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Imoogi s’est réveillé sous l’eau. Blotti dans un creux de sable, les doigts glissant entre les grains doux, un sentiment agréable réchauffait son cœur, comprimant légèrement sa poitrine mais ce n’était pas douloureux. Il ne se réveillait pas de si charmante humeur lorsque ses pieds le ramenaient à l’appartement, petit, miteux, horrible, qu’il louait pour quelques pièces chaque mois. Quelques vêtements, son guzheng caché de la poussière, une bassine pour se laver et un lit certes grand, mais qui grattait, peu importe le nombre de fois qu’il avait lavé les draps. Un endroit affreux qu’il fuyait dès que l’occasion se présentait. Une torture, et le mot lui semblait faible, mais sûrement exagérait-il les effets. Peu importe. Présentement, les poissons tournoyaient autour de lui, comme pour protéger le triton des dangers extérieurs ; ils venaient parfois se frotter à sa queue ou à son torse nu, ils semblaient rire et discuter. Les doigts tendus, Imoogi caresse une nageoire, étire ses membres épuisés. Ils fuient d’un même mouvement. Le triton les regarde s’éloigner, songeur, et d’un battement souple, s’élance vers la surface. Quelle heure est-il ? Est-il en retard pour rejoindre son fournisseur, saluer les clients ? La tête jaillit, mais n’est pas près de sécher. La pluie s’est abattue sur la République. Une pluie aux gouttes grosses comme des noisettes, qui blessent le crâne et l’inventent à retourner sous les flots, s’octroyer une journée de congé, pas plus. Mais Imoogi est courageux. Il rejoint la terre ferme, permet à son corps de redevenir humain au prix de souffrances ignobles qu’il a appris à apprivoiser. Il serre les dents, il est vrai, et les ongles s’enfoncent dans le sable sans sympathie. Mais il est humain. Un garçon comme tous les autres, de longs cheveux bleus, de jolies cornes sur le front. La hanche le tiraille, il se remet debout. Un pas, puis l’autre. Quelques minutes. Il trotte bientôt vers les rues de Courage. Il demande l’heure, il bouscule les passants. Ce n’est pas grave, il a le sourire, il est beau Imoogi lorsque la joie ne le quitte plus.
Passage rapide à l’appartement pour changer ses vêtements trempés. Oh, il devait avoir l’air idiot dans les rues à se dépêcher, sa tunique presque transparente laissant apparaître les muscles fins de son corps, les hanches rapides, les cheveux trempés. D’où sort cet homme ? La question n’est pas stupide, les murmures se sont tus, et l’homme rejoint l’air sec. La bassine, un peu d’eau, du savon. Cinq minutes, de nouveaux vêtements enfilés, et il fuit plus prompt que le meilleur des canassons. Le fournisseur est déjà là. Il s’excuse sincèrement, le visage qui rayonne comme un soleil. Échanges, les mains qui se tendent, cordiale salutation, et à demain. Demi-tour, les pieds frappent le sol trempé, il retrouve l’échoppe charmante qu’il pousse dans les rues de la ville, pas si loin. La rue n’est point animée, à quoi bon se sacrifier ? Mais Imoogi est courageux à Courage, il est abrité des torrents d’eau qui se moquent de lui. Heureusement que chaque vilaine goutte ne force pas sirènes et tritons à se transformer ! Il y aurait un poisson peu frais gisant sur le sol. L’idée le fait sourire, et la pâte est prête à être fourrée. Les raviolis terminent dans l’eau bouillante quelques minutes, puis dans la large poêle pour être superbement grillés. Les premiers timides clients font leur apparition, âmes qui se traînent vers lui sans conviction. L’argent coule entre les doigts de l’homme à la chevelure azurée, ils repartent satisfaits, comme des fantômes ayant retrouvé un instant la vie.
Mais ces moments mouillés sont aussi l’occasion aux égarés de se moquer d’Imoogi et de ses raviolis. Il est occupé, le poisson. Il chantonne, songe à son guzheng qui l’attend, tout sage et tout impatient. Mais lorsqu’il relève la tête, prêt à saluer le prochain client, c’est une lame sous son nez qui le surprend. Silence parfait, les yeux se croisent. Un homme baraqué, le regard furieux. L’argent, il veut. Mais Imoogi ne se laisse pas impressionner et soutient les pupilles. Il ne donnera rien.
