Année 3 le 24 septembre

Aujourd’hui est un grand jour, peut-être pas aussi important que celui où je suis devenu Cœur, couronnant le travail de trente ans d’effort, mais je n’avais pas eu le temps de m’y préparer. Là, cela fait deux nuits que j’ai du mal à m’endormir, pensant à ce qui allait arriver ce soir et finalement, nous y sommes.

J’ai décidé de changer de style, abandonnant le noir habituel pour un blanc éclatant qui se marie bien avec ma couleur de cheveux. Il y a quelques dessins, brodés d’or, mais c’est assez discret et ce mélange met en valeur ma silhouette. J’ai veillé à donner les bonnes consignes à Edgar, le majordome. C’est un homme d’une cinquantaine d’années qui était présent à ma naissance et en qui j’ai toute confiance. Je peux voir que notre demeure familiale n’a jamais été aussi bien tenue, les serviteurs ayant réalisé un exploit remarquable.

Les gardes de la maison et les soldats sont dans leurs uniformes d’apparats, aux couleurs de la famille, or et sang. J’ai également pris un traiteur pour aider nos cuisiniers habituels, bref, tout est fait pour en mettre plein la vue à la jeune femme qui ne va pas tarder à arriver. Les De Sarleon sont une famille puissante et je reçois ce jour leur ainé pour lui présenter Mère, il faut donc que notre propre famille donne une image de respectabilité et d’opulence.

Comme il s’agit d’une hôte de marque et parce que je déteste tourner comme un lion en cage, je l’attends à l’extérieur au niveau de la grille d’entrée, gardée par deux mercenaires portant les couleurs de la famille, or et sang, on peut également voir que le jardin extérieur est bien entretenu. Puis on pourra entrer par la porte, gardé ici par un mage qui s’assure que nul n’a usurpé d’identité, chose malheureusement rendue nécessaire par les temps qui courent.

J’ai déjà prévu dans ma tête mille fois, mes gestes et quand elle arrivera, je lui demanderai de ses nouvelles et je lui ferai un léger baise-main, avec cela, je suis sûr de marquer des points.

Tenue de Tagar:

Quelle triste couleur, pense-t-elle alors qu'elle se dévisage elle même dans le reflet argenté de son miroir. Elle se sent terne et fade dans cette tenue pourtant sobre et élégante ; une toge d'argent et de noir, portée d'une écharpe d'un blanc resplendissant, sur laquelle des lions argentées s'enchaînent l'un dans un sens, l'un dans l'autre. Pas de dorure, pas de paillettes d'or sur le visage aujourd'hui ; les broches d'argents qui attachent ses cheveux constituent les seuls parures qui pourraient mettre en valeur son visage.<

Elle hésite à changer complètement de tenue, mais, réalisant que l'heure tourne, elle finit par accepter celle-ci et se dirige vers la sortie de l'austère résidence de son clan à la capitale. L'un de ses serviteurs tente de l'arrêter, souhaitant lui proposer une façon plus noble de la conduire là-bas, mais elle décide de venir à pied, quitte à avoir un peu de retard et de faire attendre Tagar.

Le trajet à pied, si elle le fait d'un pas pressé, lui permet quand même de réfléchir un petit peu, et c'est l'esprit clair et limpide qu'elle se présente à la demeure des Reys. 

Elle voit directement Tagar en arrivant, et, le gratifie d'un grand geste de la main alors qu'elle finit de s'approcher ; et, une fois à proximité, elle le salue d'une petite révérence, lui présente sa main et lui annonce :

« C'est un plaisir de vous revoir aussi tôt, Tagar. J'ose espérer que vous n'êtes pas trop traumatisé par la rencontre avec mes parents. »

Je vois arriver la jeune femme, avec une bien belle tenue et je réponds à son signe de la main avant de lui faire le baise-main, comme je l’avais prévu. Sa remarque sur ses parents me fait sourire et je lui réponds en toute honnêteté :

Ils ont été charmants, consentent à notre rencontre et m’ont demandé de vous passer le bonjour.

