La carcasse du poulet pend toujours lamentablement de sa gueule ensanglantée. Le sang lui excite les sens, les mouvements frénétiques de kokotts restants aussi. Mais c’est un tout autre sentiment qui l’habite lorsqu’elle découvre la fameuse “tenue” d’Halewyn. Dactyle aurait pû noter que sous un manque de sérieux apparent, iel disposait de réelles compétences. Et d’un don de métamorphose impressionnant. Mais dans l’instant, tout ce que la Bête constate, c’est un deuxième lycanthrope, aux pelages noir comme la nuit et aux yeux rouges vifs, qui .. vient de lui voler sa proie, qui plus est dans une manœuvre des plus chaotique.. Indignée, la lycanthrope l’est sans aucun doute. Sa prise toujours dans la gueule, elle se contente d’observer d’un œil circonspect les poils et plumes jaillissant des taillis. Et lorsque le hurlement du démon garou déchire la nuit, elle se fige, hésite, et n’a d’autres choix que de joindre son cri au sien. C’est un appel, un cri de ralliement, un lien social, un chant qu'elle n’a plus entendu depuis si longtemps, et qui ressurgit des tréfonds de sa mémoire, électrisant ses muscles.  Une sensation qui la ramène des années en arrière, dans les rues les plus malfamées de Liberty, les plus dangereuses aussi. Mais à cette époque, elle n’était pas seule, et  ensemble, ils ne craignaient rien, ni personne.


Ainsi galvanisé par l’effet de meute, qui en a déjà perdu plus d’un, et alors l’un des fermiers brandit sa fourche avec un peu trop de témérité, La Bête, qui en aurait bien croqué un bout, de fermier.  Lâche enfin son précédent trophée, qui s’échoue lamentablement au sol, abandonné pour un adversaire plus intéressant. Elle s’avance sournoisement, les fixant son regard jaune et luisant d’un éclat sauvage, mais trop malin et hanté d’intelligence pour être totalement celui d’un bête. Les fermiers, bien faiblement  armés,  auraient pour une fois, mieux fait d’arriver après la bataille, plutôt que de débarquer comme les fleurs en plein milieu. Heureusement pour eux, les kokotts, sans doute jaloux de s’être fait voler la vedette, lors de ce concours de chant improvisé, que les loups garous du dimanche auraient de toutes façons gagné haut la main, redoublent de colère. Deux nouveaux challenger se lancent dans la mêlée, hésitant un instant entre la bête rousse ou les fermiers. La louve rouge ne leur laisse guère le bénéfice du doute, les sens à l’affût, la conscience noyée dans le sang et les plumes, son propre sang ne fait qu’un tour et abandonnant définitivement son glaive au sol, bondit sur les deux volailles, les envoyant rouler un peu plus loin. Des mâchoires claquent, les griffes raclent, des os  se brisent, pas les siens. Et si la louve aux yeux dorés est presque venue à bout d’un jeune mâle aux plumages noirs,  le deuxième adversaire, un adulte bien plus large aux plumes rousses aussi flamboyante que la boule de feu qu’il prépare est  visiblement bien décidées à lui faire roussir le poils.

Le jeune kokott aux plumages de jais, malgré une aile brisée et de multiples lacérations, ne semble pas avoir dit son dernier mot. Et c’est tout à son honneur. Dactyle n’avait pas affronté un adversaire de ce calibre depuis des lustres. Certes les spectres, nécromanciens et autres psychopathes c’était toujours quelque chose, mais une bête qui défendait son nid, bec ongle, littéralement, était un adversaire bien particulier.  Ainsi, note pour plus tard, ne pas vendre la peau du Kokott avant de l’avoir bouffé.  Pour ce qui est des fermiers en revanche..La Bête jette un coup d'œil mauvais dans leur direction, alors qu'un tintement métallique particulièrement désagréable lui vrille les tympans. Douce mélodie de la lacheté assumée, alors que leurs fourches touchent le sol. Au moins, la lycanthrope n’était plus tentée de les croquer, enfin si c’est comme ça qu’ils défendaient leurs fermes… pas étonnant qu’ils soient envahis de locataires incendiaires. Le kokott noir recule et force la Bête à le suivre dans la grange.