Passage rapide à l’appartement pour changer ses vêtements trempés. Oh, il devait avoir l’air idiot dans les rues à se dépêcher, sa tunique presque transparente laissant apparaître les muscles fins de son corps, les hanches rapides, les cheveux trempés. D’où sort cet homme ? La question n’est pas stupide, les murmures se sont tus, et l’homme rejoint l’air sec. La bassine, un peu d’eau, du savon. Cinq minutes, de nouveaux vêtements enfilés, et il fuit plus prompt que le meilleur des canassons. Le fournisseur est déjà là. Il s’excuse sincèrement, le visage qui rayonne comme un soleil. Échanges, les mains qui se tendent, cordiale salutation, et à demain. Demi-tour, les pieds frappent le sol trempé, il retrouve l’échoppe charmante qu’il pousse dans les rues de la ville, pas si loin. La rue n’est point animée, à quoi bon se sacrifier ? Mais Imoogi est courageux à Courage, il est abrité des torrents d’eau qui se moquent de lui. Heureusement que chaque vilaine goutte ne force pas sirènes et tritons à se transformer ! Il y aurait un poisson peu frais gisant sur le sol. L’idée le fait sourire, et la pâte est prête à être fourrée. Les raviolis terminent dans l’eau bouillante quelques minutes, puis dans la large poêle pour être superbement grillés. Les premiers timides clients font leur apparition, âmes qui se traînent vers lui sans conviction. L’argent coule entre les doigts de l’homme à la chevelure azurée, ils repartent satisfaits, comme des fantômes ayant retrouvé un instant la vie.
Mais ces moments mouillés sont aussi l’occasion aux égarés de se moquer d’Imoogi et de ses raviolis. Il est occupé, le poisson. Il chantonne, songe à son guzheng qui l’attend, tout sage et tout impatient. Mais lorsqu’il relève la tête, prêt à saluer le prochain client, c’est une lame sous son nez qui le surprend. Silence parfait, les yeux se croisent. Un homme baraqué, le regard furieux. L’argent, il veut. Mais Imoogi ne se laisse pas impressionner et soutient les pupilles. Il ne donnera rien.
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L'âme égarée
Par la fenêtre de sa chambre, grande ouverte malgré le torrent qui semble vouloir noyer Courage, ou, à minima l'immerger sous plusieurs mètres d'eau froide, Lil' Nwalma regarde le port. Quelques pavillons flottes en haut de leur mat, claquent sous la force d'une bourrasque, puis reprennent leur danse paresseuse. La Fae se joindrait bien volontiers aux courageux qui osent affronter les assauts de la pluie, mais ne voit pas ce qu'elle pourrait faire par ce temps peu clément ; ses cartes craignent la pluie, l'encre bave à cause de l'eau… Alors, pour s'occuper, elle tresse des mèches de cheveux, tords des brins plus ou moins fins, les entrelace, les noue, y parsème quelques bijoux emportés avec elle ; des bagues et des anneaux serties de pierres colorées, des plumes, des perles de bois ou en argent. Il n'y a aucun miroir dans la petite chambre, mais ce n'est pas comme si son image l'importe.
Un oiseau passe, pousse un cri qu'elle reconnait sans mal. Lil' salue poliment le volatile noir et blanc qui effectue deux larges boucles sous ses yeux, avant de se poser habilement sur le rebord de la fenêtre. Jamais le mot épier n'a été si adapté : le regard légèrement de biais, brillant d'une curiosité évidente et d'une certaine espièglerie, la pie observe chacun des mouvements de la châtaine comme pour les graver dans sa mémoire, et les reproduire plus tard. Un battement de cils plus tard, c'est sur ces yeux que son attention est rivée.
« Que m'apportes-tu donc, Bigarrée ? »
La prénommée Bigarrée laisse tomber l'objet, qu'elle tenait jusqu'alors dans son bec, juste devant ses pattes, sur le bois que quelques gouttes égarées ont mouillé. Très contente d'elle, la pie fait un bond de côté en poussant un "kiak" joyeux avant de tendre son cou afin de réclamer la caresse due. Pour tout autre, tout du moins ceux qui ne communique pas avec les animaux, cela n'a sans doute ressemblé qu'à un cri de pie parmi tant d'autres, strident, râpeux, désagréable. Toutefois, Lilas Nwalma n'est pas exactement "comme tout le monde". La jeune femme explose tout bonnement de rire, avant de s'exécuter et remplir sa part du marché, d'un doigt délicat sur le plumage éclatant de la gorge du volatile qui en ferme les yeux de bonheur.
