureau, soit il a une sacrée gastro, pas de doute là-dessus. Du coup, avec les angles un peu acérés de son visage, il fait un peu genre oiseau de proie, j’dirais, surtout avec les mirettes qui fixent comme ça. Bah, on prend ce qu’on a, tant que ça me traîne pas trop dans les pattes pour me laisser faire mon office.

    A l’intérieur, la décoration est plutôt du genre très très classe et charmante, le style que je contemple que quand je suis appelé dans les bureaux des chefs à l’étage, pour me faire engueuler ou, plus rarement, féliciter. C’est que ça leur coûte cher, on a l’impression, les compliments. Mais ça me décourage pas, suffit de trouver comment leur rendre service. J’m’attarde pas davantage sur les bois précieux et les rangées de bouquin, vu qu’une vieille ramène sa fraise, ou plutôt son citron à voir la couleur de sa robe, et commence à m’expliquer la situation.

    Pour la faire courte, y’a trois bouquins qu’ont disparu, dont un qu’a l’air carrément à chier, et il faut absolument les retrouver, il en va du destin du savoir de cette nation, yada yada yada. Elle doit avoir un bonus à la fin de l’année si tous les livres sont encore là, j’suppose, ou alors sa vie est aussi sèche que les pages qu’elle consulte, je sais pas, mais elle prend au moins dix minutes à m’expliquer à quel point c’est important et critique et tout et tout. J’étouffe difficilement un bâillement et je profite d’avoir la bouche ouverte pour prendre la parole.

    « Est-ce que les livres étaient là hier soir ?
    Je… Peut-être. Je fais les vérifications plutôt le matin, et non le soir.
    Est-ce que ça veut dire que quelqu’un aurait pu prendre les livres en cours de matinée sans que qui que ce soit ne s’en aperçoive ?
    Je suppose que cela serait effectivement possible, si la personne arrivait ensuite à sortir les livres de l’académie et partir avec.
    Est-ce que vous avez des protections magiques pour empêcher cela, peut-être ?
    Pas réellement… »

    Genre, vraiment ? Enfin, peut-être pas dans cette section, qu’a l’air relativement sans danger, mais on peut espérer que le bouquin qui permet de déclencher l’apocalypse est un peu plus surveillé que ça. J’cligne des yeux.

    « Du coup,  vous avez fait appel à vos mages pour une analyse magique des lieux, au cas où ?
    C’est là que ça devient gênant, Officier…
    Comment ça, exactement ?
    La quasi-totalité de nos mages disposant de cette expertise sont absents pour une affaire de la plus haute importance…
    Importante comment ? »

    Ils sont partis se bourrer la gueule à un séminaire, c’est ça ?

    « Importante. Il s’agit d’une affaire interne de l’académie. »

    Voilà qui me conforte dans mon idée.

    « Bon, ouais, j’vois le genre, du coup. Et le ou la voleuse connaissait potentiellement ce fait, et aurait profité du créneau pour disparaître avec les trois ouvrages.
    C’est… fort possible.
    Ca roule, laisse faire le professionnel, alors. »

    Je gigote des doigts, davantage pour le spectacle et m’imprégner de la pièce que par réelle utilité, puis j’utilise une de mes rares magies, celle de senseur, des fois que le coupable ait décidé d’utiliser un sort pour se faire la malle. Rien qu’une téléportation, en vrai… Heureusement, c’est pas ça : y’a clairement des relents de métamorphose, et j’en viens à me demander pourquoi elle a été faite ici.

    « Métamorphose, j’dirais. Faudrait demander aux gens qui étaient là s’ils ont vu des choses bizarres, mais alors pour tous ceux qui sont passés, bonne chance, quoi… Donc suivons plutôt la piste. Si on se dépêche assez, on remontera p’tet à un endroit intéressant. Surtout que les dernières traces commencent à disparaître, là. »

    Je suis bien placé pour reconnaître cette magie, faut bien le dire. Et faut surtout pas lambiner.

    « Mademoiselle, Monsieur, je vous rapporte tout ça dès que possible. »
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  • Mer 23 Nov - 21:23
    Pancrace commençait déjà à quitter la salle des archives où, avec Klarion et Jocasta, ils s’étaient postés pour débuter l’enquête. Le militaire républicain semblait formel, le voleur avait usé de la métamorphose pour s’approprier les grimoires. Le jeune mage devinait que son collègue du jour devait posséder quelques talents de senseur afin d’affirmer une telle chose avec certitude ; aucune trace physique n’avait été laissée par un quelconque sortilège, seul un être capable de capter la magie avait pu le percevoir. Tel un lévrier flairant sa piste en pleine chasse, l’officier était prêt à partir tandis que Klarion intima à Mme Cunningham de leur faire parvenir au plus vite une liste des personnes ayant consulté les ouvrages durant la dernière semaine. La documentaliste se pressa et disparut dans une allée d’étagères tandis que le Psychomancien commença à faire quelques pas pour suivre le beau brun. Ce dernier avait le regard aussi mutin que celui d’un gobelin passé maître dans l’art de l’arnaque, à force de vente de philtre miracle et potion de longue vie. Peut-être avait-il déjà eu une idée derrière la tête en foulant l’entrée de l’Université Magic ? Peut-être roulait-il des mécaniques pour oublier le fait qu’il ne voulait pas être là ? Klarion tâterait le terrain plus tard ; il demeurait quelque chose qui l’interpellait dans toute cette situation :

    - La métamorphose est un art qu’énormément de personnes possèdent dans cette école, nous pourrions être sur la piste de n’importe qui. Par ailleurs, il aurait fallu que le fautif se transforme en quelque chose de suffisamment capable de porter trois ouvrages en même temps. Une pieuvre peut attraper trois livres avec ses tentacules mais ne serait nullement assez forte pour les traîner derrière elle, et à quoi bon se transformer en primate là où des mains humaines peuvent faire le même travail ? Vous voyez où je veux en venir ?

    Ils arrivèrent au niveau de la porte et Klarion tapa le sol un peu plus fortement avec son bâton, comme s’il ponctuait son argumentaire.

    - Vous pourriez être soit sur une fausse piste, soit tomber dans un piège du coupable qui aurait pu utiliser la métamorphose comme leurre afin d’envoyer le senseur à la poursuite d’un métamorphe là où la métamorphose n’aurait eu aucune utilité dans l’équation.

    L’arcaniste attrapa le bouton de porte avant que Pancrace ne puisse le faire, ouvrant la porte suffisamment doucement pour que les gonds et le bois émettent un grincement des plus stridents.

    - Officier Dosian, vous êtes sans doute un fin limier mais vous aurez besoin de moi pour évoluer au sein de l’université, vous n’êtes pas en terrain connu. Vous aurez également besoin de moi pour forcer les défenses mentales de ceux qui pourraient ralentir votre enquête, voire des suspects. Chaque mage possède, au sein de cet établissement, une volonté suffisamment solide pour conjurer leurs sortilèges, il ne fait nul doute qu’un simple interrogatoire ne suffira point à les faire fléchir.

    Il marqua une pause, la porte était désormais entièrement ouverte, laissant tout loisir aux deux hommes de sortir dans le couloir. Pour l’instant, aucun d’eux ne franchi le seuil pour passer dans le corridor, Klarion voulu reprendre mais Jocasta se faufila derrière eux. La bibliothécaire tenait entre ses mains une note de papier qu’elle tendit au magicien avant de lui adresser d’une voix calme :

    - Voici la liste que vous m’avez demandée, Klarion. J’ai fait part au conseil d’administration de votre collaboration avec sieur Dosian, ils vous font confiance et m’ont demandé de vous transmettre qu’ils attendent de votre part un rapport détaillé une fois l’affaire conclue.

    Elle les salua avant de repartir dans une allée, sa robe ocre ondulant dans son sillage. Klarion se retourna vers Pancrace et lui glissa doucement la note dans une poche. Sur le papier, Jocasta avait noté les noms des gens qui étaient passés demander ces grimoires durant la dernière semaine. Ceci fait, il tapota de nouveau le dallage de marbre avec son bâton.

    - On m’a surnommé le Psychomancien en raison de mon expertise sur la magie psychique. Je vous laisse en déduire en quoi cela pourra vous être utile.

    Le jeune homme finit par sortir dans le couloir depuis lequel il se tourna de nouveau vers son interlocuteur. Sur leur droite, loin au devant, se trouvait deux étudiantes assises dans une alcôve en train de s’exercer à lancer des sorts d’illusion pour masquer leur acnée naissante. Malheureusement pour le couple de midinettes, leurs tentatives demeuraient vaines, ne parvenant qu’à simuler un maquillage si criard qu’elles auraient pu trouver aisément place parmi une troupe de saltimbanques. De l’autre côté, un vieux professeur admirait le paysage depuis une fenêtre, méditant sans doute paisiblement. Consultant l’heure en sortant une montre de poche, Klarion en déduisit que la plupart des gens devaient se restaurer au mess de l’académie, si l’on ne comptait pas ceux qui se trouvaient encore en cours. Une pensée le traversa subitement ; et si l’un des suspects se trouvait dans les bois du sud pour l’examen des élèves stratèges ? Leur tracas n’en serait que plus grand, ils devraient en plus mobiliser un mage téléporteur pour s’y rendre sans délai…

    - J’ai consulté le premier nom sur la liste, Ermelin Focalor. C’est un gobelin pas spécialement commode. Nous étions dans la même promotion en première année, avant qu’il ne bifurque en milieu d’année pour passer en cursus d’Artisanats et Forges Magiques. Il peut se métamorphoser, je l’ai vu faire pour échapper à certains qui se moquaient de lui. Essayons le mess, suivez moi.
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  • Jeu 24 Nov - 16:49

    J’retiens une moue de scepticisme quand Klarion me suit à la trace et commence à me faire la causette, pour m’expliquer que y’a des mages dans l’académie Magic, ô quelle surprise, et que les sorciers vont pas vraiment pousser la fonte tous les jours, donc porter trois bouquins, c’est pas facile, tout ça. Alors, certes, les emplacements avaient l’air un peu large, mais ça va pas penser dix kilos l’unité, si ? Enfin on sait jamais, p’tet que les recettes de fromage de Mamie sont très détaillées. Mais j’me tais des fois qu’il dise un truc intéressant.

