Rim n’eut pas exactement le loisir de s’enthousiasmer de l’accueil, pas plus que de leur décerner une note de dix sur dix sur tripSekaivisor – après tout, il y avait du feu, de la nourriture, et pas mal de bras disponibles pour se taper les sales corvées. Elle ne put saluer pleinement la jeune femme dénommée Léo qu’elle n’avait pas aperçue de prime abord, en partie masquée derrière l’envers de la porte, pas plus que reconnaitre le joyeux boute-en-train et cleptomane pathologique qui les accompagnait, de son faux nom Henri Poinfaché (mais ToujourSournois). Son esprit fut en effet plutôt accaparé par l’étrange glougloutement humide que venait de formuler Liz en réponse juste dans son dos. Les dindons et les kokot glougloutaient. Pas sa Liz. Qu’est-ce qui lui prenait ?

Elle pivota sur place, les sourcils froncés d’une profonde perplexité. C’était quoi tout ce sang ? Ses mouvements lui paraissaient gourds soudain, son corps lourd peinant à réagir aux indications pourtant limpides qu’elle lui envoyait. Penche-toi. Prend-la dans tes bras. Elle ne s’était pas vue s’agenouiller, extérieure à elle-même comme à l’ensemble de son entourage. Ses prunelles s’écarquillèrent et elle posa un regard nouveau sur ses mains, ces mains qu’elle pressait désespérément contre le gouffre béant qui zébrait la gorge de son amie, un bouillon de sang sirupeux s’enfuyant sans peine entre ses doigts inutiles. Cela formait comme des bulles étonnantes sur les lèvres charnues de sa Liz.


Avec une délicatesse infinie, elle chassa les mèches collées sur son front par l’hémoglobine et la saleté du bout de l’index, ses yeux hagards incapables de se détourner de celle qu’elle serrait à présent dans ses bras. La voix de Neera lui arracha un léger sursaut, à moitié sortie de sa torpeur contemplative. Oui. Liz était partie en balade. Elle s’apprêtait probablement à revenir. Juste une balade. Elle déposa un doux baiser sur son front et reposa avec précaution le corps sur le sol meuble de la forêt. Pas la peine de s’inquiéter. Tout irait bien.

Sa mémoire devait pourtant rencontrer quelques difficultés à suivre, car elle reprit conscience de son entourage quelques minutes plus tard, à l’intérieur de la cabane. Qu’est-ce que quoi ? Ses iris refirent le point tandis qu’elle se tournait vers celui qui venait de l’aborder fort cavalièrement. Henri-Jean. Bressac Jamais-Fâché ? Elle l’observa une interminable seconde, le visage fiévreux, quelque chose de pas tout à fait droit dans sa tête, ses traits hantés maculés d’un sang qui n’était nullement le sien. Elle lui sourit. Un sourire tout en dents, ses cheveux courts ébouriffés parcourus d’une certaine électricité statique.


Vous voyez le truc pénible avec les apocalypses, c’est qu’on a jamais le temps de mettre nos menaces à exécution. Probablement persuadé d’être devenu trop laxiste avec les survivants, le destin opta pour une approche un tantinet plus mouvementée : le coup de tonnerre qui éclata au-dessus d’eux, emportant une poutre entière et leurs tympans dans une colossale détonation, projeta Rim contre le mur voisin. L’air disparut de sa poitrine et elle s’effondra comme une poupée de chiffons sur le parquet laminé de la cabane, peinant à reprendre son souffle. Ah. C’était donc ça, les cheveux électriques. L’odeur âcre de la cendre gagna immédiatement ses sens, un crépitement reconnaissable entre mille rongeant l’habitacle à une vitesse défiant la raison. Elle avait fréquenté le feu toute son existence durant. Pour la toute première fois elle n’avait d’autre choix que de le fuir…


Baissée au possible, tanguant sur ses jambes, elle se dirigea à tâtons vers son dernier souvenir de la porte, cherchant des yeux et des mains ses chers compagnons dans cet enfer visuel de poussière, de silhouettes troubles et de bois effondré.