« D'accord, d'accord » s'amuse Lil'.
C'est leur huitième jour de connaissance. Lil' a rencontré la juvénile un matin, à moitié morte de faim et si bien empêtrée dans un filet de pêche qu'il fallut le couper. Tout ça pour un petit morceau de poisson puant, se moque-t-elle encore parfois. La pie, qu'elle appelle donc Bigarrée, ne lui en tient pas rigueur. Non, étonnamment spirituelle, du moins pour un animal, elle en joue même. Il est difficile d'expliquer leurs rapports ; mi-amies, mi-partenaires en affaires, la pie apporte des objets, telles des pièces ou des bijoux, qu'elle sait important pour les humains –et les autres, les humanoïdes– en échange de caresses, de nourriture, voir un peu de confort. Il leur arrive de rester ensemble la journée entière, d'autres fois l'oiseau ne passe que le soir, ou que le matin. Toutes deux se sentent bien ainsi, sans besoin de nommer leur relation. À quoi bon, de toute façon ?
« Allons manger » déclare la jeune femme en se levant d'un bond. « Qu'est-ce qui te ferait envie, jolie Bigarrée ? »
Le grondement d'un ventre affamé s'élève dans la petite chambre. Être seule en présence de son alliée la pie n'empêche pas Lilas de rougir de gêne, de ses joues jusqu'au bout de ses oreilles pointues. Cela ne l'empêche pas, non plus, de rire à gorge déployée.
« Je dois avoir plus faim que je ne le croyais. Allons, viens Bigarrée ! »
La fenêtre refermée, la Fae s'enveloppe d'une ample cape mi-longue, et très colorée, tout à fait adaptée à une fée, quoique pénible à enfiler, puisqu'elle est munie de fentes où glisser ses ailes. La magie opère dès qu'elle referme la broche qui épingle ensemble les deux panneaux de tissu mou, et les fentes se rapetissent, s'ajustent autour de ses membres. L'infime espace qu'il reste, sur le pourtour de la membrane, est juste ce qu'il faut pour conserver une certaine aisance, sans toutefois laisser le vent, la pluie ou le froid s'y insinuer. C'est sans conteste sa cape favorite, et une telle prouesse –cosmétique– mérite bien sa publicité.
Bigarrée s'est logée à l'abri sous la capuche, tout contre la peau tiède de son cou. Juste à la hauteur de son regard pend la pierre étincelante, sertie dans l'un des anneaux tressés avec ses cheveux, qu'elle picore avec fougue. La châtaine peut passer des heures à observer l'animal, et même sans la voir, elle rigole de deviner ses réactions. La joaillerie se balance au rythme sautillant de Lil' Nwalma, qui fredonne faiblement une comptine pour enfant en traversant la cité. Elle s'éloigne de la périphérie portuaire, s'en rapproche à nouveau par d'autres ruelles étroites, et détournées, gagne l'avenue principale, gravit un escalier, avant de poursuivre en direction du Nord. Sa trajectoire ressemble à celle d'une abeille, pleine de détours.
Ses entrailles grondent de plus belle, la pressent de se rassasier. La jeune femme sait parfaitement où elle, où se situe cette auberge, ce que sert cette enseigne-ci ou celle-là ; elle ignore seulement où la mènent ses pas, ce qui va bien l'inspirer comme repas. Jusqu'à présent, aucune des délicates effluves ayant chatouillées ses narines n'a stimulé son appétit.
Soudain la pie s'agite. Elle déploie ses ailes, sautille sur son épaule, et produit des sons étranges de son bec grand ouvert. Il faut des secondes supplémentaires pour que Lil' sente enfin, à son tour, le délicieux fumet qui envahit la rue. Les notes épicées qui s'en détachent subtilement, sans qu'elle ne les devine toutes, lui font monter l'eau à la bouche et redouble les grognements de son estomac affamé, ainsi que la vitesse de ses enjambées. Son sourire s'intensifie à mesure qu'elle hume l'exquis parfum, qu'elle s'approche de son origine, guidée par son nez, puis celui de Bigarrée qui prend son envol pour la précéder. Heureusement pour elle, ou pour les rares passants, la capuche cache une partie de son visage, et plonge dans l'ombre ses yeux bleus qu'envahit une sorte de folie. Quoiqu'elle n'ait pas besoin de son regard pour sembler folle.