    Quand il évoque la possibilité du piège et la nombre ahurissant d’élèves qui maîtrisent la métamorphose, et que suivre la piste ne servirait à rien, j’me demande si c’est réellement le cas. On sait jamais, c’est mon métier et pas le sien, mais j’suis pas totalement fermé. Alors j’ferme ma bouche.

    Puis il m’embarque avec sa liste bricolée à la va-vite, et j’vois tellement de trous dans le raisonnement que j’commence à douter de l’utilité de boucler mon claque-merde. C’est que, si le psycho se plante, est-ce que ça en fera un psycho-couac ? A méditer. Mais j’tiens ni à m’embrouiller avec un prestidigitateur de Liberty, ni particulièrement à résoudre l’affaire, vu que j’ai été envoyé là par défaut. C’est qu’il pourrait essayer de me mettre un coup de son gros bâton, hé ? Quelque chose à compenser, m’est avis.

    « ‘Sûr, pourquoi pas. Il vous a fait quelque chose, le gobelin, pour qu’il se retrouve par hasard à être le premier de la liste alors qu’on a une piste toute prête à suivre ? J’demande juste pour savoir, hein. »

    Avant de servir de caution et de soutien moral s’il s’agit de pousser un gus dans les escaliers ou lui faire découvrir l’encyclopédie de très très près, j’préfère autant savoir dans quoi j’me lance.

    « J’tiens juste à dire que si tout foire, j’dirai que c’est la faute de l’académie qui m’a empêché d’enquête, j’veux juste qu’on soit carré là-dessus. Pas question que j’récolte la merde pour ça, vu que ça a tendance à dévaler la hiérarchie. Principe de gravité. »

    C’est que, si on avait juste suivi la piste et qu’on était tombé sur un complice, on aurait pu juste le secouer jusqu’à ce qu’il crache le morceau sur le coupable véritable, par exemple. Enfin, y’a p’tet eu des mesures qu’ont été prises pour couper le flux contre les senseurs, ça peut se faire, il paraît… D’un autre côté, j’commence à avoir la dalle, alors aller à la cantoche, c’est une idée comme une autre, à bien y réfléchir.

    « Au passage, on n’est pas sûr que ce soit un élève, ça se trouve, c’est la femme de ménage ou un enseignant qu’a besoin de se renflouer un peu, j’pose ça ici comme ça. »

    Sur mes sages paroles, en tout cas à mon goût, j’lui emboîte le pas en direction de ce qu’il a appelé le mess, avec une terminologie toute militaire qui me semble pas nécessairement adaptée à une école où des ados pré-pubères apprennent à compter les oiseaux et exploser leurs boutons d’acné. Mais on se trouve de la légitimé où on peut.

    Les couloirs se suivent et se ressemblent, et j’me dis qu’il faudrait quand même tailler un peu la discut’ histoire de repartir sur des bonnes bases.

    « Bon, enfin, faut pas le prendre personnellement, j’veux juste pas d’emmerdes. Vous êtes plus élève ici, déjà gradué, c’est ça ? Pas de doute, la magie psychique, pour les interrogatoires, c’est super utile. »

    J’en sais vaguement quelque chose aussi, même si j’ai pas la prétention d’avoir le bagage d’un professionnel. Mais les méthodes traditionnelles marchent bien aussi, pour encourager quelqu’un à nous chanter un bel air dans une salle glauque et fermée à clé. En tout cas, pour les plus récalcitrants, on a nous aussi nos spécialistes.

    « Mais si c’est comme la métamorphose, y’a des chances qu’en face, y’ait les mêmes capacités, nan ? A moins que ça soit moins répandu, comme cursus ? »

    ‘Me suis jamais vraiment intéressé à leurs formations. Pas comme si j’avais sept ans à foutre là-dedans maintenant, si tant est que j’réussissais à rentrer. On est déjà au bord du miracle, à voir comment le concierge a regardé si j’laissais pas des traces de boue après avoir passé la porte.

    A l’entrée du self, j’attrape un bout de pain avant que qui que ce soit puisse dire un mot, et j’pointe mon accompagnateur, qui fait mine de pas s’en rendre compte. Il pointe du doigt un gobelin au milieu de ses p’tits potes verts, et j’serais bien en peine de dire lequel est le bon. Ils se ressemblent un peu tous, à part la couleur de leurs robes, quasiment, faut bien le dire.

    Klarion isole le sien, et lui demande nous suivre un peu à l’écart, ce qu’il fait avec son plateau, et on s’assied en face, et j’ai envie de lui piquer son fruit juste pour voir comment il va réagir. Ça met une bonne ambiance, en général.

    « Officier Pancrace Dosian. J’enquête pour le compte de la direction de l’Académie sur une mystérieuse disparition. Vous êtes bien Ermelin Focalor, Artisanats et Forges Magiques ?
    - Oui, c’est moi. Qu’est-ce qui a disparu ? La politesse de Brando ? Ca fait des années et ça fait bien longtemps que tout le monde a abandonné, y compris et surtout ses parents. Qui l’ont abandonné, lui aussi, au passage. »

    Grosse ambiance. Plutôt marrant même si ça sonne plutôt travaillé, comme réponse.

    « Lui ? Nan, c’est un tendre, il me sert de guide dans votre petite école. Alors, c’était bien, la bibliothèque, hier ? C’était pour récupérer quoi ? »

    Il plisse les yeux, me jauge. P’tet même que y’a un sortilège qui mijote derrière ses p’tits yeux sombres.

    « Je devais consulter ‘’Imprégner des bijoux en alliage de piètre qualité’’ de Poljen Domonleb dans le cadre d’une étude préalable à la réalisation d’une vague. Qu’est-ce qui a disparu ?
    - Je savais pas que c’était vous, l’officier républicain. Vous savez vous métamorphoser ? La magie classique, j’veux dire.
    - Pas plus que ça. »

    Marrant, ça, quand Brando vient de me dire l’inverse. Mais si y’en a bien un qui aurait pas pu porter des choses lourdes, c’est bien cette petite merde verte, ça, difficile de le remettre en doute…
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  • Jeu 24 Nov - 21:25
    Emerlin Focalor n’avait jamais été commode. Il fallait dire que, sous prétexte qu’il avait toujours été harcelé en milieu scolaire, le gobelin s’était mis bille en tête que le monde était contre lui. Ainsi, en raison d’un passé dont aucun de ses camarades ne fut responsable, Ermelin se comporta constamment de façon désagréable. Remarques acides, quolibets, le petit mage s’en donnait à cœur joie, sauf quand il se trouvait en compagnie d’autres gobelins avec qui il se montrait, étrangement, bien plus affable. Malheureusement pour Focalor, les brimades et agressions ne cessèrent pas une fois entré à l’université ; au contraire, son tempérament irascible ne fit qu’encourager ces situations. Dans l’ombre, et malgré l'inimitié manifeste d’Ermelin, Klarion avait essayé d’apaiser le gobelin grâce à sa magie, mais la haine de ce dernier était bien trop intense pour que son contrôle émotionnel n’ait véritablement l’effet escompté sur le long terme. Le gobelin était l’exemple parfait de ceux pour qui Brando travaillait, une pauvre âme malmenée par la vie. Ermelin, comme beaucoup d’autres, réagissait en se murant derrière une muraille de rage et d’amertume ; il aurait fallu être naïf pour penser qu’avec le temps elle se serait baissée. Après six mois passés en Théories fondamentales de la magie, Ermelin Focalor décida de changer de cursus pour étudier celui des Artisanats et Forges Magiques, où plus de membres de sa race étaient en apprentissage. Néanmoins, tout cela n’avait rien arrangé à sa mauvaise humeur, comme pouvaient le constater Klarion et Pancrace en ce moment même. Non content d’avoir terminé un premier cursus, Ermelin avait décidé de rester plusieurs années supplémentaires à l’académie, cette fois pour se former à devenir professeur.

    - Tu sais ce qui est plus laid que toi, Ermelin ? Dit alors Klarion d’une voix de velours. Ce sont tes mensonges.

    Le gobelin pivota lentement sa tête vers le jeune homme pour lui jeter un regard des plus mauvais. Il s’apprêtait à cracher sur le sol en guise de réponse, mais se ravisa, par respect pour le personnel de la cantine sans aucun doute.

    - Plaît-il, Brando ? Siffla-t-il en serrant les dents. Tu insinues que je mens ?

    - Je n'insinue rien, c’est un fait, continua calmement Klarion. Premièrement, tu n’as pas fait que consulter Poljen Domonleb, tu as aussi lu du Deucalion. Thaumaturgie lithomantique, je suppose ?

    Ermelin le dardait à l’aide des deux billes obsidiennes qui lui servaient d’yeux. Au fond brillait un éclair de la plus pure des détestations. Il tordit la bouche et fronça le nez, ses narines retroussées devenaient aussi fines que des fentes.

    - J’ai eu besoin de documentation supplémentaire, pour l’imprégnation arcanique des alliages, rapport au premier livre. Qu’est-ce que ça peut te foutre de toute façon ?

    - Je n’ai pas terminé, rétorqua Klarion, toujours sur le même ton. Si ma mémoire est bonne, j’ai parfaitement souvenir d’un certain gobelin se transformant en petite musaraigne au pelage céladon, passant au dessous des armoires et étagères pour fuir ses harceleurs.

    - Étrange… répondit Ermelin en montrant les crocs, j’en ai aucun souvenir.

    Focalor, désireux de changer de sujet, surtout sous l’œil de l’officier Dosian, s’en retourna vers son écrasé de pommes de terres dans lequel il enfonça sa cuillère. Alors qu’il la remontait vers sa bouche, le gobelin fut pris d’un spasme qui le fit lâcher son couvert, éparpillant des morceaux de purée compacte sur son plateau. Ermelin porta la main sur son front bosselé, des flammes de fureur brûlant dans ses yeux.

    - Arrête d’utiliser tes « griffes » sur moi ! clama-t-il de sa voix nasillarde. Pour qui tu te prends ?!