KOKOOOOTTT!!!!!

La Bête se crispe, lâche son adversaire du regard, juste un instant, le temps de jeter un oeil jaune inquiet en direction du cris. Mais quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le  démon garou couvrait ses arrières. C’est que le Spectre rouge semblait presque fiable finalement. Il ne parvient cependant pas à empêcher la petite grange de s’enflammer. Et le jeune Kokott profite de ces quelques secondes d'inattention pour se faire la malle. Pas bien loin cela dit, avançant prudemment une patte après l’autre dans le bâtiment en proie aux flammes, la traqueuse ne met pas longtemps à repérer le bestiau, planqué à l’étage. Oreille plaquée sur le crâne et crocs découverts, elle laisse échapper un grognement mécontent alors que la fumée agresse son flair. Il est temps de mettre un terme à cette affaire, et tant pis pour les dégâts matériels, auxquels la Bête n’est de toute façon plus vraiment capable de penser.

La louve rouge se fraye un chemin jusqu’au niveau supérieur, d’un bon agile sur une botte de foin, puis l’autre, avant que tout ne parte en fumée. Mais l’autre coriace l’y attends de pieds ferme, et à peine à t’elle le temps de s’avancer, que le diable noir lui saute au visage, bien décidé à lui arracher les yeux. Un jappement surprise plus tard, la Bête recule maladroitement, et secoue frénétiquement la tête pour en chasser la volaille qui lui lacère le museau, elle recule encore. CRAC, un grincement de grange ?  non, le crépitement du feu ? non plus, Mais bien une planche bois qui vient de craquer sous son poids.

Fragilisé par les flammes qui dévorent la structure, le palier s'effondre emportant Le loup et le poulet avec, révélant un nid dans un déluge de vieilles planches de foin et de poussière. La chute lui coupe douloureusement le souffle et elle laisse échapper un couinement étouffé. Cependant,ce n’est pas si douloureux que ce à quoi elle s'attendait, probablement parce qu’elle vient d'atterrir  sur…. Hale !?

Événement rarissime, Dactyle suit le conseil d’Halewyn, et se baisse immédiatement, entre deux quintes de toux. L’air est effectivement un peu plus frais, enfin, un peu moins bouillant, près du sol. Mais pour combien de temps ? Les deux lycanthropes sont pris au piège dans la fournaise, qui les transformera bientôt en loups dorés aux feu de bois agrémenté d’une sauce poutres et foins calcinés. Comme quoi finalement, entre finir dévorés par des Kokotts enragées ou par les flammes…la question méritait réflexion. Mais plus tard, en attendant, Dactyle constate, que malgré les événement, et son piteux état le Spectre Rouge n’a rien perdu de son humour. Si la Bête était moins tendue, elle aurait peut-être même pu rire de la situation. Plus tard.

Hale veut emporter des oeufs ? Soit, mais qu’iel se dépêche parce que les grincements inquiétants qui résonnent dans toute la grange entre deux crépitements de flammes lui indiquent clairement que la bâtisse ne tiendra plus longtemps. Aussi Dactyle, de plus en plus oppressé presse son acolyte de finir d'empaqueter leur butin au plus vite. Si bien que deux œufs se brisent. Mieux que leurs os. Aussitôt le reste emballé, elle aide Halewyn à se relever  et se dirige tant bien que mal vers la sortie, toussant furieusement, les larmes aux yeux.


Mais alors que les deux Spectres touchent au but, un grincement sinistre se fait entendre. Puis plus rien, le silence, où seul résonne le crépitement régulier des flammes. Puis c'est le déluge, l’enfer s'abat sur les deux loups, qui ont tout juste le temps de reculer alors qu’une partie de la structure du toit s'effondre sur l’entrée, leur barrant la sortie.