Bigarrée crie, l'appelle. Lilas se hâte, tourne à gauche, longe une bâtisse quelconque, déboule sur une petite place, prend une venelle à sa droite… Finalement, c'est en courant qu'elle atteint l'échoppe alléchante sur laquelle la pie s'est posée. La tête inclinée, elle observe la scène qui se déroule à ses pieds –du moins ce qu'elle en voit.
Se serait-elle attendue à ça ? Sans doute pas. Le cuisinier lui plait instantanément, avec ses si longs cheveux bleus, et les petites cornes toutes mignonnes à son front –qu'elle ne perçoit qu'après coup. On ne le dit jamais assez, mais Lil' aime les gens singuliers, les différences dans leur globalité, les couleurs, la beauté... Cet homme lui apparait un peu comme tout cela à la fois. La Fae le trouve beau, naturellement, et poétique aussi. Elle en aurait souri en d'autres circonstances, dans des temps, lieux et scènes résolument différents.
A la place, son sourire se fige, puis s'efface en une expression sérieuse. Livide, Lil' fronce les sourcils au-dessus de ses yeux furieux, à présent. Ce qu'elle déteste, c'est la laideur, celle de l'âme. Elle n'aime pas, non plus, l'injustice, les méfaits gratuits. Et elle abhorre cette lame pointée sur le charmant cuisinier, à quelques ridicules centimètres de sa peau. Lui, qui parait pourtant si fragile de première impression, si délicat, tient tête à son agresseur. Il est cependant bien plus large, baraqué, et fichtrement menaçant… mais l'humanoïde ne détourne pas le regard un seul instant.
A part eux deux, la jeune femme ne remarque rien, rien d'autre n'a d'importance. Néanmoins, la rue n'est pas déserte, quoi que nul n'ose bouger.
Alors, dans un élan de bravoure, refusant de n'être qu'une simple spectatrice de cette aberration, Lil' s'élance. Ca ne lui prendra que deux secondes, cinq en tout et pour tout, en comptant la chute. Elle commence par de la terre, une magnifique motte bien compacte, clairsemé de fines racines, qui forme une gangue solide et épaisse autour de la lame, du manche, puis s'étend à la main du voleur. Le poids devient tel qu'il ne le supporte plus, et son bras retombe, écartant la menace initiale de la dague –ou du couteau, Lil' n'est pas douée pour les différencier. Une demi-douzaine de projectiles rocheux forme une auréole autour d'elle, ni protectrice, ni menaçante.
« Éloigne-toi de mon repas ! Tout de suite » rugit-elle, presque féroce.
Bigarrée choisit ce moment pour se joindre au combat, comme pour souligner les paroles de son alliée. Planant de son perchoir, elle se pose comme une plume sur le crâne de l'agresseur, qu'elle gratifie de vifs coups de bec. La pie s'envole juste avant que l'homme ne la chasse de grands moulinets de bras, et se pose sur l'épaule de la Fae en émettant un "kiak" satisfait. Dans son élan pour se rapprocher, la capuche de la jeune femme est tombée. Ses cheveux commencent seulement à être mouillé et se coller sur son visage. Le sourire triomphant et amusé qui illumine ses traits est clairement visible, comme la malice couplée de colère dans ses prunelles.
« Bien joué, Bigarrée » approuve Lil' avec le plus grand des sérieux.
L'interpellée crie à nouveau. Elle sautille à plusieurs reprises en une sorte de danse, nargue son adversaire du regard… Et, finalement, entreprend de lisser ses plumes. Plus rien de cela ne la concerne.
Un oiseau passe, pousse un cri qu'elle reconnait sans mal. Lil' salue poliment le volatile noir et blanc qui effectue deux larges boucles sous ses yeux, avant de se poser habilement sur le rebord de la fenêtre. Jamais le mot épier n'a été si adapté : le regard légèrement de biais, brillant d'une curiosité évidente et d'une certaine espièglerie, la pie observe chacun des mouvements de la châtaine comme pour les graver dans sa mémoire, et les reproduire plus tard. Un battement de cils plus tard, c'est sur ces yeux que son attention est rivée.