    Ce que Klarion avait surnommé ses « griffes », propos repris par Ermelin comme plusieurs membres de l’université, c’était son pouvoir d’attaque mentale. Il était dit que, lorsqu’il l’utilisait, le Psychomancien étendait sa volonté comme s’il sortait des griffes effilées qu’il usait sur l’esprit de sa victime. Les migraines qu’il causait avec cette magie étaient des plus déplaisantes, et l’expérience avait été crainte par bon nombre de ses camarades durant les exercices pratiques à l’Université Magic.

    - Je ne suis même pas en train d’essayer, Ermelin. Tu veux que je force un peu plus ? Tu risques de ne pas apprécier. Voyons voir si j’appuie… par là.

    Le gobelin s’attrapa l’autre côté de son crâne en étouffant un autre cri de surprise.

    - Sale geomi… Tu n’as pas le droit !

    - Au contraire, je ne suis plus étudiant, je collabore avec un représentant de l’autorité républicaine, et mandaté par le conseil d’administration en personne pour élucider un vol. Cesse d’être une nuisance, veux tu ?

    Klarion maintenait son emprise sur l’esprit du gobelin en souffrance qui serrait sa cuillère de bois si fort qu’on aurait dit qu’il allait la briser. Les trois hommes restèrent dans le silence pendant de longues secondes, qui devinrent minutes, jusqu’à ce qu’Ermelin, de rage, n’envoie valser son couvert qui partit tournebouler au bout de la table.

    - Arrête, ça suffit ! Myrmidon ! Cette naine ! Je l’ai vu tourner dans le couloir, puis elle est venue dans la salle ! Elle a pas arrêté de vouloir foutre son sale nez dans les bouquins de Deucalion, elle m’a même demandé d'emprunter celui que je lisais !

    L’arcaniste psychique, d’un air nonchalant, attrapa le verre d’eau de Focalor pour boire une gorgée rafraîchissante, comme si de rien était. Il reposa le verre sur le plateau en même temps qu’il cessa d’user de sa magie.

    - Tu vois, quand tu veux, tu peux être serviable, fit Klarion en esquissant un sourire énigmatique avant de se tourner vers Pancrace. Voilà un suspect plus concret, Gagrona Myrmidon, elle n’était pas sur la liste de Cunningham. Tu sais où elle est, Ermelin ?

    - Ptet vers le cloître, elle lit souvent là-bas cette folle, grommela le gobelin en s’affaissant sur lui-même. Ou dans les jardins, z’avez qu’à y aller, c’est romantique. Pauvres tarés

    Klarion soupira, et pencha sa tête vers le militaire, de nouveau prêt à partir.
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    qui suis-je ?:
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  • Sam 26 Nov - 12:44
    Hé bah, sale ambiance, les magiciens, entre eux. Ca doit bicher sous les robes, si ça se balance des sorts à tout va dès qu’il s’agit de chopper des infos un peu rigolotes. J’me demande si ça dégénère, aussi, à force, avec une escalade, des invocations démoniaques, des malédictions de punaises de lit, des morpions et j’en passe. Est-ce que les professeurs se retrouvent davantage à faire du babysitting qu’enseigner ? A quel point il faut enquêter sur les disputes entre toutes ces petites crasses venues de cultiver ?

    Au moins, dans l’armée, on a un vrai esprit de corps. Alors, certes, on se fout sur la gueule, pas toujours subtilement d’ailleurs, et on se fait des farces dont certaines sont carrément vicieuses, mais ça reste honnête. Comme la fois où on a pris toutes les affaires que Frandisguel pour les foutre à la rivière après avoir foutu le feu à sa ten… Ouais, nan. Plus honnête dans le sens où on est moins outillé. Un milieu rude et fruste pour des gens frustes et rudes, hein.

    Bref, après s’être embrouillé avec le p’tit vert et, par extension probable, toute sa famille étendue, va être temps d’aller faire la même avec les p’tits barbus. Est-ce que les petites races ont davantage tendance à devenir magiciens pour compenser ? Un sujet à creuser si ça n’a déjà été fait, pour de brillants sociologues qui se cherchent un avenir radieux, à n’en point douter, hé.

    On s’dirige donc vers le cloître, et j’espère qu’on va pas la chercher pendant des plombes. J’en profite pour faire la discussion, pasque le calme silencieux des lieux immenses fout un peu la pression, quand même.

    « On était pas obligé de le torturer mentalement, quand même. Enfin, le mettre face à ses contradictions aurait pu suffire à le convaincre de nous répondre la vérité. Surtout que là, il a une raison supplémentaire de nous mentir.
    - C’est difficile, de mentir quand je suis en train de leur griffer l’esprit.
    - J’en doute pas, que j’rétorque. Mais ça veut pas dire impossible.
    - Non, il n’a pas menti, j’en suis certain.
    - ‘Sûr. Et est-ce que ça valait le coup de s’embrouiller avec lui et tous ses petits camarades verts ?
    - Nous n’étions déjà pas franchement amis.
    - J’avais cru comprendre, ouais. »

    Tant que ça me retombe pas dessus, moi, j’m’en fous : dans quelques jours, j’repars à Courage, et a priori, j’devrais pas être amené à refoutre les pieds à Liberty toutes les semaines. Donc s’il veut vivre en jetant des regards derrière lui pour voir si y’a pas quelqu’un avec un surin dans une ruelle sombre, grand bien lui fasse.

    Quand on arrive là où on doit, j’m’attarde pas trop sur la décoration, assez secondaire, et j’essaie de voir si y’a des nains et des naines. Chou blanc.

    « Tu vois quelque chose ?
    - Elle ne semble pas être là.
    - Bon, les jardins, alors. »

    J’vois pas trop qui pourrait décider d’aller lire là-bas vu comme il caille, mais ils ont p’tet un sortilège qui permet de se maintenir au chaud, genre la maîtrise élémentaire du feu, par exemple. Ca serait un bon plan, ça, à l’occasion, pour éviter de geler les couilles et les orteils pendant des rondes, au plus froid de l’hiver, tiens. A noter dans un coin de ma tête.

    Mais la réponse est beaucoup plus simple et prosaïque : il y a un genre de véranda ou de verrière qui donne sur l’espace qu’ils appellent les jardins, un coin immense où des pelouses alternent avec des arbres solitaires, des bosquets, des parterres de fleurs et de buissons et, plus loin au fond, possiblement un début de forêt. Bref, bonne ambiance chez les académiciens, encore que certains coins font un peu désolés, vu le calendrier.

    Klarion pointe du doigt une naine à l’écart, et j’me dis qu’on va p’tet gagner du temps : elle a des couettes blondes, le visage avenant, et est totalement absorbée par ce qu’elle est en train de lire. Si on a du bol, ce sera même un des bouquins disparus, elle nous donnera les deux autres et ça sera marre.

    On se colle en face d’elle jusqu’à ce qu’elle lève le nez.

    « Excusez-moi, vous cachez ma lumière, vous pouvez vous décaler un petit peu ?
    - Ouais, on se décalera dès qu’on aura fini de discuter.
    - C’est que je suis très occupée, actuellement. J’ai un devoir à rendre et…
    - Nous aussi, on est occupé. J’suis l’Officier Républicain Dosian, j’enquête sur des vols d’ouvrages magiques.
    - Comment ? Qui aurait osé faire une chose pareille ? Qu’elle a le culot de s’insurger.
    - Justement, on se demande. »

    Elle pose soigneusement un marque-page en tissu brodé avant de refermer son grimoire, et j’lis à l’envers, malgré les lettres cursives d’une police dégueulasse ‘’Archimed Kebab’’. Bon, pas celui-là, dommage.

    « Vous pouvez m’en dire davantage ?
    - J’escomptais plutôt l’inverse. Des bouquins de Deucalion ont disparu de la bibliothèque, et nos premières indications tendent à laisser penser  que ça vous intéressait beaucoup.
    - Oh, oui, je devais regarder quelque chose en rapport avec la thaumaturgie lithomantique.»

    Je hoche poliment la tête.

    « Vous savez ce que c’est ?
    - Pas la moindre idée.
    - Alors en fait, c’est quand…
    - J’ai pas dit non plus que ça m’intéressait, je précise. Revenons à Deucalion. C’est un gobelin qui nous a dit que vous aviez fortement insisté pour lui emprunter celui qu’il était en train de lire. Vous pouvez nous donner des précisions à ce sujet ?
    - Bien sûr. On a tous reçu un devoir et Deucalion est une référence un peu obscure dans le domaine. Peut-être même que le coupable a pris les livres pour empêcher ses rivaux de les consulter, et qu’il les rendra ensuite. Ca s’est déjà vu. »

    Quoi ? Ca veut dire que ça se trouve, je me fais chier à mener l’enquête alors que c’est juste des gamins qui se tirent dans les pattes ? J’jette un regard en coin à Brando, et j’lève un sourcil. Hé, c’est quoi l’embrouille, là ?
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  • Dim 27 Nov - 14:19
    Klarion demeurait pensif aux côtés de Pancrace et de la naine Myrmidon. Toute cette affaire prenait un tournant tout à fait singulier, et inattendu.

    - Ce serait très loin d’être la première fois que des étudiants se tirent dans les pattes, mais dérober des tomes centenaires n’est pas un acte anodin.

    L’acte n’était pas anodin, et le coupable risquait énormément de se risquer à pareille bassesse. Non seulement la personne responsable de la situation se ferait renvoyer séance tenante après un conseil de discipline austère, mais il serait sans aucun doute maudit afin de ne plus jamais pouvoir poser le pied dans l’enceinte de l’université. Pour un aspirant mage, un destin pareil équivalait à devenir un paria parmi les membres de l’académie et s’ostraciser de sa propre communauté magique. Mais, s’il réussissait, il en ressortirait vainqueur à tous les niveaux. Mis à part ce nouveau tournant dans leur enquête, le Psychomancien réfléchissait à un lien entre les trois grimoires de Deucalion et les travaux des élèves. De prime abord, ils ne semblaient avoir rien en commun tant leurs sujets étaient différents. Les rêves, les pierres précieuses et les fromages de brebis, tout cela était tellement hétéroclite qu’on se serait cru dans un bazar du Doreï. Onirie - comment capter et vivre les rêves d’autrui et le second volume de Tyromancie possédaient tous deux une certaine portée divinatoire, mais les allier au grimoire de thaumaturgie n’avait peu de sens si on se plaçait du point de vue d’un oracle. À moins que… ?

