Qui en ce monde n’aime pas les gentilles grands-mères ? Celles qui vous préparent de succulentes tartes aux pommes avec amour, et vous couvrants de bécots ? Voyez comme Mégère représente parfaitement cette population tant appréciée : Un visage souriant, aux pommettes hautes et saillantes, respirant la joie de vivre et la gentillesse, bien que creusé par d’innombrables rides trahissant une longue vie. Des cheveux gris parfaitement coiffés en un chignon, laissant dégagées de mignonnes petites oreilles. Deux yeux pétillants, brillant d’une malice enfantine, encadrés par des fins sourcils gris pour souligner un vestige de beauté de la vieille dame.  

Que de charme dans ce visage, éclairé par la lueur d’une lanterne que la Fae tient à bout de bras, sa couleur rosâtre allant parfaitement avec la robe rembourrée en cuir de Mégère, également rose. Un lourd manteau de fourrure brun vient couvrir ses frêles épaules, afin de réchauffer la vénérable grand-mère pendant les froides nuits d’hiver. Ce lourd vêtement lui sert aussi à protéger ses vieilles ailes de Fae, que le temps n’a malheureusement pas épargné après de si longues années de vie.

Comment, oui comment, ne pourrait-on pas apprécier sa compagnie ? Ou encore goûter à ces succulents petits fours préparés minutieusement avec ce petit je-ne-sais-quel ingrédient secret ?

HA ! Malheureux que vous êtes ! Votre insouciance pourrait bien vous coûter la vie ! Vous vous trouvez en la présence d’un agent des Titans ! Une vile créature dévouée aux maître du Royaume Divin, et en particulier à la Titanide Chuchoteuse, se cachant derrière un masque habilement créé au fil des ans pour mieux vous piéger dans ses griffes ! Une manipulatrice hors pair, adepte des illusions et autres sortilèges arcaniques, ayant pour unique but de vous manipuler et de vous torturer. Surtout, ne lui racontez rien sur vos déboires, vos désirs les plus secrets, car Mégère pourrait bien s’en servir contre vous ! Cachez vos enfants, car ceux-ci sont particulièrement vulnérables aux charmes des Fae ! Ho, comme Mégère se délectera de vous voir ramper à ses pieds pour tenter de leur sauver la vie par tous les moyens possibles !

Comment ? Vous avez gouté à ses préparations culinaires ? Bon sang, ne vous a-t-on jamais dit qu’il ne fallait rien accepter de la part d’un étranger ? Sentez comme le poison s’infiltre dans votre corps, car l’ancienne Fae est une adepte dans l’art d’empoisonner ses cibles, mettant à profit son intelligence et son sens de l’imagination macabre.

Hélas, il est trop tard pour vous. Quand vous arriverez dans l’au-delà, blâmez votre manque de discernement, et soyez témoins pour l’éternité des tourments que causera Mégère dans le Sekai.

Le garde reikois, un humain aux larges épaules, porta son regard sur la petite grand-mère qui venait de s’arrêter devant lui, le sourire aux lèvres. Décidemment, les Terres du Nord étaient bien étranges ! Les grands-mères de sa campagne, située dans les contrées désertiques impitoyables de l’Empire, étaient plus du genre à distribuer les mandales pour discipliner les sales gosses comme lui. Que faisait donc une aussi gentille ici, aux alentours de la mine où le garde était stationné ?  

« Euh … J’suis en service, m’dame »

« Allons, trésor, ça ne se fait pas de refuser comme cela un cadeau ! Soyez un ange, et gouter moi plutôt ce petit four ! »

L’ancienne avait déjà sorti une pâtisserie et son sac en osier, et le tendait en direction du soldat, de plus en plus désemparé. Que faire ? Envoyer bouler la grand-mère ? Elle avait pourtant l’air si gentille ! si pure ! si … charmante ! D’un autre côté, s’il se faisait prendre à grignoter pendant le service, le Sajenti aurait sa peau ! Bon sang, comment se sortir de là ?

« Faites-vous plaisir, ma petite canne à sucre ! les bonnes choses sont faites pour être savourées, non ? »

La Fae avançait de plus en plus le petit four vers le visage du soldat, qui commençait à sentir une odeur alléchante emplir ses narines. Comment résister à un tel met ? Alors que son estomac commençait à gargouiller, comme pour réclamer cette gourmandise, le garde céda. Avec un grand sourire presque enfantin, il prit la pâtisserie des doigts fripés de la vielle femme, qui souriait encore plus.

« Savourez-moi ça, ma petite tarte aux pommes ! »

Et elle s’en alla, d’une démarche lente et tranquille, jusqu’à disparaitre à l’angle d’un bâtiment. Une bien étrange rencontre que celle-là, mais ô combien délicieuse, car le petit four était succulent ! Tout compte fait, peut-être que ce poste de garde de mine n’était pas si mal !