« Que m'apportes-tu donc, Bigarrée ? »
La prénommée Bigarrée laisse tomber l'objet, qu'elle tenait jusqu'alors dans son bec, juste devant ses pattes, sur le bois que quelques gouttes égarées ont mouillé. Très contente d'elle, la pie fait un bond de côté en poussant un "kiak" joyeux avant de tendre son cou afin de réclamer la caresse due. Pour tout autre, tout du moins ceux qui ne communique pas avec les animaux, cela n'a sans doute ressemblé qu'à un cri de pie parmi tant d'autres, strident, râpeux, désagréable. Toutefois, Lilas Nwalma n'est pas exactement "comme tout le monde". La jeune femme explose tout bonnement de rire, avant de s'exécuter et remplir sa part du marché, d'un doigt délicat sur le plumage éclatant de la gorge du volatile qui en ferme les yeux de bonheur.
« D'accord, d'accord » s'amuse Lil'.
C'est leur huitième jour de connaissance. Lil' a rencontré la juvénile un matin, à moitié morte de faim et si bien empêtrée dans un filet de pêche qu'il fallut le couper. Tout ça pour un petit morceau de poisson puant, se moque-t-elle encore parfois. La pie, qu'elle appelle donc Bigarrée, ne lui en tient pas rigueur. Non, étonnamment spirituelle, du moins pour un animal, elle en joue même. Il est difficile d'expliquer leurs rapports ; mi-amies, mi-partenaires en affaires, la pie apporte des objets, telles des pièces ou des bijoux, qu'elle sait important pour les humains –et les autres, les humanoïdes– en échange de caresses, de nourriture, voir un peu de confort. Il leur arrive de rester ensemble la journée entière, d'autres fois l'oiseau ne passe que le soir, ou que le matin. Toutes deux se sentent bien ainsi, sans besoin de nommer leur relation. À quoi bon, de toute façon ?
« Allons manger » déclare la jeune femme en se levant d'un bond. « Qu'est-ce qui te ferait envie, jolie Bigarrée ? »
Le grondement d'un ventre affamé s'élève dans la petite chambre. Être seule en présence de son alliée la pie n'empêche pas Lilas de rougir de gêne, de ses joues jusqu'au bout de ses oreilles pointues. Cela ne l'empêche pas, non plus, de rire à gorge déployée.
« Je dois avoir plus faim que je ne le croyais. Allons, viens Bigarrée ! »
La fenêtre refermée, la Fae s'enveloppe d'une ample cape mi-longue, et très colorée, tout à fait adaptée à une fée, quoique pénible à enfiler, puisqu'elle est munie de fentes où glisser ses ailes. La magie opère dès qu'elle referme la broche qui épingle ensemble les deux panneaux de tissu mou, et les fentes se rapetissent, s'ajustent autour de ses membres. L'infime espace qu'il reste, sur le pourtour de la membrane, est juste ce qu'il faut pour conserver une certaine aisance, sans toutefois laisser le vent, la pluie ou le froid s'y insinuer. C'est sans conteste sa cape favorite, et une telle prouesse –cosmétique– mérite bien sa publicité.
Bigarrée s'est logée à l'abri sous la capuche, tout contre la peau tiède de son cou. Juste à la hauteur de son regard pend la pierre étincelante, sertie dans l'un des anneaux tressés avec ses cheveux, qu'elle picore avec fougue. La châtaine peut passer des heures à observer l'animal, et même sans la voir, elle rigole de deviner ses réactions. La joaillerie se balance au rythme sautillant de Lil' Nwalma, qui fredonne faiblement une comptine pour enfant en traversant la cité. Elle s'éloigne de la périphérie portuaire, s'en rapproche à nouveau par d'autres ruelles étroites, et détournées, gagne l'avenue principale, gravit un escalier, avant de poursuivre en direction du Nord. Sa trajectoire ressemble à celle d'une abeille, pleine de détours.
Ses entrailles grondent de plus belle, la pressent de se rassasier. La jeune femme sait parfaitement où elle, où se situe cette auberge, ce que sert cette enseigne-ci ou celle-là ; elle ignore seulement où la mènent ses pas, ce qui va bien l'inspirer comme repas. Jusqu'à présent, aucune des délicates effluves ayant chatouillées ses narines n'a stimulé son appétit.