    - Gagrona, dit Klarion en alpaguant la naine à couettes, quel était l’intitulé de votre devoir ?

    - On nous a tous confié un jeune wyrmelin blessé, ou malade, dont il fallait s’occuper, répondit l’intéressée sans quitter sa lecture des yeux. Si, au cours suivant, l’animal est complètement soigné, alors c’est gagné.

    - Et, continua Klarion par curiosité, où est ton wyrmelin ?

    Gagrona, légèrement exaspérée, émit un soupir las et posa son livre pour prendre sa sacoche de cuir. De cette dernière, elle sortit une boîte de bois sculptée autour de laquelle plusieurs morceaux de parchemins tapisés de runes luisaient légèrement, infusés de magie. Elle ouvrit légèrement la boîte pour que les deux hommes puissent voir, à l’intérieur, l’animal endormi.

    - J’ai construit ce phylactère pour qu’il y passe sa convalescence. Je pensais avoir besoin des ouvrages de Deucalion, mais j’ai pu me débrouiller sans finalement.

    Klarion affiche un sourire satisfait tandis que la naine referma la boîte pour laisser le wyrmelin se reposer. Le jeune homme se tourna vers Pancrace et l’entraîna à l’écart en lui effleurant le bras de ses doigts fins, laissant enfin Gagrona qui s’en retourna vers les pages jaunies de son roman.

    - Notre voleur est un élève du cursus de Médecine Magique, en troisième année comme Gagrona. Il aurait pu s’en tirer à bon compte s’il n’avait subtilisé que les livres Onirie et Tyromancie, mais il a fallu qu’il subtilise aussi celui de Thaumaturgie.

    Klarion marqua une pause pour laisser le temps à Pancrace d’assimiler l’information avant de reprendre :

    - Le coupable cherche sans doute à supprimer la concurrence mais aussi à se démarquer des autres élèves en alliant trois formes de magie et proposer à son professeur une guérison particulièrement originale. Le soin par les pierres, les rêves et… les produits laitiers, peut former un combo suffisamment important pour le faire passer pour un étudiant modèle. Il faut qu’on se dépêche et

    Le mage psychique attrapa une poignée de porte et l’ouvrit avant de se faire pousser par Pancrace. Une boule enflammée de la taille d’un ballon passa à quelques centimètres du visage de Brando alors qu’il basculait en arrière, le bel éphèbe sentant la chaleur émise par l’émission enchantée. Klarion toucha le sol alors que la sphère de feu finit sa course contre le mur derrière eux, noircissant la pierre alors que les flammes s’estompaient en disparaissant. Dans le couloir, ils ne purent distinguer qu’une forme flou encapuchonnée qui fut hors de vue en un battement de cil. Gagrona, surprise, se releva brusquement pour venir aider Klarion à se relever et se remettre sur pied. Prenant appui sur le bras que lui tendait la naine, il ramassa son bâton et se remit debout. Klarion remercia Gagrona avant de lancer un air grave à l’officier républicain.

    - Il sait qu’on est après lui, on perd notre avance. Si seulement j’avais pu avoir un contact visuel, j’aurais pu l’avoir avec ma magie

    Fronçant les sourcils, Klarion expira doucement avant de plonger à nouveau son regard dans celui de Dosian.

    - Ne sous-estimez pas un mage guérisseur ; ils savent donner la vie mais aussi la reprendre. Mon contrôle des émotions peut le contraindre à se révéler, il ne faut pas qu’on perde notre allure. Gagrona, peux-tu nous donner l’emploi du temps de ta classe ?

    Face à la teneur de la situation et la tournure que prenaient les choses, la naine ne broncha pas et griffonna quelques notes sur un papier, se montrant plus avenante que lorsque les deux hommes étaient arrivés…
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  • Lun 28 Nov - 21:49

    J’me mordille l’intérieur de la joue en réfléchissant. C’est pas une enquête, ce qu’on fait, là, c’est courir dans le noir en se mangeant tous les murs sur le coin du museau, et en espérant désespérément trouver la sortie du labyrinthe. Donc plus ça va, et moins j’en ai quelque chose à foutre, pasque j’ai l’impression qu’on avance pas : on prend juste la liste de tous les gens qui seraient potentiellement, hypothétiquement, possiblement intéressés par les bouquins, et on se dit qu’on tombera p’tet sur le vrai coupable dans tout ça. 

    Si j’étais de mauvaise foi, je dirais même que la personne qu’a balancé une boule de feu à la tronche de mon guide avait juste la haine contre lui, et s’il balance de la torture mentale dès qu’il a besoin de savoir l’heure, honnêtement, ça n’a pas l’air si surprenant. L’un dans l’autre, c’est une piste comme une autre à suivre, mais ça devient de plus une plus une affaire interne de l’académie, et j’ai de moins en moins ma place ici. 

    D’un autre côté, j’ai pas vraiment d’autre affaire urgente à gérer ici, et le sort des bouquins m’intéresse aussi un peu. Les cacher, ok, mais s’il faut les rendre après, c’est le début des problèmes, non ? Au-delà de priver les petits camarades de les avoir, j’veux dire. Toujours est-il que si on doit aller voir chacun des membres de la classe qu’a eu ce devoir débile, on n’est pas rentré, et qu’autant ça me dérange pas de lambiner en journée, autant le soir, quand on fait un programme d’échange à Liberty, on a des obligations importantes : profiter des lieux de fête de la capitale pour se la coller sévère avec les collègues et se faire inviter en permanence. 

    Après tout, c’est meilleur quand c’est gratuit, c’est bien connu. 

    « Mettons que ce soit pas quelqu’un qu’aime juste pas ta tronche. On peut aller faire un tour en cours, ouais. Mais te cramer, ça n’aurait rien résolu, juste empiré le truc. Soit y’a un relent de panique, soit on se fait avoir dans les grandes largeurs par quelqu’un qu’a le sang plus froid qu’on croit. » 

    Ça se trouve p’tet pas par milliers ici, cela dit, même après avoir sorti un plan pour priver les petits camarades de ses connaissances.  

    « Il y a un cours qui commence bientôt, allons déjà voir, propose Klarion. » 

    C’est sûr que si y’a un absent, ça se verra bien, et s’il est présent, p’tet que le sort d’empathie bizarre du psychopathomancien l’aidera à identifier le coupable. Après, faudrait pas que ma simple présence, en tant que fier représentant de la loi, n’intimide tous ces braves petits élèves. 

    Non, j’déconne, ils vont probablement me regarder avec mépris du haut de leur demi-formation de prestidigitateur. 

    On toque à la porte, et une p’tite vieille boudinée avec des cheveux ondulés nous ouvre après une bonne minute. 

    « Voilà mes retarda... Qui êtes-vous, exactement ? » 

    J’me râcle la gorge, et j’montre mon insigne. 

    « Officer Dosian, de l’Office Républicain. J’enquête sur une affaire de disparition de livres, et nous aurions besoin d’interroger votre classe.  
    - Mais pourquoi ? 
    - Nous avons des raisons de croire que l’un ou l’une d’entre eux pourrait être responsable. 
    - … Je... 
    - Notre investigation a été validée par le conseil d’administration, Madame Tuline, intervient Brando. 
    - Mais nous allons prendre du retard sur le programme et... 
    - Et vous rattraperez ça plus tard, que j’coupe. » 

    C’est qu’on va pas y passer des plombes non plus, hein ? Plus vite on commencera, plus vite on aura fini. Dans la salle, les élèves nous regardent avec curiosité, en tout cas pour ceux qui sont pas en train d’en profiter pour discuter entre eux, recopier des notes et les exercices qu’il y avait à rendre, et s’envoyer des boulettes de parchemin avec des insultes ou des mots doux. Ou juste des boulettes. En tout cas, ils ont l’air jeune, genre cinq ou dix berges de moins que moi, donc on devrait s’en sortir si la situation dégénère pas trop. 

    J’jette un œil à Klarion, mais il a l’air concentré sur autre chose. Sûrement son truc des émotions, pour déterminer si y’a de l’instabilité. 

    « Peut-on avoir la liste des absences pour ce cours, Madame Tuline, s’il vous plaît ? » 

    Sourire charmeur. J’ai toujours eu la cote avec les vieilles. C’est mon image de gendre idéal, ça.  

    Tout le monde a l’air présent, à part la naine qu’on vient de croiser et qu’est a priori hors de cause. Donc il s’agit de foutre la pression aux sorciers en herbe jusqu’à ce que y’en ait un qui craque. Ça tombe bien, le mauvais flic, c’est plutôt mon rayon, d’habitude. 

    « L’un de vous a fait une chose grave. Très grave, même. Je sais que la culpabilité et la peur le rongent déjà pour ses fautes, mais il est encore temps de minimiser tout ça en avouant. Tout peut se terminer assez rapidement et sans trop de douleur. Mais si le coupable s’entête sur sa voie délétère... Qui sait ce qui pourrait lui arriver ? » 

    On me lance des regards interrogateurs. Bon, ils doivent être un paquet à avoir des choses plus ou moins délictuelles à se reprocher, donc faudrait être un peu plus spécifique. 

    « Quelqu’un a volé des grimoires à l’académie. Ce lieu de science et de connaissance, une porte ouverte sur les merveilles de notre monde, la façon de le comprendre et le façonner, a été souillé, violé, même, par un individu mal intentionné souhaitant empêché ses petits camarades de devenir de meilleurs magiciens au service de la République. » 

    Ça leur évoque pas plus que ça. 