- Attention ! *tousse*

Dactyle recule vivement, repoussant brutalement Halewyn en arrière par réflexe, avec une délicatesse toute relative, brisant un ou deux œufs supplémentaires au passage alors que les flammèches qui s’élèvent lui brûlent la gorge comme si elle avait avalé des charbons ardents.

Ne pas se laisser gagner par la panique. Compliqué quand même une action aussi basique que respirer devient quasi impossible.  

- Trouver une autre… sortie  souffle la Bête entre ses crocs, à bout de souffle.

Au moins, l’ouverture du toit nouvellement créé permet à une infime partie de la fumée de s’échapper de la grange. Lever le museau vers le toit permet au moins à la louve de repérer une fenêtre, un  peu haute certes, mais la botte de foin en contrebas, si elle ne crame pas d’ici là, devrait leur permettre de l’atteindre.

- Par là !

Plus d'hésitations permises. Ni une ni deux, elle saisit le Spectre rouge d’une main, et l'entraîne vers la fenêtre. Bondit agilement, sur le tas d’herbe sèches, du moins …autant que possible.. L’air était déjà un peu plus respirable, un coup d’œil en direction d'Halewyn, elle se hisse sur la fenêtre, lutte un instant pour garder l’équilibre, elle enfonce ses larges griffes dans le bois. De toute façon la grange n’était plus à ça près. Ainsi bizarrement perchée, elle tend une main à Halewyn depuis la fenêtre pour l’aider à monter, et enfin sortir de cet enfer.

La Bête sur sa fenêtre maladroitement perché, scrute la fumée de ses yeux jaunes, emplies de larmes. Elle ne voyait pas le Halewyn, et ne le sentait pas non plus. heureusement, l’angoisse qui commençait à la saisir se dissipe rapidement dès qu’une main aux doigts fins lui saisit enfin la patte, tendue à travers la fumée et les braises.

Elle n’attends pas une seconde de plus et tracte littéralement son acolyte vers elle, heureusement que son épaule était bien attachée pour la délicatesse on repassera. Enfin, toujours est il que malgré un équilibre précaire, un demi poumon en moins et un nombre d’égratignures, elle parvient à hisser Halewyn et son baluchon improvisé hors du brasier. Aussitôt que les pieds du Spectre touchent le sol, la louve bondit à son tour, se réceptionne non sans peine. Alors qu’un immonde grincement sinistre déchirent la nuit et percent à travers le crépitement des flammes. Le toit du bâtiment s'effondre proprement sur lui-même dans un vacarme assourdissant, transformant ce qui fût une honorable étable de bois, en feu de camp géant.  

Alors que le Spectre rouge s'effondre lamentablement dans les herbes en toussant, Dactyle se laisse tomber à son tour. Sans un mot, mais non sans cracher un poumon supplémentaire, s’irritant un peu plus la gorge au passage. Si sa voix rauque était déjà peu engageante, nulle doute que celle-ci ferait un effet certain pour les quelques jours à venir…
La quinte de toux passée, la Bête resta ainsi lamentablement échouée dans l’herbe cramée, en position étoile de mer, scrutant le ciel nocturne et les volutes de fumée s’élever de ce qui fût une grange.  Elle essaya en vain d’analyser ce qui venait de se passer. Comment des allée d’une bibliothèques les deux Spectres s'étaient retrouvés avec quatre œufs entre les pattes à l'autre bout de la campagne de Mael, devant un barbecue géant. Bonnes questions.

Dactyle se passa machinalement une patte sur le museau, pour en chasser aux moins un peu des larmes, de la suie et du sang qui le parsemait. Puis toujours vautrée dans l’herbe, sans quitter le ciel des yeux, elle finit par lâcher, toujours aussi factuelle  :

- On devrait rentrer avant le matin.  