Après tout, le Cœur du Reike est venu les voir en personne pour avoir l’autorisation de fréquenter leur fille. Il est célibataire, jamais marié, sans enfant, venant d’une famille noble, plutôt beau, sans problème de santé avec un très bon travail, le gendre parfait ! Je continue ensuite notre discussion :

Vous êtes magnifique Alyssa. Je trouve que cette tenue vous va à ravir, même si je n’oublierai jamais notre première rencontre, au début, je vous ai pris pour un ange tombé du ciel.

Je suis sincère dans mes paroles, car mon interlocutrice est vraiment très jolie et je lui présente mon bras pour lui annoncer :

Vous êtes pile à l’heure et je suis certain que la rencontre avec Mère va également très bien se passer.

Bon, je suis moins sûr de moi sur cette affirmation, mais je dois me montrer positif. Nous entrons dans la demeure et les différentes pièces s’enchaînent, au fond mes appartements privés et ceux de ma mère, dont la porte est bien entendu fermée. Il y a également une petite salle de bal et mon bureau, où je traite les affaires des différents visiteurs. Au centre de la grande structure, à l'air libre, se trouve un magnifique jardin intérieur avec de grands palmiers et de multiples roses de toutes les couleurs, blanche, orange, rose et rouge, diffusant un parfum délicat.

De l'autre côté, se trouve la cuisine, la réserve, les logements des serviteurs et les différentes dépendances. La décoration, comme d’habitude est assez sobre, la famille Reys n’affichant pas sa richesse. Après tout, la paye de contrôleur royal n’est pas mirifique et nous ne possédons que peu de bien, contrairement à d’autres familles. Nous avons toujours été des fonctionnaires de père en fils et si nous possédions quelques esclaves, maintenant affranchis, nous faisons bien attention à ne jamais avoir de dette.

Un toit terrasse permet d'avoir une vue imprenable sur le Palais et c’est là-haut que Mère nous attend, près de la table ou le repas nous attend sous de grandes cloches. Elle a vêtu une robe entièrement noire et longue, elle porte des sandales de cuir assez simple et, comme à son habitude, peu de bijoux. Elle nous vois arriver et indique à la jeune femme d’un ton assez froid :

Soyez la bienvenue, Dame de Sarleon.

« Charmants, mais pas trop mielleux j'espère ? - elle esquisse un petit sourire, avant de continuer - Je suis ravie de voir que vous avez pris les choses en main aussi vite, en tout cas »

La remarque suivante la fait glousser, et, d'un geste de la main, balaie le compliment avant de rétorquer :

« Voyons Tagar, nul besoin de m'amadouer ainsi. Ou peut-être qu'essayez-vous de m'extorquer un compliment quant à votre tenue ? »

Elle lui fait un clin d'œil, et, taquine, ne lui retourne pas le compliment. C'est le genre de chose qui se mérite, aux yeux d'Alyssa, et, elle va attendre un peu avant de voir si c'est le cas. Même si elle n'en doute vraiment pas. Elle acquiesce silencieusement au constat qu'elle est à l'heure, ravie de voir que son hésitation n'a pas causé un retard qui aurait été sans doute mal vu par la maternel de ce qui pourrait devenir son époux. 

Elle observe la demeure qu'elle découvre d'un œil assez attentif, avant d'enfin découvrir le dragon qui gardait ce donjon. Son ton n'est pas des plus chaleureux, mais, cela ne déstabilise pas Alyssa qui se comporte dignement en s'approchant de la dame, lui faisant une simple révérence avant de lui annoncer : 

« Ma Dame, je suis ravie de voir que les présentations n'ont pas à être faites. Votre fils m'a également parlé de vous. Merci de votre accueil, et de votre considération »