Voilà au moins qui avait le mérite de la réveiller. Adieu la bouffe de châtaignes grillées.

Commençant à courir dans les couloirs du tunnel, Deydreus haussa un sourcil très haut lorsqu'il vit derrière lui Kosmos arriver avec la jeune femme... Sur son dos. Tel un destrier de l'apocalypse déformé, ce duo improbable parvint jusqu'à lui dans un éclat tonitruant. Spatule en main, l'élémentaire semblait vouloir en découdre avec l'enfer lui même tandis que celle sur dos semblait plus... Enfin, disons qu'elle n'était pas au meilleur de sa forme. Avachie contre l'échine de sa monture improbable, cette dernière laissait un long filet de bave couler de ses lèvres carmins jusqu'au pelage de la créature qu'elle chevauchait.

- Vous êtes sûre de vouloir ça sur... Votre dos?

La phrase n'était pas aggressive, simplement véridique. S'il se préoccupait assez peu de l'image que l'élémentaire renvoyait avec pareille silhouette sur son dos, il n'en demeurait pas moins qu'il imaginait une certaine fierté bafouée à avoir une droguée défoncée sur soi. D'ailleurs, en parlant de cette dernière, elle sembla s'éveiller soudainement en apercevant le vampire.

- Blabenfion!

Sentant l'entourloupe arriver, Deydreus rangea toute arme improvisée qu'il tenait alors qu'il se rapprochait de la jeune femme, mains en l'air tout en faisant signe à Kosmos de ne pas se précipiter ou faire de gestes brusques. Mais... Malheureusement, Katheline, sur son dos, ne semblait pas du même avis.

- Baise-moi la fouffe, ENCULÉ !!

Il y a quelque chose d'étrange, à entendre pareille invitation tandis qu'on se jette sur vous. Surpris par pareilles paroles, le vampire resta quelques secondes interdit, laissant l'opportunité à la demoiselle de venir s'écraser purement et simplement contre lui, le faisant trébucher dans la boue du tunnel. S'il reprit rapidement ses esprits, l'être aux yeux vairons cherchait à maîtriser la folle à lier qui se trouvait sur lui et commençait à lui enlever des morceaux d'armure petit à petit, cherchant à le déshabiller comme le provocateur qu'il était. Recouverts de boue, la demoiselle en devenant glissante, à l'instar d'une anguille insaisissable qui se faufilait entre les prises du guerrier aux yeux hétérochromes. Un coup, ce fut sa jambe qu'il parvint à saisir, la faisant passer au dessus de son épaule tandis qu'il cherchait à saisir l'autre. Puis, alors qu'elle le repoussait pour se jeter de nouveau sur lui, les pupilles complètement dilatées, ce fut ses hanches qu'il attrapa dans le vain espoir d'à nouveau la plaquer contre le sol boueux et... Humide. Le sol. Oui. Puis, au bout de quelques longues secondes de lutte acharnée, et surtout de terrible gêne, le vampire se retrouva enfin totalement au dessus de la jeune droguée, ses jambes l'entourant tandis qu'il plaçait ses mains au dessus de sa tête et la fixait plaqué contre elle afin d'utiliser son propre poids comme masse inamovible.

- On se calme. Tout de suite. Il leva la tête vers l'élémentaire qui avait pu observer la scène. Je pense qu'il faudrait m'ai-

La phrase ne s'acheva pas, le sol friable semblant finalement se briser sous eux trois, les faisant descendre d'un nouvel étage et les entraînant dans une grande pente particulièrement glissante. Comme un pilier, le chevalier resta le plus raide possible tandis qu'il s'enfonçait malgré lui plus profondément dans ce tunnel sombre et humide. Au moins, le feu ne serait ici pas un obstacle direct.

Quand enfin leur "glissade" s'arrêta, le chevalier roula une fois de plus dans la boue, pestant tandis qu'il sentait la boue coller contre sa peau. Mais, le plus terrible, en vérité, c'était la jeune droguée qui se trouvait toujours contre lui et se frottait langoureusement sur sa jambe, son regard dilaté et lubrique vers lui.