    « Le coupable a fauché les bouquins qui permettent de résoudre le travail pratique du soin de bestiole que l’autre prof vous a refilé. » 

    Voilà, on arrête les envolées lyriques et on leur explique comment leur petit monde est touché. Là, ça sort une réaction, et la salle explose en chuchotements et en pointages de doigt. J’parcours les visages, et j’essaie de voir si y’en a un qui est plus calme, plus nerveux, plus haineux que les autres. Ça l’isolera un peu et nous permettra de l’identifier. 
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  • Jeu 1 Déc - 21:42
    Pancrace avait interrompu la leçon de Mme Tuline avec autant de tact qu’un ogre affamé qui sort de son antre. L’enseignante, son visage ridé ne sachant quoi exprimer, modela une expression à mi-chemin entre la stupéfaction et l’embarras. Mais d’aucun dirait que le choc de la vénérable magicienne était plus dû à la découverte d’un tricheur parmi ses étudiants que par l’arrivée des deux hommes en plein milieu de son cours. Pour Mme Tuline, le fait que son tutorat ait incité l’un de ses disciples à tricher, doubler ses pairs et bafouer le règlement de l’université, était le plus terrible des affronts. Quant aux étudiants, ces derniers ne pouvaient pas être plus confus. Entre ceux qui ne comprenaient absolument rien à ce qui était en train de se passer, ceux ayant déjà entendu les rumeurs circulant dans l’académie et ceux affichant des mines manifestement inquiètes, il était bien difficile pour eux d’appréhender la situation. Après plusieurs mois d’études acharnées au sein de l’Université Magic et ses exigences d’excellence à crever le plafond, la plupart des disciples se montraient particulièrement hermétiques vis-à-vis du monde extérieur. Ainsi, pour ces jeunes adultes qui ne devisaient que de magie et de devoirs du matin jusqu’au soir, être brutalement ramenés à la réalité par un agent extérieur leur causait moult émois.

    Klarion repensait à ce que Pancrace lui avait dit. Le militaire avait suggéré que, peut-être, le coupable avait une dent contre lui, ce qui l’avait motivé à monter ce coup. Cette hypothèse n’avait pas été poursuivie plus que ça, et Klarion ne l’avait pas trouvé spécialement pertinente. Personne n’aurait pu deviner que le jeune homme allait vouloir emprunter ces grimoires, ni qu’il allait se porter volontaire pour collaborer avec l’officier Dosian. Non, cela devait sans doute être un trait d’esprit de la part de Pancrace, bien que Klarion n’eut pour l’instant pas la tête à cela. Il avait d’autres chats à fouetter, et retrouver le grimoire Onirie était pour lui de plus grande importance pour ses recherches. Il se recentra sur la situation afin de réfléchir sur la meilleure façon de découvrir qui était le coupable de tous leurs déboires. Avec l’entrée en matière fracassante de Dosian, le mage psychique était peu confiant que le responsable ne se dévoile si facilement. À ses côtés, Mme Tuline commençait à s’impatienter et se mit à soupirer, lasse, désireuse de reprendre sa leçon mais également dans l’expectative d’un ersatz d’honnêteté de la part de ses élèves. Malheureusement pour la vieille sorcière, aucun d’entre eux ne se décida à parler. Pour Klarion, rien n’était perdu mais la situation demeurait tendue. Utiliser son contrôle d’émotions pourrait forcer le coupable à se révéler, mais cette magie était remarquablement dangereuse et volatile sur d’autres mages. Un arcaniste dont on exacerbe la colère pourrait laisser ses pouvoirs exploser, par exemple. Non, il était nécessaire de… prendre le problème à l’envers.

    - Sortez tous vos wyrmelins, immédiatement, ordonna Klarion d’une voix froide.

    Constatant que les élèves alternaient des regards interrogateurs et zyeutaient Mme Tuline, Klarion se tourna à son tour vers la professeure.

    - Hé bien ? Fit-elle de sa voix éraillée. Faites ce que Monsieur Brando vous demande.

    L’assemblée se mit en mouvement pour sortir le produit de leur labeur. Klarion avait pour but d’examiner leurs wyrmelins pour déterminer grâce aux résultats, et considérant les connaissances des grimoires volés, déterminer qui était le voleur ainsi. Au premier rang, une elfette au visage criblé de tâches de rousseur déballait une espèce de gros œuf d’autruche fait de verre, ou de cristal, dans lequel le wyrmelin était enroulé sur lui-même. Son voisin avait opté pour des remèdes naturels et avait simplement sorti l’animal avec plusieurs pots d’herbes à inhaler ou infuser. L’élève suivant, un nain légèrement enrobé, s’apprêtait à allumer un encensoir mais fut arrêté par Klarion et Mme Tuline pour ne pas qu’il enfume la salle. Klarion allait passer au suivant lorsque, à la place d’une jeune fille, se trouvait une vague forme humanoïde à la peau constellée de trous, composée dans une matière étrangement proche du… gruyère ?! Klarion, surpris, fit quelques pas en arrière. Ses yeux pivotèrent et il remarqua que l’élève précédent, le nain, s’était changé en homme-camembert, et ainsi de suite. Le garçon aux infusions était devenu roquefort, l’elfette du goudas. Même Madame Tuline n’était plus elle-même…

    - De… illusion… ! s’écria Klarion d’un souffle. Dosian ! La porte !

    Frappant violemment son bâton sur le sol, Klarion émit une onde de choc d’énergie bleutée autour de lui qui eut pour effet de causer un violent sanglot aux élèves de la première rangée. Toute la salle se leva d’un bond brusque, plusieurs personnes changèrent de forme, l’illusion vacillant alors que les murs devenaient de vastes nébuleuses étoilées. Des élèves devinrent alors des êtres faits de pierre ou de cristal, des gemmes rutilantes émanant de tous les pores de leur peau. Le voleur ne faisait pas dans la subtilité et tissait son illusion en rapport avec les ouvrages qu’il avait lui-même dérobés. Dans la panique, un brouhaha démarra et se mit à se propager comme un feu de forêt, la clameur se fit de plus en plus forte. Klarion fut soudain poussé au sol alors qu’une sphère de lave en fusion vint finir sa course et mourir sur un bureau derrière lui. Le coupable profitait de son illusion pour tenter de canarder ses poursuivants. Le Psychomanien tourna la tête pour remarquer que c’était Mme Tuline, désormais une petite bonne femme d’émeraude et de granit, qui l’avait poussé hors de la trajectoire du projectile enflammé. Des élèves avaient quitté leurs rangs pour tenter de s’enfuir, entrainant la pauvre professeur au milieu d’un bain de foule dont elle se serait bien passé. Klarion se releva, prêt à de nouveau user de ses pouvoirs, cette fois bien plus en alerte…

    - Fort bien, si vous voulez danser
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  • Dim 4 Déc - 21:07

    Mais c'est qu'il continue de vouloir m'apprendre mon métier, l'autre naze en robes, là. Il veut pas plutôt s'occuper de la magie qui vole dans tous les sens et nous empêche d'appréhender le coupable, là ? M'bref, j'suis en train de courir vers la porte, j'me fous devant et j'sors même mon gourdin. Y'en a un qui s'approche avec l'air paniqué, pupilles dilatées et bouche ouverte sur un cri silencieux.

    Ca m'empêche pas de lui mettre un taquet pour le renvoyer au milieu des autres, alors que devant moi, tout devient franchement bizarre. On s'retrouve au milieu du ciel étoilé, avec des boules lumineuses et rocheuses, et des pierres précieuses et des fromages humanoïdes s'agitent partout.

    Moi, j'réfléchis pas. On m'a toujours dit que c'était une de mes plus grandes qualités, et c'est important de se mettre sur une progression perpétuelle, pas vrai ?

    Le coup de gourdin est pas piqué des hannetons, et j'crois même voir une ratiche voler. Elle est en or, ça donne presqu'envie de se jeter au sol pour la ramasser, mais comme tout le bonhomme a l'air dans le même cas, ça sent un peu l'embrouille. Pas se contenter de la dent alors que y'a le dentier complet à se faire, pas rêver petit.

    « Putain, mais faites quelque chose, on voit queud' ! »

    La planète de feu a une chaleur toute réaliste, et alors que j'allais la cogner comme les autres, les réflexes prennent le dessus, et j'saute sur le côté pour laisser la porte se faire vaporiser. J'cligne des yeux. Ouille.

    Tout à coup, les hurlements du devant de la salle se calment, et les élèves prennent une mine catatonique, en se balançant d'avant en arrière. J'sais pas ce qu'ils ont fait, mais que les émotions soient exacerbées ou annulées, y'a plus un mini-sorcier qui moufte. Pas un mal, les décibels descendent un bon coup, et on s'entend presque penser. Suffisamment en tout cas pour que je me re-foute devant la sortie, des fois qu'un gars invisible se fasse la malle.

    Pour rien améliorer au chaos ambiant, un brusque vent se lève et souffle les élèves vers le mur, les destabilisant chacun tandis que la prof lève les bras et fait des mouvements pour les tasser dans un coin. Et autant les plus légers, genre les gobelins et autres nains, ont dû mal à faire face, autant y'a clairement une poignée d'humains qui gagneraient à faire régime à voir le jeune orc qui arrive pas à résister aux bourrasques.

    Trois statues de pierre et de fromage se mettent à me foncer dessus, un oni et deux humains à vue de nez, alors j'colle une attaque mentale au plus gros du paquet, qui trébuche et tombe au sol sous la souffrance. J'me désintéresse aussitôt pour foutre un coup de tatane à une gamine hystérique et un revers de la main à son p'tit copain. Un des trois ? Possible. Mon gourdin s'abat sur le dos de l'oni, pour être sûr qu'il se relève pas, et il prend le message pour ce que c'est en restant allongé par terre, à sangloter, les mains à découvert.

    « Voilà, c'est ça qu'on veut. Moufte pas, mon gros, le temps qu'on résolve toute cette merde. »

    Puis y'a un bruit de verre brisé, et un trou noir dans un coin qui fait mine d'aspirer tout ce qui traîne autour. Une minute plus tard, les murs redeviennent ce qu'ils sont, tout comme les chaises et les élèves. Mes trois p'tits loups se frottent les hématomes qui commencent à poindre et on voit la fenêtre par laquelle le coupable s'est probablement enfui.

    C'est qu'on était au rez-de-chaussée, merde.

    « Z'avez pu le reconnaître ? Sinon on fait l'appel, ce sera l'absent, hein. »

    Aucune idée de ce qu'ils ont glandé, mais c'pas avec mon palmarès que j'vais la ramener, là.
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  • Mar 6 Déc - 14:17
    - Faire l’appel est une bonne idée, avec l’illusion, même s’estompant, je n’ai pas réussi à voir notre assaillant, répondit Klarion à Pancrace en reprenant son souffle.

