Un échange très enrichissant

Pour une liche plurimillénaire, cet humain n'était guère plus qu'un enfant qu'il fallait éduquer, et voilà qu'il se permettait d'essayer de la mettre en défaut. Sa vision obtuse des choses en était presque risible, alors qu'il tentait d'expliquer la différence entre crime et pêché. Pour être tout à fait honnête, Morndrizel ne considérait guère le pêché, elle non plus, car il s'agissait là d'un terme inventé par les mortels pour qualifier un crime devant la religion. De la même manière que l'Ordalie n'avait pour elle de seul sens que celui de servir de châtiment en le ritualisant inutilement, le pêché n'était qu'une ritualisation de ce qu'est un crime à ses yeux. Mieux valait s'adresser à ceux qui ne comprenaient pas le sens de la religion en des termes qu'ils pouvaient comprendre.

" Donc, pour vous, que vos créateurs reviennent vous punir pour vos fautes est une ignominie et un crime, mais un barbare sans foi ni loi qui déclenche une guerre pour renverser votre royauté et prendre votre pays par la force des armes est une bénédiction ? Votre aveuglement vous honore... Vous parlez comme ceux qui n'ont pas été touchés par le mal, vous ne voyez pas les choses malgré que vos yeux soient ouverts. Comment pouvez-vous affirmer que le royaume ne lui appartient pas ? Ne s'est-il pas couronné Empereur ? Oseriez-vous donc aller le dire devant lui, ou ne dites-vous cela que pour vous rassurer sur le fait que si vous restez docile tout ira pour le mieux ? Je pense que si l'Empereur choisissait de tuer votre famille, personne ne dirait rien. Comme personne n'a rien dit lorsqu'il a tué le roi et la reine, et épousé leur fille. Enfin, personne... Si l'on omet les rebelles bien sûr. "

Morndrizel sourit, évidemment elle avait eu vent de la rébellion qui s'était dressée ouvertement contre Tensai comme de beaucoup d'autres choses. Elle trouvait presque cela effarant que Tagar qualifie la guerre des barbares Ryssen comme "une guerre causée par le mécontentement de la population", à croire que la capacité d'aveuglement des sujets du Reike était sans limites. Elle se demanda si c'était ainsi qu'ils contrôlaient leur population.

" Vous en savez si peu sur Shoumei, sur nos croyances et sur les divinités... Et pourtant du haut de votre maigre expérience vous vous permettez de juger des actes de forces qui vous dépassent, du pouvoir de la foi, notre foi. Vous ne vous ferez pas que des amis ici de cette manière, Tagar. Vous voulez vous placer en sauveurs, laissez-moi vous dire qu'ici, vous êtes des envahisseurs. Quand vous le réaliserez, il sera déjà trop tard. "

Après quoi, la dame en tenue violette se leva élégamment, sourit au contrôleur avant de s'éloigner de la table.

" Merci pour votre hospitalité. J'espère que vous méditerez mes paroles, très cher, que vos yeux s'ouvrent enfin sur la vérité du Sekai... "

Je suis content de voir que mon interlocutrice a tout à fait compris mon point de vue et alors que je m’attendais à la reconnaissance de ma logique parfaite, les Titans sont des monstres, elle change brusquement d’avis ! J’ai l’impression qu’elle me menace, son discours a complètement changé et elle semble vouloir excuser, voir à justifier les actes odieux de leurs prétendues divinités ! Mais c’est une femme et par définition, elle manque de logique, c’est pourquoi je reste calme et je lui indique :

Les Titans que vous estimez tant maintenant ont tué la grande majorité des Shoumeiens, c’est un fait que rien ne pourra changer. Si nous n’étions pas intervenus, Maël, ainsi que toutes vos possessions seraient réduits à néant, c’est également un fait. Je n’aime guère vos paroles et il semble que ce ne soit guère courtois d’injurieux vos sauveurs.

Je me lève quand elle quitte la table et je lui dis :

J’espère que vous méditerez mes paroles et que vous éviterez à l’avenir de venir ici pour demander de l’aide à une personne qui a la courtoisie de répondre à vos questions et que vous insulter ainsi. Je ne vous retiens pas, mais sachez que si vous voulez partir pour rejoindre vos précieux Titans, Sancta et Bénédictus vous tendent les bras.