Quel dommage que le soir venu, à la taverne locale, le garde en question, un vétéran de la grande guerre ayant entre autres porté le coup fatal à un acolyte des Titans particulièrement influent, fut frappé d’un mal soudain et mourut dans d’atroces souffrance, si l’on se fiait à l’expression tordue de douleur de son visage.

Quel dommage que l’un des habitués de la taverne, un homme jaloux et envieux, profita de cette occasion pour accuser le tenancier de l’établissement, dont il convoitait depuis longtemps ses possessions et sa femme. Le pauvre homme fut arrêté sur le champ par le Sajenti, tous ses rêves détruits.

Et, quelque part, on pouvait entendre un caquètement malsain, signe d’une vengeance consommée.

«  Mais si, j’te dis ! J’ai vu une Fae ! elle m’a dit qu’il y avait pleins de gâteaux là d’dans ! »

Le petit garçon tenait sa sœur par la main, et tentait de l’emmener dans la petite chaumière qui se trouvait devant eux, à la périphérie du village. L’enfant avait les yeux brillants de gourmandise, parlant sans arrêt d’une gentille grand-mère cuisinant de somptueuses pâtisseries. La sœur ne l’avait jamais vu, et était apeurée à l’idée de s’aventurer dans cette chaumière inconnue. Mais bon, son grand-frère savait mieux qu’elle, non ? A le voir aussi enjoué, rien de mal ne pouvait arriver, malgré les mises en gardes de leurs parents sur les environs du village.

Ses doutes envolés devant l’assurance du petit garçon, elle se laissa entrainer jusqu’à la porte de l’habitation, alors que son frère toquait à la porte. Quelques secondes passèrent, puis la lourde porte en bois s’entrouvrit, laissant apparaitre une vielle femme, tout de rose vêtue, qui leur adressa un grand sourire, et s’exclama d’une petite voix emplie de joie :

« Ooooh, mes petites tartes aux pêches ! Rentrez-donc, venez donc vous protéger du froid ! Les petits fours son prêts »

Et les enfants passèrent le pas de la porte, aveugles à l’illusion grandeur nature qui s’étendait devant leurs yeux. Une chaumière ? Plutôt une cabane tenant à peine debout. Des petits fours ? En apparence seulement, ceux-ci cachant une surprise empoisonnée. Soyez témoins de l’innocence et l’inconscience de ces jeunes âmes, car elles furent perdues à jamais. Soyez témoin de la souffrance et du chagrin des parents sombrant dans les affres du désespoir.

La mère, une beauté du Nord, vit son éclat brisé en milles morceaux par ce funeste évènement. Restant accrochée à la fenêtre, dans l’espoir que ressurgissent ses enfants adorés, elle en oublia de boire et de manger, jusqu’à ce que ces besoins primaires non sustentés réclament sa vie en paiement d’une dette depuis trop longtemps impayée.

Le père, un forgeron ayant participé à l’effort de guerre en fournissant des outils de mort à l’armée reikoise, brava sans relâche le froid du dehors pour retrouver sa progéniture. Hélas, en bon Reikois lui-même, ce fut la chaleur qui le réclama lorsque, rendu fou par le chagrin, il se jeta tête la première dans sa forge.

Ce funeste évènement avait enlevé tout sourire à cette famille. Mais, loin de là, une vile créature avait conservé le sien tout du long.

Assise sur un banc, Mégère se tenait immobile, pensive, maintenant une simple illusion afin de masquer sa présence aux passants.

Regardez-les ! Ces porcs Reikois inutiles ! Assassins ! Barbares ! Eux qui ont osés mener la charge contre le Divin ! Se rebeller contre le dessein suprême des Titans ! Enchaîner sa sainte patronne dans une prison comme une vulgaire criminelle ! Quel affront ! Quelle arrogance !

Hooo, comme il tardait à Mégère que les fidèles se rassemblent, que les détenteurs de la vraie foi se soulèvent contre cet empereur de pacotille, ce prétendu Tueur de Titans. Elle était peut-être au crépuscule de sa vie, mais pour rien au monde la Fae ne manquerait le retour de ses maîtres. Car oui, la résistance des mortels finirait par faillir. Leur détermination futile s’effriterait face à l’inéluctable, et tous se verraient réduits en poussière par la vengeance des Titans. Et parmi eux, la Chuchoteuse, sa maîtresse si injustement emprisonnée par ces êtres inférieurs.

Oooh, comme Mégère souhaitait mettre en pièces l’endroit de sa détention, et regarder la Titanide semer le chaos grâce à ses manipulations mortelles. Comme elle se délectait de la souffrance infligée à ces prétendus héros du Sekai, si aisément manipulables.

Alors que l’ancienne Fae ruminait, elle venait de remarquer sa cible du jour, arrêtée à un étal de marchandise. Rompant son illusion, Mégère se leva du banc et, son sac en osier à la main, se dirigea vers sa future victime, tout en arborant son plus grand sourire :

« Ooooh, ma petite tarte au prune … »