Soudain la pie s'agite. Elle déploie ses ailes, sautille sur son épaule, et produit des sons étranges de son bec grand ouvert. Il faut des secondes supplémentaires pour que Lil' sente enfin, à son tour, le délicieux fumet qui envahit la rue. Les notes épicées qui s'en détachent subtilement, sans qu'elle ne les devine toutes, lui font monter l'eau à la bouche et redouble les grognements de son estomac affamé, ainsi que la vitesse de ses enjambées. Son sourire s'intensifie à mesure qu'elle hume l'exquis parfum, qu'elle s'approche de son origine, guidée par son nez, puis celui de Bigarrée qui prend son envol pour la précéder. Heureusement pour elle, ou pour les rares passants, la capuche cache une partie de son visage, et plonge dans l'ombre ses yeux bleus qu'envahit une sorte de folie. Quoiqu'elle n'ait pas besoin de son regard pour sembler folle.
Bigarrée crie, l'appelle. Lilas se hâte, tourne à gauche, longe une bâtisse quelconque, déboule sur une petite place, prend une venelle à sa droite… Finalement, c'est en courant qu'elle atteint l'échoppe alléchante sur laquelle la pie s'est posée. La tête inclinée, elle observe la scène qui se déroule à ses pieds –du moins ce qu'elle en voit.
Se serait-elle attendue à ça ? Sans doute pas. Le cuisinier lui plait instantanément, avec ses si longs cheveux bleus, et les petites cornes toutes mignonnes à son front –qu'elle ne perçoit qu'après coup. On ne le dit jamais assez, mais Lil' aime les gens singuliers, les différences dans leur globalité, les couleurs, la beauté... Cet homme lui apparait un peu comme tout cela à la fois. La Fae le trouve beau, naturellement, et poétique aussi. Elle en aurait souri en d'autres circonstances, dans des temps, lieux et scènes résolument différents.
A la place, son sourire se fige, puis s'efface en une expression sérieuse. Livide, Lil' fronce les sourcils au-dessus de ses yeux furieux, à présent. Ce qu'elle déteste, c'est la laideur, celle de l'âme. Elle n'aime pas, non plus, l'injustice, les méfaits gratuits. Et elle abhorre cette lame pointée sur le charmant cuisinier, à quelques ridicules centimètres de sa peau. Lui, qui parait pourtant si fragile de première impression, si délicat, tient tête à son agresseur. Il est cependant bien plus large, baraqué, et fichtrement menaçant… mais l'humanoïde ne détourne pas le regard un seul instant.
A part eux deux, la jeune femme ne remarque rien, rien d'autre n'a d'importance. Néanmoins, la rue n'est pas déserte, quoi que nul n'ose bouger.
Alors, dans un élan de bravoure, refusant de n'être qu'une simple spectatrice de cette aberration, Lil' s'élance. Ca ne lui prendra que deux secondes, cinq en tout et pour tout, en comptant la chute. Elle commence par de la terre, une magnifique motte bien compacte, clairsemé de fines racines, qui forme une gangue solide et épaisse autour de la lame, du manche, puis s'étend à la main du voleur. Le poids devient tel qu'il ne le supporte plus, et son bras retombe, écartant la menace initiale de la dague –ou du couteau, Lil' n'est pas douée pour les différencier. Une demi-douzaine de projectiles rocheux forme une auréole autour d'elle, ni protectrice, ni menaçante.
« Éloigne-toi de mon repas ! Tout de suite » rugit-elle, presque féroce.
Bigarrée choisit ce moment pour se joindre au combat, comme pour souligner les paroles de son alliée. Planant de son perchoir, elle se pose comme une plume sur le crâne de l'agresseur, qu'elle gratifie de vifs coups de bec. La pie s'envole juste avant que l'homme ne la chasse de grands moulinets de bras, et se pose sur l'épaule de la Fae en émettant un "kiak" satisfait. Dans son élan pour se rapprocher, la capuche de la jeune femme est tombée. Ses cheveux commencent seulement à être mouillé et se coller sur son visage. Le sourire triomphant et amusé qui illumine ses traits est clairement visible, comme la malice couplée de colère dans ses prunelles.
« Bien joué, Bigarrée » approuve Lil' avec le plus grand des sérieux.
L'interpellée crie à nouveau. Elle sautille à plusieurs reprises en une sorte de danse, nargue son adversaire du regard… Et, finalement, entreprend de lisser ses plumes. Plus rien de cela ne la concerne.