Mère accueille froidement Alyssa, mais cette dernière ne le prend pas mal et la remercie pour ses paroles. Pour ma part, j’aide la jeune femme à s’asseoir, tandis qu’Edgar le majordome en fait de même avec la maîtresse de maison. Je n’ai plus qu’à également poser mes fesses sur une chaise et les serviteurs enlèvent les cloches pour nous montrer un succulent Faisan au cidre et aux pommes. Cela sent très bon et je fais un signe de tête en direction du cuisinier, pour le remercier, celui-ci semble soulager, mais attends que ma mère goûte avant de crier victoire. Elle goûte un peu et sourit très légèrement, ce qui est le signe que le plat lui plaît, il peut donc partir, l’esprit tranquille pour finir de préparer le dessert. Tout en mangeant, Dame Reys demande à mon invitée :

J’ai entendu parler de votre famille, elle est très respectable. Mon fils m’a indiqué qu’il a obtenu l’accord de vos parents, comme quoi, il arrive dans ce qu’il entreprend, pour peu qu’il s’en donne la peine.

Je baisse la tête, ne disant rien, car prenant cela comme un reproche et ma mère continue, regardant Alyssa droit dans les yeux :

Mais être une Reys est assez complexe, surtout depuis que nous avons le ministre des Finances dans notre famille. Il faudra assister à de nombreuses soirées et autres manifestations, sourires pendant des heures et être d’une exemplarité sans faille, en sentez-vous capable ?

Pour le moment, je n’interviens pas, le véritable interrogatoire n’a pas commencé, ce n’est qu’une mise en bouche. Je reste en retrait, certain pourrait même dire en spectateur, car je sais que celle qui m’a donné la vie n’est pas méchante, elle veut juste le meilleur pour moi et je l’aime pour cela.

Alyssa ne s'attend pas à passer à table aussi rapidement. à peine posée, que le repas semble commencer ; et, elle observe sans un geste la maîtresse de maison goûter à son plat. Elle jette un regard à Tagar, voit qu'il observe, note qu'il s'efface complètement en présence de sa figure maternelle. La brune ne mange pas de suite, et, quand la question vient, elle est en train d'envisager d'attaquer la part qui lui a été servie. Elle répond donc, d'un air assuré : 

« Je pense que l'approbation de mes parents est un jeu d'enfant comparée à celle de l'Empereur ou de l'Impératrice en personne. Je n'ai pas douté un seul instant de lui. » 

Elle fait un discret petit sourire complice à Tagar, avant d'enfin pouvoir commencer à picorer doucement dans son plat. La prochaine question ne tarde pas, et, lui arrache un haussement d'épaules puisqu'elle est en train de mâcher. Une fois dans la capacité de le faire, elle s'exprime : 

« Nul besoin de s'inquiéter à ce sujet, ce que vous me décrivez est déjà mon quotidien. Je n'espère pas vous décevoir en annonçant que mon sourire se mérite ; je préfère être franche avec vous - calme et limpide, elle marque un temps d'arrêt, prend une gorgée de son verre, avant de reprendre - Je suis consciente que, si nous nous marions, je vais devoir laisser de côté une partie de mes obligations en tant que conseillère. Mais je sais ce que je veux, et, c'est fonder une famille ; pour mon propre bien, celui de ma dynastie, et celui de la votre »

Elle ne relance pas, le peu qu'elle a vu du personne se doute qu'elle préfère garder le contrôle et être active. Alors, elle se contente pour l'instant de rester passive et de répondre aux questions qui risquent de pleuvoir.

J’ai droit à un petit compliment de la part de la jeune femme qui me fait plaisir. En plus, cette dernière ne se laisse pas faire et je suis d’accord avec elle, fonder une famille est important et j’indique à ma mère :

Alyssa est une personne intelligente et…

Ma mère me coupe d’un seul regard et me dit :

Tu crois que tu es compétent pour juger les femmes ?

Je ne comprends pas cette remarque et elle me précise :

Après ce qu’il s’est passé avec la dernière, je pense que tu devrais me laisser gérer cette affaire.

