Cela faisait près d'une semaine que le ciel de Kyouji était couvert d'une épaisse couche de stratus qui filtrait la lumière du soleil, faisant du gris la couleur qui baignait la région. Certains anciens avançaient que c'était dû aux rejets de Kazan, d'autres ingénus pensaient que c'était le soleil qui fuyait de nouveau face à la bêtise des hommes, tandis que les plus fins savaient que c'était simplement car l'air estival peinait à s'imposer pour faire tomber la pluie, à l'instar du vent qui avait cessé de souffler pour les pousser vers l'Ouest. Ainsi, soit la pluie finirait par tomber lorsque la pression diminuerai, soit le charqué finirait par souffler cette masse nuageuse vers Ikusa. Quoiqu'il en fut, il était plutôt temps à rester à l'intérieur.

La Tovyr Leezen s'était donc attelée à l'inventaire du trésor seigneurial, à la demande de messire Crocell trop las pour le superviser, vu que son intendant, Kranrinerk Erals, avait trouvé moyen d'attraper un rhume. C'était donc à Lyra de se charger de l'inventaire trimestriel. Elle était ainsi assise à ce bureau installé en hauteur, sur une estrade surélevée, à observer de ses yeux d'autour les comptables et pages ouvrir les coffres, compter les lingots et reporter les détails sur leurs calepins et palimpsestes. Le plus dur était d'inventorier tout ce qui n'était pas de l'or, de l'argent ou du cuivre. Des experts étaient donc présents pour estimer et certifier les peintures, vases, sculptures et autres œuvres de valeur. Et même si cet inventaire était fait chaque trimestre, ces précautions étaient nécessaires, instaurées il y a bien longtemps, pour se prémunir des cambriolages qui pourraient remplacer certaines pièces par des faux.

Evidemment, Lyra était accompagnée de la garde seigneuriale qui veillait au grain, gardant l'entrée et déambulant dans les salles du trésor pour surveiller les serviteurs du seigneur. Quand à Lyra, elle était simplement là pour faire figure d'autorité à la place de l'intendant. Ce pauvre piffre de nain était assurément ivre et non malade, et c'était à elle de prendre son poste pour la journée. Enfin pour quelques heures seulement car Lyra se lassa rapidement de l'affaire et se leva de son bureau, fit mander le Majra Subhio Valge pour la remplacer jusqu'à la fin de l'inventaire. Après tout, c'était un ingénieur, tout ce qui était comptabilité devait plus lui parler que la Tovyr qui avait bien d'autres chats à fouetter.

Mais à peine eut-elle quittée la vaste salle du trésor qu'une estafette se présenta devant elle, lui remettant une missive tout en bredouillant quelques paroles que Lyra ne comprit pas tout de suite, renvoyant l'aide de camp qui ne pouvait vraisemblablement pas en dire plus car n'en sachant pas plus. Elle zieuta tout en marchant la lettre affichant une carte, son esprit acéré décortiquant la phrase l'accompagnant. Elle n'était pas du genre curieuse, mais le mystère autour de cette demande de rendez-vous (car, que pouvait-il s'agir d'autres) qu'elle devinait étant liée aux services de renseignements. Elle avait frayé bien trop de fois avec les espions de l'Empire pour reconnaitre leurs méthodes.

Le Vent, lui, avait fait certe dans le mystère, mais lui avait tout simplement désigné un endroit discret et un code pour y accéder : l'arrière d'une boutique d'apothicaire. L'Eau, quant à lui, l'avait invité dans une auberge, même s'il avait fait mieux que son collègue en se présentant sous une fausse identité bien élaborée. Et si elle avait affaire à présent au Feu comme elle le soupçonnait, et comme la phrase codée le laissait entrevoir, il semblerait que ce chef de cellule soit encore plus précautionneux que les deux autres. C'était une véritable force en somme, pour un espion.

Ce ne fut qu'en arrivant à ses quartiers qu'elle remarqua, sous la clenche, une série de chiffres de couleur. Mirant à gauche puis à droite, Lyra mémorisa les quatre glyphes avant de poser sa main sur la poignée de porte, les effaçant au passage pour entrer. Ce ne fut qu'installée derrière son massif bureau qu'elle finit par comprendre. Le point de rendez-vous était tout désigné, et avec ces stratagèmes détournés, elle était la seule à en avoir connaissance. La Sénéchale fit alors annuler tous ses rendez-vous de la soirée auprès de son scribe avant de revêtir une armure complètement noire - plus propice à la nuit - aux soieries améthystes rappelant son rang militaire.

Ce ne fut qu'après quelques heures de chevauchée qu'elle commença à distinguer le lieu correspondant au point sur la carte. Elle n'était accompagnée que de deux cavaliers, pour la sureté et la discrétion à la fois. En revanche, ses deux gardes restèrent en retrait, à l'orée de la forêt, mais parés à intervenir en cas d'alerte. Lyra démonta de cheval et guida sa monture par la bride entre les arbres et volis. Elle distingua alors dans le noir un tas de branches disposé au sol. La Tovyr observa d'abord les environs. Rien. Finalement elle mit un genoux à terre, non sans éloigner la main de son bâton de combat fixé à la selle.

Elle tira deux petites barres d'or massif de sa besace, empruntées pour l'occasion au trésor seigneurial, et les chargea en électricité. Lorsqu'elle les fit se toucher, un jet d'étincelles fut produit, mettant le feu au tas de branchages formant un feu de camp ignescent. Elle rangea les deux petits lingots conducteurs avant d'observer de nouveau les environs d'un regard circulaire aussi froid qu'un glacier du Grand Nord.



CENDRES