Je parle des deux cités dont tous les habitants ont péri et que certains suspectent d’être le quartier général, si on peut employer cette expression, des entités survivantes. Pour le moment, le couple royal n’a pas encore investi les lieux, mais je suis sûr que ce n’est qu’une question de temps. Je suis persuadé que mon interlocutrice, si elle est assez folle pour aller là-bas, périra de la main d’une des nombreuses créatures toutes plus horribles les unes que les autres qui peuplent l’endroit. Ce sera une fin tout à fait appropriée pour celle qui a osé comparer l’Empereur à un monstre.

Le fait que le reikois essaie de changer de sujet, de revenir à un fait qui selon lui voulait tout dire, était bien la preuve qu'il manquait d'arguments pour contredire Morndrizel, qui sourit et émit un rire étouffé inquiêtant.

" C'est effectivement un fait, mon cher contrôleur, mais la question qu'il faut se poser est celle de la finalité, là où vous vous bornez à voir uniquement la cause. Comme vous dites, votre Empereur a "redressé" votre pays après avoir tué des milliers d'innocents, ne voyez-vous pas une inquiétante similitude ? Votre intervention n'a rien fait, car Ils vous ont laissé intervenir à votre guise, c'était bien dans leur intention depuis le début. Je vous enjoins à ne pas sous-estimer les divins, Tagar. Quant à savoir si vous êtes des sauveurs, vous pouvez bien vous raconter tous les mensonges que vous souhaitez pour apaiser votre esprit, mais lorsque vous réaliserez votre erreur, il sera trop tard. "

La liche s'approcha de nouveau, posa doucement une main sur l'épaule de ce pauvre agneau esseulé et perdu. Elle avait presque de la pitié pour lui, pour son aveuglement à voir les choses comme il devrait. C'était ainsi que fonctionnait l'Empire, en écrasant l'opposition et en empêchant leur peuple de réfléchir, et cela semblait fonctionner. Sauf qu'à présent, avec Maël, une brèche était ouverte dans leurs défenses. Elle sourit, plus besoin de se cacher et se dissimuler derrière une fausse identité désormais, elle avait eu ce qu'elle voulait. Les marques sur sa peau s'illuminèrent, pulsant lentement de magie améthyste en révélant sa nature venue des Titans eux-même. Elle approcha son visage de celui de l'humain, comme si elle allait l'embrasser, avant de se porter à son oreille.

" Vous vous méprenez, Contrôleur royal. C'est justement de Sancta que je viens. "

Sans laisser le temps à l'homme de digérer cette information et ses implications, Morndrizel se redressa et quitta prestement la pièce, ses tatouages s'estompant de nouveau, une chape d'ombres la suivant comme une traine. Elle aurait pu tenter de s'en prendre à lui, mais tel n'était pas son dessein, pas encore...

Mon interlocutrice s’enferme dans son erreur, mettant toujours sur le même pied d’égalité, un génocide et une guerre civile. Elle semble être informée de chose incompréhensible, comme si tuer un Titan était quelque chose de prévus par les entités qui nous ont attaqués. Elle parle même d’erreur d’avoir sauvé Maël ! Vraiment, on est entré dans la quatrième dimension, celle des fous !

Elle me touche l’épaule, mais si je la trouvais plaisante au début, sa peau est maintenant couverte de marques que je n’arrive pas à déchiffrer, qui émettent une drôle de lueur. Elle m’indique ensuite qu’elle vient de Sancta ! Mais avant que je puisse réagir, elle disparaît à ma vue, comme avalée par l’obscurité. Bien sûr, je fais appel à la garde pour fouiller tout le bâtiment, mais c’est peine perdue et ils font chou blanc !

Je fais donc un rapport sur tout ce qu’il s’est passé, avec un portrait de son visage, même si je ne sais pas très bien dessiner. Je ne sais pas si elle a donné son nom exact à l’entrée, ce n’est pas à moi de décider de la suite à tenir. Je suis persuadée qu’il s’agit d’une de ses dingues du Nouvel Ordre, s’amusant à défier l’autorité de l’Empire. Heureusement que je l’ai poussé à parler de ses convictions religieuses, sinon elle aurait pu s’infiltrer dans notre administration. Une autre théorie est qu’elle voulait me recruter, mais comme je me suis montré incorruptible, elle a décidé de fuir.

Je devrais sans doute me montrer plus prudent à l’avenir et demandé à un garde d’être en permanence présent quand je reçois des personnes inconnues. C’est quand même incroyable, on essaie d’être gentil, de bien faire son boulot, mais il y a toujours des gens qui s’en prennent aux fonctionnaires ! En-tout-cas, aujourd’hui, j’ai pu démasquer une traîtresse à sa propre nation et c’est déjà très bien.