Elle dit cela comme si je lui en avais présenté des dizaines, alors que de toute ma vie, je lui ai juste amené une seule femme. Mais pour ne pas l’énerver, je ne dis rien et la maîtresse de maison trouve de suite une autre cible :

Vous dites vouloir des enfants, mais vous avez déjà été marié, si mes renseignements sont bons et sans tomber enceinte. Est-ce que c’était intentionnel de votre part ?

Elle la laisse répondre, puis enchaîne par une autre question :

Je suis une femme de pouvoir, mais j’ai tout lâché par amour pour mon mari, serez-vous prêtes à faire la même chose ? Dans un pays comme le nôtre, les femmes ont énormément de mal à conquérir des postes importants, les rares qui y arrivent ont du tout sacrifier pour y arriver, êtes-vous prêt à remettre en cause tout ce pourquoi vous avez tellement travailler ?

Je ne savais pas que Mère avait tellement de rage en elle, j’ai l’impression qu’elle s’adresse à elle, plus jeune. Sous la table, je prends délicatement la main d’Alyssa, espérant qu’elle ne prendra pas cela de manière personnelle et qu’elle est prête à répondre à Mère.

Alyssa lance un regard vraiment perplexe et fronce les sourcils lorsque la mère coupe le fils alors qu'il est en train de parler. Quelle impolitesse ! Elle n'aurait pas apprécié et aurait pris la mouche, ce qui n'est pas le cas pour Tagar. Comme quoi, ils pourraient avoir un équilibre. 

La question suivante lui arrache un demi-sourire, alors qu'elle regarde son éventuel fiancé. Il comprend pourquoi il n'en a pas parlé avec sa mère. Elle lui rétorque directement :

« Non. Je risque de me mettre à dos la famille de mon défunt mari en vous l'annonçant ainsi, mais, ce dernier était impuissant. Le problème ne vient pas de moi ; sauf si je suis repoussante au point d'en être la cause. »

Elle s'exprime d'une telle façon que la réponse est évidente ; elle est belle, et elle le sait. Elle parle franchement, sans retenue, et sans lâcher le regard de la matrone. La question suivante ne lui suscite pas de réaction en particulier et elle rétorque simplement :

« Je suis où je suis parce que c'est ce qu'il y a de mieux pour les miens. Je ne cherche pas le pouvoir, ou, du moins, celui auquel vous faites référence. J'ai travaillé pour devenir une mage puissante, et, être une mère n'empêche rien en cela » 

Le contact de la main de Tagar lui arrache un sourire, et, elle lui lâche un sourire en coin. Il est mignon, pas des plus futés, mais mignon.

L'échange, pour l'instant, ne la perturbe pas plus que ça, et, solide sur ses convictions et ses principes, le pessimisme de la mère Reys ne l'as pas encore attaqué.

Ça balance pas mal entre les deux femmes. Alyssa se défend pied à pied et je compte les points dans mon coin, jusqu’à ce que la jolie brune réussisse à clore le bec à Mère et j’indique à cette dernière :

Je pense que vous pouvez laisser mon invité respirer un petit peu.

La maîtresse des lieux me foudroie du regard, mais je ne me démonte pas et je la regarde droit dans les yeux, lui indiquant d’une voix douce :

Je sais que vous faites tout cela pour me protéger, pour éviter que je souffre une nouvelle fois. Je vous remercie pour votre gentillesse, mais je pense avoir trouvé une femme qui me correspond et qui accepte de bien vouloir me connaître.

Je vois qu’elle va parler et je lève simplement la main gauche, un geste apaisant que j’ai appris depuis que je suis le ministre des Finances et elle se tait, je peux ainsi reprendre, d’une voix calme :

Le but de cette soirée est de passer un bon moment, je pense que nous pourrons reprendre l’interrogatoire après le dessert. Il s’agit de mon invitée et si encore une fois, je comprends votre inquiétude, Alyssa est une personne importante pour moi et je ne souhaite pas qu’elle se sente mal à l’aise.

Voilà, je pense avoir tout dit et je vois que mon interlocutrice se détend un petit peu, je peux ainsi m’adresser à la jeune femme et je lui demande :

Trouvez-vous le plat à votre goût ?