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Ce n’est pas grave s’il fait laid, ce n’est pas grave si la pluie tombe violemment sur son visage. Imoogi ne craint pas l’eau, mais il pense aux affaires. Ce mauvais temps signifie moins de clients dans les rues, les âmes occupées à rester chez elles, à se cacher, inquiètes de ce qui pourrait bien leur arriver si elles se pressaient trop longtemps sous les torrents diluviens. Ne pensons pas qu’à l’argent, voyons, il y a bien d’autres préoccupations dans la vie d’un mortel. Ah oui ? Lesquelles ? Bon, il doit bien l’avouer, ces sous lui permettent de s’offrir des vacances bien méritées, des tenues superbes pour éblouir la foule pendant ses spectacles, et, un jour, un véritable restaurant. Cependant, pour ce dernier, les économies sont encore inexistantes. La faute aux deux premiers. Imoogi sait qu’il faut bosser dur pour obtenir ce que l’on veut, mais il se souvient de ses jeunes années, lorsqu’il a quitté les flots de la mer pour ne jamais y retourner – du moins, pas là-bas –, jeunes années pendant lesquelles il a voyagé absolument partout. Des souvenirs plein la tête, des rencontres, des apprentissages, des paysages à couper le souffle… Le monde est beau, comment diable aurait-il pu se contenter de sa morne ville natale ? De sa mère qui hurle pour qu’ils ne rentrent pas trop tard ? Impossible. Il ne regrette pas ce choix un peu fou d’avoir tout laissé derrière, d’avoir tout abandonné, ces gens auxquels il n’était, finalement, que peu attaché.
Il lui fallait pourtant, après des années d’errance et de folies, un endroit où s’installer. Pourquoi Courage ? Pourquoi pas l’Empire, dans lequel il passe pourtant bien un mois par an ? Il hausse doucement les épaules à cette interrogation personnelle. Tout semble plus doux en République. Les sourires sont plus aisés à dénicher, le travail n’est pas si compliqué, et il s’y est fait une amie sincère qu’il aime tendrement. Takhys. La sirène l’accueille régulièrement dans son auberge pour ses spectacles nocturnes, il mange à ses côtés, boit un verre ou deux, ou dix… les discussions sont aisées, il repart ravi dans son petit appartement miteux, oublie presque que la situation n’est pas idéale, qu’elle le fait souffrir – mais Imoogi se refuse à la souffrance, ce n’est pas raisonnable pour un homme comme lui. Quand reverra-t-il la jolie dame ? Il pourrait aller la trouver ce soir, ou demain. C’est décidé, il s’égarera après le travail – enfin, son travail principal, vendeur de raviolis – dans les rues de la ville, rampant jusqu’à l’auberge tant aimée…
… S’il y arrive en vie. Parce qu’une lame est sous son nez, qu’elle le menace avec grandeur, que celui qui la tient a l’air vraiment en colère. C’est une situation qui peut arriver lorsqu’on travaille ainsi, à la vue de tous. Il pourrait presque hausser les épaules. Nous y revoici. L’homme parle vite, il semble peu assuré. Imoogi fronce les sourcils. Son visage lui semble familier. Ne l’a-t-il pas croisé en poussant sa roulotte aux quatre coins de la ville ? Ce n’est pas impossible. Il l’aurait donc suivi. Malheureusement, ce n’est que le début du service, et les pièces se font encore rares. Il a mal choisi son moment, et de toute façon, le triton ne lui laissera rien. Pas une seule piécette. Rien. Imoogi est arrogant et il sourit. L’homme s’excite devant lui, la lame le frôle presque, il se demande comment il va sortir de ce mauvais pas sans contempler sa carotide tranchée. La mort ne fait pas vraiment peur, mais Takhys, alors ? Le dessert de l’autre soir était vraiment bon.