    Autour de Klarion, le monde redevenait peu à peu ce qu’il était censé être. Les murs d’étoiles et de nébuleuses reprenaient leur teinte de pierre ocre et terne. Les humanoïdes de fromage et de pierre perdaient leur forme insolite pour redevenir de simples étudiants. Le mirage étant brisé, tout le monde retrouvait petit à petit son calme ; tous sauf les trois malchanceux qui avaient été sonnés par les poings de Pancrace, toujours les fesses sur le sol, incrédules. À en juger par les réactions des élèves, il ne faisait nul doute qu’ils avaient été eux aussi affectés par l’illusion, ce qui pouvait aisément expliquer leur panique soudaine. Seule Madame Tuline avait réussi à outrepasser l’emprise du sortilège escamoteur afin de pousser Klarion hors de la trajectoire du missile de lave. Mais, ce facteur n’était pas surprenant. Après tout, la professeure était une vénérable magicienne, spécialiste en thaumaturgie et guérison. Cette dernière s’avançait d’ailleurs vers les étudiants qui avaient été frappés par l’officier républicain afin de faire disparaître leurs hématomes d’un simple mouvement de poignet, de fins filaments dorés émanant de ses doigts osseux qui partirent lécher leur front gonflé. Relevant le visage vers ses étudiants, Mme Tuline adopta bien vite une expression mêlant désarroi et tristesse. Les deux hommes purent rapidement remarquer que quelque chose n’allait pas, et Klarion décida de prendre le pas et intervenir :

    - Que se passe-t-il, Mme Tuline, qui est notre fuyard ?

    - Je n’ose y croire, Klarion, répondit la vieille femme d’un ton dur. Il s’agit Perdita, Perdita Deucalion.

    L’arcaniste ne put réprimer un soupir de surprise, écarquillant ses yeux. Il s’attendait à tout sauf à cette réponse. Il pivota bien vite sa tête vers Pancrace pour lui préciser rapidement :

    - Une descendante éloignée du mage auteur des grimoires que nous cherchons, comme vous devez vous en douter ; cinquième sœur de son héritier actuel.

    - Il n’y a pas de temps à perdre, allez-y messieurs, s’empressa d’enchaîner Mme Tuline. Je vais prévenir les professeurs. Mes chers élèves, notre leçon est reportée ! Veuillez immédiatement vous diriger vers une salle d’étude, sur le champ.

    Sur ces entrefaites, Mme Tuline disparut après qu’un ruban de fumée vint tournoyer autour d’elle, la téléportant ailleurs au sein de l’université, laissant Klarion et Pancrace ensemble tandis que les élèves rangeaient avec empressement leurs affaires. Bien qu’elle fut relativement âgée, Asa Tuline n’avait nullement perdu ni fougue ni ardeur, surtout quand la situation devenait grave. Klarion ne pouvait se téléporter, il se dirigea alors vers Pancrace et ne se fit pas prier pour le suivre alors que ce dernier ouvrait la porte de la salle pour ressortir dans le couloir. Ils n’eurent besoin de s’accorder sur la marche à suivre, ils devaient poursuivre Perdita avant qu’elle ne disparaisse pour de bon hors de l’académie.

    - Perdita n’est pas la seule descendante du mage Deucalion au sein de l’université, j’ignorais qu’elle possédait… de tels penchants, commenta le Psychomancien à son partenaire alors qu’ils se hâtaient. Elle a réussi à plonger une salle entière dans une illusion aussi convaincante, et conjurer à son âge des sphères de lave en fusion. Si seulement elle n’avait pas cédé au désespoir

    Klarion sonnait presque mélancolique, l’attitude de Perdita lui rappelait celle des innombrables âmes en peine qu’il avait croisées durant sa vie et sa scolarité. La voleuse était typiquement le genre de personne pour laquelle il travaillait d’arrache-pied et pour qui il voulait soigner l’esprit.

    - Navré, s’écria-t-il prestement d’un ton presque ému, force d’habitude, en tant que mage psychique, encontrer ce genre de profil est chose familière. Je suppose que cela doit être sensiblement de même dans votre corps de métier.

    Après ces quelques mots, Klarion, dont le visage avait été ému par une expression plus chaleureuse, retrouva ses traits de glace et ses yeux de diamant ; comme si un éclat de sincérité était parvenu à s’échapper de sa carapace glacée, comme des gouttes de pluie trouvant leur chemin jusqu’à une fissure pour glisser hors d’un mur étriqué. Intérieurement, Klarion se demandait si Pancrace allait réagir,ou garder cela pour lui. Depuis qu’il était arrivé, le militaire paraissait avoir plus envie de partir au plus vite pour s’enquiller plusieurs pintes de lambic que de poursuivre un voleur de livre. Pour les mages, le problème était capital, mais pour quelqu’un de l’extérieur, Klarion supposait que cela devait plus avoir l’air d’une corvée que d’un travail passionnant. Le jeune homme en vint à se demander de quel monde provenait Pancrace, que vivait-il au quotidien pour se montrer si flegmatique entre ces murs ? Peut-être aurait-il l’occasion d’en apprendre davantage plus tard, si ce cher Dosian lui en donnait la possibilité. Arrivant au bas d’un escalier, les deux hommes croisèrent de nouveau Ermelin accompagné d’autres gobelins. En voyant Klarion accompagné de Pancrace, l’intéressé ne se priva pas pour cracher un juron de son cru. Le Psychomancien en fit pas de rond de jambe et l’alpagua :

    - Ermelin, la coupable est Perdita Deucalion. L’as-tu vu ?

    - C’est à cause de cette garce que tu m’as fait chier ?! Cria-t-il d’une voix grinçante. Pfff, j’vais la chercher avec les gars, si je la trouve avant vous elle va connaître sa douleur.

    - Elle s’est échappée d’une fenêtre depuis la classe de Mme Tuline, précisa Klarion.

    - De chez Tuline, répondit Focalor, pensif. Sa salle donne sur les jardins aquatiques, faut se grouiller !

    Ermelin délaissa les deux humains et partit avec sa troupe de gobelin en courant cahin-caha dans un couloir. Perdita avait fui dans les jardins, et quelque chose disait à Klarion que l’illusion qu’ils avaient affrontée dans la salle de classe n’était pas la seule de ses défenses. Elle avait dû consommer un certain nombre de son énergie magique pour conjurer pareil mirage, mais un mage conservait toujours un atout dans sa manche. Il fallait juste qu’ils se montrent plus malins que leur voleuse…  
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  • Dim 11 Déc - 16:25

    J'fronce les sourcils. Pourquoi c'est une descendante, loin dans l'ordre de succession visiblement, qui vole les bouquins de son ancêtre ? C'est pas carrément bizarre, genre ils devraient avoir des copies ? Enfin, si le but était de priver les petits camarades de l'accès à la connaissance, ça se tient bien, j'suppose. Juste que quand on se revendique à la pointe pour faire progresser la magie de tout le Sekai, piquer des papelards, ça met un peu une sale ambiance.

    Elle devrait avoir des conséquences genre une expulsion, m'est avis, et se retrouver dans la nature derrière. La question, c'est même plus ce qui va se passer : pour avoir fini par utiliser des illusions en classe et attaqué des profs, elle est clairement identifiée, donc j'ai dû mal à comprendre le plan. Soit c'est la panique, soit il me manque quelque chose, mais c'est clairement pas net. Pasque là, y'a plus de mystère, la merde va forcément lui tomber dessus.

    La vieille disparaît brusquement par une téléportation, et j'me note avec un reniflement que j'aurais pu faire pareil, si j'avais connu la moindre pièce de cette foutue académie pour m'y téléporter. En l'état, quand on n'a pas de tête, on a des jambes, comme dit le dicton. Donc on marche.

    « Ouais, elle a l'air balaise en magie. Mais entre nous et les professeurs, on devrait quand même s'en sortir, non ? »

    Sinon, faut qu'on change tous de métier ou qu'on s'enrôle dans l'académie en tant qu'élève. J'serais pas forcément contre, mais j'suis toujours travaillé par cette impression que y'a autre chose derrière. Elle a littéralement coupé toute possibilité de retraite ou d'excuses pour elle-même, et mes pensées rejoignent visiblement celles de Brando.

    « Des gens au bout du rouleau, on en voit tout le temps, que ce soit côté criminels ou même chez les Officiers Républicains. Le boulot est rude, et demande des travailleurs rudes. Comme la vie, donc parfois ça craque, et on arrive pour remettre de l'ordre. Pas pour la personne, mais pour la société. Enfin, c'est ce que disent les chefs, en tout cas. »

    Je hausse les épaules. Le fait est qu'on s'en sort bien, et que si on voit des choses pas jouasses, on est pas esseulé. Quant à encadrer ces gens-là... Non, on les fout au trou ou hors d'état de nuire, et c'est la justice qui se les coltine derrière, avec éventuellement un tour en zonzon. Chacun sa charge, et y'a tout qui roule.

    Bon, évidemment, parfois on prend sur nous pour faire ce qu'il faut.

    M'bref, on croise le gobelin et ses potes, et il nous donne notre prochaine destination alors qu'il s'y précipite aussi. Le temps qu'il se retourne, j'retiens un rictus moqueur. Ce connard veut se venger de Perdita, alors que c'est Klarion qui lui a torturé le cerveau. Aucune cohérence, il tient davantage du chien battu incapable de mordre son maître, et j'me demande si le psychomancien n'aurait pas affiné sa maîtrise de l'attaque mentale sur ses petits camarades. Serait-ce si surprenant ?

    Non, que j'décide.

    « Du coup, on va aux jardins aquatiques ? »

    Oui, mais pas tout de suite : là où les p'tits verts sont partis par le chemin le plus rapide, on prend un enchaînement de couloirs qui nous fait, je crois, contourner toute une partie de l'endroit. Et on le fait au pas de course, les étudiants s'écartant gentiment pour nous faire place. Et pour les autres, on est doté d'épaules, et eux sont assez maigrelets et cagneux, faut bien le dire.

    Enfin, sauf l'oni qu'on a contourné poliment.