C’est la moindre des politesses de l’hôte de s’assurer que tout va bien, puis une fois entendu sa réponse, je continue :

Surtout, si vous avez froid, n’hésitez pas à me le dire et nous prendrons le dessert dans le salon, j’ai prévu des sorbets. Je suis persuadé que vous n’en mangez pas dans votre cantine.

Il s’agit bien sûr d’une boutade, par rapport à ce qu’elle m’avait raconté lors de notre première rencontre.

Respirer un peu ? Alyssa regarde Tagar un peu perplexe. Elle respire très bien ! Mais soit. Elle l'observe tenter de la défendre, et, si elle n'en ressentait pas vraiment le besoin, elle apprécie l'intention et le geste. Elle ne peut s'empêcher de rouler des yeux lorsqu'il énonce qu'elle est importante à ses yeux. Il est définitivement très chou, mais, il comprend à la fois la surprotection de sa mère et ses conséquences. Elle profite néanmoins de l'intervention de Tagar :

" Oh, ne vous inquiétez pas. Je ne me sens absolument pas mal à l'aise. Je comprends les interrogations de votre mère, et, j'espère pouvoir comprendre bien assez tôt ses inquiétudes - elle sous-entend sa volonté de maternité - je n'ai absolument rien à cacher de toute façon "

Elle acquiesce simplement quand il lui demande vis-à-vis de la nourriture, qui est très bonne, même si elle aurait préférée une entrée et un apéritif. Commencer un plat, après quelques secondes d'introduction est... particulier. Mais qui est-elle pour se plaindre ? Elle fera probablement la remarque plus tard dans la soirée.

Son intervention suivante lui fait secouer la tête doucement, et, elle clôt ses yeux doucement et les rouvre en annonçant :

" Vous êtes absolument charmant, même si vous vous doutez bien que je ne suis pas du genre à hésiter. Quant au sorbet, j'espère qu'ils seront à la hauteur ; parce que vous vous trompez, et je vous l'annonce tout de suite... - elle lui lance un regard complice -  je n'aime pas et déçue. Mais je sais que ce ne sera pas le cas "

Elle conclut l'échange par un petit clin d'œil, avant de reprendre quelques bouchées de nourriture. Elle profite de l'accalmie momentanée pour essayer de détendre l'atmosphère :

" Dites-moi, dame Reys, êtes-vous responsable de la décoration de cette maisonnée ? J'admets apprécier le style à la fois simple et élégant, qui m'est plus que familier "

Toujours aussi brave, Alyssa indique qu’elle va très bien et se permet même une petite plaisanterie, ce qui me fait sourire. Elle pose ensuite une question sur la décoration et la maîtresse de Maison lui répond :

Pas du tout, c’est ici la demeure familiale des Reys et je suis une Smaragdi, nous avons un style plus, exubérant.

C’est le moins que l’on puisse dire, cette famille est une des plus grosses richesses du Reike et même si Martha est assez éloignée de la branche principale, elle a une fortune plus que conséquente. Leur style de décoration, c’est pierre précieuse sur pierre précieuse, puisqu’ils possèdent des mines très importantes.

Mais je suis d’accord avec vous, c’est à la fois simple et élégant. Quand Tagar se mariera, je retournerai dans ma famille d’origine, retournant parmi les miens.

Je la regarde surpris et je lui dis :

Mais…

Elle me coupe à nouveau, mais gentiment et m’indique :

Ce sera à toi de faire vivre l’esprit des Reys. Tu as de nombreux cousins et cousines, mais aucun n’a tes capacités. Je t’ai élevé du moins que j’ai pu, suivant la tradition des Reys en l'honneur de mon époux. J’aimais ton père, et j’espère que tu as arrivera également à trouver le bonheur.

Pendant un moment, son masque est tombé, mais elle se reprend vite et continu d’une voix ferme :

Mais avant de me voir partir d’ici, il va falloir que tu te tiennes correctement. Si cette demoiselle est assez gentille pour passer outre tes nombreux défauts, je dois m’assurer que tu sois à la hauteur.