Si ses préoccupations actuelles se concentraient sur le moyen de justifier leur escapades et l’état lamentable dans lesquels   ils se trouvaient, alors au moins l’objectif du démon était accompli. Car il était évident qu’au cours des dernières heures, la guerre et les titans étaient bien loin de ses préoccupations. Une leçon à retenir. Que faire quand on ne peut affronter ses problèmes ? En créer d’autres soit même, et les “régler”. Elle devrait penser à remercier Halewyn pour ça ..Elle tourna enfin ses fines pupilles orangée vers halewyn :

- Tu penses pouvoir te lever ?  et nous ramener ?

Toujours vautrée dans l’herbe, abasourdie par les .. pour le moins rocambolesques évènements de la soirée. La Bête se contente de sonder en silence le regard abyssal de son comparse de la soirée. Et quel acolyte ! et dire que quelques heures avant, elle arpentait bien tranquillement les allées des illustres bibliothèques de Mael. Et la voilà maintenant perdue au fin fond de la cambrousse shoumeienne, du sang plein la gueule, couverte de suie, sang paille et qui sait quoi d’autres,( en fait personne veut vraiment savoir ) . Et le tout accompagné du Spectre le plus mystérieux, imprévisible et insupportable, dans un état tout aussi lamentable.
Mais comment en était-elle arrivée là ? elle aurait tout le trajet pour se le demander. Pour l’heure, ses préoccupations étaient ailleurs. Ses pupilles brûlantes toujours fixées sur le Spectre rouge, alors qu’iel se relève péniblement, autant que sa dégaine improbablement le lui permet. La soirée aura été rude. Un peu trop d’ailleurs, puisqu’il faut maintenant faire une croix sur la case téléportation. De plus, le sifflement dissonant qui fait présentement office de voix pour Halewyn, est plus qu’inquiétant. Certes l es phrases courtes c’est pas mal, ça change de d’habitude au moins. Enfin, rester bloqué avec une voix horrible serait clairement le cadet de leur soucis si elles étaient incapables de quitter les lieux et de regagner les quartiers des Spectres.  

- Ah. Et merde.

Dactyle laisse échapper un soupir las. Juste las. A quoi bon paniquer, a quoi bon s’énerver  finalement ? et Halewyn semblait clairement hors jeu pour la nuit. Nuit qui ne durerait pas éternellement d’ailleurs, ce qui décida la Bête à  se mettre en mouvement. Non sans mal, laissant échapper quelques râles , qui interrompirent sa respiration sifflante.

Fallait-il vraiment ajouter “vole de chariot “ à la liste des effractions du jour ? visiblement oui. Là encore, en l’absence d’autres solutions, et l’état inquiétant du Spectre Rouge, elle s’en accommoderait.

Elle s’approche d’Halewyn pour l’aider à se relever, mais face à son manque de réaction, et à son épuisement évident, elle finit par juste le soulever comme elle pu, et le charger dans le chariot tel un sac à patate. Le Spectre est certes léger, mais chacun des muscles de la louve rouge grince douloureusement sous cet effort supplémentaire. Pour une fois, elle pouvait remercier sa nature et sa résistance naturelle, pour une fois seulement.  Le contre coup serait rude. Très très rude. Pour chaque effort fourni, elle en paierait le prix, plus tard.
Enfin, pour l’heure, décamper, et vite, avant que les dernières poutres de la grange calcinée ne finissent de s'effondrer.

Au moins, dans une ferme, trouver un cheval était plutôt aisé. Bien que ce dernier soit  très très, mais alors très peu  convaincu à l’idée se laisser approcher par un loup garou de deux mètres couvert de suie et de paille. Le tout attelé elle jeta un bref coup d’oeil à l’arrière, ou Hale gisait, au milieu des légumes  :

- On y va. Je compte sur toi pour m’indiquer le chemin, et j’espère ne pas le regretter..

Ainsi, les voilà parties.
La Bête,
Le Spectre Rouge encore fumant,
dans un chariot de provisions volées ( dont Dactyle avait tout de même laissé une bonne partie de la cargaison avant de partir parce que quand même, c’est pas sympa)
Un cheval volé, en crise d’angoisse,
et quatre œufs de Kokotts.

Seule chose manquant à la liste, un alibi solide, une excuse béton.