    On arrive finalement à une porte, genre petite et discrète, mais quand on l'ouvre, elle mène à ce que je suppose être les jardins aquatiques : une étendue herbeuse... nan, avec des tas d'étangs desquels jaillissent des roseaux, des joncs, des nénuphars, des saules pleureurs, bref, tout l'écosystème d'un bord de cours d'eau. Tant que y'a pas les moustiques, la tourbe et les sangsues, moi, ça me va bien.

    « On l'attend ici, du coup ? »

    Il fait signe que non, pasque y'a une autre porte plus loin, et effectivement y'a un p'tit mur qui encercle les lieux sur la partie pas collée à des bâtiments. Dedans, une porte en bois se confond quasiment avec la pierre des murailles, encore davantage en étant masquée à moitié par la végétation et le lierre qui tombe un peu dessus.

    Apparemment, les étudiants ont l'habitude de passer par là quand il s'agit d'aller se promener nuitamment pour, euh, chercher l'inspiration ? Au fond d'un verre. Du coup, le plus probable, c'est qu'elle essaiera de se faire la malle par là-bas et de disparaître en ville, avec ses bouquins.

    Hé mais d'ailleurs, ils sont où, d'ailleurs ? Cachés quelque part ? Clairement pas dans culotte, vu la taille.
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  • Lun 12 Déc - 15:08
    Les jardins aquatiques de l’Université Magic formaient un lieu magnifique avec étangs, mares et biomes miniatures. C’était un véritable bijou où les seuls bruits que l’on entendait étaient le vent faisant bruisser les roseaux et le clapotis de l’eau. Sur l’onde claire, les fleurs de nénuphar valsaient au creux de leur écrin végétal, offrant à ceux qui passaient près des bassins un spectacle chromatique des plus captivants. Les jardins n’étaient pas vraiment un lieu de promenade, mais plutôt un sanctuaire de recueillement et de méditation pour les magiciens de l’académie. Là-bas, ils venaient se ressourcer et recharger leur mana en écoutant la nature, admirer la vie grouiller sous l’eau, les écailles des carpes briller au soleil. L’endroit était parfait pour les mages élémentalistes, qui n’avaient qu’à s’asseoir pour communier avec le monde et les saisons. Et, même pour les autres, la tranquillité y était absolue. Klarion avait d’ailleurs pris l’habitude de s’y rendre au début du printemps, au passage vers la saison douce, à s’asseoir en tailleurs sous un saule, où il restait pendant plusieurs heures pour ne partir qu’au crépuscule. La nuit, la beauté des jardins séduisait les couples ; ils partaient s’y retrouver pour partager un fugace instant romantique avec, pour seul plafond, la voûte étoilée. Klarion marchait d’un pas décidé vers la porte de sortie des jardins où lui et Pancrace attendraient leur voleuse en embuscade.

    - Bonne chose qu’on ait lancé Ermelin et sa bande à ses trousses, commenta Klarion alors qu’ils s’approchaient de la porte, ils ont dû la contraindre à rallonger son parcours pour les semer. J’espère juste qu’ils ne l’ont pas forcé à bifurquer vers les jardins botaniques

    Ces jardins-ci, comme leur nom l’indique, étaient dédiés à la culture et la pousse de plantes diverses pour la préparation d’élixirs, onguents, médicaments et même divers encens divinatoires. Mme Tuline, guérisseuse prodige, passait le plus clair de son temps libre dans ces jardins, les mains dans la terre, à s’occuper des pousses malgré son âge passablement avancé. Et, après l’effort, elle préparait toujours un peu de thé de feuilles qu’elle a elle-même cultivé, qu’elle partageait ensuite avec les passants chanceux pour un instant de détente des plus chaleureux. Klarion jeta un coup d’œil vers Pancrace, ce dernier n’avait pas l’air de quelqu’un qui appréciait le thé, ni même la méditation. Le magicien se demanda à quoi il pouvait bien s’adonner durant son temps libre, si un officier militaire en possédait seulement. Les deux hommes arrivèrent à la porte et ils choisirent de se dissimuler légèrement de côté, derrière un buisson dru , afin de ne pas se faire repérer en avance par la fuyarde.

    - Vous pourrez bientôt repartir, je suppose qu’on a dû vous contraindre à vous présenter ici. Les non mages n’aiment que rarement visiter l’académie ; pour vous, tout le monde ici est ennuyeux, dangereux, voire sans intérêt.

    Klarion ne put continuer à échanger ses ressentis, des bruits de pas et des halètements bruyants. Piétinant plusieurs plans d’acorus jaune flave, une fille maigrelette courait à perdre haleine en agripant un énorme sac en bandoulière sous un de ses bras. Trempé de sueur, son visage était pâle comme de la craie à cause de l’angoisse, et ses cheveux d’ordinaire épais et bouclés apparaissaient comme ternes et filasses. Perdita Deucalion manqua de trébucher sur une racine mais se redressa bien vite, serrant dans un poing ferme sa baguette en bois de laurier. La demoiselle portrait une robe de mage sombre comme du basalte dans laquelle elle semblait flotter tant elle était maigre. Alors qu'elle s’approchait davantage, Klarion se concentra pour lui causer une intense migraine afin de l’arrêter nette dans sa course. Étendant ses griffes mentales, le Psychomancien atteignit l’esprit de Perdita quand elle parvint à portée, lui faisant pousser un cri de surprise et tituber alors qu’elle ralentissait. La magicienne en herbe en vint à lâcher son sac qui tombe brutalement au sol, révélant trois grimoires aux pages jaunies par le temps et d’épaisses couvertures de cuir craquelé. Klarion sortit de leur cachette pour s’avancer vers Perdita à lents pas.

    - C’est terminé, mademoiselle Deucalion, lui dit-il d’une douce voix mais en conservant son emprise sur son esprit avec ses griffes, les professeurs sont au courant. Le mieux que vous puissiez faire dans votre situation, c’est de nous rendre les grimoires.

    Le conseil d’administration de l’Université Magic imposerait un conseil de discipline à la voleuse, et elle serait renvoyée, cela ne faisait aucun doute. Klarion tentait surtout d’épargner à Perdita de potentielles poursuites pénales liées à la présence de Pancrace. L’affaire avait été portée à l’attention de la milice républicaine, il était logique que la coupable n’encourt bien plus qu’une simple expulsion. Malheureusement pour l’arcaniste, il n’avait aucun pouvoir là-dessus. Et bien que le désespoir de Perdita ne le touchait, Klarion était révulsé à l’idée que quelqu’un puisse vouloir dérober l’université de la sorte.

    - N… Non ! Hoqueta-t-elle d’une voix stridente. Vous ne comprenez pas ! P…personne ne comprend !

    - Je vous en prie, mademoiselle, répondit Klarion en ne changeant pas d’intonation. Vous n’êtes pas l’unique descendante d’un sorcier célèbre à fréquenter ces murs, je comprends parfaitement à quel point la pression familiale peut mettre l’un de vous dos au mur.

    Perdita leva sa baguette dont le bout se mit à crépiter et une myriade d’étincelles en jaillit subitement. La pauvre essayait de conjurer à nouveau une boule de lave, mais la fatigue, l’angoisse et l’attaque mentale soutenue de Klarion l’empêchait d’incanter correctement. Ce dernier reprit :

    - Je gage que vous avez été ostracisée par votre fratrie et, à en juger par ce à quoi vous avez été réduite, par vos pairs également. Vous avez été capable de plonger une salle entière dans une illusion, et êtes douée en pyromancie, malheureusement

    - Malheureusement, le coupa-t-elle en sanglotant, cette académie… je ne peux pas y rester. Je n’en peux plus de l’héritage que ma famille veut me contraindre à porter !

    Du bout de sa baguette, une flammèche orangée se forma pour disparaître presque aussitôt, comme une bougie venant d’être soufflée.

    - Et vous pensez que le vol est la solution ?

    - N… non…je… Je voulais juste impressionner les professeurs et ma famille en reproduisant les prodiges de mon ancêtre ! Mais vous êtes venus vous mêler de mes affaires alors… alors…

    - Alors votre plan stupide s’est effondré comme un château de cartes.

    Klarion envoya une nouvelle salve psychique sur l’esprit de Perdita qui, cette fois, fut contrainte de lâcher sa baguette pour porter ses mains autour de son crâne, manifestement souffrante. Le sorcier noir ne souhaitait pas outrepasser sa position et arrêter lui-même la disciple. Après tout, il n’était pas militaire républicain…
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  • Dim 18 Déc - 11:05

    Ca fait bizarre, quand un plan se passe bien.

    C'est qu'ils ont la fâcheuse et désagréable habitude de se déliter au contact du réel, et qu'on se retrouve avec des lambeaux d'une toile soigneusement orchestrée plutôt qu'un chef d'oeuvre qu'a glissé comme papa dans maman, en précisant que je suis pas bien certain de qui était papa. Maman, on n'a pas trop de doute, forcément.

    Là, Perdita nous est tombée toute cuite entre les pattes, y'a aucun signe des p'tits verts qu'étaient partis en galopant à sa poursuite, et mon binôme s'est soigneusement assuré qu'elle serait inapte à se battre. Autant dire qu'il s'agit d'une affaire rondement menée, et que j'vais même rentrer à temps pour le goûter.

    J'm'approche tranquillement de la coupable, et j'me retiens de lui foutre avec nonchalance un coup de panard dans les côtes. Ca ferait p'tet mauvais genre devant Brando, même si ça mate bien les vélléités de rebellion, en général. Nan, on va procéder de façon propre, cette fois. Mais y'a une pensée qui m'vient tout à coup.

    « Hé, dis. Si vous préférez régler ça en interne à l'Académie, c'est le moment de le dire. J'ai juste à dire dans le rapport que vous avez fait le nécessaire et qu'il n'y a pas de plainte déposée. Les élèves qu'ont pu être blessé au cours de l'enquête, vous pouvez aussi voir ça avec la hiérarchie d'ici. »

    C'est ça, aussi, l'Office Républicain : il faut savoir s'adapter au contexte de chaque endroit où on passe. C'est qu'on oeuvre pour la justice, la vraie, pas la ville, encore qu'aussi, mais que les puissants, c'est pas forcément de ça qu'ils ont besoin. Et savoir être arrangeant et ne pas marcher sur les pieds des gens qu'il faut pas, c'est quand même indispensable si on veut pas se retrouver dans un bureau au sous-sol, sans fenêtre, à faire l'inventaire des pièces à conviction tous les jours pendant dix ans.