Tout en discutant, nous avons tous fini notre plat principal et ma mère fait un signe pour que nous soyons débarrassés. En attendant que les desserts soient apportés, elle se tourne à nouveau vers la jeune femme :

Je sais que vous avez reçu une bonne éducation, vous êtes une femme qui a su montrer de la compétence et une bonne magicienne. Puisque vous êtes prêtes à sacrifier votre vie actuelle pour vous marier et avoir des enfants, je n’ai plus grand-chose à dire. Alors, et c’est rare que je le demande, avez-vous des questions ?

Alyssa acquiesce simplement à la réponse de la mère, l'écoutant attentivement et prenant note de ces informations qui allaient définitivement lui servir sous peu. Quand Tagar se fait couper une énième fois, elle hésite à intervenir, mais quand elle voit le ton qu'empreinte sa maternelle elle se contente de se détendre et d'esquisser un sourire. N'est-ce pas adorable ? La conversation a pris un tournant auquel elle ne s'attendait pas vraiment mais c'est visiblement pour le mieux. Elle profite d'un instant de silence pour glisser :

« Oh, je ne suis pas gentille ; je suis réaliste, et je pense pouvoir contrebalancer les défauts de votre fils ; au même titre qu'il semble capable de contrebalancer les miens. Je n'ai pas l'ombre d'un doute qu'il sera à la hauteur ; encore une fois, je pense être plus simple à satisfaire que le couple impérial quant il s'agit de leur argent »

Elle esquisse un petit sourire entendu au noble. Puis elle hausse les épaules à la question de sa mère, et, elle réfléchit un instant avant de demander très simplement :

« Seriez-vous prête à rencontrer mes parents dans l'éventualité de discuter des arrangements nécessaires pour un mariage ? Le temps ne presse pas, ou du moins pour l'instant, mais une éventuelle union risque de demander beaucoup d'organisation »

Elle l'observe en attendant sa réponse, en gardant en tête le fait qu'elle s'est toujours considérée comme une Smaragdi. Tant mieux, parce qu'elle restera probablement aussi une lionne de Sarleon toute sa vie.

J’ai l’impression que la demoiselle assise à mes côtés se dévalorise, en indiquant qu’elle n’est pas gentille, alors qu’elle est une des personnes les plus adorables que je connaisse et la suite de ses paroles ne fait que confirmer mon opinion. C’est sans aucune doute ce que pense ma Mère et quand Alyssa lui parle d’aller voir ses propres parents, elle lui répond :

C’est entendu, je pourrais aller les voir la semaine prochaine et nous mettrons les différents détails au point.

J’avoue ne pas en croire mes oreilles, c’est aussi simple que cela ! Un seul entretien, de part et d’autre et la fréquentation est devenue mariage ! Je suis tellement surpris que je ne touche pas à mon sorbet. Concernant ma Mère, elle semble ne pas tenir compte de mon trouble, continuant à discuter avec mon invité de sujet plus ou moins léger, avant de nous annoncer :

Je ne sais pas si mon fils vous l’as dit, mais je me couche très tôt. Je vous souhaite une bonne soirée à tous les deux.

Puis elle se tourne vers la jeune femme pour lui préciser :

Vous serez toujours la bienvenue ici, pour prendre le thé ou simplement pour discuter.

Elle quitte les lieux, nous laissons en tête en tête et j’arrive enfin à reprendre mes esprits. Je souhaite une bonne nuit à la maitresse de maison puis je me tourne vers Alyssa pour lui demander :

C’est vraiment ce que vous voulez ? M’épouser ? Je pensais que vous auriez milles questions à me poser avant.

Après tout nous nous connaissons que depuis deux jours ! En plus, elle est bien plus désirable que moi, c’est une certitude, a de l’expérience et une fois que j’ai entendu sa réponse, je lui fais une dernière remarque :

Vous ne savez même pas si j’embrasse bien !