Puis, il se passe quelque chose d’incroyable. Imoogi voit mal, il ne comprend pas tout, il entend une voix féminine qui semble encore plus colérique que son assaillant, et ce dernier finit au sol. L’homme cligne stupidement des yeux. Ce fut rapide, sont-ce des ailes pleines de plumes qu’il a un instant eu l’occasion d’observer ? De la terre, de la magie certainement, des coups de bec, Imoogi aux yeux ronds est sauvé par une jeune femme et son charmant oiseau. Voilà qui est inédit. Tout cela pour quelques raviolis. Le triton secoue la tête et laisse échapper un petit rire. Il entreprend de pousser l’échoppe loin de l’agresseur, en intimant à sa charmante aide de le suivre. Les pas sont lents et la pluie redouble de courage pour tremper la chevelure bleue. « C’est bien aimable à vous de vous être déplacée pour me venir en aide, charmante jeune femme. Je ne sais pas comment je serais sorti de ce pétrin sans vous. Je vous remercie. Combien de raviolis avez-vous envie pour ce midi ? C’est offert par la maison. Ce seront mes derniers. Après toutes ces aventures, je mérite bien un peu de repos. Ou peut-être puis-je vous offrir le dîner dans une auberge ? » Les mètres sont avalés quand il s’arrête enfin, en sécurité.
Il lui fallait pourtant, après des années d’errance et de folies, un endroit où s’installer. Pourquoi Courage ? Pourquoi pas l’Empire, dans lequel il passe pourtant bien un mois par an ? Il hausse doucement les épaules à cette interrogation personnelle. Tout semble plus doux en République. Les sourires sont plus aisés à dénicher, le travail n’est pas si compliqué, et il s’y est fait une amie sincère qu’il aime tendrement. Takhys. La sirène l’accueille régulièrement dans son auberge pour ses spectacles nocturnes, il mange à ses côtés, boit un verre ou deux, ou dix… les discussions sont aisées, il repart ravi dans son petit appartement miteux, oublie presque que la situation n’est pas idéale, qu’elle le fait souffrir – mais Imoogi se refuse à la souffrance, ce n’est pas raisonnable pour un homme comme lui. Quand reverra-t-il la jolie dame ? Il pourrait aller la trouver ce soir, ou demain. C’est décidé, il s’égarera après le travail – enfin, son travail principal, vendeur de raviolis – dans les rues de la ville, rampant jusqu’à l’auberge tant aimée…
… S’il y arrive en vie. Parce qu’une lame est sous son nez, qu’elle le menace avec grandeur, que celui qui la tient a l’air vraiment en colère. C’est une situation qui peut arriver lorsqu’on travaille ainsi, à la vue de tous. Il pourrait presque hausser les épaules. Nous y revoici. L’homme parle vite, il semble peu assuré. Imoogi fronce les sourcils. Son visage lui semble familier. Ne l’a-t-il pas croisé en poussant sa roulotte aux quatre coins de la ville ? Ce n’est pas impossible. Il l’aurait donc suivi. Malheureusement, ce n’est que le début du service, et les pièces se font encore rares. Il a mal choisi son moment, et de toute façon, le triton ne lui laissera rien. Pas une seule piécette. Rien. Imoogi est arrogant et il sourit. L’homme s’excite devant lui, la lame le frôle presque, il se demande comment il va sortir de ce mauvais pas sans contempler sa carotide tranchée. La mort ne fait pas vraiment peur, mais Takhys, alors ? Le dessert de l’autre soir était vraiment bon.
Puis, il se passe quelque chose d’incroyable. Imoogi voit mal, il ne comprend pas tout, il entend une voix féminine qui semble encore plus colérique que son assaillant, et ce dernier finit au sol. L’homme cligne stupidement des yeux. Ce fut rapide, sont-ce des ailes pleines de plumes qu’il a un instant eu l’occasion d’observer ? De la terre, de la magie certainement, des coups de bec, Imoogi aux yeux ronds est sauvé par une jeune femme et son charmant oiseau. Voilà qui est inédit. Tout cela pour quelques raviolis. Le triton secoue la tête et laisse échapper un petit rire. Il entreprend de pousser l’échoppe loin de l’agresseur, en intimant à sa charmante aide de le suivre. Les pas sont lents et la pluie redouble de courage pour tremper la chevelure bleue. « C’est bien aimable à vous de vous être déplacée pour me venir en aide, charmante jeune femme. Je ne sais pas comment je serais sorti de ce pétrin sans vous. Je vous remercie. Combien de raviolis avez-vous envie pour ce midi ? C’est offert par la maison. Ce seront mes derniers. Après toutes ces aventures, je mérite bien un peu de repos. Ou peut-être puis-je vous offrir le dîner dans une auberge ? » Les mètres sont avalés quand il s’arrête enfin, en sécurité.
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