    Ou de devenir la pièce à conviction de sa propre mort, au demeurant. Qui serait arbitrée comme étant un suicide, bien entendu.

    Brando exprime pas vraiment d'avis, donc j'attrape les bracelets métalliques qui servent de menottes, avec la p'tite ficelle pour entortiller les doigts des mages. Certains ont besoin de ça, après tout. Du pied, j'écarte sa baguette en bois, et j'me dis qu'il faudrait aussi lui mettre un bâillon. D'un autre côté, si elle commence à dire des trucs bizarres, on lui collera un taquet et ça la calmera direct...

    J'commence à peine à m'affairer que y'a un bruit sourd derrière moi, puis que j'prends un gros coup derrière la nuque, qui m'écrase au sol. Une main velue passe dans mon champ de vision et ramasse le sac de grimoires avant de disparaître pendant que j'essaie de reprendre mes esprits. J'ai mal au pif là où il s'est enfoncé dans la terre et j'me frotte l'arrière du crâne à la recherche de sang. Pas de trace, heureusement.

    A côté de moi, le psychomancien reprend ses esprits aussi en se relevant et époussetant sa robe. J'crache par terre. Les portes, même les poternes, ça s'ouvre dans les deux sens, faut croire. L'erreur bête. Perdita a pas décoché un mot tout du long, ni bougé avec les menottes aux poignets. J'l'attrape par le col pour la relever sans ménagement.

    « Une connaissance ? C'est lui qui devait te sortir de l'Académie ? »

    Au pli de sa bouche, j'vois qu'elle veut pas parler. Elle fait le beau sacrifice, à tous les coups. Un coup d'oeil à l'extérieur montre qu'on n'aura pas la possibilité de la traquer, et un simple coup de senseur m'assure que j'aurai rien avec ça : j'ai pas pu voir sa signature magique et il n'a rien utilisé d'autre que la bonne vieille violence la plus élémentaire. Un échange de regards avec Klarion et on sait que c'est à elle de baver le morceau, histoire qu'on retrouve le gars. Pasqu'autant, une étudiante qui fugue avec trois bouquins, ça fait désordre mais c'est gérable, autant quelqu'un d'extérieur qui dérobe la connaissance de la nation, c'est carrément criminel.

    Autant dire que ça va pas se régler dans le feutré, là.

    « Perdita, Perdita... C'est très grave, ce qui vient se passer, vous savez ? Si ce n'était que vous et trois grimoires, à la limite, mais un inconnu vient de s'introduire par effraction dans l'académie pour voler par la violence la connaissance partagée de la République. Peut-être même s'agit-il d'un espion reikois venu voler des secrets d'état ou notre savoir-faire magique... »

    J'y crois pas un seul instant, mais ça fera joli, sur le rapport.

    « Non ! S'exclame-t-elle. Ce n'est pas un espion !
    - Ah ? Vous le connaissez, donc ? Et suffisamment bien ?
    - ...
    - Il s'agit de votre amoureux, je présume. »

    Une histoire vieille comme le monde, ça. J'reprends la parole.

    « Je suppose que c'est lui qui vous a convaincu de cacher les livres pour en faire votre propre chef d'oeuvre et vous montrer digne de votre héritage. Et autant vous pouvez encore jouer la carte de la jeune fille éplorée, autant votre amant vient d'agresser un mage de l'académie et un officier républicain... »

    Franchement, on pourrait lui casser les doigts et lui infliger des tortures mentales que ça prendrait quand même des plombes de lui faire cracher le morceau. Y'a pas quelqu'un qui peut lire dans son esprit ou détecter les mensonges dans le coin ? On est quand même au haut-lieu de la magie du pays, merde.
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    Anonymous
  • Mar 20 Déc - 16:58
    - Si vous nous étiez juste esseulée et désespérée il y a quelques minutes, Perdita, sachez que vous nous apparaissez à présent comme parfaitement stupide.

    Klarion dardait la jeune femme d’un œil on ne pouvait plus sévère alors qu’il se redressait en s’appuyant sur son bâton. Pancrace et lui-même avaient été surpris par l’arrivée impromptue d’un associé de Perdita qui, non content de leur avoir subtilisé la besace contenant les grimoires, s’était volatilisé en laissant sa comparse en arrière. Cette dernière était apparue aux deux hommes comme proche de la crise cardiaque, la pauvre était à présent sur le point de s’effondrer sur place. Sa peau était plus blême encore qu’auparavant ; et si du sang ne s’était pas mis à goutter d’une de ses narines à cause de l’angoisse, on aurait pu aisément la confondre avec un non-mort. Ses mains, prises de palpitations, tâtonnaient autour d’elle, ses ongles striant le sol sablonneux de petites traînées sans structures. Elle ne s’était toujours pas relevée, Pancrace l’avait terrorisé davantage, tant en sortant sa paire de menottes qu’en jouant de sa verve acerbe. L’arcaniste ne pouvait lui en vouloir, il aurait fait exactement pareil s’il avait été à sa place, leur voleuse avait été d’une naïveté affligeante. Klarion n’avait pas eu le temps de voir qui les avait agressés, mais à en juger par les traces de pas laissées au sol, il ne pouvait s’agir que d’un humanoïde de grande taille, un elfe ou un simple humain.

    - La question fait toujours débat parmi les mythologues et théologues du Sekai, reprit Klarion avec une voix de velours, tant à l’intention de Perdita que de Pancrace. Certains pensent que la première force primordiale à être apparue avant d’autres telles que la vie, ou la mort, serait l’amour. Et que l’amour serait la plus puissante d’entre toutes.

    Il marqua une pause pour soupirer, passant quelques doigts fins sur la gemme irisée au sommet de son bâton.

    - Je n’accorde que peu d’intérêt à ces discussions, je suppose qu’il en va de même pour vous officier Dosian, bien que j’admette de l’importance de la mythologie malgré ma non croyance. Une chose demeure certaine dans notre affaire : il vous a rendu aveugle, ma pauvre.

    Klarion attendait à ce que Pancrace use de nouveau de ses talents de senseur afin de détecter une quelconque trace de subjugation forcée chez la voleuse. Son bel ami avait peut-être pu utiliser un sortilège de séduction pour s’attirer les faveurs et l’admiration de la brunette. Mais il réalisa bien vite que cela ne les avancerait à pas grand-chose, le mal avait déjà été accompli. Il préféra reporter son attention sur Perdita et prendre les choses en main lui-même. Il fallait qu’ils obtiennent de plus amples informations sur leur agresseur, et le Psychomancien savait qu’il allait de nouveau être contraint de stimuler l’esprit de leur coupable pour obtenir ces informations. Il s’approcha de nouveau vers Perdita, ses yeux irradiant d’un éclat étoilé.

    - Il ne reviendra pas, Perdita, vous le savez.

    - A… Arrêtez !

    Klarion ouvrit sa main qui ne tenait pas son bâton. Au creux de sa paume, une sphère d’un bleu céruléen, de la taille d’un œil d’enfant, se matérialisa tout en restant en suspension. D’un revers, le magicien l’envoya filer vers Perdita et la sphère entra à travers son front, pénétrant sa peau avant de se diffuser sur son visage et son crâne, lui causant un léger hoquet surpris. La demoiselle éclata d’un seul coup en sanglots, ses pleurs devenant de plus en plus forts. Ses larmes coulaient sans discontinuer, comme si elle venait d’apprendre le décès d’un proche ; Klarion reprit :

    - Vous êtes seule, il vous a abandonné. S’il vous aimait véritablement, il serait resté, il ne vous aurait pas laissé, il n’aurait pas juste pris les grimoires.

    - Taisez-vous ! Il… Il veut me protéger !

    - De quoi ? De qui ? Nous savons déjà que vous êtes la voleuse, l’université est également au courant. La seule chose qu’il a voulu protéger, c’est sa personne.

    Klarion forma une nouvelle sphère qu’il fit de nouveau flotter vers Perdita. Le contrôle d’émotions faisait son office derechef, amplifiant sa peine davantage en renforçant son flot de pleurs.

    - Vous mentez, brailla-t-elle entre deux soubresauts de larmes, vous voulez me retourner la tête !

    - Vraiment ? Rétorqua Klarion, ironique, une étincelle de défi dans sa voix. Si je mens, Perdita, pourquoi ne vous a-t-il pas emmené avec lui lorsqu’il nous a mis à terre ? Votre amant en avait la parfaite opportunité, mais il a choisi de prendre votre sac. Ouvrez les yeux, il ne vous a jamais aimé, il vous a manipulé et vous avez joué son jeu, comme une mouche vers une lanterne.

    - Je… je…

    - Dites nous qui il est, où il vit, et nous le ramènerons, je vous le promets. Ne soyez pas cette faible ignorante à qui votre famille fait constamment de l’ombre

    Sa famille, Klarion venait de toucher une nouvelle corde sensible. Perdita avait volé ces livres pour impressionner ses professeurs mais également sa famille, cette famille qui l’avait relégué au ban des incapables et des moins que rien malgré ses facilités dans de nombreux domaines magiques. Elle regardait Klarion, abasourdie, ses larmes continuant de perler de ses yeux gonflés sur ses joues blafardes, plus aucun son ne sortait de sa bouche grande ouverte.

    - G.. Geren… Geren Penwicksen… chuchota-t-elle en un soupir fugace. Je le retrouvais dans sa garçonnière des faubourgs sud-est de Liberty, au-dessus d’un restaurant marin que la milice locale aime bien. Ne… ne lui faites pas de mal, je vous en supplie !

    Klarion ne put lui promettre cela, il ne put non plus lui promettre qu’elle n’allait pas morfler. La bande d’Ermelin arrivait au bout du sentier, marchant d’un pas pressé en lançant des jurons à tour de bras. Le sorcier noir fit marche arrière, lançant à Pancrace un regard qui disait qu’ils avaient tiré le nécessaire de la pauvre naïve qui se remettait déjà à pleurer.
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