Alyssa regarde Tagar alors qu'il paraît à la fois surpris et ravi de cette nouvelle. Elle est un peu étonnée, et attendrie par ce genre de réaction ; et, elle espère sincèrement ne pas le décevoir. Elle est plongée dans ses pensées quand la mère lui adresse à nouveau la parole, et un peu surprise, elle s'empresse d'acquiescer. Elle se lève pour la saluer alors qu'elle part, en lui annonçant :

« Je vous remercie de votre accueil, passez une bonne nuit »

Elle reste debout alors que celui qui semble de plus en plus être son futur époux lui pose une question qui lui fait rouler des yeux. Elle lui annonce directement :

« N'est-ce pas la raison de notre rencontre ? Nous nous faisons vieux, le temps court et à notre âge je n'aurais pas meilleur partie - elle semble impitoyable, mais n'est que pragmatique et, au moins, honnête - J'ai posé les questions importantes, et pour le reste, nous risquons d'avoir une vie pour en savoir plus l'un sur l'autre. Tant que vous tâchez d'éviter de mourir bêtement sur un champ de bataille, évidemment »

Elle éclate de rire à sa remarque sur savoir embrasser. A-t-il oublié leur première conversation ? Ne pas savoir embrasser n'est pas un crime, et, au pire, il n'avait pas à le faire. Elle attendait autre chose de lui ; leurs dynasties respectives attendaient autre chose de lui. Elle lui annonce directement :

« Peu importe, ce n'est pas en m'embrassant que nous allons avoir des enfants - elle marque un instant d'arrêt, secoue négativement la tête, et reprend - et puis, si c'est ce qui vous tracasse, au pire, ça s'apprend. Comptez sur moi pour vous faire savoir si c'est le cas »

Elle lui fait un petit sourire, et se rassoie, lui éteignant peut-être l'espoir d'un baiser un peu prémédité ; un peu perturbée par le côté expéditif de leur soirée. Au moins, elle n'avait clairement pas perdu de temps.

Le moins que l’on puisse, c’est que ma future épouse ne vend pas du rêve. Personnellement, je ne me sens pas vieux et en plus, j’ai entendu parler d’une potion qui pourrait rendre les gens immortels, alors j’ai le temps. Bien sûr, pour une femme, c’est différent, car vient le moment où elle ne pourra plus avoir d’enfant.

Ma seconde question l’a fait rire et j’aime beaucoup l’entendre manifester sa joie ainsi, et je ne peux m’empêcher de lui sourire. Mais je rougis quand elle enchaîne que ce n’est pas en s’embrassant que nous allons avoir des enfants. Pour me redonner un peu de contenance, je mange ma glace, au chocolat bien sûr et une fois que je l’ai terminé, je peux reprendre de manière plus sereine notre conversation :

Très bien, agissons de manière opérationnelle, puisque c’est ce que vous voulez, nous reprendrons notre conversation sur comment être heureux, ensemble, plus tard. Quand voulez-vous fixer la date de nos fiançailles, puis de nos noces ? Je pensais à nous fiancer dès la semaine prochaine, puis à nous marier dans trois mois, soit le 24 décembre de cette année.

Ce sera une date facile à retenir, je sais que les femmes adorent demander à leur mari des dates du passé, comme le jour de leur première rencontre, leur anniversaire, ce genre de chose. C’est sûrement pour les piéger, heureusement que grâce à mon métier, j’ai la mémoire des chiffres, sinon je me ferais sûrement vilipender. J’attends donc sa réponse, pendant que les serviteurs débarrassent la table, puis une fois leurs offices faient, m’informent :

Nous allons vous laisser, seigneur Reys.

Je hoche la tête pour manifester mon accord et je les informe :

Merci pour tout. Vous remercierez également les cuisines pour moi, c’était très bon.

Ils sourient, puis après un dernier salut, rentre dans leurs quartiers, nous laissant seuls. Il fait bon et la vue est imprenable sur le gigantesque Palais.